7 février 1971 au 13 mars 1974. Georges Pompidou. Procès de Bobigny. Salvador Allende. Bruay en Artois. Code barre et portable. Courriers du Gabon … et de France. 29827
En Suisse, les femmes obtiennent le droit de vote au niveau fédéral.
15 02 1971
Pour la monnaie, les Anglais adoptent le système décimal.
19 02 1971
De la même série Daphné que les sous-marins Minerve et Eurydice, disparus respectivement les 27 janvier 1968 et 4 mars 1970, le Flore, commandé par le lieutenant de vaisseau Jean-Jacques Leize, en naviguant en immersion périscopique connaît un incident grave qui lui fait embarquer une grande quantité d’eau par le schnorchel [ce n’est pas le périscope] qui, depuis la surface, permet d’alimenter en air le moteur. Le compartiment moteur inondé, le sous-marin est contraint de larguer ses plombs de sécurité pour remonter à la surface. Pris en charge peu après par les remorqueurs Pachyderme et Travailleur, il est ramené à Toulon.
22 02 1971
Hafez el Assad moyennant un coup de force s’installe à la présidence de la République en Syrie. Il va y rester jusqu’à sa mort, en 2000. Alois Brunner, ancien cadre du nazisme – un temps directeur du camp de Drancy – qui a pu échapper à la prison sans doute par erreur sur son nom à son bénéfice, s’est réfugié depuis longtemps en Syrie. À la faveur de la montée en puissance d’Hafez el Assad, il s’introduit dans l’organigramme des services de renseignements qui vont bénéficier de sa longue expérience en matière de répression et de torture. Lâché par Bachar el Assad, il serait mort dans un cachot à Damas en décembre 2001.
24 03 1971
Le Congrès américain abandonne le projet du supersonique Boeing 2707-200 SST.
30 03 1971
La Suède décide de ne pas adhérer à la Communauté Européenne.
5 04 1971
Le Nouvel Observateur publie un manifeste signé de 343 femmes, dont une ribambelle de nom connus : Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Françoise Sagan, Catherine Deneuve, Stéphane Audran, Françoise Fabian, Bernadette Lafont, Jeanne Moreau, Bulle Ogier, Marie-France Pisier, Micheline Presle, Delphine Seyrig, Nadine Trintignant, Marina Vlady, Yvette Roudy, Gisèle Halimi, etc… Toutes n’ont pas avorté, mais s’accusent solidairement du délit d’avortement pour démasquer l’hypocrisie sociale. Charlie Hebdo le nommera le manifeste des 343 salopes, adopté par l’ensemble de la presse française. C’est un plaidoyer pour l’avortement libre et donc sa dépénalisation.
Un million de femmes se font avorter en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre.
Texte rédigé par Simone de Beauvoir
Il y eut au moins un homme pour envoyer à la bergère la réponse du berger : Il est regrettable que votre mère n’ait pas pu mettre en pratique vos précieux conseils.
Y est associé un texte du MLF et du MLA – Mouvement de libération des femmes et Mouvement pour la liberté de l’avortement :
Notre ventre nous appartient
L’avortement libre et gratuit n’est pas le but ultime de la lutte des femmes. Au contraire, il ne correspond qu’à l’exigence la plus élémentaire, ce sans quoi le combat politique ne peut même pas commencer. Il est de nécessité vitale que les femmes récupèrent et réintègrent leur corps. […] Chaque année, 1 500 000 femmes vivent dans la honte et le désespoir. Cinq mille d’entre nous meurent. Mais l’ordre moral n’en est pas bousculé. On voudrait crier.
Et Jean Daniel se met en première ligne dans son éditorial : Le scandale que constituent le nombre effarant d’avortements clandestins et les conditions révoltantes dans lesquelles ils sont pratiqués n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que les femmes décident aujourd’hui de répondre au scandale par le scandale.
Le but est atteint : le sujet jusque là tabou, est porté sur la place publique.
23 05 1971
Robert Paragot et ses compagnons arrivent au sommet du Makalu, 8 515 m.
Yannick Seigneur au sommet du Makalu
13 06 1971
Le congrès du parti socialiste qui se tient à Epinay porte à sa tête François Mitterrand : La révolution, c’est d’abord une rupture. Celui qui n’accepte pas la rupture – la méthode, cela passe ensuite -, celui qui ne consent pas à la rupture […] avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti socialiste […]. L’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes !
Oh, que voilà une belle envolée, avec effet de manche, excommunication et tout et tout… on n’a rien oublié…
Quelques semaines plus tard, il se fera infirmier pour quelques jours dans une léproserie de Calcultta aux côtés du père missionnaire François Laborde, qui avait inspiré Dominique Lapierre pour La cité de la joie, 1985. Posture ou vocation ?
23 06 1971
Les 6 acceptent l’entrée de l’Angleterre dans la Communauté Européenne.
29 06 1971
Une dépressurisation accidentelle provoque la mort de trois cosmonautes russes dans Soyouz 11, trente minutes avant l’atterrissage.
30 06 1971
Cinq hommes grimés et armés attendent un transfert de fond de la Banque de France, à l’intérieur même de l’Hôtel des Postes de Strasbourg. La protection policière s’exerce sur la voie publique, pas au-delà. Ils assomment quelques convoyeurs, ne tirent pas un seul coup de feu et repartent avec 11 680 000 francs – 1.78 million € -. Le gang des Lyonnais finira par revendiquer l’affaire ; une partie du montant aurait servi à financer l’UDR, via le SAC – Service d’Action Civique -.
06 1971
Première mise à l’épreuve sérieuse pour le jeune Parc de la Vanoise : Maurice Michaud et Pierre Schnebelen, les deux rois du béton dans les Alpes françaises forment le projet d’imposantes stations de ski à l’intérieur du Parc. Levée de boucliers pour faire respecter la charte du Parc et c’est Robert Poujade, ministre de l’environnement qui obtient un consensus, qui fait tout de même une belle entorse au statut du Parc : le projet d’urbanisation de Val Chavière est annulé, mais sont autorisées des remontées mécaniques sur les glaciers de la Grande Motte et de Chavière, à l’intérieur du périmètre du Parc
1 07 1971
Début du stationnement payant à Paris.
7 07 1971
Inauguration du Pont de l’île de Noirmoutier.
10 07 1971
Tentative de coup d’État à Skhirat au Maroc, où le roi donne une réception pour son 42° anniversaire : des conjurés ont baratiné les élèves de l’Académie militaire d’Ahermoumou, leur faisant croire que le roi avait été fait prisonnier et qu’il fallait le libérer : on mitraille à tout va dans le palais : bilan : 200 morts. Le roi a la baraka et y échappe.
16 07 1971
En Espagne, Franco appelle Juan Carlos.
Le Conseil Constitutionnel, présidé par Gaston Palewski, ennemi farouche de Georges Pompidou, [l’incoercible haine du Résistant à l’endroit de celui qui ne l’a pas été] annule une loi Marcellin, ministre de l’Intérieur, réglementant la liberté d’association. Ce faisant, il quitte les plates-bandes de sauvegarde de l’exécutif contre les morsures parlementaires, pour opérer une prise de pouvoir qui ne dit pas son nom : le Conseil passait d’un contrôle technique de la loi à une censure politique de son contenu. Le suffrage du peuple est remplacé par le gouvernement des juges, une sorte d’américanisation de notre vie politique, le tout au nom des Droits de l’Homme.
15 08 1971
Les Européens se sont accordés en 1970 sur un plan de stabilisation de leurs monnaies : le plan Werner, – du nom de son auteur, premier ministre luxembourgeois – : bon nombre de ses propositions seront reprises, 20 ans plus tard, dans le Traité de Maastricht. Richard Nixon coule la tentative en décidant unilatéralement la fin de la convertibilité du dollar en or, clé de voûte du système de change décidé à Bretton Woods en 1944 : toutes les devises avaient alors un cours fixe par rapport au dollar, le dollar étant lié à l’or.
13 09 1971
L’avion qui emmène Lin Biao et sa famille loin de la Chine s’écrase à Öndörhaan, en Mongolie, ne laissant aucun survivant : 5 jours plus tôt, Lin Biao aurait fomenté un coup d’État contre Mao Zedong. C’est lui qui avait rédigé le Petit Livre Rouge – les pensées de Mao Zedong -, prenant soin que chaque Chinois en ait un exemplaire ; ce Petit Livre Rouge avait été traduit en 20 langues, distribué dans cent pays. Il était son successeur désigné pendant la révolution culturelle. Dans la foulée, environ un millier de hauts responsables militaires seront victimes d’une purge.
15 09 1971
Des écologistes de l’association Dont’t make a wave manifestent aux abords de l’Île Amchitka, à l’extrémité ouest des îles aléoutiennes en Alaska pour empêcher un essai nucléaire souterrain américain. Un navire de guerre les empêche de rester sur site. Ils rentrent au Canada pour y découvrir que leur mouvement a été très suivi et que leur sympathisants sont nombreux. Un an plus tard, ils se renommeront Greenpeace.
Les Américains déclencheront leur bombe à hydrogène le 6 novembre 1971 ; la puissance de l’explosion est évaluée entre 4,4 et 5,2 mégatonnes, ce qui fait de Long shot l’essai nucléaire souterrain le plus puissant jamais réalisé par les États-Unis. C’est presque 400 fois la puissance de la bombe lancée sur Hiroshima. Le sol se soulève de 6 mètres, l’effondrement du terrain crée un nouveau lac, de plus de 1 600 mètres de large. Un choc sismique de 7,0 sur l’échelle de Richter est enregistré.
2 10 1971
Ray Tomlinson, ingénieur américain, envoie le premier e-mail sur Arpanet 1, un réseau prisé des scientifiques et militaires. 50 ans plus tard, les technologies numériques mobiliseront 10 % de l’électricité produite dans le monde et rejetteront près de 4 % des émissions globales de CO², soit presque le double du secteur aérien mondial.
12 10 1971
Mohammad Reza Pahlavi, Shah d’Iran, invite à Pasagardes, Chiraz et Persépolis le gratin du monde politique occidental et soviétique pour y célébrer le 2 500° anniversaire de la fondation de l’empire achéménide par Cyrus le Grand : il se place au pied de son mausolée pour lui rendre hommage, par-delà 25 siècles : Cyrus, grand roi, roi des rois, rois des Achéménides, roi de la Terre d’Iran, moi, rois des rois d’Iran, et mon peuple, nous te saluons. (…) Au moment où l’Iran renoue ses liens avec l’histoire, nous témoignons ici la gratitude de tout un peuple envers toi, immortel héros de l’Histoire, fondateur du plus vieil Empire du monde, grand libérateur, digne fils de l’humanité. (…) Après deux millénaires et demi, le drapeau perse flotte à nouveau avec fierté comme à l’époque de ta gloire. Aujourd’hui comme alors, la Perse apporte le message de la liberté et de la philanthropie dans un monde tourmenté. Cyrus, grand roi, roi des rois… Nous sommes rassemblés sur la tombe où tu reposes pour l’éternité afin de te dire : dors en paix car nous veillons et veillerons toujours sur ton héritage.
S’ensuivirent 101 coups de canon. Il ignorait que commençait alors son chant du cygne.
26 10 1971
La Chine populaire est admise à l’ONU, et donc, la Chine de Formose – Taïwan – quitte l’ONU. Cette toute nouvelle situation va réorienter toute la diplomatie occidentale vis à vis de l’Extrême Orient.
5 11 1971
10° et avant-dernier tir de la fusée Europa, construite par ELDO – European Launcher Development Organisation, Centre européen pour la construction de lanceurs d’engins spatiaux – : 10° échec.
*****
L’auteur de ce site a passé les années 1971 à 1975 au Gabon : il en a rapporté quelques lettres, qui donnent un bon aperçu de la langue française écrite en Afrique, ce qui n’a rien à voir avec la langue petit nègre prêtée aux protagonistes de Tintin et autres héros de la BD d’antan : il s’agit pour la plupart de courriers adressés à l’Office des Bois, où il travaillait ; le plus souvent, il s’agit d’obtenir une avance sur salaire pour régler un problème familial, mais parfois, il peut s’agir de délation, de démission fracassante, d’un sentiment de mal [ou bien] aimé etc… Le SIC s’impose pour toute cette littérature, qui ne pouvait garder son sens qu’en étant retranscrite à la lettre près.
Les accusations de racisme étant toujours prêtes à fuser, il est sans doute utile de contextualiser un peu la syntaxe qui suit, le choix des mots, les tournures de phrase etc… Tout d’abord, le français n’est pas la langue courante, parlée à la maison, de ces africains… ce n’est qu’à l’école qu’ils l’ont apprise… quand ils sont allés à l’école. Ils prêtent aux mots un sens très souvent autre que le nôtre…
De plus, la plupart de ces lettres ont été écrites par une tierce personne, un intellectuel – celui qui travaille dans les bureaux – lequel cherche parfois à se faire valoir auprès du demandeur en utilisant des formules redondantes, ampoulées… les artifices sont donc nombreux et s’expliquent très simplement. Restons donc au premier degré… et ne boudons ni la rigolade, ni le plaisir à lire un sentiment très fort de la famille et au diable la crainte de ces accusations de racisme, la vigilance non-stop de tous les gardiens du socialement correct, cousins modernes des bourgeois de Molière – cachez ce sein que je ne saurais voir -. Entre la crainte de choquer et le besoin de dire ce qui existe, il ne faut pas hésiter et donner la première place au principe de réalité, because it’s there, disait Mallory. Et que ceux qui s’acharnent à croire que tout le monde est pareil, que le blanc, c’est la même chose que le noir, eh bien, laissons les chérir leur petit catéchisme qui les rend aveugles. Les bêtisiers eux aussi ont bien le droit d’être sans frontières.
Ce qui est terrible aujourd’hui, c’est que personne ne dit du mal de personne. Si l’on en croit ce que l’on lit, tout est bien. Personne ne tue plus personne, tout se vaut, rien n’est jeté par terre, et rien n’est un drapeau. Tout est sur le même niveau. Pourquoi ? Sûrement pas parce que c’est vrai !
Picasso
Toutes les personnes ayant vécu professionnellement en Afrique ont eu l’occasion de lire un jour ou l’autre des lettres de cette veine.
Deux inscriptions tout d’abord, vues à Lambaréné : Sur le mur d’une case : Nous récusons vos liesses dans cette pièce. À l’entrée d’un magasin : La Monoprix n’est pas un corps de garde. Les vagabonds qui n’ont rien à faire toute la journée ne doivent pas venir tromper leur impatience à l’intérieur de la MONOPRIX. Merci.
*****
OWENDO LIBREVILLE
Objet : Bon de Caisse (15 000 frs)
Monsieur,
J’ai l’honneur de venir très respectueusement auprès de votre haute bienveillance solliciter un bon de caisse d’un montant de 15 000 frs pour régularisation de l’adultère que j’ai commise. Le montant total infligé à ce propos était de 30 000 frs. Amorti de 15 000 frs et le reste je recours à votre dignité de bien vouloir m’accorder ce bon. Le remboursement s’effectuera en deux mensualités. Espérant que ma demande sera acceptée, veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués. Samedy Mathias.
*****
Monsieur le Dicteur,
Je vien Près de vous pour vous dir Mes nouvelles les plus frapantes. Je suis dans la poîte de puit le 28 du moi passer jus qu’à nos jous, ont me dit de ne plus travaille par ce que je n’ai pas de piece et Pourtant ce n’est pas pour la première de foie que je suis en loyer dans cette boîte, et si c’est vrais qu’on na plus bessoin de moi qu’on me payé depuit de jours que j’ai travaille, et moi en Personne je ne refuser pas mon travail. Mais je ne trouve pas les Raiçons pour les quelle qu’on me fait partir. Je vous le dit pour une deuxième de foie que je veut travaille Mes hé-las des ennuis qu’on veux me fair je ne peut rient dir de gros Je vous prie, Monsieur le Dicteur, d’agréer l’expression de Mes sentiments respectueuse Tout dévoués
*****
Monsieur Mendome Timothée N’ZIENGUI MOBEDY Bernard Owendo, le 14 Mars 1973
Dactylo O.N.B.G. à- O W E N D O –
Monsieur et cher chef, Je viens par la présente auprès de votre bienveillance, suppléer à vous demander toujours un sécours, car pardon s’il vous plaît c’est que j’ai confiance en vous. Hier soir, la fille à l’oncle est venue et nous demeurons tous maintenant à la maison, alors elle est accompagnée d’un enfant, je ne peux pas m’en sortir. Pour cette cause, je recours vos efforts afin que vous m’avancer quelque chose en matière d’argent tel que vous en disposer à me donner. Même 500 Francs qui feront 1000 Frs avec les derniers je vous en rends d’avance merci. Veuillez agréer, Cher Monsieur Peltier, à l’expression de ma profonde gratitude. Bernard N’ZIENGUI MOUBEDY./ .-
*****
Guiboumou Nicolas Brigadier des douanes
Owendo, le 1 – 5 -73
Monsieur et cher ami Laurent Peltier
Le baptême de mes deux filles m’a presque mis à plat. Si vous pouviez pour une troisième fois me venir en aide ! Cette somme vous sera rendue le 8 courant, date de perception de nos heures supplémentaires et fond commun. Remerciements anticipés. Bon pour une somme de 10 000 F ( Dix mille F) 4 000 F (Quatre mille F) Guiboumou.
*****
Nzé – Mba Pierre Owendo 4 – VI – 73PARC – OWENDO / LBV
Objet : Cessation de tous services au Parc. À monsieur le Chef du Parc Ow / LBVMonsieur,
Pour éviter de perdre mes honneurs et dignités en persistant à travailler au parc en qualité de m/o, afin que je ne m’écrase pas sous le poids des misères, je vous avise que je cesse aujourd’hui, au parc mes fonctions en qualité de m / o, fonctions que je ne mérite nullement, pour occuper ailleurs des responsabilités dignes de moi. Veuillez considérer, Monsieur le Chef du parc, l’expression de mes sentiments respectueux.
*****
O.N.B.G NYANGA le 13 / 9 / 73
À Monsieur le Directeur Général de L’O.N.B.G. de la Nyanga à Mayumba.
Monsieur, J’ai l’honneur de venir très respectueusement auprès de votre Haute bien équité, solliciter à vous souligner ceci que :
nous ici à la Nyanga, les travaux se déroulent dans un comportement de tribalisme et de sorcellerie chez nous. C’est à dire : citons en premier lieu Monsieur Boulingui Daniel qui empoisonne les autres en vempire et qui emploie le sang des êtres humains pour mieux travailler.
Ce Boulingui s’entend avec Boubala Florent qui est Capita* et qui sont tous des Bapounou qui, sans chercher à réfléchir partent raconter à l’Européen les fausses paroles d’accusion jusqu’à ce que l’homme sera licencié et faire rentre un autre homme de leur dialect. À l’arrivage d’un remorqueur les hommes se permettent sans crainte de jeter des paquets de lance à boucle* et des filins. Quant au gasoil ils envoient des dame-jeanne et des dame-jeanne chez eux en destination de leurs parents en disant que c’est nous même les Baloumbous qui commandons. Quand on crie à cela ils nous disent ceci : si nous entendons ça chez le Blanc, tu es vite fait d’être licencier, de mourir. Il en est de même pour Makaya Vincent l’infirmier qui vend les médicaments conserve d’autre dans sa maison pour les envoyer chez ses parents et aime que soigner sa femme.
Concernant et pandant les jours de travail Mr Boulingui et Mr Boubala envoient les travailleurs à Igotchi pour leur chercher du vin de palme sans que le Blanc le sache, les hommes partent faire une semaine et les jours sont pointés. S’urtout ce qui étaient embochés en Août et Septembre 73 sont tous des saoûlards même s’il ne travaille pas ça ne leur dit rien, il suffit que ça soit des Bapounous. Don patron, nous voulons que vous les affecter ailleur ou les licencier faute de quoi nous risquerons d’écrire à Libreville et Port Gentil.
Ils prennent l’essence de la compagnie sans l’ordre pour se rendre à Moulondo acheter leur vin.
Veuillez agréer patron croire à parole sans avoir pitié d’eux.
Autre chose patron ils vendent les filins et les lance à boucles qui restent dans les remorqueurs et se partage l’argent.
Pambou Philibert et peuple du parc.
* Capita : Responsable de la main d’œuvre du parc.
* Lance à boucle : sorte de piton marié à un anneau dans lequel court le filin qui, sous tension, donne sa cohésion au radeau de grumes.
*****
SOUNDAT GAETAN Ce 12 Octobre 1973 B.P.2 MAYUMBA
Cher fils Joseph Hildevert,
J’accuse bonne réception de ta lettre du 4-10-73, accompagnée d’une liste d’un grand nombre des articles de grande valeur. Seuls : Salon en rotins et les 2 chèvres du Nord-Cameroun, non parvenus et te demande de les garder jusqu’à ce que tu auras une bonne occasion sûre pour m’expédier ces deux chèvres. Oui, tu es né très sensible envers moi et j’ai toujours demandé au Bon Dieu à ce que tes enfants te fassent le même rendement que tu rends à moi. Ils travailleront pour l’intérêt commun de la maison, et non pour leur plaisir personnel. D’alleur une maison qui se divise entre elle, elle tombe, donc continue à travailler pour le bien être du village, ensuite Dieu continuerait à te donner d’avantage de bien. Mathieu et les femmes disent que ton fils, très attentif, voyait à l’âge de 11 ans tous les colis que tu envoyais étant à Fougamou, il observait et à son tour, il le fait à présent. Ils étonnent, surtout tout ce que tu envoies, pas sur ma demande, mais ton cœur est toujours tourné vers moi. Si tu es embrassé pour m’expédier les ouvertures, salons et chèvres, le montant à payer, peut-être, je serais en mesure à t’envoyer un mandat, la femme de ton cadet a vu le petit montant qu’elle est allée toucher à l’Office des Bois, c’est avec ça que je l’ai payé passages avec deux enfants pour suivre son mari à Mikambo. J’ai dépensé plus que la moitié mais quand même, je peux venir au secours, surtout s’il y a de chaises bien fabriquées tout en bois, il faudrait en profiter 2 douzaines. Donc, j’attends ta réponse. Nouvelles : Julie était très malade, un abcès au mollet, il a fallu une voiture pour la faire monter à l’hôpital où elle est restée 12 jours, j’étais forcé de sortir de l’argent pour la nourrir là-bas. À Vemot, le beau frère DOUKAGA ne veut plus la voir, MAHINDZA l’a obligé d’aller chercher vite ses affaires et revenir à Bana.MAHINDZA, ELLE même maigrit petit à petit. François ses pieds enflent de plus en plus. Seule la Mère NGOYO tient fort, malgré sa vieillesse. Pour ce qui concerne ton stage à l’E.N.A. ou en France, je ne sais que faire. D’abord, je voudrais savoir les admis, sont au nombre de combien ? Parce que j’ai envie d’envoyer un mot au Docteur Benjamin, ou l’attendre ici, comme il construit ici, il vient tous les 25 du mois. Si tu vois, que c’est long, essaie de faire venir TCHIBINDA à coté de toi. Pour l’instant, tout va à pas de tortue, et tous t’embrassent en même temps avec moi, te souhaitant toujours : santé, chance et réussite dans tous les domaines./- Le Père G. SOUNDAT.- MENDOME Timothée
*****
Owendo, le 15 – 10 – 73 Service Parc.
O.N.B.G. À Monsieur le Comptable
Monsieur
J’ai l’honneur de venir très respectueusement auprès de votre haute bienveillance vous dire adieu du bien que vous m’aviez fait durant tous les 4 mois (quatre mois) Monsieur le Chef Comptable votre départ est très ému. Gardez comme souvenir ma photo puisque vous m’aviez bien gardé et dès aujourd’hui je ne suis plus content comme auparavant. Veuillez agréer Monsieur mes salutations les plus distinguées. T. MENDONE. M. Nzé Abaghe SAMUEL Owendo, le 10 / 2 / 74Pointeur marqueur en bout.
*****
Objet : Prêt d’argent Monsieur le Directeur de l’O.N.B.G. d’Owendo à Owendo.
