16 janvier 2018 au 29 octobre 2018 La lutte contre le plastique est engagée. Arnaud Beltrame. Pierre Rabhi. Un vent nouveau souffle sur l’Ethiopie. Boeing envoie ses passagers à la mort. Nicolas Hulot emporte avec lui beaucoup de l’espérance qu’il incarnait. 22783
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Publié par (l.peltier) le 16 août 2008 En savoir plus

16 01 2018 

Par 402 voix contre 232, le parlement européen interdit la pêche électrique, sans aucune dérogation. La pêche aux explosifs, au poison comme la pêche électrique étaient interdits depuis 1998. Mais les Hollandais, grands pratiquants de cette dernière étaient remontés au créneau et étaient donc parvenus à arracher une autorisation, valable pour 5 % de la flotte de pêche de chaque pays. La pêche électrique, cela signifie que les poissons enfouis dans le sol marin, soles, carrelets, couteaux etc… atteintes par la décharge sortent …pour se faire avaler par le filet. Mais les poissons qui ne sont pas visés ont la colonne vertébrale brisée… 70 % de ce qui est pêché est rejeté à la mer, car non vendable… un massacre et un gaspillage honteux.

À l’origine de cette victoire écologiste, l’association Bloom, fondée par Claire Nouvian dont l’allure bien classique cache un tempérament de feu, une missionnaire sans la foi qui, si elle s’est refusée à adopter les choix musclés de Paul Watson – Sea Shepherd Conservation Society – est restée sur le terrain légal, mais avec une volonté d’efficacité qui lui apporte d’indéniables et prestigieuses victoires.

Claire Nouvian a la frite et garde la pêche

Elle donne rendez-vous dans un café à deux pas du jardin du Luxembourg, à Paris. Ballerines et chemisier sages, visage d’ange, Claire Nouvian a l’apparence d’une mère de famille BCBG à la sortie de la messe. Mauvaise pioche. Dès que la fondatrice de l’ONG Bloom se met à parler, le Christ tombe de sa croix. Voix rauque, gouailleuse, langage fleuri truffé de putain et de j’en ai rien à foutre, tutoiement facile. Elle vous embarque dans un tourbillon d’indignation et de rage. Au terme d’une campagne acharnée, elle a obtenu en 2016 l’interdiction du chalutage en eaux profondes dans l’Union européenne. Ce qui lui a valu d’emporter en avril le prix Goldman, sorte de Nobel de l’environnement. Aujourd’hui, elle ferraille contre la pêche électrique, bannie en Europe en 1998 car destructrice mais rétablie en 2006, officiellement à des fins de recherche scientifique. Et grassement subventionnée, en toute illégalité. Ses armes : pétitions, plaintes contre les Pays-Bas (où 30 % des chalutiers sont équipés, au lieu de 5 % autorisés). Elle s’anime devant son citron pressé. Les pêcheurs néerlandais ? Une mafia ! Les Pays-Bas ? Le pays le plus corrompu sur la pêche. L’Ifremer, en France ? Coupable d’avoir dissimulé un rapport sur la mortalité des alevins électrocutés. Les grosses ONG environnementales ? Elles dorment, n’emmerdent personne, au contraire les industriels leur filent un chèque.

Claire Nouvian, elle, ne dort pas. Deux ou trois heures par nuit maximum. Elle bosse. Jusqu’à l’effondrement, 7 de tension, plus de goût, d’odorat. Ses proches s’inquiètent. Je sais, c’est pas du tout raisonnable, j’ai même pas le temps de me faire couper les cheveux, je le fais toute seule, là j’ai pas eu le temps de faire le côté droit. Elle montre son profil asymétrique. Ses rares moments libres, elle les consacre à sa fille de 7 ans, à son compagnon banquier qui donne tous ses bonus à des causes et paie le loyer, et à des spectacles de danse contemporaine. D’accord, mais pourquoi les poissons ? Parce qu’ils n’ont aucun défenseur. J’aurais pu prendre n’importe quel autre sujet d’injustice, j’ai une immense admiration pour Oxfam, CCFD-Terre Solidaire, Sherpa, Anticor, les associations spécialisées dans la lutte contre la corruption, mais elles font ça si bien qu’elles n’ont pas besoin de moi. Ceci dit, avec la pêche industrielle, on est aussi au cœur de la corruption, des lobbys qui pèsent sur les décisions publiques contre l’intérêt général et contribuent à mettre en péril le monde. En quelques années, elle a imposé son style. Omniprésente, incontournable, intraitable. C’est un moine soldat, elle est entière, ne pardonne rien, dit son ami Charles Braine, écologiste et ancien patron-pêcheur. Tu la jettes par la porte, elle revient par la fenêtre, la cheminée, et finit par gagner, dit la dessinatrice Pénélope Bagieu, qui la voit comme LE modèle contemporain de femme culottée et l’avait approchée en 2013 pour créer une BD sur le chalutage profond, un immense succès (de la même façon que Terreur Graphique et Capucine Dupuy en livrent une, aujourd’hui, sur la pêche électrique). 

La pasionaria survoltée fascine – Jean-Louis Borloo en était gaga, paraît-il – ou horripile. Claire Nouvian s’est mis à dos une myriade d’ennemis, les trolls téléguidés par les lobbys lui balancent des tombereaux d’insultes. Rien à foutre, personne ne fermera mon clapet, jamais, je préfère mourir que de me taire, balaie-t-elle. Elle cite un proverbe bosniaque : Homme sans ennemis, homme sans valeur. D’où lui vient ce besoin viscéral de combattre l’injustice ? Claire Nouvian louvoie, parle d’abord d’une morale ancrée en elle, celle de son grand-père : Aucun arrangement avec la vérité, avec soi-même. L’aïeul, dont elle a récupéré le tempérament de merde, hyper dur, était gaulliste, contremaître dans une usine de pesticides puis maire de Civaux, dans la Vienne, où il a fait venir la centrale nucléaire. Gamine, elle est trimbalée un peu partout par des parents tout sauf écolos-gauchistes. Bourgeois fêtards. Ses pôles Sud. En Algérie, la famille suit le père, cadre chez Total. Puis, après le divorce, elle suit la mère, dirigeante d’une entreprise de textile à Hongkong. À 10 ans, je pensais que j’étais folle, je détestais l’école. J’ai passé mon enfance à pleurer, je n’ai arrêté que vers 35 ans, après sept ans de psychanalyse.

Claire Nouvian ne pleure plus, mais le mensonge lui donne de l’urticaire et l’égoïsme des ultrariches la met dans une colère noire. Je ne supporte plus leur égocentrisme : Mes enfants, leur réussite, HEC, Polytechnique. Mais qu’est-ce que tu fais pour les autres, toi, à part avoir des maisons de campagne ? Dites Macron, et elle part en vrille. Elle dénonce son double jeu sur la pêche électrique. Il symbolise à ses yeux les élites profondément corrompues. Make our planet great again, super, bravo, maintenant tu peux dire à la FNSEA de rester en place, donner un peu de panache à ta loi alimentation ? Je me fous des discours, le seul truc qui m’intéresse, c’est l’action. Elle estime que Hulot, qui se fait écrabouiller, devrait partir. Comment peut-on être ministre d’un gouvernement qui chasse les migrants, rend aux riches : la honte absolue ! Au premier tour, elle a choisi Mélenchon et blanc au second. Hamon ? Un gland. Pour les européennes, elle vote Verts. Aime les eurodéputés Yannick Jadot (EELV) et Younous Omarjee (LFI). Trouve François Ruffin incroyable : C’est le type qui m’inspire le plus en politique. Il est juste, sincère, la probité même.

Parmi les six langues qu’elle parle, figure le russe. Jeune, j’étais fascinée par le communisme, je trouvais ça dingue, cette utopie collective. Après, ça s’est très mal passé. Et on paie tous le prix de cet échec. Le libéralisme s’y est engouffré en nous assénant que l’homme est un loup pour l’homme alors que non, on peut être altruiste, ça dépend juste de l’éducation. Le débit est mitraillette. Claire Nouvian dégage une énergie de centrale nucléaire, mais une centrale avec quelque chose de brisé en son cœur, qui brûle pour ne pas imploser. L’action, le mouvement perpétuel. L’immobilité, c’est l’accident. En lisant Zero Degrees of Empathy (non traduit), du psychologue Simon Baron-Cohen, elle a compris cette fêlure : J’ai une souffrance permanente en moi parce que je suis en empathie extrême. L’égoïsme des gens me dévaste. Leurs centres d’intérêts à la con sur leur baraque, leur nouvelle bagnole, ça m’agresse de nullité. Je sais pas comment ils font, alors que quand des migrants se font buter, ça envahit tout mon espace émotionnel, mes rêves, mes nuits.

Claire Nouvian vit avec des poissons électrocutés dans les yeux, l’évasion fiscale en travers de la gorge, mais aussi Alep et la Ghouta dans le cœur – elle a accueilli un réfugié syrien -, tous les malheurs du monde dans l’âme : Je ne peux même pas en parler. Elle dit avoir enfin trouvé la source de cette hypersensibilité : enfant surdouée, non détectée, elle a dû composer avec des difficultés émotionnelles colossales. Sans l’aide de parents space. Elle a toujours besoin d’une béquille esthétique, philo – elle se définit comme kantienne -, Pina Bausch, peinture, Beethoven, Schubert, Saint-Saëns… Elle a aussi saisi pourquoi elle était profondément dark en lisant Günther Anders, le penseur du globocide nucléaireQuand on est cultivé, on est désespéré. Est-ce que ça doit nous empêcher d’agir ? Bien sûr que non ! Au contraire, plus on est pessimiste, plus on a envie de se battre. Et de s’engager en politique ? Aucune envie. Sauf si Ruffin se présente ! L’entretien s’achève. Claire Nouvian court travailler. Elle sourit pour la photo. On retrouve la mère de famille BCBG. Pourquoi cette allure, au fait ? Au début, j’arrivais à enfumer les bourgeois avec ça, mais ça marche plus, se marre-t-elle. Non, en fait, c’est que j’en ai rien à foutre du look. Je mets toujours la même tenue, parce que ça ne me prend aucun temps. J’ai lu que Barack Obama faisait pareil.

Coralie Schaub           Libération du 26 juin 2018

Claire Nouvian : « Arrêter de subventionner le transport ...

25 01 2018 

Le chantier naval HHIC, à Hanjin, aux Philippines livre à la CMA-CGM le plus grand porte container du monde : Antoine de Saint Exupéry. 400 mètres de long, 59 de large, à même de charger 20 600 conteneurs, moteurs encore au diesel, les générations suivantes seront au GPL. De quoi nous inonder encore plus vite, avec une productivité augmentée, de produits d’Extrême Orient, fabriqués par des gens payés au lance-pierres. Et, pour ne pas repartir vers la Chine à vide, ces conteneurs sont remplis de vieux papiers : en regard de ses besoins, la Chine n’a que peu de forêts et importe donc du papier usagé pour en refaire du neuf.

تويتر \ Visactu على تويتر: "Il mesure 400 mètres de long. Le « CMA-CGM Antoine de Saint Exupéry », plus long porte-conteneurs au monde, inauguré au Havre. > À découvrir sur @francebleu :

Le « Saint-Exupéry », le nouveau géant des mers de CMA CGM

25 01 2018      18 h

Élisabeth Revol, 37 ans, et Tomasz Mackiewicz, Polonais de 43 ans sont au sommet du Nanga Parbat, la montagne tueuse, 8 125 m. Ils y sont parvenus en style alpin – sans porteurs, sans oxygène, sans cordes fixes -. Mais Thomas est rapidement atteint d’une ophtalmie des neiges et le drame prend brutalement la place de la joie du sommet : il faut descendre, perdre de l’altitude, vite. Mais à l’ophtalmie s’ajoute l’œdème pulmonaire et cérébral, et les voilà bloqués par la nuit, l’épuisement. Élisabeth tente une piqure de dexaméthasone, une hormone glucocorticoïde de synthèse, mais l’unique aiguille se casse sur la combinaison ; sous forme de cachets elle lui en fait avaler quatre. Sur son inReach – un traceur qui permet d’envoyer de courts SMS – elle envoie un message, puis ils reprennent la descente pour trouver à 4 h du matin une crevasse-abri à 7 282 mètres. Au lever du jour, ayant reçu une réponse disant que les secours se mettent en route, elle décide de traverser et de monter seule au camp 4 pour récupérer duvet, nourriture, réchaud, matelas ou tente, mais c’est en vain : elle ne retrouve pas le camp 4, et décide alors de poursuivre la descente seule, unique solution pour permettre à des secours d’atteindre Tomasz. Adam Bielecki et Denis Urubko, deux alpinistes polonais, à la tête d’une expédition de secours, se sont lancés à sa rencontre : se faisant déposer à 4 850 m., sous le camp 1, après huit heures d’une débauche d’efforts, ils la retrouvent à 5 950 m, à 2 heures du matin : elle vient de passer une deuxième nuit en très haute altitude sans nourriture, sans boisson, sans duvet ; ils redescendent  et parviennent à une altitude accessible à l’hélicoptère : entre la dépose en hélicoptère des deux secouristes polonais et la montée d’Élisabeth dans l’hélicoptère, il ne se sera écoulé que dix-huit heures. Elle sortira de ce drame sans aucune amputation.

(Le 18 mai 2023 Gelje, un guide népalais trouvera en détresse un Malais sur les pentes de l’Everest à 8 500 mètres : il le redescendra six heures durant  sur son dos jusqu’au camp le plus proche, à 7 900 m [un hélicoptère ne peut pas être opérationnel à 8 500 mètres] ; l’homme sera sauvé. Et c’est un fantastique exploit.)

On ne peut s’empêcher de constater qu’elle a fait voler en éclat le contrat non écrit mais fondamental de la cordée – solidarité à la vie à la mort – mais par ailleurs on est bien obligé de constater aussi que rester aux cotés de Tomasz Mackiewicz, à 7 300 mètres, dans l’état où il était, c’était se condamner aussi à mort et, au lieu d’un mort, il y en aurait eu deux. Elle a voulu d’abord sauver sa peau et elle y est parvenue, on comprend parfaitement cela. On n’a jamais vu de cordée de secours aller chercher des naufragés à une altitude de 7 300 mètres. Donc, abstenons-nous de tout commentaire… pour ce qui est des choix opérés. Par contre, il est des choses qui ne passent pas, quant à ses commentaires, principalement lorsqu’elle dit avoir éprouvé le sentiment d’avoir été trahie. Trahie ? Et par qui donc ? et quand ? et où ?  Il y a là un propos parfaitement inadmissible, insupportable, et impardonnable.

Description de l'image Elisabethrevol.jpeg.jpg.

 

5 02 2018   

Marie Couderc, 31 ans, et Nil Hoppenot, 33 ans, menant tous deux la vie parisienne, se sont réveillés un matin  d’il y a quelques mois, en se disant : ce n’est pas possible, on ne peut plus continuer ainsi et ils ont mis sur pied une traversée à pied de l’Europe d’ouest en est  en passant par la montagne plutôt que par les plaines. Ils n’ont pas choisi de faire systématiquement les sommets comme Patrick Berhault en 2001, mais plutôt les cols. Pourquoi seulement l’Europe : on avait envie de rester dans l’Empire romain.  Ils partent de Sagres, à l’extrême sud du Portugal et arriveront à Istanbul en mars 2020, après 10 000 km. Ils ont pris pour habitude de laisser l’endroit d’où ils partent plus propre que lorsqu’ils y sont arrivés : au vu de certaines photos, il y a de quoi faire !

