7 février 1971 à 1972. Georges Pompidou. Procès de Bobigny. Bruay en Artois. Code barre et portable. Courriers du Gabon … et de France. 19413
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Publié par (l.peltier) le 25 août 2008 En savoir plus

     7 02 1971                         

En Suisse, les femmes obtiennent le droit de vote au niveau fédéral.

     15 02 1971                       

Pour la monnaie, les Anglais adoptent le système décimal.

19 02 1971                 

De la même série Daphné que les sous-marins Minerve et Eurydice, disparus respectivement les 27 janvier 1968 et 4 mars 1970, le Flore, commandé par le lieutenant de vaisseau Jean-Jacques Leize, en naviguant en immersion périscopique connaît un incident grave qui lui fait embarquer une grande quantité d’eau par le schnorchel [ce n’est pas le périscope] qui, depuis la surface, permet d’alimenter en air le moteur. Le compartiment moteur inondé, le sous-marin est contraint de larguer ses plombs de sécurité pour remonter à la surface. Pris en charge peu après par les remorqueurs  Pachyderme et Travailleur, il est ramené à Toulon.

    22 02 1971                 

Hafez el Assad moyennant un coup de force s’installe à la présidence de la République en Syrie. Il va y rester jusqu’à sa mort, en 2000. Alois Brunner, ancien cadre du nazisme – un temps directeur du camp de Drancy – qui a pu échapper à la prison sans doute par erreur sur son nom à son bénéfice, s’est réfugié depuis longtemps en Syrie. À la faveur de la montée en puissance d’Hafez el Assad, il s’introduit dans l’organigramme des services de renseignements qui vont bénéficier de sa longue expérience en matière de répression et de torture. Lâché par Bachar el Assad, il serait mort dans un cachot à Damas en décembre 2001.

24 03 1971         

Le Congrès américain abandonne le projet du supersonique Boeing 2707-200 SST.

         30 03 1971                 

La Suède décide de ne pas adhérer à la Communauté Européenne.

              5 04 1971                  

Le Nouvel Observateur publie un manifeste signé de 343 femmes, dont une ribambelle de nom connus : Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Françoise Sagan, Catherine Deneuve, Stéphane Audran, Françoise Fabian, Bernadette Lafont, Jeanne Moreau, Bulle Ogier, Marie-France Pisier, Micheline Presle, Delphine Seyrig, Nadine Trintignant, Marina Vlady, Yvette Roudy, Gisèle Halimi, etc… Toutes n’ont pas avorté, mais s’accusent solidairement du délit d’avortement pour démasquer l’hypocrisie sociale. Charlie Hebdo le nommera le manifeste des 343 salopes, adopté par l’ensemble de la presse française. C’est un plaidoyer pour l’avortement libre et donc sa dépénalisation.

Un million de femmes se font avorter en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre.

Texte rédigé par Simone de Beauvoir

Il y eut au moins un homme pour envoyer à la bergère la réponse du berger : Il est regrettable que votre mère n’ait pas pu mettre en pratique vos précieux conseils.

Y est associé un texte du MLF et du MLA – Mouvement de libération des femmes et Mouvement pour la liberté de l’avortement :

Notre ventre nous appartient

L’avortement libre et gratuit n’est pas le but ultime de la lutte des femmes. Au contraire, il ne correspond qu’à l’exigence la plus élémentaire, ce sans quoi le combat politique ne peut même pas commencer. Il est de nécessité vitale que les femmes récupèrent et réintègrent leur corps. […] Chaque année, 1 500 000 femmes vivent dans la honte et le désespoir. Cinq mille d’entre nous meurent. Mais l’ordre moral n’en est pas bousculé. On voudrait crier.

Et Jean Daniel se met en première ligne dans son éditorial : Le scandale que constituent le nombre effarant d’avortements clandestins et les conditions révoltantes dans lesquelles ils sont pratiqués n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que les femmes décident aujourd’hui de répondre au scandale par le scandale.

Le but est atteint : le sujet jusque là tabou, est porté sur la place publique.

23 05 1971                 

Robert Paragot et ses compagnons arrivent au sommet du Makalu, 8 515 m.

[Il y a] 50 ans, la première du pilier ouest du Makalu

Yannick Seigneur photographié par Bernard Mellet au sommet du Makalu le 23 mai 1971. Son plus bel exploit, avec son grand-frère et chef d’expédition Rober Paragot.  Partageant le sommet avec Bernard Mellet,  il gravit en tête les huit dixièmes du grand ressaut

13 06 1971                      

Le congrès du parti socialiste qui se tient à Epinay porte à sa tête François Mitterrand : La révolution, c’est d’abord une rupture. Celui qui n’accepte pas la rupture – la méthode, cela passe ensuite -, celui qui ne consent pas à la rupture […] avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti socialiste […]. Le véritable ennemi, j’allais dire le seul, parce que tout passe par chez lui, le véritable ennemi si l’on est bien sur le terrain de la rupture initiale des structures économiques, c’est celui qui tient les clefs, c’est celui qui est installé sur ce terrain-là, c’est celui qu’il faut déloger… c’est le monopole ! terme extensif pour signifier toutes les puissances de l’argent, l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes !

Oh, que voilà une belle envolée, avec effet de manche, excommunication et tout et tout… on n’a rien oublié…

Quelques semaines plus tard, il se fera infirmier pour quelques jours dans une léproserie de Calcultta aux côtés du père missionnaire François Laborde, qui avait inspiré Dominique Lapierre pour La cité de la joie, 1985. Posture ou vocation ? 

Comment Mitterrand s’y est-il pris pour réveiller si vite les braises mal éteintes du PS ? Grâce à son génie de la synthèse et à son art de la délégation. Houdini [magicien américain à cheval sur les XIX° et XX° siècles. ndlr] de la conciliation, c’est un président-né qui sait régner, limoger, distribuer les rôles tout en mettant le pied à l’étrier aux nouvelles générations. Il donne souvent le sentiment de procrastiner mais quand il décide, ça tombe comme la foudre.

Franz-Olivier Giesbert La belle époque. Histoire intime de la V° République. Gallimard 2022

raide de plâtre et d’onction, tout en lui est d’un chrétien démodé du XIX° siècle : le goût des tombes et des nécropoles, les brûlures de la chair, les accommodements avec le monde […] la tentation du péché, la gravité, à la fois solennelle et chafouine du comportement, la voix, la lippe en attente de l’hostie ou du baiser qui damne.

Jean Cau Croquis de mémoire.

23 06 1971                 

Les 6 acceptent l’entrée de l’Angleterre dans la Communauté Européenne.

29 06 1971        

Une dépressurisation accidentelle provoque la mort de trois cosmonautes russes dans Soyouz 11, trente minutes avant l’atterrissage.

30 06 1971                 

Cinq hommes grimés et armés attendent un transfert de fond de la Banque de France, à l’intérieur même de l’Hôtel des Postes de Strasbourg. La protection policière s’exerce sur la voie publique, pas au-delà. Ils assomment quelques convoyeurs, ne tirent pas un seul coup de feu et repartent avec 11 680 000 francs – 1.78 million € -. Le gang des Lyonnais finira par revendiquer l’affaire ; une partie du montant aurait servi à financer l’UDR, via le SAC – Service d’Action Civique -.

            06 1971                      

Première mise à l’épreuve sérieuse pour le jeune Parc de la Vanoise : Maurice Michaud et Pierre Schnebelen, les deux rois du béton dans les Alpes françaises forment le projet d’imposantes stations de ski à l’intérieur du Parc. Levée de boucliers pour faire respecter la charte du Parc et c’est Robert Poujade, ministre de l’environnement qui obtient un consensus, qui fait tout de même une belle entorse au statut du Parc : le projet d’urbanisation de Val Chavière est annulé, mais sont autorisées des remontées mécaniques sur les glaciers de la Grande Motte et de Chavière, à l’intérieur du périmètre du Parc

       1 07 1971                   

Début du stationnement payant à Paris.

        7 07 1971                   

Inauguration du Pont de l’île de Noirmoutier.

10 07 1971           

Tentative de coup d’État à Skhirat au Maroc, où le roi donne une réception pour son 42° anniversaire : des conjurés ont baratiné les élèves de l’Académie militaire d’Ahermoumou, leur faisant croire que le roi avait été fait prisonnier et qu’il fallait le libérer : on mitraille à tout va dans le palais : bilan : 200 morts. Le roi a la baraka et y échappe.

        16 07 1971                 

En Espagne, Franco appelle Juan Carlos.

Le Conseil Constitutionnel, présidé par Gaston Palewski, ennemi farouche de Georges Pompidou, [l’incoercible haine du Résistant à l’endroit de celui qui ne l’a pas été] annule une loi Marcellin, ministre de l’Intérieur, réglementant la liberté d’association. Ce faisant, il quitte les plates-bandes de sauvegarde de l’exécutif contre les morsures parlementaires, pour opérer une prise de pouvoir qui ne dit pas son nom : le Conseil passait d’un contrôle technique de la loi à une censure politique de son contenu. Le suffrage du peuple est remplacé par le gouvernement des juges, une sorte d’américanisation de notre vie politique, le tout au nom des Droits de l’Homme.

15 08 1971            

Les Européens se sont accordés en 1970 sur un plan de stabilisation de leurs monnaies : le plan Werner, – du nom de son auteur, premier ministre luxembourgeois – : bon nombre de ses propositions seront reprises, 20 ans plus tard, dans le Traité de Maastricht. Richard Nixon coule la tentative en décidant unilatéralement la fin de la convertibilité du dollar en or, clé de voûte du système de change décidé à Bretton Woods en 1944 : toutes les devises avaient alors un cours fixe par rapport au dollar, le dollar étant lié à l’or.

      13 09 1971                 

L’avion qui emmène Lin Biao et sa famille loin de la Chine s’écrase à Öndörhaan, en Mongolie, ne laissant aucun survivant : 5 jours plus tôt, Lin Biao aurait fomenté un coup d’État contre Mao Zedong. C’est lui qui avait rédigé le Petit Livre Rouge – les pensées de Mao Zedong -, prenant soin que chaque Chinois en ait un exemplaire ; ce Petit Livre Rouge avait été traduit en 20 langues, distribué dans cent pays. Il était son successeur désigné pendant la révolution culturelle. Dans la foulée, environ un millier de hauts responsables militaires seront victimes d’une purge.

         15 09 1971                   

Des écologistes de l’association Dont’t make a wave manifestent aux abords de l’Île Amchitka, à l’extrémité ouest des îles aléoutiennes en Alaska pour empêcher un essai nucléaire souterrain américain. Un navire de guerre les empêche de rester sur site. Ils rentrent au Canada pour y découvrir que leur mouvement a été très suivi et que leur sympathisants sont nombreux. Un an plus tard, ils se renommeront Greenpeace.

Les Américains déclencheront leur bombe à hydrogène le 6 novembre 1971 ; la puissance de l’explosion est évaluée entre 4,4 et 5,2 mégatonnes, ce qui fait de Long shot l’essai nucléaire souterrain le plus puissant jamais réalisé par les États-Unis. C’est presque 400 fois la puissance de la bombe lancée sur Hiroshima. Le sol se soulève de 6 mètres, l’effondrement du terrain crée un nouveau lac, de plus de 1 600 mètres de large. Un choc sismique de 7,0 sur l’échelle de Richter est enregistré.

          2 10 1971                     

Ray Tomlinson, ingénieur américain, envoie le premier e-mail sur Arpanet 1, un réseau prisé des scientifiques et militaires. 50 ans plus tard, les technologies numériques mobiliseront 10 % de l’électricité produite dans le monde et rejetteront près de 4 % des émissions globales de CO², soit presque le double du secteur aérien mondial.

12 10 1971             

Mohammad Reza Pahlavi, Shah d’Iran, invite à Pasagardes, Chiraz et Persépolis le gratin du monde politique occidental et soviétique pour y célébrer le 2 500° anniversaire de la fondation de l’empire achéménide par Cyrus le Grand : il se place au pied de son mausolée pour lui rendre hommage, par-delà 25 siècles : Cyrus, grand roi, roi des rois, rois des Achéménides, roi de la Terre d’Iran, moi, rois des rois d’Iran, et mon peuple, nous te saluons. (…) Au moment où l’Iran renoue ses liens avec l’histoire, nous témoignons ici la gratitude de tout un peuple envers toi, immortel héros de l’Histoire, fondateur du plus vieil Empire du monde, grand libérateur, digne fils de l’humanité. (…) Après deux millénaires et demi, le drapeau perse flotte à nouveau avec fierté comme à l’époque de ta gloire. Aujourd’hui comme alors, la Perse apporte le message de la liberté et de la philanthropie dans un monde tourmenté. Cyrus, grand roi, roi des rois… Nous sommes rassemblés sur la tombe où tu reposes pour l’éternité afin de te dire : dors en paix car nous veillons et veillerons toujours sur ton héritage.

S’ensuivirent 101 coups de canon. Il ignorait que commençait alors son chant du cygne.

Persepolis, Mémorial des Rois, Memorial of Kings

Pin on REZA Pahlavi - the Future King

Casa Imperial de Irán: Celebraciones de Persépolis 1971 - VIII

 

 

 

26 10 1971                 

La Chine populaire est admise à l’ONU, et donc, la Chine de Formose – Taïwan – quitte l’ONU. Cette toute nouvelle situation va réorienter toute la diplomatie occidentale vis à vis de l’Extrême Orient.

5 11 1971                   

10° et avant-dernier tir de la fusée Europa, construite par ELDO – European Launcher Development Organisation, Centre européen pour la construction de lanceurs d’engins spatiaux –  : 10° échec.

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L’auteur de ce site a passé les années 1971 à 1975 au Gabon : il en a rapporté quelques lettres, qui donnent un bon aperçu de la langue française écrite en Afrique, ce qui n’a rien à voir avec la langue petit nègre prêtée aux protagonistes de Tintin et autres héros de la BD d’antan : il s’agit pour la plupart de courriers adressés à l’Office des Bois, où il travaillait ; le plus souvent, il s’agit d’obtenir une avance sur salaire pour régler un problème familial, mais parfois, il peut s’agir de délation, de démission fracassante, d’un sentiment de mal [ou bien] aimé etc… Le SIC s’impose pour toute cette littérature, qui ne pouvait garder son sens qu’en étant retranscrite à la lettre près.

Les accusations de racisme étant toujours prêtes à fuser, il est sans doute utile de contextualiser un peu la syntaxe qui suit, le choix des mots, les tournures de phrase etc… Tout d’abord, le français n’est pas la langue courante, parlée à la maison, de ces africains… ce n’est qu’à l’école qu’ils l’ont apprise… quand ils sont allés à l’école. Ils prêtent aux mots un sens très souvent autre que le nôtre…

De plus, la plupart de ces lettres ont été écrites par une tierce personne, un intellectuel – celui qui travaille dans les bureaux – lequel cherche parfois à se faire valoir auprès du demandeur en utilisant des formules redondantes, ampoulées… les artifices sont donc nombreux et s’expliquent très simplement. Restons donc au premier degré… et ne boudons ni la rigolade, ni le plaisir à lire un sentiment très fort de la famille et au diable la crainte de ces accusations de racisme, la vigilance non-stop de tous les gardiens du socialement correct, cousins modernes des bourgeois de Molière – cachez ce sein que je ne saurais voir -. Entre la crainte de choquer et le besoin de dire ce qui existe, il ne faut pas hésiter et donner la première place au principe de réalité, because it’s there, disait Mallory. Et que ceux qui s’acharnent à croire que tout le monde est pareil, que le blanc, c’est la même chose que le noir, eh bien, laissons les chérir leur petit catéchisme qui les rend aveugles. Les bêtisiers eux aussi ont bien le droit d’être sans frontières.

Ce qui est terrible aujourd’hui, c’est que personne ne dit du mal de personne. Si l’on en croit ce que l’on lit, tout est bien. Personne ne tue plus personne, tout se vaut, rien n’est jeté par terre, et rien n’est un drapeau. Tout est sur le même niveau. Pourquoi ? Sûrement pas parce que c’est vrai !