Monsieur, par mesures de clémence et par pitié je viens avec grand respect auprès de votre haute bienveillance vous prier de bien vouloir me secourir en prêtant une somme de 15 000 frs. Je vous jure devant Dieu de vous les rembourser en trois mois sans aucune plaisanterie de ma part de fait que je suis complètement accablé, pour pouvoir payer le trousseau, dans un mois ma femme va accouché. Dans l’espoir de croiséance des mots ci-dessus. Veillez agréer Monsieur le Directeur l’assurance de mon profond respect et de mes sentiments dévoués. Je vous couvre de mes meilleurs remerciements et salutations cordialement distingués.
*****
Nzé Abaghe SAMUEL.Assoumou Gaston
Akoga 7 Janvier 1969
Moniteur officiel à Akoga à Monsieur Guenégués, Directeur du Chantier Anzème
Monsieur, J’ai l’honneur de porter plainte contre le nommé sieur Jean Bosco, cuisinier de l’Ets Leroy ce dernier ayant comme motif : Vandalisme s’est éventré dans ma chambre en date du 26 décembre 1968 pour courtiser ma femme Mingoué sur mon lit métalique qui m’a coûté 20 000 frs y compris le matelas mousse. Je vous demandé que ce sieur paye mon lit ainsi que le scandale d’avoir briser la porte de ma chambre plus adultère. Ils ont eu l’occasion quand j’étais à Libreville. Dans l’attente de votre suite favorable, Veuillez Agréer Monsieur le Directeur l’expression de mes meilleurs vœux.
*****
Assoumou Gaston Ekohau N’DOUTOUM Allogo
Mardi, le 15 Juillet 1969 BP 69 Libreville
à Monsieur le Directeur des Etablissements LEROY Libreville.
Monsieur,
Honneur venir auprès de votre haute bienveillance vous présenter mes doléances.
La tâche que j’assume, elle est facile, mais délicate dans ses différentes formes. Huit mois de travail acharné, période d’un rendement appréciable de la part de mes supérieurs. Il va sans dire que depuis cette date, un problème poignant menace au jour le jour mes habits. Le vélo de service qui m’a été donné est devenu une véritable force destructrice de mes intérêts : six pantalons sont tombés hors d’usage, frottés, abîmés entre les jambes ; du fait de pédaler régulièrement. Compte tenu des impératifs cités, des exemples convaincants ont été successivement vécus par MM. Michel et Boujean dans le souci de remédier cet état de chose. De puis un mois et demi, cet engin, suite aux malheureuses conséquences que j’ai essuyées est écarté de mes activités ruisselant de sueur, assumant ainsi mes commisssions.
Dans l’intérêt de préserver mon équilibre matériel, rendre plus efficace et moins fatiguant mon travail, je vous en prie de me prendre une mobylette de service (action alarmante, utilisation d’une machine qui va malheureusement au détriment des intérêts du dit serviteur. Dans l’espoir que vous voudriez faire promptement droit à ma demande, je vous en prie, Monsieur le Directeur l’assurance de mon profond respect.
Ekauho N’Doutoum Allogo.
*****
Et, pour bien prouver que les histoires drôles sont sans frontières, un petit échantillonnage bien de chez nous ; d’employés gabonais d’une importante société mixte de bois tropicaux, on passe à des mots d’excuse de parents d’enfants scolarisés en France :
24 11 1971
Le vol 305 – un Boeing 727 – emmène une trentaine de passagers de Portland, dans l’Oregon à Seattle ; parmi eux, un certain Dan Cooper, au profil particulièrement normal. Les passagers n’ont alors pas à être fouillés avant l’embarquement. Il s’installe à proximité du strapontin de l’hôtesse de l’air, Florence Schaffner… pour pouvoir, le moment venu, lui glisser un petit mot… qu’elle met dans sa poche, comme elle le fait pour tous les mots des dragueurs ; mais celui-là revient à la charge verbalement : Mademoiselle, je vous conseille de lire ce mot : j’ai une bombe avec moi. Elle s’exécute alors pour constater que le bonhomme parle de détournement, demande 200 000 $ de rançon, en cash non marqué, et deux jeux de parachutes, le tout remis à l’aéroport de Seattle. Et à Seattle, après que l’hôtesse ait pu vérifier qu’il était effectivement porteur d’une bombe [mais comment pouvait-elle distinguer une vraie d’une fausse ?] l’opération se fait : on lui remet 200 000 $, les deux jeux de parachutes, les passagers descendent ainsi que les membres de l’équipage sauf les trois nécessaires pour que l’avion puisse repartir. Il passe deux heures à Seattle, dont le temps de faire le plein, puis repart cap sur Mexico, avec obligation de voler très bas, à 3 000 mètres d’altitude, lentement : 310 km/h, et avec une cabine non pressurisée, où il s’enferme. L’équipage, ne recevant de la cabine aucune réponse à ses questions par radio, entre dans la cabine pour s’apercevoir qu’elle est vide : l’oiseau s’est envolé, en pleine tempête, et on ne le retrouvera jamais. En 1978, au nord de la zone supposée de l’atterrissage de Cooper, un promeneur trouvera une fiche plastifiée expliquant comment déployer l’escalier arrière d’un Boeing 727. Puis, le 10 octobre 1980, un enfant sortira du fleuve Columbia un paquet de 294 billets de 20 dollars maintenus par des bandes plastiques. Ils sont abîmés par l’eau, mais les numéros correspondent. Il s’agit bien d’une partie de la rançon remise à Cooper neuf ans plus tôt. Jamais aucun billet de la rançon ne sera utilisé. Il est probable que la tempête d’alors, ou simplement le manque d’expérience aient empêché le bonhomme d’ouvrir son parachute et qu’il soit tombé au fond d’un lac. Il semble bien étrange qu’à Seattle, lorsqu’il ne restait plus à bord de l’avion que trois membres d’équipage et Dan Cooper que la police et le FBI n’aient rien tenté pour le neutraliser. On pourrait être tenté de dire chapeau l’artiste, mais en réfléchissant un peu on a plutôt envie de dire au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.
Anecdote sans suite en 2014 : Ross Richardson publie Still Missing. Selon l’auteur, Cooper s’appellerait Richard Lepsy, un père de quatre enfants disparu en octobre 1969. Ce gérant d’épicerie avait laissé sa voiture dans le parking de l’aéroport de Traverse City, dans le Michigan, et emporté la recette de son magasin pour ne plus jamais donner de nouvelles à sa femme. Quand cette dernière découvrira à la télévision le portrait-robot de Cooper, elle ne pourra s’empêcher de noter sa ressemblance évidente avec son mari ; en plus, même cravate et mêmes chaussures. La ressemblance entre le portrait-robot et les photos de Lepsy est troublante. Mais l’expertise ADN ne donnera rien, et le FBI classera l’affaire.
2 12 1971
Lancée le 28 mai, la sonde Mars 2 a effectué 470 M. de km avant d’atteindre Mars.
Cheikh Zayed (1918-2004), ancien émir d’Abou Dhabi fonde les Emirats arabes unis -EAU, 1971-, qui regroupe entre autres, Abu Dhabi et Dubaï. Dans Le Désert des déserts, l’explorateur britannique Wilfred Thesiger, raconte sur quatre pages sa rencontre dans les années 1940 avec le cheikh inconnu d’une oasis perdue, Al Ain.
[…] Zayed était homme vertueux. Grâce à lui, les Émirats sont différents des autres États du Golfe arabique : les jeunes filles vont à l’école et les femmes disposent quasiment des mêmes droits que les hommes. Mais Zayed n’a pas changé en profondeur la société émiratie, car il en avait une vision très traditionnelle, liée à son milieu d’origine. Encore aujourd’hui, le pouvoir de nombre de femmes se limite à la sphère privée. Et par exemple, lorsqu’Anne-Aymone Giscard d’Estaing dînait avec la principale épouse de Zayed, elle devait porter un masque ! […] Il était capable de comprendre que les choses étaient différentes ailleurs. La seule chose que Zayed n’arrivait pas à concevoir était la théorie de l’évolution selon Darwin : il riait à chaque fois que François Mitterrand lui disait que nous descendions peut-être du singe : cela le laissait totalement interdit. Cet homme avait aussi de grandes qualités d’empathie. Quand Chirac lui rend visite pour la dernière fois, Zayed, mourant, est tellement heureux de le retrouver que cela en est profondément émouvant. […] L’arrogance et la négligence occidentales font que l’on s’intéresse peu à des personnages dont l’univers culturel diffère du nôtre. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille tout accepter du fait que les gens ont une autre culture. Ce n’est pas de l’irénisme ou de l’angélisme de ma part.
Extrait d’une interview de Frédéric Mitterrand, à l’occasion d’un documentaire sur Arte du 26 mai 2015
11 12 1971
Il est bien rare que le progrès technique ne se paie pas d’un tribut. Ainsi du train, de la voiture, de l’avion ; aujourd’hui, c’est de plongée sous-marine qu’il est question : Une équipe américaine s’attaque au record de profondeur. Sheck Exley, plongeur de sécurité raconte : Le but était de descendre à -145 m. Archie Forfar, Ann Gunderson et Jim Lockwood avaient mis au point la technique suivante : ils descendaient, gilet gonflé au maximum, le long d’un tombant, au moyen d’une gueuse de plomb tout simplement posée dans le creux des genoux, les jambes repliées en arrière. En cas de syncope les jambes se relâchaient, libérant la gueuse de plomb. Grâce à son gilet gonflé le plongeur remontait alors et je n’avais plus qu’à le récupérer. Mais, ce 11 décembre 1971, la tentative tourne au drame. La procédure prévue ne peut être exécutée, le câble n’est pas en bon état. Archie Fofar et Ann Gunderson ont peur de se coincer et décident de descendre gilets dégonflés, sans les gueuses. Lockwood les suit avec la gueuse sur l’arrière des genoux, mais il a oublié de gonfler son gilet : Dès que j’ai commencé la descente, j’ai réalisé que j’avais un problème. Le câble était plein de graisse, et je m’en suis mis plein les mains. Impossible de manipuler l’inflateur pour gonfler mon gilet ! Exley et les autres plongeurs de soutien se tiennent à – 90m. Les trois plongeurs les dépassent et atteignent – 120 m. Lockwood remonte alors en catastrophe et est récupéré par Exley. Plus tard il racontera : Je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne me souviens de rien. Je n’ai véritablement repris conscience qu’au palier de – 15 m. C’est sûrement Archie qui a gonflé mon gilet, vers – 120 m. Pour ce faire Archi s’est gravement mis en danger et ne peut arrêter sa descente… Ann le suit… Bientôt les plongeurs de sécurité se rendent compte que les deux plongeurs ne pourront pas remonter sans aide. Ils descendent jusqu’à – 120 m. mais ne peuvent plus rien. Archie et Ann sont hors de portée. Beaucoup plus bas, Archie et Ann respirent encore. Ils sont posés sur un petit rebord de la falaise et ne peuvent plus rien faire d’autre, complètement pris par la narcose… Leurs corps ne seront jamais récupérés.
Mauro Zürcher. Histoire de la plongée
13 12 1971
Le président Georges Pompidou se rend aux Açores en Concorde pour y rencontrer le président Richard Nixon.
14 12 1972
Dernière mission Apollo 17 vers la lune : la moisson sera de 249 livres de roches lunaires de la vallée de Taurus-Littrow. L’équipage est composé de Harrison Schmitt, Ronald Evans et Gene Cernan, qui est le dernier homme à avoir marché sur la lune, jusqu’à ce jour. On l’entendit alors pousser un long soupir de soulagement : Mon Dieu il était bien temps… au train où vont ces gens, ils auraient été capables de me ramener sur terre en pièces détachées ! Les trois dernières missions prévues au programme, Apollo-18, 19 et 20, sont annulées.
La stratégie de Kennedy consistait à montrer que les Russes se casseraient les dents sur la Lune. La preuve était faite et le succès total. Cela ne servait à rien de continuer.
Francis Rocard CNES
22 12 1971
Bernard Kouchner et onze autres médecins fondent Médecins Sans Frontières. Bien des années plus tard, Médecins sans frontières sera devenu une grosse organisation avec tous les ingrédients qui s’y rattachent : publicité, mailing, communication … et même un Prix Nobel de la Paix en 1999.
Médecins sans frontières a été créée le 22 décembre 1971 de la réunion de deux groupes : des médecins ayant travaillé au Biafra en guerre [1967-1970] et un groupe plus hétérogène de médecins et de journalistes qui s’étaient portés volontaires pour le Pakistan oriental lors du cyclone de 1970, sans pouvoir y aller. Ceux qu’on appelle les Biafrais, le groupe le plus emblématique, avaient travaillé pour la Croix-Rouge française, sous l’égide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et s’étaient sentis limités dans leur action au Biafra du fait que le secours médical n’était qu’une activité parmi d’autres, avec l’assistance alimentaire, la visite aux prisonniers… Les Biafrais ont donc eu l’idée de créer une organisation médicale à visée humanitaire, ce qui n’existait pas.
Rony Brauman, président de MSF de 1982 à 1994. Le Monde du 16 01 2022
1971
Découverte de l’homme de Tautavel : il a 450 000 ans ; c’est un homo Erectus. L’Américain Edward Hoff invente le micro processeur. Le Pakistan oriental a été en proie à de nombreux soulèvements initiés par les Bengalis, soutenus par l’Inde voisine et sévèrement réprimés par l’armée : et c’est encore une partition : le Pakistan oriental prend son indépendance pour devenir le Bangladesh.
9 01 1972
Un incendie détruit le Queen Elizabeth à Hong Kong. Racheté par un armateur chinois, il sera rebaptisé Seawise University.
28 01 1972
Un ouvrier effectuant des travaux dans les combles de la basilique Saint Donatien de Nantes oublie de fermer son chalumeau en quittant le chantier, et c’est l’ensemble de la toiture qui prend feu. Les dégâts seront tels qu’elle sera fermée au culte et aux visites pendant treize ans, et ne sera ouverte à nouveau qu’en mai 1985. Un incendie très probablement criminel l’endommagera à nouveau le 18 juillet 2020, détruisant totalement les orgues.
30 01 1972
Bloody Sunday à Londonderry, en Irlande du Nord : 14 morts, dont aucun n’était armé, tués par l’armée lors d’une manifestation pacifiste : c’est dans un véritable traquenard tendu par l’armée que sont tombés les manifestants. Depuis trois ans, Belfast s’était défiguré avec la construction de murs de la paix – peace walls – qui séparaient les communautés catholiques des protestantes ; tandis qu’à Berlin on avait nommé cela mur de la honte, ici on le nommait mur de la paix. Bizarre ! au vu du résultat, il aurait mieux valu parler de mur de la haine. Mais c’aurait été céder au principe de réalité, tandis qu’avec un mur de la paix on gravit glorieusement un sommet dans la tartuferie… delicious. Et tant pis pour de qui est le fondement du christianisme – l’amour de son prochain – : il faudra repasser un autre jour. Il faudra près de 40 ans pour que cela soit reconnu, par David Cameron en juin 2010, peu après son arrivée au pouvoir : il aura fallu 12 ans d’enquête. Le pays va s’embraser.
On peut dorénavant proclamer au monde que les morts et les blessés du Bloody Sunday […] étaient innocents et ont été abattus par des soldats à qui on a fait croire qu’ils pouvaient tuer impunément
Derry Tony Doherty, dont le père figure au nombre des tués.
21 02 1972
Nixon rencontre Mao Zedong. Il restera en Chine jusqu’au 28 février. La même année, Les Américains restituent au Japon les îles Senkaku en même temps qu’Okinawa.
3 03 1972
Lancement de Pioneer X vers Jupiter : elle va devenir la doyenne des sondes interplanétaires américaines ; dès 1980, le Jet Propulsion Labatory de la NASA, remarquera un ralentissement inexpliqué de sa vitesse [l’observation sera la même pour Pioneer XI, lancé en 1973] : elle perdra le contact radio avec la Terre quand 11 milliards de km les sépareront, 26 ans plus tard, en 1998. Ses 270 kilos ont traversé successivement la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, près de laquelle elle arrivait en décembre 1973, puis les orbites des planètes extérieures, Uranus, Neptune et Pluton. Elle a quitté le système solaire le 13 juin 1983 en direction de la constellation du Taureau. Le 30 novembre 1997, tout allait bien à bord ; elle aurait pu continuer son grand bonhomme de chemin, à 50 000 km/h, pendant plusieurs centaines d’années, et passer dans trente mille ans à proximité de l’étoile la plus proche. Mais voilà que fin septembre 98, de même que ses collègues Pioneer XII et Ulysse – une sonde européenne – elle est sortie de sa trajectoire, happée par une force mystérieuse.
De profundis clamavi ad te, Domine : Domine, exaudi vocem meam.
17 03 1972
Joseph Césari tombe. La police trouve d’abord son laboratoire, mais il n’y est pas. Ils vont le chercher chez lui et peuvent le confondre, car il a commis une erreur : sur la face intérieure d’une jambe d’un pantalon trouvé dans le laboratoire, il y a une tâche qui correspond exactement à une plaie sur sa jambe. Il a gagné ses galons de chimiste auprès de son frère, préparateur en pharmacie, mais très rapidement, l’élève a dépassé le maître et Joseph Césari est aujourd’hui le chimiste **** de la drogue : c’est lui qui est à même de fabriquer de l’héroïne pure à 99 % : unique, ce qui signifie bien sûr chère, très chère, à même de lui permettre de tenir un train de vie somptueux. Les étapes de la fabrication partent de la fleur de pavot, dont on extrait la morphine base, à laquelle on ajoute de l’anhydride acétique et l’on obtient ainsi de la morphine, très pure pour les chimistes de Marseille, moins pour les autres : c’est comme pour la bouillabaisse, faut pas être pressé, faut que ça routoutoune, longtemps. Le métier s’est créé des décennies plus tôt en fabriquant du faux Pastis. Avec un prix de revient de l’héroïne de 10 000 francs le kilo, et un prix de vente de 90 000, il n’est pas nécessaire d’être fort en maths pour voir l’intérêt de l’affaire.
Ces succès policiers ont été longs à venir et il a fallu que Richard Nixon, las de voir l’hécatombe que provoquait l’héroïne marseillaise dans son pays, le plus grand consommateur mondial – 149 morts en mars 1972 -, tance sérieusement le gouvernement français pour que celui-ci hausse aussi le ton envers les policiers de Marseille, jusque là plutôt mous. L’affaire durait depuis un moment : dès 1962, Jacques Angelvin, un animateur français de télévision s’était fait prendre la main dans le sac en important 50 kg d’héroïne caché dans une voiture. Le 29 février 1972, Le Caprice des temps, un bateau de pêche entièrement rénové, à quai à Villefranche et qui avait attiré l’attention de la police parce qu’il … ne rapportait jamais de poisson, appareille, cap à l’ouest et se fait prendre en chasse par le Scirocco des Douanes qui l’interceptent juste avant qu’il ne quitte les eaux territoriales : demi-tour sur Marseille où l’on trouve dans un puits confectionné sur l’étrave 425 kg d’héroïne : les Américains sont contents et le disent. Mais c’est l’arrestation de Joseph Césari qui sera le point d’orgue de la lutte contre la French Connexion : Monsieur 98 % était tombé, – il se suicidera cinq jours plus tard aux Baumettes – il ne restait plus qu’à trouver les commanditaires ce qui, avec le système d’incarcération américain, est assez facile : s’ils acceptent de balancer, on offre aux condamnés un séjour dans une ferme où ils peuvent jouer au golf, recevoir leur maîtresse, bref… presque la belle vie.
6 04 1972
En jouant sur un terrain vague de Bruay en Artois, deux enfants découvrent le cadavre de Brigitte Dewèvre, 15 ans, fille de Thérèse et Léon Dewèvre, mineur des Houillères.
13 04 1972
Pierre Leroy, notaire à Bruay en Artois, est arrêté : quand il allait voir sa maîtresse, il avait l’habitude de garer sa voiture rue de Ranchicourt, proche du terrain vague où a été découvert le corps de Brigitte Dewevre. Le juge Pascal, militant de la première heure du Syndicat de la Magistrature, se contente de ce constat pour prendre sa décision. Il laisse la presse filmer l’arrestation du notaire menotté : je n’ai pas perdu mon temps.Je m’adresse à la presse pour ne pas laisser courir les bruits les plus faux et faire connaître mes idées sur la Justice. Le juge Pascal va trouver derrière lui soutien sans faille de la part de groupuscules maoïstes qui ont à leur tête un certain Marc, qui n’est autre que Serge July dont le journal Pirate utilise les journalistes de presse Libération, créée neuf mois plus tôt sous le parrainage de Jean-Paul Sartre et de Maurice Clavel, avec pour déontologie, en exergue la mise au rencart de l’archaïque Descartes avec son énoncé ce qui n’est que vraisemblable doit être tenu pour faux, au profit de l’énoncé : il n’est pas nécessaire qu’un fait soit tenu pour vrai pour le prendre en compte, il suffit qu’il soit vraisemblable.
Les prostituées du coin décrivent en détail les exigences sexuelles du notaire avant de se rétracter en reconnaissant avoir parlé sous la pression de la police. René Pleven, garde des sceaux doit rappeler que l’inculpé est présumé innocent, ce qui n’empêche nullement la presse d’extrême gauche de mitrailler à tout va :
Et maintenant, ils assassinent nos enfants. Le crime de Bruay : il n’y a qu’un bourgeois pour avoir fait cela.
[…] Un notaire qui mange des steaks d’une livre quand les ouvriers crèvent de faim ne peut être qu’un assassin d’enfant.
[…] Oui, nous sommes des barbares. Il faut le faire souffrir petit à petit. Qu’on nous le donne. Nous le couperons morceaux par morceaux au rasoir ! Je le lierai derrière ma voiture et je roulerai à cent à l’heure dans les rues de Bruay. Il faut lui couper les couilles ! […] Barbares, ces phrases ? Certainement, mais pour comprendre il faut avoir subi cent vingt années d’exploitation dans les mines.
La Cause du peuple
Après le dessaisissement le 13 juillet du petit juge Pascal par la chambre criminelle de cassation, au profit de la Police Judiciaire de Paris, cette dernière reprendra l’affaire à zéro et Jean-Pierre Flahaut, 17 ans, plutôt perturbé, camarade de Brigitte s’accusera du meurtre, puis reviendra sur ses déclarations. Libération titrera : Bruay : Jean-Pierre n’est pas l’assassin. Au final, ses aveux ne seront pas estimés suffisants pour qu’il soit condamné : il sera relaxé. Pierre Leroy aura fait trois mois de prison et sa maîtresse Monique Mayeur une semaine, avant d’être libérés.
Si Leroy (ou son frère) est confondu, la population aura-t-elle le droit de s’emparer de sa personne ? Nous répondons oui ! Pour renverser l’autorité de la classe bourgeoise, la population humiliée aura raison d’installer une brève période de terreur et d’attenter à la personne d’une poignée d’individus méprisables, haïs. Il est difficile de s’attaquer à l’autorité d’une classe sans que quelques têtes de membres de cette classe ne se promènent au bout d’un pique.
Benny Levy
C’est probablement l’exemple le plus patent de la manipulation de la population d’une petite ville ouvrière, très homogène par toute une clique de journalistes d’extrême gauche, très naturellement malhonnêtes, qui crie en permanence À mort, À mort, lynchons le, pendons le, aidés en cela par un juge dont la faconde a du mal à cacher le travail bâclé. On se voit glacé d’effroi face à cette meute ivre d’appels au meurtre… ça sent la haine et rien d’autre… les pires jours de la Commune, ou du Ku Klux Klan, ou des SA. La justice ne sortira pas grandie de l’affaire.
29 04 1972
Au sud du Burundi des groupes armés venus de Tanzanie attaquent les villages riverains du lac Tanganyika ; les massacres visent surtout les Hutus de la classe dirigeante ; ils vont se poursuivre pendant une semaine. Les violences vont durer jusqu’à la mi-juillet. Dans un premier temps, plus de mille Tutsis sont tués dans le sud. Mais sur l’ensemble du pays c’est plus de 100 000 Hutus qui seront tués.
