27 septembre 1590 à 1597. Henri IV. Barents. 13193
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Publié par (l.peltier) le 13 novembre 2008 En savoir plus

27 09 1590    

Giovani Battista Castagna, de noblesse génoise, a été élu pape 13 jours plus tôt, prenant le nom d’Urbain VII. Il a le temps d’amorcer un grand nettoyage au sein des innombrables écarts à l’endroit de l’esprit évangélique qu’avaient crées une aristocratie ecclésiastique, ploutocrate et parasite ; comble du renouveau amorcé : il parle de secourir les pauvres. Mais une méchante malaria [de l’italien mal’aria : le mauvais air]  l’emporte avant qu’il ait eu le temps de mettre en œuvre tout cela.

16 10 1590

Don Carlo Gesualdo di Venosa [8 03 1866 – 8 09 1613] – plus simplement Gesualdo -, brillant compositeur de madrigaux, tue sa femme et son amant. Pour expier, il se fera fouetter le reste de ses jours par ses domestiques.

12 03 1591 

À Tondibi, en amont de Gao sur le Niger, pour prendre le monopole du commerce de l’or, l’armée marocaine du sultan Ahmad al-Mansour, forte de 2 500 hommes armés de mousquets, de 1 500 cavaliers parmi lesquels nombre de chrétiens renégats, sous les ordres du Pacha Djouder, défait les troupes – près de 10 000 cavaliers – de l’askya Ishak II, empereur Songhaï ; c’en est fini de l’empire Songhaï qui avait dominé la moyenne et basse vallée du Niger depuis le XIV° siècle. Il avait pris Tombouctou au passage. Trois ans plus tard, l’Anglais Madoc voyait arriver à Marrakech trente mules chargées d’or : Djouder n’avait pas traversé le Sahara pour rien.

1591

Par l’édit de Nantes, Henri IV met fin à la proscription des protestants du royaume proclamée sous Henri III sous la pression de la Ligue, et rétablit les précédents édits de tolérance, dont les dispositions anticipent celles du futur édit de Nantes. Ainsi, il accorde aux protestants la liberté de conscience, la liberté de culte dans un faubourg par baillage (ou sénéchaussée) ainsi que dans les châteaux des seigneurs protestants hauts justiciers. D’autre part, les Huguenots étaient admis à toutes les charges publiques. La portée de cet édit était limitée ; il lui fallait être enregistré par les parlements, chose impossible en terrain tenu par les Ligueurs. S’il lui assurait le soutien du parti huguenot, il renforçait la suspicion de la Ligue.

25 07 1593

À Saint Denis, Henri IV abjure le protestantisme, pour se convertir au catholicisme : Paris vaut bien une messe. Pour entrer dans Paris, il avait à sa disposition 4 000 hommes, mais l’argent, après la fuite du duc de Mayenne dès le 6 mars, avait fait le principal auprès du gouverneur de Paris. Les troupes espagnoles purent partir dans l’honneur en Flandre. La plupart des meneurs de la Ligue remettront l’épée au fourreau contre promesses de grosses sommes, mais chacun sait bien ce que vaut promesse de Gascon…

Furent faits sur le soir par toutes les rues une infinité de feux de joie autour desquels les uns chantaient le Te Deum laudamus, les autres criaient : Vive le roi, et ce pour la grande aise qu’ils avaient de se voir, au lieu d’esclaves, avoir recouvré la liberté, honneurs et magistrats.

Palma-Cayet

Vive Henri IV, vive ce roi vaillant !
Ce diable à quatre a le triple talent
De boire et de battre et d’être un vert galant.

Auteur anonyme.

Henri IV de France - Vikidia, l'encyclopédie des 8-13 ans

Sully, alors conseiller d’État depuis 1590, protestant, l’avait conseillé sans détour : Ou avoir continuellement le cul sur la selle, le casque en tête, le pistolet au poing, ou bien que, par l’autre voie, qui est de vous accommoder touchant la religion à la volonté du plus grand nombre de vos sujets, vous ne rencontriez pas tant d’ennemis, de peines et de difficultés.

[…] la lassitude et l’ennui d’avoir toujours eu le hallecret [armure] sur le dos depuis l’âge de douze ans pour disputer sa vie et sa fortune ; la vie dure, âpre et languide qu’il avait écoulée pendant ce temps ; l’espérance et le désir d’une plus douce et agréable pour l’avenir.

[…] Quelques uns de ses plus confidents et tendres serviteurs, entre lesquels se peut mettre sa maîtresse [Gabrielle d’Estrées] y firent apporter l’absolue conclusion.

*****

D’autres préfèrent rester fidèles à leur religion plutôt qu’à leur prince. Agrippa d’Aubigné avait le calvinisme tellement ardent que sa fille, la future Madame de Maintenon, emmena Louis XIV à l’opposé : la bigoterie catholique !

SIRE, vostre Citron, qui couchait autrefois
Sur vostre lict paré, couches ores sur le dure :
C’est ce fidelle chien qui apprit de nature
À faire des amis et des traistres le choix :

C’est lui qui les brigands effrayoit de sa voix,
Et de dents les meurtriers : d’où vient donc qu’il endure
La faim, le froid, les coups, les desdains, et l’iniure,
Payement coustumier du service des Rois ?

Sa fierté, sa beauté, sa ieunesse agreable
Le fit cherir de vous ; mais il fut redoutable
À vos haineux, aux siens, par sa dextérité.

Courtisans, qui iettez vos desdaigneuses veuës
Sur ce chien delaissé, mort de faim par les ruës,
Attendez le loyer de la fidélité.

Agrippa d’Aubigné. Sonnet au Roi

Abjuration, sacre, entrée dans Paris, les trois actes de la réconciliation symbolique du royaume furent aussi les éléments d’une véritable campagne de communication. N’essayons pas de projeter sur ces temps lointains les schémas convenus de notre actualité. La société d’Henri IV ne disposait pas de médias installés qui ressembleraient aux nôtres. La vie publique n’y était perçue que de loin, au travers du filtre d’innombrables transmissions de piéton à cavalier, de prêcheurs à fidèles, de clientèles de tripots. Le mode de circulation des informations le plus commun était finalement la rumeur, plus puissante encore que l’écrit, d’autant plus forte que la vérification était difficile et qu’en raison de la lenteur de communication, le spectacle du monde se faisait toujours en différé.

La logique de la communication de l’époque n’était donc pas fondée sur l’instantané. Il s’agissait, Henri le comprit mieux que personne, de susciter la transmission et l’amplification d’un événement par le bouche à oreille. Il fallait donc orchestrer de grands gestes irréfutables, inaltérables à la rumeur et susceptibles, au contraire, d’être magnifiés par elle avant d’être relayés et confirmés par les supports habituels de la propagande de l’époque, les libelles, les gravures ou les images que l’on colportait.

L’abjuration et le sacre constituent de ce point de vue des opérations exemplaires et orchestrées avec soin. Les emplacements de Saint-Denis comme de Chartres ont été soigneusement choisis. Le premier est tout proche d’un Paris encore contrôlé par la Ligue. Tout est fait pour que le plus grand nombre de Parisiens y affluent. Le second est facile d’accès et permet également l’accueil des provinciaux.

Chacun de ces événements a été annoncé longtemps à l’avance et toutes les élites du pays y sont présentes ou représentées, pour en assurer une communication efficace à travers les réseaux de fidélités et de clientèles qui constituaient la trame de la société de l’époque et autant de canaux d’information.

Le règlement minutieux des moindres détails des cérémonies sur la tradition de celles qui les ont précédées exprimait le souci d’une opération impeccable : à une époque où l’apparence manifestait l’essence, la forme irréprochable devait renforcer le caractère irréfutable du fond, qu’il s’agisse de la valeur de l’abjuration (en fait considérée comme nulle par la papauté) ou de la légitimité du sacre (en fait controversée dès lors que l’abjuration n’était pas reconnue par Rome).

Au-delà du faste, Henri IV savait jouer de sa personne et se mettre en scène par sa familiarité auprès des gens du peuple, se laissant admirer par les commères ou évoquant la moiteur de ses pieds devant les échevins de la capitale. Imagine-t-on, de nos jours, un haut personnage de l’État se permettre une telle liberté ? C’est aussi la mise en scène du roi dans sa majesté et sa magnanimité, laissant passer des vivres aux Parisiens assiégés, pardonnant aux ligueurs et laissant enfin partir les troupes espagnoles dans la dignité tout en ponctuant leur départ d’un bon mot… Par ce mélange étonnant de majesté et de familiarité, Henri IV ne cessait de cultiver son personnage.

Il ne négligeait pas davantage l’utilisation des supports matériels de l’information. Chacun de ces grands événements était aussitôt relayé par des lithogravures et des tracts retraçant l’événement. Premier roi à avoir compris l’importance de l’imprimerie en politique, Henri IV fut aussi l’inventeur de la communication politique moderne.

Mais son génie stratégique fut, à ce moment encore très incertain du conflit, de changer brutalement les règles du jeu, de transposer ce dernier des champs de bataille au champ symbolique, en mettant en scène, autour de la manifestation de sa légitimité, la réconciliation du royaume. Il avait compris que les affrontements étant d’abord symboliques, on ne pouvait les réduire que par des symboles.

On ne comprend pas la tragédie du siècle d’Henri IV si l’on oublie qu’alors la société tout entière s’organisait autour de la représentation religieuse et métaphysique du monde, autour du principe religieux, qu’il s’agisse du calendrier, du rythme des activités ou de l’organisation globale de la société en trois ordres.

Au siècle d’Henri IV, tout discours, toute proposition devaient être justifiés par la tradition, par la coutume, et le moindre écart par rapport aux façons habituelles d’agir devait être étayé par un précédent indiscutable : la justification du choix exceptionnel de la cathédrale de Chartres pour le sacre par le précédent de Louis VI le Gros est en ce sens exemplaire.

Dans un tel contexte, la religion et la tradition catholique représentaient la force structurante fondamentale de la vie individuelle et collective des hommes. Le roi était le dépositaire sacralisé et le garant de cet ordre politico-religieux. La légitimité politique était indissociable de la légitimité religieuse. Un roi protestant était, dans cette perspective, un roi destiné à demeurer contre nature.

Il n’y avait donc pas, d’un côté, les justes, ceux qui, avec Henri IV, reconnaissaient les règles de la succession dynastique, et, d’un autre côté, les mauvais Français, ceux qui, par ambition, refusaient de reconnaître le souverain légitime. Pour les hommes de ce temps, la présence d’un roi non catholique sur le trône de France remettait en cause les fondements mêmes de la société et du pouvoir politique sacralisé.