Picasso

Toutes les personnes ayant vécu professionnellement en Afrique ont eu l’occasion de lire un jour ou l’autre des lettres de cette veine.

Deux inscriptions tout d’abord, vues à Lambaréné : Sur le mur d’une case : Nous récusons vos liesses dans cette pièce. À l’entrée d’un magasin : La Monoprix n’est pas un corps de garde. Les vagabonds qui n’ont rien à faire toute la journée ne doivent pas venir tromper leur impatience à l’intérieur de la MONOPRIX. Merci.

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OWENDO LIBREVILLE

Objet : Bon de Caisse (15 000 frs)

Monsieur,

J’ai l’honneur de venir très respectueusement auprès de votre haute bienveillance solliciter un bon de caisse d’un montant de 15 000 frs pour régularisation de l’adultère que j’ai commise.
Le montant total infligé à ce propos était de 30 000 frs. Amorti de 15 000 frs et le reste je recours à votre dignité de bien vouloir m’accorder ce bon.
Le remboursement s’effectuera en deux mensualités.
Espérant que ma demande sera acceptée, veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués.
Samedy Mathias.

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Monsieur le Dicteur,

Je vien Près de vous pour vous dir Mes nouvelles les plus frapantes. Je suis dans la poîte de puit le 28 du moi passer jus qu’à nos jous, ont me dit de ne plus travaille par ce que je n’ai pas de piece et Pourtant ce n’est pas pour la première de foie que je suis en loyer dans cette boîte, et si c’est vrais qu’on na plus bessoin de moi qu’on me payé depuit de jours que j’ai travaille, et moi en Personne je ne refuser pas mon travail. Mais je ne trouve pas les Raiçons pour les quelle qu’on me fait partir. Je vous le dit pour une deuxième de foie que je veut travaille Mes hé-las des ennuis qu’on veux me fair je ne peut rient dir de gros Je vous prie, Monsieur le Dicteur, d’agréer l’expression de Mes sentiments respectueuse Tout dévoués

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Monsieur Mendome Timothée N’ZIENGUI MOBEDY Bernard Owendo, le 14 Mars 1973

Dactylo O.N.B.G. à- O W E N D O

Monsieur et cher chef, Je viens par la présente auprès de votre bienveillance, suppléer à vous demander toujours un sécours, car pardon s’il vous plaît c’est que j’ai confiance en vous. Hier soir, la fille à l’oncle est venue et nous demeurons tous maintenant à la maison, alors elle est accompagnée d’un enfant, je ne peux pas m’en sortir. Pour cette cause, je recours vos efforts afin que vous m’avancer quelque chose en matière d’argent tel que vous en disposer à me donner. Même 500 Francs qui feront 1000 Frs avec les derniers je vous en rends d’avance merci. Veuillez agréer, Cher Monsieur Peltier, à l’expression de ma profonde gratitude. Bernard N’ZIENGUI MOUBEDY./ .-

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Guiboumou Nicolas Brigadier des douanes

Owendo, le 1 – 5 -73

Monsieur et cher ami Laurent Peltier

Le baptême de mes deux filles m’a presque mis à plat. Si vous pouviez pour une troisième fois me venir en aide ! Cette somme vous sera rendue le 8 courant, date de perception de nos heures supplémentaires et fond commun. Remerciements anticipés. Bon pour une somme de 10 000 F ( Dix mille F) 4 000 F (Quatre mille F) Guiboumou.

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Nzé – Mba Pierre Owendo 4 – VI – 73PARC – OWENDO / LBV

Objet : Cessation de tous services au Parc. À monsieur le Chef du Parc Ow / LBVMonsieur,

Pour éviter de perdre mes honneurs et dignités en persistant à travailler au parc en qualité de m/o, afin que je ne m’écrase pas sous le poids des misères, je vous avise que je cesse aujourd’hui, au parc mes fonctions en qualité de m / o, fonctions que je ne mérite nullement, pour occuper ailleurs des responsabilités dignes de moi. Veuillez considérer, Monsieur le Chef du parc, l’expression de mes sentiments respectueux.

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O.N.B.G NYANGA le 13 / 9 / 73

À Monsieur le Directeur Général de L’O.N.B.G. de la Nyanga à Mayumba.

Monsieur, J’ai l’honneur de venir très respectueusement auprès de votre Haute bien équité, solliciter à vous souligner ceci que :

  1. nous ici à la Nyanga, les travaux se déroulent dans un comportement de tribalisme et de sorcellerie chez nous. C’est à dire : citons en premier lieu Monsieur Boulingui Daniel qui empoisonne les autres en vempire et qui emploie le sang des êtres humains pour mieux travailler.
  2. Ce Boulingui s’entend avec Boubala Florent qui est Capita* et qui sont tous des Bapounou qui, sans chercher à réfléchir partent raconter à l’Européen les fausses paroles d’accusion jusqu’à ce que l’homme sera licencié et faire rentre un autre homme de leur dialect. À l’arrivage d’un remorqueur les hommes se permettent sans crainte de jeter des paquets de lance à boucle* et des filins. Quant au gasoil ils envoient des dame-jeanne et des dame-jeanne chez eux en destination de leurs parents en disant que c’est nous même les Baloumbous qui commandons. Quand on crie à cela ils nous disent ceci : si nous entendons ça chez le Blanc, tu es vite fait d’être licencier, de mourir. Il en est de même pour Makaya Vincent l’infirmier qui vend les médicaments conserve d’autre dans sa maison pour les envoyer chez ses parents et aime que soigner sa femme.

Concernant et pandant les jours de travail Mr Boulingui et Mr Boubala envoient les travailleurs à Igotchi pour leur chercher du vin de palme sans que le Blanc le sache, les hommes partent faire une semaine et les jours sont pointés. S’urtout ce qui étaient embochés en Août et Septembre 73 sont tous des saoûlards même s’il ne travaille pas ça ne leur dit rien, il suffit que ça soit des Bapounous. Don patron, nous voulons que vous les affecter ailleur ou les licencier faute de quoi nous risquerons d’écrire à Libreville et Port Gentil.

Ils prennent l’essence de la compagnie sans l’ordre pour se rendre à Moulondo acheter leur vin.

Veuillez agréer patron croire à parole sans avoir pitié d’eux.

Autre chose patron ils vendent les filins et les lance à boucles qui restent dans les remorqueurs et se partage l’argent.

Pambou Philibert et peuple du parc.

* Capita : Responsable de la main d’œuvre du parc.

* Lance à boucle : sorte de piton marié à un anneau dans lequel court le filin qui, sous tension, donne sa cohésion au radeau de grumes.

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SOUNDAT GAETAN Ce 12 Octobre 1973 B.P.2 MAYUMBA

Cher fils Joseph Hildevert,

J’accuse bonne réception de ta lettre du 4-10-73, accompagnée d’une liste d’un grand nombre des articles de grande valeur. Seuls : Salon en rotins et les 2 chèvres du Nord-Cameroun, non parvenus et te demande de les garder jusqu’à ce que tu auras une bonne occasion sûre pour m’expédier ces deux chèvres. Oui, tu es né très sensible envers moi et j’ai toujours demandé au Bon Dieu à ce que tes enfants te fassent le même rendement que tu rends à moi. Ils travailleront pour l’intérêt commun de la maison, et non pour leur plaisir personnel. D’alleur une maison qui se divise entre elle, elle tombe, donc continue à travailler pour le bien être du village, ensuite Dieu continuerait à te donner d’avantage de bien. Mathieu et les femmes disent que ton fils, très attentif, voyait à l’âge de 11 ans tous les colis que tu envoyais étant à Fougamou, il observait et à son tour, il le fait à présent. Ils étonnent, surtout tout ce que tu envoies, pas sur ma demande, mais ton cœur est toujours tourné vers moi. Si tu es embrassé pour m’expédier les ouvertures, salons et chèvres, le montant à payer, peut-être, je serais en mesure à t’envoyer un mandat, la femme de ton cadet a vu le petit montant qu’elle est allée toucher à l’Office des Bois, c’est avec ça que je l’ai payé passages avec deux enfants pour suivre son mari à Mikambo. J’ai dépensé plus que la moitié mais quand même, je peux venir au secours, surtout s’il y a de chaises bien fabriquées tout en bois, il faudrait en profiter 2 douzaines. Donc, j’attends ta réponse. Nouvelles : Julie était très malade, un abcès au mollet, il a fallu une voiture pour la faire monter à l’hôpital où elle est restée 12 jours, j’étais forcé de sortir de l’argent pour la nourrir là-bas. À Vemot, le beau frère DOUKAGA ne veut plus la voir, MAHINDZA l’a obligé d’aller chercher vite ses affaires et revenir à Bana.MAHINDZA, ELLE même maigrit petit à petit. François ses pieds enflent de plus en plus. Seule la Mère NGOYO tient fort, malgré sa vieillesse. Pour ce qui concerne ton stage à l’E.N.A. ou en France, je ne sais que faire. D’abord, je voudrais savoir les admis, sont au nombre de combien ? Parce que j’ai envie d’envoyer un mot au Docteur Benjamin, ou l’attendre ici, comme il construit ici, il vient tous les 25 du mois. Si tu vois, que c’est long, essaie de faire venir TCHIBINDA à coté de toi. Pour l’instant, tout va à pas de tortue, et tous t’embrassent en même temps avec moi, te souhaitant toujours : santé, chance et réussite dans tous les domaines./- Le Père G. SOUNDAT.- MENDOME Timothée

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Owendo, le 15 – 10 – 73 Service Parc.

O.N.B.G. À Monsieur le Comptable

Monsieur

J’ai l’honneur de venir très respectueusement auprès de votre haute bienveillance vous dire adieu du bien que vous m’aviez fait durant tous les 4 mois (quatre mois) Monsieur le Chef Comptable votre départ est très ému. Gardez comme souvenir ma photo puisque vous m’aviez bien gardé et dès aujourd’hui je ne suis plus content comme auparavant. Veuillez agréer Monsieur mes salutations les plus distinguées. T. MENDONE. M. Nzé Abaghe SAMUEL Owendo, le 10 / 2 / 74Pointeur marqueur en bout.

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Objet : Prêt d’argent Monsieur le Directeur de l’O.N.B.G. d’Owendo à Owendo.

Monsieur, par mesures de clémence et par pitié je viens avec grand respect auprès de votre haute bienveillance vous prier de bien vouloir me secourir en prêtant une somme de 15 000 frs. Je vous jure devant Dieu de vous les rembourser en trois mois sans aucune plaisanterie de ma part de fait que je suis complètement accablé, pour pouvoir payer le trousseau, dans un mois ma femme va accouché. Dans l’espoir de croiséance des mots ci-dessus. Veillez agréer Monsieur le Directeur l’assurance de mon profond respect et de mes sentiments dévoués. Je vous couvre de mes meilleurs remerciements et salutations cordialement distingués.

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Nzé Abaghe SAMUEL.Assoumou Gaston

Akoga 7 Janvier 1969

Moniteur officiel à Akoga à Monsieur Guenégués, Directeur du Chantier Anzème

Monsieur, J’ai l’honneur de porter plainte contre le nommé sieur Jean Bosco, cuisinier de l’Ets Leroy ce dernier ayant comme motif : Vandalisme s’est éventré dans ma chambre en date du 26 décembre 1968 pour courtiser ma femme Mingoué sur mon lit métalique qui m’a coûté 20 000 frs y compris le matelas mousse. Je vous demandé que ce sieur paye mon lit ainsi que le scandale d’avoir briser la porte de ma chambre plus adultère. Ils ont eu l’occasion quand j’étais à Libreville. Dans l’attente de votre suite favorable, Veuillez Agréer Monsieur le Directeur l’expression de mes meilleurs vœux.

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Assoumou Gaston Ekohau N’DOUTOUM Allogo

Mardi, le 15 Juillet 1969 BP 69 Libreville

à Monsieur le Directeur des Etablissements LEROY Libreville.

Monsieur,

Honneur venir auprès de votre haute bienveillance vous présenter mes doléances.

La tâche que j’assume, elle est facile, mais délicate dans ses différentes formes. Huit mois de travail acharné, période d’un rendement appréciable de la part de mes supérieurs. Il va sans dire que depuis cette date, un problème poignant menace au jour le jour mes habits. Le vélo de service qui m’a été donné est devenu une véritable force destructrice de mes intérêts : six pantalons sont tombés hors d’usage, frottés, abîmés entre les jambes ; du fait de pédaler régulièrement. Compte tenu des impératifs cités, des exemples convaincants ont été successivement vécus par MM. Michel et Boujean dans le souci de remédier cet état de chose. De puis un mois et demi, cet engin, suite aux malheureuses conséquences que j’ai essuyées est écarté de mes activités ruisselant de sueur, assumant ainsi mes commisssions.

Dans l’intérêt de préserver mon équilibre matériel, rendre plus efficace et moins fatiguant mon travail, je vous en prie de me prendre une mobylette de service (action alarmante, utilisation d’une machine qui va malheureusement au détriment des intérêts du dit serviteur. Dans l’espoir que vous voudriez faire promptement droit à ma demande, je vous en prie, Monsieur le Directeur l’assurance de mon profond respect.

Ekauho N’Doutoum Allogo.

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Et, pour bien prouver que les histoires drôles sont sans frontières, un petit échantillonnage bien de chez nous ; d’employés gabonais d’une importante société mixte de bois tropicaux, on passe à des mots d’excuse de parents d’enfants scolarisés en France :

                     24 11 1971                 

Le vol 305 – un Boeing 727 – emmène une trentaine de passagers de Portland, dans l’Oregon à Seattle ; parmi eux, un certain Dan Cooper, au profil particulièrement normal. Les passagers n’ont alors pas à être fouillés avant l’embarquement. Il s’installe à proximité du strapontin de l’hôtesse de l’air, Florence Schaffner… pour pouvoir, le moment venu, lui glisser un petit mot… qu’elle met dans sa poche, comme elle le fait pour tous les mots des dragueurs ; mais celui-là revient à la charge verbalement : Mademoiselle, je vous conseille de lire ce mot : j’ai une bombe avec moi. Elle s’exécute alors pour constater que le bonhomme parle de détournement, demande 200 000 $ de rançon, en cash non marqué, et deux jeux de parachutes, le tout remis à l’aéroport de Seattle. Et à Seattle, après que l’hôtesse ait pu vérifier qu’il était effectivement porteur d’une bombe [mais comment pouvait-elle distinguer une vraie d’une fausse ?] l’opération se fait : on lui remet 200 000 $, les deux jeux de parachutes, les passagers descendent ainsi que les membres de l’équipage sauf les trois nécessaires pour que l’avion puisse repartir. Il passe deux heures à Seattle, dont le temps de faire le plein, puis repart cap sur Mexico, avec obligation de voler très bas, à 3 000 mètres d’altitude, lentement : 310 km/h, et avec une cabine non pressurisée, où il s’enferme. L’équipage, ne recevant de la cabine aucune réponse à ses questions par radio, entre dans la cabine pour s’apercevoir qu’elle est vide : l’oiseau s’est envolé, en pleine tempête, et on ne le retrouvera jamais. En 1978, au nord de la zone supposée de l’atterrissage de Cooper, un promeneur trouvera une fiche plastifiée expliquant comment déployer l’escalier arrière d’un Boeing 727. Puis, le 10 octobre 1980, un enfant sortira du fleuve Columbia un paquet de 294 billets de 20 dollars maintenus par des bandes plastiques. Ils sont abîmés par l’eau, mais les numéros correspondent. Il s’agit bien d’une partie de la rançon remise à Cooper neuf ans plus tôt. Jamais aucun billet de la rançon ne sera utilisé. Il est probable que la tempête d’alors, ou simplement le manque d’expérience aient empêché le bonhomme d’ouvrir son parachute et qu’il soit tombé au fond d’un lac. Il semble bien étrange qu’à Seattle, lorsqu’il ne restait plus à bord de l’avion que trois membres d’équipage et Dan Cooper que la police et le FBI n’aient rien tenté pour le neutraliser. On pourrait être tenté de dire chapeau l’artiste, mais en réfléchissant un peu on a plutôt envie de dire au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.