04 1972
L’Europe crée le Serpent monétaire, système dans lequel aucune monnaie ne doit varier de plus de 2,25 % par rapport aux autres monnaies du serpent
2 06 1972
Arrestation en Allemagne d’Andréas Baader. Le terrorisme fleurit un peu partout et s’exporte : Japon, Palestine, Allemagne, Italie.
8 06 1972
La photo fera le tour du monde :
Le cliché pris par Nick Ut nous plonge dans l’enfer de la guerre du Vietnam. Ce 8 juin 1972, dans le village de Trang Bang, une effroyable bavure est commise par l’aviation sud-vietnamienne, qui lutte avec les États-Unis contre les forces communistes du Nord. Mal renseignés, les bombardiers Skyraider se trompent de cible. Ils larguent des bombes au napalm sur un temple qui abrite non pas des combattants vietcongs, mais leurs propres soldats et des civils.
Kim Phuc, neuf ans, figure parmi les victimes de cette erreur dramatique. Alertés par le passage préalable d’un avion de reconnaissance, Phuc (c’est son prénom principal, qui signifie bonheur) et sa famille voient s’abattre sur eux les bombes incendiaires, sans avoir le temps de fuir. Le déluge de napalm, qui peut atteindre les 1.200 degrés Celsius, inflige à la fillette des brûlures inhumaines. […] Ses vêtements désintégrés, Phuc s’extirpe des flammes, laisse derrière elle ses parents indemnes et se retrouve à déambuler sur la route 1 de Trang Bang comme une damnée.
À quelques centaines de mètres de là, le photographe Nick Ut a assisté à toute la scène. Avec un groupe de journalistes internationaux, il a découvert, horrifié, que des civils surgissaient du nuage de fumée. Il a photographié, parmi eux, la grand-mère de Kim Phuc portant dans ses bras le corps inerte d’un petit garçon : Danh, trois ans. Et dans les bras d’un homme vêtu de blanc, Cuong, un bébé de neuf mois. Tous deux sont les cousins de Kim Phuc, les fils de sa tante Anh. Tous deux ont été touchés mortellement.
[…] Lorsque la fillette parvient à son tour jusqu’à lui, Nick Ut tire de son sac son quatrième et dernier appareil photo encore chargé, un Leica M3. Il immortalise la détresse de fille neuf ans, qui répète sans cesse les mêmes mots : Trop chaud ! Trop chaud ! À sa droite, son grand-frère implore les adultes : Aidez ma sœur
[…] Car Kim Phuc est en danger de mort. Le napalm a ravagé un tiers de la surface de son corps : son dos, son cou, son bras gauche, son cuir chevelu sont brûlés au moins au troisième degré. Sans prise en charge immédiate, elle succombera à ses blessures.
Un homme vietnamien demande alors aux journalistes, qui sont motorisés, de conduire la fillette à l’hôpital. Nick Ut s’en charge. Il embarque la petite victime ainsi qu’une jeune femme grièvement blessée dans sa voiture et, après trois quarts d’heure de route cahoteuse et douloureuse, parvient avec son chauffeur à un hôpital proche de Saïgon. S’il vous plaît, aidez-les, dit le preneur d’images à une infirmière. Nick Ut ne peut rester, il doit rentrer au plus vite au bureau de son agence Associated Press pour transmettre son travail. Les chemins du photographe et de la petite fille se séparent. Provisoirement.
Dans les jours qui suivent, tandis que la photographie prise par Nick Ut se propage dans la presse mondiale, la vie de Kim Phuc ne tient qu’à un fil. À un fil… et à une intervention providentielle : celle de Christopher Wain, le journaliste d’ITN, celui-là même qui avait donné à boire à la petite Vietnamienne après l’attaque de Trang Bang.
Souhaitant raconter l’histoire de la fille de la photo, comme on l’appelle déjà, Wain retrouve la trace de Kim Phuc le 10 juin. Il découvre que le pronostic des médecins est dramatique : les brûlures sont trop graves, l’hôpital n’est pas équipé pour les traiter, on s’attend à ce que l’enfant meure d’un jour à l’autre.
Alors le journaliste britannique remue ciel et terre. En multipliant les coups de fil, il apprend l’existence d’un établissement américain à Saïgon, la clinique Barsky, où l’on soigne les grands brûlés.
L’espoir renaît. Ne reste plus, alors, qu’à obtenir l’aval des autorités sud-vietnamienne pour effectuer le transfert. Une formalité ? Pas tout à fait ! Contre toute attente, l’interlocuteur de Christopher Wain au ministère sud-vietnamien des Affaires étrangères traîne des pieds. Il laisse entendre au journaliste médusé que Kim Phuc, si elle devait vivre, attirerait encore davantage les projecteurs médiatiques sur cet épisode honteux pour son gouvernement. La réponse de Christopher Wain, retranscrite dans la riche biographie de Kim Phuc par Denise Chong, est cinglante :
Le monde entier a déjà vu que l’aviation sud-vietnamienne a bombardé son propre peuple, et la survie de Kim Phuc serait encore pire pour vous ? Et, saisissant un couteau : Tenez ! Pourquoi ne lui faites-vous pas une faveur ? Allez à son hôpital et tranchez lui la gorge immédiatement ! Après un long silence, le fonctionnaire finit par donner son accord. Grâce à Christopher Wain, la fillette a gagné le droit de survivre.
Transférée à la clinique Barsky, où elle bénéficie enfin de soins adaptés, Kim Phuc reste dans un état critique pendant une quarantaine de jours, subit 17 opérations et vit le supplice quotidien du nettoyage des plaies. Ce n’est qu’au bout de 14 mois qu’elle rentre chez elle. Sauvée, mais marquée à vie. Plus tard, elle rencontrera un autre bienfaiteur, le journaliste allemand Perry Kretz, qui obtiendra des autorités qu’elle se fasse opérer dans un hôpital d’Allemagne de l’Ouest pour tenter d’apaiser ces douleurs qui n’en finissent pas.
Le gouvernement sud-vietnamien ne voulait pas s’offrir de mauvaise publicité avec le sort de l’infortunée Kim Phuc. À l’inverse, le régime communiste qui lui succède après la réunification du pays, en 1976, va vite prendre conscience de l’intérêt stratégique que représente la fille de la photo. Quel symbole plus frappant, plus célèbre de la brutalité de l’ennemi capitaliste ? Après plusieurs années dans l’anonymat, Kim Phuc, adolescente puis jeune femme, participe désormais à des films de propagande, enchaîne les interviews avec les journalistes du monde entier, voyage en URSS où l’attendent des festivals dédiés à l’anti-impérialisme.
En 1986, Kim Phuc est envoyée dans le Cuba de Fidel Castro pour y poursuivre ses études de pharmacologie. Le temps d’un reportage, elle y retrouve un certain Nick Ut, désormais installé au États-Unis. Celui-ci dira, plus tard, avoir perçu à cet instant la mélancolie de l’ancienne fillette de Trang Bang.
C’est sur les bancs de la fac que Phuc rencontre son futur mari, Toan, un étudiant vietnamien. Avec lui, elle décide de s’évader. De fuir le régime de Hanoï qui exploite sa renommée en la manipulant à distance comme une marionnette. Les deux tourtereaux mettent leur plan à exécution en 1992, à l’occasion de… leur voyage de noces, organisé en Union soviétique. Alors que l’avion du retour vers La Havane fait escale à Gander, sur l’île de Terre-Neuve, le couple sort discrètement de l’appareil et entre sur le territoire canadien avec la bénédiction des autorités, qui accueillent les immigrés à bras ouvert.
Un nouveau chapitre s’ouvre dans la vie de la jeune femme, qui s’installe définitivement au Canada, devient mère de deux garçons, et ambassadrice de bonne volonté de l’Unesco pour la paix.
Ses activités caritatives l’amènent à croiser à plusieurs reprises des personnages de son histoire : ses bienfaiteurs Nick Ut, Christopher Wain, Perry Kretz… mais aussi un certain John Plummer, ancien capitaine de l’armée américaine au Vietnam, impliqué dans la chaîne de commandement qui a abouti au bombardement de son village. Je suis désolé, je suis désolé, lui confie-t-il, en larmes, lors d’une conférence. Mais le temps qui passe n’efface pas les blessures physiques, qui sont indélébiles. En 2015, après plus de quatre décennies de souffrance quotidienne, Kim Phuc est toujours incapable de lever correctement ce bras gauche si sévèrement meurtri par le napalm, et vit un martyr lors des changements de saison. Alors la Canadienne décide d’entamer une nouvelle bataille contre les brûlures en recevant un traitement au laser dans une clinique de Miami. À ses côtés, son mari Toan, et… Nick Ut, encore lui, qui réalise un reportage sur l’événement, 43 ans après photographié pour la première fois la petite blessée de la Route 1. De lui, Kim Phuc dit : Nick Ut, de son nom vietnamien Huynh Cong Ut, possède lui aussi un destin hors du commun. De prime abord, rien ne prédestine le jeune Vietnamien au photojournalisme. Le photographe de la famille, c’est son grand frère La, qui travaille pour Associated Press. Et puis, en 1965, La se fait tuer sur le front, et Nick prend sa suite. D’abord comme laborantin, puis comme photographe à part entière.
Pas de nudité frontale ! Chez AP, à l’époque, cette interdiction n’est pas de celles qu’on outrepasse. Pourtant, le 8 juin 1972, quand Nick Ut revient dans la nuit avec le cliché déchirant de cette fillette anonyme brûlée par le napalm, le bureau de Saïgon décide tout de même de transmettre la photo au siège de l’agence américaine. Il faut dire que le chef de l’équipe n’est autre qu’Horst Faas ; avec son œil avisé, cette légende du photojournalisme mesure sans délais la puissance exceptionnelle de l’image prise par le jeune Ut.
Son flair ne l’a pas trompé. Non seulement l’image est acceptée au sommet de l’agence, mais elle fait le tour du monde à vitesse grand V et vaut bientôt à Nick Ut une flopée de récompenses, dont le prestigieux prix Pulitzer. À seulement 21 ans, le voilà auteur d’une image instantanément mythique. Mais celle-ci ne fera pas basculer l’Histoire à elle seule, comme le prétend parfois la légende : en 1972, un an avant le retrait des troupes, l’opinion publique américaine est déjà largement démoralisée par huit longues années de guerre, et le président Nixon a amorcé le départ du bourbier vietnamien.
En 1975, alors que les Nord-Vietnamiens fondent sur Saïgon, Associated Press évacue Nick Ut aux États-Unis. Une nouvelle vie, bien plus paisible, débute pour lui en Amérique. […].
L’Obs. 28 juillet 2016
En arrière-plan, des soldat sud-vietnamiens. À droite, le photographe de « Life » David Burnett, qui recharge son appareil (Nick Ut/AP/Sipa)
18 06 1972
Le Washington Post consacre sa Une à une histoire d’écoutes illégales dans les locaux du parti démocrate. Les Français auront toujours beaucoup de mal à comprendre comment une affaire aussi insignifiante et minable pourra, quelques mois plus tard amener la démission du président du pays le plus puissant du monde : c’est le scandale du Watergate.
Des micros dans les locaux du parti démocrate. Cinq personne prises sur le fait
Alfred E. Lewis, journaliste au Washington Post.
Cinq hommes, dont l’un prétend être un ancien membre de la Central Intelligence Agency, ont été arrêtés hier à 2 h 30′ du matin au cours de ce que les autorités définissent comme un tentative soigneusement préparée d’espionnage dans les locaux du Comité national du parti démocrate à Washington.
Trois de ces hommes sont cubains de naissance, un autre aurait entraîné des exilés cubains à la guérilla après le débarquement de la baie des Cochons en 1961.
Ils ont été surpris en flagrant délit par trois inspecteurs en civil des services de police dans un bureau du sixième étage du luxueux immeuble du Watergate, au 2600 Virginia Avenue, étage entièrement occupé par le Comité national du parti démocrate.
On ignore encore la raison pour laquelle ces cinq suspects ont cherché à placer des micros dans les locaux du Comité national du parti démocrate, et s’ils ont agi à la demande d’autres individus ou organisation.
Un des deux Américains de naissance dira s’appeler Edward Martin, quand en fait se nommait James McCord, agent retraité de la CIA employé à plein temps par le CREEP, le Comité de réélection du Président. Dès lors on savait que le commanditaire était la Maison Blanche ; il ne restait plus qu’à remonter le fil jusqu’à la source.
4 07 1972
Jacques Chaban Delmas, premier ministre, n’entretient pas les meilleures relations du monde avec le président Georges Pompidou. Il sait d’ailleurs depuis quelques jours qu’il va être remercié le lendemain. Un de leurs sujets de discorde tient aux mesures à prendre pour enrayer le fléau des accidents de la route : 18 000 morts pour cette année 1972 ! Au début des années 50, on avait franchi la barre des 5 000 morts/an. À la fin, on en était à 8 000 ! Dans les années 60, on ajoute un millier de morts chaque année pour arriver à 15 000 morts en 1970, 16 500 en 1972 [chiffre minoré, car ne prenant en compte les morts que dans la semaine qui suivait l’accident ; les 18 000 morts mentionnées plus haut a pris en compte les morts un mois après l’accident] Pompidou fan de voiture et de vitesse [1] , contrairement à ce que pourrait laisser penser sa personnalité, ne veut pas entendre parler de mesures pour brimer les automobilistes : Si les Français veulent se tuer, eh bien, qu’ils se tuent !
À Matignon, Christian Gérondeau, jeune polytechnicien et ingénieur des Ponts, a proposé au début de l’année à Chaban la création d’une structure interministérielle avec un responsable unique pour coiffer les trop nombreux organismes qui s’occupent de Sécurité routière ; Chaban n’y a pas donné suite, sachant que Pompidou s’y opposerait, mais cette fois-ci il se dit : je n’ai plus rien à perdre et il crée un Comité interministériel pour la Sécurité Routière, et nomme Christian Gérondeau délégué général !
Et dans un premier temps, les deux principales mesures qui feront diminuer le nombre de morts seront la limitation de vitesse : finalement 90 sur routes, 120 sur autoroute, et l’instauration du permis à point, plus quelques mesures annexes comme l’obligation d’attacher la ceinture de sécurité. Puis près de 20 ans plus tard, les radars et le traitement administratif de ces infractions d’une redoutable efficacité.
Mais rien de tout cela, rien de cet extraordinaire combat contre une prétendue fatalité, n’aurait pu connaître le succès sans la réunion de plusieurs personnalités venant de différents horizons : pour la haute fonction publique, Christian Gérondeau, pour le politique, Jacques Chirac, qui, pour une fois, retourna sa veste du bon côté, et, plus tard, des parents de victimes : Geneviève Jurgensen, qui avait perdu ses deux filles dans un accident de voiture le 3 avril 1980 mettant en cause un chauffard ivre, et qui créera la Ligue contre la violence routière, et Christine Cellier qui la rejoindra quand sa fille Anne mourra le 17 septembre 1986 des suites de ses brûlures, trois mois après avoir été percutée par un chauffard en état d’ivresse. Ces femmes sauront faire bouger les lignes : elles feront basculer l’opinion – et ce n’est pas mince affaire – : les chauffards seront désormais considérés comme des criminels. Chacun d’entre nous doit mettre ces citoyens en son Panthéon personnel. Merci à eux de pouvoir traverser désormais un passage piéton sans se faire klaxonner, merci à eux d’être parvenu à faire entrer dans ces multitudes d’îlots que sont les voitures, véritables forteresse jusqu’alors d’égoïsme sacré, un minimum de courtoisie et de respect de l’autre : la vie du citoyen lambda en a été grandement améliorée.
07 1972
Les géants du cyclisme affrontent une montagne de légende : le Ventoux : C’est Bernard Thévenet qui va gagner en solitaire avec 32″ sur Eddy Merkcx, 38″ sur Luis Ocaña et 58 » sur Raymond Poulidor.
21 07 1972
Accord de libre échange entre la CEE et la Suède, Finlande, Islande, Autriche, Portugal, Suisse.
31 07 1972
Le vol 841 Delta Air Lines, un DC 8 comptant sept membres d’équipage, 94 passagers, assurant la liaison Détroit-Miami est détourné par trois hommes, deux femmes… et trois enfants, membres de la Black Liberation Army, qui avaient réussi à dissimuler un pistolet dans une Bible. Ils voulaient pouvoir offrir une meilleure vie à leurs enfants. Il n’y eut ni coup de feu, ni blessé, ni tué. L’avion atterrit à Miami, où 86 otages furent libérés en échange d’une rançon d’un million $, remise par un officier du FBI en slip ! L’avion repartit pour Boston où il fit le plein, puis Alger. Les autorités algériennes saisirent l’appareil et la rançon qu’ils rendirent à la compagnie aérienne. Les pirates furent relâchés au bout de quelques jours.
Quatre des cinq pirates, George Brown, Joyce Tillerson, Melvin McNair et Jean McNair, installés alors en France, seront arrêtés à Paris le 26 mai 1976, et jugés par un tribunal français après que la demande d’extradition américaine eut été rejetée. George Brown et Melvin McNair seront condamnés à cinq ans de prison et leurs épouses libérées. Ils vivront tous en France.
16 08 1972
Les chasseurs de l’Armée de l’air marocaine mitraillent en plein vol l’avion qui ramène le roi d’un voyage à l’étranger. Touché, le pilote parvient tout de même à se poser à Rabat. Dénoncé, le général Oufkir se suicidera.
Stefano Mariottini habite Riace, un village de Calabre, 100 km à l’est de Reggio. Quand il n’exerce pas son métier de chimiste, il pratique la pêche sous-marine, et ce jour-là, à 200 mètres de la côte voit un bras dépasser du fonds sableux, à 8 mètres sous la surface. Il tire dessus : rien ne vient, tout est trop lourd, trop profondément enfoncé dans le sable. Il repère le lieu avec une petite bouée qu’il gonfle avec l’air de sa bouteille et qui reste au-dessus du bras, dix mètres plus haut : c’est ainsi plus facile à repérer et on ne risque pas de se faire piquer la découverte comme si on laissait la bouée remonter jusqu’en surface. Il reviendra avec le nécessaire pour emporter son butin : deux nus en bronze, hautes de près de 2 mètres : des guerriers grecs du V° siècle avant J.C. Emmenées à Reggio les deux sculptures connaîtront une première restauration, qui se poursuivra à Florence ; élaborées selon le principe de la cire perdue sur négatif, on enlèvera l’argile restée collé au bronze à l’intérieur des statues, pour un poids de 240 kg. Quid de ces statues ? il est difficile de croire qu’elles aient coulé avec le bateau qui les transportait, car on ne retrouve aucune trace d’épave dans les parages ; il est possible qu’elle aient été jetées à l’eau pour alléger le navire qui les transportait, possible aussi qu’elle aient été enterrées à terre en un site qui aura par après été recouvert par la mer : en cet endroit, la côte a reculé de 500 mètres depuis l’antiquité et sur terre il y avait un sanctuaire dédié à Saint Côme et Damien qui avait pris la place d’un temple consacré aux Dioscures. Ces bronzes sont au musée de Reggio de Calabre depuis 2011.
11 09 1972
Clôture des JO de Munich, endeuillée par la prise d’otages meurtrière sur la délégation israélienne par un commando palestinien Septembre Noir : 11 morts parmi les athlètes israéliens, 5 dans le commando palestinien et 1 dans la police allemande. Le CIO avait écarté la demande de participation aux Jeux émanant de l’OLP. Le Mossad et le Shin Bet seront tenus à l’écart des négociations par les autorités allemandes, beaucoup moins compétentes en matière de terrorisme que les unités israéliennes. Au moment d’un assaut possible, les véhicules blindés attendus attendaient dans un embouteillage de la circulation, à proximité de l’aéroport !
Les Allemands n’ont pas fait le moindre effort pour épargner des vies, ou pris le moindre risque pour secourir les victimes – ni les nôtres, ni les leurs. […] De la part des Allemands, c’est une honte insondable. Tout ce que voulaient les autorités, c’était mettre cette affaire de côté et pouvoir assurer le bon déroulement des Jeux.
Zvi Zamir, directeur du Mossad
Les cerveaux de l’affaire : Ali Salamé, fils d’Hassan Salamé, héros de la première révolte palestinienne en 1936, mort en 1948 à la bataille de Ras el-Ein, et Mohammed Daoud Odeh, simplifié en Abou Daoud. Le Mossad arrachera à Golda Meïr l’ordre de liquider les leaders de Septembre Noir : ils seront tous éliminés… Hassan Salamé deviendra chef des renseignements de Yasser Arafat, négociant en secret avec les Américains en 1974 la reconnaissance des droits Palestiniens contre la sauvegarde de leurs intérêts au Moyen Orient, mourra le 22 janvier 1979 dans l’explosion de sa voiture à Beyrouth. Mais Abou Daoud échappera à plusieurs tentatives d’assassinat et mourra dans son lit, à Damas le 3 juillet 2010, à 73 ans.
25 09 1972
Par référendum, la Norvège refuse d’entrer dans la CEE.
5 10 1972
Par référendum : 56,7 % – le Danemark demande à entrer dans la CEE.
28 10 1972
Vol inaugural du 1° Airbus A 300 B : le programme Airbus a été mis en route en 1969 : La France et l’Allemagne y participent chacune pour 37,5 %, l’Angleterre pour 20 % et l’Espagne, 5 %.
10 1972
Au Chili, fragilisé par la grève des patrons – camionneurs, petits commerçants, ingénieurs, entrepreneurs, professions libérales, effrayés par l’accélération des mesures d’Étatisation décrétées par le gouvernement -, Salvador Allende fait entrer au gouvernement plusieurs militaires, dont le général Carlos Prats, commandant en chef des forces armées, son ami personnel. Dans un pays qui s’étire du nord au sud sur 4 300 km pour une moyenne de 180 km d’est en ouest, trois semaines d’obstruction de la route suffisent à le mettre à genoux.
8 11 1972
Marie-Claire Chevalier, violée à 16 ans par un élève de son lycée, a voulu se faire avorter. Elle est l’accusée du procès de Bobigny. Michèle sa mère, employée à la RATP, élève seule ses trois filles, le père étant parti sans laisser d’adresse, après avoir refusé de reconnaître ses filles. Elles sont allé voir un médecin … qui demandait 4500 F, …hors de portée d’une employée de la RATP. Elle se dirigent alors vers les faiseuses d’ange… il faut encore payer – 1200 F – et au troisième essai, accident : hémorragie… hôpital et là encore 1 200 F, payées avec des chèques en bois. Quelques semaines plus tard, le violeur se fait arrêter pour vol de voiture… et en profite pour dénoncer Marie-Claire et sa mère pour avortement illégal, et la police inculpe Marie-Claire, Michèle et trois complices. Dans une bibliothèque, Michèle trouve les coordonnées de Gisèle Halimi, qui accepte de la défendre et c’est le procès de Bobigny.
C’est l’un des héros méconnus du procès de Bobigny. L’un de ses grands témoins dont la déposition, le 8novembre 1972, a eu un impact considérable et fait – peut-être – basculer l’opinion du tribunal vers un jugement historique de clémence à l’égard de quatre femmes mises en cause dans un avortement. Un humaniste d’exception, dira l’avocate Gisèle Halimi, qui savait ce qu’il en avait coûté à ce professeur de médecine, catholique fervent, profondément hostile à l’avortement, de venir témoigner dans ce procès destiné à torpiller la loi de 1920 interdisant l’interruption de grossesse. Un chevalier, se souvient Bernard Kouchner, impérial et fraternel, sincère et terriblement humain. Il savait qu’il paierait très cher son engagement à Bobigny. Mais comme toujours, il a choisi le courage. Et nous autres, jeunes médecins, nous lui vouions une admiration sans bornes. Robert Badinter en garde lui aussi un souvenir vibrant : Milliez ! dit-il. Cet homme sans peur, toujours au service des justes causes ! C’était un chrétien de gauche qui savait combien l’humanité est à la fois souffrante et souffrance. Je le ressens comme frère d’esprit.