Le défi sportif est presque anecdotique, la marche est vraiment un moyen d’aller vers les gens et de découvrir des endroits auxquels on n’aurait pas accès autrement. Le fait d’arriver dans ces endroits sublimes et de les trouver pleins de déchets, ça nous brise le cœur .

Marie Couderc

17 02 2018   

La Tchèque Ester Ledecka est venue aux J.O d’hiver de P’yŏngch’ang avec l’intention de gagner l’épreuve de snowboard, ce qu’elle fera. Mais elle aime bien courir deux lièvres à la fois, ce que tout le monde lui déconseille et elle s’inscrit pour le super G de ski alpin. Là, elle n’a pas vraiment d’ambition pas plus que de préparation, au point qu’elle emprunte des skis. Elle part avec le dossard 23 … et gagne d’un petit centième la course.

Dans l’ère d’arrivée, elle va rester de très longues secondes scotchée, perdue face au tableau d’affichage des temps, se disant : c’est pas possible, c’est une erreur d’affichage, comme un voyageur qui s’aperçoit à l’arrivée qu’il s’est trompé de train et qu’il n’est pas dans la gare qu’il avait demandé : il va falloir qu’un officiel vienne lui dire qu’elle a le meilleur temps pour qu’un sourire s’esquisse, bien lentement, tant est difficile à assimiler la nouvelle : je vais très probablement être médaillée d’or du super G des J.O. [pour en être certain, il faut attendre la fin de la course, mais il est extrêmement rare qu’un concurrent gagne une course avec un dossard aussi éloigné du premier, sauf refroidissement brutal qui rend la neige plus glissante : déjà avec le dossard 23, on sait que les 15 meilleurs mondiaux sont déjà passés.]

On verra la grimace de la belle Anna Fenninger qui s’était vue un peu trop vite sur la plus haute marche du podium, on verra la déconvenue du fabricant des skis (empruntés) d’Ester, qui ne songera pas une seconde à bien les montrer aux caméras, on écoutera avec joie Sofia Goggia, en or pour la descente, rappeler les fondamentaux : c’est ça, les Jeux. Mais, moins de deux ans plus tard, Ester Ledecka prouvera que son exploit n’était pas à mettre au rang des exceptions qui confirment une règle mais qu’elle était bien une grande skieuse de vitesse : elle gagnera le 6  décembre 2019 la descente de Lake Louise aux États-Unis, et encore d’autres par la suite. Quand la gnaque est là, le reste suit.

1 03 2018 

Emmanuel Macron offre une soirée culturelle à l’Élysée où il se met lui-même en scène en étant la voix de Pierre et le Loup de Prokofiev. Soirée un tiers mondiste, deux tiers mondaine. Louis XIV s’était essayé au genre, mais aussi Néron, avec leurs Ego surdimensionnés, ne pouvant réjouir que flagorneurs et courtisans … Grotesque.

15 03 2018

Stephen Hawkins nous quitte. L’une de ses dernières déclarations publiques aura été : J’ai une compréhension des trous noirs plutôt satisfaisante. Je me sens bien à l’aise avec les mathématiques ; mais le Brexit, alors là, je n’y comprends rien du tout ! 

Toutes les époques traînent leur lot de tabous, et si personne ne prétend parvenir à comprendre cette folle décision, c’est que personne n’accepte de dire haut et fort à quel degré de médiocrité intellectuelle, à quelle impardonnable démagogie et grossièreté mensongère est parvenue une bonne partie de la presse écrite anglaise, qui fait son miel d’être une presse de caniveau : fake news à longueur de pages, affirmations intempestives jamais étayées d’arguments un peu solides, mensonges éhontés… défaite totale de la raison et de l’honnêteté. Les Anglais l’auront payé cher, très cher leur sacro-sainte liberté de la presse.

23 03 2018   

Un héros. Pour libérer une femme otage d’un terroriste, il s’est proposé en échange et l’a payé de sa vie. Cela s’est passé à Trèbes, près de Carcassonne. Et même s’il a agi en free lance, hors hiérarchie, cela n’enlève rien à son geste.

Arnaud Beltrame, à l'époque où il était commandant la compagnie de gendarmerie d’Avranches, en mars 2013.

Arnaud Beltrame, lieutenant colonel de gendarmerie, marié, sans enfants.

2 04 2018 

Abiy Ahmed est nommé premier ministre de l’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique avec 120 millions d’habitants. C’est un Oromos, l’ethnie majoritaire du pays, pour la première fois au pouvoir. Il est chrétien protestant. Il va mener tambour battant toute une série de réformes en commençant par faire la paix avec le front national de libération de l’Ogaden, mettant ainsi fin à une interminable guerre vieille de 34 ans, puis avec l’Érythrée qui, 1998 à 2000, a fait plus de 80 000 morts. Il va s’entendre avec l’Égypte sur l’épineuse gestion des eaux du Nil bleu, quand l’Ethiopie construit le titanesque barrage de la Renaissance – 3.4 milliard $ –  proche de la frontière Égyptienne, dont la mise en service de la première turbine aura lieu en février 2022, et la hauteur maximale de remplissage atteinte en septembre 2023. Il va assurer une parité rigoureuse dans la composition de son gouvernement. Il va mettre fin aux trop nombreux monopoles d’Etat sur des secteurs entiers de l’économie, il va rayer des listes d’organisations terroristes les partis d’opposition, il va libérer de prison les opposants politiques. Ce sont des rafales de vent nouveau, frais et bienfaisant qui soufflent sur ce pays. Suédois et Norvégiens ne s’y tromperont pas, qui lui donneront le Nobel de la Paix le 11 octobre 2019. Mais il lui faudra ensuite affronter une véritable guerre civile contre l’Érythrée, coûteuse, très coûteuse en vies, dont il ne viendra à bout que grâce aux drones fournis par la Turquie. Et, au bout, il ne saura pas résister à la mégalomanie, et fera construire aux portes de la capitale un palais dont le luxe est une insulte à son peuple. Chassez le naturel… il revient au galop.

Abiy Ahmed crée la polémique concernant son prix nobel – La Nouvelle Tribune

L'Ethiopie inaugure le plus haut barrage hydroélectrique d'Afrique - L 'EnerGeek

Gibe III, sur l’Omo

L'Ethiopie inaugure un barrage controversé qui doit presque doubler sa capacité énergétique | Opale Magazine

vue aérienne du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne sur le Nil Bleu à Guba, au nord-ouest de l'Éthiopie. Le 20 juillet 2020

Grand barrage de la Renaissance éthiopienne sur le Nil Bleu à Guba, au nord-ouest de l’Éthiopie. Le 20 juillet 2020 © Adwa pictures – AFP

en 2024, l’Ethiopie, pour récupérer une accès à la mer, perdu depuis l’indépendance de l’Erythrée en 1993, promettra au Somaliland qui a fait sécession avec la Somalie en 1991, une reconnaissance politique s’il lui cède un accès à la mer.

6 04 2018   

Un collier de 50 km sur la rivière des Perles, à Hong-Kong ; c’est pas chinois, direz-vous ? Mais si, mais si, c’est chinois.

Rivière Des Perles Chine Imagens e fotografias de stock - Getty Images

 

Le pont relie l’île de Lantau, sur laquelle se trouve l’aéroport de Hong Kong, à Macao et Zhuhai, ville continentale de la province du Guandong, en Chine.

18 04 2018   

Quand le président français Emmanuel Macron, se fait corriger au parlement européen par l’eurodéputé Belge Philippe Lamberts, représentant des Verts.

27 04 2018   

Il va bien falloir que l’occident s’accoutume à des événements de portée mondiale, bien loin de ses centres de décision : ainsi de cette rencontre, la troisième du genre [les deux premiers sommets inter coréens, en 2000 et 2007, n’avaient pas été suivis d’effet] entre les dirigeants de la Corée du Sud Moon Jae-in, et de la Corée du Nord Kim Jong-un sur la ligne de démarcation militaire. Il y aura suite si les deux Corées parviennent sur le nucléaire à un accord qui ait l’aval des États-Unis. Signe de bon augure : la suspension le jour de cette rencontre des exercices militaires américano-sud-coréens commencés le 1°  avril, toujours mal perçus de la Corée du Nord.

1 05 2018 

Défilés habituels du 1° mai, avec l’habituel encadrement de forces de sécurité pour contenir les éventuels débordements ; mais, et on ne le saura que près de trois mois plus tard, s’est glissé au sein des CRS Alexandre Benalla, conseiller sécurité d’Emmanuel Macron à l’Élysée, qui ne parvient pas à réprimer l’envie d’en découdre et de jouer les Tontons Macoute en allant tabasser des manifestants. Ça va faire du bruit dans le Landerneau ! La bronca tant parlementaire que médiatique transformeront le 19 juillet la mise à pied de 15 jours en licenciement sec et en mise en examen, où il aura à ses côtés son collègue Vincent Crase, porteur d’une arme ce jour-là, quand il n’avait pas de permis de port d’arme. 

Le 24 mai, soit près de trois semaines après sa mise à pied de 15 jours, il reçoit son second passeport diplomatique valable jusqu’au 19 septembre 2022. Il avait reçu le premier le 20 septembre 2017. Pourquoi 2 passeports ? Certains pays refusent l’entrée aux titulaires d’un passeport qui montre qu’il est allé dans un pays ennemi. D’où, cette pratique courante. Suit une partie de prestidigitation dans laquelle les passeports disparaissent, puis réapparaissent, le tout avec la complicité tacite d’une administration et d’une commission sénatoriale qui se couvrent de ridicule, avec une incompétence que l’on croyait réservée aux pieds nickelés. Il semblerait bien en fait qu’il les ait fait récupérer par un pote qui les aurait mis en lieu sûr avant de les lui remettre. Qui tire les ficelles ? Qui protège Benalla ? Mais la justice suivra son cours, et, finalement, le 5 novembre 2021 condamnera le bonhomme à un an de prison ferme, à effectuer, il est vrai, chez sa maman, avec un bracelet électronique. Attendre l’appel pour voir si c’est confirmé ou non.

8 05 2018     

Les États-Unis se retirent de l’accord nucléaire avec l’Iran signé en 2015. La suprématie du dollar dans le monde est telle que les sanctions qui suivent ce retrait vont paralyser toute l’économie du pays : toute transaction importante, quels qu’en soient les protagonistes doit à un moment donné recevoir l’accord des autorités américaines. Les États-Unis vont mettre à genou l’Iran, sans même tirer un coup de feu ! Maudits soient les États-Unis.

La fin des liaisons d’Air France vers Téhéran, ce 18 septembre, ajoute la compagnie aérienne française à la liste des groupes occidentaux (Total, Daimler, British Airways, Peugeot, Renault…) qui, trop exposés aux États-Unis, ont préféré éviter les foudres de Washington.

Le 4 novembre entrera en vigueur le second volet des sanctions américaines visant la vente du pétrole iranien. Le premier volet comprend, depuis le 6 août, des blocages sur les transactions financières et les importations de matières premières, ainsi que des mesures pénalisantes sur les achats dans le secteur automobile et l’aviation commerciale.

Malgré les déclarations du président iranien, Hassan Rohani, assurant que la crise sur le marché de devises est résolue, la monnaie iranienne, le rial, ne cesse de dégringoler face au dollar. Ce 16 septembre, le billet vert s’achetait à 143 000 rials contre 40 000 en février, soit une dépréciation de 72 %.

Bien que les bureaux de change aient reçu, début août et après quatre mois d’arrêt, la permission de reprendre leurs activités, ils refusent encore aujourd’hui de vendre $ et €, obligeant les Iraniens à aller se fournir auprès des marchands de rue illégaux qui demandent beaucoup plus que le taux pratiqué sur le marché officiel.

Pour enrayer la chute du rial, le président Rohani a d’abord imposé un taux fixe de 1 dollar pour 42 000 rials iraniens, alors que le billet vert s’achetait et se vendait beaucoup plus cher sur le marché noir. Ainsi, pendant quatre mois, seuls certains importateurs de produits de première nécessité pouvaient bénéficier de ces dollars gouvernementaux. Or cette mesure, annulée début août, a donné lieu à des cas d’abus et de corruption, attisant la colère de la population.

L’instabilité sur le marché des devises, conjuguée aux sanctions américaines, pénalise des pans entiers de l’économie. D’après les sources officielles, la production d’automobiles a diminué de 38 % entre le 23 juillet et le 22 août. Le secteur de la restauration connaît une baisse de 40 %. Et le pouvoir d’achat des ouvriers aurait baissé de 70 %, affirment certains économistes.

Selon les chiffres de la Banque centrale iranienne, l’inflation a atteint 18 % en août en rythme annuel, contre 8 % il y a un an. Tous les prix ont augmenté, notamment ceux des produits alimentaires.

À cause de l’envolée du prix des produits que nous utilisons, nous avons été obligés d’augmenter de 44 % nos tarifs depuis le mois de mars, explique Pedram qui produit des salades en barquette, à Téhéran. Dans ce contexte, les gens mangent beaucoup moins dehors. Disons que nous ne faisons plus de bénéfices. Et si auparavant cet Iranien de 37 ans envisageait de chercher des financeurs européens afin de développer son business, il a désormais laissé tomber cette illusion. Aujourd’hui, je sais que je mettrai les clés sous la porte si le dollar atteint les 200 000 rials, glisse-t-il.

Face à cette situation, Téhéran a, fin août, dénoncé l’étranglement de son économie par Washington devant la Cour internationale de justice (CIJ), où ce pays de 80 millions d’habitants a engagé une procédure visant à enjoindre aux États-Unis de suspendre leur embargo.

Ghazal Golshiri. (Téhéran, correspondance) Le Monde 17 09 2018

14 05 2018   

Les Israéliens fêtent à Jérusalem la nouvelle ambassade américaine, déménagée de Tel-Aviv sur ordre de Donald Trump. Les Palestiniens de Gaza se révoltent ; Israël réprime : 59 morts, plus de 2 400 blessés. Un odieux carnage.

22 05 2018    

Emmanuel Macron enterre le plan Borloo, un avocat qui a été ministre de la Ville sous Sarkozy. pour n’en retenir que des miettes. À la demande du gouvernement, il a travaillé plusieurs mois avec des centaines de responsables locaux pour élaborer ce plan qui a l’ambition de mettre plus de liberté, d’égalité et de fraternité au sein du quotidien des habitants de ces banlieues. Cela donne un document de 160 pages, évacué d’une pichenette par le président de la République : Deux mâles blancs qui ne vivent pas dans les banlieues se remettent un rapport sur les banlieues : ça ne marche plus comme ça. Un mépris pareil pour le travail demandé, aucun des précédents présidents de la République n’avait osé le formuler avec cette arrogance… elle pèsera lourd dans la haine qu’Emmanuel Macron suscitera au sein des Gilets Jaunes, six mois plus tard. Emmanuel Macron a l’addiction au jeu dans son ADN, une addiction cela ne se guérit que très rarement : sa première connerie de joueur est la mise à la porte du général Viguier, grand patron de l’armée de terre, sa seconde connerie est cet envoi à la corbeille du plan Borloo avec cette insupportable arrogance de l’Énarque, sûr de son infaillibilité.