Tant que le divorce entre la religion personnelle du roi et la religion du royaume n’était pas résolu, non seulement le pays res­tait divisé par un conflit destructeur mais l’existence organique du royaume s’en trouvait menacé.

Inversement, une fois acquise la réconciliation symbolique entre la légitimité dynastique et la légitimité religieuse, tout paraît revenir, comme par magie, dans l’ordre normal des choses. Alors que tous les assauts précédents, malgré des moyens considérables, avaient échoué, après l’abjuration et le sacre, la résistance de Paris paraît se dissoudre d’elle-même. Telle était aussi la signification de l’explosion extraordinaire de joie, de la liesse extatique du peuple après l’abjuration, comme au moment du sacre ou de l’entrée du roi dans Paris, expression d’un soulagement collectif indicible, de la délivrance de l’angoisse d’un ordre du monde contre nature.

La force d’Henri fut de comprendre tout cela et d’apporter à la crise du royaume la seule réponse possible, d’essence symbolique avant que d’être politique ou militaire.

François Bayrou. Henri IV, le Roi libre. Flammarion 1994

Henri IV finit par réunir sous les mêmes drapeaux, les Français de tous les partis ; nation vraiment étonnante qui, se survivant à elle-même au milieu de la destruction, baignée dans son propre sang, se relevant de dessous des monceaux de cadavres et de ruines, se ranima, reprit promptement une attitude menaçante, et rentra, avec une nouvelle vigueur, dans la lice contre la maison d’Autriche, qui frémit à l’aspect d’un ennemi couvert de cicatrices.

Plusieurs causes contribuèrent à ralentir les efforts de Philippe II contre les Français ; une des plus marquantes fut l’insurrection des Pays-Bas. Les Hollandais, par leur héroïque résistance, opérèrent une utile diversion, et les troupes espagnoles, concentrées sur ce point, ne purent être dirigées contre le royaume : les campagnes du duc de Parme, prouvent assez le danger auquel échappa la monarchie française. Durant toute cette crise, Henri IV succomboit infailliblement, si Philippe II eût pu déployer les mêmes moyens militaires que Charles-Quint ; l’Angleterre même eût tenté d’inutiles efforts pour sauver la France en proie à toutes les horreurs de la discorde.

La paix de Vervins rétablit une sorte d’équilibre entre la maison des Bourbons et la maison d’Autriche, et même, sur la fin du règne d’Henri IV, la balance penchait déjà du coté de la France. Chaque jour celle-ci voyait ses ressources augmenter ; chaque jour l’Espagne voyait diminuer les siennes. Sous Philippe III les finances s’épuisèrent ; les troupes espagnoles manquèrent de solde ; les corsaires anglais, hollandais et français étaient les véritables percepteurs des revenus du Mexique et du Pérou. L’édit de 1609, qui chassait les Maures de l’Espagne, acheva d’appauvrir ce pays, en lui enlevant la principales force de sa population. Dès cet instant l’agriculture dépérit, les arts disparurent, une partie de l’Espagne resta en friche, et bientôt des provinces entières ressemblèrent au désert de l’Afrique. Pour arrêter les progrès du mal, pour rappeler l’homme à lui-même, ainsi qu’au véritable but de la civilisation, Philippe III se vit obligé de déclarer nobles, et d’exempter du service militaire ceux de ses sujets qui s’adonneroient à l’agriculture. Cette déclaration ne remédia aucunement au mal ; les Espagnols aimèrent mieux être soldats, et promener leur indolence. D’ailleurs, une partie de l’Espagne étoit passée en Amérique ; et cette autre cause, jointe à celle de l’expulsion des Maures, suffit pour expliquer les raisons du dépérissement d’une nation si formidable.

M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808

Paris va dès lors connaître un essor extraordinaire et doubler sa population en 40 ans : sitôt qu’il fut maître de Paris, on ne vit que maçons en besogne : poursuite du Louvre, des Tuileries et de la galeries les reliant, Pont Neuf, Place Dauphine, Place Royale, aujourd’hui Place des Vosges… Poussée démographique… et voilà les embarras de Paris… on n’a pas fini d’en entendre parler :

Ces cochers ont beau se hâter
Ils ont beau crier gare, gare
Ils sont contraints de s’arrêter
Dans la presse rien ne démarre…

Scarron  1610-1660

Vingt carrosses bientôt arrivant à la file
Y sont en moins de rien suivis de plus de mille.

Boileau  1636-1711  Les Embarras de Paris

http://renaud91.free.fr/Photos/paris/Louvre/index_000.html

À la demande du roi dès 1593, création d’un jardin botanique attaché à l’université de Montpellier, dirigé par Pierre Richer de Belleval. En 1621 il s’étendra sur 2.5 ha, rassemblant 1332 espèces de plantes. En 1622 les troupes de Louis XIII assiègeront Montpellier la protestante, et le Jardin sera très endommagé. Richer de Belleval s’attellera à sa restauration, mais devra attendre sept ans avant de percevoir une aide de Louis XIII et de Richelieu.

Selaniki Mustafa Efendi est chroniqueur à la cour du sultan à Istanbul. Il raconte l’arrivée d’un ambassadeur anglais : Un aussi étrange navire n’est jamais entré dans le port d’Istanbul. Il a parcouru 1 500 lieues sur les mers, avec à son bord 83 canons [1]  sans compter d’autres armes… C’est une merveille du temps, digne d’être considérée… Le souverain de l’île d’Angleterre est une femme qui gouverne par héritage ce royaume… avec un pouvoir absolu.

Il est vrai qu’il y avait de quoi s’étonner, car, sur place, l’ambiance était autre : à son avènement en 1595 le sultan Mohammed III fait égorger ses 19 frères…

27 02 1594

Henri IV est sacré à Chartres. On y fit apporter la couronne impériale close, la couronne moyenne, le sceptre royal, la main de justice, le manteau royal, la camisole, les sandales, les éperons, l’épée, la tunique et la dalmatique, et tous les autres ornements royaux, qu’il a fallu faire tout de neuf, et les plus beaux et riches qu’on a pu, puisque la félonie des rebelles a fait fondre, défaire et dissiper les autres de tout temps gardés en l’église Saint-Denis en France, pour servir au sacre des rois.

[…] Toutes les fois que le roi tournait tant soit peu le visage vers la nef, le peuple qui y était en nombre innombrable, criait : Vive le roi ! et l’église retentissait de cris et d’arquebusades.

Nicolas de Thou. Ordre des cérémonies.

22 03 1594 

Paris vaut bien une messe

Henri IV

L&39;entrée d&39;Henri IV (1553-1610) à Paris, le 22 mars 1594 - Baron François Pascal Simon Gérard

Entrée d’Henri IV à Paris, le 22 mars 1594, par la baron François Pascal Simon Gérard

1594  

Almada, métis portugais ouvre son traité sur les fleuves de Guinée par un constat qui n’est qu’un renoncement de facto à vouloir apprendre une langue étrangère, dès lors que son écriture n’utilise pas les caractères de l’alphabet latin ! Parmi les Noirs de notre Afrique, il n’y a pas eu d’écrivains et ils n’ont jamais eu l’habitude d’écrire des choses qui puissent être lues ; s’il existe bien des Noirs qui sont considérés comme des religieux, qu’on appelle bixirin et qui écrivent sur du papier et dans des livres reliés (…), leurs écritures sont telles qu’elles ne peuvent servir à personne d’autre ni être comprises par celui qui ne les aurait pas écrites. Il s’agit davantage de signes et d’idées particulières que de lettres qu’on puisse comprendre.

17 01 1595

Henri IV déclare la guerre à l’Espagne : Or il serait superflu de dire que cette guerre étrangère est issue, comme un branche du tronc, de celle de la Ligue, ou plutôt que celle de la Ligue est un rejeton de la vieille souche de celle de l’Espagne : et que de cette longue tragédie de la guerre civile, l’Espagnol avait résolu de jouer le principal et dernier personnage. Car toutes ces rebellions des sujets de Sa Majesté n’ont été suscitées et fomentées que par les artifices, l’argent et les forces de cet ancien ennemi de notre patrie, de laquelle il espérait de faire une adjonction à son domaine.

Discours de la déclaration de guerre contre l’Espagnol

Henri remporta une victoire à Fontaine Française le 5 juin, mais les Espagnols reprirent Doulens et Cambrai dans le nord.

Lorsqu’un jour, Henri IV fanfaronnait devant l’ambassadeur d’Espagne sur son envie d’aller faire un petit tour en Italie : J’irai entendre la messe à Milan, déjeuner à Rome et dîner à Naples, l’ambassadeur d’Espagne avait enchaîné en restant dans le même registre : Sire, votre majesté, allant de ce pas, pourrait bien le même jour aller à Vêpres en Sicile.

Le propos a été rapporté en 1648 par le jésuite Baltasar Gracián. Il fallait bien que ces vêpres siciliennes – 1282 – aient marqué les esprits pour que, trois siècles après les faits, le souvenir en ait été aussi vif. En cette fin du XIII° siècle, la haine de la France était virulente : les Vêpres siciliennes avaient commencé par une échauffourée aux cris de mort aux Français… que le pape Innocent IV traitait de race de vipères.

Et, encore trois siècles plus tard, quand nombre d’Italiens s’opposeront à la politique italienne de Napoléon III, il se trouvera des drôles pour faire du mot mafia un acronyme antifrançais : Morte Alla Francia Italia Anella – L’Italie aspire à la mort de la France. En fait le mot mafia vient de l’arabe mû-afar, mû signifiant courage et afâr protéger.

7 06 1595  

Juan Phelipe Romano est passeur pour les évadés d’Alger. Il a appareillé de Valence le 23 mai et relâche dans une baie tranquille près d’Alger. Le premier rendez-vous ayant été manqué, il renvoie son compagnon lui ordonnant de bien s’éloigner du rivage, et d’attendre son signal pour revenir. Le lendemain arrive son client prisonnier à Mostaganem depuis 40 ans, avec sa femme et un petit fils ; mais embarquent encore une princesse la soldina, 10 captifs chrétiens et 2 esclaves noirs, une jeune morisque de 22 ans, une femme de Mami Raïs, ses esclaves, 5 chrétiens, dont une femme, un Portugais, maître serrurier à Alger, sa femme et deux enfants, et des esclaves chrétiens qui profitent de l’aubaine : le voyage n’aura pas été vain !

07 1595   

Révolte d’esclaves à Sao Tomé. À l’origine, le naufrage au large de l’île, presque cinquante ans plus tôt, d’un navire d’esclaves en provenance de l’Angola : 500 d’entre eux s’étaient réfugiés au sud de l’île où ils vivaient en autonomie : c’était les Angolares, dont les rangs grossissaient des échappés des plantations : ils avaient fini par faire un mocambo – camp fortifié -. Démunis de fusils, ils ne peuvent vaincre les Portugais, mais ils mettent le feu à nombre de plantations ; les colons, Blancs et Noirs libres, commencent alors à abandonner l’île, démontant les moulins et emportant les esclaves qu’il leur reste au Brésil, où le sucre se révèle être de meilleure qualité. Sao Tomé restera quasiment abandonnée jusqu’au milieu du XIX° siècle, quand reprendront les plantations coloniales, en café et cacao cette fois-ci.