C’est le professeur Jacques Monod qui avait conseillé à Me Halimi de contacter Paul Milliez. Révolté par l’histoire de Marie-Claire Chevalier, violée à 16 ans et dénoncée par son violeur à la police pour s’être fait avorter, le Prix Nobel de physiologie et de médecine avait en effet décidé de soutenir l’avocate dans sa volonté d’entreprendre, à partir de cette affaire, le grand procès de l’avortement. Un procès qui n’aurait pas comme seul but de défendre les inculpées (la jeune fille, sa mère et trois complices de l’avortement), mais viserait à secouer la société tout entière, provoquer des débats, ébranler les consciences, briser le tabou de l’avortement et dénoncer la législation en vigueur. Un procès qui obligerait les pouvoirs publics à regarder en face un phénomène qui concernait chaque année près d’un million de Françaises et faisait de nombreuses victimes. Un procès qui pointerait l’hypocrisie d’un système dans lequel les plus riches s’en sortaient sans problème, au prix de voyages à l’étranger ou de séjours en clinique privée, tandis que les plus pauvres, soumises aux faiseuses d’anges, risquaient leur vie et affrontaient les tourments de la justice. Bref, il fallait un procès politique. Le mot ne faisait pas peur à Gisèle Halimi. Le droit était son instrument, l’insoumission sa marque de fabrique, et son métier d’avocate un levier pour changer le monde.
La règle de base d’un procès politique était claire : il fallait dépasser les faits eux-mêmes, passer par-dessus la tête des juges pour s’adresser à l’opinion publique et la prendre à témoin. La législation était injuste, dépassée, inapplicable, inappliquée : Il fallait la changer. En conséquence, les accusées ne devaient pas nier les faits, ne pas demander pardon, ne pas réclamer l’indulgence. D’accusées, elles se feraient accusatrices de la loi et de tout un système. Et autour d’elles, de grands témoins, hommes et femmes à la stature morale irréprochable, interviendraient pour resituer le sujet sur différents plans : médical, scientifique, sociologique, politique, philosophique. L’audience deviendrait tribune. Gisèle Halimi avait conçu un plan de bataille.
Dans sa manche, il y avait bien sûr plusieurs de ses amies féministes, adhérentes de l’association Choisir, et signataires un an plus tôt du Manifeste des 343 paru dans Le Nouvel Observateur, où elles déclaraient publiquement avoir eu recours à l’avortement : Simone de Beauvoir bien sûr, statue du commandeur ; la journaliste Claude Servan-Schreiber ; et puis les actrices Delphine Seyrig et Françoise Fabian, volontaires pour raconter leur propre avortement. Il y avait aussi des politiques : Michel Rocard, fondateur du Parti socialiste unifié, et le gaulliste de gauche Louis Vallon. Des scientifiques devaient jouer un rôle majeur : le biologiste Jean Rostand, les deux Prix Nobel de médecine Jacques Monod et François Jacob. Et puis Simone Iff, la présidente du Planning familial. Mais il manquait une grande conscience, proche de l’Église catholique, dont l’influence était encore majeure dans la France des années 1970. C’était bien sûr une gageure, tant l’Église et l’épiscopat n’avaient cessé de répéter leur opposition radicale à l’avortement. Mais l’avocate s’est mis en tête de rallier le professeur Milliez, doyen de la faculté de médecine Broussais-Hôtel-Dieu, résistant de la première heure, connu pour son sens de l’éthique et ses engagements humanitaires, mais aussi pour sa foi chrétienne qui lui avait fait, un temps, songer à la prêtrise. Ce serait, si l’on ose dire, sa plus belle prise.
Alors un soir de la fin de l’été 1972, elle sonne au domicile du professeur Milliez, dans le 8°arrondissement de Paris. Il la reçoit avec courtoisie, regard fiévreux, silhouette de cathédrale. Elle lui explique l’affaire Marie-Claire Chevalier, ce cas flagrant d’injustice, de maltraitance, de discrimination sociale. Elle raconte la détresse de la mère, une femme remarquable d’honnêteté et de dignité, employée de la RATP, qui élève seule ses trois filles qu’un père a abandonnées sans prendre le temps de les reconnaître. Elle parle de la solidarité qui, dans ce milieu si modeste, a conduit des collègues du métro à chercher une adresse pour soulager la lycéenne qui refusait à tout prix cette grossesse contrainte. Elle évoque l’avortement raté et le chèque sans provision déposé par la mère angoissée à l’entrée d’une clinique privée chargée de rattraper les dégâts causés par l’avorteuse et sauver la vie de Marie-Claire. Elle décrit enfin la descente des policiers, au petit matin, dans l’appartement HLM des Chevalier, pour embarquer la mère et la fille dénoncées par le violeur…
Paul Milliez, alors âgé de 60 ans, écoute avec gravité, ses longues mains croisées sous le menton. Mais il tient à être clair vis-à-vis de l’avocate : il est viscéralement contre l’avortement, crime absolu, crime odieux. Il le dit. Il le martèle. Elle l’entend et se lève. Dans ces conditions, je ne peux pas vous demander de venir témoigner…Elle saisit son cartable, attrape son manteau et se dirige déjà vers la porte. Le professeur est debout, comme désemparé. Je pourrais écrire une lettre au tribunal…, dit-il, presque à lui-même. Son visage, racontera l’avocate, trahit une lutte intérieure. Une tension entre ses convictions religieuses, sa détestation de l’injustice et sa compassion naturelle pour les femmes en détresse. Au moment où elle ouvre la porte et se dirige vers l’ascenseur, il la rattrape : Restez ! Cette affaire est injuste, insupportable. Je ne peux l’ignorer. Je ne peux pas me dérober. J’irai témoigner à Bobigny.
La fille aînée de Paul Milliez assiste par hasard à la scène. Jeune médecin de 34 ans, mère de famille, Françoise Guize-Milliez est passée ce soir-là embrasser ses parents, qui sont ses voisins. Elle connaît bien son père. Elle lit sur son visage. Il saisit à la fois le tourment, la détermination et la révolte. Elle se doute qu’il s’agit d’un moment crucial. C’était à la fois spectaculaire et émouvant, se souvient-elle. Mon père ne s’engageait jamais légèrement. Il se doutait que sa décision était de nature à bouleverser sa vie. Mais je pense qu’il ne savait pas à quel point.
Le médecin invite l’avocate à revenir dans son bureau. Elle le regarde, étonnée et reconnaissante, mais ne veut pas qu’il y ait entre eux le moindre malentendu. Professeur, je vous demanderai publiquement à la barre : « Si Marie-Claire était venue vous consulter, qu’auriez-vous fait ?”Il la fixe dans les yeux : Je l’aurais avortée. Elle insiste : Je vous demanderai aussi : “Si votre fille, à 17 ans, était venue vous dire qu’elle était enceinte.” Il ne baisse pas le regard : J’aurais essayé de la convaincre de mener sa grossesse à terme. Si elle avait refusé, je l’aurais fait avorter. C’est ainsi, dira Gisèle Halimi, que Paul Milliez est devenu mon témoin capital. Elle savait qu’en dépit de multiples pressions il ne se dégonflerait pas.
Le 22 novembre 1972, à l’issue du procès de Bobigny, Gisèle Halimi (à gauche), avocate de la jeune Marie-Claire Chevalier (au 1er plan) accompagnée de sa mère (derrière elle), parle aux journalistes. Le verdict de ce procès, à savoir la relaxe de la jeune fille et de 3 autres femmes qui se sont faites avorter, est l’acte déclencheur du processus qui conduit au droit à l’avortement en 1974 en France. KEYSTONE-FRANCE / KEYSTONE-FRANCE
Le jour J, ce 8 novembre 1972, il est donc là. À Bobigny. Les abords du tribunal correctionnel ont été pris d’assaut par des groupes de militantes du Mouvement de libération des femmes et de Choisir qui manifestent bruyamment leur soutien aux quatre accusées, galvanisées par la relaxe de Marie-Claire, obtenue trois semaines plus tôt au tribunal pour enfants. Une victoire éclatante pour Gisèle Halimi qui sait cependant que la bataille la plus importante reste à livrer. Car ce jour, c’est la mère de Marie-Claire et ses trois complices qui vont être jugées. Et la compassion dont avait fait preuve le premier tribunal ne sera plus à l’ordre du jour.
Le professeur Milliez est appelé, après Michel Rocard, à la barre des témoins. Et d’emblée, sans même qu’on lui pose la question, il affirme, d’une voix ferme, qu’il aurait aidé Madame Chevalier, si elle était venue le consulter, et qu’il aurait fait son devoir, comme il l’a toujours fait lorsqu’il s’est trouvé confronté à des cas dramatiques similaires. Il va même plus loin en confiant avoir personnellement réalisé un avortement, à l’âge de 19 ans, alors qu’il était externe à l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne. La femme – une mère de quatre enfants abandonnée par son mari – était arrivée exsangue à l’hôpital après une tentative d’avortement ratée.
Cela n’est pas faire acte d’avortement, c’est réparer les conséquences, avance le président du tribunal. Non, rétorque Milliez. Si je n’étais pas intervenu, sa grossesse se serait poursuivie. Je ne peux pas vous dire que j’ai fait cela sans troubles de conscience. J’étais alors catholique pratiquant. Mais j’ai considéré que mon devoir était d’aider cette femme dans la situation difficile où elle se trouvait. Dans un livre d’entretiens écrit avec Igor Barrère en 1980 (Médecin de la liberté, Seuil), le professeur reviendra sur le cas de cette ouvrière désespérée qui avait introduit des queues de persil dans son vagin, espérant atteindre l’utérus, mais n’avait nullement enrayé sa grossesse. Si vous ne l’avortez pas, savez-vous ce qu’elle va faire ?, lui avait dit alors son infirmière. Elle n’a plus qu’à aller se jeter dans la Seine. Enceinte, elle va perdre son emploi, n’aura aucun moyen de subsistance, ne pourra plus nourrir ses quatre petits… La situation avait paru insoluble au jeune externe qui l’avait donc avortée.
Depuis, continue le professeur à la barre des témoins, j’ai favorisé un certain nombre d’avortements, pas seulement thérapeutiques mais aussi sociaux. Cela concerne notamment les filles violées qu’il choisit d’aider systématiquement (comme les nombreuses victimes d’inceste, des gamines enceintes de leur père, précisera-t-il plus tard à Igor Barrère). Mais aussi d’autres femmes en situation de détresse financière. Car l’injustice sociale le révulse. Il n’est pas d’exemple qu’une Française riche ne puisse se faire avorter, soit très simplement en France, soit à l’étranger. On a toujours assez d’argent dans ces cas-là pour un avortement fait dans de bonnes conditions. Les femmes pauvres, je ne les voyais qu’une fois qu’elles avaient fait leur tentative d’avortement. Mais quelle tentative et dans quelles conditions ! J’ai vu mourir des dizaines de femmes après des avortements clandestins. Et le médecin de raconter, avec colère, la situation avant-guerre d’une de ces ouvrières de chez Renault qui donnait deux mois de salaire à un médecin marron pour faire commencer l’avortement que je terminais douloureusement, à l’hôpital, sans anesthésie, parce que mon patron chirurgien, bien que socialiste très mondain, jugeait qu’il fallait que la femme s’en souvienne.
Le président lui demande alors ce qu’il pense des avorteuses professionnelles. Paul Milliez répond qu’il désapprouve celles qui en tirent profit mais que les médecins français devraient comprendre qu’ils ont précisément là un devoir à remplir. Et il va plus loin dans la confidence : lui, médecin foncièrement hostile par principe à l’avortement, a prodigué pendant des années ses conseils aux avorteurs. Comme je voyais mourir à Broussais des femmes avortées par des gens qui n’étaient pas qualifiés, j’ai bien été obligé de faire de l’enseignement ! J’ai répété à mes infirmiers, à mes étudiants, pendant des mois, qu’on n’avait pas le droit de faire un avortement sans faire de la pénicilline parce qu’une femme qui est avortée sans antiseptique a de grands risques de faire un accident. Faire preuve de pragmatisme, affronter la réalité, tendre la main aux femmes… et se résoudre à l’avortement quand il n’y a pas d’autre possibilité.
La solution, dit-il, est indiscutablement la contraception. Il faut permettre aux femmes qui ne veulent pas d’enfants de ne pas attendre d’enfants. C’est à la femme de choisir. Ce n’est pas à nous d’imposer nos conceptions d’hommes, et d’hommes riches. Quant à la loi de 1920, inique, mal faite, elle devrait d’urgence être changée. Il faut que les femmes puissent avoir recours à la contraception et que, dans certains cas, elles puissent se faire avorter. Voilà la position du chrétien que je suis.
Le professeur était donc allé bien au-delà de ce que pouvait espérer l’avocate. Elle posera pourtant les questions qu’elle lui avait annoncées le soir de leur première entrevue. Et aux deux, il répondra positivement, avouant toutefois son déplaisir à comparaître dans ce procès – Ne croyez pas, Maître Halimi, que cette déposition ne me coûte pas, elle me coûte lourdement » – en même temps qu’un sentiment de devoir à l’égard de Marie-Claire. Si ma femme avait été veuve, sans argent, avec des enfants, je suis sûr qu’elle aurait pris la même attitude que Madame Chevalier. Elle aurait fait avorter sa fille de 16 ans et elle aurait eu raison.
Voilà. Un grand catho élevé chez les jésuites, père de six enfants, avait exposé la caducité d’une législation répressive totalement déconnectée de la réalité. Il avait confié ses tourments et scrupules en décrivant avec justesse l’hypocrisie d’un système mortifère. Une déferlante allait s’abattre sur sa tête.
D’abord, il fut convoqué par le ministre de la santé, Jean Foyer, en présence du président du conseil national de l’ordre des médecins. Le ministre, lui-même très catholique, tenait à lui exprimer sa désapprobation à l’égard des propos tenus à Bobigny. Milliez s’est cabré : comment accepter l’injustice ? Comment se satisfaire d’une situation dans laquelle les femmes pauvres restent démunies et traquées, quand les femmes riches peuvent avorter sans risques dans des pays voisins ? Ce n’est pas une raison pour que le vice des riches devienne le vice des pauvres, rétorqua Jean Foyer. Dès le lendemain, le conseil de l’ordre des médecins infligeait un blâme public au professeur qui en fut stupéfait – aucune procédure habituelle n’avait été respectée – et atteint.
Il ne regrettait rien, bien sûr, affirme sa fille Françoise. Il avait agi en son âme et conscience. Et nous, sa famille, adhérions à son éthique et le soutenions avec admiration. Oui, j’avais ressenti un certain choc en entendant qu’il aurait fait avorter sa propre fille si elle avait connu la détresse d’une grossesse non voulue. C’était… si étonnant cet aveu dans un tribunal ! Si personnel ! Mais justement. Cela prouvait son amour et sa profonde sincérité.
Jacques Milliez, son fils, né en 1943, avait passé l’oral de l’internat de médecine en 1967 en planchant sur la question : Complications des avortements criminels. Un sujet auquel il avait lui aussi été confronté, très tôt, en voyant débarquer aux urgences de l’hôpital des femmes sauvagement avortées. Lui-même, gynécologue, dit avoir pratiqué des avortements clandestins, dans les années 1970, lors de ses nuits et week-ends de garde, en liaison avec le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception. Tous les copains le faisaient, dit-il. Notre obsession était moins la liberté des femmes à disposer de leur corps que l’urgence de réduire la mortalité maternelle et les séquelles abominables d’avortements clandestins.
Des discussions avec son père ? Non, il ne s’en souvient pas. Il avait quitté le nid familial et plongé avec fougue dans son métier. Mais des répercussions de Bobigny, oui ! De la hargne de grands patrons jaloux et hypocrites qui envoyaient leurs maîtresses avorter en Suisse mais reprochaient à Milliez sa compassion pour les femmes pauvres. De la réaction outrée des milieux bourgeois, ultraconservateurs et bien-pensants, qui tournèrent le dos à Milliez, forcément influencé, selon eux, par ses amis communistes (depuis la Résistance) et gauchistes. Et de la rancœur d’une partie de l’Église qui ne pardonnait pas au professeur son éloignement du dogme et cette phrase, prononcée dans un entretien au Monde, trois semaines après Bobigny : Je ne vois pas pourquoi nous, catholiques, imposerions notre morale à l’ensemble des Français.
Un jour où je remontais les Champs-Elysées pour aller au cinéma avec mon mari, se rappelle Françoise Guize-Milliez, la manchette d’un journal populaire affichée sur un kiosque m’a horrifiée : “Le professeur Milliez avoue avoir fait 1 000 avortements.” C’était dingue. Tout et n’importe quoi était décidément colporté. Ma grand-mère, qui vivait alors dans une pension de famille à Neuilly, retrouvait sous sa porte des messages accusant son fils d’être un assassin. Cela a plongé mon père dans un grand désarroi. En 1973, l’Académie de médecine lui refusa une place à laquelle il pouvait naturellement prétendre. En 1974, il reçut un nouveau blâme du conseil de l’ordre sous un prétexte fallacieux, suscitant la réaction indignée de médecins anciens résistants qui dénoncèrent une machination destinée à faire taire ou abattre un médecin de réputation mondiale, homme de cœur, de progrès et de courage.
Pendant ce temps, des Françaises de tous âges et de toutes conditions, alertées par le tumulte autour de Bobigny, se tournaient vers le professeur pour avoir de l’aide. Des centaines de lettres lui parvinrent à l’hôpital Broussais ou à son domicile, qui étaient autant d’appels au secours. Il répondait comme il pouvait, conseillait, rassurait. Il adressait telle patiente enceinte à un gynécologue de ses connaissances, fixait en urgence un rendez-vous à telle autre qu’il pressentait en grand danger. Ces lettres qu’il a remises un jour à Gisèle Halimi, conscient de leur intérêt historique, et qui sont, pour certaines, publiées sur le site de Choisir, dressent le tableau d’une époque où l’éducation sexuelle et la contraception n’existaient pas, ou peu ; où les femmes pauvres souffraient d’un grand isolement et d’un manque quasi total d’information ; et où l’annonce d’une grossesse non désirée suscitait panique et désespoir.
22 novembre 1972
Monsieur,
Je m’excuse de vous déranger, mais peut-être êtes-vous mon salut, mon seul refuge, de vous dépend ma vie. Voici : je suis enceinte et ne veux absolument pas de cet enfant, en ayant déjà cinq et un mari malade du cœur. J’ai fait tout ce que je pouvais pour faire une fausse couche mais rien n’y fait. J’ai donc pris une assurance-vie et ainsi, je pourrai me suicider sans laisser mon mari et mes enfants dans le besoin du moins dans l’immédiat car n’étant pas riche, je n’ai pu prendre une assurance-vie de plus de 3 200 000, j’écris en anciens francs. Mais ce qui m’ennuie le plus dans ce projet, c’est mon petit garçon de 3 ans. Il est toujours derrière moi et dès qu’il ne me voit plus, il m’appelle et me cherche partout (…) Aussi, je vous demanderai si vous pouvez quelque chose pour moi SVP, ou si vous ne pouvez pas, ce que je comprends très bien à cause de la loi, pouvez-vous me donner l’adresse et le montant d’une clinique en Angleterre SVP. Je vous en prie, Professeur, essayez. Seulement je vous demanderais de me répondre vite SVP, car la 24° semaine se termine le 10 décembre. (…)
Réponse du professeur
Madame,
Venez me voir le plus rapidement possible, dès samedi matin 2 décembre, si ma lettre vous arrive à temps. Avec mes sentiments dévoués.
26 novembre 1972
Docteur,
J’ai 21 ans et je suis enceinte de cinq mois et demi, je travaille dans la ferme avec mes parents. Je viens vous demander de me faire avorter, je ne voudrais pas avoir des inconvénients avec ma santé plus tard. (…) S’il vous plaît, merci de me dire le nombre de jours d’hospitalisation et le prix que je dois verser. Ou alors s’il y a un médicament à prendre pour provoquer une fausse couche. (…)
Réponse du professeur
Mademoiselle,
Il n’est pas question, à cinq mois et demi, de vous faire avorter. Ce serait folie. On risquerait de vous tuer et de tuer un enfant vivant. Réfléchissez à ce crime. Je suis naturellement prêt à vous voir dans mon bureau à l’hôpital Broussais. Avec mes sentiments dévoués.
29 novembre 1972
Docteur,
Je viens par ce petit mot vous faire part de mon problème. Voilà, je suis enceinte de trois semaines. J’ai déjà trois garçons et je n’ai que 25 ans. Je ne voudrais pas le garder, car trois, j’estime que j’en ai assez. Mon mari ne le sait pas. Je viens voir si vous pourriez pas m’avorter. Dites-moi combien vous prenez, car, vous savez, je ne suis pas bien riche. (…)
Réponse du professeur
Madame,
Je ne suis pas un avorteur, et je n’ai pas coutume de faire payer des malades qui sont dans une situation modeste. Il faut vous adresser à (…).
Recevez, Madame, l’expression de mes respectueux hommages
8 mars 1973
Professeur,
Je vous écris car j’ai lu un de vos articles dans Détective sur l’avortement et je suis de ce cas-là. Je suis fille mère, j’ai déjà deux petites filles de 4 et 2 ans. Je ne veux pas du troisième que je porte. Je suis enceinte de deux mois et demi. Professeur, pouvez-vous faire quelque chose pour moi ? Car je suis bien embêtée, je travaille en usine, mais je n’arrive pas assez à gagner ma vie pour moi et mes deux gosses. Pouvez-vous me répondre, Professeur, ou me donner un RDV ? Pouvez-vous me le faire passer ? (…)
Réponse du professeur
Mademoiselle,
Il faut que je vous voie le plus vite possible. Venez le samedi matin 17 mars à 8 h 45 à mon bureau de l’hôpital Broussais. Avec mes sentiments dévoués.
En décembre 1974, Paul Milliez fut victime d’un accident opératoire qui le plongea dans le coma. Soigné avec ferveur par ses élèves, il revint à lui mais dut lutter plusieurs années pour retrouver l’usage total de son corps, ce qui ne l’empêcha pas de continuer ses consultations à Broussais, de poursuivre ses recherches en demeurant l’un des plus grands spécialistes de l’hypertension artérielle, d’être appelé en consultation auprès de nombreux chefs d’Etat étrangers, de dénoncer aux côtés des étudiants et des infirmières la misère des hôpitaux, de défendre la fonction sociale du médecin-citoyen et de mener une multitude de combats dans de nombreux pays du monde, fidèle notamment à la Palestine et au Liban. Quand il s’est éteint, en 1994, à l’âge de 82 ans, Le Monde publia un long article d’hommage intitulé Le courage du Croisé. C’est l’image qu’en gardait Gisèle Halimi, à jamais reconnaissante à ce médecin ardent de son intervention décisive à Bobigny.
23 11 1972
Quatrième et dernier essai du lanceur russe lourd N1 : une poussée de 2 200 tonnes permettant de placer en orbite basse une charge utile de 72 tonnes : des performances analogues à celles du Saturne V américain. Mais pour le russe, autant d’essais, autant d’échecs. Le premier a eu lieu de 21 février 1969, le second le 3 juillet 1969, et le troisième le 26 juin 1971. Le lanceur N1 était constitué de quatre étages, fonctionnant au kérosène et oxygène liquide. Les rivalités, mésententes entre les concepteurs, Korolev, Vladimir Tchelomeï, Mikhaïl Yanguel, et Nikolaï Kouznetsov, le motoriste, additionnées aux indécisions des décideurs du kremlin pesèrent lourd dans ces échecs à répétition. L’existence du lanceur N1 ne sera révélée qu’avec la glasnost de Gorbatchev.
Cependant, la raison profonde de l’échec soviétique dans la course à la Lune est à chercher du côté de l’organisation. Au début des années 1960, côté Américain, certains se disent que les plans quinquennaux soviétiques ont du bon, et on met sur pied un plan décennal pour Apollo, on réactive la grosse machine de guerre sous l’égide de la NASA. Le système russe, lui, n’a pas de structure capable d’exercer un leadership unique. Il n’a pas créé d’agence et fonctionne avec des concurrences internes et plusieurs grands bureaux d’étude, les OKB.