7 05 2018   

Sergio Mattarella, président de la République italienne use de son droit de réfuter la formation d’un gouvernement en lequel il verrait un grave danger pour le pays, et Giuseppe Conte, le premier ministre désigné quatre jours plus tôt, à l’issue des élections qui ont vu une majorité se former autour de la Ligue de Matteo Salvini et du M 5 S de Luigi di Maio, doit démissionner. La démagogie est allé loin au-delà des limites permises, et le président ne veut pas voir son pays prendre le chemin de la Grèce. En attendant de nouvelle élections, les mois à venir s’annoncent pour le moins chahutés, et Carlo Cottarelli, le nouveau président du Conseil nommé par le président de la République, va avoir bien du mal à tenir la barre. Le populisme des deux partis majoritaires va-t-il se satisfaire de sa politique, même s’il n’est là que pour expédier les affaires courantes ? Mais l’Italie n’a pas fini de nous surprendre, car le 31 mai, Giuseppe Conte sera de retour, avec un autre ministre de l’économie plus eurocompatible… e la nave va. 

Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron dira quelques insanités concernant l’Italie sur le sujet de l’immigration, la taxant de cynisme, d’irresponsabilité quand l’Italie est le pays qui s’est engagé le plus à fond sur cette question. Le boomerang lui reviendra dans la figure, mais, trop tard : what’s done is done.

L’homme met deux ans pour apprendre à parler, puis cinquante ans pour apprendre à se taire, disait Ernest Hemingway, qui ainsi, confirme qu’Emmanuel Macron n’a pas encore cinquante ans ! Ceci étant dit, la paternité du mot revient probablement à Amor Absassi, ingénieur tunisien.

Cher Manu,

Ou plutôt très cher Manu, si on considère la folle montée des enchères qui accompagne votre mandat, au point que le gel des aides personnalisées au logement (APL), après la ristourne de 5 €, a un côté tirelire en céramique rose comparé aux cadeaux somptueux offerts aux puissants. En même temps, on a compris que 5  €, c’était du pognon (en gros, l’argent que les enfants économisent pour la fête des mères), et que les cadeaux fiscaux, les dividendes, les salaires pharaoniques, c’est de l’investissement, du ruissellement, comme le bouquet final du feu d’artifice du 14 Juillet, quand des ombelles étincelantes se déversent au-dessus des campeurs ébahis qui resteront un jour de moins, parce que d’année en année le budget vacances est de plus en serré. Du moins pour ceux qui ont encore la chance de partir.

Sémantiquement, pognon fait vieux, plus du tout utilisé, mais c’est sans doute voulu, puisque tout est passé au pressoir de votre propagande. Que les aides aux démunis coûtent du blé, une blinde ou un bras, les démunis, ça risquait de leur parler. Ce n’était donc pas à eux que le message s’adressait. En langage crypté, pognon vise directement les nantis, qui ont toujours, sémantiquement, un train de retard quand ils se la jouent peuple. Un peu comme ce candidat à la présidentielle qui allait toujours faire ses courses à Prisunic. Et même à Prisu, s’il s’était vraiment lâché. Ce qui lui a coûté votre place. Ce sont les mêmes, nantis, vieux et bien-pensants, tous honnêtes gens, c’est-à-dire gens de grands biens, qui, au nom des valeurs (sonnantes et trébuchantes), refusaient jadis catégoriquement toute idée d’impôt sur le revenu, qu’ils considéraient comme un  vol de la propriété – le secret des fortunes violé, s’étranglait l’ignoble Thiers -, et qui trouvent aujourd’hui insupportable, inconcevable, inenvisageable, et pour tout dire scandaleux, d’aider leur prochain sous prétexte que tous ces assistés ne seraient pas fichus de se débrouiller par eux-mêmes. C’est la grande loi naturelle du monde, que chacun soit récompensé selon son mérite. Celui de vos commanditaires est-il grand d’être nés pour la plupart une cuillère dorée dans la bouche ? De plus, on ne voit pas en quoi il y aurait du mérite à avoir du mérite. Le méritant ne peut que se féliciter de sa chance d’être méritant. Ce qui ne l’autorise en rien.

Mais revenons au prochain, le terme devrait vous sensibiliser. Vous avez dû l’entendre à la Providence. On le rencontre, souvenez-vous, dans l’Évangile. Il renvoie au proche, à celui qui est là, qui souffre tout à côté. Et normalement, si on lit bien le Texte qui fonde la chrétienté, si on veille à le respecter à la lettre, on ne laisse pas le démuni dans la rue, ni le migrant sur son radeau percé. C’est le B.A. BA, même pas à discuter.

Cette cécité, destinée à ne rien voir de ce qui ronge le cœur et l’esprit, on la trouve pour mémoire chez Matthieu et Marc, qui rapportaient les paroles de leur étrange ami, et déjà Ésaïe la dénonçait. À croire que c’est une constante chez les riches. L’argent rend aveugle. Et si ceux-là, par un geste inconsidéré d’humanité, en venaient à mettre la main à la poche, pour éviter tout dérapage charitable, on a créé dans les paradis fiscaux des poches étanches, hermétiques au salut collectif par la redistribution, en confiant à des algorithmes sans pitié le soin de brouiller les cartes.

Dans le dispositif ségrégationniste qui se déploie en direct sous nos yeux, les algorithmes et les logiciels sont une pièce essentielle. Ce sont eux qui avec la volonté des élites sont en train de couper le peuple en deux. D’un côté, selon votre adage dit de la gare du Nord, ceux qui réussissent s’entendent à faire de l’argent et parlent nécessairement la langue des GAFA, et de l’autre, les perdants de la vie qui ne comprennent rien à cette novlangue numérique et ne parlent que le jargon des fins de mois où il manque toujours de quoi.

Il suffit de suivre le parcours du combattant d’une réclamation par téléphone, où jamais on n’entend d’autres voix que synthétiques nous demandant inlassablement d’appuyer sur la touche étoile, ou de remplir n’importe quelle fiche sur Internet où, de code secret en mots de passe, on en vient de guerre lasse à renoncer, pour comprendre qu’on n’est pas souhaité dans ce Dark World 2.0. Le couperet tombe là. Impitoyable. L’avantage, c’est que la machine à exclure fonctionne sans qu’on ait besoin d’agents pour faire le tri, de lampistes derrière un guichet recevant à longueur de journée les doléances. Elle ne sélectionne que les esprits valides. Entendre rentables, solvables.

Au besoin, elle se charge d’une partition plus fine, et par étages, de votre société idéale au moment de payer les impôts : en liquide jusqu’à 300 €, par chèque jusqu’à 1 000 €, et au-delà par carte bancaire. Ce qui dessine assez bien le paysage désiré par les possédants. La carte bancaire étant la voie royale à la démonétisation qui concentrera tout l’argent du monde dans les coffres virtuels enfouis dans le permafrost de Visa et d’American Express. Comme dans la recette de César remplissant doctement son verre sur le zinc, il y a bien sûr un quatrième tiers, mais celui-là, on n’en parle même pas, c’est le quatrième tiers de la misère, sans carte bancaire et parfois sans papiers, qui est un mix de quart et de tiers-monde. Le monde des non-imposables, composé des laissés-pour-compte – de tout compte. Pour eux, on inventera un revenu universel à bas prix, à petites goulées d’oxygène, pour les maintenir tout juste en vie sans qu’ils perturbent vos manigances d’oligarques. Mais la misère, visiblement, vous retient peu, obnubilé que vous êtes par vos amis abonnés au magazine Forbes. Et de grâce, épargnez-nous la parade giscardienne indignée sur le monopole du cœur – qu’on se rappelle le cœur de Giscard dans son reliquaire de diamants.

Tellement peu votre affaire, les difficultés à vivre et à survivre du plus grand nombre, que les humbles en font cruellement l’expérience chaque fois que vous descendez de votre trône de parvenu docile aux puissances d’argent. À peine un pied sur le parvis du peuple vous souffletez les illettrées des abattoirs de Bretagne, les ouvriers incapables de se payer des costards, les infirmières toujours à se lamenter d’empiler les heures. Il est évident que, dans ce cas, on ne peut exiger de vous que vous penchiez votre légendaire compassion sur la terre et les animaux.

Les animaux continueront ainsi à être maltraités avant d’être abattus sans anesthésie, les poussins mâles d’être jetés vivants à la broyeuse, la terre d’être abreuvée de glyphosate et autres substances assassines, qui engraissent les profits de Bayer et de Monsanto, et on demandera à Total et à l’huile de palme d’assurer la transition énergétique. Quel besoin d’un plan B pour la terre aussi longtemps que le plan A permet de gaver vos amis jusqu’à en crever. C’est bien sûr sa limite, mais comme Philippulus, le prophète fou de L’Étoile mystérieuse, vous serez célèbre pour avoir anticipé et accéléré la fin du monde. Il convient, sur ce point, d’accorder une mention spéciale à votre pathétique supplétif, préposé à la préservation des espaces, des espèces et du climat. On en fait le champion du monde des avaleurs de couleuvres. Ce qui est beaucoup lui accorder. Il n’a pas d’estomac.

Et maintenant, c’est la jeunesse que vous sermonnez, avec votre mentalité de pion de dortoir. La jeunesse s’en prendrait à votre olympique fonction. Laquelle jeunesse, si elle ne se conduit pas bien, n’aura pas ce beau costume qui est pour vous le mètre étalon de la réussite. Et qu’est-ce qui nous vaut ce courroux jupitérien ? La jeunesse vous aurait appelé Manu. Ce qui est tendre, si vous vous rappelez la chanson de Renaud. Eh déconne pas Manu, c’t’à moi qu’tu fais d’la peine. Ce qui est objectivement vrai. Mais ce qui dénote pour vous, cette vérité, un manque de respect. Au passage, il ne vous fait rien de stigmatiser un jeune garçon et de le jeter en pâture pour alimenter votre propagande narcissique. Encore une démonstration de pure charité.

Réfléchissez cependant. Il est possible que le respect que vous exigez, il vous reviendrait au contraire de l’exercer vis-à-vis de ceux qui vous ont mis à cette place et qui attendaient que vous respectiez votre parole. Car si on s’en tient à l’idée que vous vous faites de la représentation, et à l’image que vous en donnez, la fonction n’est rien d’autre que ce portemanteau qui vous suit partout et a du mal à s’ajuster à vos épaules. Rappelez-vous : Y a comme un défaut. Vous devez connaître, c’est un truc de vieux : Fernand Raynaud faisant remarquer à son tailleur que son  costume, qui plisse de tous côtés, ne va décidément pas.

L’été arrive, c’est le moment de tomber la veste. On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste. Encore un truc de vieux. L’An 01, cette fois. Un conseil pratique que vous auriez pu donner au jeune homme pour le jour où il voudra faire la révolution. Ce qui laisse des ouvertures. Il n’est pas inutile de rêver. Les rêves sont des programmes, cher Manu.

Signé : Jeannot

Jean Rouaud. Le Monde du 26 juin 2018

12 06 2018 

Kim Jong Un, président de la Corée du Nord et Donald Trump, président des États-Unis, se rencontrent pendant 45′ à Singapour, avec une poignée de main à la clef.

Donald Trump dit avoir reçu une lettre "formidable" de Kim Jong-un qu'il pense revoir "prochainement"

après, c’est pareil qu’avant.

1 07 2018 

Simone Weil et son mari entrent au Panthéon : Comment aurait réagi Simone Veil en découvrant l’immense photo de son visage et celui de son mari tendue entre deux colonnes du Panthéon ? Et qu’aurait-elle dit en observant la foule de Parisiens, toutes générations confondues, rassemblée sur le passage de leurs deux cercueils portés par des gardes républicains et applaudissant, fervente, souvent les larmes aux yeux ?

Aurait-elle songé à son père, André Jacob, républicain, laïque et patriote, ancien combattant et prisonnier de la Grande Guerre, si confiant dans la France, si amoureux de son pays, mais jamais revenu d’un convoi de déportés parti en avril  1944 vers la Lituanie ? Aurait-elle pensé à Yvonne, sa mère tant aimée, qui, morte en avril  1945 au camp de Bergen-Belsen, n’a cessé de la porter, de l’inspirer, et demeurait le personnage le plus important de sa vie ? Aurait-elle souri, remarquant que la fameuse phrase Aux grands hommes la patrie reconnaissante, gravée en  1791 sur le fronton du bâtiment, était inappropriée, et la République – qui n’avait point songé à la modifier – décidément incorrigible et intrinsèquement machiste ?

Les proches de Simone Veil se perdaient en conjectures, ce dimanche 1° juillet, sur ce qu’aurait pensé de l’événement l’héroïne consacrée par la nation. Mais s’ils étaient heureux, fiers, émus, tous exprimaient à la fois fascination et sidération devant la force de cette évidence – l’ancienne ministre et présidente du Parlement européen méritait allègrement cet honneur – et son extravagance, étant donné les débuts de son histoire personnelle. La machine nazie avait tout mis en place pour l’anéantir et la réduire en cendres. La voici héroïne, célébrée, vénérée. Elle a connu l’enfer… et elle finit au Panthéon. Quelle histoire !, s’extasiait le docteur Marc Strauss, ami de la famille.

Oui, quelle histoire !, disaient en écho Nicolas Sarkozy et François Hollande, arrivés l’un après l’autre et usant presque des mêmes mots, comme les ministres ou anciens ministres, nombreux à la cérémonie, souvent à court de mots, si ce n’est modèle, pionnière, héroïne. Quelle histoire ! reprenaient aussi les jeunes des différentes écoles, invités par l’Élysée à suivre la cérémonie aux toutes premières loges parce qu’ils avaient travaillé cette année sur le personnage et l’œuvre de Simone Veil. Quelle histoire ! murmurait Marceline Loridan-Ivens, l’amie, la complice, la confidente de Simone Veil, si frêle et si vivante, les yeux perdus dans ses souvenirs d’Auschwitz… Comment ne pas être stupéfaits et fiers ? Une fille de Birkenau entre dans la maison la plus illustre de France. Elle nous honore toutes !  » Toutes ?  » Nous tous, les déportés juifs. Et nous toutes, les femmes ! 

Deux des sœurs d’Antoine Veil – Lise et Mylène, également ancienne déportée – se tenaient à ses côtés, pareillement médusées, la troisième sœur, Jeannine, 98 ans, ayant craint d’être fatiguée ou trop émue par l’événement et le souvenir si fort de son petit frère Antoine… Sans doute avait-elle eu raison. Le ciel était aussi bleu que l’immense tapis conduisant au Panthéon et rappelant la couleur de l’Europe comme symbole de la paix. Mais la chaleur était torride, et les visages ruisselaient sous la tente de plastique transparent.

C’est du Mémorial de la Shoah, où avaient été exposés pendant deux jours les deux cercueils du couple, qu’était parti, vers 10 h 30, le cortège, escorté par quinze motocyclistes de la garde républicaine. Sur son parcours, des hommes, des femmes, portant drapeaux, photos, dessins à l’effigie de Simone Veil, souvent appelée uniquement par son prénom. Mais c’est au point d’arrivée du convoi, au bas de la rue Soufflot, que la foule était massive, la place du Panthéon étant interdite au public. Portés par des gardes républicains, les deux cercueils ont alors remonté lentement, parallèlement, la rue moquettée de bleu, marquant trois arrêts symboliques et passant devant 21 panneaux évoquant la vie de Simone Veil : l’adolescence sous l’Occupation ; la déportation et le matricule 78 651, qui fut tatoué sur son bras à l’arrivée à Auschwitz et qu’elle fera graver plus tard sur son épée d’académicienne ; sa carrière de magistrate, son action comme ministre de la santé, son engagement dans l’Europe, sa défense des Justes de France…

À chaque arrêt correspondait un court extrait d’un documentaire sur Simone Veil réalisé par David Teboul, et sa voix claire, distinguée, résonnait. Chacun tendait l’oreille. Elle était là. Engagée, concentrée, ardente. Comme on l’avait connue. Si sincère. Si sérieuse. Et ses fils, qui attendaient plus haut, face au Panthéon, entourés de leurs épouses, enfants, petits-enfants, ont chacun fermé les yeux. Un honneur, oui, bien sûr. Mais une épreuve aussi, cette résurgence du cercueil de leurs deux parents, et cette voix, audible dans tout le quartier. Dans le public, comme parmi les invités, des larmes ont coulé. Le violoncelle de Sonia Wieder-Atherton et un quintette de cordes continuaient de rythmer la cérémonie, interprétant, entre autres, une splendide Ode à la joie, de Beethoven, chanté également par la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique. Et puis, sur les marches du Panthéon, de jeunes choristes ont entonné Nuit et Brouillard, de Jean Ferrat, interprété et dansé en langage des signes. Moment miraculeux et bouleversant tandis que les cercueils, doucement, remontaient vers la place, sous des applaudissements de plus en plus nourris.