Anecdote sans suite en 2014 : Ross Richardson publie Still Missing. Selon l’auteur, Cooper s’appellerait Richard Lepsy, un père de quatre enfants disparu en octobre  1969. Ce gérant d’épicerie avait laissé sa voiture dans le parking de l’aéroport de Traverse City, dans le Michigan, et emporté la recette de son magasin pour ne plus jamais donner de nouvelles à sa femme. Quand cette dernière découvrira à la télévision le portrait-robot de Cooper, elle ne pourra s’empêcher de noter sa ressemblance évidente avec son mari ; en plus, même cravate et mêmes chaussures. La ressemblance entre le portrait-robot et les photos de Lepsy est troublante. Mais l’expertise ADN ne donnera rien, et le FBI classera l’affaire.

2 12 1971                    

Lancée le 28 mai, la sonde Mars 2 a effectué 470 M. de km avant d’atteindre Mars.

Cheikh Zayed (1918-2004), ancien émir d’Abou Dhabi fonde les Emirats arabes unis -EAU, 1971-, qui regroupe entre autres, Abu Dhabi et Dubaï. Dans Le Désert des déserts, l’explorateur britannique Wilfred Thesiger, raconte  sur quatre pages sa rencontre dans les années 1940 avec le cheikh inconnu d’une oasis perdue, Al Ain.

[…] Zayed était homme vertueux. Grâce à lui, les Émirats sont différents des autres États du Golfe arabique : les jeunes filles vont à l’école et les femmes disposent quasiment des mêmes droits que les hommes. Mais Zayed n’a pas changé en profondeur la société émiratie, car il en avait une vision très traditionnelle, liée à son milieu d’origine. Encore aujourd’hui, le pouvoir de nombre de femmes se limite à la sphère privée. Et par exemple, lorsqu’Anne-Aymone Giscard d’Estaing dînait avec la principale épouse de Zayed, elle devait porter un masque ! […]     Il était capable de comprendre que les choses étaient différentes ailleurs. La seule chose que Zayed n’arrivait pas à concevoir était la théorie de l’évolution selon Darwin : il riait à chaque fois que François Mitterrand lui disait que nous descendions  peut-être du singe : cela le laissait totalement interdit. Cet homme avait aussi de grandes qualités d’empathie. Quand Chirac lui rend visite pour la dernière fois, Zayed, mourant, est tellement heureux de le retrouver que cela en est profondément émouvant. […] L’arrogance et la négligence occidentales font que l’on s’intéresse peu à des personnages dont l’univers culturel diffère du nôtre. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille tout accepter du fait que les gens ont une autre culture. Ce n’est pas de l’irénisme ou de l’angélisme de ma part.

Extrait d’une interview de Frédéric Mitterrand, à l’occasion d’un documentaire sur Arte du 26 mai 2015

11 12 1971             

Il est bien rare que le progrès technique ne se paie pas d’un tribut. Ainsi du train, de la voiture, de l’avion ; aujourd’hui, c’est de plongée sous-marine qu’il est question : Une équipe américaine s’attaque au record de profondeur. Sheck Exley, plongeur de sécurité raconte : Le but était de descendre à -145 m. Archie Forfar, Ann Gunderson et Jim Lockwood avaient mis au point la technique suivante : ils descendaient, gilet gonflé au maximum, le long d’un tombant, au moyen d’une gueuse de plomb tout simplement posée dans le creux des genoux, les jambes repliées en arrière. En cas de syncope les jambes se relâchaient, libérant la gueuse de plomb. Grâce à son gilet gonflé le plongeur remontait alors et je n’avais plus qu’à le récupérer. Mais, ce 11 décembre 1971, la tentative tourne au drame. La procédure prévue ne peut être exécutée, le câble n’est pas en bon état. Archie Fofar et Ann Gunderson ont peur de se coincer et décident de descendre gilets dégonflés, sans les gueuses. Lockwood les suit avec la gueuse sur l’arrière des genoux, mais il a oublié de gonfler son gilet : Dès que j’ai commencé la descente, j’ai réalisé que j’avais un problème. Le câble était plein de graisse, et je m’en suis mis plein les mains. Impossible de manipuler l’inflateur pour gonfler mon gilet ! Exley et les autres plongeurs de soutien se tiennent à – 90m. Les trois plongeurs les dépassent et atteignent – 120 m. Lockwood remonte alors en catastrophe et est récupéré par Exley. Plus tard il racontera : Je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne me souviens de rien. Je n’ai véritablement repris conscience qu’au palier de – 15 m. C’est sûrement Archie qui a gonflé mon gilet, vers – 120 m. Pour ce faire Archi s’est gravement mis en danger et ne peut arrêter sa descente… Ann le suit… Bientôt les plongeurs de sécurité se rendent compte que les deux plongeurs ne pourront pas remonter sans aide. Ils descendent jusqu’à – 120 m. mais ne peuvent plus rien. Archie et Ann sont hors de portée. Beaucoup plus bas, Archie et Ann respirent encore. Ils sont posés sur un petit rebord de la falaise et ne peuvent plus rien faire d’autre, complètement pris par la narcose… Leurs corps ne seront jamais récupérés.

Mauro Zürcher. Histoire de la plongée

13 12 1971                 

Le président Georges Pompidou se rend aux Açores en Concorde pour y rencontrer le président Richard Nixon.

14 12 1972                    

Dernière mission Apollo 17 vers la lune : la moisson sera de 249 livres de roches lunaires de la vallée  de Taurus-Littrow. L’équipage est composé de Harrison Schmitt, Ronald Evans et Gene Cernan, qui est le dernier homme à avoir marché sur la lune, jusqu’à ce jour. On l’entendit alors pousser un long soupir de soulagement : Mon Dieu il était bien temps… au train où vont ces gens, ils auraient été capables de me ramener sur terre en pièces détachées ! Les trois dernières missions prévues au programme, Apollo-18, 19 et 20, sont annulées.

La stratégie de Kennedy consistait à montrer que les Russes se casseraient les dents sur la Lune. La preuve était faite et le succès total. Cela ne servait à rien de continuer. 

 Francis Rocard CNES

22 12 1971                 

Bernard Kouchner et onze autres médecins fondent Médecins Sans Frontières. Bien des années plus tard, Médecins sans frontières sera devenu une grosse organisation avec tous les ingrédients qui s’y rattachent : publicité, mailing, communication … et même un Prix Nobel de la Paix en 1999.

Médecins sans frontières a été créée le 22 décembre 1971 de la réunion de deux groupes : des médecins ayant travaillé au Biafra en guerre [1967-1970] et un groupe plus hétérogène de médecins et de journalistes qui s’étaient portés volontaires pour le Pakistan oriental lors du cyclone de 1970, sans pouvoir y aller. Ceux qu’on appelle les Biafrais, le groupe le plus emblématique, avaient travaillé pour la Croix-Rouge française, sous l’égide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et s’étaient sentis limités dans leur action au Biafra du fait que le secours médical n’était qu’une activité parmi d’autres, avec l’assistance alimentaire, la visite aux prisonniers… Les Biafrais ont donc eu l’idée de créer une organisation médicale à visée humanitaire, ce qui n’existait pas.

Rony Brauman, président de MSF de 1982 à 1994. Le Monde du 16 01 2022

1971                           

Découverte de l’homme de Tautavel : il a 450 000 ans ; c’est un homo Erectus. L’Américain Edward Hoff invente le micro processeur. Premiers parcmètres à Paris. Le Pakistan oriental a été en proie à de nombreux soulèvements initiés par les Bengalis, soutenus par l’Inde voisine et sévèrement réprimés par l’armée : et c’est encore une partition : le Pakistan oriental prend son indépendance pour devenir le Bangladesh.

Simon Leys, nom de plume de Pierre Ryckmans, né en Belgique, publie aux Éditions Champ Libre Les Habits neufs du président Mao, description sans concession de la Révolution culturelle, lorsque lui-même résidait à Hong-Kong, où il avait tout loisir de se documenter dans l’hebdomadaire China News Analysis publié à Hong Kong par le jésuite hongrois László Ladány, directeur d’un centre recueillant et analysant les informations sur la situation en Chine. L’ouvrage lui valut les foudres de la gauche intellectuelle française et maolâtre à mort, allant jusqu’à lui interdire tout poste d’enseignant à l’Université en France. On pense à l’affaire Kravchenko, quelque vingt ans plus tôt, qui, elle concernait l’URSS de Staline. Il faudra attendre pratiquement trente ans, pour que l’un de ses pourfendeurs de la revue Tel Quel, Philippe Sollers fasse amende honorable : trente ans, c’est long, très long, mais enfin mieux vaut tard que jamais.

Disons-le donc simplement : Leys avait raison, il continue d’avoir raison, c’est un analyste et un écrivain de premier ordre, ses livres et articles sont une montagne de vérités précises, on va d’ailleurs le louer pour mieux s’en débarrasser, ce qui n’est pas mon cas, curieux paradoxe.

Philippe Sollers Le Monde du 3 04 1998

Simon Leys, navigator between worlds – a unique Australian intellectual

9 01 1972                   

Un incendie détruit le Queen Elizabeth à Hong Kong. Racheté par un armateur chinois, il sera rebaptisé Seawise University.

28 01 1972                 

Un ouvrier effectuant des travaux dans les combles de la basilique Saint Donatien de Nantes oublie de fermer son chalumeau en quittant le chantier, et c’est l’ensemble de la toiture qui prend feu. Les dégâts seront tels qu’elle sera fermée au culte et aux visites pendant treize ans, et ne sera ouverte à nouveau qu’en mai 1985. Un incendie très probablement criminel l’endommagera à nouveau le 18 juillet 2020, détruisant totalement les orgues.

VIDEO. Il y a 47 ans, la cathédrale de Nantes brûlait

VIDEO. L'incendie de Notre-Dame de Paris ravive de douloureux souvenirs  pour les Nantais

30 01 1972               

Bloody Sunday à Londonderry, en Irlande du Nord : 14 morts, dont aucun n’était armé, tués par l’armée lors d’une manifestation pacifiste : c’est dans un véritable traquenard tendu par l’armée que sont tombés les manifestants. Depuis trois ans, Belfast s’était défiguré avec la construction de murs de la paix – peace walls – qui séparaient les communautés catholiques des protestantes ; tandis qu’à Berlin on avait nommé cela mur de la honte, ici on le nommait mur de la paix. Bizarre ! au vu du résultat, il aurait mieux valu parler de mur de la haine. Mais c’aurait été céder au principe de réalité, tandis qu’avec un mur de la paix on gravit glorieusement un sommet dans la tartuferie… delicious. Et tant pis pour de qui est le fondement du christianisme – l’amour de son prochain – : il faudra repasser un autre jour. Il faudra près de 40 ans pour que cela soit reconnu, par David Cameron en juin 2010, peu après son arrivée au pouvoir : il aura fallu 12 ans d’enquête. Le pays va s’embraser.

On peut dorénavant proclamer au monde que les morts et les blessés du Bloody Sunday […] étaient innocents et ont été abattus par des soldats à qui on a fait croire qu’ils pouvaient tuer impunément

Derry Tony Doherty, dont le père figure au nombre des tués.

Peintures Murales De Mur De Paix De Belfast Photo ...

           21 02 1972              

Nixon rencontre Mao Zedong. Il restera en Chine jusqu’au 28 février. La même année, Les Américains restituent au Japon les îles Senkaku en même temps que Okinawa.

28 02 1972

Un barde chevelu de 27 ans fait un triomphe à l’Olympia : il se nomme Alan Stivell, né Cochevelou.

                         3 03 1972                        

Lancement de Pioneer X vers Jupiter : elle va devenir la doyenne des sondes interplanétaires américaines ; dès 1980, le Jet Propulsion Labatory de la NASA, remarquera un ralentissement inexpliqué de sa vitesse [l’observation sera la même pour Pioneer XI, lancé en 1973] : elle perdra le contact radio avec la Terre quand 11 milliards de km les sépareront, 26 ans plus tard, en 1998. Ses 270 kilos ont traversé successivement la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, près de laquelle elle arrivait en décembre 1973, puis les orbites des planètes extérieures, Uranus, Neptune  et Pluton. Elle a quitté le système solaire le 13 juin 1983 en direction de la constellation du Taureau. Le 30 novembre 1997, tout allait bien à bord ; elle aurait pu continuer son grand bonhomme de chemin, à 50 000 km/h, pendant  plusieurs centaines d’années, et passer dans trente mille ans à proximité de l’étoile la plus proche. Mais voilà que fin septembre 98, de même que ses collègues Pioneer XII et Ulysse – une sonde européenne – elle est sortie de sa trajectoire, happée par une force mystérieuse.

De profundis clamavi ad te, Domine :
Domine, exaudi vocem meam.

        17 03 1972                         

Joseph Césari tombe. La police trouve d’abord son laboratoire, mais il n’y est pas. Ils vont le chercher chez lui et peuvent le confondre, car il a commis une erreur : sur la face intérieure d’une jambe d’un pantalon trouvé dans le laboratoire, il y a une tâche qui correspond exactement à une plaie sur sa jambe. Il a gagné ses galons de chimiste auprès de son frère, préparateur en pharmacie, mais très rapidement, l’élève a dépassé le maître et Joseph Césari est aujourd’hui le chimiste **** de la drogue : c’est lui qui est à même de fabriquer de l’héroïne pure à 99 % : unique, ce qui signifie bien sûr chère, très chère, à même de lui permettre de tenir un train de vie somptueux. Les étapes de la fabrication partent de la fleur de pavot, dont on extrait la morphine base, à laquelle on ajoute de l’anhydride acétique et l’on obtient ainsi de la morphine, très pure pour les chimistes de Marseille, moins pour les autres : c’est comme pour la bouillabaisse, faut pas être pressé, faut que ça routoutoune, longtemps. Le métier s’est créé des décennies plus tôt en fabriquant du faux Pastis. Avec un prix de revient de l’héroïne  de 10 000 francs le kilo, et un prix de vente de 90 000, il n’est pas nécessaire d’être fort en maths pour voir l’intérêt de l’affaire.

Ces succès policiers ont été longs à venir et il a fallu que Richard Nixon, las de voir l’hécatombe que provoquait l’héroïne marseillaise dans son pays, le plus grand consommateur mondial – 149 morts en mars 1972 -, tance sérieusement le gouvernement français pour que celui-ci hausse aussi le ton envers les policiers de Marseille, jusque là plutôt mous. L’affaire durait depuis un moment : dès 1962, Jacques Angelvin, un animateur français de télévision s’était fait prendre la main dans le sac en important 50 kg d’héroïne caché dans une voiture. Le 29 février 1972, Le Caprice des temps, un bateau de pêche entièrement rénové, à quai à Villefranche et qui avait attiré l’attention de la police parce qu’il … ne rapportait jamais de poisson, appareille, cap à l’ouest et se fait prendre en chasse par le Scirocco des Douanes qui l’interceptent juste avant qu’il ne quitte les eaux territoriales : demi-tour sur Marseille où l’on trouve dans un puits confectionné sur l’étrave 425 kg d’héroïne : les Américains sont contents et le disent. Mais c’est l’arrestation de Joseph Césari qui sera le point d’orgue de la lutte contre la French Connexion : Monsieur 98 % était tombé, – il se suicidera cinq jours plus tard aux Baumettes – il ne restait plus qu’à trouver les commanditaires ce qui, avec le système d’incarcération américain, est assez facile : s’ils acceptent de balancer, on offre aux condamnés un séjour dans une ferme où ils peuvent jouer au golf, recevoir leur maîtresse, bref… presque la belle vie.