1595

L’Espagnol Alvarez de Mendana se lance à nouveau dans le Pacifique et cette fois, ce sont les Marquises et Santa Cruz qu’il découvre. Sur l’île portugaise de Sao Tome, au large du Gabon, Amador, un esclave parvient à entraîner la majorité d’entre eux, qu’il nomme Angolares à se révolter ; il se proclame roi de Sao Tome. Il sera capturé le 4 janvier 1596, puis exécuté en place publique. La difficulté qu’il y a à maintenir l’ordre à Sao Tome inciteront les Portugais à transférer au Brésil toutes les installations liées à la culture de la canne à sucre.

17 02 1596    

Marseille rejoint le camp du roi de France, illustrant parfaitement le rôle des grandes villes de cette époque : Comme beaucoup d’autres villes en France, en ces années troublées, Marseille avait retrouvé une autonomie de fait. Indépendante, catholique, ligueuse, elle s’abandonna à ses passions dès avril 1588. Mais comment vivre sur l’étroite bordure du royaume ? Hors du royaume en fait, car celui-ci est coupé, disloqué par ses troubles. Les demandes de blé faites à l’Espagne sont révélatrices. D’autre part, la guerre qui, de près et de loin, encercle la ville, n’est pas une guerre très moderne ; c’est une bataille d’hommes plus que de matériel. Elle coûte cher cependant. À Marseille, des gardes, des dépenses militaires s’imposent. Il faut, pour consentir à ces sacrifices, une politique passionnée. Elle s’incarne, cinq années durant, dans la personne de Charles de Casaulx. C’est révolutionnairement que cet énergique meneur d’hommes a saisi l’Hôtel de Ville, en février 1591. En fait, il a été, à la tête de la ville, un administrateur attentif, efficace. Attaché aux seuls intérêts de sa cité, son jeu a été tout de suite indépendant des menaçantes intrigues du duc de Savoie, lequel était désireux d’avoir, par Marseille, une liaison directe avec l’Espagne. En vain le duc s’arrêta-t-il dans la ville en mars 1591 ; en vain essaya-t-il de se saisir par traîtrise (16-17 novembre 1591) de Saint-Victor … Casaulx se tint aussi fermement en marge des querelles et des intrigues de la noblesse de Provence, bien que Marseille ait donné un instant asile à la comtesse de Sault ; mais le dictateur s’en débarrassa habilement par la suite.

Si l’on songe à la politique de Casaulx dans Marseille même, à ce que l’on peut appeler son œuvre d’assistance publique, à l’introduction par ses soins de l’imprimerie, à ses constructions, si l’on songe surtout à sa popularité, sa tyrannie prend un aspect nouveau. Sans doute est-elle, comme toute tyrannie, soupçonneuse, policière, haineuse en ce qui concerne les bigarrats que, sans hésiter, l’on emprisonne, exile et prive de leurs biens.

Mais elle est populaire, curieusement en faveur de la masse, du peuple maigre. En 1594, un avis espagnol nous montre, à Marseille, une guerre contre les riches marchands ou nobles. On ne sait trop pourquoi, dit cet avis, mais… sans doute pour en tirer de l’argent. La ville, maîtresse de ses destins, n’est-elle pas accablée de ce lourd fardeau ? En 1594, le pape et le grand-duc de Toscane, sollicités de la secourir, n’ont pas voulu lui avancer une blanca. Autant que son idéologie, la nécessité obligea Casaulx à se tourner vers la puissante Espagne, pour obtenir des grâces, des faveurs, des moyens de vivre.

Les circonstances aidant, la ville entra dans le jeu espagnol, puis s’y engagea toute. Le 16 novembre 1595, le Viguier et les Consuls de Marseille écrivaient à Philippe II une lettre singulière, prudente encore et cependant catégorique. Elle vaut qu’on s’y arrête un instant : ayant Dieu inspiré dans nos âmes, écrivent-ils­, le sacré feu de son zèle pour le soutien de sa cause et ce grand et périlleux naufrage de la religion catholique en France, nous estans fermement opposez à tant de secousses que l’ennemy de la foy et de cest estat nous a voulu donner, par une particulière faveur du Ciel, la religion et l’estat de notre ville nous font entiers et sauvés jusques icy avec le désir inviolable de nous y conserver au prix de nos vies et de celles de tous nos citoyens qui sont constamment uniz en ceste saincte résolution. Mais prévoyant l’accroissement de l’orage par la prospérité des affaires d’Henry de Bourbon et que les moyens publiques qui sont ja épuisez ny les facultés des particuliers ne pourront suffire pour l’assouvissement de ceste autant grande que salutaire entreprise, avons osé lever les yeux vers V. M. C. et y recourir… comme à un refuge de tous les catholiques, pour la supplier très humblement de vouloir jetter les rayons de sa naturelle douceur sur une ville pleine de tant de mérite, pour son ancienne religion et fidélité…

D’après ce document du moins, Marseille ne se donne pas au roi d’Espagne. Il y a des degrés dans la trahison. La ville (ou mieux Casaulx) déclare seule­ment se refuser à cesser le bon combat.

[…] Cette entente [avec l’Espagne] était inéluctable ; il fallait s’abriter derrière l’énorme puissance hispanique, ou alors s’entendre avec l’agent royal, le président Étienne Bernard qui s’installait à Marseille et faisait les plus mirifiques promesses à Casaulx et à son compagnon d’armes, Louis d’Aix. Mais justement, ces trop mirifi­ques promesses ne cachaient-elles pas un piège ?

Les maîtres de Marseille préférèrent s’entendre avec Philippe II. Trois députés de la ville, dont un fils de Casaulx, firent le voyage d’Espagne, occasion pour eux de dresser un long historique des événements à Marseille de 1591 à 1595, de mettre en évidence le rôle des dictateurs Louis d’Aix et Casaulx, lesquels, fils de vieilles familles de la ville, appuyés sur leurs parents, leurs amis et le populaire de Marseille, avaient su y établir l’ordre et la paix catholiques. Non sans peine pourtant ; il avait fallu armer, lever des mercenai­res, occuper les forteresses de Notre-Dame et de Saint­ Victor, la tour Saint-Jehan, garder la porte Reale, la grande plate-forme et la porte d’Aix qui sont les lieux les plus défendables, construire, à la sortie du port, le fort Chrestien, encore inachevé d’ailleurs, entretenir des chevaux pour la sûreté du terroir et pour permettre aux gens de Marseille de prendre leurs fruictz sans être incommodez des ennemis. Maintenant que Henri de Bourbon a été absous par le pape, qu’il triomphe, qu’il est le maître d’Arles (donc du ravitaillement en blé de la ville), que Marseille est pleine de réfugiés et entre autres, ce grand et docte personnage Monseigneur de Gembrard, archevêque d’Aix, dépossédé par Henri de Bour­bon – en cette extrémité, malgré les offres du Béarnais, la ville ne peut tenir que sous les ailes du Roi Catholi­que. Que celui-ci l’aide et l’aide vite d’argent, de muni­tions, d’hommes, de galères… La situation était d’autant plus tendue que les troupes royales poussaient jusqu’aux portes de Marseille et que des intrigues se nouaient au­-dedans de ses murs.

Dès décembre 1595, des secours parvenaient à Marseille sous forme des galères du fils du prince Doria et de deux compagnies espagnoles, juste à temps pour prévenir une entrée des troupes royales. Mais, à Mar­seille, la situation devenait confuse, ses habitants défiants à l’égard même de leurs amis. Le 21 janvier 1596, les députés de Marseille quittaient la cour d’Espagne avec partie gagnée. La ville se donnait sans se donner au Roi Catholique : celui-ci aurait pour ses galères le libre accès du port, la possibilité d’y mettre des troupes, la promesse des Marseillais de ne pas traiter avec Henri de Béarn et de ne reconnaître comme roi de France qu’un ami de l’Espagne. Les Marseillais, disait leur mémoire, ne recognoistront Henri de Bourbon, ne lui adhereront ni à autres ennemys de V. M. C., ains se maintiendront et conserveront catholiques et en l’estat qu’ilz sont jusques à ce qu’il plaise à Dieu donner à la France un Roy très chrestien et vrayment catholique, qui soit en bonne amitié, fraternité et intelligence avec V. M. C. Les députés de Marseille étaient encore le 12 février 1596 à Barcelone, d’où ils écrivaient à Don Juan de Idiaquez pour lui demander du blé catalan.

Mais quatre jours plus tôt, le 17, un complot avait réussi dans la ville ; Casaulx avait été assassiné et la ville livrée à Henri IV. C’est maintenant que je suis Roi de France, aurait dit ce dernier, à l’annonce de la bonne nouvelle.

Certes, on pourrait longuement insister sur ce fragment d’histoire de France, retrouver, en Provence, après de bons auteurs, tous les traits des dernières années de nos Guerres de Religion : la montée des prix [2], l’effroyable misère des champs et de la ville, la lèpre du brigandage, l’acharnement politique de la noblesse ; par d’Épernon, comprendre ces rois de la France provinciale, aussi bien un Lesdiguières en Dauphiné (si différent que soit le caractère de l’homme), un Mercœur en Bretagne, un Mayenne en Bourgogne… Il serait plus tentant encore de comprendre, au travers de l’exemple de Marseille, le rôle énorme des villes dans cette dislocation, puis cette reconstruction de la France.