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent (…) lls n’arrivaient pas tous à la fin du voyage, Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux, Ils essaient d’oublier, étonnés qu’à leur âge, Les veines de leurs bras soient devenues si bleues… 

Le président Macron a alors pris la parole sur le parvis du bâtiment, affirmant, en préambule, que la décision de faire entrer Simone Veil ainsi que son époux au Panthéon ne fut ni la sienne ni celle de leur famille, mais celle de tous les Français. Car la France aime Simone Veil. Il ne fallait donc pas attendre que passent les générations comme nous en avions pris l’habitude afin que ses combats, sa dignité, son espérance restent une boussole dans les temps troublés que nous traversons. Et d’énumérer, en rappelant les points marquants de sa vie, ce qui la rapproche des quatre grands personnages qu’elle rejoindra dans le sixième caveau : René Cassin, Jean Moulin, Jean Monnet et André Malraux, insistant sur ce que furent ses combats essentiels : la justice pour les femmes, toutes les femmes ; la bataille pour la paix, pour l’Europe par réalisme, non par idéalisme ; par expérience, non par idéologie ; par lucidité, non par naïveté ; la foi dans la civilisation, avec la conviction que la culture grandit l’homme et l’éclaire sur son destin ; la défense d’une certaine idée de la France et la reconnaissance des Justes. Il finit par s’adresser à elle : Puissent vos combats continuer à couler dans nos veines, à inspirer notre jeunesse et à unir le peuple de France. Puissions-nous nous montrer dignes des risques que vous avez pris et des chemins que vous avez tracés.

Après que Barbara Hendricks a chanté la Marseillaise, les deux cercueils suivis par le président et son épouse, et toute la famille du couple Veil, sont alors entrés dans la nef du Panthéon. Le public a continué d’applaudir, longuement, avec ferveur, convaincu que Simone Veil entraînait avec elle, dans le somptueux édifice des héros français, une foule d’inconnus. Le convoi 71 dont elle fit partie et tant de juifs, exterminés, gazés, brûlés dans les camps d’extermination nazis. Des femmes aussi. Des femmes de toutes sortes, des combattantes ou des victimes dont elle n’a eu de cesse de dénoncer le sort. Des femmes qui, si nombreuses, ont vu en elle une force, un exemple, qui leur ont fait relever la tête et qui partagent aujourd’hui, anonymement, une parcelle de sa gloire.

Annick Cojean. Le Monde du 1° juillet 2018

et Rédoine Faïd se fait la belle de la prison de Réau, en Alouette. Aucun coup de feu, 7’30 » tout compris : la grande classe. Alouette Gentille alouette… Mais l’allez pas croire que Rédoine Faïd soit un ange… c’est même un sacré bandit. Procès en septembre 2023.

L’administration pénitentiaire avait pourtant été bien prévenue, et au niveau le plus élevé :

Le courrier électronique date du 3 mai 2018. Objet : Demande de transfert concernant la personne détenue FAID Redoine. Son auteur, Eric Vallet, haut gradé de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris (DISP), qui chapeaute toutes les prisons d’Ile-de-France, est inquiet. Il vient de recevoir des nouvelles préoccupantes du directeur du centre de détention de Réau (Seine-et-Marne), où le braqueur multirécidiviste est enfermé depuis six mois.

Depuis son arrivée, Redoine Faïd, placé à l’isolement et soumis à un régime carcéral strict, se comporte en détenu modèle : poli, agréable, aucun incident à signaler. Mais les surveillants notent qu’il observe attentivement leurs gestes, tente de les séduire, scrute l’environnement, s’intéresse à la configuration des lieux, connaît par cœur l’emplacement et les angles morts des caméras. Autant de signaux qui, chez quelqu’un qui s’est évadé une première fois cinq ans plus tôt, indiquent un désir de récidive, selon Eric Vallet, qui alerte sa hiérarchie.

Actuellement, la personne détenue FAID Redoine est trop calme, trop gentille, trop respectueuse, écrit-il alors à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Mais, en parallèle, elle a déjà repéré toutes les failles de la structure et elle la connaît trop bien maintenant !!! Nous savons par expérience que celle-ci est extrêmement dangereuse et que c’est juste une question de temps, que seule elle connaît, pour tenter une évasion qui sera extrêmement violente [et] où nos personnels seront fortement exposés. 

Eric Vallet exhorte donc la DAP à transférer sans délai le détenu dans un autre établissement, et conclut : La DISP insiste auprès de la DAP pour que cette demande soit réellement entendue et traitée avec célérité. En vain. Ça n’était, effectivement, qu’une question de temps : moins de deux mois plus tard, le 1er juillet 2018, Redoine Faïd s’envolera à bord d’un hélicoptère depuis la cour d’honneur de la prison de Réau.

[…]  À son courrier électronique du 3 mai 2018, Eric Vallet n’a jamais reçu de réponse. Il ne s’est pas découragé. Première relance, le 15 mai : La DISP demande le départ de l’intéressé très rapidement afin de déjouer toute tentative d’évasion avec violences et utilisation d’explosifs où nos personnels seront exposés lourdement. Pas de réponse.

Seconde relance, le 1er juin : Je me permets de vous relancer pour cette demande de transfert qui à ce jour n’a reçu aucune réponse. Je pense qu’il est nécessaire d’anticiper rapidement avant le passage à l’acte du susnommé et des conséquences dramatiques qui pourraient en découler. Pas de réponse.

Troisième relance, le 22 juin : Nous n’avons à ce jour aucune réponse concernant le transfert de la personne détenue FAID Rédoine malgré nos messages de relance (15 mai et 1° juin 2018) et des accords de l’ensemble des autorités judiciaires. (…) Je pense qu’il est urgent, avant l’été, que la personne détenue FAID Redoine soit transférée

[…] Cette fois, une cheffe de la DAP répond : Le principe de son exclusion ayant été validé par mes services (…), le transfèrement aura lieu dans le courant du mois de septembre. Eric Vallet s’étrangle : Sérieusement, un transfert à partir de septembre ne me parait pas raisonnable au regard de la menace sérieuse du passage à l’acte du susnommé !!!Il insiste, insiste, et conclut, du haut de sa modeste expérience de trente et une années au sein de l’institution : Madame, il est très loin le temps ou [l’administration pénitentiaire] prenait des décisions idoines par anticipation et écoutait les demandes des établissements. J’observe qu’aujourd’hui nous n’agissons que dans l’urgence et, demain, nous n’agirons qu’après l’incident. 

L’épilogue est raconté à l’audience par Julie Latou, directrice adjointe de la prison de Réau à l’époque : L’administration centrale avait finalement acté un transfert début juillet, mais monsieur Faïd nous a quittés le 1°. Elle-même avait alerté son chef dès le mois février au sujet des drones qui s’étaient multipliés dans le ciel de Réau depuis l’arrivée de Redoine Faïd : Sans faire de raccourci malvenu, je ne peux m’empêcher de faire le lien entre les survols de drones, qui n’étaient que très rares avant son affectation [à Réau], et les survols plus constants [depuis]. Une large superficie de la cour d’honneur n’est pas sécurisée par des filins antihélico[ptères], ce qui constitue une zone plus aisée pour quitter l’établissement, écrivait-elle encore de façon prémonitoire. Le drone survole souvent cette zone. Je ne crois plus trop au hasard. 

Henri Seckel. Le Monde du 16 09 2023

Le procès révélera d’étranges histoires, comme celle de cette quinzaine de lettres trouvées dans la cellule de Redoine Faïd, écrites par la belle-fille de Stéphane Buy, le pilote de l’Alouette II, écrites entre 2014 et 2016 : bizarre, vous avez dit bizarre ? 

11 07 2018   

Nous regardons bien sûr la Chine, mais probablement sans avoir pris conscience que la réciproque est encore beaucoup plus certaine, jusque sur Internet :

Grâce à une stratégie en apparence suicidaire, Alibaba a produit en une seule année plus de profits qu’Amazon dans toute son histoire. En voyant à plus long terme, le géant de l’Internet chinois a évité de tomber dans le même piège qu’Amazon face à Google, un piège qui coûtera peut-être à la société de Jeff Bezos la victoire finale. Mais l’on ne va pas apprendre au fondateur d’Alibaba, Jack Ma, qui est Sun Tzu. Non seulement le patron du géant de l’e-commerce chinois a lu L’Art de la guerre, le premier traité de stratégie connu, mais il le met aussi brillamment en pratique.

Comme presque toutes les start-up à leurs débuts, Alibaba a cherché à développer du trafic sur son site, espérant ensuite convertir ses visiteurs en clients. La stratégie aurait été de tout faire pour être le mieux référencé possible, afin de figurer en tête dans les résultats de recherche de Baidu, le plus gros des moteurs de recherche chinois.

Mais à la surprise générale, Jack Ma et ses équipes ont pris une décision contre-intuitive : bloquer Baidu et l’empêcher de référencer les pages du site Alibaba. Une décision qui apparaissait comme folle, puisqu’elle coupait Alibaba d’un gigantesque vivier de clients potentiels.

En fait, Alibaba a su voir à long terme. Loin de penser qu’il gagnerait de l’argent uniquement en vendant des produits sur un site d’e-commerce, son fondateur a très tôt compris qu’il pourrait monétiser le trafic de son site. En bloquant Baidu, Alibaba a en réalité créé les conditions pour que les marques désireuses de toucher des clients prêts à acheter en ligne insèrent leurs publicités chez Alibaba, là où les clients se trouvent. S’il avait laissé Baidu référencer ses pages, Jack Ma aurait laissé Baidu faire ce que Google fait aujourd’hui à Amazon : capter les clients d’Amazon pour mieux vendre de la publicité aux marques. Aujourd’hui, celles-ci passent essentiellement par Google pour toucher les clients désireux d’acheter en ligne, sur Amazon et ailleurs.

La stratégie d’Alibaba a parfaitement fonctionné. Aujourd’hui, Google et Amazon se livrent une véritable bataille aux États-Unis pour être le moteur de recherche de référence concernant les requêtes relatives à l’achat en ligne. Amazon pèse plus de 40  % de ces recherches et gagne peu à peu du terrain sur Google dans cette catégorie. En Chine, Alibaba a supplanté Baidu en devenant le leader incontesté, non seulement de l’e-commerce, mais aussi de l’Internet chinois.

Revenons à présent à la rivalité grandissante entre les deux géants mondiaux de l’e-commerce : Amazon et Alibaba. Imaginons qu’Amazon décide de se lancer en Chine. Une option que la société de Seattle a certainement envisagée un jour, avant de se casser les dents (comme Google, d’ailleurs) sur un État chinois bloquant les entreprises étrangères afin de protéger les siennes. Alibaba devrait rester maître du jeu chez lui, tout en ayant écarté le danger local que représentait Baidu. Poursuivons en gageant qu’Alibaba décidera tôt ou tard d’étendre son empire au-delà des frontières chinoises. Il affrontera alors un adversaire affaibli, Amazon, puisque lui-même déjà aux prises avec un autre ennemi de taille, Google.

La morale de cette histoire est toute confucéenne. Nous croyons regarder la Chine alors qu’en réalité, c’est elle qui nous observe. Nos champs de bataille, encombrés de stratégies de conquêtes encore pleines de réflexes hérités tantôt de Carl von Clausewitz (1780-1831), l’auteur du fameux traité De la guerre, tantôt de Halford John Mackinder (1861-1947), le père fondateur de la géopolitique, nous font oublier que la poussière qui s’en dégage occulte la suite des événements : l’ennemi de demain ne sera pas nécessairement celui d’aujourd’hui.

Bertrand Jouvenot. Le Monde du 11 juillet 2018

15 07 2018 

Les Bleus finissent le mondial de foot en vainqueurs : c’est la deuxième fois, après la victoire mémorable de 1998 : 4 à 2 contre la Croatie. Le Croate Mario Mandzukic aura marqué deux buts : un contre son camp, un autre pour. Les Croates ont eu le ballon beaucoup plus longtemps que les Bleus, ils les ont balladés pendant 90 minutes, mais ces derniers ont été plus réalistes et, l’espace de quelques instants, ont pu laisser parler le talent des Mbappé, Griezmann, Pogba et surtout celui de Didier Deschamps, fils d’Aimé Jacquet, sans charisme aucun mais stratège génial, qui a eu l’audace de constituer l’équipe la plus jeune de ce mondial.

« Hernandez, Griezmann, Pogba n’ont jamais joué avec des clubs professionnels en France, Varane est parti pour Madrid à l’âge de 18 ans, Dembélé pour Dortmund à 19 ans » (Photo: Griezmann, Pogba et Mbappé, le 15 juillet, après la finale de la Coupe du monde de football).

Griezmann, Pogba, Mbappé, au début de la 3° mi-temps

30 07 2018 

Le parti au pouvoir au Zimbabwe, la ZANU PF emporte les législatives haut la main – 110 sièges sur 210 au total. Son président Emmerson Mnangagwa est dores et déjà assuré d’être chef du gouvernement. Et quelques jours plus tard, le dépouillement de la présidentielle le donne encore gagnant. Donc les habitants de ce pays maudit ne peuvent guère nourrir d’espoir quant à une amélioration de leur sort, puisqu’ils n’ont pas voulu changer une équipe qui perd. Cet homme est tout de même le responsable direct de l’assassinat de près de 20 000 citoyens par sa milice.

07 2018   

Ariane Mnouchkine, et Robert Lepage, découvrent au Canada que la France de Marine Le Pen n’a pas le monopole du chauvinisme crétin : En juillet, alors que le metteur en scène canadien Robert Lepage prépare son spectacle Kanata, une lettre, signée par dix-huit artistes et intellectuels autochtones et douze de leurs alliés, non autochtones, déclenche une vive polémique. Le spectacle, joué par les acteurs du Théâtre du Soleil, que dirige Ariane Mnouchkine, doit traverser l’histoire du Canada en abordant les oppressions subies par les autochtones. Face à l’absence sur scène d’acteurs issus de leurs communautés, ces derniers dénoncent une appropriation culturelle. Dans la foulée, un coproducteur financier se retire du projet, poussant le metteur en scène à annuler la création de Kanata au Théâtre du Soleil, à Paris. C’était sans compter la ténacité de Robert Lepage et la détermination d’Ariane Mnouchkine. Fondatrice et directrice depuis 1964 du mythique Théâtre du Soleil, installé à la Cartoucherie de Vincennes, Ariane Mnouchkine, metteuse en scène, auteur, propose depuis toujours un théâtre généreux et populaire qui place l’humain au centre des représentations. Incarnées par une troupe cosmopolite – ses acteurs sont afghans, brésiliens, français, irakiens, syriens… -, ses créations prennent à bras-le-corps les tragédies, que celles-ci soient grecques ou shakespeariennes, antiques ou contemporaines. L’exil et les migrants, l’intégrisme et l’émancipation des femmes, la montée des dictatures et la résistance des peuples sont autant de sujets déployés au Théâtre du Soleil.