Les trois principaux OKB dans le secteur spatial sont dirigés par Sergueï Korolev, Vladimir Tchelomeï, père de la fusée Proton, lanceur lourd qui est toujours en activité aujourd’hui et Mikhaïl Yanguel, spécialiste de missiles intercontinentaux. Khrouchtchev était un paysan dont la philosophie se résumait ainsi : on ne met pas tous ses œufs dans le même panier.
Au point que deux programmes lunaires différents vont être développés en parallèle ! Celui de Korolev, qui, avec la fusée N-1 et le vaisseau Soyouz, veut se poser sur la Lune. Et celui de Tchelomeï, dont l’ambition, moins grande, consiste à se mettre en orbite autour de notre satellite naturel. Quand Sergueï Afanassiev est nommé en 1965 à la tête du tout nouveau ministère des machines générales pour essayer de coordonner tout le monde, il n’y parvient pas. Il y a plus d’une centaine de structures différentes, et le puzzle n’est plus réconciliable.
Pierre Barthélémy. Le Monde du 16 07 2019
14 12 1972
Dernière mission Apollo 17 vers la lune : la moisson sera de 249 livres de roches lunaires de la vallée de Taurus-Littrow. L’équipage est composé de Harrison Schmitt, Ronald Evans et Gene Cernan, qui est le dernier homme à avoir marché sur la lune, jusqu’à ce jour. On l’entendit alors pousser un long soupir de soulagement : Mon Dieu il était bien temps… au train où vont ces gens, ils auraient été capables de me ramener sur terre en pièces détachées ! Les trois dernières missions prévues au programme, Apollo-18, 19 et 20, sont annulées.
La stratégie de Kennedy consistait à montrer que les Russes se casseraient les dents sur la Lune. La preuve était faite et le succès total. Cela ne servait à rien de continuer.
Francis Rocard CNES
Le coût de la sécurité des hommes est tel qu’il est 10 fois plus cher d’envoyer des êtres humains que d’envoyer du matériel.
Jean-Yves Le Gall
18 12 1972
Neilia Hunter Biden, 30 ans, épouse de Joe Biden va acheter un sapin de Noël avec ses trois enfants, Hunter, Beau et Naomi à Wilmington, dans le Delaware, États-Unis. Un camion leur refuse la priorité. Neilia et Naomi, 1 an, meurent. Hunter et Beau sont grièvement blessés. Beau mourra d’une tumeur au cerveau en 2015. Joe Biden se remariera avec Jill Tracy Jacob en 1977, qui deviendra donc première dame le 20 janvier 2021.
22 12 1972
Au Chili – Sud Est de Santiago – les 16 survivants d’un accident d’avion dans la Cordillère des Andes datant du 13 octobre sont retrouvés. 8 sont morts lors de l’accident, 12 dans une avalanche, et les survivants, ayant appris par la radio que les recherches étaient abandonnées, n’ont pu se maintenir en vie qu’en se nourrissant de chair humaine. Mais ne pensez pas à mal : le Chili con carne existait déjà, et l’anthropophagie n’a jamais cessé d’exister sur notre terre.
29 12 1972
Un avion – Lockheed Tristar L 1011 – de la compagnie Eastern Airlines qui effectue le vol New York Miami se présente pour l’atterrissage à Miami. Il reçoit de la tour de contrôle le message : Turn left, right now. – tournez- à gauche, immédiatement – . Probablement le pilote n’a-t-il pas bien entendu la première partie de la phrase, toujours est-il qu’il tourne à droite, et c’est la catastrophe : il s’écrase dans les Everglades, immense zone de marais : sur les 176 passagers/équipage, il y aura 101 morts. Les informations glanées sur Internet parlent toutes d’étranges apparitions de fantômes du pilote et du co-pilote dans les mois qui suivirent l’accident. Accident qui aurait été dû au manque de vigilance des pilotes quant à l’altitude de l’avion, qui descendait quand ils pensaient qu’il restait à altitude constante : leur attention aurait été détournée par des problèmes techniques dus à une simple ampoule cassée, témoin de la sortie du train d’atterrissage ! On ne trouve absolument aucune information qui reprenne de près ou de loin ce que dit le linguiste Claude Hagège, qui cite ce dramatique exemple pour illustrer le flou de la langue anglaise dans certaines circonstances [Express d’avril 2012].
Mais le flou existe partout, y compris dans le français : Jacques Perrin en fait une scène de l’un de ses films sur la guerre d’Algérie : un lieutenant attend dans la vallée le compte-rendu d’une opération de ratissage effectuée par ses hommes sur un plateau en hauteur ; du haut, le caporal demande une consigne quant au sort du prisonnier qu’il a fait : Descends-le, s’entend-il répondre. Le caporal comprend qu’il doit le tuer, quand le lieutenant demandait seulement qu’il l’emmène avec lui dans la vallée. Abasourdi, il fait répéter l’ordre, et le lieutenant, qui n’a pas compris qu’il pouvait y avoir un malentendu, répète l’ordre. Ce n’est qu’en entendant le coup de feu qui tue le prisonnier qu’il réalise le drame.
1972
Anne Chopinet est la 1° femme admise à Polytechnique. Joseph Borne, né Bornstein, 48 ans se suicide. Il avait toujours refusé de parler de sa déportation. Pendant la guerre, son frère ainé, Léon, resté à Toulouse avait été déporté en 1943. Arrêté avec son père et ses deux autres frères le 24 décembre 1943, il était arrivé le 20 janvier 1944 à Auschwitz, avait été muté avec son frère Isaac dans le kommando de Buna ; Zélig, son père et Albert son frère avaient été gazés à Auschwitz ; envoyé à Buchenwald à l’approche des Alliés, il avait été libéré le 11 avril 1945 : il laisse une petite fille de 11 ans, Elisabeth qui deviendra première ministre en 2022, sous Emmanuel Macron.
L’article qui suit sera publié dans le Monde du 7 juin 2018. Mais il concerne une affaire – qui deviendra un scandale d’Etat – née en 1972 : l’intoxication des habitants de la Guadeloupe et de la Martinique par un insecticide – le chlordécone – qui tue le charançon de la banane.
Il a vu ses collègues tomber malades et mourir tour à tour sans comprendre. Cancer, cancer, cancer… C’est devenu notre quotidien. A l’époque, on ne savait pas d’où ça venait, se souvient Firmin (les prénoms ont été modifiés) en remontant l’allée d’une bananeraie de Basse-Terre, dans le sud de la Guadeloupe. L’ouvrier agricole s’immobilise sur un flanc de la colline. Voilà trente ans qu’il travaille ici, dans ces plantations verdoyantes qui s’étendent jusqu’à la mer. La menace est invisible, mais omniprésente : les sols sont contaminés pour des siècles par un pesticide ultra-toxique, le chlordécone, un perturbateur endocrinien reconnu comme neurotoxique, reprotoxique (pouvant altérer la fertilité) et classé cancérogène possible dès 1979 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce produit, Firmin l’a toujours manipulé à mains nues, et sans protection : Quand on ouvrait le sac, ça dégageait de la chaleur et de la poussière, se rappelle-t-il. On respirait ça. On ne savait pas que c’était dangereux. Il enrage contre les patrons békés, du nom des Blancs créoles qui descendent des colons et détiennent toujours la majorité des plantations : Ils sont tout-puissants. Les assassins, ce sont eux, avec la complicité du gouvernement. La France n’en a pas fini avec le scandale du chlordécone aux Antilles, un dossier tentaculaire dont les répercussions à la fois sanitaires, environnementales, économiques et sociales sont une bombe à retardement. Cette histoire, entachée de zones d’ombre, est méconnue en métropole. Elle fait pourtant l’objet d’une immense inquiétude aux Antilles, et d’un débat de plus en plus vif, sur fond d’accusations de néocolonialisme. Tout commence en 1972. Cette année-là, la commission des toxiques, qui dépend du ministère de l’agriculture, accepte la demande d’homologation du chlordécone. Elle l’avait pourtant rejetée trois ans plus tôt à cause de la toxicité de la molécule, constatée sur des rats, et de sa persistance dans l’environnement. Mais le produit est considéré comme le remède miracle contre le charançon du bananier, un insecte qui détruisait les cultures. Les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique en seront aspergées massivement pendant plus de vingt ans pour préserver la filière, pilier de l’économie antillaise, avec 270 000 tonnes produites chaque année, dont 70 % partent pour la métropole. La France finit par interdire le produit en 1990, treize ans après les Etats-Unis. Il est toutefois autorisé aux Antilles jusqu’en septembre 1993 par deux dérogations successives, signées sous François Mitterrand par les ministres de l’agriculture de l’époque, Louis Mermaz et Jean-Pierre Soisson. Des années après, on découvre que le produit s’est répandu bien au-delà des bananeraies. Aujourd’hui encore, le chlordécone, qui passe dans la chaîne alimentaire, distille son poison un peu partout. Pas seulement dans les sols, mais aussi dans les rivières, une partie du littoral marin, le bétail, les volailles, les poissons, les crustacés, les légumes-racines… et la population elle-même. Une étude de Santé publique France, lancée pour la première fois à grande échelle en 2013 et dont les résultats, très attendus, seront présentés aux Antillais en octobre, fait un constat alarmant : la quasi-totalité des Guadeloupéens (95 %) et des Martiniquais (92 %) sont contaminés au chlordécone. Leur niveau d’imprégnation est comparable : en moyenne 0,13 et 0,14 microgrammes par litre (µg/l) de sang, avec des taux grimpant jusqu’à 18,53 µµg/l. Or, le chlordécone étant un perturbateur endocrinien, même à très faible dose, il peut y avoir des effets sanitaire, précise Sébastien Denys, directeur santé et environnement de l’agence. Des générations d’Antillais vont devoir vivre avec cette pollution, dont l’ampleur et la persistance – jusqu’à sept cents ans selon les sols – en font un cas unique au monde, et un véritable laboratoire à ciel ouvert. En Guadeloupe, à cause des aliments contaminés, 18,7 % des enfants de 3 à 15 ans vivant dans les zones touchées sont exposés à des niveaux supérieurs à la valeur toxicologique de référence (0,5 µg/kg de poids corporel et par jour), selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Un taux qui s’élève à 6,7 % en Martinique. Cette situation est là encore unique, s’inquiète un spécialiste de la santé publique, qui préfère garder l’anonymat : On voit parfois cela dans des situations professionnelles, mais jamais dans la population générale. La toxicité de cette molécule chez l’homme est connue depuis longtemps. En 1975, des ouvriers de l’usine Hopewell (Virginie), qui fabriquait le pesticide, avaient développé de sévères troubles neurologiques et testiculaires après avoir été exposés à forte dose : troubles de la motricité, de l’humeur, de l’élocution et de la mémoire immédiate, mouvements anarchiques des globes oculaires… Ces effets ont disparu par la suite, car le corps élimine la moitié du chlordécone au bout de 165 jours, à condition de ne pas en réabsorber. Mais l’accident fut si grave que les Etats-Unis ont fermé l’usine et banni le produit, dès 1977. Et en France, quels risques les quelque 800 000 habitants de Martinique et de Guadeloupe courent-ils exactement ? Les études menées jusqu’ici sont édifiantes – d’autres sont en cours. L’une d’elles, publiée en 2012 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), montre que le chlordécone augmente non seulement le risque de prématurité, mais qu’il a aussi des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons. Le pesticide est aussi fortement soupçonné d’augmenter le risque de cancer de la prostate, dont le nombre en Martinique lui vaut le record du monde – et de loin -, avec 227,2 nouveaux cas pour 100 000 hommes chaque année. C’est justement la fréquence de cette maladie en Guadeloupe qui avait alerté le professeur Pascal Blanchet, chef du service d’urologie au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre, à son arrivée, il y a dix-huit ans. Le cancer de la prostate est deux fois plus fréquent et deux fois plus grave en Guadeloupe et en Martinique qu’en métropole, avec plus de 500 nouveaux cas par an sur chaque île. Intrigué, le professeur s’associe avec un chercheur de l’Inserm à Paris, Luc Multigner, pour mener la première étude explorant le lien entre le chlordécone et le cancer de la prostate. Leurs conclusions, publiées en 2010 dans le Journal of Clinical Oncology, la meilleure revue internationale de cancérologie, révèlent qu’à partir de 1 microgramme par litre de sang, le risque de développer cette maladie est deux fois plus élevé. Entre deux consultations, Pascal Blanchet explique, graphique à l’appui : Comme les Antillais sont d’origine africaine, c’est déjà une population à risque – du fait de prédispositions génétiques – . Mais là, la pollution environnementale engendre un risque supplémentaire et explique une partie des cas de cancers de la prostate. Urbain fait partie des volontaires que le professeur avait suivis pour son étude. Cet agent administratif de 70 ans, au tee-shirt Bob Marley rehaussé d’un collier de perles, reçoit chez lui, près de Pointe-à-Pitre. Son regard s’attarde sur ses dossiers médicaux empilés sur la table du jardin, tandis que quelques poules déambulent entre le manguier et sa vieille Alfa Roméo. Quand il a appris qu’il était atteint d’un cancer de la prostate, Urbain s’est d’abord enfermé dans le déni. C’est violent. On se dit qu’on est foutu, se souvient-il. Un frisson parcourt ses bras nus. J’ai été rejeté. Les gens n’aiment pas parler du cancer de la prostate ici. La maladie fait l’objet d’un double tabou : la peur de la mort et l’atteinte à la virilité dans une société qu’il décrit comme hypermachiste. Mais les langues se délient enfin, se réjouit-il. L’idée de se faire opérer n’a pas été facile à accepter. Et puis je me suis dit : merde, la vie est belle, mieux vaut vivre sans bander que mourir en bandant ! Il rit, mais la colère affleure aussitôt : J’ai été intoxiqué par ceux qui ont permis d’utiliser ce poison, le chlordécone. Aujourd’hui je suis diminué. Selon lui, beaucoup de gens meurent, mais le gouvernement ne veut pas le prendre en compte. Si c’était arrivé à des Blancs, en métropole, ce serait différent. Et puis, c’est aussi une affaire de gros sous. Ce qui se joue derrière l’affaire du chlordécone, c’est bien la crainte de l’Etat d’avoir un jour à indemniser les victimes – même si prouver le lien, au niveau individuel, entre les pathologies et la substance sera sans doute très difficile. Mais l’histoire n’en est pas encore là. Pour l’heure, les autorités ne reconnaissent pas de lien formel entre le cancer de la prostate et l’exposition au chlordécone. Une étude lancée en 2013 en Martinique devait permettre de confirmer – ou non – les observations faites en Guadeloupe. Mais elle a été arrêtée au bout d’un an. L’Institut national du cancer (INCa), qui l’avait financée, lui a coupé les fonds, mettant en cause sa faisabilité. […] En dire aussi peu que possible, de peur de créer la panique et d’attiser la colère. Pendant des années, les autorités ont appliqué cette stratégie au gré des nouvelles découvertes sur l’ampleur du désastre. Mais le manque de transparence a produit l’effet inverse. La suspicion est désormais partout, quand elle ne vire pas à la psychose : certains refusent de boire l’eau du robinet, la croyant, à tort, toujours contaminée. D’autres s’inquiètent pour les fruits, alors qu’il n’y a rien à craindre s’ils poussent loin du sol – le chlordécone disparaît à mesure qu’il monte dans la sève, ce qui explique que la banane elle-même ne soit pas contaminée. […] La population n’est pas la seule à avoir été choquée. Des scientifiques, des médecins, des élus et des fonctionnaires nous ont fait part de leur indignation face à ce qu’ils perçoivent comme un tournant, en contradiction totale avec la politique de prévention affichée par les pouvoirs publics, visant au contraire à réduire au maximum l’exposition de la population au chlordécone. […] Qui est responsable de cette situation ? La question est devenue lancinante aux Antilles. Des associations et la Confédération paysanne ont déposé plainte une contre X en 2006 pour mise en danger d’autrui et administration de substances nuisibles. On a dû mener six ans de guérilla judiciaire pour que la plainte soit enfin instruite, s’indigne Harry Durimel, qui défend l’une des parties civiles. Le ministère public a tout fait pour entraver l’affaire. Trois juges d’instruction se sont déjà succédé sur ce dossier, dépaysé au pôle santé du tribunal de grande instance de Paris, et actuellement au point mort. Le Mondea pu consulter le procès-verbal de synthèse que les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp) ont rendu, le 27 octobre 2016. Un nom très célèbre aux Antilles, Yves Hayot, revient régulièrement. Il était à l’époque directeur général de Laguarigue, la société qui commercialisait le chlordécone, et président du groupement de producteurs de bananes de Martinique. Entrepreneur martiniquais, il est l’aîné d’une puissante famille béké, à la tête d’un véritable empire aux Antilles – son frère, Bernard Hayot, l’une des plus grosses fortunes de France, est le patron du Groupe Bernard Hayot, spécialisé dans la grande distribution. Devant les gendarmes, Yves Hayot a reconnu qu’il avait pratiqué personnellement un lobbying auprès de Jean-Pierre Soisson, qu’il connaissait, pour que des dérogations d’emploi soient accordées. Surtout, l’enquête judiciaire révèle que son entreprise, Laguarigue, a reconstitué un stock gigantesque de chlordécone alors que le produit n’était déjà plus homologué. Elle a en effet signé un contrat le 27 août 1990 avec le fabricant, l’entreprise Calliope, à Béziers (Hérault), pour la fourniture de 1 560 tonnes de Curlone – le nom commercial du chlordécone -, alors que la décision de retrait d’homologation – le 1er février 1990 – lui a été notifiée, écrivent les enquêteurs. Ils remarquent que cette quantité n’est pas normale, puisqu’elle est estimée à un tiers du tonnage acheté sur dix ans. De plus, au moins un service de l’Etat a été informé de cette importation, puisque ces 1 560 tonnes ont bien été dédouanées à leur arrivée aux Antilles en 1990 et 1991. Comment les douanes ont-elles pu les laisser entrer ? D’autant que, s’il n’y avait pas eu de réapprovisionnement, il n’y aurait pas eu de nécessité de délivrer de dérogations pour utiliser le produit jusqu’en 1993, relève l’Oclaesp. Les deux dérogations accordées par les ministres de l’agriculture visaient en effet à écouler les stocks restants en Guadeloupe et en Martinique. Or ces stocks provenaient de ces réapprovisionnements, notent les gendarmes. La société Laguarigue a justifié cette importation par une divergence dans l’interprétation de la réglementation. Yves Hayot ne sera pas inquiété par la justice : il est mort en mars 2017, à l’âge de 90 ans. Contacté par Le Monde, l’actuel directeur général de l’entreprise, Lionel de Laguarigue de Survilliers, affirme qu’il n’a jamais entendu parler de cela. Il précise qu’il n’était pas dans le groupe à l’époque – il est arrivé en 1996 – et assure que Laguarigue a scrupuleusement respecté les trois phases d’arrêt du chlordécone concernant sa fabrication, sa distribution et son utilisation. Les conclusions des enquêteurs sont quant à elles sans ambiguïté : Les décisions prises à l’époque ont privilégié l’aspect économique et social à l’aspect environnemental et à la santé publique, dans un contexte concurrentiel avec l’ouverture des marchés de l’Union européenne. La pollution des Antilles au chlordécone est ainsi principalement la conséquence d’un usage autorisé pendant plus de vingt ans. Reste à savoir si, au vu des connaissances de l’époque, l’importance et la durée de la pollution étaient prévisibles. Un rapport de l’Institut national de la recherche agronomique, publié en 2010 et retraçant l’historique du chlordécone aux Antilles, s’étonne du fait que la France a de nouveau autorisé le pesticide en décembre 1981. Comment la commission des toxiques a-t-elle pu ignorer les signaux d’alerte : les données sur les risques publiées dans de nombreux rapports aux Etats-Unis, le classement du chlordécone dans le groupe des cancérigènes potentiels, les données sur l’accumulation de cette molécule dans l’environnement aux Antilles françaises ? s’interroge-t-il. Ce point est assez énigmatique car le procès-verbal de la commission des toxiques est introuvable. Le rapport cite toutefois l’une des membres de cette commission en 1981, Isabelle Plaisant : Quand nous avons voté, le nombre de voix contre était inférieur au nombre de voix pour le maintien de l’autorisation pour les bananiers, dit-elle. Il faut dire que nous étions peu de toxicologues et de défenseurs de la santé publique dans la commission. En nombre insuffisant contre le lobbying agricole. Longtemps resté discret sur le sujet, Victorin Lurel, sénateur (PS) de la Guadeloupe, ancien directeur de la chambre d’agriculture du département et ancien ministre des outre-mer, dénonce un scandale d’Etat. Les lobbys des planteurs entraient sans passeport à l’Elysée, se souvient-il. Aujourd’hui, l’empoisonnement est là. Nous sommes tous d’une négligence coupable dans cette affaire.
Faustine Vincent. Le Monde du 7 juin 2018
Pas bien loin de là, au large de Fort Lauderdale, en Floride, les Américains jettent à la mer deux millions de vieux pneus : la mode est aux récifs artificiels et ils pensent que poissons, langoustes, dauphins et tutti quanti vont les remercier chaleureusement de leur avoir donné d’aussi pratiques abris : pensez donc, avec un peu d’habileté, on peut changer de place tous les jours : il suffit de faire rouler le pneu comme dans sa vie antérieure : même Walt Disney ne se serait pas risqué à pareille audace. Ils mettront vingt ans pour réaliser que c’était une fausse bonne idée et iront les repêcher en 1990. En France, on n’attendit pas le résultat de l’expérience et on préférera se dire : si les Américains l’ont fait, c’est que ça doit être bien et, au début des années 1980, avec la bénédiction d’Alain Bombard, très éphémère – 22 mai au 23 juin 1981 – secrétaire d’Etat au Ministère de l’Environnement, on mouillera 25 000 pneus à 800 mètres au large, dans le golfe Juan ; les résultats français seront aussi catastrophiques que les résultats américains, mais on mettra plus de temps qu’eux pour aller les repêcher et c’est seulement en 2018 que l’on commencera à le faire. C’est encore dans les années 80, en 1984, qu’une manipulation malheureuse au musée océanographique de Monaco introduira les algues vertes en Méditerranée. Décidément, sur la Côte d’Azur, il est des jours où ils feraient mieux de ne pas se lever du tout !
Donella Meadows, Dennis Meadows, Jørgen Randers, William W. Behrens, ingénieurs au MIT, c’est à dire bon connaisseurs des modèles mathématiques publient The limits to growth, Universe books, 1972 que l’Europe prendra l’habitude de nommer Rapport du Club de Rome. Ils démontrent que l’augmentation constante de la population mondiale, comme celle de la consommation alimentaire sont insoutenables. Cinquante ans plus tard, à peu près tout ce qui y était prédit sera réalisé.
Dans une préface à une réédition ultérieure, Jean-Marc Jancovivi dira : En 1968, on avait assisté à la création d’un organisme qui fera beaucoup parler de lui quelques années plus tard, même si sa naissance n’a pas fait tant de bruit : le Club de Rome. Au moment de sa création, il regroupait une poignée d’hommes, occupant des postes relativement importants dans leurs pays respectifs (un recteur d’université allemande, un directeur de l’OCDE, un vice-président d’Olivetti, un conseiller du gouvernement japonais…), et qui souhaitaient que la recherche s’empare du problème de l’évolution du monde pris dans sa globalité pour tenter de cerner les limites de la croissance.
Ce n’est toutefois pas en 1968 que paraît le fameux rapport, mais quelques années plus tard, en 1972, et ce ne sont pas les membres du Club de Rome qui l’ont rédigé, mais une équipe de chercheurs du Massachussetts Institue of Technology (ou MIT) qui fut constituée pour l’occasion, suite à la demande du Club de Rome. Il serait donc plus juste d’appeler le document couramment désigné sous le nom de Rapport du Club de Rome par son vrai nom : le rapport Meadows & al. (le nom du directeur de l’équipe de recherche était Dennis Meadows), qui se compose d’un document de synthèse, présentant les principaux résultats du travail qui fut effectué, dont je tente de faire un commentaire de lecture plus bas, et d’annexes diverses.