6 04 1972                        

En  jouant sur un terrain vague de Bruay en Artois, deux enfants découvrent le cadavre de Brigitte Dewèvre, 15 ans, fille de Thérèse et Léon Dewèvre, mineur des Houillères.

13 04 1972                      

Pierre Leroy, notaire à Bruay en Artois, est arrêté : quand il allait voir sa maîtresse, il avait l’habitude de garer sa voiture rue de Ranchicourt, proche du terrain vague où a été découvert le corps de Brigitte Dewevre. Le juge Pascal, militant de la première heure du Syndicat de la Magistrature, se contente de ce constat pour prendre sa décision. Il laisse la presse filmer l’arrestation du notaire menotté : je n’ai pas perdu mon temps. Je m’adresse à la presse pour ne pas laisser courir les bruits les plus faux et faire connaître mes idées sur la Justice. Le juge Pascal va trouver derrière lui soutien sans faille de la part de groupuscules maoïstes qui ont à leur tête un certain Marc, qui n’est autre que Serge July dont le journal Pirate utilise les journalistes de presse Libération, créée neuf mois plus tôt sous le parrainage de Jean-Paul Sartre et de Maurice Clavel, avec pour déontologie, en exergue la mise au rencart de l’archaïque Descartes avec son énoncé ce qui n’est que vraisemblable doit être tenu pour faux, au profit de l’énoncé : il n’est pas nécessaire qu’un fait soit tenu pour vrai pour le prendre en compte, il suffit qu’il soit vraisemblable.

Les prostituées du coin décrivent en détail les exigences sexuelles du notaire avant de se rétracter en reconnaissant avoir parlé sous la pression de la police. René Pleven, garde des sceaux doit rappeler que l’inculpé est présumé innocent, ce qui n’empêche nullement la presse d’extrême gauche de mitrailler à tout va :

Et maintenant, ils assassinent nos enfants. Le crime de Bruay : il n’y a qu’un bourgeois pour avoir fait cela.

[…] Un notaire qui mange des steaks d’une livre quand les ouvriers crèvent de faim ne peut être qu’un assassin d’enfant.

[…] Oui, nous sommes des barbares. Il faut le faire souffrir petit à petit. Qu’on nous le donne. Nous le couperons morceaux par morceaux au rasoir ! Je le lierai derrière ma voiture et je roulerai à cent à l’heure dans les rues de Bruay. Il faut lui couper les couilles ! […] Barbares, ces phrases ? Certainement, mais pour comprendre il faut avoir subi cent vingt années d’exploitation dans les mines.

La Cause du peuple

Après le dessaisissement le 13 juillet du petit juge Pascal par la chambre criminelle de cassation, au profit de la Police Judiciaire de Paris, cette dernière reprendra l’affaire à zéro et Jean-Pierre Flahaut, 17 ans, plutôt perturbé, camarade de Brigitte s’accusera du meurtre, puis reviendra sur ses déclarations. Libération titrera : Bruay : Jean-Pierre n’est pas l’assassin. Au final, ses aveux ne seront pas estimés suffisants pour qu’il soit condamné : il sera relaxé. Pierre Leroy aura fait trois mois de prison et sa maîtresse Monique Mayeur une semaine, avant d’être libérés.

Si Leroy (ou son frère) est confondu, la population aura-t-elle le droit de s’emparer de sa personne ? Nous répondons oui ! Pour renverser l’autorité de la classe bourgeoise, la population humiliée aura raison d’installer une brève période de terreur et d’attenter à la personne d’une poignée d’individus méprisables, haïs. Il est difficile de s’attaquer à l’autorité d’une classe sans que quelques têtes de membres de cette classe ne se promènent au bout d’un pique.

Benny Levy

C’est probablement l’exemple le plus patent de la manipulation de la population d’une petite ville ouvrière, très homogène par toute une clique de journalistes d’extrême gauche, très naturellement malhonnêtes, qui crie en permanence À mort, À mort, lynchons le, pendons le, aidés en cela par un juge dont la faconde a du mal à cacher le travail bâclé. On se voit glacé d’effroi face à cette meute ivre d’appels au meurtre… ça sent la haine et rien d’autre… les pires jours de la Commune, ou du Ku Klux Klan, ou des SA. La justice ne sortira pas grandie de l’affaire.

Qui est le tueur de Bruay-en-Artois ? - Valeurs actuelles

29 04 1972

Au sud du Burundi des groupes armés venus de Tanzanie attaquent les villages riverains du lac Tanganyika ; les massacres visent surtout les Hutus de la classe dirigeante ; ils vont se poursuivre pendant une semaine. Les violences vont durer jusqu’à la mi-juillet. Dans un premier temps, plus de mille Tutsis sont tués dans le sud. Mais sur l’ensemble du pays c’est plus de 100 000 Hutus qui seront tués.

04 1972                  

L’Europe crée le Serpent monétaire, système dans lequel aucune monnaie ne doit varier de plus de 2,25 % par rapport aux autres monnaies du serpent

2 06 1972             

Arrestation en Allemagne d’Andréas Baader. Le terrorisme fleurit un peu partout et s’exporte : Japon, Palestine, Allemagne, Italie.

8 06 1972                 

La photo fera le tour du monde :

Le cliché pris par Nick Ut nous plonge dans l’enfer de la guerre du Vietnam. Ce 8 juin 1972, dans le village de Trang Bang, une effroyable bavure est commise par l’aviation sud-vietnamienne, qui lutte avec les États-Unis contre les forces communistes du Nord. Mal renseignés, les bombardiers Skyraider se trompent de cible. Ils larguent des bombes au napalm sur un temple qui abrite non pas des combattants vietcongs, mais leurs propres soldats et des civils. 

À quelques centaines de mètres de là, le photographe Nick Ut a assisté à toute la scène. Avec un groupe de journalistes internationaux, il a découvert, horrifié, que des civils surgissaient du nuage de fumée. Il a photographié, parmi eux, la grand-mère de Kim Phuc portant dans ses bras le corps inerte d’un petit garçon : Danh, trois ans. Et dans les bras d’un homme vêtu de blanc, Cuong, un bébé de neuf mois. Tous deux sont les cousins de Kim Phuc, les fils de sa tante Anh. Tous deux ont été touchés mortellement. 

[…] Lorsque la fillette parvient à son tour jusqu’à lui, Nick Ut tire de son sac son quatrième et dernier appareil photo encore chargé, un Leica M3. Il immortalise la détresse de fille neuf ans, qui répète sans cesse les mêmes mots : Trop chaud ! Trop chaud ! À sa droite, son grand-frère implore les adultes : Aidez ma sœur

[…] Car Kim Phuc est en danger de mort. Le napalm a ravagé un tiers de la surface de son corps : son dos, son cou, son bras gauche, son cuir chevelu sont brûlés au moins au troisième degré. Sans prise en charge immédiate, elle succombera à ses blessures.

Un homme vietnamien demande alors aux journalistes, qui sont motorisés, de conduire la fillette à l’hôpital. Nick Ut s’en charge. Il embarque la petite victime ainsi qu’une jeune femme grièvement blessée dans sa voiture et, après trois quarts d’heure de route cahoteuse et douloureuse, parvient avec son chauffeur à un hôpital proche de Saïgon. S’il vous plaît, aidez-les, dit le preneur d’images à une infirmière. Nick Ut ne peut rester, il doit rentrer au plus vite au bureau de son agence Associated Press pour transmettre son travail. Les chemins du photographe et de la petite fille se séparent. Provisoirement. 

Dans les jours qui suivent, tandis que la photographie prise par Nick Ut se propage dans la presse mondiale, la vie de Kim Phuc ne tient qu’à un fil. À un fil… et à une intervention providentielle : celle de Christopher Wain, le journaliste d’ITN, celui-là même qui avait donné à boire à la petite Vietnamienne après l’attaque de Trang Bang. 

Souhaitant raconter l’histoire de la fille de la photo, comme on l’appelle déjà, Wain retrouve la trace de Kim Phuc le 10 juin. Il découvre que le pronostic des médecins est dramatique : les brûlures sont trop graves, l’hôpital n’est pas équipé pour les traiter, on s’attend à ce que l’enfant meure d’un jour à l’autre.

Alors le journaliste britannique remue ciel et terre. En multipliant les coups de fil, il apprend l’existence d’un établissement américain à Saïgon, la clinique Barsky, où l’on soigne les grands brûlés. 

L’espoir renaît. Ne reste plus, alors, qu’à obtenir l’aval des autorités sud-vietnamienne pour effectuer le transfert. Une formalité ? Pas tout à fait ! Contre toute attente, l’interlocuteur de Christopher Wain au ministère sud-vietnamien des Affaires étrangères traîne des pieds. Il laisse entendre au journaliste médusé que Kim Phuc, si elle devait vivre, attirerait encore davantage les projecteurs médiatiques sur cet épisode honteux pour son gouvernement. La réponse de Christopher Wain, retranscrite dans la riche biographie de Kim Phuc par Denise Chong, est cinglante : 

Le monde entier a déjà vu que l’aviation sud-vietnamienne a bombardé son propre peuple, et la survie de Kim Phuc serait encore pire pour vous ? Et, saisissant un couteau : Tenez ! Pourquoi ne lui faites-vous pas une faveur ? Allez à son hôpital et tranchez lui la gorge immédiatement ! Après un long silence, le fonctionnaire finit par donner son accord. Grâce à Christopher Wain, la fillette a gagné le droit de survivre.

Transférée à la clinique Barsky, où elle bénéficie enfin de soins adaptés, Kim Phuc reste dans un état critique pendant une quarantaine de jours, subit 17 opérations et vit le supplice quotidien du nettoyage des plaies. Ce n’est qu’au bout de 14 mois qu’elle rentre chez elle. Sauvée, mais marquée à vie. Plus tard, elle rencontrera un autre bienfaiteur, le journaliste allemand Perry Kretz, qui obtiendra des autorités qu’elle se fasse opérer dans un hôpital d’Allemagne de l’Ouest pour tenter d’apaiser ces douleurs qui n’en finissent pas. 

Le gouvernement sud-vietnamien ne voulait pas s’offrir de mauvaise publicité avec le sort de l’infortunée Kim Phuc. À l’inverse, le régime communiste qui lui succède après la réunification du pays, en 1976, va vite prendre conscience de l’intérêt stratégique que représente la fille de la photo. Quel symbole plus frappant, plus célèbre de la brutalité de l’ennemi capitaliste ? Après plusieurs années dans l’anonymat, Kim Phuc, adolescente puis jeune femme, participe désormais à des films de propagande, enchaîne les interviews avec les journalistes du monde entier, voyage en URSS où l’attendent des festivals dédiés à l’anti-impérialisme. 

En 1986, Kim Phuc est envoyée dans le Cuba de Fidel Castro pour y poursuivre ses études de pharmacologie. Le temps d’un reportage, elle y retrouve un certain Nick Ut, désormais installé au États-Unis. Celui-ci dira, plus tard, avoir perçu à cet instant la mélancolie de l’ancienne fillette de Trang Bang.

C’est sur les bancs de la fac que Phuc rencontre son futur mari, Toan, un étudiant vietnamien. Avec lui, elle décide de s’évader. De fuir le régime de Hanoï qui exploite sa renommée en la manipulant à distance comme une marionnette. Les deux tourtereaux mettent leur plan à exécution en 1992, à l’occasion de… leur voyage de noces, organisé en Union soviétique. Alors que l’avion du retour vers La Havane fait escale à Gander, sur l’île de Terre-Neuve, le couple sort discrètement de l’appareil et entre sur le territoire canadien avec la bénédiction des autorités, qui accueillent les immigrés à bras ouvert.

Un nouveau chapitre s’ouvre dans la vie de la jeune femme, qui s’installe définitivement au Canada, devient mère de deux garçons, et ambassadrice de bonne volonté de l’Unesco pour la paix.

Ses activités caritatives l’amènent à croiser à plusieurs reprises des personnages de son histoire : ses bienfaiteurs Nick Ut, Christopher Wain, Perry Kretz… mais aussi un certain John Plummer, ancien capitaine de l’armée américaine au Vietnam, impliqué dans la chaîne de commandement qui a abouti au bombardement de son village. Je suis désolé, je suis désolé, lui confie-t-il, en larmes, lors d’une conférence. Mais le temps qui passe n’efface pas les blessures physiques, qui sont indélébiles. En 2015, après plus de quatre décennies de souffrance quotidienne, Kim Phuc est toujours incapable de lever correctement ce bras gauche si sévèrement meurtri par le napalm, et vit un martyr lors des changements de saison. Alors la Canadienne décide d’entamer une nouvelle bataille contre les brûlures en recevant un traitement au laser dans une clinique de Miami. À ses côtés, son mari Toan, et… Nick Ut, encore lui, qui réalise un reportage sur l’événement, 43 ans après photographié pour la première fois la petite blessée de la Route 1. De lui, Kim Phuc dit : Nick Ut, de son nom vietnamien Huynh Cong Ut, possède lui aussi un destin hors du commun. De prime abord, rien ne prédestine le jeune Vietnamien au photojournalisme. Le photographe de la famille, c’est son grand frère La, qui travaille pour Associated Press. Et puis, en 1965, La se fait tuer sur le front, et Nick prend sa suite. D’abord comme laborantin, puis comme photographe à part entière. 

Pas de nudité frontale ! Chez AP, à l’époque, cette interdiction n’est pas de celles qu’on outrepasse. Pourtant, le 8 juin 1972, quand Nick Ut revient dans la nuit avec le cliché déchirant de cette fillette anonyme brûlée par le napalm, le bureau de Saïgon décide tout de même de transmettre la photo au siège de l’agence américaine. Il faut dire que le chef de l’équipe n’est autre qu’Horst Faas ; avec son œil avisé, cette légende du photojournalisme mesure sans délais la puissance exceptionnelle de l’image prise par le jeune Ut.

Son flair ne l’a pas trompé. Non seulement l’image est acceptée au sommet de l’agence, mais elle fait le tour du monde à vitesse grand V et vaut bientôt à Nick Ut une flopée de récompenses, dont le prestigieux prix Pulitzer. À seulement 21 ans, le voilà auteur d’une image instantanément mythique. Mais celle-ci ne fera pas basculer l’Histoire à elle seule, comme le prétend parfois la légende : en 1972, un an avant le retrait des troupes, l’opinion publique américaine est déjà largement démoralisée par huit longues années de guerre, et le président Nixon a amorcé le départ du bourbier vietnamien.

En 1975, alors que les Nord-Vietnamiens fondent sur Saïgon, Associated Press évacue Nick Ut aux États-Unis. Une nouvelle vie, bien plus paisible, débute pour lui en Amérique. […].

L’Obs. 28 juillet 2016

En arrière-plan, des soldat sud-vietnamiens. À droite, le photographe de « Life » David Burnett, qui recharge son appareil (Nick Ut/AP/Sipa)

18 06 1972

Le Washington Post consacre sa Une à une histoire d’écoutes illégales dans les locaux du parti démocrate. Les Français auront toujours beaucoup de mal à comprendre comment une affaire aussi insignifiante et minable pourra, quelques mois plus tard amener la démission du président du pays le plus puissant du monde : c’est le scandale du Watergate.

Des micros dans les locaux du parti démocrate. Cinq personne prises sur le fait 

Alfred E. Lewis, journaliste au Washington Post.

Cinq hommes, dont l’un prétend être un ancien membre de la Central Intelligence Agency, ont été arrêtés hier à 2 h 30′ du matin au cours de ce que les autorités définissent comme un tentative soigneusement préparée d’espionnage dans les locaux du Comité national du parti démocrate à Washington.

Trois de ces hommes sont cubains de naissance, un autre aurait entraîné des exilés cubains à la guérilla après le débarquement de la baie des Cochons en 1961.

Ils ont été surpris en flagrant délit par trois inspecteurs en civil des services de police dans un bureau du sixième étage du luxueux immeuble du Watergate, au 2600 Virginia Avenue, étage entièrement occupé par le Comité national du parti démocrate.