La Ligue, ce n’est pas seulement une alliance des Catholiques exaltés. Ce n’est pas seulement un instrument au service des Guises… Mais aussi un grand retour en arrière au bénéfice d’un passé que la royauté a combattu, puis en partie supprimé. Et notamment un retour à la vie urbaine indépendante, à l’État-ville. L’avocat Le Breton, étranglé et pendu en novembre 1586, a sans doute été une tête un peu folle. Il est tout de même significatif qu’on retrouve, dans ses projets, un retour aux franchises urbaines, le rêve étant de décomposer le pays en petites républiques catholiques, maîtresses de leurs destins. Aussi grave que la trahison des Guises, s’avère la trahison des villes, de ces villes passionnées dans leur masse, depuis leurs bourgeois jusqu’aux plus humbles des artisans. Paris est l’image agrandie de ces villes-là. En 1595, le duc de Feria proposait à l’archiduc Albert de s’employer à refaire une ligue en France, suivant les mêmes principes que celle qui avait existé du temps de Henri III, laquelle ne fut pas fondée par les princes de la Maison de Lorraine, mais par quelques bourgeois de Paris et d’autres villes, trois ou quatre seulement au début…, dans des conditions si chrétiennes et si prudentes que la majorité et le meilleur de la France se joignit à eux. Certains de ces hommes sont encore à Bruxelles ; les fautes et la trahison des chefs n’ont certainement pas perdu toute la cause…

Voilà qui souligne, jusqu’à l’exagération, le rôle des villes. Mais, révoltées, pouvaient-elles vivre longtemps ? La rupture des routes signifiait l’interruption des trafics, donc leur suicide. Si elles se sont ralliées, après 1593, à la reconquête de Henri IV, n’est-ce pas, en plus des quelques bonnes raisons qu’on fournit habituellement, parce qu’elles avaient besoin de l’espace français pour vivre ? Si besoin en était, Marseille, incapable de vivre de la mer seule, sans l’aide du continent, nous redirait l’indispensable symbiose des routes de terre et de mer dans l’espace méditerranéen.

En tout cas, on ne comprendra jamais l’épisode de Casaulx si l’on ne le replace dans son cadre étroit de vie municipale. Pour lui, le problème, de bout en bout, a été de ne pas trahir sa ville. Son attitude n’est à juger, si l’on veut la juger, que dans cet éclairage. Pour s’en convaincre, qu’on relise le mémoire de ses agents en Espagne : Messieurs de Marseille, y lit-on, ont… considéré que dez le long temps que leur ville est fondée, elle a vescu la plus part soubz ses propres loix et en forme de République, jusque en l’année mil deux cent cinquante sept qu’elle traita avec Charles d’Anjou, comte de Provence et le recogneut pour souverain, soubz beaucoup de réservations, pactes et conventions, entre lesquelles on coucha des premières qu’aucun hérétique vauldois (secte qui y régnait alors) ne suspect de la foy ne pourroit estre receu à Marseille…

Fernand Braudel. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. 3. Les événements, la politique et les hommes. Armand Colin 9° éd. 1990

20 05 1596

Guy Eder de la Fontenelle, de petite noblesse bretonne se dit Ligueur ; il est en fait beaucoup plus surement brigand et, de son repaire de l’île Tristan, dans la baie de Douarnenez, il vient mettre à sac Penmac’h, encore le premier port de pêche breton, sur la pointe sud est de la Baie d’Audierne [où se trouve la Pointe de la Torche, haut lieu du surf aujourd’hui]. Le butin de l’ennemi fut grand, car tous les plus riches dudit lieu, dont il y avait grand nombre, se confiant en leur courage et leurs ouvrages, nombre de gens de marine étaient en ces forts et n’avaient daigné se retirer ailleurs, comme plusieurs autres avaient fait, entre autres ceux d’Audierne et du cap Sizun, qui s’étaient réfugiés à Brest ; si bien qu’ils perdirent tout ce qu’ils avaient, et surtout grande quantité de navires, bateaux et barques, plus de trois cents de tous volumes, dans lesquels La Fontenelle ayant fait charger le butin, les fit rendre à son fort de Douarnenez. Je n’ai pas le nombre de morts de Penmac’h, tant il y a que la plupart de la tuerie fut dans l’église. De ce carnage de Penmac’h demeura telle ruine qu’il ne pourra de cinquante ans relever ni possible jamais.

Chanoine Moreau

Il y avait dans le bourg de Penmac’h (que j’estime un des plus grands de France) fort grande quantité de petits bourgs chacun de 60 ou 80 maisons, lesquelles ne sont distantes les une des autres que la portée d’arquebiuse. Et diriez que c’est une archipelage terrestre de voir cette grande étendue de maisons séparées par cantons, et auparavant que la rage et le feu de Fontenelle les eust ruinés, c’était le plus riche bourg de la Bretagne, et que les Penmarquéens y avaient plus de cinq cents navires à eulx sans compter ceux qui mareyent par toute la France. De plus j’ai ouy dire qu’avant la guerre y avait dedans ledit Penmac’h dix mille bons mariniers bien armés et expérimentés.

Luy fut rapporté par une infinité tant d’hommes que de femmes des habitants dudit Penmac’h que toutes les femmes et filles depuis l’âge de sept ans furent toutes violées par Fontenelle et que lui et ses troupes avaient fait mourir plus de cinq mille pauvres paysans de coups de corde, de feu et d’eau et qu’il leur avait brûlé plus de deux mil maisons.

René de Rieux, gouverneur de Brest, marquis de Sourdeac, ennemi juré de Fontenelle ; il le délogera du fort de Kerbézec en 1597.

Ne manquèrent pas les historiens pour mettre au compte de cette mise à sac le déclin irrémédiable de Penmac’h. En fait celui-ci avait déjà bien commencé, et beaucoup plus tôt. Penmarc’h tenait son opulence de son commerce avec Arnemuiden, jusqu’au jour où les Hollandais se dirent : Et si nous nous mettions nous-même à faire des bateaux ? Ce qu’ils firent, avec le succès qu’on connaît, et comme ils avaient de l’argent et de la méthode, les bateaux seront beaucoup plus grands, donc plus rentables. Opulence encore avec la pêche du merlu de la mer d’Irlande qu’ils séchaient et vendaient jusqu’en Espagne et au Portugal, sans avoir vu venir la concurrence de la morue de Terre Neuve. L’individualisme avait fait leur gloire, et en même temps les avait empêché de voir arriver les mutations. La naissance du capitalisme entraîna leur déclin.

1574 est l’année du triomphe penmarchais, avec ses 270 entrées dans le seul port zélandais d’Arnemuiden. Le chiffre de 300 embarcations de tous tonnages paraît alors plausible ; et en conséquence celui de 2 200 marins pêcheurs et mariniers, tout autant. Encore que les équipages des carvelles et des caraques comprenaient un pourcentage difficile à évaluer, de non Pemmarchais, voir de non Bigoudens.

[…] Comparé à Nantes – 14 000 habitants en 1500 -, et Rennes – 13 000 , Penmarc’h  s’imposait alors sur le plan de la population comme l’une des toutes premières agglomérations de la Bretagne nouvellement française, et sans conteste, les autres étant villes, comme le premier bourg de la province.

À la fin du XVI° siècle, 60 ans plus tard, la situation est-elle toujours la même ? Concurrencés par la morue de Terre Neuve, les pêcheurs du cap Caval [ancien nom de Penmac’h] sont en sérieux recul. Et l’on sait par ailleurs que la flotte penmarchaise qui fréquente Bordeaux en 1590 ne jauge plus que 27 tonneaux en moyenne, soit deux fois moins qu’au début du siècle, rabaissant Penmac’h au statut de port d’armement inter-régional. Ainsi, les deux piliers de l’économie locale étaient sérieusement atteints, entraînant de graves conséquences en termes d’importance des équipages, d’emploi, dirions-nous aujourd’hui. Au moment du sac de la ville par la Fontenelle, la population de Penmac’h a surement régressé, mais dans des proportions délicates à évaluer.

Serge Duigou. Les mystères de Penmac’h. Éditions Ressac 2001

26 08 1596 

En doublant le Cap de Bonne Espérance, le hollandais Cornelius Hautmann amorce la naissance d’un vaste empire taillé dans les dépouilles portugaises. C’est de ces années qu’il faut dater le déclin durable de Venise dans le marché des épices, car pendant à peu près un siècle, elle fit plus que bonne figure dans la concurrence avec le trafic atlantique du Portugal. Les empires espagnols comme portugais se révélèrent, plutôt tôt que tard, trop vastes, trop lointains pour les moyens financiers logistiques et humains disponibles. Et l’or et l’argent des Amériques n’étaient pas les outils prioritaires pour gérer une si incroyable croissance, qui impliquait la création de nouveaux outils et précisément celui qui consiste à gérer cet argent : le métier de banquier.

Une foi inébranlable dans un catholicisme XXXL, qui interdit l’usure et confie aux Juifs la gestion de l’argent en se bouchant le nez, des siècles d’économie où l’autarcie, et donc le troc, sont les éléments dominants, tout cela ne prépare pas à avoir la vision des changements nécessaires et à s’occuper sérieusement d’argent. Philippe II, qui confessait ne rien comprendre à ces histoires de change, s’en remit par nécessité aux financiers génois et resta sourd aux conseils du hollandais Peter van Houdegherste qui avait cherché à le persuader de se doter d’une banque.

Les Portugais s’étaient mis à construire pour les Indes orientales des navires plus grands, plus gros ; dans le même temps ces navires devenaient sous-toilés ; construits et entretenus à l’économie, le bois se détériorait plus vite : de 1592 à 1602, ils perdirent ainsi, parfois par beau temps, 38 naves des Indes : c’est un investissement d’à peu près 20 millions d’or qui passa ainsi par le fond.

Les Hollandais découvrent qu’un ajout de soufre lors du procédé de vinification permet au vin de se conserver : c’est une révolution non pour le produit lui-même mais pour sa commercialisation, ce qui va entraîner un très important développement du vignoble. Ils sont aussi à la recherche de débouchés commerciaux pour exporter notamment le poisson qu’il savent désormais conserver grâce au saurissage. L’armateur émigré Balthazar Moucheron monte une expédition dans ce but. Ainsi, en juin 1596, deux vaisseaux découvrent l’île aux Ours ; l’un d’eux a pour chef pilote William Barents. Le capitaine, en désaccord avec lui, rentre en Hollande, et Barents continue en contournant la Nouvelle Zemble et se fait prendre par les glaces au delà du cap Nassau : […] c’est ainsi que, par un froid terrifiant, dans une misère noire, ils comprirent qu’ils devaient passer le premier hiver arctique de l’histoire.

[…] le premier soin de ces hivernants malgré eux, après avoir abandonné leur navire travaillé par le pack, fut de construire une cabane. Ils y parvinrent grâce à l’abondance des bois de flottage, auxquels s’ajoutèrent des planches et des membrures empruntées au gaillard d’avant du navire : la hutte avait 10 m. de long sur 6 de large : ils y entassèrent tout ce qui leur paraissait précieux : vivres, armes, outils, etc…

Une cheminée, placée au centre de la construction, donnait au toit une étrange allure de clocher : un feu y brûlait en permanence. Les marins dormaient dans des couchettes de bois disposées en file contre le mur du fond. Une horloge et un gros sablier comptaient les heures de quart.

Sur le conseil du médecin, qui était aussi dentiste, chirurgien et barbier, on construisit un bain turc avec un grand tonneau à vin.