Qu’évoquent pour vous les termes appropriation culturelle ?

Ces termes n’évoquent rien pour moi car il ne peut y avoir appropriation de ce qui n’est pas et n’a jamais été une propriété physique ou intellectuelle. Or les cultures ne sont les propriétés de personne. Aucune borne ne les limite, car, justement, elles n’ont pas de limites connues dans l’espace géographique ni, surtout, dans le temps. Elles ne sont pas isolées, elles s’ensemencent depuis l’aube des civilisations. Pas plus qu’un paysan ne peut empêcher le vent de souffler sur son champ les embruns des semailles saines ou nocives que pratique son voisin, aucun peuple, même le plus insulaire, ne peut prétendre à la pureté définitive de sa culture. Les histoires des groupes, des hordes, des clans, des tribus, des ethnies, des peuples, des nations enfin, ne peuvent être brevetées, comme le prétendent certains, car elles appartiennent toutes à la grande histoire de l’humanité. C’est cette grande histoire qui est le territoire des artistes. Les cultures, toutes les cultures, sont nos sources et, d’une certaine manière, elles sont toutes sacrées. Nous devons y boire studieusement, avec respect et reconnaissance, mais nous ne pouvons accepter que l’on nous en interdise l’approche car nous serions alors repoussés dans le désert. Ce serait une régression intellectuelle, artistique, politique effrayante. Le théâtre a des portes et des fenêtres. Il dit le monde tout entier.

Que s’est-il passé dans l’histoire des autochtones qui puisse expliquer cette polémique ?

Je ne suis pas une historienne de la colonisation du Canada, mais relisons l’histoire. Une spoliation insidieuse, puis violente. Des trahisons sans fin. Des promesses jamais tenues. Des traités jamais respectés. Et, en 1867, au moment de l’indépendance, un traitement génocidaire des Premières Nations. Une exclusion, puis une marginalisation systématique. Et – ce qui a laissé, peut-être, les traces les plus profondes – un véritable assaut de l’Église catholique et de l’État canadien contre la culture autochtone, en éliminant la participation des parents et de la collectivité au développement intellectuel, culturel et spirituel de leurs enfants au moyen du système de ces tristement célèbres pensionnats où l’on pratiquait, sur les enfants enfermés, une assimilation forcée, imbécile, sadique, abusive, violeuse, inimaginable. Comparable à ce qui s’est passé en Australie avec les enfants aborigènes. Système qui, au Canada, a duré jusqu’en 1996, c’est-à-dire hier. Donc beaucoup de choses effroyables qui, malgré des efforts indéniables ces dernières années, ne se réparent pas d’un claquement de doigts. Les revendications légitimes des autochtones sont légion et dépassent largement cette polémique, qui n’est pas due seulement à un groupe de leurs artistes qui, d’ailleurs, et je tiens à le redire, ne visait pas l’annulation de Kanata, mais aussi, et sinon plus, à un mouvement de pensée vindicatif prônant le retour du bâton plutôt que, après celui de la réparation, le long et difficile chemin de la réconciliation que la majorité des autochtones parcourent avec détermination et exigence.

Etes-vous inquiète de la tournure prise par les événements ?

Un peu, je l’avoue. On est en train d’ériger des enclos, à l’intérieur desquels on voudrait séparer les identités réduites à elles seules. Pour mieux les classer ? À l’infini ? Le 22 septembre 1933, à l’initiative de Joseph Goebbels et via la création de la Chambre de la culture du Reich, les artistes juifs sont exclus du monde culturel et ne peuvent plus se produire que dans des manifestations destinées à des publics juifs. Pas de panique, je ne traite personne de nazi, en l’occurrence, mais lorsqu’on examine ma troupe selon des critères ethniques, je rappelle ce qu’ont fait les nazis. Je sonne un petit tocsin. Attention à certains voisinages de pensée et de méthode. Même involontaires.

Comment les artistes peuvent-ils réagir ? Appelez-vous à une mobilisation ?

La première des censures est notre peur. Être accusé de racisme fait très peur, nos accusateurs le savent. Ils en ont joué. Mais une fois que nous savons, en conscience, que nous le sommes pas et que notre travail, la composition du groupe au sein duquel nous créons des œuvres depuis tant d’années, bref, que toute notre vie le prouve, nous devons refuser qu’ à la seule lumière de la composition ethnique de la distribution, avant même d’avoir vu nos spectacles, on nous dise qu’ils sont spoliateurs et racistes, donc criminels. Nous avons tous des yeux, des oreilles, des mémoires, des légendes, donc tous des parentés multiples. Nous ne sommes pas que français ou que blancs. Ou que autochtones. Devons-nous nous résigner à une malédiction atavique, de dimension biblique, qui courrait de génération en génération ? Sommes-nous pour toujours, dans les siècles de siècles, des racistes et des colonialistes ou sommes-nous des êtres humains porteurs d’universalité, tout comme les Noirs, les Juifs, les Arabes, les Khmers, les Indiens, les Afghans, les Amérindiens, dont nous voulons parfois raconter les épopées et qui, comme nous bien avant leurs particularités culturelles, portent en eux cet universel humain ? Et puis, qui a intérêt à déchirer la société, justement de cette façon-là ? En quoi cette tribalisation générale va-t-elle affaiblir le capitalisme sauvage qui ruine notre planète ? En quoi va-t-elle freiner la gloutonnerie des multinationales ? À quoi sert-elle ? En quoi va-t-elle nous redonner le sens et l’amour du bien commun ? Pourquoi certains idéologues tentent-ils de duper notre jeunesse en profitant négativement de son idéalisme, de sa générosité et de sa soif de solidarité et d’humanité ?

Qui sont ces idéologues?

Je n’ai pas à les nommer. Par leurs réponses et leurs attaques, je le crains, ils montreront qu’ils se sont reconnus.

Ne s’agit-il pas d’un dialogue de sourds?

C’est pis qu’un dialogue de sourds. C’est un procès, où chaque mot de la défense est retourné et ajouté au réquisitoire de procureurs auto désignés. Il faudrait slalomer en permanence entre des mots interdits, de plus en plus nombreux. Comment parler sincèrement, avec confiance, si chaque mot peut devenir, au gré de l’interlocuteur, un indice incriminant, révélateur de notre ignominie ? Sous la surveillance de tels commissaires, comment échapper à la langue de bois, aux clichés, puis à l’hypocrisie et finalement au mensonge obligatoire ? 

Est-il possible de se soustraire à la culpabilisation ?

Une fois que tous les chemins de réparations matérielles, législatives, symboliques auront été parcourus et que ces réparations, toujours imparfaites et insuffisantes, auront été définitivement obtenues, il nous faudra bien encore reconnaître que nous sommes coupables de beaucoup de choses, mais pas de tout, pas tout le temps et pas pour toujours. Le chemin est identique pour ceux qui sont, ou se pensent, victimes, car il peut y avoir de l’indécence à faire sienne, à trop s’approprier, la souffrance d’un aïeul. Les petits-enfants de déportés, dont je suis, n’ont pas souffert ce qu’ont souffert leurs grands-parents ou arrière-arrière-grands-parents. Je ne peux pas bâtir sur le destin de mes aïeux une amertume et une haine éternelles, haine et amertume que mes grands-parents morts à Auschwitz n’auraient pas voulu me léguer – ils m’aimaient trop, j’en suis sûre, pour vouloir m’infliger la douleur de haïr. Je ne peux pas me targuer de leur héritage pour rendre coupable la terre entière et interdire à une jeune actrice, allemande, innocente de ce qu’a pu commettre son arrière-grand-père à l’égard du mien, déjouer Anne Frank, du moment qu’elle a du talent et la force morale de le faire.

Quel est votre état d’esprit, aujourd’hui ?

Lors d’une réunion à Montréal, en juillet, nous avons cherché, Robert et moi, à nous faire entendre des artistes autochtones qui avaient fait part de leur incompréhension, pour ne pas dire de leur désapprobation, devant l’absence d’acteurs et d’actrices autochtones dans la distribution de Kanata. Il nous a fallu rappeler encore et encore que ce spectacle était répété et produit en France, avec des acteurs d’origines très diverses, réfugiés d’abord, puis résidents en France, puis devenus français, pour la plupart, ces dernières années. Bon nombre d’artistes qui nous recevaient ce soir-là avaient entendu vaguement parler du Soleil mais ignoraient tout de son fonctionnement et de ses principes. La réunion s’est déroulée dans une atmosphère respectueuse, de part et d’autre, et je pense que nous avancions sur le chemin difficile de la compréhension et de la réconciliation. Cette rencontre, dont je me souviendrai toute ma vie avec une émotion très spéciale, dura plus de cinq heures et demie, mais il nous aurait fallu, il nous faudra, plus de temps encore. Nous le prendrons, ce temps. Nous l’avons promis. Mais le lendemain matin, attaquèrent et frappèrent tous ceux qui ne voulaient surtout pas que cette réunion, à laquelle ils n’avaient pas assisté, aboutisse à une entente. Et, je l’admets aujourd’hui, Robert et moi avons été en proie à la sidération face à la puissance d’intimidation et de désinformation de certaines tribunes ou blogs et aussi des accusations de toutes sortes qui jaillissaient sur les réseaux sociaux, où sévissent une multitude d’anonymes. Après l’annonce de l’annulation, beaucoup des artistes autochtones rencontrés ce soir-là ne cachèrent pas leur désappointement et même leur désapprobation devant une issue qu’ils n’avaient jamais demandée. Nous nous sommes donc ressaisis et avons décidé que la meilleure réponse serait le premier épisode du spectacle lui-même.

Cosignerez-vous avec Robert Lepage cet épisode du spectacle?

Non. Mais je cosigne le manifeste que représente le fait de jouer ce spectacle.

Entretien réalisé pour Télérama 3584 du 22 au 28 09 2018 par Joëlle Gayot.

12 08 2018   

De Cap Canaveral, le satellite Parker – le nom du découvreur des vents solaires –  est lancée à bord d’une fusée Delta IV Heavy pour faire plusieurs fois le tour du soleil. En 2024, il s’en trouvera à 6.2 millions de km !

la couronne et en particulier son chauffage intriguent les chercheurs. Comment expliquer qu’à la surface du Soleil, la température soit d’environ 5 500 °C et que, lorsqu’on s’en éloigne, elle se mette tout à coup à grimper à 1 million de degrés ? C’est pour comprendre ce mécanisme qu’on envoie Parker Solar Probe là-bas, pour prendre des mesures in situ.

[…] le vent solairec’est un flot de particules électriquement chargées qui voyagent à des vitesses de plusieurs centaines de kilomètres par seconde. Elles traversent tout le Système solaire et bombardent les planètes. Ce qui nous sauve, c’est que la magnétosphère terrestre nous en protège comme un parapluie. 

Kader Amsif, responsable des programmes Soleil, héliosphère et magnétosphère au Centre national d’études spatiales (CNES)

14 08 2018    12 h 30′

Le pont autoroutier Morandi mis en service à Gênes en 1967 s’effondre : 43 morts. Il tombait des trombes d’eau, et, deux heures plus tôt, un éclair avait frappée la base d’une pile du pont. On n’est pas prêts de connaître les raisons précises de la catastrophe. Le soir même, Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur ripaillait en Sicile. Moins d’un mois plus tard, Renzo Piano présentera un projet pour le remplacer, avec une échéance autour de 2020 pour la mise en service.

Un ouvrage construit par Morandi au Venezuela sur un modèle identique, le pont du Général Rafael Urdaneta, s’était  en partie effondré en 1964 après avoir été percuté par un pétrolier. En outre, le pont du Wadi al-Kuf, très proche dans sa conception, construit en Libye en 1972 d’après des plans du même ingénieur, a été un moment interdit à la circulation après qu’une inspection a révélé en  de probables fissures dans sa structure. À Florence, deux autres ponts à la conception desquels a participé Riccardo Morandi, mais non haubanés, le pont Americo Vespucci et le ponte di San Niccolò, font l’objet d’une surveillance particulière, en raison d’un début de sapement des pieux de fondation du premier et de problèmes liés aux joints sur le second.

Wikipedia

Effondrement du viaduc à Gênes. Le pont Morandi était-il ...
Aperçu du pont Morandi de Gênes avant son effondrement mardi 14 août 2018. En rouge, la partie qui s'est écroulée.
Amputée du pont Morandi, Gênes redoute le chaos de la ...

21 08 2018                                     

Quand une femme adresse une injonction – que l’on peut aussi bien nommer aussi volée de bois vert – au pape ; sans fioritures, clair, sans jésuiteries, net, précis : une bombe !

Cher François,

Je vous écris un 15  août, jour de l’Assomption de la Vierge, ayant appris ce matin à mon réveil, en écoutant la radio, le nouveau scandale de pédophilie qui, en Pennsylvanie cette fois, vient éclabousser l’Église catholique : sur une période de soixante-dix ans, 1 000  enfants abusés ou violés par des prêtres, et ce chiffre est sûrement inférieur à la vérité, compte tenu de la honte des victimes à témoigner et de la célérité des intéressés à escamoter les preuves.

Comme moi, comme d’autres, vous devez être frappé par la ressemblance entre cette salve de révélations scandaleuses et une autre, qui défraie l’actualité depuis bientôt un an : celle des témoignages #metoo sur le harcèlement sexuel. Ici et là, même propension des hommes à profiter de leur pouvoir pour satisfaire leurs besoins sexuels. Si l’on mettait à la disposition des enfants un site Internet sur lequel ils pourraient déposer leur témoignage en toute impunité, ce balancetonpretre provoquerait un tsunami mondial qui, par sa violence et son volume, dépasserait j’en suis certaine celui de balancetonporc. Seraient encore reléguées au silence, il est vrai, les nombreuses victimes qui, en raison de leur jeune âge ou de leur misère, n’auraient pas accès au site.

Bien entendu, dénoncer ne suffit pas. On peut s’égosiller, si l’on ne change pas la situation qui engendre ces gestes intempestifs, on peut être certain qu’ils continueront de se produire. Cela vaut pour le harcèlement sexuel ; et nous devons tout faire pour comprendre les causes du passage à l’acte machiste chez les hommes contemporains. Pour les prêtres catholiques, en revanche, point n’est besoin de chercher. La raison est là, évidente, aussi flagrante que le nez au milieu du visage.

Pourquoi s’en prennent-ils si souvent aux enfants et aux adolescents ? Non parce qu’ils sont pédophiles – la proportion de vrais pédophiles parmi les prêtres est sûrement aussi minuscule que dans la population générale – mais parce qu’ils ont peur, et les enfants et jeunes filles sont les plus faibles, les plus vulnérables, les plus faciles à intimider, les moins aptes donc à les dénoncer. S’ils abordaient avec leur sexe en tumescence – ce pauvre sexe nié, perpétuellement réprimé – les femmes et les hommes de leur paroisse, ou s’ils allaient rendre visite aux travailleurs et travailleuses du sexe, ils seraient pris. Avec les enfants, ça peut durer… des années… des décennies. On prend les nouveaux enfants de chœur. On prend les fillettes qui viennent de faire leur première communion… On prend cette femme-ci, dans le secret du confessionnal… ou ce jeune homme-là, pendant les vacances en colonie… et l’année suivante on recommence… on recommence… On a sur elle, sur lui, sur eux, une ascendance, un pouvoir plus qu’humain, sacré… François, c’est un massacre.