On ignore encore la raison pour laquelle ces cinq suspects ont cherché à placer des micros dans les locaux du Comité national du parti démocrate, et s’ils ont agi à la demande d’autres individus ou organisation.

Un des deux Américains de naissance dira s’appeler Edward Martin, quand en fait se nommait James McCord, agent retraité de la CIA employé à plein temps par le CREEP, le Comité de réélection du Président. Dès lors on savait que le commanditaire était la Maison Blanche ; il ne restait plus qu’à remonter le fil jusqu’à la source.

4 07 1972                        

Jacques Chaban Delmas, premier ministre, n’entretient pas les meilleures relations du monde avec le président Georges Pompidou. Il sait d’ailleurs depuis quelques jours qu’il va être remercié le lendemain. Un de leurs sujets de discorde tient aux mesures  à prendre pour enrayer le fléau des accidents de la route : 18 034 morts pour cette année 1972 ! (ce chiffre comprenant les blessés graves morts dans les 30 jours qui suivent l’accident). Au début des années 50, on avait franchi la barre des 5 000 morts/an. À la fin, on en était à 8 000 ! Dans les années 60, on ajoute un millier de morts chaque année pour arriver à 15 000 morts en 1970. Pompidou fan de voiture et de vitesse [1], contrairement à ce que pourrait laisser penser sa personnalité, ne veut pas entendre parler de mesures pour brimer les automobilistes : Si les Français veulent se tuer, eh bien, qu’ils se tuent ! En 1979, 12 197 morts (chiffre comprenant les blessés décédés dans le 6 jours qui suivent l’accident). En 2011, 3 963 morts pour un trafic qui a été multiplié par 2,4.

À Matignon, Christian Gérondeau, jeune polytechnicien et ingénieur des Ponts, a proposé au début de l’année à Chaban la création d’une structure interministérielle avec un responsable unique pour coiffer les trop nombreux organismes qui s’occupent de Sécurité routière ; Chaban n’y a pas donné suite, sachant que Pompidou s’y opposerait, mais cette fois-ci il se dit : je n’ai plus rien à perdre et il crée un Comité interministériel pour la Sécurité Routière, et nomme Christian Gérondeau délégué général !

Et dans un premier temps, les deux principales mesures qui feront diminuer le nombre de morts seront la limitation de vitesse : finalement 90 sur routes, 120 sur autoroute, et l’instauration du permis à point, plus quelques mesures annexes comme l’obligation d’attacher la ceinture de sécurité. Puis près de 20 ans plus tard, les radars et le traitement administratif de ces infractions d’une redoutable efficacité.

Mais rien de tout cela, rien de cet extraordinaire combat contre une prétendue fatalité, n’aurait pu connaître le succès sans la réunion de plusieurs personnalités venant de différents horizons : pour la haute fonction publique, Christian Gérondeau, pour le politique, Jacques Chirac, qui, pour une fois, retourna sa veste du bon côté, et, plus tard, des parents de victimes : Geneviève Jurgensen, qui avait perdu ses deux filles dans un accident de voiture le 3 avril 1980 mettant en cause un chauffard ivre, et qui créera la Ligue contre la violence routière, et Christine Cellier qui la rejoindra quand sa fille Anne mourra le 17 septembre 1986 des suites de ses brûlures, trois mois après avoir été percutée par un chauffard en état d’ivresse. Ces femmes sauront faire bouger les lignes : elles feront basculer l’opinion – et ce n’est pas mince affaire – : les chauffards seront désormais considérés comme des criminels. Chacun d’entre nous doit mettre ces citoyens en son Panthéon personnel. Merci à eux de pouvoir traverser désormais un passage piéton sans se faire klaxonner, merci à eux d’être parvenu à faire entrer dans ces multitudes d’îlots que sont les voitures, véritables forteresse jusqu’alors d’égoïsme sacré, un minimum de courtoisie et de respect de l’autre : la vie du citoyen lambda en a été grandement améliorée.

07 1972                     

Les géants du cyclisme affrontent une montagne de légende : le Ventoux : C’est Bernard Thévenet qui va gagner en solitaire avec 32″ sur Eddy Merkcx, 38″ sur Luis Ocaña et 58  » sur Raymond Poulidor.

21 07 1972                 

Accord de libre échange entre la CEE et la Suède, Finlande, Islande, Autriche, Portugal, Suisse.

31 07 1972                      

Le vol 841 Delta Air Lines, un DC 8 comptant sept membres d’équipage, 94 passagers, assurant la liaison Détroit-Miami est détourné par trois hommes, deux femmes… et trois enfants, membres de la Black Liberation Army, qui avaient réussi à dissimuler un pistolet dans une Bible. Ils voulaient pouvoir offrir une meilleure vie à leurs enfants. Il n’y eut ni coup de feu, ni blessé, ni tué. L’avion atterrit à Miami, où 86 otages furent libérés en échange d’une rançon d’un million $, remise par un officier du FBI en slip ! L’avion repartit pour Boston où il fit le plein, puis Alger. Les autorités algériennes saisirent l’appareil et la rançon qu’ils rendirent à la compagnie aérienne. Les pirates furent relâchés au bout de quelques jours.

Quatre des cinq pirates, George Brown, Joyce Tillerson, Melvin McNair et Jean McNair, installés alors en France, seront arrêtés à Paris le 26 mai 1976, et jugés par un tribunal français après que la demande d’extradition américaine eut été rejetée. George Brown et Melvin McNair seront condamnés à cinq ans de prison et leurs épouses libérées. Ils vivront tous en France.

16 08 1972                      

Les chasseurs de l’Armée de l’air marocaine mitraillent en plein vol l’avion qui ramène le roi d’un voyage à l’étranger. Touché, le pilote parvient tout de même à se poser à Rabat. Dénoncé, le général  Oufkir se suicidera.

Stefano Mariottini habite Riace, un village de Calabre, 100 km à l’est de Reggio. Quand il n’exerce pas son métier de chimiste, il pratique la pêche sous-marine, et ce jour-là, à 200 mètres de la côte voit un bras dépasser du fonds sableux, à 8 mètres sous la surface. Il tire dessus : rien ne vient, tout est trop lourd, trop profondément enfoncé dans le sable. Il repère le lieu avec une petite bouée qu’il gonfle avec l’air de sa bouteille et qui reste au-dessus du bras, dix mètres plus haut : c’est ainsi plus facile à repérer et on ne risque pas de se faire piquer la découverte comme si on laissait la bouée remonter jusqu’en surface. Il reviendra avec le nécessaire pour emporter son butin : deux nus en bronze, hautes de près de 2 mètres : des guerriers grecs du V° siècle avant J.C. Emmenées à Reggio les deux sculptures connaîtront une première restauration, qui se poursuivra à Florence ; élaborées selon le principe de la cire perdue sur négatif, on enlèvera  l’argile restée collé au bronze à l’intérieur des statues, pour un poids de 240 kg. Quid de ces statues ? il est difficile de croire qu’elles aient coulé avec le bateau qui les transportait, car on ne retrouve aucune trace d’épave dans les parages ; il est possible qu’elle aient été jetées à l’eau pour alléger le navire qui les transportait, possible aussi qu’elle aient été enterrées à terre en un site qui aura par après été recouvert par la mer : en cet endroit, la côte a reculé de 500 mètres depuis l’antiquité et sur terre il  y avait un sanctuaire dédié à Saint Côme et Damien qui avait pris la place d’un temple consacré aux Dioscures. Ces bronzes sont au musée de Reggio de Calabre depuis 2011.

Bronzi di Riace, da 45 anni un tesoro che affascina studiosi e appassionati  di storia e cultura - Il Quotidiano del Sud

Department of Classics | 40 years of the Riace Bronzes

11 09 1972          

Clôture des JO de Munich, endeuillée par la prise d’otages meurtrière sur la délégation israélienne par un commando palestinien  Septembre Noir : 11 morts parmi les athlètes israéliens, 5 dans le commando palestinien et 1 dans la police allemande. Le CIO avait écarté la demande de participation aux Jeux émanant de l’OLP. Le Mossad et le Shin Bet seront tenus à l’écart des négociations par les autorités allemandes, beaucoup moins compétentes en matière de terrorisme que les unités israéliennes. Au moment d’un assaut possible, les véhicules blindés attendus attendaient dans un embouteillage de la circulation, à proximité de l’aéroport ! 

Les Allemands n’ont pas fait le moindre effort pour épargner des vies, ou pris le moindre risque pour secourir les victimes – ni les nôtres, ni les leurs. […] De la part des Allemands, c’est une honte insondable. Tout ce que voulaient les autorités, c’était mettre cette affaire de côté et pouvoir assurer le bon déroulement des Jeux.

Zvi Zamir, directeur du Mossad

Les cerveaux de l’affaire : Ali Salamé, fils d’Hassan Salamé, héros de la première révolte palestinienne en 1936, mort en 1948 à la bataille de Ras el-Ein, et Mohammed Daoud Odeh, simplifié en Abou Daoud. Le Mossad arrachera à Golda Meïr l’ordre de liquider les leaders de Septembre Noir : ils seront tous éliminés… Hassan Salamé deviendra chef des renseignements de Yasser Arafat, négociant en secret avec les Américains en 1974 la reconnaissance des droits Palestiniens contre la sauvegarde de leurs intérêts au Moyen Orient, mourra le 22 janvier 1979 dans l’explosion de sa voiture à Beyrouth. Mais Abou Daoud échappera à plusieurs tentatives d’assassinat et mourra dans son lit, à Damas le 3 juillet 2010, à 73 ans.

         25 09 1972                 

Par référendum, la Norvège refuse d’entrer dans la CEE.

         5 10 1972               

Par référendum : 56,7 % – le Danemark demande à entrer dans la CEE.

     28 10 1972          

Vol inaugural du 1° Airbus A 300 B : le programme Airbus a été mis en route en  1969 : La France et l’Allemagne y participent chacune pour 37,5 %, l’Angleterre pour 20 % et l’Espagne, 5 %.

               10 1972                     

Au Chili, fragilisé par la grève des patrons – camionneurs, petits commerçants, ingénieurs, entrepreneurs, professions libérales, effrayés par l’accélération des mesures d’Étatisation décrétées par le gouvernement -, Salvador Allende fait entrer au gouvernement plusieurs militaires, dont le général Carlos Prats, commandant en chef des forces armées, son ami personnel. Dans un pays qui s’étire du nord au sud sur 4 300 km pour une moyenne de 180 km d’est en ouest, trois semaines d’obstruction de la route suffisent à le mettre à genoux.

8 11 1972

Marie-Claire Chevalier, violée à 16 ans par un élève de son lycée, a voulu se faire avorter. Elle est l’accusée du procès de Bobigny. Michèle sa mère, employée à la RATP, élève seule ses trois filles, le père étant parti sans laisser d’adresse, après avoir refusé de reconnaître ses filles. Elles sont allé voir un médecin … qui demandait 4500 F, …hors de portée d’une employée de la RATP. Elle se dirigent alors vers les faiseuses d’ange… il faut encore payer – 1200 F – et au troisième essai, accident : hémorragie… hôpital et là encore 1 200 F, payées avec des chèques en bois. Quelques semaines plus tard, le violeur se fait arrêter pour vol de voiture… et en profite pour dénoncer Marie-Claire et sa mère pour avortement illégal, et la police inculpe Marie-Claire, Michèle et trois complices. Dans une bibliothèque, Michèle trouve les coordonnées de Gisèle Halimi, qui accepte de la défendre et c’est le procès de Bobigny.

C’est l’un des héros méconnus du procès de Bobigny. L’un de ses grands témoins dont la déposition, le 8 novembre 1972, a eu un impact considérable et fait – peut-être – basculer l’opinion du tribunal vers un jugement historique de clémence à l’égard de quatre femmes mises en cause dans un avortement. Un humaniste d’exception, dira l’avocate Gisèle Halimi, qui savait ce qu’il en avait coûté à ce professeur de médecine, catholique fervent, profondément hostile à l’avortement, de venir témoigner dans ce procès destiné à torpiller la loi de 1920 interdisant l’interruption de grossesse. Un chevalier, se souvient Bernard Kouchner, impérial et fraternel, sincère et terriblement humain. Il savait qu’il paierait très cher son engagement à Bobigny. Mais comme toujours, il a choisi le courage. Et nous autres, jeunes médecins, nous lui vouions une admiration sans bornes. Robert Badinter en garde lui aussi un souvenir vibrant : Milliez ! dit-il. Cet homme sans peur, toujours au service des justes causes ! C’était un chrétien de gauche qui savait combien l’humanité est à la fois souffrante et souffrance. Je le ressens comme frère d’esprit. 

C’est le professeur Jacques Monod qui avait conseillé à Me Halimi de contacter Paul Milliez. Révolté par l’histoire de Marie-Claire Chevalier, violée à 16 ans et dénoncée par son violeur à la police pour s’être fait avorter, le Prix Nobel de physiologie et de médecine avait en effet décidé de soutenir l’avocate dans sa volonté d’entreprendre, à partir de cette affaire, le grand procès de l’avortement. Un procès qui n’aurait pas comme seul but de défendre les inculpées (la jeune fille, sa mère et trois complices de l’avortement), mais viserait à secouer la société tout entière, provoquer des débats, ébranler les consciences, briser le tabou de l’avortement et dénoncer la législation en vigueur. Un procès qui obligerait les pouvoirs publics à regarder en face un phénomène qui concernait chaque année près d’un million de Françaises et faisait de nombreuses victimes. Un procès qui pointerait l’hypocrisie d’un système dans lequel les plus riches s’en sortaient sans problème, au prix de voyages à l’étranger ou de séjours en clinique privée, tandis que les plus pauvres, soumises aux faiseuses d’anges, risquaient leur vie et affrontaient les tourments de la justice. Bref, il fallait un procès politique. Le mot ne faisait pas peur à Gisèle Halimi. Le droit était son instrument, l’insoumission sa marque de fabrique, et son métier d’avocate un levier pour changer le monde.

La règle de base d’un procès politique était claire : il fallait dépasser les faits eux-mêmes, passer par-dessus la tête des juges pour s’adresser à l’opinion publique et la prendre à témoin. La législation était injuste, dépassée, inapplicable, inappliquée : Il fallait la changer. En conséquence, les accusées ne devaient pas nier les faits, ne pas demander pardon, ne pas réclamer l’indulgence. D’accusées, elles se feraient accusatrices de la loi et de tout un système. Et autour d’elles, de grands témoins, hommes et femmes à la stature morale irréprochable, interviendraient pour resituer le sujet sur différents plans : médical, scientifique, sociologique, politique, philosophique. L’audience deviendrait tribune. Gisèle Halimi avait conçu un plan de bataille.

Dans sa manche, il y avait bien sûr plusieurs de ses amies féministes, adhérentes de l’association Choisir, et signataires un an plus tôt du  Manifeste des 343 paru dans Le Nouvel Observateur, où elles déclaraient publiquement avoir eu recours à l’avortement : Simone de Beauvoir bien sûr, statue du commandeur ; la journaliste Claude Servan-Schreiber ; et puis les actrices Delphine Seyrig et Françoise Fabian, volontaires pour raconter leur propre avortement. Il y avait aussi des politiques : Michel Rocard, fondateur du Parti socialiste unifié, et le gaulliste de gauche Louis Vallon. Des scientifiques devaient jouer un rôle majeur : le biologiste Jean Rostand, les deux Prix Nobel de médecine Jacques Monod et François Jacob. Et puis Simone Iff, la présidente du Planning familial. Mais il manquait une grande conscience, proche de l’Église catholique, dont l’influence était encore majeure dans la France des années 1970. C’était bien sûr une gageure, tant l’Église et l’épiscopat n’avaient cessé de répéter leur opposition radicale à l’avortement. Mais l’avocate s’est mis en tête de rallier le professeur Milliez, doyen de la faculté de médecine Broussais-Hôtel-Dieu, résistant de la première heure, connu pour son sens de l’éthique et ses engagements humanitaires, mais aussi pour sa foi chrétienne qui lui avait fait, un temps, songer à la prêtrise. Ce serait, si l’on ose dire, sa plus belle prise.