Du plafond, pendait une lampe à huile, qui brûlait de la graisse d’ours. Il arrivait néanmoins que cette graisse manquât : on imagine alors cette poignée d’hommes transis, malgré les pierres chaudes qu’ils serraient contre eux, terrifiés par la nuit polaire qui rend fou, cette nuit interminable, traîtresse et déprimante, que l’imagination humaine avait cru mortelle.

[…] Barents fit tout pour conserver le bon moral de sa troupe. À la lueur du lumignon d’huile d’ours, il leur faisait la lecture de l’Histoire et description du Grand Empire de Chine de Mendoza. Assis en rond autour du feu fumant, le dos glacé, les hommes écoutaient le chef, le savant, qui un jour les tirerait de là.

Ils piégeaient des renards dont ils mangeaient la chair et dont la peau servait à faire des vêtements. Ils tuaient les ours à l’arquebuse, les dépeçaient à la hache et récupéraient la peau. Ils furent même obligés de se battre avec des troupeaux de morses qui les attaquaient.

Gerrit de Veer

Un mousse mourut de froid… le scorbut s’en mêla… le 13 juin 1597, les hivernants se mirent en route dans les deux chaloupes récupérées sur le bateau. Barents mourut, suivi d’un autre matelot. Le 28 juillet, ils rencontraient deux navires russes qui leur fournirent des vivres. Sur la côte, ils trouvèrent des peuplements de cochléaria, qui leur permit de surmonter le scorbut ; arrivés sur la presqu’île de Kola, ils apprennent que trois navires hollandais mouillaient à proximité : leurs souffrances étaient terminées. Les héros de la première grande épopée arctique marquaient le début de la puissance hollandaise au XVII° siècle.

Les Anglais mettent Cadix à sac.

1596  

Poussé par une situation financière dramatique, Henri IV impose Sully à la tête du Conseil des Finances : Or sus, mon ami, c’est à ce coup que je me suis résolu à me servir de votre personne aux plus importants conseils de mes affaires et surtout en celui des finances. Ne me permettez-vous pas d’être bon ménager et que vous et moi couperons bras et jambes à Madame Grivelée comme vous m’avez dit tant de fois que cela se pouvait faire, et par ce moyen me tirer de nécessité.

Lettre du roi à Sully

Deux ans plus tard, la charge de surintendant des finances sera rétablie à son profit, puis celle de grand voyer de France, voyer de Paris, grand maître de l’artillerie, surintendant des fortifications, surintendant des bâtiments ; traduit en langage contemporain, cela signifie : ministre des finances, des transports, de l’aménagement du territoire, de la défense. Tout cela donne les moyens de penser aussi à soi, et il mettra en place ce qu’il faut pour s’assurer un formidable enrichissement personnel : ses charges et les gratifications du roi lui rapportaient plus de 150 000 livres par an et sa fortune, à sa mort, sera estimée à plusieurs millions de livres. En 1602, il achètera la seigneurie de Sully, dont il sera fait duc en 1606.

Entre Sully et Henri IV, les différences étaient certes évidentes : une capacité de travail et d’étude des dossiers exceptionnelle, un sens aigu de l’organisation et de la méthode, une connaissance, patiemment acquise, des techniques de l’administration financière étaient le lot de Sully et faisaient défaut à Henri IV. Mais les analogies étaient également fortes : le goût de l’efficacité, fût-ce au détriment de quelques principes, la définition de leur rôle comme bon mesnager du royaume et défenseur d’un bon peuple opprimé par les classes intermédiaires, la connaissance directe des réalités de la vie sociale… Il y avait surtout ce passé commun de soldats, cette complicité à la fois paillarde et presque fraternelle qui donnait à Sully l’autorité suffisante pour morigéner son roi sur le chapitre de ses aventures féminines ou, à d’autres moments, sans doute, l’obliger à travailler, à étudier un dossier ennuyeux, même s’il n’en avait pas envie. Sully permit à Henri IV de se révéler, le mettant face à ses responsabilités de roi et lui donnant, par ses compétences et son dévouement, les moyens d’exercer effectivement ses responsabilités.

François Bayrou. Henri IV, le Roi libre. Flammarion 1994

Il y avait urgence à redresser la barre : la guerre civile avait considérablement accru les dépenses de l’État et l’impôt avait connu une augmentation sans précédent : l’impôt direct – essentiellement la taille – avait plus que doublé de 1576 à 1588, passant de 8 à 18 millions de livres. En dépit de cela, la dette de l’État était passée de 133 millions de livres en 1588 à 296 millions en 1596. Le coût du ralliement des chefs de la Ligue ne fit qu’aggraver les choses, puis les grands travaux. Dans ces premières années de Sully au pouvoir, le roi lui écrivait : L’état où je me trouve réduit est tel que je suis fort proche des ennemis et n’ai quasiment pas un cheval sur lequel je puisse combattre, ni un harnais complet que je puisse endosser : mes chemises sont toutes déchirées, mes pourpoints troués au coude, ma marmite est souvent renversée et depuis deux jours je dîne et soupe chez les uns et les autres, mes pourvoyeurs disant n’avoir plus moyen de rien fournir pour ma table, d’autant qu’il y a plus de six mois qu’ils n’ont reçu d’argent

Le rétablissement sera inespéré : en 1610, l’endettement aura été ramené à 196 millions de livres, et ce principalement par une augmentation des impôts indirects, alors nommé la pancarte, perçue sur les marchandises à l’entrée des villes, l’ancêtre de notre TVA, qui autorisera même une baisse des impôts directs. Sully se livra aussi à toute une série de redressements sur les percepteurs eux-mêmes qui très souvent avaient pris de très fâcheuses habitudes, opérant de leur propre fait une ponction sur les impôts versés, à leur seul bénéfice. La corruption était alors la règle dans tout le monde développé, très souvent générée par le développement de la fonction publique, ce qui entraînait ipso facto celui de la vénalité des charges.

Le sultan turque ne s’embarrassait d’aucune préférence nationale pour la direction de son administration : Sur quarante huit grands vizirs, de 1453 à 1623, cinq furent turcs, (dont un Tcherkesse), dix d’origine inconnue, trente trois renégats, dont six Grecs onze Albanais ou Yougoslaves, un Italien, un Arménien, un Géorgien

H. Gelzer

Nul doute que la corruption des agents de l’État ne soit grande au XVI° siècle, en Islam comme en Chrétienté, dans le Sud comme dans le Nord de l’Europe. Il n’est aucune cause, civile ou criminelle, écrit des Flandres le duc d’Albe, en 1573, qui ne se vende comme l’on vend la viande à la boucherie… la plupart des conseillers se donne journellement à qui veut les acheter… Cette corruption omniprésente est une limite à la volonté des gouvernants et certes pas la plus sympathique qui soit. La corruption est devenue une force multiple, sournoise, un pouvoir à elle seule. Un de ces pouvoirs à l’abri desquels l’individu s’abrite pour échapper aux lois. Éternelle question qui mêle la force à la ruse. Les lois d’Espagne, écrit vers 1632, le vieux Rodrigo Vivero, sont comme les toiles des araignées qui saisissent seulement les moucherons et les moustiques.

Riches et puissants échappent au piège, seuls s’y embarassent les défavorisés et les pauvres los desfavorecidos y los pobres. Mais n’est-ce pas une vérité de tous les âges ?

[…] Nul pays n’offre meilleure image de la montée du brigandage, pendant ces dernières années du siècle et les premières du XVII°, que l’Espagne qui, le vieux roi mort à l’Escurial, va connaître cette étonnante poussée de luxe et de fête, d’art et d’intelligence qu’est le Siècle d’Or, en cette ville neuve qui pousse à vive allure, la Madrid de Velásquez et de Lope de Vega, la double ville des riches qui sont très riches et des pauvres qui sont très pauvres, mendiants endormis au coin des places, corps roulés dans des capes que les seigneurs enjambent pour rentrer dans leur palais, serenos qui veillent à la porte des riches, monde inquiétant de rufians, de capitaines, de valets faméliques, de joueurs aux cartes crasseuses, de filles adroites à plumer leur gibier, d’étudiants joueurs de guitare qui oublient de regagner leurs Universités, ville mêlée que l’Espagne entière nourrit et qu’au matin envahissent les paysans et paysannes de la proche campagne, qui viennent y vendre du pain.

Fernand Braudel. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. 2. Destins collectifs et mouvements d’ensemble. Armand Colin 9° éd. 1990

Sir Thomas Gresham, riche négociant et conseiller financier de la Reine d’Angleterre Élisabeth I°, fonde le Gresham College, dans la City de Londres. Les seules universités anglaises étaient à l’époque Oxford et Cambridge. Son collège aura 7 professeurs résidents, qui donneront des cours publics en anglais comme en latin, et certains d’entre eux traiteront de sujets scientifiques pratiques alors absents de tout programme universitaire. L’entreprise rencontrera le succès et, un quart de siècle plus tard, aura le soutien actif de Francis Bacon, pour devenir en 1660 The Royal Society of London for improving Natural Knowledge, très vite devenu The Royal Society.

L’heure n’était pas à ce moment au respect de mère Nature, celui, par exemple que lui avait voué la grande Hildegarde von Bingen. Un siècle après la découverte  de l’Amérique, l’esprit était encore à la conquête, qui ne se refusait pas à la violence : Pour découvrir les secrets de la natureun homme ne doit avoir aucun scrupule à entrer et à pénétrer dans ses trous et ses recoins, car la nature laisse plus aisément échapper son secret lorsqu’elle est tourmentée et torturée que lorsqu’on l’abandonne à son cours ordinaire

Francis Bacon. Novum Organum, Charpentier, 1843.

En Italie naît un métier nouveau : marchand de tableaux : Avec ma Corbeille de fruits pour tout bagage, je ne sais dans quel atelier j’aurais pu me faire admettre ; d’ailleurs, je ne voulais plus dépendre de maîtres qui m’apprenaient si peu et me traitaient si mal ; pour l’avouer franchement, au risque de paraître prétentieux, je ne voulais plus entrer chez aucun maître ni me sentir empêché de peindre à ma guise. Autant dire que j’étais bon pour mourir de faim, s’il ne s’était fait alors comme une révolution dans le commerce des œuvres d’art.

Jusque-là, seuls de hauts prélats, des religieux réunis en chapitre ou des seigneurs de l’aristocratie passaient des commandes aux artistes, qui leur fournissaient directement les tableaux, sans intermédiaires. Un nouveau métier apparut : acheteur et revendeur de tableaux. Certains de ces marchands, qui ne possédaient pas de local fixe, faisaient la navette entre les ateliers et les palais, les ateliers et les églises ; d’autres, louant un rez-de-chaussée, ouvraient une boutique avec pignon sur rue. La peinture devint accessible à un public plus large que le cercle étroit des mécènes ; chacun pouvait s’acheter un tableau. Des expositions avaient lieu ; il était permis de peindre d’autres sujets que des Saintes Familles ou des Mises au tombeau. Seul inconvénient : la vulgarisation de l’art entraîna une baisse sensible des prix. Les peintres en renom souffrirent de ce manque à gagner ; moi, qui ne gagnais rien, j’étais heureux de penser que la peinture pourrait être un jour plus populaire : les tableaux que j’avais en tête ne seraient plus réservés à une seule catégorie de la société. Je souhaitais pour notre profession que nos ouvrages fussent soumis au goût des amateurs, même si ceux-ci ne l’ont pas toujours bon, plutôt qu’exposés aux caprices des puissants.