À moins de se dire que seuls les pédophiles et des pervers sont intéressés par le sacerdoce, le problème n’est ni la pédophilie ni la perversion. Il faut abandonner ces clichés. Le problème, c’est que l’on demande à des individus normaux une chose anormale. C’est l’Église qui est perverse dans son refus de reconnaître l’importance de la sexualité et les conséquences désastreuses de son refoulement.

Cela suffit, François. Basta, vraiment. Le moment est venu. C’est aujourd’hui. Vous pouvez le faire. En tant qu’autorité suprême de l’Église catholique, ce serait de loin l’acte le plus important, le plus courageux et le plus chrétien de tout votre mandat : l’Église doit cesser de cautionner (et donc de perpétuer, c’est-à-dire de perpétrer) des crimes qui ont bousillé des vies innombrables à travers les âges.

Vous le savez aussi bien que moi : le dogme du célibat des prêtres n’est pas né en même temps que le christianisme. Il ne remonte qu’au Moyen Âge, un grand millier d’années après la mort du Christ. N’entrons pas, ici, dans le débat byzantin des raisons plus ou moins avouables pour lesquelles, après la scission des deux Églises, orientale et latine, celle-ci a tenu à se distinguer de celle-là en rendant obligatoire le célibat de ses officiants. Il est bien connu que Jésus n’a rien dit à ce sujet. Si lui-même n’a pas pris femme, il y avait des hommes mariés parmi ses apôtres, et, à d’autres époques et sous d’autres formes, le christianisme a autorisé ses officiants à se marier. Et l’autorise encore.

Nous autres chrétiens, ou sociétés laïques issues du christianisme, avons pris l’habitude de dénoncer, voire d’interdire, chez nous les pratiques d’autres cultures que nous considérons comme barbares ou injustes : je pense notamment à l’excision ou au port de la burqa. Les peuples qui les pratiquent les considèrent de la même manière exactement que l’Église catholique considère le célibat des prêtres : comme irréfragables, constitutives de leur identité. On a beau leur faire remarquer que nulle part dans le Coran (par exemple) il n’est stipulé que l’on doit couper leur clitoris aux petites filles ou couvrir le visage des femmes, que ces pratiques ont commencé pour des raisons précises, à un moment précis de l’Histoire, afin d’aider les sociétés à mieux organiser les mariages et gérer la distribution des richesses, rien n’y fait.

Lorsqu’on peut démontrer que ces pratiques sont foncièrement incompatibles avec les valeurs universelles (liberté, égalité, fraternité) et les droits individuels – notamment celui de chaque individu à l’intégrité corporelle -, on considère comme normal de les interdire sous nos latitudes.

Or le célibat fait largement autant de dégâts que l’excision ou la burqa. Le dogme du célibat des prêtres est lui aussi une décision historique. Elle peut être annulée par une autre décision historique, que vous seul êtes en mesure de prendre, cher François. Oui, vous seul pouvez lever l’injonction au célibat, protégeant ainsi d’innombrables enfants, adolescents, hommes et femmes à travers le monde.

Je vous en supplie, ayez ce courage. Je sais que jamais vous ne le feriez pour votre gloire personnelle et pourtant, cette décision vous apporterait une gloire immense. Pendant des siècles, les prêtres et leurs ouailles vous remercieront de votre prescience, de votre humanité, de votre mansuétude. Le rôle de l’Eglise est de protéger non les forts mais les faibles, non les coupables mais les innocents. Et Jésus dit : Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. (Matthieu 19:14). Depuis mille ans, combien de millions d’enfants ont été détournés de l’Église, dégoûtés de l’Église, empêchés de venir à Jésus, en raison de ce traumatisme ?

La preuve a été faite et refaite. Le célibat des prêtres, ça ne marche pas. Les prêtres ne sont pas chastes. Ils n’arrivent pas à l’être. Il faut en prendre acte et enterrer une fois pour toutes ce dogme inique. Il est criminel de tergiverser alors que, partout où il sévit, c’est-à-dire partout dans le monde, le massacre continue. Vous le savez, François, et nous le savons tous. Alors dites Stop. Tout de suite.

Nancy Huston

28 08 2018 

Nicolas Hulot, ministre d’État en charge de l’écologie, claque la porte : il annonce sa démission à France Inter sans même en avoir averti Emmanuel Macron pas plus qu’Édouard Philippe : les gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase se nomment Thierry Coste, conseiller politique de la FNC – Fédération Nationale des Chasseurs – c’est à dire leur lobbyiste, la veille, s’était invité à l’Élysée à une réunion sur la réforme du permis de chasse, sans y avoir été convié, et Brigitte Bardot qui avait été reçue en juillet par Emmanuel Macron seulement, et avait ensuite taillé un costume à Nicolas Hulot, à la mesure du pois chiche qui lui tient lieu de cervelle. Mais le vase était déjà bien rempli de toutes les victoires au quotidien du court terme sur le long terme, le cancer de la démocratie à la française, quand la lâcheté étouffe en permanence le courage. Parmi tous ces renoncements, un rapport recommandant la construction de 5 nouvelles centrales atomique EPR ! 14 mois plus tard, en octobre 2019, une lettre d’intention de Bruno Le Maire, – Economie et Finances et d’Elisabeth Borne – Écologie et Transports – sera adressée à la direction d’EDF lui demandant d’étudier d’ici mi-2021 la mise en chantier de 6 nouveaux EPR, lettre qui viendra confirmer les craintes de Nicolas Hulot qui avait eu vent de ce rapport.

Est-ce que nous avons cherché à réduire l’utilisation des pesticides ? La réponse est Non.
Est-ce que nous avons cherché à inverser l’évolution de la biodiversité ?  La réponse est Non.
Est-ce que nous avons cherché à réduire la surface de l’artificialisation des sols ? La réponse est Non

Il aurait pu ajouter encore le passage à la trappe de la fin des élevages de poules en batterie promis pour 2020 [1], de la mise en place de vidéo dans les abattoirs, de la mise en place d’une TIPP (l’équivalent de la TVA pour les produits pétroliers) pour le carburant avion, etc … autant de victoires des lobbyistes, défenseurs d’intérêts particuliers au détriment des défenseurs de l’intérêt général.

C’est l’explosion en plein vol de ce qui se prétendait être la doctrine macroniste : libéral et en même temps socialiste, socialiste et en même temps libéral, soit-disant inspiré de Paul Ricoeur, théologien protestant, tout ça pour quelques semaines de travail commun sur un article de fond. En l’occurrence, écologiste avec Nicolas Hulot et en même temps à l’écoute des lobbyistes avec un Thierry Coste qui s’invite à l’Élysée faute de l’avoir été. C’est la fin du funambulisme doctrinal qui était le fait d’un illusionniste. Nicolas Hulot a dit basta, et Macron va devoir en finir avec ses numéros de prestidigitateur.

29 08 2018        

Les instruments de la station spatiale internationale détectent une légère chute de la pression de l’air à bord. Lorsque les membres de l’équipage partent à la recherche de la fuite, ils découvrent alors un trou parfaitement rond, large de 2 millimètres de diamètre, sur la coque d’un Soyouz, le vaisseau spatial russe, arrimé à l’ISS. Le 11 décembre suivant, deux cosmonautes effectueront une sortie pour l’inspecter et découvrir que le trou a été percé de l’intérieur. Sur terre ou bien dans l’espace ? Y’a du grain à moudre…

J’fais des trous des p’tits trous encore des p’tits
Des p’tits trous des p’tits trous toujours des p’tits trous

Serge Gainsbourg. Le poinçonneur des Lilas. 1959

08 2018                           

Pierre Rabhi continue à voler de succès en succès, à remplir des salles de conférence, à essayer de convaincre  que le monde peut changer sans qu’il soit nécessaire de se salir les mains dans la politique et qu’il suffit de faire son job de gentil petit colibri. Il occupe avec une précision chirurgicale un créneau dormant depuis des décennies, avec un rare talent pour exploiter les bénévoles, comme les curés exploitaient autrefois leur bonne : le créneau illustré par la fameuse devise d’Emmanuel Berl, reprise à son compte par Vichy : La terre, elle, ne ment pas, et cela séduit beaucoup de monde, pacifiste et anti-système. Mais les entreprises de Pierre Rabhi, il vaudrait mieux dire ses associations, qui, elles ne font jamais faillite, c’est seulement les donneurs de subventions qui se retrouvent gros-jean, sentent très fort la naphtaline, le fagot, et la redite d’un passé que l’on aurait pu croire révolu.  Pierre Rabhi est le Don Juan de l’écologie, séducteur des journalistes qui ne demandent que cela, fasciné par le miroir aux alouettes qu’est ce monde des médias ; un mix d’écologie et de pacifisme face auquel les journalistes ont le sentiment de prendre des vacances en l’interviewant, se régalant à faire parler ce metteur en scène de lui-même. Et cela commence à en agacer plus d’un, jusqu’au Monde Diplomatique.

Dans le grand auditorium du palais des congrès de Montpellier, un homme se tient tapi en bordure de la scène tandis qu’un millier de spectateurs fixent l’écran. Portées par une bande-son inquiétante, les images se succèdent : embouteillages, épandages phytosanitaires, plage souillée, usine fumante, supermarché grouillant, ours blanc à l’agonie. Allons-nous enfin ouvrir nos consciences ? interroge un carton. Le film terminé, la modératrice annonce l’intervenant que tout le monde attend : Vous le connaissez tous… C’est un vrai paysan.

Les projecteurs révèlent les attributs du personnage : une barbichette, une chemise à carreaux, un pantalon de velours côtelé, des bretelles. Je ne suis pas venu pour faire une conférence au sens classique du terme, explique Pierre Rabhi, vedette de la journée Une espérance pour la santé de l’homme et de la Terre, organisée ce 17 juin 2018. Mais pour partager avec vous, à travers une vie qui est singulière et qui est la mienne, une expérience.

Des librairies aux salons bio, il est difficile d’échapper au doux regard de ce messager de la nature, auteur d’une trentaine d’ouvrages dont les ventes cumulées s’élèvent à 1,16 million d’exemplaires. Chaussé de sandales en toute saison, Rabhi offre l’image de l’ascète inspiré. La source du problème est en nous. Si nous ne changeons pas notre être, la société ne peut pas changer, affirme le conférencier.

Passé la soixantième minute, il narre le fabliau du colibri qui a fait son succès : lors d’un incendie de forêt, alors que les animaux terrifiés contemplent le désastre, impuissants, le petit colibri s’active, allant chercher quelques gouttes d’eau avec son bec pour conjurer les flammes. Colibri, tu n’es pas fou? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu éteindras le feu ! lui dit le tatou. Je le sais, mais je fais ma part, répond le volatile. Rabhi invite chacun à imiter le colibri et à faire sa part.

La salle se lève et salue le propos par une longue ovation. Cela doit faire dix fois que je viens écouter Pierre Rabhi ; il dit toujours la même chose, mais je ne m’en lasse pas, confie une spectatrice. Heureusement qu’il est là ! ajoute sa voisine sans détacher les yeux de la scène. Avec Pierre, on n’est jamais déçu. L’enthousiasme se répercute dans le hall adjacent, où, derrière leurs étals, des camelots vendent des machines de redynamisation et restructuration de l’eau par vortex, des gélules de protection et de réparation de l’ADN (cures de trois à six mois) ou le dernier modèle d’une machine médicale à ondes scalaires commercialisée 8 000 €.

À Paris aussi, Rabhi ne laisse pas indifférent. Le premier ministre Édouard Philippe le cite lorsqu’il présente son plan antigaspillage (23 avril 2018). Cet homme est arrivé comme une véritable lumière dans ma vie, affirme son ancienne éditrice, désormais ministre de la culture, Mme Françoise Nyssen. Pierre a permis à ma conscience de s’épanouir et de se préciser. Il l’a instruite et il l’a nourrie. Quelque part, il a été son révélateur, ajoute M. Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire.

En se répétant presque mot pour mot d’une apparition à une autre, Rabhi cisèle depuis plus d’un demi-siècle le récit autobiographique qui tient lieu à la fois de produit de consommation de masse et de manifeste articulé autour d’un choix personnel effectué en 1960, celui d’un retour à la terre dans le respect des valeurs de simplicité, d’humilité, de sincérité et de vertu. Ses ouvrages centrés sur sa personne, ses centaines de discours et d’entretiens qui, tous, racontent sa vie ont abouti à ce résultat singulier : cet homme qui parle continuellement de lui-même incarne aux yeux de ses admirateurs et des journalistes la modestie et le sens des limites. Rues, parcs, centres sociaux, hameaux portent le nom de ce saint laïque, promu en 2017 chevalier de la Légion d’honneur. Dans les médias, l’auteur de Vers la sobriété heureuse (Actes Sud, 2010) jouit d’une popularité telle que France Inter peut transformer sa matinale en édition spéciale en direct de son domicile (13 mars 2014) et France 2 consacrer trente-cinq minutes, à l’heure du déjeuner, le 7 octobre 2017, à louanger ce paysan, penseur, écrivain, philosophe et poète qui propose une révolution.

L’icône Rabhi tire sa popularité d’une figure mythique : celle du grand-père paysan, vieux sage enraciné dans sa communauté villageoise brisée par le capitalisme, mais dont le savoir ancestral s’avère irremplaçable quand se lève la tempête. Dans un contexte de catastrophes environnementales et d’incitations permanentes à la consommation, ses appels en faveur d’une économie frugale et ses critiques de l’agriculture productiviste font écho au sentiment collectif d’une modernité hors de contrôle. En réaction, l’inspirateur des colibris prône une insurrection des consciences, une régénération spirituelle, l’harmonie avec la nature et le cosmos, un contre-modèle local d’agriculture biologique non mécanisée. Ces idées ruissellent dans les médias, charmés par ce bon client, mais aussi à travers les activités du mouvement Colibris, fondé en 2006 par Rabhi et dirigé jusqu’en 2013 par le romancier et réalisateur Cyril Dion. Directeur de collection chez Actes Sud, fondateur en 2012 du magazine Kaizen, partenaire des Colibris, Dion a réalisé en 2015 avec l’actrice Mélanie Laurent le film Demain, qui met en scène le credo du mouvement et qui a attiré plus d’un million de spectateurs en salles.

Le succès du personnage et de son discours reflète et révèle une tendance de fond des sociétés occidentales : désabusée par un capitalisme destructeur et sans âme, mais tout autant rétive à la modernité politique et au rationalisme qui structura le mouvement ouvrier au siècle passé, une partie de la population place ses espoirs dans une troisième voie faite de tradition, d’authenticité, de quête spirituelle et de rapport vrai à la nature.

Ma propre insurrection, qui date d’une quarantaine d’années, est politique, mais n’a jamais emprunté les chemins de la politique au sens conventionnel du terme, explique Rabhi sur un tract de sa campagne présidentielle de 2002. Mon premier objectif a été de mettre en conformité ma propre existence (impliquant ma famille) avec les valeurs écologistes et humanistes — il n’obtint que 184 parrainages d’élu sur les 500 requis. Le visage caressé d’une lumière or, le candidat présenté comme un expert international pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la désertification se tient parmi les blés. De l’Afrique du Nord aux Cévennes, en passant par le Burkina Faso, la trajectoire de Rabhi illustre les succès autant que les vicissitudes d’une écologie apolitique.