Alors un soir de la fin de l’été 1972, elle sonne au domicile du professeur Milliez, dans le 8°arrondissement de Paris. Il la reçoit avec courtoisie, regard fiévreux, silhouette de cathédrale. Elle lui explique l’affaire Marie-Claire Chevalier, ce cas flagrant d’injustice, de maltraitance, de discrimination sociale. Elle raconte la détresse de la mère, une femme remarquable d’honnêteté et de dignité, employée de la RATP, qui élève seule ses trois filles qu’un père a abandonnées sans prendre le temps de les reconnaître. Elle parle de la solidarité qui, dans ce milieu si modeste, a conduit des collègues du métro à chercher une adresse pour soulager la lycéenne qui refusait à tout prix cette grossesse contrainte. Elle évoque l’avortement raté et le chèque sans provision déposé par la mère angoissée à l’entrée d’une clinique privée chargée de rattraper les dégâts causés par l’avorteuse et sauver la vie de Marie-Claire. Elle décrit enfin la descente des policiers, au petit matin, dans l’appartement HLM des Chevalier, pour embarquer la mère et la fille dénoncées par le violeur…

Paul Milliez, alors âgé de 60 ans, écoute avec gravité, ses longues mains croisées sous le menton. Mais il tient à être clair vis-à-vis de l’avocate : il est viscéralement contre l’avortement, crime absolu, crime odieux. Il le dit. Il le martèle. Elle l’entend et se lève. Dans ces conditions, je ne peux pas vous demander de venir témoigner…Elle saisit son cartable, attrape son manteau et se dirige déjà vers la porte. Le professeur est debout, comme désemparé. Je pourrais écrire une lettre au tribunal…, dit-il, presque à lui-même. Son visage, racontera l’avocate, trahit une lutte intérieure. Une tension entre ses convictions religieuses, sa détestation de l’injustice et sa compassion naturelle pour les femmes en détresse. Au moment où elle ouvre la porte et se dirige vers l’ascenseur, il la rattrape : Restez ! Cette affaire est injuste, insupportable. Je ne peux l’ignorer. Je ne peux pas me dérober. J’irai témoigner à Bobigny. 

La fille aînée de Paul Milliez assiste par hasard à la scène. Jeune médecin de 34 ans, mère de famille, Françoise Guize-Milliez est passée ce soir-là embrasser ses parents, qui sont ses voisins. Elle connaît bien son père. Elle lit sur son visage. Il saisit à la fois le tourment, la détermination et la révolte. Elle se doute qu’il s’agit d’un moment crucial. C’était à la fois spectaculaire et émouvant, se souvient-elle. Mon père ne s’engageait jamais légèrement. Il se doutait que sa décision était de nature à bouleverser sa vie. Mais je pense qu’il ne savait pas à quel point

Le médecin invite l’avocate à revenir dans son bureau. Elle le regarde, étonnée et reconnaissante, mais ne veut pas qu’il y ait entre eux le moindre malentendu. Professeur, je vous demanderai publiquement à la barre : « Si Marie-Claire était venue vous consulter, qu’auriez-vous fait ?”Il la fixe dans les yeux : Je l’aurais avortée. Elle insiste : Je vous demanderai aussi : “Si votre fille, à 17 ans, était venue vous dire qu’elle était enceinte.” Il ne baisse pas le regard : J’aurais essayé de la convaincre de mener sa grossesse à terme. Si elle avait refusé, je l’aurais fait avorter. C’est ainsi, dira Gisèle Halimi, que Paul Milliez est devenu mon témoin capital. Elle savait qu’en dépit de multiples pressions il ne se dégonflerait pas.

Le 22 novembre 1972, à l'issue du procès de Bobigny, Gisèle Halimi (à gauche), avocate de la jeune Marie-Claire Chevalier (au 1er plan) accompagnée de sa mère (derrière elle), parle aux journalistes. Le verdict de ce procès, à savoir la relaxe de la jeune fille et de 3 autres femmes qui se sont faites avorter, est l'acte déclencheur du processus qui conduit au droit à l'avortement en 1974 en France.

Le 22 novembre 1972, à l’issue du procès de Bobigny, Gisèle Halimi (à gauche), avocate de la jeune Marie-Claire Chevalier (au 1er plan) accompagnée de sa mère (derrière elle), parle aux journalistes. Le verdict de ce procès, à savoir la relaxe de la jeune fille et de 3 autres femmes qui se sont faites avorter, est l’acte déclencheur du processus qui conduit au droit à l’avortement en 1974 en France. KEYSTONE-FRANCE / KEYSTONE-FRANCE

Le jour J, ce 8 novembre 1972, il est donc là. À Bobigny. Les abords du tribunal correctionnel ont été pris d’assaut par des groupes de militantes du Mouvement de libération des femmes et de Choisir qui manifestent bruyamment leur soutien aux quatre accusées, galvanisées par la relaxe de Marie-Claire, obtenue trois semaines plus tôt au tribunal pour enfants. Une victoire éclatante pour Gisèle Halimi qui sait cependant que la bataille la plus importante reste à livrer. Car ce jour, c’est la mère de Marie-Claire et ses trois complices qui vont être jugées. Et la compassion dont avait fait preuve le premier tribunal ne sera plus à l’ordre du jour.

Le professeur Milliez est appelé, après Michel Rocard, à la barre des témoins. Et d’emblée, sans même qu’on lui pose la question, il affirme, d’une voix ferme, qu’il aurait aidé Madame Chevalier, si elle était venue le consulter, et qu’il aurait fait son devoir, comme il l’a toujours fait lorsqu’il s’est trouvé confronté à des cas dramatiques similaires. Il va même plus loin en confiant avoir personnellement réalisé un avortement, à l’âge de 19 ans, alors qu’il était externe à l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne. La femme – une mère de quatre enfants abandonnée par son mari – était arrivée exsangue à l’hôpital après une tentative d’avortement ratée.

Cela n’est pas faire acte d’avortement, c’est réparer les conséquences, avance le président du tribunal. Non, rétorque Milliez. Si je n’étais pas intervenu, sa grossesse se serait poursuivie. Je ne peux pas vous dire que j’ai fait cela sans troubles de conscience. J’étais alors catholique pratiquant. Mais j’ai considéré que mon devoir était d’aider cette femme dans la situation difficile où elle se trouvait. Dans un livre d’entretiens écrit avec Igor Barrère en 1980 (Médecin de la liberté, Seuil), le professeur reviendra sur le cas de cette ouvrière désespérée qui avait introduit des queues de persil dans son vagin, espérant atteindre l’utérus, mais n’avait nullement enrayé sa grossesse. Si vous ne l’avortez pas, savez-vous ce qu’elle va faire ?, lui avait dit alors son infirmière. Elle n’a plus qu’à aller se jeter dans la Seine. Enceinte, elle va perdre son emploi, n’aura aucun moyen de subsistance, ne pourra plus nourrir ses quatre petits… La situation avait paru insoluble au jeune externe qui l’avait donc avortée.

Depuis, continue le professeur à la barre des témoins, j’ai favorisé un certain nombre d’avortements, pas seulement thérapeutiques mais aussi sociaux. Cela concerne notamment les filles violées qu’il choisit d’aider systématiquement (comme les nombreuses victimes d’inceste, des gamines enceintes de leur père, précisera-t-il plus tard à Igor Barrère). Mais aussi d’autres femmes en situation de détresse financière. Car l’injustice sociale le révulse. Il n’est pas d’exemple qu’une Française riche ne puisse se faire avorter, soit très simplement en France, soit à l’étranger. On a toujours assez d’argent dans ces cas-là pour un avortement fait dans de bonnes conditions. Les femmes pauvres, je ne les voyais qu’une fois qu’elles avaient fait leur tentative d’avortement. Mais quelle tentative et dans quelles conditions ! J’ai vu mourir des dizaines de femmes après des avortements clandestins. Et le médecin de raconter, avec colère, la situation avant-guerre d’une de ces ouvrières de chez Renault qui donnait deux mois de salaire à un médecin marron pour faire commencer l’avortement que je terminais douloureusement, à l’hôpital, sans anesthésie, parce que mon patron chirurgien, bien que socialiste très mondain, jugeait qu’il fallait que la femme s’en souvienne.

Le président lui demande alors ce qu’il pense des avorteuses professionnelles. Paul Milliez répond qu’il désapprouve celles qui en tirent profit mais que les médecins français devraient comprendre qu’ils ont précisément là un devoir à remplir. Et il va plus loin dans la confidence : lui, médecin foncièrement hostile par principe à l’avortement, a prodigué pendant des années ses conseils aux avorteurs. Comme je voyais mourir à Broussais des femmes avortées par des gens qui n’étaient pas qualifiés, j’ai bien été obligé de faire de l’enseignement ! J’ai répété à mes infirmiers, à mes étudiants, pendant des mois, qu’on n’avait pas le droit de faire un avortement sans faire de la pénicilline parce qu’une femme qui est avortée sans antiseptique a de grands risques de faire un accident. Faire preuve de pragmatisme, affronter la réalité, tendre la main aux femmes… et se résoudre à l’avortement quand il n’y a pas d’autre possibilité.

La solution, dit-il, est indiscutablement la contraception. Il faut permettre aux femmes qui ne veulent pas d’enfants de ne pas attendre d’enfants. C’est à la femme de choisir. Ce n’est pas à nous d’imposer nos conceptions d’hommes, et d’hommes riches. Quant à la loi de 1920, inique, mal faite, elle devrait d’urgence être changée. Il faut que les femmes puissent avoir recours à la contraception et que, dans certains cas, elles puissent se faire avorter. Voilà la position du chrétien que je suis. 

Le professeur était donc allé bien au-delà de ce que pouvait espérer l’avocate. Elle posera pourtant les questions qu’elle lui avait annoncées le soir de leur première entrevue. Et aux deux, il répondra positivement, avouant toutefois son déplaisir à comparaître dans ce procès – Ne croyez pas, Maître Halimi, que cette déposition ne me coûte pas, elle me coûte lourdement » – en même temps qu’un sentiment de devoir à l’égard de Marie-Claire. Si ma femme avait été veuve, sans argent, avec des enfants, je suis sûr qu’elle aurait pris la même attitude que Madame Chevalier. Elle aurait fait avorter sa fille de 16 ans et elle aurait eu raison

Voilà. Un grand catho élevé chez les jésuites, père de six enfants, avait exposé la caducité d’une législation répressive totalement déconnectée de la réalité. Il avait confié ses tourments et scrupules en décrivant avec justesse l’hypocrisie d’un système mortifère. Une déferlante allait s’abattre sur sa tête.

D’abord, il fut convoqué par le ministre de la santé, Jean Foyer, en présence du président du conseil national de l’ordre des médecins. Le ministre, lui-même très catholique, tenait à lui exprimer sa désapprobation à l’égard des propos tenus à Bobigny. Milliez s’est cabré : comment accepter l’injustice ? Comment se satisfaire d’une situation dans laquelle les femmes pauvres restent démunies et traquées, quand les femmes riches peuvent avorter sans risques dans des pays voisins ? Ce n’est pas une raison pour que le vice des riches devienne le vice des pauvres, rétorqua Jean Foyer. Dès le lendemain, le conseil de l’ordre des médecins infligeait un blâme public au professeur qui en fut stupéfait – aucune procédure habituelle n’avait été respectée – et atteint.

Il ne regrettait rien, bien sûr, affirme sa fille Françoise. Il avait agi en son âme et conscience. Et nous, sa famille, adhérions à son éthique et le soutenions avec admiration. Oui, j’avais ressenti un certain choc en entendant qu’il aurait fait avorter sa propre fille si elle avait connu la détresse d’une grossesse non voulue. C’était… si étonnant cet aveu dans un tribunal ! Si personnel ! Mais justement. Cela prouvait son amour et sa profonde sincérité.  
Jacques Milliez, son fils, né en 1943, avait passé l’oral de l’internat de médecine en 1967 en planchant sur la question : Complications des avortements criminels. Un sujet auquel il avait lui aussi été confronté, très tôt, en voyant débarquer aux urgences de l’hôpital des femmes sauvagement avortées. Lui-même, gynécologue, dit avoir pratiqué des avortements clandestins, dans les années 1970, lors de ses nuits et week-ends de garde, en liaison avec le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception. Tous les copains le faisaient, dit-il. Notre obsession était moins la liberté des femmes à disposer de leur corps que l’urgence de réduire la mortalité maternelle et les séquelles abominables d’avortements clandestins. 

Des discussions avec son père ? Non, il ne s’en souvient pas. Il avait quitté le nid familial et plongé avec fougue dans son métier. Mais des répercussions de Bobigny, oui ! De la hargne de grands patrons jaloux et hypocrites qui envoyaient leurs maîtresses avorter en Suisse mais reprochaient à Milliez sa compassion pour les femmes pauvres. De la réaction outrée des milieux bourgeois, ultraconservateurs et bien-pensants, qui tournèrent le dos à Milliez, forcément influencé, selon eux, par ses amis communistes (depuis la Résistance) et gauchistes. Et de la rancœur d’une partie de l’Église qui ne pardonnait pas au professeur son éloignement du dogme et cette phrase, prononcée dans un entretien au Monde, trois semaines après Bobigny : Je ne vois pas pourquoi nous, catholiques, imposerions notre morale à l’ensemble des Français

Un jour où je remontais les Champs-Elysées pour aller au cinéma avec mon mari, se rappelle Françoise Guize-Milliez, la manchette d’un journal populaire affichée sur un kiosque m’a horrifiée : “Le professeur Milliez avoue avoir fait 1 000 avortements.C’était dingue. Tout et n’importe quoi était décidément colporté. Ma grand-mère, qui vivait alors dans une pension de famille à Neuilly, retrouvait sous sa porte des messages accusant son fils d’être un assassin. Cela a plongé mon père dans un grand désarroi. En 1973, l’Académie de médecine lui refusa une place à laquelle il pouvait naturellement prétendre. En 1974, il reçut un nouveau blâme du conseil de l’ordre sous un prétexte fallacieux, suscitant la réaction indignée de médecins anciens résistants qui dénoncèrent une machination destinée à faire taire ou abattre un médecin de réputation mondiale, homme de cœur, de progrès et de courage.

Pendant ce temps, des Françaises de tous âges et de toutes conditions, alertées par le tumulte autour de Bobigny, se tournaient vers le professeur pour avoir de l’aide. Des centaines de lettres lui parvinrent à l’hôpital Broussais ou à son domicile, qui étaient autant d’appels au secours. Il répondait comme il pouvait, conseillait, rassurait. Il adressait telle patiente enceinte à un gynécologue de ses connaissances, fixait en urgence un rendez-vous à telle autre qu’il pressentait en grand danger. Ces lettres qu’il a remises un jour à Gisèle Halimi, conscient de leur intérêt historique, et qui sont, pour certaines, publiées sur le site de Choisir, dressent le tableau d’une époque où l’éducation sexuelle et la contraception n’existaient pas, ou peu ; où les femmes pauvres souffraient d’un grand isolement et d’un manque quasi total d’information ; et où l’annonce d’une grossesse non désirée suscitait panique et désespoir.