Dominique Fernandez, qui prête ces propos à Caravage. La course à l’abîme. Grasset 2002

5 02 1597  

Six Franciscains déchaux, et des japonais convertis sont mis à mort à Nagasaki. Ils étaient arrivés des Philippines en 1593 : Ils sont morts crucifiés les mains clouées sur une croix et d’autres chrétiens alors ont aussi péri, car ils les ont tué ensemble ; cela s’est fait sur les ordres de l’empereur – Hideyoshi – du Japon.

Chimalpahin, chroniqueur mexicain

En 1597, Toyotomi Hideyoshi crucifia les 26 premiers martyrs chrétiens. Lorsqu’ensuite, les daimyos chrétiens tentèrent de corrompre ou d’assassiner les membres du gouvernement, le shogun Tokugawa Ieyasu en conclut que les Européens et la chrétienté représentaient une menace pour la stabilité du shogunat et du Japon. Avec le recul, quand on considère la manière dont l’intervention militaire européenne suivit l’arrivée de marchands apparemment innocents et de missionnaires en Chine, en Inde, et dans de nombreux autres pays, on peut juger les craintes de Ieyasu parfaitement justifiées. En 1614, le shogun interdit le christianisme et commença à torturer et à exécuter les missionnaires et les convertis qui refusaient d’abjurer leur religion. En 1635, l’un de ses successeurs se montra plus radical encore en interdisant aux Japonais de voyager à l’étranger et aux navires japonais de quitter les eaux côtières du Japon. Quatre ans plus tard, il expulsa tous les Portugais qui résidaient encore au Japon.

Jared Diamond. Effondrement. Gallimard 2005

11 03 1597

Les Espagnols s’emparent d’Amiens, ce qui fâcha beaucoup le roi, d’autant que ces messieurs d’Amiens avaient refusé l’aide des troupes royales, qui en firent dès lors le siège, et le 25 septembre, Amiens tombait, revenant ainsi à la France : les Espagnols, par le traité de Vervins (2 mai 1598) rendaient 6 villes du Nord et la Place du Blavet en Bretagne. Ils conservaient toutefois Cambrai. C’en était fini de la prépondérance espagnole en Europe. Lors du siège d’Amiens, Sully créa le premier hôpital militaire ambulant, l’ambulance. Cent ans plus tard, l’entreprise remise à des concessionnaires, n’était pas à citer en exemple : les malades ne sont couchés que sur la paille, trois dans le même lit ; les chirurgiens sont des ignorants, fort paresseux à soigner les malades et qui, à la moindre chose qu’ils ont, coupent bras et jambes sans nécessité.

Rapport remis à Louvois sur les hôpitaux du Mont Royal et de Sarrelouis.

25 05 1597 

Autour de la soupe populaire, ventre affamé n’a pas d’oreilles, et, dans le cas présent pas d’yeux non plus : une bousculade peut devenir dramatique : les recteurs et procureurs de l’église Saint Esprit d’Aix en Provence, faisant une donne de pain aux pauvres, pour la précipitation d’iceux pauvres sont mortes six ou sept perzonnes, tant enfants, filles que une femme, ayant été mis par terre, mis les pieds dessus et étouffés, y ayant plus de douze cents pauvres.

Foulquet Sobolis Histoire en forme de journal de ce qui s’est passé en Provence depuis l’an 1562 jusqu’à l’an 1607.1894.

24 08 1597 

Charles Emmanuel, duc de Savoie, pose la première pierre de Fort Barraux, en territoire français, à coté de Pontcharra, provoquant ainsi Lesdiguières, maître de Grenoble, qui attend que l’ouvrage soit terminé pour s’en emparer le 15 mars 1598.

1597

L’École de médecine de la rue de la Bûcherie confie à Jean Robin la direction d’un jardin des herbes.

La Hollande est décidément la puissance montante, commençant par prendre une place prépondérante là où sont les richesses, en Méditerranée : Les Hollandais auront triomphé et atteint, vers 1597, l’extrémité orientale de la mer. Cette année-là, Balthasar Moucheron, l’ennemi de l’Espagne, envoyait un navire à Tripoli de Syrie, sous pavillon français. L’année suivante, tous les navires hollandais obtenaient du roi Henri IV l’autorisation de trafiquer sous son pavillon dans les ports turcs (ils n’auront leur premières capitulations qu’en 1612). En 1599, le consul vénitien signalait que cette année-là était encore venu un navire flamand avec plus de 100 000 écus en argent comptant, qui n’avait d’ailleurs pas causé peu de mal au commerce vénitien. Il se préoccupait de savoir si les marchands des Pays-Bas resteraient en Syrie, le Consul hollandais déclarant qu’ils ne le feraient point si les progrès de leurs compatriotes continuaient dans l’océan Indien. Bon voyage ! eût-on dit volontiers à Venise. Mais les Hollandais restèrent, malgré le périple triomphal d’Houtman (1595), l’occupation de Java (1597), la reconnaissance des Comores, la prise de l’île Maurice (1598) et le retour de la seconde flotte (1598). C’est qu’il fallut des années pour que la conquête efficace de l’Indien et la dérivation de ses courants s’accomplissent, pour que, de la Compagnie des Terres Lointaines (Van Verne), se dégageât la Compagnie victorieuse des Indes orientales, en 1602. Et d’autre part, eussent-ils été capables d’interrompre le précieux trafic des drogues, qu’ils auraient encore été attirés dans le Levant par le commerce des soies (qu’ils essaieront bientôt, sans succès immédiat, de détourner vers le golfe Persique) et des cotons filés…

Voilà donc les Hollandais dans la mer Intérieure, bourdons actifs, un peu lourds, si lourds même que lorsqu’ils se heurtent aux vitres ils les brisent. Leur entrée est bruyante, brutale. Est-ce parce que ce sont­ les plus cruels des pirates, au dire des Portugais qui, après le pillage da nossa cidade de Faro, sont tout de même payés pour le savoir ? Ou bien parce que, en Méditerranée et sur l’Océan, ils doivent jouer des coudes, gagner leur terrain sur celui qui est déjà pris par d’autres ? Ainsi avaient procédé, aux XIII° et XIV° siècles, les Catalans, tard venus eux aussi et partout piratant, forçant les portes. Les Anglais ne faisaient pas autrement. Leurs canons ne servaient pas seulement à forcer Gibraltar et à se défendre contre les galères espagnoles. Ils tiraient indifféremment sur tout ce qui était bon à prendre, navires turcs, français ou d’Italie, peu importait ! Et ils avaient rapidement acquis une réputation de forbans. Les Hollandais, en Méditerranée, ont eux aussi misé souvent sur le tableau de la flibuste.

Tôt, ils s’associent à la course barbaresque, [3] j’ajouterai (et j’y reviendrai) qu’ils la transforment, l’accrochant, ainsi que le commerce interlope de l’Océan, au grand port de Livourne. En 1610, en tout cas, arrivaient, dans le port toscan, deux naves venues de l’océan Indien. Méditerranéennes, hollandaises ? ce n’est pas précisé, mais le scribe noircit une page entière pour énumérer leurs richesses. En outre, de curieux rapports se nouent entre la Seigneurie de Venise et Amsterdam, parfois par l’intermédiaire du roi de France, dans un enchevêtrement peu aisé à débrouiller. À Venise, alors, il est fait mention d’assurances maritimes pour toutes les régions du monde, y compris les Indes. Travail hollandais ? Mais nous n’en avons pas la preuve.

Il s’en faut que l’histoire de la Hollande, dans ce petit secteur de Méditerranée et ailleurs, soit entièrement intelligible. Sa grande heure se marque, au cadran du monde, dès la fin du siècle. Alors pourquoi la victoire des navires d’Élisabeth sur les lourdes armadas de Philippe II n’a-t-elle pas été suivie du triomphe anglais qui semblerait logique ? L’Angleterre a gagné, et aussi­tôt la Hollande impose ses hommes, ses trafics, ses navires jusqu’à la lointaine Insulinde, jusqu’en Chine, dans le monde entier. Et ainsi jusqu’au milieu du XVII° siècle. Une seule explication est plausible : la Hollande, grâce au voisinage des Pays-Bas catholiques et par son insistance à forcer les portes de l’Espagne, est restée mieux que l’île associée à la Péninsule et à ses trésors d’Amérique sans quoi elle ne saurait animer ses propres commerces. Car sans les pièces de huit patiemment extraites d’Espagne, il n’y aurait pas eu de commerce hollandais sur les sept mers du monde. Au début du XVII° siècle, en Angleterre, on estimait plus avantageux le commerce de la Levant Company, qui s’équilibrait grâce aux abondantes exportations en Turquie, que celui de l’East India Company, impossible sans une considérable évasion de monnaies. Entre l’Espagne et la Hollande, il y a un lien d’argent, renforcé par la paix de 1609 à 1621, rompu comme toute la fortune de l’Espagne avec le milieu du XVII° siècle, au moment où – est-ce pure coïncidence ? – la roue du sort va tourner contre la Hollande.

La victoire éclatante, au XVII° siècle, des Anglais et des Hollandais ne s’interprète correctement qu’à l’échelle du monde. Il s’agit tout d’abord de transformations techniques en chaîne dans l’art de construire et de conduire les navires ; nous en avons déjà parlé. L’avènement du voilier nordique de 100 à 200 tonnes, bien armé, sûr de ses manœuvres, marque un tournant de l’histoire maritime du monde. De 1500 à 1600, la navigation a fait plus de progrès dans les mers du Nord que l’Invincible Armada à Trafalgar. Les Nordiques ont renforcé la défense de leurs voiliers, augmentant les équipages, multipliant la puissance de feu, débarrassant les ponts supérieurs, pour rendre les manœuvres plus aisées. Chaque fois que des estimations sont possibles, le chiffre moyen des hommes d’équipage, ramené au tonnage du navire, est supérieur dans le Nord à ce qu’il est sur les bords de la mer Intérieure. L’inconvénient des cargaisons plus faibles est compensé par une sécurité plus grande, et donc des assurances de moindre pourcentage. Évidemment les coûteuses galères de Méditerranée auront parfois, même au XVII° siècle, de sensationnelles revanches : le voilier n’est roi que si le vent gonfle ses voiles et lui permet d’évoluer. Par calme plat, la galère, avec son agilité, gagne les angles morts de la forteresse immobile et la décision est alors en sa faveur.