[…] L’écologie, on n’en veut pas parce qu’elle pose des limites.
1 01 1973
Adhésion à la CEE du Royaume Uni, de l’Irlande et du Danemark. 1° numéro de Libération.
1 02 1973
Les compagnies aériennes américaines Panam et TWA annulent leur commande de Concorde.
6 02 1973
16 enfants et 4 adultes meurent dans l’incendie du CES Édouard Pailleron, dans le XIX° arrondissement : des collégiens ont allumé une poubelle, et cela a suffi pour que s’embrase ce collège, construit à partir de 1963 comme 874 autres, dans le cadre d’un programme de construction d’urgence, consécutif au passage de la scolarité de 14 à 16 ans : les normes de sécurité avaient été bien assouplies : dans le cas présent, les vides entre les structures du bâtiment ont agi comme des cheminées à grand tirage, les structures métalliques n’étaient pas protégées du feu etc… une association des parents des victimes se créera, qui osera s’attaquer à l’État : deux haut fonctionnaires seront condamnés puis amnistiés.
18 et 19 02 1973
À l’initiative de Me Tixier Vignancour, avocat d’extrême droite, un commando enlève le cercueil du Maréchal Pétain de sa tombe de l’île d’Yeu pour l’emmener à l’ossuaire de Douaumont : l’expédition prendra fin à mi-chemin, le cercueil sera récupéré dans le box d’un parking de banlieue parisienne et ramené à l’île d’Yeu.
27 02 1973
300 Sioux Oglala investissent la ville de Wounded Kneee, là même où s’était déroulé le massacre de 1890, et annoncent la libération du territoire. Plus de 200 agents du FBI, policiers fédéraux cernent alors la ville et organisent le blocus. On verra des avions affrétés par des partisans des Indiens atterrir à l’intérieur du campement pour leur porter secours, où larguer des vivres, on verra un hélicoptère fédéral tirer sur les Indiens qui allaient chercher ces vivres. Les Indiens résistèrent 71 jours, soutenus par des messages du monde entier. 120 d’entre eux furent arrêtés.
29 03 1973
Départ du dernier Marine du Viet Nam. Cette guerre aura fait 58 000 morts, coté américain, 3 millions coté vietnamien. Les traumatismes mentaux provoqueront par après chez les anciens combattants américains 102 0000 suicides.
3 04 1973
Premier essai d’un téléphone portable : cela se passe chez Motorolla, et pèse 1.5 kg. Il lui faudra 10 ans pour être produit en série.
Le code-barre est adopté par les leaders de l’industrie et de la distribution. Il deviendra opérationnel le 26 juin 1974, sur un paquet de chewing-gum en Ohio, premier produit scanné dans un supermarché. Il arrivera en France six ans plus tard sur un paquet de galettes bretonnes, et néanmoins françaises. C’est GS1, une ONG internationale qui gère l’affaire, fournissant les codes-barres aux entreprises, moyennant une cotisation annuelle allant de 50 à 5 000 €. Un code-barre, c’est un produit et un seul. GS1 en attribue au minimum 100 et c’est au producteur de les attribuer à ses articles. Lorsque cesse la fabrication d’un article, l’entreprise propriétaire de son code doit attendre quatre ans avant de le réutiliser. Dans les 13 chiffres du code-barre, les premiers indiquent le pays, puis le fabricant, puis le produit. Cette combinaison permet théoriquement d’attribuer 1 000 milliards de codes. Le premier avantage du code-barre est de diviser les stocks par deux, la sortie en caisse venant chaque fois mettre à jour le stock.
Quarante ans plus tard, ses jours seront comptés : deux concurrents arriveront : le standard EPC qui permet d’être reconnu à distance par radio-fréquence, et le QR code, qui, sous la forme de carré, peut-être lu par les smartphones.
Résumé de Michel Waintrop. La Croix 5 avril 2013
8 04 1973
Décès de Picasso
Ce qui est terrible aujourd’hui, c’est que personne ne dit du mal de personne. Si l’on en croit ce que l’on lit, tout est bien. Personne ne tue plus personne, tout se vaut, rien n’est jeté par terre, et rien n’est un drapeau. Tout est sur le même niveau. Pourquoi ? Sûrement pas parce que c’est vrai !
Trente quatre ans plus tard, Daniel Buren dira pratiquement la même chose : La confusion totale règne dans le milieu de l’art : on accepte tout, on ne rejette rien, n’est ce pas parce que l’essentiel de la production n’a plus aucune force ? Je trouve ça très angoissant.
La crise est donc durable.
Toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus sinon même leur négation… Même pleinement réussie, la communication intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l’originalité de sa et de ma création.
Claude Levi Strauss. Race et culture
27 04 1973
L’administration fédérale de l’aviation [FAA] américaine interdit les vols supersoniques au-dessus de son territoire pour des raisons de pollution, notamment sonore.
Pour moi, l’aviation n’a de valeur que dans la mesure où elle contribue à la qualité de la vie humaine. La recherche dans le domaine du vol supersonique est évidemment de grande importance et mérite d’être poursuivie, mais mon opinion personnelle est que l’exploitation régulière du supersonique à son niveau actuel de développement porterait préjudice tout à la fois à l’aviation et aux habitants de notre planète. Je crois que nous devrions interdire à ces avions le survol et l’utilisation du territoire américain aussi longtemps qu’ils présentent un danger pour notre environnement général.
Charles Lindberg, le premier à avoir traversé l’Atlantique en 1927, membre du conseil d’administration de la Pan Am. Déclaration à L’Express du 7-13 août 1972.
04 1973
Philippe Gloagen et Michel Duval lancent le premier Guide du Routard. Cinquante ans plus tard, on en sera à 135 millions d’exemplaires.
05 1973
En vue de la campagne présidentielle prévue pour 1976, François Mitterrand demande à Claude Perdriel, directeur du Nouvel Observateur d’aller aux États-Unis y étudier les méthodes de campagne utilisées dans ce pays, la plus récente étant celle qui a opposé le candidat démocrate George McGovern à Richard Nixon. C’est ce dernier qui l’a emporté mais pour d’autres raisons : Pierre Salinger, expert en la matière affirme que celle de McGovern a été la plus efficace de toute l’histoire politique américaine : marketing, mailings, enquêtes d’opinion, collecte de fonds, contacts avec l’électeur, mobilisation des jeunes… Toutes les procédures du vote getting sont transportables, et seront utilisées.
06 1973
Lors du salon de l’aéronautique du Bourget, un Tupolev 144 s’écrase à Goussainville, près du Bourget : 14 morts. Il avait été surnommé Concordski, car considéré, à tort, comme une copie conforme du Concorde : 140 passagers à Mach 1,9 sur 6 500 km. Il sera retiré du service après un autre accident en 1978, ayant fait 3 morts. 17 exemplaires auront été construits.
8 06 1973
Pour la première fois depuis 1939, Franco a nommé un premier ministre : l’amiral Carrero Blanco.
28 06 1973
Au Chili, le général Carlos Prats a quitté provisoirement le gouvernement. Washington a gelé les lignes de crédit des organismes de financement de l’aide au développement. L’inflation galope à plus de 300 %, le marché noir représente l’essentiel de la circulation des biens. Un régiment de blindés attaque le palais présidentiel. La démission du général Ruiz qui ne parvient pas à trouver un accord avec les grévistes enclenche un processus de révolte au sein de l’armée, qui, pour finir va amener Augusto Pinochet à la tête des forces armées.
30 06 1973
La France intéresse l’Allemagne au programme Ariane : l’Agence Spatiale Européenne s’engage en août : la France financera le lanceur à hauteur de 63,9 %, et les frais de fonctionnement de la base de Kourou à hauteur de 75 %. La charge satellisable passera de 1 500 à 1 750 kg.
06 1973
En Dordogne, Brigitte Bardot, 38 ans, termine le tournage de L’Histoire très bonne et très joyeuse de Colinot Trousse-Chemise, un film de Nina Companeez
L’action se passe au Moyen Age, avec cavalcades, et duels sur la place du village. Parmi les figurants, une vieille dame avec sa chèvre. J’allais les voir dès que j’avais une pause, mais elle me dit un jour : J’espère que le film sera terminé dimanche. C’est la communion de mon petit-fils, on fera un grand méchoui avec la chèvre. J’ai été horrifiée ! Et j’ai immédiatement acheté la chèvre. Je suis rentrée avec elle dans mon hôtel 4 étoiles. Ce fut le déclic. Adieu le cinéma, et je me suis dès lors consacrée tout aux animaux.
Brigitte Bardot
A quoi tiennent les choses ! Par après, elle se mettra à brûler ce qu’elle avait adoré, à cracher dans la soupe de ces 20 ans de cinéma avec une vindicte haineuse qui voudront nous faire croire à un dédoublement de personnalité, comme si c’était une autre personne qu’elle-même qui avait été abusée ; allons donc, si cette vie avait été aussi insupportable que vous le dites, vous n’auriez pas fait durer ce cauchemar pendant vingt ans ! un peu de cohérence, madame Bardot. Vous n’étiez pas dans un camp de concentration tout de même !
******
Non ! Je n’ai jamais aimé le cinéma ! Ce n’est que superficialité et frivolité. Tout y est faux. Les décors, les situations, les sentiments, et la plupart des gens. Sans parler de ce nombrilisme qui fait croire aux acteurs qu’ils sont le centre du monde ! Je déteste le culte de la personnalité. Il fallait que mon imprésario me botte le cul pour que j’aille aux premières de film et dans les cocktails. J’en avais horreur. La simple lecture d’un scénario m’angoissait, et pendant la vingtaine d’années où j’ai enchaîné les films, j’avais le ventre noué et je développais un herpès au début de chaque tournage. Avec toujours ce même sentiment de vacuité.
La vie d’artiste m’a valu des moments intenses. Mais c’était dans le privé. Jamais dans l’officiel. On s’est tellement moqué de moi à mes débuts ! On a dit que j’étais une ravissante idiote, que je parlais mal, que je jouais comme un pied. Si vous saviez le mépris auquel j’ai été confrontée, parallèlement d’ailleurs à une adoration sans limite. Cela m’a blessée. C’était si injuste ! J’ai un principe de vie : quand on entreprend quelque chose, il faut le faire bien, et jusqu’au bout. Je l’ai appliqué au cinéma. Je n’ai rien fait en dilettante.
J’ai eu le sentiment de ne pas être reconnue à ma juste valeur. La reconnaissance n’est venue qu’après. Longtemps après ! Bien sûr, j’avais le statut de star : bien payée, célébrée sur les tapis rouges, dotée de belles voitures, de coiffeurs, de maquilleuses, tout le fourbi. Mais tout était fou et faux. Et je me suis pris pêlemêle dans la figure mesquineries et gestes d’adoration sans mesure, mensonges, humiliations, salissures. C’était la contrepartie de la lumière qu’on braquait sur moi. Cette lumière que certains envient et qui a failli me tuer. Car je suis vite devenue une proie pour journalistes et paparazzi. Ils étaient partout, je n’avais plus de refuge. C’était une horreur. Et c’était effrayant. La traque. Avec ce que cela implique : le stress, l’angoisse, la dépendance aux somnifères. La perte de l’envie de vivre.
Brigitte Bardot interviewé par Annick Cojean du Monde le 21 janvier 2017.
Et si lui insupporte tant que cela le culte de la personnalité, elle n’aurait pas laissé la commune de Saint Tropez lui ériger une statue en 2017… Cette seule acceptation signifie bien qu’elle avait assimilé tous les éléments pour mordre à belles dents à l’hameçon !
5 07 1973
Au Rwanda le général hutu modéré Juvénal Habyarimana prend le pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat militaire. Nouvelle offensive des Tutsis de l’extérieur. De nouvelles vagues de persécutions anti-Tutsis sont déclenchées, animées par les comités de salut public. Le MRND –Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement – affirme que dans cette conjecture, le Rwanda est absolument incapable d’assurer ne serait-ce que la sécurité alimentaire d’un surcroît de population provenant d’un retour massif des réfugiés […] cependant le Rwanda continuera à examiner avec bienveillance les demandes de rapatriement individuel, libre et volontaire.
18 07 1973
À proximité de Vizille, dans la côte de Laffrey, les freins d’un car transportant des touristes belges lâchent : 43 morts.
21 07 1973
Ahmed Bouchiki est serveur à Lillehammer, en Norvège. Il sort du cinéma avec Torril, sa compagne, enceinte. Il est le frère de Chico, un des joueurs du groupe des Gipsy Kings, alors au sommet. Une voiture s’arrête à leur hauteur : deux hommes en sortent et l’abattent de 13 coups de fusil. C’est une bavure du Mossad qui pensait avoir à faire avec Ali Assan Salameh, le leader palestinien de Septembre noir, l’homme qui a dirigé le massacre des jeux de Munich. Six Israéliens seront rapidement arrêtés par la police, accusés de meurtre. En1996, le gouvernement israélien versera une indemnité à la famille, sans pour autant reconnaître le crime. Ali Assan Salameh sera tué à Beyrouth par le Mossad en 1979.
15 08 1973
Arrêt des bombardements américains au Cambodge : fin de 12 ans d’intervention militaire américaine en Indochine.
25 08 1973
À peu près 60 000 manifestants se retrouvent au Rajal del Gorp, sur le Larzac pour combattre le projet d’extension du camp militaire, à l’initiative du syndicat des Travailleurs Paysans (prédécesseur de la Confédération Paysanne), fondé par Bernard Lambert. Cet appel fédère des sensibilités très diverses, du fondateur de la communauté non-violente de l’Arche, Lanza del Vasto, aux ouvriers des montres Lip en passant par des représentants des peuples en résistance venus d’Europe ou d’Afrique.
L’essentiel de ces 60 000 manifestants venaient de tout le mouvement de retour à la terre, aux succès et à la durée très inégaux : parfois le rêve, relayé par l’opiniâtreté, permettait un enracinement réel, parfois la dureté de vie provoquait un retour à la ville ; ceux qui restaient acceptaient une pauvreté à la limite de la détresse. Quelquefois se produisait un petit miracle :
De la route principale un chemin carrossable, suivant les gorges, conduisait au départ d’un sentier. Par ce sentier, le long du ruisseau, il fallait une bonne heure de marche pour atteindre le hameau d’Héric, perché tout là-haut, loin de tout, sans autre accès. En voiture, sur le chemin, je doublai un homme âgé qui marchait en s’appuyant sur un bâton et se dirigeait vers les gorges ; un paysan, vêtu d’un vieux costume en velours, lourdement chaussé, un sac à l’épaule. Je m’arrêtai et lui proposai de l’avancer un peu. Il accepta. En voiture, il me dit qu’il remontait à Héric où il avait passé toute son existence. Je lui dis : Il ne doit plus y avoir beaucoup de gens, là-haut. Non. J’ai vu mourir tout le monde. Lorsque le chemin carrossable s’arrêta, je lui demandai, en garant la voiture, si cela l’ennuierait de me voir faire un bout de chemin avec lui. Ça ne l’ennuyait pas du tout. Nous attaquâmes le sentier, qui est assez raide, et monte dans un paysage escarpé entre des roches nues, très découpées. L’homme marchait le premier, posément, toujours au même rythme, comme quelqu’un qui marche depuis toujours sur ces sentiers-là. Il allait avoir autour de soixante-dix ans. Difficile d’être plus précis. Un vieux. Après une centaine de mètres, il me demanda d’où j’étais. Je le lui dis : de Colombières. J’ajoutai que j’étais le fils de Félix Carrière. Ah. me dit-il. De Félissou ? Félissou était le surnom usuel de mon père. Cela servait à le distinguer de son père, qui s’appelait aussi Félix. L’homme d’Héric connaissait Félix Carrière mais vaguement. J’ai toujours été surpris que les gens se connaissent si peu de village à village. […] Le vieux d’Héric me demanda encore : Et il n’est pas mort, ce Félix Carrière ? Si, lui dis-je. Il est mort depuis plus de vingt ans. Ah. Ils appartenaient, mon père et lui, à la même génération, ou à peu près. Sans doute s’étaient-ils rencontrés dans une fête, ou à l’occasion d’un tournoi de boules. Il est mort de quoi ? Du cœur. Il était malade. Ah. Nous continuâmes à parler, par petits bouts de phrases, tout en marchant. Il me parla d’Héric, ces deux ou trois maisons perdues dans la montagne, qui avaient été toute sa vie. Et vous vivez tout seul là-haut ? Je vivais seul jusqu’à l’année dernière. Et maintenant ? Maintenant non, je ne suis plus seul.Connaissant les silences nécessaires à ce type de conversation, où l’on n’est jamais sûr que celui qu’on interroge ait vraiment envie de parler, j’attendis une dizaine de mètres avant de lui demander : Qui vit avec vous ? Les hippies. C’était bien le dernier mot que je m’attendais à entendre là. Deux ans auparavant, avec Milos Forman, nous avions vécu des mois à New York, dans l’East Village, pour travailler sur le film Taking off. Nous avions connu de très près les personnages, les coutumes, la musique de cette culture nouvelle du flower power, qu’on appelait aussi psychédélique. Je ne pouvais pas me douter que j’allais la retrouver là. L’homme me raconta l’histoire phrase par phrase tout en montant. Un an plus tôt trois jeunes gens fuyant le monde étaient arrivés à Héric, par on ne sait quels détours. Ils décidèrent qu’ils n’iraient pas plus loin. Une Américaine, un Hollandais et un Allemand. Après des premiers contacts assez difficiles, car aucun des trois ne parlait français, ils commencèrent à vivre avec le vieil homme, dans une maison à demi en ruines proche de la sienne, couchant dans la paille. Par la force de leur seule présence et la curiosité qu’ils éveillaient sans doute chez lui, ils brisèrent sa solitude. Unevie en commun reprit petit à petit dans le hameau. Le vieux leur enseigna une partie de son savoir-faire, comment on reconnaît les bons champignons, où trouver des asperges sauvages, comment pêcher, etc. Il leur donna des pommes de terre et des châtaignes. Il descendait de temps en temps dans la vallée, toujours à pied, pour acheter quelques objets indispensables, ou du sucre, ou un litre d’huile. Les trois autres restaient là-haut, loin de toute société humaine. Mais ils m’ont quand même appris des choses, dit l’homme. Par exemple ils mangent les racines des fougères ! Ils les font griller ! Jamais entendu parler de ça, avant. Et c’est bon ? Pas mauvais. On dirait des topinambours, en plus dur. Et ils ne vous ont rien fait fumer ? Si, si, bien sûr. Mais ils n’en ont plus maintenant. Il continua à bavarder de choses et d’autres. Je n’avais guère le temps de rester avec lui mais il me semblait, à certains regards, qu’il ne m’avait pas vraiment tout dit, qu’il gardait encore un certain secret. Il finit par me le raconter. Le voici : quand la jeune fille de Los Angeles arriva au hameau d’Héric, elle était enceinte. De qui ? Le vieux ne le sut jamais. Peut-être l’ignorait-elle aussi. Peut-être s’agissait-il d’un autre homme que ces deux-là. Cela ne paraissait pas la préoccuper. Cependant, quand le temps de l’accouchement approcha, il fallut songer à la délivrer. Au cours d’une de ses descentes dans la vallée, le vieux en parla au docteur Lau, à Olargues, en lui demandant de monter à Héric le moment voulu. Pas question, répondit le docteur. Il était bien trop âgé pour pratiquer cette ascension-là (il devait prendre sa retraite en 1973). Et on ne connaissait aucune sage-femme, à Olargues ou dans les environs, capable de courir ce risque. Après réflexions, va-et-vient et conciliabules, le vieux demanda au docteur s’il ne pourrait pas mettre lui-même cet enfant au monde. Le docteur fut un peu surpris, apparemment, et dit en fin de compte : pourquoi pas ? Il lui montra soigneusement comment il faut procéder et lui expliqua tous les gestes. Et c’est moi qui l’ai accouchée, me dit le vieux. C’est moi qui l’ai fait venir, le bébé. Vous auriez vu ça ! C’est un garçon, et je peux vous dire qu’il va bien. Nous n’étions plus très loin du hameau, à quinze minutes peut-être. Son récit terminé, le vieux gardait de nouveau le silence comme si, malgré sa fierté médicale, il regrettait un peu de m’en avoir tant dit. Il montait devant moi du même pas tranquille, penché en avant, le bâton à la main. Je me disais que dans le sac qu’il portait se trouvaient peut-être des couches, du talc, du lait. Il me dit un peu plus tard : Nous sommes cinq maintenant là-haut. Je ne suis pas monté avec lui jusqu’à Héric. Il m’a semblé que le vieux n’y tenait pas. Il ne fit rien pour m’inviter, au contraire. Peut-être voulait-il garder ça pour lui. Je le saluai et je redescendis vers la voiture.
Jean Claude Carrière. Le vin bourru Plon 2000
11 09 1973
Au Chili, la journée est décisive :
6 h 40’ À Valparaiso, la marine s’est soulevée et marche sur Santiago
8 h 30’ Pinochet est le premier signataire du communiqué de la junte
8 h 55’ Les carabiniers affectés à la défense de la Moneda abandonnent le palais.
9 h 30’ Allende organise la défense du palais en demandant aux femmes de partir – y compris des deux filles Beatriz et Maria Isabel, et laissant partir les hommes qui le souhaitent.
11 h 58’ Bombardement aérien qui déclenche un incendie.
13 h 30’ Allende parle à Radio Magallanes : c’est son dernier discours :
Je paierai de ma vie la défense des principes qui sont chers à cette patrie. La honte tombera sur ceux qui ont trahi leurs convictions, manqué à leur propre parole et se sont tournés vers la doctrine des forces armées.
Le Peuple doit être vigilant, il ne doit pas se laisser provoquer, ni massacrer, mais il doit défendre ses acquis. Il doit défendre le droit de construire avec son propre travail une vie digne et meilleure. À propos de ceux qui ont soi-disant autoproclamé la démocratie, ils ont incité la révolte, et ont d’une façon insensée et douteuse mené le Chili dans le gouffre. Dans l’intérêt suprême du Peuple, au nom de la patrie, je vous exhorte à garder l’espoir. L’Histoire ne s’arrête pas, ni avec la répression, ni avec le crime. C’est une étape à franchir, un moment difficile. Il est possible qu’ils nous écrasent, mais l’avenir appartiendra au Peuple, aux travailleurs. L’humanité avance vers la conquête d’une vie meilleure.
Compatriotes, il est possible de faire taire les radios, et je prendrai congés de vous. En ce moment des avions sont en train de passer, ils pourraient nous bombarder. Mais sachez que nous sommes là pour montrer que dans ce pays, il y a des hommes qui remplissent leurs fonctions jusqu’au bout. Moi, je le ferai, mandaté par le Peuple et en tant que président conscient de la dignité de ce dont je suis chargé.
C’est certainement la dernière occasion que j’ai de vous parler. Les forces armées aériennes ont bombardé les antennes de radio. Mes paroles ne sont pas amères mais déçues. Elles sont la punition morale pour ceux qui ont trahi le serment qu’ils ont prêté. Soldat du Chili, Commandant en chef, associé de l’Amiral Merino, et du général Mendosa, qui hier avait manifesté sa solidarité et sa loyauté au gouvernement, et aujourd’hui s’est nommé Commandant Général des armées.
Face à ces évènements, je peux dire aux travailleurs que je ne renoncerai pas. Dans cette étape historique, je paierai par ma vie ma loyauté au Peuple. Je vous dis que j’ai la certitude que la graine que l’on a confiée au Peuple chilien ne pourra pas être détruite définitivement. Ils ont la force, ils pourront nous asservir, ils mais n’éviteront pas les procès sociaux, ni avec le crime, ni avec la force.
L’Histoire est à nous, c’est le Peuple qui la fait.