22 novembre 1972

Monsieur,

Je m’excuse de vous déranger, mais peut-être êtes-vous mon salut, mon seul refuge, de vous dépend ma vie. Voici : je suis enceinte et ne veux absolument pas de cet enfant, en ayant déjà cinq et un mari malade du cœur. J’ai fait tout ce que je pouvais pour faire une fausse couche mais rien n’y fait. J’ai donc pris une assurance-vie et ainsi, je pourrai me suicider sans laisser mon mari et mes enfants dans le besoin du moins dans l’immédiat car n’étant pas riche, je n’ai pu prendre une assurance-vie de plus de 3 200 000, j’écris en anciens francs. Mais ce qui m’ennuie le plus dans ce projet, c’est mon petit garçon de 3 ans. Il est toujours derrière moi et dès qu’il ne me voit plus, il m’appelle et me cherche partout (…) Aussi, je vous demanderai si vous pouvez quelque chose pour moi SVP, ou si vous ne pouvez pas, ce que je comprends très bien à cause de la loi, pouvez-vous me donner l’adresse et le montant d’une clinique en Angleterre SVP. Je vous en prie, Professeur, essayez. Seulement je vous demanderais de me répondre vite SVP, car la 24° semaine se termine le 10 décembre. (…)

Réponse du professeur

Madame,

Venez me voir le plus rapidement possible, dès samedi matin 2 décembre, si ma lettre vous arrive à temps. Avec mes sentiments dévoués.

26 novembre 1972

Docteur,

J’ai 21 ans et je suis enceinte de cinq mois et demi, je travaille dans la ferme avec mes parents. Je viens vous demander de me faire avorter, je ne voudrais pas avoir des inconvénients avec ma santé plus tard. (…) S’il vous plaît, merci de me dire le nombre de jours d’hospitalisation et le prix que je dois verser. Ou alors s’il y a un médicament à prendre pour provoquer une fausse couche. (…)

Réponse du professeur

Mademoiselle,

Il n’est pas question, à cinq mois et demi, de vous faire avorter. Ce serait folie. On risquerait de vous tuer et de tuer un enfant vivant. Réfléchissez à ce crime. Je suis naturellement prêt à vous voir dans mon bureau à l’hôpital Broussais. Avec mes sentiments dévoués.

29 novembre 1972

Docteur,

Je viens par ce petit mot vous faire part de mon problème. Voilà, je suis enceinte de trois semaines. J’ai déjà trois garçons et je n’ai que 25 ans. Je ne voudrais pas le garder, car trois, j’estime que j’en ai assez. Mon mari ne le sait pas. Je viens voir si vous pourriez pas m’avorter. Dites-moi combien vous prenez, car, vous savez, je ne suis pas bien riche. (…)

Réponse du professeur

Madame,

Je ne suis pas un avorteur, et je n’ai pas coutume de faire payer des malades qui sont dans une situation modeste. Il faut vous adresser à (…).

Recevez, Madame, l’expression de mes respectueux hommages

8 mars 1973

Professeur,

Je vous écris car j’ai lu un de vos articles dans Détective sur l’avortement et je suis de ce cas-là. Je suis fille mère, j’ai déjà deux petites filles de 4 et 2 ans. Je ne veux pas du troisième que je porte. Je suis enceinte de deux mois et demi. Professeur, pouvez-vous faire quelque chose pour moi ? Car je suis bien embêtée, je travaille en usine, mais je n’arrive pas assez à gagner ma vie pour moi et mes deux gosses. Pouvez-vous me répondre, Professeur, ou me donner un RDV ? Pouvez-vous me le faire passer ? (…)

Réponse du professeur

Mademoiselle,

Il faut que je vous voie le plus vite possible. Venez le samedi matin 17 mars à 8 h 45 à mon bureau de l’hôpital Broussais. Avec mes sentiments dévoués.

En décembre 1974, Paul Milliez fut victime d’un accident opératoire qui le plongea dans le coma. Soigné avec ferveur par ses élèves, il revint à lui mais dut lutter plusieurs années pour retrouver l’usage total de son corps, ce qui ne l’empêcha pas de continuer ses consultations à Broussais, de poursuivre ses recherches en demeurant l’un des plus grands spécialistes de l’hypertension artérielle, d’être appelé en consultation auprès de nombreux chefs d’Etat étrangers, de dénoncer aux côtés des étudiants et des infirmières la misère des hôpitaux, de défendre la fonction sociale du médecin-citoyen et de mener une multitude de combats dans de nombreux pays du monde, fidèle notamment à la Palestine et au Liban. Quand il s’est éteint, en 1994, à l’âge de 82 ans, Le Monde publia un long article d’hommage intitulé Le courage du Croisé. C’est l’image qu’en gardait Gisèle Halimi, à jamais reconnaissante à ce médecin ardent de son intervention décisive à Bobigny.

Annick Cojean Le Monde du 8 novembre 2022

12 / 13 11 1972

Le musée de Bagnols sur Cèze, dans le Gard, a la poisse : 

  • Cette nuit là, des cambrioleurs ont pénétré dans le bâtiment de la Mairie, par le toit, – le musée Albert André est au 1° étage de la Mairie – ont sorti de leur cadre 14 toiles, dont deux Renoir, un Monet, un Cézanne, un Dufy, deux Bonnard, un Pissaro… et un Renoir dans son cadre. Manque de pot, les tableaux ne sont pas assurés ! on estime leur valeur totale à 5 millions de Francs. Un mois plus tôt, le conseil municipal avait voté l’installation d’un système de sécurité…, ce qui pourrait avoir mis la puce à l’oreille des cambrioleurs. L’enquête n’aboutira jamais.
  • Le 13 mars 1961, un visiteur du Musée, prend le temps de découper  Jeunes femmes à la campagne, un Renoir de 1916 et repart en cachant le tableau sous sa veste. On ne le retrouvera jamais.
  • Le I° mars 2006 ont lieu les obsèques de Jacqueline Bret-André, fille adoptive et unique du peintre réaliste Albert André. Des cambrioleurs s’introduisent dans sa maison et y dérobent dix-neuf tableaux. La police en retrouvera deux.

                  23 11 1972                

Quatrième et dernier essai du lanceur russe lourd N1 : une poussée de  2 200 tonnes permettant de placer en orbite basse une charge utile de 72 tonnes : des performances analogues à celles du Saturne V américain. Mais pour le russe, autant d’essais, autant d’échecs. Le premier a eu lieu de 21 février 1969, le second le 3 juillet 1969, et le troisième le 26 juin 1971. Le lanceur N1 était constitué de quatre étages, fonctionnant au kérosène et oxygène liquide. Les rivalités, mésententes entre les concepteurs, Korolev, Vladimir Tchelomeï, Mikhaïl Yanguel, et Nikolaï Kouznetsov, le motoriste, additionnées aux indécisions des décideurs du kremlin pesèrent lourd dans ces échecs à répétition. L’existence du lanceur N1 ne sera révélée qu’avec la glasnost de Gorbatchev.

Cependant, la raison profonde de l’échec soviétique dans la course à la Lune est à chercher du côté de l’organisation. Au début des années 1960côté Américain, certains se disent que les plans quinquennaux soviétiques ont du bon, et on met sur pied un plan décennal pour Apollo, on réactive la grosse machine de guerre sous l’égide de la NASALe système russe, lui, n’a pas de structure capable d’exercer un leadership unique. Il n’a pas créé d’agence et fonctionne avec des concurrences internes et plusieurs grands bureaux d’étude, les OKB. 

Les trois principaux OKB dans le secteur spatial sont dirigés par Sergueï Korolev, Vladimir Tchelomeï, père de la fusée Proton, lanceur lourd qui est toujours en activité aujourd’hui et Mikhaïl Yanguel, spécialiste de missiles intercontinentaux. Khrouchtchev était un paysan dont la philosophie se résumait ainsi : on ne met pas tous ses œufs dans le même panier.

Au point que deux programmes lunaires différents vont être développés en parallèle ! Celui de Korolev, qui, avec la fusée N-1 et le vaisseau Soyouz, veut se poser sur la Lune. Et celui de Tchelomeï, dont l’ambition, moins grande, consiste à se mettre en orbite autour de notre satellite naturel. Quand Sergueï Afanassiev est nommé en 1965 à la tête du tout nouveau ministère des machines générales pour essayer de coordonner tout le monde, il n’y parvient pasIl y a plus d’une centaine de structures différentes, et le puzzle n’est plus réconciliable. 

Pierre Barthélémy. Le Monde du 16 07 2019

14 12 1972                    

Dernière mission Apollo 17 vers la lune : la moisson sera de 249 livres de roches lunaires de la vallée  de Taurus-Littrow. L’équipage est composé de Harrison Schmitt, Ronald Evans et Gene Cernan, qui est le dernier homme à avoir marché sur la  lune, jusqu’à ce jour. On l’entendit alors pousser un long soupir de soulagement : Mon Dieu il était bien temps… au train où vont ces gens, ils auraient été capables de me ramener sur terre en pièces détachées ! Les trois dernières missions prévues au programme, Apollo-18, 19 et 20, sont annulées.

La stratégie de Kennedy consistait à montrer que les Russes se casseraient les dents sur la Lune. La preuve était faite et le succès total. Cela ne servait à rien de continuer. 

 Francis Rocard CNES

Le coût de la sécurité des hommes est tel qu’il est 10 fois plus cher d’envoyer des êtres humains que d’envoyer du matériel.

Jean-Yves Le Gall

18 12 1972                       

Neilia Hunter Biden, 30 ans, épouse de Joe Biden va acheter un sapin de Noël avec ses trois enfants, Hunter, Beau et Naomi à Wilmington, dans le Delaware, États-Unis. Un camion leur refuse la priorité. Neilia et Naomi, 1 an, meurent. Hunter et Beau sont grièvement blessés. Beau mourra d’une tumeur au cerveau en 2015. Joe Biden se remariera avec Jill Tracy Jacob en 1977, qui deviendra donc première dame le 20 janvier 2021.

22 12 1972                  

Au Chili – Sud Est de Santiago – les 16 survivants d’un accident d’avion dans la Cordillère des Andes datant du 13 octobre sont retrouvés. 8 sont morts lors de l’accident, 12 dans une avalanche, et les survivants, ayant appris par la radio que les recherches étaient abandonnées, n’ont pu se maintenir en vie qu’en se nourrissant de chair humaine. Mais ne pensez pas à mal : le Chili con carne existait déjà, et l’anthropophagie n’a jamais cessé d’exister sur notre terre.

Les passagers ensevelis sous la neige

Trois films sortiront : en 1976, Survivre, de René Cardona, en 1993, Les Survivants, de Frank Marshallet, et Le Cercle des neiges (La sociedad de la nieve) chez Netflix en janvier 2024.

29 12 1972                    

Un avion – Lockheed Tristar L 1011 – de la compagnie Eastern Airlines qui effectue le vol New York Miami se présente pour l’atterrissage à Miami. Il reçoit de la tour de contrôle le message : Turn left, right now. – tournez- à gauche, immédiatement – . Probablement le pilote n’a-t-il pas bien entendu la première partie de la phrase, toujours est-il qu’il tourne à droite, et c’est la catastrophe : il s’écrase dans les Everglades, immense zone de marais : sur les 176 passagers/équipage, il y aura 101 morts. Les informations glanées sur Internet parlent toutes d’étranges apparitions de fantômes du pilote et du co-pilote dans les mois qui suivirent l’accident. Accident qui aurait été dû au manque de vigilance des pilotes quant à l’altitude de l’avion, qui descendait quand ils pensaient qu’il restait à altitude constante : leur attention aurait été détournée par des problèmes techniques dus à une simple ampoule cassée, témoin de la sortie du train d’atterrissage ! On ne trouve absolument aucune information qui reprenne de près ou de loin ce que dit le linguiste Claude Hagège, qui cite ce dramatique exemple pour illustrer le flou de la langue anglaise dans certaines circonstances [Express d’avril 2012].

Mais le flou existe partout, y compris dans le français : Jacques Perrin en fait une scène de l’un de ses films sur la guerre d’Algérie : un lieutenant attend dans la vallée le compte-rendu d’une opération de ratissage effectuée par ses hommes sur un plateau en hauteur ; du haut, le caporal demande une consigne quant au sort du prisonnier qu’il a fait : Descends-le, s’entend-il répondre. Le caporal comprend qu’il doit le tuer, quand le lieutenant demandait seulement qu’il l’emmène avec lui dans la vallée. Abasourdi, il fait répéter l’ordre, et le lieutenant, qui n’a pas compris qu’il pouvait y avoir un malentendu, répète l’ordre. Ce n’est qu’en entendant le coup de feu qui tue le prisonnier qu’il réalise le drame.

1972                           

Anne Chopinet est la 1° femme admise à Polytechnique. Joseph Borne, né Bornstein, 48 ans se suicide. Il avait toujours refusé de parler de sa déportation. Pendant la guerre, son frère ainé, Léon, resté à Toulouse avait été déporté en 1943. Arrêté avec son père et ses deux autres frères le 24 décembre 1943, il était arrivé le 20 janvier 1944 à Auschwitz, avait été muté avec son frère Isaac dans le kommando de Buna ; Zélig, son père et Albert son frère avaient été gazés à Auschwitz ; envoyé à Buchenwald à l’approche des Alliés, il avait été libéré le 11 avril 1945 : il laisse une petite fille de 11 ans, Elisabeth qui deviendra première ministre en 2022, sous Emmanuel Macron. 

L’article qui suit sera publié dans le Monde du 7 juin 2018. Mais il concerne une affaire – qui deviendra un scandale d’Etat – née en 1972 : l’intoxication des habitants de la Guadeloupe et de la Martinique par un insecticide – le chlordécone – qui tue le charançon de la banane.