Né le 29 mai 1938 à Kenadsa (région de Saoura), en Algérie, Rabah Rabhi perd sa mère vers l’âge de 4 ans et se retrouve dans une famille d’adoption, un couple de colons formé d’une institutrice et d’un ingénieur qui lui donne une éducation occidentale, bourgeoise, catholique. L’adolescent d’Oran adore écouter La Flûte enchantée, Othello ou bien un soliste de renom à l’opéra ; il aime la littérature française et les costumes impeccablement coupés qui lui donnent l’allure d’une gravure de mode. Fervent catholique, il adopte à 17 ans son nom de baptême, Pierre. Je me sentais coupable non pas de renier la foi de mes ancêtres [l’islam], mais de ne point aller propager parmi eux celle du fils de Dieu. Pendant la guerre d’Algérie, raconte-t-il, me voici brandissant mon petit drapeau par la fenêtre de la voiture qui processionne dans la ville en donnant de l’avertisseur : Al-gé-rie-fran-çai-se.

Il gagne Paris à la fin des années 1950 et travaille chez un constructeur de machines agricoles à Puteaux (Hauts-de-Seine) en tant que magasinier, précise-t-il lors de l’entretien qu’il nous accorde, et non en tant qu’ouvrier à la chaîne, comme on peut le lire dans Pierre Rabhi, l’enfant du désert (Plume de carotte, 2017), un ouvrage de littérature jeunesse vendu à plus de 21 000 exemplaires. C’est dans cette entreprise que le jeune homme rencontre en 1960 sa future épouse. La même année, il expédie une lettre qui changera sa vie. Monsieur, écrit-il au docteur Pierre Richard, nous avons eu votre adresse par le père Dalmais, qui nous a appris que vous vous préoccupiez de la protection de la nature, que vous avez activement participé à la création du parc de la Vanoise, et que vous essayez d’obtenir la création de celui des Cévennes. Nous sommes sensibles à toutes ces questions et voudrions prendre une part active en retournant à cette nature que vous défendez.

Étudiant en médecine avant-guerre, Richard devient, en 1940, instructeur d’un chantier de la jeunesse près des mines de Villemagne (Gard), sur le mont Aigoual. Cette expérience hygiéniste, nationaliste et paramilitaire l’influence durablement. En décembre 1945, il soutient une thèse de médecine qui assume un parti pris évident : la santé de l’homme est atteinte, et celle du paysan en particulier, et, par-delà, celle du pays, de la nation, écrit Richard — santé intégrale du corps, de l’esprit, des biens matériels, de l’âme. Quatorze ans plus tard, en 1959, le docteur Richard joue son propre rôle de médecin de campagne dans un film de propagande ruraliste intitulé Nuit blanche, où il fustige l’urbanisation, l’État centralisateur, les boîtes de conserve et la politique de recrutement des entreprises publiques qui arrache les paysans à leurs racines.

Sur une photographie du mariage célébré en avril 1961, le docteur Richard offre son bras à la mariée, Michèle Rabhi, tandis que Pierre Rabhi donne le sien à l’épouse du médecin de campagne. Pierre et Anne-Marie Richard sont les parents que le magicien nous a destinés, écrit Rabhi dans son autobiographie. À mon arrivée en Ardèche, c’est lui qui m’a pris sous son aile. C’était mon initiateur, complète-t-il.

Peu après, l’apprenti paysan rencontre l’écrivain ardéchois Gustave Thibon. Acclamé par Charles Maurras dans L’Action française en juin 1942 comme le plus brillant, le plus neuf, le plus inattendu, le plus désiré et le plus cordialement salué de nos jeunes soleils, Thibon fut l’une des sources intellectuelles de l’idéologie ruraliste de Vichy. Ce n’est pas mon père qui était pétainiste, c’est Pétain qui était thibonien, affirmera sa fille. Bien que ses thuriféraires n’omettent jamais de rappeler que Thibon hébergea la philosophe Simone Weil en 1941, ce monarchiste, catholique intransigeant, antigaulliste viscéral et, plus tard, défenseur de l’Algérie française fit régulièrement cause commune avec l’extrême droite.

Entre le jeune néorural et le penseur conservateur se noue une relation qui durera jusqu’aux années 1990. On voyait chez lui une grande polarisation terrestre et cosmique, relate le premier. (…) J’étais alors très heureux de rencontrer un tel philosophe chrétien et j’ai adhéré à ce qu’il disait. Dans le paysage éditorial français, Thibon a précédé Rabhi en tant que figure tutélaire du paysan-écrivain enraciné poursuivant une quête spirituelle au contact de la nature. Dans le hameau de Saint-Marcel-d’Ardèche où vécut Thibon, Mme Françoise Chauvin, qui fut sa secrétaire, se souvient : Pierre Rabhi doit beaucoup à Gustave Thibon. Quand il venait ici, son attitude était celle d’un disciple visitant son maître.

J’ai fait 68 en 1958 !  s’amuse, soixante ans plus tard, l’élève devenu maître, lorsqu’il évoque son retour à la terre. Le paysage intellectuel des années 1960 et 1970 ne l’enchantait guère. Quand on lui cite l’œuvre du philosophe André Gorz, auteur des textes fondateurs Écologie et politique (1975) et Écologie et liberté (1977), il s’agace : J’ai toujours détesté les philosophes existentialistes, nous dit-il. Dans les années 1960, il y en avait énormément, des gens qui ne pensaient qu’à partir des mécanismes sociaux, en évacuant le pourquoi nous sommes sur Terre. Mais moi, je sentais que la réalité n’était pas faite que de matière tangible et qu’il y avait autre chose. L’homme ne s’en cache pas : J’ai un contentieux très fort avec la modernité.

Sa vision du monde tranche avec la néoruralité libertaire de l’après-Mai. Je considère comme dangereuse pour l’avenir de l’humanité la validation de la famille homosexuelle, alors que par définition cette relation est inféconde, explique-t-il dans le livre d’entretiens Pierre Rabhi, semeur d’espoirs (Actes Sud, 2013). Sur les rapports entre les hommes et les femmes, son opinion est celle-ci : Il ne faudrait pas exalter l’égalité. Je plaide plutôt pour une complémentarité : que la femme soit la femme, que l’homme soit l’homme et que l’amour les réunisse.

En plus de ses fréquentations vichysso-ardéchoises, Rabhi compte parmi ses influences intellectuelles Rudolf Steiner (1861-1925), fondateur de la Société anthroposophique universelle. Un jour, le docteur Richard est venu chez moi, triomphant, et il m’a mis entre les mains le livre Fécondité de la terre, de l’Allemand Ehrenfried Pfeiffer, un disciple de Steiner, raconte-t-il. J’ai adhéré aux idées de Steiner, ainsi qu’aux principes de l’anthroposophie, et notamment à la biodynamie. Lorsqu’il a fallu faire de l’agriculture, Rudolf Steiner proposait des choses très intéressantes. J’ai donc commandé des préparats biodynamiques en Suisse et commencé mes expérimentations agricoles.

À son arrivée en Ardèche, après une année de formation dans une maison familiale rurale, Rabhi fait des travaux de maçonnerie, travaille comme ouvrier agricole, écrit de la poésie, ébauche des romans, s’adonne à la sculpture. Sa découverte de l’agriculture biodynamique le stimule au point qu’il anime, à partir des années 1970, causeries et formations à ce sujet. Il se forge alors une conviction qui ne le quittera plus : la spiritualité et la prise en compte du divin sont indissociables d’un modèle agricole viable, lequel se place dès lors au centre de ses préoccupations. Une nouvelle fois, un courrier et la rencontre avec un personnage haut en couleur vont infléchir le cours de son histoire.

Fondateur de la compagnie de vols charters Point Mulhouse, bien connue des baroudeurs des années 1970 et 1980, l’entrepreneur Maurice Freund inaugure en décembre 1983 un campement touristique à Gorom-Gorom, dans l’extrême nord du Burkina Faso. Grâce à cette réplique du village traditionnel avec ses murs d’enceinte qui entourent les cours, Freund compte faire de cette localité un lieu de tourisme solidaire. Las! Quelques semaines plus tard, il découvre que le restaurant traditionnel sert du foie gras et du champagne car des coopérants, mais aussi des ambassadeurs, viennent se détendre dans ce havre de paix.

Au même moment arrive une lettre de Rabhi l’invitant à visiter sa demeure en Ardèche. Devant l’insistance de celui qu’il prend d’abord pour un quémandeur, Freund se rend à la ferme. Avant même d’échanger une parole, en plongeant mon regard dans le sien, je comprends que Pierre Rabhi est l’homme providentiel, écrit Freund. S’inspirant des travaux de l’anthroposophe Rudolf Steiner, Pierre Rabhi a mis au point une méthode d’engrais organiques (…) qu’il a adaptée aux conditions du Sahel. Il ramasse les branches, plumes d’oiseaux, excréments de chameau, tiges de mil… Il récupère ces détritus, en fait du compost, le met en terre, s’émerveille-t-il. Il place aussitôt Rabhi à la tête de Gorom-Gorom II, une annexe du campement hôtelier où l’autodidacte initie des paysans du Sahel au calendrier lunaire de la biodynamie.

Le 6 mai 1986, la chaîne publique Antenne 2 diffuse le premier reportage télévisé consacré à Rabhi. Il y a un vice fondamental, explique le Français à Gorom-Gorom, sur fond de musique psychédélique. On s’est toujours préoccupé d’une planification matérielle, mais on ne s’est jamais préoccupé fondamentalement de la promotion humaine. C’est la conscience, c’est la conscience qui réalise.  Images de paysans au travail, gros plans sur les costumes traditionnels, paysages sublimes : le reportage fait dans le lyrisme. Je crois que le Nord et le Sud n’ont pas fini de se disputer ma personne, conclut Rabhi. Aucune précision technique sur les méthodes agronomiques n’est en revanche donnée.

Quelques mois plus tard, fin 1986, l’association Point Mulhouse, fondée par Freund, demande à l’agronome René Dumont, bon connaisseur des questions agricoles de la région du Sahel, d’expertiser le centre dirigé par Rabhi. Le candidat écologiste à l’élection présidentielle de 1974 est épouvanté par ce qu’il découvre. S’il approuve la pratique du compost, il dénonce un manque de connaissances scientifiques et condamne l’approche d’ensemble : Pierre Rabhi a présenté le compost comme une sorte de potion magique et jeté l’anathème sur les engrais chimiques, et même sur les fumiers et purins. Il enseignait encore que les vibrations des astres et les phases de la Lune jouaient un rôle essentiel en agriculture et propageait les thèses antiscientifiques de Steiner, tout en condamnant Louis Pasteur. 

Pour Dumont, ces postulats ésotériques comportent une forme de mépris pour les paysans. Comme, de surcroît, il avait adopté une attitude discutable à l’égard des Africains, nous avons été amenés à dire ce que nous en pensions, tant à la direction du Point Mulhouse qu’aux autorités du Burkina Faso. Deux conceptions s’opposent ici, car Dumont ne dissocie pas combat internationaliste, écologie politique et application de la science agronomique. Rabhi s’en amuse aujourd’hui : René Dumont est allé dire au président Thomas Sankara que j’étais un sorcier. Dumont conseillera même d’interrompre au plus vite ces formations. En pure perte, car Rabhi bénéficie de l’appui de Freund, lui-même proche du président burkinabé. Mais l’assassinat de Sankara, le 15 octobre 1987, prive Freund de ses appuis politiques. Rabhi et lui quittent précipitamment le Burkina Faso.

Cet épisode éclaire une facette importante d’un personnage parfois présenté comme un expert international des questions agricoles, préfacier du Manuel des jardins agroécologiques (Actes Sud, 2012), mais qui n’a jamais publié d’ouvrage d’agronomie ni d’article scientifique. Et pour cause. Avec l’affirmation de la raison, nous sommes parvenus au règne de la rationalité des prétendues Lumières, qui ont instauré un nouvel obscurantisme, un obscurantisme moderne, accuse-t-il, assis dans la véranda de sa demeure de Lablachère, en Ardèche. Les Lumières, c’est l’évacuation de tout le passé, considéré comme obscurantiste. L’insurrection des consciences à laquelle j’invite, c’est contre ce paradigme global.

Rabhi ne se contente pas d’exalter la beauté de la nature comme le ferait un artiste dans son œuvre. Il mobilise la nature, le travail de la terre et l’évocation de la paysannerie comme les instruments d’une revanche contre la modernité. Cette bataille illustre bien le malentendu sur lequel prospèrent certains courants idéologiques qui dénoncent les excès de la finance, la marchandisation du vivant, l’opulence des puissants ou les ravages des technosciences, mais qui ne prônent comme solution qu’un retrait du monde, une ascèse intime, et se gardent de mettre en cause les structures de pouvoir.

Que nous soyons riche ou pauvre, affirme Rabhi, nous sommes totalement dépendants de la nature. La référence à la nature régule la vie. Elle est gardienne des cadences justes. Dans Le Recours à la terre (Terre du ciel, 1995), il fait d’ailleurs l’éloge de la pauvreté, le contraire de la misère ; il la présente dans les années 1990, lors de ses formations, comme une valeur de bien-être. Quelques années plus tard, ce parti pris se muera sémantiquement en une exaltation de la sobriété heureuse, expression bien faite pour cacher un projet où même la protection sociale semble un luxe répréhensible : Beaucoup de gens bénéficient du secourisme social, nous explique Rabhi. Mais, pour pouvoir secourir de plus en plus de gens, il faut produire des richesses. Va-t-on pouvoir l’assumer longtemps ? Pareille conception des rapports sociaux explique peut-être le fonctionnement des organisations inspirées ou fondées par le sobre barbichu, ainsi que son indulgence envers les entreprises multinationales et leurs patrons.

Fondée en 1994 sous l’appellation Les Amis de Pierre Rabhi, l’association Terre et humanisme, dont un tiers du budget provient de dons tirés des produits financiers Agir du Crédit coopératif (plus de 450 000 € par an), poursuit l’œuvre entamée par Rabhi au Burkina Faso en animant des formations au Mali, au Sénégal, au Togo, ainsi qu’en France, sur une parcelle d’un hectare cultivée en biodynamie, le Mas de Beaulieu, à Lablachère. Entre 2004 et 2016 s’y sont succédé 2 350 bénévoles, les volonterres, qui travaillent plusieurs semaines en échange de repas et d’un hébergement sous la tente.

Aux Amanins (La Roche-sur-Grane, Drôme), l’infrastructure d’agrotourisme née en 2003 de la rencontre entre Rabhi et l’entrepreneur Michel Valentin (disparu en 2012), lequel a consacré au projet 4,5 millions d’€ de sa fortune, s’étend sur 55 ha. Elle accueille des séminaires d’entreprise, des vacanciers, mais aussi des personnes désireuses de se former au maraîchage. La production de légumes repose sur deux salariés à temps partiel (28 heures hebdomadaires chacun) qu’épaule un escadron de volontaires du service civique ou de travailleurs bénévoles, les wwoofers (mot composé à partir de l’acronyme de World-Wide Opportunities on Organic Farms, accueil dans des fermes biologiques du monde entier) : en échange du gîte et du couvert, les wwoofers travaillent ici 5 h/jour, explique la direction des Amanins. Nous ne payons pas de cotisations sociales, et c’est légal. [vieille affaire qui a encadré toutes les baby-sitters : les jeunes fille au pair. ndlr]

Son exercice de méditation terminé, l’un des quatre travailleurs bénévoles présents lors de notre visite gratifie son repas bio d’une parole de louange et confie : En fait, on travaille plus que cinq heures par jour, mais le logement est très confortable. Être ici, ça ramène à l’essentiel.  Malgré la taille du site et la main-d’œuvre abondante, les Amanins déclarent ne pas atteindre l’autosuffisance alimentaire et achètent 20% de leurs légumes. J’ai vu des gens partir en claquant la porte, en se plaignant d’être exploités, témoigne Mme Ariane Lespect, qui a travaillé bénévolement au Mas de Beaulieu, géré par Terre et humanisme, ainsi qu’aux Amanins. Mais je crois qu’ils n’ont pas compris le message de Pierre Rabhi. Sortir du système, retrouver un échange humain, c’est accepter de travailler pour autre chose qu’un salaire, et de donner.