Mais l’exception confirme la règle. La. supériorité belliqueuse et marchande du Nord ne fait aucun doute. D’ailleurs Anglais et Hollandais en ont très tôt conscience, bien avant 1588. Pour eux, les navigateurs portugais ne sont que poules mouillées. À l’inverse, les Portugais parlent d’une victoire des pauvres et des misérables. Ces Hollandais, disent-ils encore en 1608, se contentent en mer d’une croûte de biscuit, de quelque misère de beurre, de lard, de poisson et de bière ; ils passent avec cela des mois en haute mer.

Les méridionaux ont plus d’exigence à bord, pour n’être pas comme eux élevés dans la misère. Bien sûr, ce sont d’autres facteurs qui sont en jeu dans l’immense débat.

Débarrassons-nous aussi des explications si souvent présentées : l’Ibérique aurait été un mauvais concierge de la Méditerranée ; voulant conjurer la tempête, il l’aurait déchaînée en adoptant, sur l’Atlantique et face au Nord, une politique au-dessus de ses moyens. Cette explication a sans doute une petite part de vérité. C’est en 1586 que les Espagnols, maîtres à Lisbonne comme à Séville, multiplient les embargos et les interdictions contre les navires du Nord. Mais ces mesures n’empêchent pas un commerce ibérique actif avec l’ennemi : ce blocus continental est inefficace. Et tout continue, ou peu s’en faut, comme auparavant. Ensuite la chronologie nous met en garde. Les Anglais pénètrent en Méditerranée dès 1572-73, avec plus de dix ans d’avance sur les embargos espagnols, et les Hollandais en 1590-93, avec plusieurs années de retard… De toute évidence, la grande explication d’un renversement économique à ce niveau d’importance, c’est la grande économie qui la fournit, ou la laisse entrevoir.

Hostiles, Nord et Midi le sont bien avant la fin du siècle : les Pays-Bas se soulèvent dès 1566, les Anglais coupent les relations maritimes espagnoles dès 1569. Mais ces ennemis complémentaires ne peuvent vivre les uns sans les autres. Ils se querellent, puis s’accordent ou s’accommodent, selon que l’entente se fait en plein jour ou à mots couverts. En conséquence, la guerre océane s’allume, s’éteint, se rallume, se tempère toujours de solutions en coulisse… Il y a eu ainsi, entre 1566 et 1570, un important turning point. Jusque-là, le commerce océanique était triple : les Nordiques (Hollandais en première ligne, Bretons en seconde position, bientôt Anglais, par la suite Hanséates et pêcheurs scandinaves, qui assurent la liaison entre le Nord et la Péninsule, fournissant le blé, le bois, les poissons secs ou salés, le plomb, l’étain, le cuivre, les toiles, les draps, la quincaillerie) ; les Ibéri­ques, qui ont organisé à partir de l’Espagne la Carrera de Indias et, à partir du Portugal, la liaison océanique avec les Indes orientales ; enfin les Italiens et plus spécialement les Génois à Séville qui financent ces trafics de marchandises, le métal blanc d’Amérique égalisant, mais toujours avec retard, les dénivellations des balances marchandes.

Surgissent deux énormes pannes : à partir de 1566, les marchands génois qui obtiennent du Roi des sacas de plata se désintéressent de l’exportation de la marchandise qui, jusque-là, avait facilité leurs paiements dans le Nord ; puis, à partir de 1569, le mouvement de métal blanc de Laredo à Anvers s’interrompt. Or le commerce océanique ne s’interrompt pas pour autant, il prospère même et ce fait étonnant est une explication ­clef.

Il n’est pas question d’interrompre vraiment ce commerce, disent les experts d’Espagne aux conseillers du roi, ce serait ruiner la navigation, le commerce des Indes et amoindrir les ressources du trésor. Ainsi parle un long rapport de 1575. Abandonnée par le grand capitalisme génois, la marchandise à Séville a trouvé d’autres animateurs. Les firmes des Pays-Bas, enrichies par les années antérieures, vont faire l’avance de leurs propres marchandises et attendront, pour être payées, que les flottes des Indes reviennent avec du numéraire. Autrement dit, les marchands de Séville ne sont plus que des commissionnaires, ils voient passer le trafic, prélèvent leur bénéfice au passage, mais ne risquent pour ainsi dire rien du leur. Leurs capitaux vont servir à acheter des terres et villages, des juros, ou à constituer des majorats. Dans ce rôle passif, l’oisiveté les guette : ils l’aperçoivent sans horreur. Ainsi Séville a été conquise, dévorée du dedans, par un travail obscur, inaperçu de termites, le tout au bénéfice de la Hollande. Anvers, dans la guerre pourrie qui commence en 1572, demeure la capitale de l’argent politique : c’est Saïgon avant 1953, au temps du trafic des piastres. Cependant Amsterdam attire à elle les marchands anversois et, au delà de Séville, jette son filet sur l’immense Amérique espagnole. Tout cela n’a été possible qu’avec des années de travail, des complicités, des prête-nom, une lente pourriture de la place sévillane ne serait-ce que, pour les retours d’argent, des complaisances du duc de Medina Sidonia, à partir de San Lucar de Barrameda qui est son fief.

Vers la fin du siècle, tous ces dessous du trafic sévillan sont connus et, durant l’été 1595, le roi se décide à frapper ce commerce clandestin, trop développé pour pouvoir échapper à une enquête attentive. L’ordre, fut exécuté par le licencié Diego de Armenteros, assisté de Luis Gaytan de Ayala. Ils visitèrent soixante-trois maisons marchandes de Séville, appartenant à des Castillans, Portugais, Flamands, Français, Allemands, soupçonnés en raison de leurs rapports avec la Hollande, la Zélande et l’Angleterre… Bien entendu, il ne se trouva pas un seul Anglais, Hollandais ou Zélandais à appréhender ! C’est chose bien connue, écrit Armente­ros, qu’ils ne commercent en Espagne que par des intermédiaires de confiance. Les deux visitadores saisirent des papiers, des livres marchands, quand livres il y avait et qu’on put découvrir, certains marchands ayant caché les leurs jusque dans leurs lits. Tous ces papiers furent examinés par les cinq contadores, experts comptables, mis au service des enquêteurs. En raison de l’abondance de la matière, des complications et obscurités, il était malaisé de découvrir les propriétaires exacts des marchandises. Les Provinces fidèles des Pays­ Bas échangeaient en effet des marchandises avec les îles des révoltés. Et, à moins d’établir des sauf-conduits spéciaux délivrés par le gouverneur des Pays-Bas, ou de rendre obligatoire et général ce système entre les deux portions en guerre des Flandres, il était difficile de savoir si telle marchandise appartenait aux uns ou aux autres. L’imbroglio venait de ce qu’il était impossible de faire passer par Dunkerque ou Gravelines les trafic des Provinces fidèles. Avec les îles voisines et Douvres en face, combien de temps cela ne prendrait-il pas ? Et où sont les navires du roi ? Alors, procéder par enquêtes, susciter des témoins ? Personne ne dira, ne pourra dire la vérité. Le marchand interrogé qui laisserait saisir telles ou telles marchandises sait bien que son correspondant se paierait sur des marchandises lui appartenant. Telles sont les conclusions de la lettre commune envoyée, le 12 juillet, par le duc de Medina Sidonia et les deux enquêteurs, pour lesquels Diego Armenteros a tenu la plume.

La situation est plus claire encore dans une lettre du même Armenteros, écrite un mois plus tard probablement à un secrétaire de Philippe II, son ami ou protecteur, en tout cas personnage politique d’importance. Dans les papiers saisis, Armenteros a vu dix fois, cent fois pour une, que les marchands incriminés commercent, comme si de rien n’était, avec les révoltés des Pays-Bas ou les Anglais, et entretiennent avec eux une correspondance, leur font des remises d’argent.[…] Il n’y a pas un étranger entrant à San Lucar, ajoute-t-il encore, qui ne soit favorisé, choyé, même aidé pour les exportations d’argent. Quand il aura une personne sûre sous la main, il lui fera parvenir les papiers concernant l’affaire Leymieri. En attendant, le secret, supplie-t-il. Que je n’augmente pas encore le nombre des ennemis que je me suis faits à servir Sa Majesté...

Il y a des preuves d’une netteté plus cruelle encore. Dès l’année suivante, en 1596, dans la baie de Cadix, 60 navires chargés pour les Indes étaient surpris par la flotte anglaise, lors du sac de la ville : au total 11 millions de marchandises… Les Anglais proposent de ne pas les brûler contre une indemnité de 2 millions. Or le duc de Medina Sidonia refuse le marché et les vaisseaux flambent. Oui, mais ce ne sont pas les Espagnols qui subissent l’énorme perte, les marchandises ne leur appartenant pas… Au vrai, tout un livre serait à écrire sur Séville, ville de corruption, de dénonciations haineuses, d’officiers prévaricateurs, où l’argent fait ses ravages.

Toutes ces réalités crues nous aident sinon à conclure, du moins à entrevoir les explications essentielles. Ce qui fait basculer l’histoire du monde, ce ne sont pas les maladresses des agents de Philippe II, ni la faiblesse évidente des gendarmes dans le détroit de Gibraltar, mais bel et bien la banqueroute de l’État espagnol, patente en 1596 et qui repose d’un coup, avant même d’éclater, les problèmes de la circulation du métal blanc et de la division de la fortune du monde… vers la Méditerranée, avec le blé et les autres trafics, vers les îles de la Sonde, la Hollande en expansion brusque cherche et trouve des compensations… .

Détail curieux : ces poussées hollandaises, notamment en Méditerranée mais non moins vers les Indes ou l’Amérique, sont précédées par l’arrivée de marchands portugais, généralement nouveaux chrétiens, venus soit de Lisbonne, soit des villes du Nord où ils ont trouvé refuge. Y a-t-il eu, comme c’est possible, une prise de Lisbonne, comme il y a eu une prise de Séville ?

C’est une autre et importante question.

Cette immense infiltration d’un capitalisme nordique, atlantique, international, domicilié à Amsterdam, ne pouvait laisser hors de ses prises la riche Méditerranée. Comme l’Espagne pillée sans vergogne, elle tentait un capitalisme en pleine jeunesse et aux dents longues, un capitalisme qui a su rapidement se ménager des alliés dans la place. En faveur des Hollandais, leur préparant la voie sans le vouloir toujours, sont entrés en jeu les riches marranes portugais : ainsi les Ximénès de Lisbonne et d’Anvers et leurs associés, les Andrade et les Veiga, qui ont organisé pour le grand-duc de Toscane les livraisons de blé nordique à partir des années 1590, non sans bénéfices considérables, qui se sont engagés également dans le commerce du poivre en direction de l’Italie.