Il a vu ses collègues tomber malades et mourir tour à tour sans comprendre. Cancer, cancer, cancer… C’est devenu notre quotidien. A l’époque, on ne savait pas d’où ça venait, se souvient Firmin (les prénoms ont été modifiés) en remontant l’allée d’une bananeraie de Basse-Terre, dans le sud de la Guadeloupe. L’ouvrier agricole s’immobilise sur un flanc de la colline. Voilà trente ans qu’il travaille ici, dans ces plantations verdoyantes qui s’étendent jusqu’à la mer. La menace est invisible, mais omniprésente : les sols sont contaminés pour des siècles par un pesticide ultra-toxique, le chlordécone, un perturbateur endocrinien reconnu comme neurotoxique, reprotoxique (pouvant altérer la fertilité) et classé cancérogène possible dès 1979 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Ce produit, Firmin l’a toujours manipulé à mains nues, et sans protection : Quand on ouvrait le sac, ça dégageait de la chaleur et de la poussière, se rappelle-t-il. On respirait ça. On ne savait pas que c’était dangereux. Il enrage contre les patrons békés, du nom des Blancs créoles qui descendent des colons et détiennent toujours la majorité des plantations : Ils sont tout-puissants. Les assassins, ce sont eux, avec la complicité du gouvernement.
La France n’en a pas fini avec le scandale du chlordécone aux Antilles, un dossier tentaculaire dont les répercussions à la fois sanitaires, environnementales, économiques et sociales sont une bombe à retardement. Cette histoire, entachée de zones d’ombre, est méconnue en métropole. Elle fait pourtant l’objet d’une immense inquiétude aux Antilles, et d’un débat de plus en plus vif, sur fond d’accusations de néocolonialisme.
Tout commence en  1972. Cette année-là, la commission des toxiques, qui dépend du ministère de l’agriculture, accepte la demande d’homologation du chlordécone. Elle l’avait pourtant rejetée trois ans plus tôt à cause de la toxicité de la molécule, constatée sur des rats, et de sa persistance dans l’environnement. Mais le produit est considéré comme le remède miracle contre le charançon du bananier, un insecte qui détruisait les cultures.
Les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique en seront aspergées massivement pendant plus de vingt ans pour préserver la filière, pilier de l’économie antillaise, avec 270 000 tonnes produites chaque année, dont 70  % partent pour la métropole.
La France finit par interdire le produit en  1990, treize ans après les Etats-Unis. Il est toutefois autorisé aux Antilles jusqu’en septembre  1993 par deux dérogations successives, signées sous François Mitterrand par les ministres de l’agriculture de l’époque, Louis Mermaz et Jean-Pierre Soisson. Des années après, on découvre que le produit s’est répandu bien au-delà des bananeraies. Aujourd’hui encore, le chlordécone, qui passe dans la chaîne alimentaire, distille son poison un peu partout. Pas seulement dans les sols, mais aussi dans les rivières, une partie du littoral marin, le bétail, les volailles, les poissons, les crustacés, les légumes-racines… et la population elle-même.
Une étude de Santé publique France, lancée pour la première fois à grande échelle en  2013 et dont les résultats, très attendus, seront présentés aux Antillais en octobre, fait un constat alarmant : la quasi-totalité des Guadeloupéens (95  %) et des Martiniquais (92  %) sont contaminés au chlordécone. Leur niveau d’imprégnation est comparable : en moyenne 0,13 et 0,14 microgrammes par litre (µg/l) de sang, avec des taux grimpant jusqu’à 18,53  µµg/l. Or, le chlordécone étant un perturbateur endocrinien, même à très faible dose, il peut y avoir des effets sanitaireprécise Sébastien Denys, directeur santé et environnement de l’agence. Des générations d’Antillais vont devoir vivre avec cette pollution, dont l’ampleur et la persistance – jusqu’à sept cents ans selon les sols – en font un cas unique au monde, et un véritable laboratoire à ciel ouvert.
En Guadeloupe, à cause des aliments contaminés, 18,7  % des enfants de 3 à 15 ans vivant dans les zones touchées sont exposés à des niveaux supérieurs à la valeur toxicologique de référence (0,5 µg/kg de poids corporel et par jour), selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Un taux qui s’élève à 6,7  % en Martinique. Cette situation est là encore unique, s’inquiète un spécialiste de la santé publique, qui préfère garder l’anonymat : On voit parfois cela dans des situations professionnelles, mais jamais dans la population générale.
La toxicité de cette molécule chez l’homme est connue depuis longtemps. En  1975, des ouvriers de l’usine Hopewell (Virginie), qui fabriquait le pesticide, avaient développé de sévères troubles neurologiques et testiculaires après avoir été exposés à forte dose : troubles de la motricité, de l’humeur, de l’élocution et de la mémoire immédiate, mouvements anarchiques des globes oculaires… Ces effets ont disparu par la suite, car le corps élimine la moitié du chlordécone au bout de 165 jours, à condition de ne pas en réabsorber. Mais l’accident fut si grave que les Etats-Unis ont fermé l’usine et banni le produit, dès 1977.
Et en France, quels risques les quelque 800 000 habitants de Martinique et de Guadeloupe  courent-ils exactement ? Les études menées jusqu’ici sont édifiantes – d’autres sont en cours. L’une d’elles, publiée en  2012 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), montre que le chlordécone augmente non seulement le risque de prématurité, mais qu’il a aussi des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons.
Le pesticide est aussi fortement soupçonné d’augmenter le risque de cancer de la prostate, dont le nombre en Martinique lui vaut le record du monde – et de loin -, avec 227,2 nouveaux cas pour 100 000 hommes chaque année. C’est justement la fréquence de cette maladie en Guadeloupe qui avait alerté le professeur Pascal Blanchet, chef du service d’urologie au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre, à son arrivée, il y a dix-huit ans. Le cancer de la prostate est deux fois plus fréquent et deux fois plus grave en Guadeloupe et en Martinique qu’en métropole, avec plus de 500 nouveaux cas par an sur chaque île.
Intrigué, le professeur s’associe avec un chercheur de l’Inserm à Paris, Luc Multigner, pour mener la première étude explorant le lien entre le chlordécone et le cancer de la prostate. Leurs conclusions, publiées en  2010 dans le Journal of Clinical Oncology, la meilleure revue internationale de cancérologie, révèlent qu’à partir de 1 microgramme par litre de sang, le risque de développer cette maladie est deux fois plus élevé.
Entre deux consultations, Pascal Blanchet explique, graphique à l’appui : Comme les Antillais sont d’origine africaine, c’est déjà une population à risque – du fait de prédispositions génétiques – . Mais là, la pollution environnementale engendre un risque supplémentaire et explique une partie des cas de cancers de la prostate.
Urbain fait partie des volontaires que le professeur avait suivis pour son étude. Cet agent administratif de 70 ans, au tee-shirt Bob Marley rehaussé d’un collier de perles, reçoit chez lui, près de Pointe-à-Pitre. Son regard s’attarde sur ses dossiers médicaux empilés sur la table du jardin, tandis que quelques poules déambulent entre le manguier et sa vieille Alfa Roméo.
Quand il a appris qu’il était atteint d’un cancer de la prostate, Urbain s’est d’abord enfermé dans le déni. C’est violent. On se dit qu’on est foutu, se souvient-il. Un frisson parcourt ses bras nus. J’ai été rejeté. Les gens n’aiment pas parler du cancer de la prostate ici. La maladie fait l’objet d’un double tabou : la peur de la mort et l’atteinte à la virilité dans une société qu’il décrit comme hypermachiste. Mais les langues se délient enfin, se réjouit-il.
L’idée de se faire opérer n’a pas été facile à accepter. Et puis je me suis dit : merde, la vie est belle, mieux vaut vivre sans bander que mourir en bandant ! Il rit, mais la colère affleure aussitôt :  J’ai été intoxiqué par ceux qui ont permis d’utiliser ce poison, le chlordécone. Aujourd’hui je suis diminué. Selon lui, beaucoup de gens meurent, mais le gouvernement ne veut pas le prendre en compte. Si c’était arrivé à des Blancs, en métropole, ce serait différent. Et puis, c’est aussi une affaire de gros sous.
Ce qui se joue derrière l’affaire du chlordécone, c’est bien la crainte de l’Etat d’avoir un jour à indemniser les victimes – même si prouver le lien, au niveau individuel, entre les pathologies et la substance sera sans doute très difficile. Mais l’histoire n’en est pas encore là. Pour l’heure, les autorités ne reconnaissent pas de lien formel entre le cancer de la prostate et l’exposition au chlordécone. Une étude lancée en  2013 en Martinique devait permettre de confirmer – ou non – les observations faites en Guadeloupe. Mais elle a été arrêtée au bout d’un an. L’Institut national du cancer (INCa), qui l’avait financée, lui a coupé les fonds, mettant en cause sa faisabilité.
[…] En dire aussi peu que possible, de peur de créer la panique et d’attiser la colère. Pendant des années, les autorités ont appliqué cette stratégie au gré des nouvelles découvertes sur l’ampleur du désastre. Mais le manque de transparence a produit l’effet inverse. La suspicion est désormais partout, quand elle ne vire pas à la psychose : certains refusent de boire l’eau du robinet, la croyant, à tort, toujours contaminée. D’autres s’inquiètent pour les fruits, alors qu’il n’y a rien à craindre s’ils poussent loin du sol – le chlordécone disparaît à mesure qu’il monte dans la sève, ce qui explique que la banane elle-même ne soit pas contaminée.
[…] La population n’est pas la seule à avoir été choquée. Des scientifiques, des médecins, des élus et des fonctionnaires nous ont fait part de leur indignation face à ce qu’ils perçoivent comme un tournant, en contradiction totale avec la politique de prévention affichée par les pouvoirs publics, visant au contraire à réduire au maximum l’exposition de la population au chlordécone.
[…] Qui est responsable de cette situation ? La question est devenue lancinante aux Antilles. Des associations et la Confédération paysanne ont déposé plainte une contre X en  2006 pour mise en danger d’autrui et administration de substances nuisibles. On a dû mener six ans de guérilla judiciaire pour que la plainte soit enfin instruite, s’indigne Harry Durimel, qui défend l’une des parties civiles. Le ministère public a tout fait pour entraver l’affaire. Trois juges d’instruction se sont déjà succédé sur ce dossier, dépaysé au pôle santé du tribunal de grande instance de Paris, et actuellement au point mort.
Le Mondea pu consulter le procès-verbal de synthèse que les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp) ont rendu, le 27  octobre 2016. Un nom très célèbre aux Antilles, Yves Hayot, revient régulièrement. Il était à l’époque directeur général de Laguarigue, la société qui commercialisait le chlordécone, et président du groupement de producteurs de bananes de Martinique. Entrepreneur martiniquais, il est l’aîné d’une puissante famille béké, à la tête d’un véritable empire aux Antilles – son frère, Bernard Hayot, l’une des plus grosses fortunes de France, est le patron du Groupe Bernard Hayot, spécialisé dans la grande distribution.
Devant les gendarmes, Yves Hayot a reconnu qu’il avait pratiqué personnellement un lobbying auprès de Jean-Pierre Soisson, qu’il connaissait, pour que des dérogations d’emploi soient accordées.
Surtout, l’enquête judiciaire révèle que son entreprise, Laguarigue, a reconstitué un stock gigantesque de chlordécone alors que le produit n’était déjà plus homologué. Elle a en effet signé un contrat le 27  août 1990 avec le fabricant, l’entreprise Calliope, à Béziers (Hérault), pour la fourniture de 1 560 tonnes de Curlone – le nom commercial du chlordécone -, alors que la décision de retrait d’homologation – le 1er  février 1990 – lui a été notifiée, écrivent les enquêteurs. Ils remarquent que cette quantité n’est pas normale, puisqu’elle est estimée à un tiers du tonnage acheté sur dix ans. De plus, au moins un service de l’Etat a été informé de cette importation, puisque ces 1 560 tonnes ont bien été dédouanées à leur arrivée aux Antilles en 1990 et 1991. Comment les douanes ont-elles pu les laisser entrer ?
D’autant que, s’il n’y avait pas eu de réapprovisionnement, il n’y aurait pas eu de nécessité de délivrer de dérogations pour utiliser le produit jusqu’en  1993, relève l’Oclaesp. Les deux dérogations accordées par les ministres de l’agriculture visaient en effet à écouler les stocks restants en Guadeloupe et en Martinique. Or ces stocks provenaient de ces réapprovisionnements, notent les gendarmes. La société Laguarigue a justifié cette importation par une divergence dans l’interprétation de la réglementation. Yves Hayot ne sera pas inquiété par la justice : il est mort en mars  2017, à l’âge de 90 ans.
Contacté par Le Monde, l’actuel directeur général de l’entreprise, Lionel de Laguarigue de Survilliers, affirme qu’il n’a jamais entendu parler de cela. Il précise qu’il n’était pas dans le groupe à l’époque – il est arrivé en  1996 – et assure que Laguarigue a scrupuleusement respecté les trois phases d’arrêt du chlordécone concernant sa fabrication, sa distribution et son utilisation.
Les conclusions des enquêteurs sont quant à elles sans ambiguïté : Les décisions prises à l’époque ont privilégié l’aspect économique et social à l’aspect environnemental et à la santé publique, dans un contexte concurrentiel avec l’ouverture des marchés de l’Union européenne. La pollution des Antilles au chlordécone est ainsi principalement la conséquence d’un usage autorisé pendant plus de vingt ans. Reste à savoir si, au vu des connaissances de l’époque, l’importance et la durée de la pollution étaient prévisibles.
Un rapport de l’Institut national de la recherche agronomique, publié en  2010 et retraçant l’historique du chlordécone aux Antilles, s’étonne du fait que la France a de nouveau autorisé le pesticide en décembre  1981. Comment la commission des toxiques a-t-elle pu ignorer les signaux d’alerte : les données sur les risques publiées dans de nombreux rapports aux Etats-Unis, le classement du chlordécone dans le groupe des cancérigènes potentiels, les données sur l’accumulation de cette molécule dans l’environnement aux Antilles françaises ? s’interroge-t-il. Ce point est assez énigmatique car le procès-verbal de la commission des toxiques est introuvable.
Le rapport cite toutefois l’une des membres de cette commission en  1981, Isabelle Plaisant : Quand nous avons voté, le nombre de voix contre était inférieur au nombre de voix pour le maintien de l’autorisation pour les bananiers, dit-elle. Il faut dire que nous étions peu de toxicologues et de défenseurs de la santé publique dans la commission. En nombre insuffisant contre le lobbying agricole.
Longtemps resté discret sur le sujet, Victorin Lurel, sénateur (PS) de la Guadeloupe, ancien directeur de la chambre d’agriculture du département et ancien ministre des outre-mer, dénonce un scandale d’Etat. Les lobbys des planteurs entraient sans passeport à l’Elysée, se souvient-il. Aujourd’hui, l’empoisonnement est là. Nous sommes tous d’une négligence coupable dans cette affaire.

Faustine Vincent. Le Monde du 7 juin 2018

Pas bien loin de là, au large de Fort Lauderdale, en Floride, les Américains jettent à la mer deux millions de vieux pneus : la mode est aux récifs artificiels et ils pensent que poissons, langoustes, dauphins et tutti quanti vont les remercier chaleureusement de leur avoir donné d’aussi pratiques abris : pensez donc, avec un peu d’habileté, on peut changer de place tous les jours : il suffit de faire rouler le pneu comme dans sa vie antérieure : même Walt Disney ne se serait pas risqué à pareille audace. Ils mettront vingt ans pour réaliser que c’était une fausse bonne idée et iront les repêcher en 1990. En France, on n’attendit pas le résultat de l’expérience et on préférera se dire : si les Américains l’ont fait, c’est que ça doit être bien et, au début des années 1980, avec la bénédiction d’Alain Bombard, très éphémère – 22 mai au 23 juin 1981 – secrétaire d’Etat au Ministère de l’Environnement, on mouillera 25 000 pneus à 800 mètres au large, dans le golfe Juan ; les résultats français seront aussi catastrophiques que les résultats américains, mais on mettra plus de temps qu’eux pour aller les repêcher et c’est seulement en 2018 que l’on commencera à le faire. C’est encore dans les années 80, en 1984, qu’une manipulation malheureuse au musée océanographique de Monaco introduira les algues vertes en Méditerranée. Décidément, sur la Côte d’Azur, il est des jours où ils feraient mieux de ne pas se lever du tout !

Donella Meadows, Dennis Meadows, Jørgen Randers, William W. Behrens, ingénieurs au MIT, c’est à dire bon connaisseurs des modèles mathématiques publient The limits to growth, Universe books, 1972 que l’Europe prendra l’habitude de nommer Rapport du Club de Rome. Ils démontrent que l’augmentation constante de la population mondiale, comme celle de la consommation alimentaire sont insoutenables. Cinquante ans plus tard, à peu près tout ce qui y était prédit sera réalisé.

Dans une préface à une réédition ultérieure, Jean-Marc Jancovivi dira : En 1968, on avait assisté à la création d’un organisme qui fera beaucoup parler de lui quelques années plus tard, même si sa naissance n’a pas fait tant de bruit : le Club de Rome. Au moment de sa création, il regroupait une poignée d’hommes, occupant des postes relativement importants dans leurs pays respectifs (un recteur d’université allemande, un directeur de l’OCDE, un vice-président d’Olivetti, un conseiller du gouvernement japonais…), et qui souhaitaient que la recherche s’empare du problème de l’évolution du monde pris dans sa globalité pour tenter de cerner les limites de la croissance.

Ce n’est toutefois pas en 1968 que paraît le fameux rapport, mais quelques années plus tard, en 1972, et ce ne sont pas les membres du Club de Rome qui l’ont rédigé, mais une équipe de chercheurs du Massachussetts Institue of Technology (ou MIT) qui fut constituée pour l’occasion, suite à la demande du Club de Rome. Il serait donc plus juste d’appeler le document couramment désigné sous le nom de Rapport du Club de Rome par son vrai nom : le rapport Meadows & al. (le nom du directeur de l’équipe de recherche était Dennis Meadows), qui se compose d’un document de synthèse, présentant les principaux résultats du travail qui fut effectué, dont je tente de faire un commentaire de lecture plus bas, et d’annexes diverses.

[…] L’écologie, on n’en veut pas parce qu’elle pose des limites.

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[1] Dix ans plus tôt, en février 1962, alors directeur de la Banque Rothschild, il avait acheté une Porsche 356 qu’il avait mis au nom de sa femme en arrivant au gouvernement.