Travailleurs de ma patrie, je veux vous remercier pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la confiance que vous avez accordé à un homme qui fut le seul interprète du grand désir de justice, qui jure avoir respecté la constitution et la loi. En ce moment crucial, la dernière chose que je voudrais vous dire, c’est que la leçon sera retenue.
Le capital étranger, l’impérialisme, ont créé le climat qui a cassé les traditions : celles que montrent Scheider et qu’aurait réaffirmé le commandant Araya. C’est de chez lui, avec l’aide étrangère, que celui-ci espérera reconquérir le pouvoir afin de continuer à défendre ses propriétés et ses privilèges.
Je voudrais m’adresser à la femme simple de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous, à l’ouvrière qui a travaillé dur et à la mère qui a toujours bien soigné ses enfants. Je m’adresse aux fonctionnaires, à ceux qui depuis des jours travaillent contre le coup d’État, contre ceux qui ne défendent que les avantages d’une société capitaliste. Je m’adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur esprit de lutte. Je m’adresse aux Chiliens, ouvriers, paysans, intellectuels, à tous ceux qui seront persécutés parce que dans notre pays le fascisme est présent déjà depuis un moment. Les attentats terroristes faisant sauter des ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et gazoducs, face au silence de ceux qui avaient l’obligation d’intervenir. L’Histoire les jugera.
Ils vont sûrement faire taire radio Magallanes et vous ne pourrez plus entendre le son métallique de ma voix tranquille. Peu importe, vous continuerez à m’écouter, je serai toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d’un homme digne qui fut loyal avec la patrie. Le Peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit pas se laisser exterminer et se laisser humilier. Travailleurs : j’ai confiance dans le Chili et dans son destin. D’autres hommes espèrent plutôt le moment gris et amer où la trahison s’imposerait. Allez de l’avant sachant que bientôt s’ouvriront de grandes avenues où passera l’homme libre pour construire une société meilleure.
Vive le Chili, vive le Peuple, vive les travailleurs ! Ce sont mes dernières paroles, j’ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain et qu’au moins surviendra une punition morale pour la lâcheté et la trahison.
Allende organise alors la reddition, fermant la marche de la colonne. Puis il remonte au premier étage.
13 h Augusto Olivares, directeur de la télévision national, intime de Salvador Allende, est venu le saluer, lui et tous ses inconditionnels ; il les quitte, mais ne sort pas de la Moneda et entre dans une pièce vide où il se suicide d’une balle dans la tête.
13 h 58’ Le docteur Patricio Gijon remonte chercher un masque à gaz et à cet instant précis, j’ai vu comme dans un éclair le président assis sur un sofa, se tirer une rafale avec une mitraillette placée entre ses jambes. La boîte crânienne a volé en éclats.
Pinochet prend le pouvoir. Grand collectionneur, il met à profit le trouble des premiers instants pour voler dans la Moneda quelques trésors du patrimoine national, comme l’épée de Bernardo O’Higgins, le héros de l’indépendance chilienne, la piocha, étoile à cinq branches sertie d’or que reçoivent les présidents lors de leur investiture, quelques tableaux. En lieu et place, il mettra des faux.
Il ne va pas faire dans la demi-mesure :
État de siège proclamé sur l’ensemble du territoire, ce qui permet l’application du code de justice militaire. Une police politique est créée : la DINA – Direction de l’Intelligence Nationale – , rebaptisée CNI – Centrale Nationale d’Information – en 1977. En octobre 1988 – la fin du régime militaire – , plus de 3 200 personnes auront été tuées ou portées disparues, 35 000 auront été torturées ; 200 000 Chiliens – 2 % de la population – se seront exilés.
Expulsion des représentants des citoyens des institutions de l’État.
Dissolution du Congrès.
Destruction par le feu des registres électoraux.
Interdiction des partis politiques.
Contrôle des médias.
Suppression de l’autonomie des organismes relevant de la société civile.
Les recteurs de toutes les universités, publiques comme privées, sont remplacés par des généraux ou des amiraux.
Couvre feu, qui sera maintenu dans certaines villes jusqu’en mars 1978
L’importation de livres est soumise à censure.
J’veux te raconter Kissinger l’histoire d’un de mes amis son nom ne te dira rien il était chanteur au Chili
Ça se passait dans un grand stade on avait amené une table mon ami qui s’appelait Jara fut amené tout près de là
On lui fit mettre la main gauche sur la table et un officier d’un seul coup avec une hache les doigts de la gauche a tranché D’un autre coup il sectionna les doigts de la dextre et Jara tomba tout son sang giclait 6 000 prisonniers criaient
L’officier déposa la hache il s’appelait p’t’être Kissinger il piétina Victor Jara chante dit-il tu es moins fier
Levant ses mains vides des doigts qui pinçaient hier la guitare Jara se releva doucement faisons plaisir au commandant
Il entonna l’hymne de l’U de l’unité populaire repris par les 6 000 voix des prisonniers de cet enfer
Une rafale de mitraillette abattit alors mon ami celui qui a pointé son arme s’appelait peut-être Kissinger
Cette histoire que j’ai racontée Kissinger ne se passait pas en 42 mais hier en septembre septante trois
Julos Beaucarne 1973
Victor Jara était quasiment devenu ambassadeur du Chili socialiste sur la scène internationale après l’élection d’Allende. C’est lui qui avait rendu hommage à Pablo Neruda lors de son Nobel de littérature en 1972.
Victor Jara est transporté le 11 septembre 1973 dans le Stade national, à l’endroit même où, en 1972, il avait rendu hommage à Neruda. Il meurt criblé de balles le 16 septembre. Avant de le tuer, un policier lui broie les mains. Il aurait alors commencé à chanter l’hymne de l’Unité populaire, repris en chœur par les autres militants arrêtés avec lui.
Cilles Bataillon. Histoire n°391 Septembre 2013
Sur le plan économique, les entreprises nationalisées sous Allende sont restituées à leurs anciens propriétaires. Les grandes entreprises publiques d’État sont privatisées. Fin du contrôle des prix et abaissement des barrières douanières. Investissements étrangers encouragés. Tout cela sous le management des Chicago boys, des économistes néolibéraux formés à l’école du néolibéral Milton Friedman, sous la houlette de Sergio de Castro, ministre de l’économie. La gestion des fonds de pension des travailleurs est transférée à des entreprises à but lucratif. En 1990, 40 % de la population sera paupérisée.
Les larmes ne doivent pas troubler la vue et il n’est pas interdit de penser que les graines semées sous la présidence d’Allende, hors d’atteinte des militaires adeptes du golpe, donneront naissance quarante ans plus tard, à une situation qui sera une première mondiale : deux femmes qui s’affrontent pour le deuxième tour d’élections présidentielles. Qui aurait raisonnablement osé prédire cette fantastique arrivée des femmes au pouvoir même dix ans plus tôt ?
19 09 1973
Charles XVI Gustave, descendant de Bernadotte, monte sur le trône de Suède.
23 09 1973
Pablo Neruda, de son vrai nom Ricardo Eliecer Neftalí Reyes Basoalto, meurt à la clinique Santa Maria de Santiago pendant que La Chascona, sa maison de Santiago était saccagée par les militaires : livres brûlés etc… Il avait 69 ans, et s’apprêtait à s’exiler au Mexique. Les avocats de la famille révéleront en 2023 que du clostridium botulinum, une bactérie à l’origine d’une toxine mortelle a été retrouvée dans les restes osseux de Pablo Neruda, preuve de son empoisonnement.
Je veux vivre dans un pays où il n’y ait pas d’excommuniés. Je veux vivre dans un monde où les êtres soient seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une règle, par un mot, par une étiquette. Je veux qu’on puisse entrer dans toutes les églises, dans toutes les imprimeries. Je veux qu’on n’attende plus jamais personne à la porte d’un hôtel de ville pour l’arrêter, pour l’expulser. Je veux que tous entrent et sortent en souriant de la mairie. Je ne veux plus que quiconque fuie en gondole, que quiconque soit poursuivi par des motos. Je veux que l’immense majorité, la seule majorité : tout le monde, puisse parler, lire, écouter, s’épanouir.
Pablo Neruda. Confieso que he vivido, J’avoue que j’ai vécu. Parution posthume de 1974
09 1973
Un Concorde venant de Caracas se pose au Texas
6 10 1973
Guerre du Yom Kippour – le Grand Pardon en Israël -, que les Égyptiens nomment guerre du Ramadan. L’Égypte met dans la bataille 2 200 chars, 2 900 véhicules blindés de transport de troupes, 2 400 pièces d’artillerie, de grandes quantités d’armements antiaériens et antichars et des centaines de milliers d’hommes d’infanterie et de commandos. Sur le Golan la Syrie met 60 000 soldats, 1 400 blindés et 800 canons. La plupart des soldats de Tsahal étaient … chez eux, pour la fête. Il leur fallu dix-neuf jours de rudes combats pour retourner la situation en leur faveur, moyennant 2 300 morts. Golda Meir démissionnera le 11 avril 1974, emportant avec elle Moshe Dayan, son ministre de la défense.
Pour les musulmans, une défaite militaire est une punition de Dieu. D’où recrudescence de religiosité pour retrouver les faveurs de Dieu : Dans les semaines qui suivent la défaite la multiplication de robes islamiques et de hijabs dans les rues égyptiennes est remarquable, écrit Leila Ahmed.
16/17 10 1973
Les ministres des 6 pays du Golfe persique – l’OPEP – décident d’augmenter de 70 % le prix du brut : en 2 mois il va quadrupler ; le baril de brut passe de 3 à 11.65 $.
C’est un tournant géopolitique et une brèche dans l’échange inégal imposé par les pays industriels occidentaux, sous l’hégémonie américaine, aux pays détenteurs de matières premières depuis la mondialisation de l’après-1945. Si les termes de l’échange de pays exportateurs de minerais et denrées agricoles se dégradent jusqu’en 1989, ce choc pétrolier n’en symbolise pas moins une sorte d’acte II de la décolonisation. Avec le poids des pays exportateurs de pétrole et la montée des puissances industrielles asiatiques la mondialisation apparaît de moins en moins comme un phénomène organisé par les grandes puissances occidentales, par l’impérialisme colonial ou l’érection d’institutions internationales qu’elles dominent ; elle semble devenir une dynamique autonome et de plus en plus incontrôlable.
1973 marque ainsi le premier coup d’un choc du global des années 1973-1985, véritable basculement du monde par rapport au régime de mondialisation né après 1945. En cette année 1973, les pays du Tiers Monde revendiquent d’ailleurs à l’ONU un nouvel ordre économique international plus équilibré, tandis que la puissance et la confiance des pays industriels occidentaux semblent marquer le pas. Les États-Unis se retirent du Vietnam, le terrorisme mine l’Italie et menace l’Allemagne, tandis qu’en France on redécouvre, avec le livre de Robert Paxton, La France de Vichy 1940-1944 (1973), un passé national vichyste, au moment même où renaissait l’extrême droite, la xénophobie (création en 1972 du Front National et meeting Halte à l’immigration sauvage ! à l’initiative des néofascistes d’Ordre nouveau le 21 juin 1973) ainsi que de violentes ratonnades (dénoncées par le film Dupont Lajoie d’Yves Boisset).
Christophe Bonneuil. Histoire Mondiale de la France, sous la direction de Patrick Boucheron et 132 auteurs encadrés par Nicolas Delalande, Florian Mazel, Yann Potin, Pierre Singaravélou. Seuil 2018
30 10 1973
Mise en service du premier pont sur le Bosphore : 1 560 m de long, 1 074 m entre les deux portées ; largeur du tablier : 9 m , soit 8 voies de circulation.
10 1973
Faute d’avoir l’assurance que son projet de ramener la durée du mandat présidentiel à 5 ans au lieu des 7 actuels, soit voté par le Congrès avec la majorité nécessaire des 3/5°, – requise pour une réforme constitutionnelle – Georges Pompidou le retire.
25 11 1973
Le président grec Georgios Papadópoulos, devenu chef d’État après avoir lui-même fait partie du gouvernement des colonels – il est lui-même colonel – est renversé par un coup d’État militaire.
Hellène est en servitude, elle ne bouge plus, elle ne respire plus. Mikis Théodorakis a été des premiers à en payer le prix. Il a composé en 1969 La Marche de l’Esprit, sur un poème d’Angelos Sikelianos – 1884-1951 -. Personne mieux que lui n’a dit la colère de l’homme face à la dictature des forces obscures : indignez-vous ! et, plus largement, c’était aussi une manière de dire au monde : Ne croyez pas ceux qui vous disent que les deux seuls grands moteurs du monde sont l’argent et le sexe, car avant l’argent, avant le sexe, il y a l’Esprit, oui, l’Esprit. Et la fabuleuse voix de Maria Farantouri est la première à chanter cette colère.
11 1973
Au Congo, Mobutu, de retour de Chine dans les jours précédents, se lance dans la zaïrianisation, ni plus ni moins que la saisie de l’ensemble des petites et moyennes entreprises, exploitations agricoles, plantations et fonds de commerce, soit quelques milliers d’entreprises, pour être données aux Congolais. Comme le dira un jour Albert Bernard Bongo : Hier, nous étions au bord du gouffre ; depuis nous avons fait un grand pas en avant ! Cette catastrophe permit tout de même à Mobutu de s’offrir 14 plantations dispersées dans tout le pays, contrôlant ainsi le quart de la production de cacao et de caoutchouc : il fera travailler 25 000 personnes, deviendra le troisième employeur de l’État et, grâce surtout aux revenus des mines, la 7° fortune du monde ! Ce pillage débile entraîna une augmentation du chômage, des prix, donc un appauvrissement général de la population, d’où une multiplication de petits boulots pour boucler les fins de mois, et une corruption en croissance exponentielle : les militaires seront les premiers à se servir : utilisation des véhicules de l’armée pour faire le taxi, du personnel subalterne pour servir de domestique à la maison, volatilisation des appareils de radio, sono etc etc… Tout le monde veut commander, mais personne ne veut obéir, disait un rapport.
Erwin Blumenthal, ancien cadre de la Bundesbank, missionné par Le FMI pour analyser tout cela, rendra son verdict : Mobutu et son gouvernement formuleront sans aucun doute de nouvelles promesses, et la dette extérieure, qui ne cesse de croître, obtiendra une fois de plus, un report de paiement, mais il n’y a aucune chance, et je dis bien aucune chance, que les créanciers revoient un jour leur argent.
9 12 1973
Tempête dans une fondue savoyarde à Val d’Isère : l’équipe de France de ski – féminine comme masculine – voit ses meilleurs éléments renvoyés, sans explication officielle : Britt Lafforgue, Ingrid Lafforgue, Henri Duvillard, Roger Rossat-Mignot, Jean-Noël Augert (blessé, il se rétablissait chez lui, à la Toussuire) et Patrick Russel. Sur http://ddata.over-blog.com/4/36/88/74/Affaire-de-Val-d-Isere—Photos—Sections-for-PDF.pdf, Alain Lazard en fait un récit exhaustif. Pour les moins concernés, la tempête se calmera quelques semaines plus tard, pour ceux qui étaient au cœur du cyclone, le calme ne reviendra que des années plus tard.
Après avoir consulté Georges Joubert et les responsables des équipes de France et en accord avec le secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, j’ai décidé de procéder à une rénovation et au rajeunissement de ces équipes. En conséquence, ne font plus partie des équipes de France les coureurs dont les noms suivent : Ingrid Lafforgue, Britt Lafforgue, Jean-Noël Augert, Henri Duvillard, Patrick Russel et Roger Rossat-Mignod. Cette mesure doit permettre de retrouver un climat nécessaire pour une bonne préparation des futures compétitions et notamment des jeux Olympiques d’Innsbruck de 1976. J’ajoute que j’ai annoncé ces dispositions aux athlètes il y a un quart d’heure.
Maurice Martel, président de la FFS -Fédération Française de ski -.
Au nom des six coureurs exclus, cette décision nous a surpris. Nous regrettons de ne pas avoir donné notre point de vue devant les personnes qui ont pris cette décision. D’une part nous avons été touchés par la solidarité des anciens de l’équipe. D’autre part nous sommes persuadés que nous avons encore un rôle à jouer dans le ski français. Quand nous serons mieux informés sur les raisons exactes de cette décision, nous serons en mesure de vous donner plus d’informations.
Ingrid Lafforgue
Les journaux sportifs de l’époque voudront faire porter le chapeau de cette décision à Georges Joubert, directeur des équipes de France avec Jean Vuarnet. Elle fut en réalité le fait d’un collectif qu’Alain Lazard nomme Conseil des sages, composé de cinq personnalités : Maurice Martel, président de la FFS, dirigeant de longue date et artisan des grandes équipes de France des années 60 ; Jean Vuarnet, champion olympique de descente 1960, vice-président de la FFS, président de la Commission sportive nationale, ancien patron du ski italien qu’il hissa au faîte de la hiérarchie mondiale chez les messieurs durant l’olympiade 1968-1972 ; Georges Joubert, président du GUC – Grenoble Université Club – et responsable national du ski de compétition ; Roger Chastagnol, président du Comité descente-slalom à la FFS (Vuarnet, Joubert et Chastagnol occupaient leur fonction depuis le Congrès de Juan-les-Pins, au mois de juin 1972). Enfin Pierre Mazeaud, secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports et alpiniste réputé, de passage à Val d’Isère, qui s’associa aux quatre officiels fédéraux. Il y avait eu des précédents : vingt ans plus tôt, avant les J.O de Cortina d’Ampezzo, les Autrichiens s’étaient trouvé dans une situation analogue et avaient procédé à une purge semblable… qui avait mis au premier plan les Toni Sailer, Anderl Molterer etc… Mais d’une part les années 50 ne sont pas les années 70, et d’autre part il n’y a sans doute pas en Autriche ce fossé entre montagnards et citadins, car en Autriche, tout le monde est montagnard, avec un bon pourcentage d’entre eux qui vivent en ville.
Les réactions seront virulentes, parfois en faveur de la décision, comme celle de Marielle Goitschel, qui, as usual, ne mâche pas ses mots : Moi, je les aurais virés plus tôt… […] je trouve qu’aujourd’hui ce sont Joubert et Vuarnet qui ont raison de vouloir réellement donner une formation aux jeunes. Bonnet avait fait de nous des bêtes à skier, or il n’y a pas que cela dans la vie… Au moins dans cette affaire, elle n’aura pas fait preuve de clanisme familial, puisque belle-sœur de Jean Béranger, ancien adjoint d’Honoré Bonnet.
Et encore, Alain Vuarnet, fils de Jean, le 27 février 2010 s’adressant aux exclus, à l’occasion d’un pot pour fêter le 50°anniversaire de la médaille d’or de son père à la descente des J.O. de Squaw-Valley : Sachez que, lorsque la décision a été prise au plus haut niveau, celui qui a fait de la résistance à cette sanction, celui qui a défendu ardemment les skieurs, n’est pas celui que vous semblez viser depuis des lustres, en effet votre défenseur le plus ardent face à cette exclusion à vie a été M. Joubert entraîneur de l’équipe de France de 1973.
Mais, la plupart des réaction sont pour condamner, parfois très violemment, la décision : au premier rang, l’ancien patron des équipes de France, Honoré Bonnet : C’est un scandale ! Sur le plan de la moralité, il est inconcevable qu’une telle décision soit prise si tard… C’est à vomir. C’est la plus basse des bassesses auxquelles j’ai été confronté… Tout cela sent des combinaisons machiavéliques, vicieuses et méchantes.
Emile Allais avait toujours fait preuve d’un esprit d’ouverture qui le maintenait à distance du chauvinisme : J’espère que l’Ecole du Ski français va pouvoir incorporer ces nouveaux mouvements dans son programme d’enseignement… Par son caractère international, cette nouvelle technique conduira peut-être à la disparition des particularismes nationaux en matière d’enseignement et à l’épanouissent de cette méthode universelle que tous les skieurs appellent de leurs vœux.
Emile Allais, préface à Ski 57, de Georges Joubert et Jean Vuarnet
Qu’y a-t-il au fond de cette affaire, qui est une sorte de querelle montagnarde des Anciens et des Modernes, en l’occurrence des montagnards contre ceux de la ville. Jusque là la formation, la responsabilité du ski de compétition avait été la chasse gardée des montagnards, dont le tempérament s’accommode fort bien des à la manière commando d’un Honoré Bonnet ; les James Couttet, Emile Allais, René Sulpice etc étaient tous des montagnards ; Alain Vuarnet n’en était pas un vrai : il était fils de médecin, ayant fait des études supérieures, perçu comme à part par ses collègues de l’équipe de France ; Georges Joubert, né à Vizille avait fait l’Ecole Normale Supérieure d’Education Physique et était à la tête du GUC – Grenoble Université Club -, une pépinière de champions ; pour les montagnards, c’étaient des gens de la ville, et le fait de leur avoir confié la direction des équipes de France était perçu d’une certaine façon comme une spoliation. De plus la rupture était importante quant au type d’entraînement choisi ; qu’en était-il jusqu’alors ? les skieurs faisaient leur saison de compétition, puis rangeaient leurs skis fin mars et ne les ressortaient qu’à la fin novembre. Georges Joubert, à la tête d’un club d’étudiants, pour ne pas mettre à mal leurs études, avait inauguré des stages de ski d’été sur les glaciers les plus proches de Grenoble : Sarenne, puis l’Alpe d’Huez. Arrivant à la direction de l’équipe de France, il avait maintenu ce calendrier et cela avait été mal perçu par les coureurs. Les événements de mai 68, – c’était il y a seulement cinq ans -, n’avaient pas pu ne pas marquer même les skieurs : l’année précédente, lors des championnats de France à la Foux d’Allos, on avait pu voir Henri Duvillard se classer 64° de la descente ! de la bouderie qui confine à la provocation ; à Val d’Isère on avait pu voir Patrick Russel, pourtant élève de Georges Joubert se coiffer d’un bonnet de bagnard floqué Vacationing at Alcatraz… ce à quoi Jean Vuarnet avait répondu qu’il y a plusieurs différences entre la prison d’Alcatraz et l’équipe de France de ski alpin, la première différence étant que les portes de l’équipe de France étaient toujours ouvertes et que n’importe quel membre pouvait en sortir sans demander la permission à qui que ce soit. Et c’était là encore de la provocation de sale gosse, plutôt immature. En termes crus cela s’appelle cracher dans la soupe, première spécialité soixante-huitarde ; on est en droit de penser que les relations entre Adrien Duvillard et Henri, son frère cadet de treize ans se détériorèrent considérablement et durablement… Treize ans, qui avaient valeur d’une génération, le premier né six ans avant la guerre, le second deux ans après la fin de la guerre, 20 ans en 1968. Adrien, profondément catholique était un adepte farouche du linge sale qui se lave en famille et surtout pas sur la place publique. Et par là-dessus, les innombrables montagnards, journalistes compris, qui venaient attiser le feu avec leurs rancœurs, le nez sur le guidon.
Donc, il y avait des choses à revoir, il fallait mettre les choses à plat ; il fallait faire une espèce de Grenelle du ski ; mais qui mettre à la table des négociations : côté coureurs, Patrick Russel était le mieux placé mais venait d’étaler son immaturité ; côté entraîneur, Emile Allais était bien le montagnard dont l’esprit d’ouverture était le plus évident, mais s’il pesait lourd en renommée, il ne détenait aucune responsabilité de cet ordre. Et c’est ainsi que ce Conseil des sages prit sa décision, contre toute sagesse, en ayant très probablement raison sur le fond, mais radicalement tort sur la forme, avec une ignorance totale de la plus élémentaire pédagogie : du caporalisme à l’état pur : politiquement, une catastrophe. L’équipe de France mettra 10 ans pour se sortir de l’ornière dans laquelle l’avaient fait tomber ces adjudants de mes fesses. Quatorze ans plus tôt, la mort de Vincendon et Henry en hiver entre le refuge des Grand Mulets et le sommet du Mont Blanc avait réveillé des passions entre montagnards et ceux d’en-bas mais la mort avait contenu les querelles dans les limites de la décence ; dans cette affaire de Val d’Isère, il n’y eut pas mort d’homme et donc le déchaînement des passions put se donner libre cours et il ne fut laissé pas la moindre place à la pudeur.