[…] Ces détails signalent une certaine conjoncture : depuis que le poivre est difficile à vendre par les chemins de l’Atlantique, il se diffuse presque de lui-même vers l’Italie et de là vers l’Allemagne et c’est vers l’Italie que se dirige, pour un temps, l’émigration portugaise.

À Venise, l’ambassadeur de Philippe II parle de ces Juifs portugais qu’il voit arriver en habits chrétiens, puis se déclarer por judios et mettre le chapeau rouge qui est le signe distinctif qu’ils portent dans cet État.

Venise à leur endroit redevient tolérante, les accueille, les supporte, les protège, profite de leur concours. […] Il semble que s’esquisse alors, discrète ou non, efficace ou apparente, une prospérité de certains marchands juifs, levantins et ponentins qui accordés ensemble font la chaîne d’Istan­bul à Salonique, à Valona, à Venise et au delà jusqu’à Séville, Lisbonne et Amsterdam. Ce n’est pas hasard si la course espagnole, toscane ou maltaise, en ces années­ là, est si attentive à dégraisser les bateaux marchands en y saisissant toutes les marchandises appartenant à des Juifs, cette ropa de judios dont parlent les documents espagnols. Ces cargaisons en valent souvent la peine.

Donc la question se pose : cette prospérité a-t-elle pris naissance dans une entente, plus ou moins formelle, entre Hollandais et nouveaux chrétiens portugais ? Dans ce cas, l’Atlantique en serait responsable. Nous n’avons pas assez de preuves pour en décider, mais la chose est possible. Paru en 1778, sans nom d’auteur, La Richesse de Hollande est un très beau livre, pas forcément un livre de vérité. On y lit, mêlées à quelques erreurs, les affirmations suivantes : ce ne fut qu’en 1612 qu’à l’imitation des Juifs réfugiés chez eux, qui avaient, dit-on, établi des comptoirs partout, les Hollandais commencèrent à en former et à naviguer dans toute la Méditerranée.

Depuis que les pages qui précèdent ont été rédigées (1963), les recherches se sont poursuivies sur la spectaculaire descente des navires, marins, marchands et marchandises du Nord vers la mer Intérieure. Des précisions nouvelles ont été apportées : ainsi que les Hollandais ont préparé avec soin le straatvaart, le voyage par le détroit de Gibraltar. Un espionnage commercial les a exactement renseignés, comme le prouvent des correspondances de marchands, celles de Daniel van der Meulen ou de Jacques de la Faille. Dès 1584, ce dernier avait dépêché en Méditerranée, à partir de Londres, un navire chargé de draps anglais et de barils de poisson, qui ramena, au retour d’Italie, du riz, des fruits, du vin. Malheureusement, il fit naufrage au retour, sur la côte même de Hollande. En 1588, un navire hollandais réussissait, le premier peut-être, à toucher la Barbarie et le Levant. En 1590, un autre navire, le Swerten Ruyter (Le Cavalier Noir) , rapportait, d’un long voyage de deux ans en Méditerranée, une leçon dictée par l’expérience : vu l’hostilité espagnole et l’omniprésence de la piraterie, il conseillait d’employer d’assez gros navires (de l’ordre de 150 tonnes), bien armés, avec des équipages d’au moins une trentaine d’hommes. Que le risque fût réel, durant les années qui allaient suivre, le taux d’assurance pour les navires à destination. de Livourne – 20 % – le dit à soi seul. D’ailleurs, les navires hollandais prirent la précaution de voyager sous pavillon étranger, avec de faux papiers ; ce sont, comme l’on dira plus tard en France, des navires masqués. Sur les voyages en partance d’Amster­dam, nous possédons des renseignements assez complets ; de même sur Cornelius Haga (1578-1654), le premier ambassadeur des États Généraux à Istanbul, par qui furent signées les capitulations de 1612, au bénéfice des Provinces-Unies.

Ces détails ont évidemment leur importance. Mais ce ne sont pas les seules données nouvelles offertes par la recherche de ces quinze dernières années. Et s’il m’a semblé nécessaire de leur faire un sort particulier dans cette quatrième édition, c’est à cause des thèses d’ensemble de Richard T. Rapp qui les accompagnent et éclairent d’une lumière nouvelle la façon dont la Méditerranée, au XVII° siècle, a cédé le pas à l’Atlantique Nord.

Première thèse de R. T. Rapp : les Méditerranéens ont été délogés de leur position dominante, non pas tellement du fait des routes nouvelles qui auraient détourné le commerce profitable vers le Nord, mais avant tout par suite de l’intrusion, dans leur propre mer, des Anglais et Hollandais et d’une révolution commerciale, non pas uniquement routière, mais aussi sous le signe d’une concurrence féroce. La richesse de la Méditerranée, en fait, ne s’est pas tarie ; elle est passée dans d’autres mains. En effet, si l’on se place à Londres, à une date suffisamment tardive, vers 1660 (moyenne des années 1663-1669), les exportations et réexportations de Londres (en milliers de tonnes) pour les produits manufacturés (dont les draps) et les produits alimentaires, donnent les chiffres suivants : vers la Méditerranée (y compris l’Espagne et le Portugal), 974 (soit 48 % du total) ; vers l’Europe, y compris l’Écosse et l’Irlande, 872 (43 %) ; vers l’Amérique du Nord, les Indes occidentales et orientales, 193 (9 %). Ces chiffres, bien que Londres, au milieu du XVII° siècle, ne soit pas le centre du monde, portent un témoignage direct sur l’économie internationale du premier XVII° siècle. La Méditerranée lato sensu (y ajouter la péninsule Ibérique me semble justifié) reste alors la grande région des échanges et des profits. Et ce n’est pas sur les routes neuves des Sept Mers du monde, mais bien en Méditerranée que s’est construite, à ses débuts, la suprématie anglaise. Ou mieux la suprématie nordique car, mutatis mutandis, ces remarques valent tout autant pour la Hollande.

Où R. T. Rapp est plus novateur encore, c’est quand il montre que l’intrusion nordique n’a pas été seulement une capture des services en Méditerranée, mais aussi une conquête forcée des marchés ; que le Nord a imité systématiquement les produits manufacturés d’Italie, surtout ceux de Venise, les évinçant peu à peu par le bas prix des marchandises offertes, conséquence du meilleur marché de sa main-d’œuvre ; plus encore par une concurrence moins loyale, quasi frauduleuse. Car les new draperies anglaises, produites en masse et de qualité inférieure, sont offertes sur le marché du Levant comme draps vénitiens, avec de fausses marques et de faux plombs. D’une part, façon de s’introduire sans difficulté sur un marché en place, d’autre part de discréditer le vieux renom de la qualité vénitienne. Par surcroît, l’émigration des artisans qualifiés de Venise est alors obtenue à prix d’or, aussi bien par la Hollande que par la France de Colbert ou par l’Angleterre de Charles II. Venise, qui fut sans doute la première ville industrielle d’Europe, perd ses supériorités, l’une après l’autre.

Pourtant, et c’est la seconde thèse de R.T. Rapp, la vie de Venise, au XVII° siècle, continue en apparence et en fait au même étiage ; il y eut, pour elle, stagnation, non pas régression de son niveau de vie, après l’essor vif du XVI° siècle. Le constater, c’est défendre et presque prouver, cette fois chiffres en mains, l’impression de tous les historiens de Venise qui ne la voient décliner qu’avec lenteur. Je crois effectivement que Venise a réussi sa conversion agricole – blé, maïs, riz, mûrier, soie grège (et travaillée), élevage – ; que la Terre Ferme, entre XVI° et XVII° siècle, s’est développée et, par son industrie, a soutenu la vie aisée de Venise ; que les hauts prix des marchés de la Seigneurie ont facilité les échanges ; que la navigation de la Méditerranée, bien qu’à la charge des bateaux étrangers, fait de Venise, encore au XVII° siècle, le premier port de Méditerranée ; ­enfin que la place d’argent de Venise reste active.

Mais, plus encore, si la thèse de Rapp est exacte, si c’est de l’antique richesse méditerranéenne que s’est nourrie la première accumulation du capitalisme nordi­que, alors la Méditerranée, elle non plus, n’a pas décliné à vive allure. En ce qui la concerne, le mot de décadence risque d’être excessif. Les cartes ont changé de main mais l’Europe n’a pas changé de centre de gravité en un jour, et pour un seul faisceau de causes. Le destin de la mer Intérieure est lié à l’ensemble du destin européen au seuil de sa modernité, et c’est là un débat classique, c’est-à-dire embrouillé à plaisir. Si l’on en croyait Max Weber, le Nord européen aurait gagné grâce à la Réforme qui aurait inventé le capitalisme. Mais cette thèse ultra connue, si souvent mise en avant, n’est pas à retenir les yeux fermés.

Fernand Braudel. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. 2. Destins collectifs et mouvements d’ensemble. Armand Colin 9° édition.

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[1] Les canons de fonte anglaise se révélèrent plus résistants que ceux du continent grâce au phosphore présent dans les sols de la forêt d’Ashdown, dans le Sussex. Ils n’explosaient pas aussi souvent au mauvais moment.

[2] La cause principale de l’élévation des prix [aujourd’hui nommée inflation. ndlr] est toujours l’abondance de ce avec quoi les prix des marchandises est mesuré, l’abondance d’or et d’argent plus grande qu’elle ne l’a jamais été.

Jean Bodin, 1530 – 1596 théoricien de la politique. Les six livres de la République est son œuvre principale

[3] Au tournant des XVI° et XVII° siècles les marines d’Alger et de Tunis sont particulièrement redoutées par les vaisseaux qui naviguent en Méditerranée. De 1580 à 1650, période considérée comme l’apogée du corso, la flotte d’Alger oscille entre 60 et 80 navires ; elle est en mesure de ramener, durant les premières décennies du XVII° siècle, près d’une centaine de prises par an. Uu chroniqueur tunisien, Ibn Abi Dinar, relève quant à lui que les trophées de la mer abondent dans la province de Tunis sous les deys Uthman et Yusuf, qui la gouvernent de 1539 à 1637. Cette période voit également l’adoption au Maghreb de vaisseaux ronds [navires à voile] sur le modèle des navires de l’Atlantique, plus mobiles, rapides et manœuvrants que les galères méditerranéennes. Vers 1625, la marine d’Alger est ainsi composée d’une centaine de vaisseaux ronds, pour 6 galiotes à rame seulement.

Guillaume Calafat L’Histoire n° 500. Octobre 2022