En bleu, Maurice Martel. A gauche, Pierre Mazeaud
Georges Joubert
de gauche à droite, Patrick Russel, Roger Rossat-Mignot, Henri Duvillard, Brit et Ingrid Lafforgue
1 Decembre 1971. Grenoble. De gauche à droite : Accroupis : Jean-Noël Augert, Henri Duvillard. Milieu : Bernard Grosfillex, Jean-Luc Pinel, Jean-Pierre Augert, Bernard Orcel, Bernard Charvin et Patrick Russel. En haut : Henri Brechu, Alain Penz et Roger Rossat-Mignod.
1973
Le Danemark, le Royaume Uni et l’Irlande rejoignent la CEE, portant à 9 le nombre des pays membres.
Le France est désarmé, à quai au Havre, malgré bien des manifestations syndicales pour empêcher l’inéluctable : l’augmentation des prix du pétrole, la concurrence de l’avion… et la plus grande grève de l’histoire de la marine marchande ont mis définitivement les comptes dans le rouge. Racheté dans un premier temps par le milliardaire saoudien Akram Ojjeh, ce dernier le revendra à un armateur norvégien, Knut Ulstein Klosters pour 18 M. $. Les aménagements intérieurs seront refaits, la motorisation revue à la baisse et il sera rebaptisé Norway.
Le russe Sviatoslav Fiodorov réussit à corriger des myopies par de petites incisions de la cornée. Début des travaux du BAM, branche du Transsibérien reliant le lac Baïkal au fleuve Amour [qui, en bouriate, signifie, sale, boueux] et la Mer Noire : 3 150 km de voies : c’est le principal chantier de la période de Brejnev, surnommé le monument le plus long à la gloire de la stagnation.
Un camion libyen se paie l’Arbre du Ténéré. Les reliques iront au musée de Niamey. On ne peut s’empêcher de penser à un trait de de Gaulle en écho à Mort aux cons issu des rangs à la fin d’une cérémonie militaire : Vaste programme ! Ce vieil acacia – Acacia tortilis, sous espèce raddiana – perdu dans l’un des plus durs désert du monde, le seul très probablement à être mentionné en toutes lettres sur toutes les cartes, devenu point géodésique, allait bravement chercher son eau à 36 mètres sous le sol, très mauvaise eau, précisait la carte Michelin, qui ajoutait encore : Monument.
La société Rhône-Progil met en exploitation le sel gemme de Parrapon, sur la commune de Vauvert dans le Gard :
Tout a commencé en 1962, lors de l’exploration pétrolière dans le Midi de la France. Le forage du puits de Pierrefeu a révélé la présence d’un gisement important de sel gemme à plus de 2 500 m de profondeur. En 1973, la société Rhône-Progil démarre l’exploitation sur le site de Parrapon afin d’alimenter en saumure les électrolyses de Lavéra, près de Martigues. […] L’extraction nécessite la mise en place de forages profonds, par doublets (puits espacés de 9 mètres), employant des méthodes de type pétrolier, ce qui fait du site de Parrapon un site unique en Europe. Lorsque les forages sont arrivés au niveau du filon de sel, de l’eau sous pression (90 bars maximum) est injectée dans l’un des forages pour dissoudre le sel et la saumure ainsi formée est remontée par le second puits. Les salines sont desservies en eau par le canal d’irrigation du Bas-Rhône, dont la station dédiée exclusivement aux besoins de KEM ONE se situe à proximité du carrefour de Gallician sur la RN 572.
90 kilomètres de canalisations relient les Salines de Vauvert à Fos-sur-Mer et Lavéra
La saumure extraite est envoyée dans un premier temps dans des réservoirs afin de vérifier sa concentration – elle doit être saturée en sel à 320 grammes par litre – et d’éliminer les impuretés solides. Rectifiée et traitée, elle est stockée dans le grand réservoir à ciel ouvert, puis, de là, injectée dans un pipeline et acheminée jusqu’aux usines de Fos-sur-Mer et de Lavéra (Bouches-du-Rhône). Depuis 1973, ce pipeline appelé saumoduc, en grande partie enterré, fait l’objet de contrôles quotidiens par une entreprise spécialisée, notamment par cheminement sur tout son tracé. Il s’agit là d’un mode de transport sûr, réglementé et respectueux de l’environnement. Il représente l’équivalent 16 600 wagons de sel qu’il faudrait acheminer chaque année depuis les salines vers les sites de production de KEM ONE (soit 153 camions par jour). De l’électrolyse du sel jusqu’à la transformation du PVC Le chlorure de sodium extrait à Vauvert (1,1 million de tonnes par an), sous forme de saumure, alimente en matière première les ateliers d’électrolyse de Fos et Lavéra. A partir du sel, KEM ONE fabrique différents produits. Du chlore, bien sûr, mais aussi de la soude, de l’hydrogène, de l’acide chlorhydrique et de l’eau de Javel. Combiné avec de l’éthylène, issu du crackage du pétrole, le chlore est principalement employé dans la production de PVC et des chlorométhanes utilisés pour la fabrication de silicones, de gaz fluorés, etc.… Des couches profondes du sous-sol des Costières au tableau de bord de notre voiture, aux fenêtres de notre appartement, à notre mobilier de jardin, aux jouets de nos enfants… quel chemin parcouru ! Au-delà des prouesses techniques et des savoir-faire déployés dans l’exploitation du gisement, les Salines de Vauvert mettent en exergue leurs préoccupations en matière d’environnement et leur apport à l’économie locale. Les modes d’extraction et de transport du sel ne génèrent pas d’émissions polluantes. L’eau nécessaire à l’exploitation (3 millions de m³ par an, environ) provient du canal du bas-Rhône et fait de KEM ONE un des plus gros – sinon le plus gros – client de BRL. Enfin, avec 50 hectares de vignes plantées en Sirah et Grenache, les Salines sont devenues un acteur majeur de la Cave pilote de Gallician.
Guy Roca. http://vauvert-plus.com/2017/11/11/la-route-du-sel/
12 02 1974
Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne a écrit L’Archipel du Goulag de 1958 à 1967, sur de minuscules feuilles de papier enterrées dans des jardins d’amis, un exemplaire étant envoyé en Occident. Peu de temps après la fin de la rédaction, on découvre pendue Elizabeth Voronianskaïa, une de ses aides : elle avait avoué sous la torture au KGB l’emplacement de la cachette où se trouvait un des exemplaires ; Soljenitsyne décide alors de la publication de L’archipel du Goulag, à Paris, dans une des rares imprimeries disposant de caractères cyrilliques. Les premiers exemplaires viennent d’arriver à Moscou : il est expulsé pour l’Allemagne de l’Ouest : il partira ensuite pour Zurich, en Suisse, puis pour les États-Unis.
3 03 1974
Le vol Turkish Airlines 981 – un DC 10 – Istanbul – Londres, via Orly, s’écrase en forêt d’Ermenonville, par 49° 08′ 44″ N, 2° 38′ 04″ E, à proximité de Senlis : 346 morts. La porte de soute s’est ouverte, provoquant une très brutale dépressurisation, dont la violence a endommagé les commandes manuelles : l’appareil ne répondait plus à aucune commande. Il y avait sur ces appareils un défaut de conception de verrouillage de la porte de soute qui avait été signalé depuis longtemps, sans suite, et de plus, cette opération avait été mal vérifiée lors de sa dernière manipulation.
6 03 1974
L’État commande 26 réacteurs nucléaires à EDF, qui deviendront ultérieurement 56 : c’est le plan Messmer. Le pays aligne alors un puissant complexe industriel autour de quatre pôles : le CEA et sa filiale Cogema pour le cycle du combustible ; Creusot-Loire et Framatome pour la fabrication des composants de l’îlot nucléaire (chaudière, générateurs de vapeur…) ; la Compagnie générale d’électricité (CGE) par le biais d’Alsthom – avec un h à l’époque –, fabricant de la turbine générant le courant ; et, au cœur du système, EDF, qui conçoit et construit les centrales avant de les exploiter.
Ce choix a été débattu dans les enceintes compétentes, et les meilleurs ingénieurs du pays y ont été associés. Il a été validé scientifiquement et politiquement – y compris par le Parti communiste.
Valéry Giscard d’Estaing Le Monde du 25 mars 2011
C’est la manière giscardienne de dire que le parlement n’a en aucune façon été consulté.
En 1969, la France avait renoncé à la filière tricolore dite UNGG (uranium naturel-graphite-gaz) du CEA au profit du réacteur à uranium enrichi et à eau pressurisée (REP) de l’américain Westinghouse, plus puissant et moins coûteux. Avant d’écarter, en 1975, le réacteur à eau bouillante de General Electric, proposé sous licence par la CGE. Ce qui imposera la construction, à partir de 1972, de l’usine d’enrichissement d’uranium de Pierrelatte (Drôme) pour ne plus dépendre des États-Unis.
Le coût du programme est colossal : 93 milliards € pour 58 réacteurs, selon le calcul de la Cour des comptes, en 2012, qu’il faut néanmoins comparer aux 50 à 60 milliards estimés des six EPR 2 programmés en 2022. L’entreprise paie en s’endettant. À partir de 1980, EDF a été autorisée à emprunter 40 milliards €, rappelle le cabinet SIA Partners. Elle était en position de monopole et notée AAA, ses créanciers avaient la certitude d’être remboursés.
Début 1974, encore ministre des finances, VGE l’oblige néanmoins à emprunter en dollars, pour ne pas assécher le marché français, et promet une garantie de change de l’État qui ne viendra jamais, malgré l’envolée du billet vert. Ignorant la contrainte, les milieux financiers se gaussent de ces idiots qui se sont endettés en dollars, racontera M. Boiteux dans ses Mémoires (Haute tension, Odile Jacob, 1993).
Outre les capitaux, l’industrie dispose alors d’une main-d’œuvre mobilisable. Elle ne manque pas de grandes entreprises de génie civil, comme Bouygues, et EDF a développé des écoles des métiers. Le tour de force est surtout de mettre sur pied, au sein d’EDF, une organisation industrielle capable de répondre à la commande du plan Messmer au moindre coût, tout en respectant les directives du nouveau Service central de sûreté des installations nucléaires, ancêtre de l’Autorité de sûreté nucléaire. Dans la grande maison EDF, un nom revient, celui de Michel Hug.
Directeur de l’équipement entre 1972 et 1982, ce polytechnicien à poigne doit mettre 26 réacteurs en service avant la fin de la décennie. Il sera la cheville ouvrière du programme. Rien ne lui échappe : choix des sites, fourniture des composants, respect des délais, maîtrise des coûts. Pour standardiser le déploiement des tranches, un seul service (Septen) fait le design de base, les spécifications techniques des matériels, les études de fonctionnement, la recension des incidents et des accidents, les échanges avec l’autorité de sûreté.
Quitte à mettre au pas des baronnies régionales, jalouses de leur autonomie, auxquelles Paris confie quand même des responsabilités dans l’exécution du plan. Pour accélérer le mouvement – et éviter de potentielles malversations, assure EDF – , le gouvernement autorise même l’entreprise à s’affranchir du code des marchés publics dans le choix des fournisseurs et des sous-traitants, contrôlés par un service d’EDF ad hoc. Quand une pièce manque, on la prélève sur le chantier suivant pour ne pas retarder les travaux. Les soudeurs sont formés en cours de route, d’abord sur de la tôle, puis sont testés sur l’acier pour les meilleurs, aimait rappeler M. Hug.
La dynamique est si forte – de cinq à sept réacteurs mis en service certaines années – que ni l’accident de Three Mile Island, aux États-Unis (dont EDF tire des leçons de sûreté), en 1979, ni la catastrophe de Tchernobyl, en Union soviétique, en 1986, ne ralentissent la cadence. Pas plus que l’hostilité d’un mouvement antinucléaire qui commence à se structurer. Le 31 juillet 1977, la manifestation contre le projet de surgénérateur Superphénix de Creys-Malville (Isère) est violemment réprimée, et un manifestant, Vital Michalon, est tué par une grenade lancée par les forces de l’ordre. Trois semaines plus tôt, le patron d’EDF avait échappé à l’explosion d’une bombe déposée sur le seuil de son appartement parisien, un attentat revendiqué par un obscur Comité d’action contre les crapules atomiques.
Les coûts ont été multipliés par moins de deux par rapport au budget initial, a calculé la Cour des comptes. Sans commune mesure avec la dérive de l’EPR de Flamanville (Manche), dont la facture atteindra 20 milliards €, coûts du capital inclus. Cette maîtrise s’explique par l’effet de séries, la capitalisation des améliorations en cours de chantier et la logique de paliers, rappelle M. Machenaud. Une démarche qui permettra de passer des 34 réacteurs de 900 mégawatts (MW) aux 20 unités de 1 300 MW au début des années 1980, pour finir par les quatre tranches de 1 450 MW de Chooz (Ardennes) et de Civaux (Vienne).
Quand M. Boiteux quitte la direction d’EDF, en 1987, la plupart des centrales sont en service, en chantier ou à un stade de développement avancé. L’aventure française s’arrêtera à la fin des années 1990. Dès les années 1980, EDF cherche donc des relais de croissance et projette d’exporter son savoir-faire d’architecte-ensemblier. Un pays a observé de près le déroulement du programme français, et pas seulement parce qu’il entretient de bonnes relations diplomatiques avec Paris : la Chine et son premier ministre de 1987 à 1998, Li Peng.
Jean-Michel Bezat Le Monde du 18 02 2023
Il est bien vrai qu’il y a du Colbert chez cet homme-là.
Michel Hug, ce nom ne vous évoque certainement pas grand chose. Il a pourtant été l’un des acteurs majeurs qui ont réalisé l’exploit de construire le parc électro-nucléaire français en l’espace d’une décennie : 54 tranches raccordées de 1977 à 1990. N’étant ni une star du show-biz, ni même un chanteur de rock à la mode, sa mémoire n’a été honorée nulle part. L’occasion de revenir sur ce véritable programme Apollo à la Française, à l’heure où notre pays peine à conduire et finaliser de grands projets industriels équivalents. EDF et le Gouvernement nous seront reconnaissants d’avoir réparé cet oubli …
Si tu veux savoir où tu vas, regardes d’où tu viens (proverbe sénégalais)
Michel Hug est décédé le 19 décembre 2019, et c’est à peine si cela a été remarqué. Pourtant, ses réalisations et son expérience auraient mérité d’être rappelées à la mémoire de nos décideurs et de nos concitoyens, sinon pour inspirer de la reconnaissance, au moins pour inciter à la réflexion…
Michel Hug a été Directeur de l’Équipement à EDF de 1972 à 1982. À ce titre, il a lancé sur les rails le programme électronucléaire français, dont Pierre Messmer a dit, à la fin de sa vie, qu’il avait été pour la France l’équivalent du programme Apollo pour les Etats Unis.
Entre 1972 et 1982, Michel Hug, soutenu par Marcel Boiteux, avec un gouvernement qui avait une stratégie claire et assumée, a mis en place une organisation rigoureuse et performante en matière de délais et de coûts de construction, qui laisse aujourd’hui admiratif et reste inégalée dans le monde.
En 1972, la construction de Fessenheim était pilotée par la Région d’Équipement Clamart et celle du Bugey l’était par la Région d’Équipement Alpes-Lyon.
La situation de l’Équipement était simple : il y avait la Direction, le Service Etudes et Projets Thermiques et Nucléaires (SEPTEN), et les Régions d’Équipement, toutes dirigées par de fortes personnalités ayant une grande compétence, en particulier dans la construction de centrales thermiques et nucléaires Graphite-Gaz comme Chinon, Saint Laurent et Bugey. Leur organisation était bien structurée, mais force était de constater que chaque Région avait des pratiques de design et de construction différentes (par exemple, les systèmes électriques de la centrale de Bugey et de celle de Fessenheim étaient différents).
Lorsqu’en 1974, Michel Hug fut chargé de construire 26 tranches de 900 MW, dans le minimum de temps pour donner à la France une certaine indépendance énergétique via son parc de production électrique, tout en maîtrisant les coûts d’EDF, de son taux d’endettement et dans l’objectif d’un prix de l’électricité le plus bas pour le collectivité, rôle essentiel d’un service public, il devint indispensable de normaliser la construction.
Michel Hug, dans le souci de faire des installations standards décida qu’il n’y aurait qu’un seul architecte ensemblier, le SEPTEN, chargé du design de principe, des études de fonctionnement, d’incidents et d’accidents, des relations avec l’ASN (alors nommée SCIN1) qui, en ces époques reculées, ne considérait pas comme infâmant de travailler avec les exploitants pour résoudre les problèmes), et de l’écriture des Cahiers des Spécifications Techniques des matériels. Les anciennes Régions d’Equipement sont transformées en Centres d’Ingénierie chargés chacun d’un lot : Génie Civil, Chaudière nucléaire et circuits annexes, Parties conventionnelles, Systèmes électriques, Bâtiments des auxiliaires nucléaires, etc. Avec la mission de réaliser les plans de d’exécutions et d’adaptation aux spécificités des sites (bord de rivière en circuit ouvert, en circuit fermé sur tours aéroréfrigérantes, en bord de mer, etc.). Chaque Centre sera aussi chargé de la Direction des travaux d’aménagement d’un ou deux sites.
Les baronnies régionales des ex-Régions d’Equipement, privées de leur ancien rôle de concepteurs-réalisateurs, sont catastrophées et c’est parfaitement compréhensible. Michel Hug a une poigne de fer et y gagne une solide réputation de mauvais caractère, réputation partagée par les syndicats du personnel de la Direction de l’Equipement
Un seul service est chargé de trouver les sites de construction avec pour mission de chercher des sites suffisamment étendus pour que l’on puisse y construire la future génération, quand la génération en construction serait arrivée en fin d’exploitation. Anticipation à la Colbert, plantant les chênes de la forêt de Tronçais.
Autre atout maître : bien qu’EDF soit une entreprise publique, son directeur de l’Equipement obtint de ne pas dépendre du Code des marchés publics pour le choix de ses différents fournisseurs et sous-traitants, en validant les choix en Conseil d’Administration (dont un tiers des membres sont des représentants de l’Etat). En des périodes de passe-droits et de contrôles distraits, ç’eut été la garantie de malversations. Avec des ingénieurs et des hauts-fonctionnaires de ce calibre, ayant le sens de l’Etat et l’intégrité chevillée au corps, ce fut un garant d’efficacité. Laissant les diverses entreprises impliquées, développer leur courbe d’apprentissage sur un premier chantier des trois premiers sites du programme Tricastin-Gravelines-Dampierre, appelées par souci d’humour TaGaDa, ce qui leur a permis par la suite d’enchaîner la construction des centrales à un rythme impressionnant (7 unités en 1980 ce qui laisse rêveur). Ce qui n’interdisait pas de serrer les coûts, mais permettait à des entreprises de petite taille parfois locales mais performantes, de gagner des parts de marché. On pense à la fameuse lettre de Vauban à Louvois2 sur les commandes de l’État.
Ce pragmatisme concernait aussi les fournisseurs d’équipements. Un robinet manquait sur un chantier ? On la remplaçait par une d’un autre chantier, moins avancé. Le cas emblématique fut celui de l’alternateur de Tricastin 1, victime d’une avarie juste avant son couplage au réseau et remplacé en 3 mois. S’assurer de la qualité des soudures ? Nous avions organisé des concours de soudeurs sur noir, c’est-à-dire sur de la tôle classique, puis nous avons formé les meilleurs à la soudure sur blanc, sur acier inox, se rappelait, au soir de sa vie, Michel Hug.
Il avait décidé que les délais de construction des sites exigeaient qu’aucun matériel ne soit rebuté pour non-conformité lors des arrivées pour montage. Aussi avait-il organisé avec rigueur la réalisation des matériels dans les usines des constructeurs. Il crée alors le Service de Contrôle des Fabrications (SCF) placé sous l’autorité de Yvon Bonnard (un autre qui aura une réputation de sale caractère…) qui mettra, chez chaque prestataire, les ingénieurs les plus expérimentés pour suivre la totalité du processus de fabrication. À noter que seul le combustible des 2 tranches de Fessenheim fut rebuté à son arrivée sur le site. Il avait été enrichi et fabriqué à l’étranger où le Service Contrôle de Fabrications ne pouvait pas intervenir, mais par des prestataires fournissant des classeurs complets de documents prouvant l’assurance de la qualité de chaque opération de fabrication ce qui illustre que ce n’est pas une certitude de qualité, hélas !
Enfin ce sera le service central des achats de la Direction de l’Équipement qui passera les grands contrats auprès de prestataires choisis pour leur savoir-faire. De ce fait, tous les réacteurs d’un même type furent réalisés à l’identique (jusqu’à l’éclairage, au centimètre près) : l’effet palier avec son impact positif sur la mise en service, l’analyse de sûreté et l’exploitation.
Le choix d’une filière unique, sous licence Westinghouse, n’a pas été un long fleuve tranquille. En sus de la filière Graphite-Gaz que portait le CEA, écartée pour des raisons économiques, la toute puissante Compagnie Générale d’Électricité plaidait pour les réacteurs à eau bouillante (sous licence General Electric). Il faudra toute la force de conviction de Michel Hug et de Marcel Boiteux pour tenir tête au gouvernement en démontrant que la France ne pouvait pas se payer le luxe de deux filières même si toutes les deux étaient à eau ordinaire. Il fallait aussi des hauts fonctionnaires dans les ministères capables de les écouter, de comprendre l’intérêt pour le pays, de peser les arguments, au lieu de benoîtement « partager le gâteau » pour éviter de décider…
Le résultat est là : grâce à son organisation, la France est le seul pays au monde à avoir raccordé au réseau électrique 54 tranches (34 de 900 MW et 20 de 1300 MW) en 13 ans de 1977 à 1990. Parallèlement, on construisait 2 tranches de 900 MW à Koeberg en Afrique du Sud pour Eskom, sur la référence de Cruas, et 2 tranches de 900 MW en Chine à Daya Bay, sur la référence de Tricastin.
Framatome s’est ensuite libérée de la licence Westinghouse pour le 1 300 MW dont la première unité sur les 20 en fonctionnement a démarré à Paluel en 1984.
La filière nucléaire française représentait 220 000 salariés et sa réputation était mondiale.
1 Le SCSIN de l’époque était bien moins pourvu en personnel que ne l’est l’ASN aujourd’hui. Pourtant, non seulement il supervisait la construction du parc mais aussi celle de Phénix et Superphénix, surveillait le fonctionnement des 6 réacteurs UNGG et de tous les réacteurs de R&D du CEA, bien plus nombreux qu’actuellement.
2 LETTRE DE VAUBAN A LOUVOIS. Belle-Isle-en-Mer, le 17 juillet 1685,Vauban se plaint vigoureusement à Louvois en lui disant que sa recherche systématique des prestataires les moins chers conduit au résultat contraire : les ouvrages prennent du retard et coûtent plus chers.
Site La RevueProgressiste. Yves Bréchet membre de l’Académie des Sciences, ancien Commissaire à l’Energie Atomique et Jean Fluchère, ancien Directeur de la centrale du Bugey EDF.
11 03 1974
Le soldat japonais Hirô Onoda, a été retrouvé par un étudiant compatriote sur l’île de Lubang, dans les Philippines. Pour qu’il admette la réalité de la fin de la guerre, il faudra retrouver son supérieur hiérarchique de l’époque, devenu depuis lors libraire, qui viendra à Lubang pour l’en convaincre. Un sacré gaillard, ce Robinson Crusoé, made in Japan. Arthur Harari en fera un film en 2021 : À la recherche du soldat perdu.
Onoda remet son sabre au président Ferdinand Marcos lors de sa reddition le 11 mars 1974.
13 03 1974
Mise en service de l’aéroport de Roissy, commencé en 1964. Il aura coûté 1,63 milliard F. C’est Paul Andreu qui en a été l’architecte.
[1] Dix ans plus tôt, en février 1962, alors directeur de la Banque Rothschild, il avait acheté une Porsche 356 qu’il avait mis au nom de sa femme en arrivant au gouvernement.