Le prophète-paysan ne tire aucun profit monétaire de ces engagements bénévoles. Mais ces apprentis jardiniers sans grande expérience ni connaissances agronomiques qui bêchent le sol des fermes Potemkine donnent du contre-modèle Rabhi une image télégénique d’exploitation biologique économiquement viable – alors que ces fermes réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires en facturant des formations.

Le mouvement Colibris ne supervise aucune exploitation agricole. Toutefois, son actuel directeur, M. Mathieu Labonne, coordonne GreenFriends, le réseau européen des projets environnementaux de l’organisation Embracing the World (ETW), fondée par la gourou Mata Amritanandamayi, plus connue sous le nom d’Amma. Sa tâche consiste à développer des écosites modèles dans les ashrams français d’Amma : la Ferme du Plessis (Pontgouin, Eure-et-Loir) et Lou Paradou (Tourves, Var). Dans ses comptes annuels de 2017, l’association ETW France, sise à la Ferme du Plessis (6 ha), déclare avoir bénéficié de l’équivalent de 843 710 € de travail bénévole, toutes activités confondues. Et l’association MAM, qui gère Lou Paradou (3 ha), de 16 346 heures de seva, l’une des pratiques spirituelles qu’Amma nous conseille particulièrement, le travail désintéressé en conscience, appelé aussi méditation en action, explique le site Internet de l’ashram. Cuisine, travail au jardin, ménage, travaux, couture… les tâches sont variées. Les réseaux Amma et Colibris se croisent régulièrement, que ce soit lors des venues annuelles de la gourou en France, dans les fermes d’ETW, ou dans la presse des Colibris – Amma a fait la une du magazine Kaizen en mars 2015.

À partir de 2009, année marquée par la participation de Rabhi à l’université d’été du Mouvement des entreprises de France (Medef), le fondateur des Colibris rencontre des dirigeants de grandes entreprises, comme Veolia, HSBC, General Electric, Clarins, Yves Rocher ou Weleda, afin de les sensibiliser. Les rapports d’activité de l’association Colibris évoquent à cette époque la création d’un laboratoire des entrepreneurs Colibris chargé de mobiliser et de relier les entrepreneurs en recherche de sens et de cohérence. On peut réunir un PDG, un associatif, une mère de famille, un agriculteur, un élu, un artiste, et ils s’organisent pour trouver des solutions qu’ils n’auraient jamais imaginées seuls, lit-on.

Désireux de stimuler cette imagination, Rabhi a également reçu chez lui, ces dernières années, le milliardaire Jacques-Antoine Granjon, le directeur général du groupe Danone Emmanuel Faber, [débarqué en 2021, par son conseil d’administration : trop social. ndlr] ainsi que M. Jean-Pierre Petit, plus haut dirigeant français de McDonald’s et membre de l’équipe de direction de la multinationale. J’admire Pierre Rabhi (…), je vais à toutes ses conférences, clame M. Christopher Guérin, directeur général du fabricant de câbles Nexans Europe (26 000 salariés), qui se flatte dans le même souffle d’avoir multiplié par trois la rentabilité opérationnelle des usines européennes en deux ans (Le Figaro, 4 juin 2018). Rabhi a également déjeuné avec M. Emmanuel Macron durant sa campagne pour l’élection présidentielle. Macron, le pauvre, il fait ce qu’il peut, mais ce n’est pas simple, nous déclare-t-il. Il est de bonne volonté, mais la complexité du système fait qu’il n’a pas les mains libres.

À force de persévérance, les consciences s’éveillent. Le 8 mai 2018, à Milan, dans le cadre du salon de l’agroalimentaire Seeds & Chips, M. Stéphane Coum, directeur des opérations de Carrefour Italie, disserte devant un parterre de journalistes et d’industriels. Trois mois à peine après que M. Alexandre Bompard, président-directeur général de Carrefour, a annoncé 2 milliards d’€ d’économie, la fermeture de 273 magasins et la suppression de 2 400 emplois, le dirigeant de la succursale italienne fait défiler une présentation. Soudain, une citation appelant à l’avènement d’un humanisme planétaire apparaît à l’écran, accompagnée d’un visage au sourire rassurant. Il y a six ans, j’ai commencé à lire Pierre Rabhi, déclare ce patron colibri. Pour que nous parvenions au changement, il faut que chacun “fasse sa part”. Nombreux sont aujourd’hui ceux qui veulent changer le monde, et c’est aussi la volonté de Carrefour. Réconcilier grande distribution et sollicitude environnementale, grandes fortunes et spiritualité ascétique : la sobriété heureuse est décidément une notion élastique.

Jean-Baptiste Malet, Journaliste, auteur de L’Empire de l’or rouge. Enquête mondiale sur la tomate d’industrie, Fayard, Paris, 2017.

Pierre Rabhi : biographie, actualités et émissions France Culture

Droit de réponse exercé par Pierre Rabhi Laisser entendre que j’aurais organisé à mon profit un système lucratif en faisant du marketing, deux notions qui me sont complètement étrangères, est un curieux procédé. Je n’ai aucun rôle dans les associations ou structures que j’ai inspirées et elles n’ont pas de liens entre elles. Leur indépendance financière est la preuve même qu’il n’y a ni système ni marketing. Lieux de formation ou de transformation, elles n’ont jamais prétendu être des fermes modèles autosuffisantes.

Je suis blessé qu’on puisse ainsi tenter d’atteindre l’agroécologie et les actions que je mène par de simples insinuations ou spéculations sans fondement, et je m’interroge sur la finalité de cet article.

Ma posture générale n’est pas narcissique, elle relève du témoignage et de la protestation, car j’entends surtout inviter les êtres à s’insurger contre la dépendance, voire l’aliénation, dans laquelle la société marchande les enferme, et les convier à faire chacun leur part dans le changement de la société tout en s’exonérant des colifichets ou des illusions du progrès.

Ma vie n’est faite que de rencontres, mais on attribue à certaines d’entre elles une dimension démesurée. Et c’est ainsi que l’on veut faire de moi un homme influencé par des idées réactionnaires que l’on m’aurait inoculées dans les années 1960. Je trouve choquant qu’on ravale le docteur Pierre Richard au rang de vichysso-ardéchois au simple prétexte que, dans son jeune âge, il a encadré un chantier de jeunesse et qu’il défendait des idées de retour à la terre. Ce qualificatif est indigne en ce qu’il gomme le fait qu’il a été résistant. Initiateur du Parc national des Cévennes, infatigable médecin de campagne féru d’ethnologie, il courait par tous les temps avec sa 2 CV, au point de mettre sa vie en danger. À mes débuts en Ardèche, il m’hébergea, favorisa mon installation agricole, fut mon témoin de mariage, mais à aucun moment il n’a cherché à me transmettre une quelconque idéologie. Seule la passion des écosystèmes, des paysages et des hommes nous réunissait.

Il en va de même de mes rencontres avec Gustave Thibon, écrivain catholique de souche paysanne et révélateur de Simone Weil. Le portrait qu’en trace M. Malet est caricatural. Les échanges que nous avions portaient essentiellement sur la spiritualité. Nous avions trente-cinq ans d’écart et j’étais impressionné par son immense culture, ses dons linguistiques ou sa mémoire.

J’ai le souvenir que, alors que nous étions financièrement exsangues, il nous a aidés, mais on ne peut pas considérer que je sois son disciple ou qu’il fut mon modèle. Hormis notre attachement commun, à l’époque, au catholicisme, nous n’avions pas les mêmes centres d’intérêt ni la même culture. Nous n’étions pas au même niveau et je lui devais la révérence qu’on doit à un ancien. Nous ne nous voyions que de loin en loin – quatre ou cinq fois en tout – et nos échanges se sont vite taris. J’étais à l’âge où l’on n’est pas soi-même confirmé et où l’on picore à droite et à gauche pour se constituer, mais il est dépourvu de sens de faire de lui un de mes mentors alors même que je ne le cite jamais.

Je dois revenir sur mon expérience au Burkina Faso, que l’auteur de l’article tourne en dérision. Curieusement, lorsqu’il est venu avec Maurice Freund, il ne m’a pas du tout interrogé à ce sujet et son récit comporte d’ailleurs de nombreuses inexactitudes.

En 1984, j’opérais déjà au Burkina depuis quatre ans. Joseph Rocher, du Centre de relations internationales entre agriculteurs pour le développement, m’avait invité à y transmettre mon expérience. Un jour, Maurice Freund, accompagné de Philippe Dominiak, est venu chez moi. Je ne le connaissais pas, mais j’avais entendu parler de lui et j’utilisais Point Mulhouse – la compagnie de vols charters fondée par M. Freund -. Après qu’il m’eut exposé son problème de campement hôtelier, j’acceptai de m’investir à ses côtés. J’organisai à Gorom-Gorom, où sévissait la faim, des formations à l’agroécologie pour des paysans et des stagiaires sans pour autant faire appel, comme il est dit, à la biodynamie ou aux rythmes lunaires. Je préférais expliquer comment réaliser des composts, y compris avec du purin et du fumier, ou utiliser des techniques agroécologiques. L’urgence était de libérer les paysans de la dépendance aux engrais chimiques. Dans L’Offrande au crépuscule (1988), nous avons expliqué, schémas et analyses à l’appui, comment nous avons procédé au Sahel. Ce livre a reçu un prix du ministère de l’agriculture et j’ai été amené à participer à des colloques internationaux.

Ce n’est pas Maurice Freund, mais Thomas Sankara qui a mandaté René Dumont pour expertiser mon travail. Je ne crois pas que Dumont ait été épouvanté, car, au départ, nous allions bras dessus, bras dessous. Il ne jurait malheureusement que par les engrais chimiques, dont il disait qu’ils étaient la clé du progrès agricole, comme on peut déjà le lire dans L’Utopie ou la mort ! (1973). Le personnage était très autoritaire. Je ne disais pas du tout que le compost est une solution miracle (cf. L’Offrande…, édition 2001, page 194), mais Dumont entreprit de saper ma crédibilité et Sankara me convoqua. Au sortir de la réunion, il trancha en ma faveur. D’où l’amertume récurrente de Dumont. Comme peut en témoigner Guy Delbrel, ami de Sankara, celui-ci avait opté pour l’indépendance économique à l’égard de l’industrie des engrais. Sankara envisagea même de me nommer secrétaire d’État au développement rural, mais il fut assassiné.

Contrairement à ce qui est dit, je ne fus nullement contraint de quitter précipitamment le Burkina, car j’ai appris son assassinat à la radio alors que j’étais en Ardèche. Preuve de sa fécondité et de son adéquation aux conditions du Sahel, l’agroécologie continue aujourd’hui son chemin au Burkina, où des milliers de personnes y ont été formées, et l’agronome Marc Dufumier, tout aussi titré et expérimenté que Dumont, affirme que les humains pourront tous se nourrir demain grâce à l’agriculture bio.

Je ne suis nullement responsable des récupérations des uns ou des autres. On prétend que je passe beaucoup de temps avec des dirigeants de multinationale ; c’est une fable. Au fil des ans, je n’ai eu que quelques entrevues – à leur demande et sans aucune conséquence – avec une poignée d’entre eux. Pour moi, l’hospitalité est sacrée, et je les reçois comme j’ai reçu M. Malet.

Celui-ci note que j’ai rencontré Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle. Un déjeuner avait été organisé par un ami commun à la condition qu’il n’en soit fait aucune publicité, car il n’était pas question d’un ralliement. Ce fut respecté à la lettre. Maurice Freund et Bernard Chevilliat, qui m’accompagnaient, peuvent témoigner que nous avons parlé de perturbateurs endocriniens, de glyphosate, de l’enseignement de l’écologie en classes primaires, du Sahel et de la tragédie de Sophie Pétronin, qui venait d’être enlevée au Mali.

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La réponse de M. Pierre Rabhi suggère, entre autres choses, que l’agroécologie serait mise en accusation par notre enquête. De nombreux articles témoignent au contraire de l’intérêt porté de longue date par Le Monde diplomatique aux questions environnementales, et à l’agriculture biologique en particulier.

L’influence intellectuelle de M. Rabhi est importante. Elle méritait donc que l’on s’attache à en comprendre les ressorts, en mettant au jour les éléments constitutifs d’une écologie apolitique.

Tout récemment distingué par le prix Albert-Londres du livre, Jean-Baptiste Malet répond par ailleurs sur notre site de manière détaillée, aux allégations de M. Rabhi relatives au passé de résistant du docteur Pierre Richard. Il revient sur la nature des rapports entre M. Rabhi et Gustave Thibon et, plus généralement, sur l’enquête que nous avons publiée.

Le Monde diplomatique

2 09 2018     
Le feu ravage le Musée National de Rio de Janeiro  …  Les flammes ont eu raison de la quasi totalité des 20 millions de pièces. Des collections uniques au monde patiemment constituées depuis le XVIII° siècle, rassemblées dans l’ancien palais du magnifique parc de la Quinta da Boa Vista, au nord de la ville carioca. Fondé le 6 juin 1818 par le roi Jean VI du Portugal (Dom Joao VI) le musée national de Rio avait été aménagé dans le palais Saint-Christophe où les familles royales portugaises et brésiliennes ont résidé tout au long du XIX° siècle. Y étaient exposées des collections des collections de géologie, paléontologie, botanique, anthropologie, ou encore d’ethnologie et d’archéologie.  Tristeza nao tem fim (La tristesse n’a pas de fin chanson de Carlos Jobim et Vinicius de Moraes.)

4 09 2018

Andriy Kobolyef, ancien PDG de Naftogaz, la compagnie nationale ukrainienne de gaz et de pétrole exprime ses craintes dans une interview au site allemand Deutsche Welle :

La Russie doit supprimer le transit par l’Ukraine pour une raison très simple : le maintien du transit rend très coûteuse une agression militaire d’envergure contrer l’Ukraine. Une guerre perturberait pendant longtemps l’approvisionnement en gaz russe vers l’Europe occidentale via l’Ukraine. Cela coûterait cher à Moscou, en matière de réputation et de finances.

8 09 2018   

L’Ocean Cleanup appareille de San Francisco pour nettoyer le plastique qui envahit le Pacifique sur environ 1.6 million de km², en quatre zones – c’est à peu près 3 fois la France – ; sept millions de tonnes de plastique flottent à la surface, mais quatre trilliards de tonnes recouvrent le fond du lit marin. Boyan Slat, le fondateur de l’ONG éponyme du bateau, a conçu un filet flottant de 3 m de profondeur en forme de fer à cheval, qui, poussé par le vent va plus vite que les plastiques récoltés. Le bateau devrait en mettre plusieurs en place. Une fois remplis, il faut encore les ramener à terre pour traitement. Le long boyau connaîtra des avaries sur l’une de ses extrémités en décembre 2018, dues semble-t-il, à un durcissement des matériaux en mouvement. Il sera emmené à Hawaï pour réparation.

Oceans | The Ocean Cleanup

Autre aspirateur d’Ocean Cleanup : The Interceptor, une barge autonome de 24 mètres de long à même de collecter de 50 à 100 tonnes de détritus par jour, à l’œuvre sur les eaux les plus polluées : le canal de Cengkareng à Jakarta, en Indonésie et la rivière Klang en Malaisie :

The Interceptor, le navire intelligent qui va nettoyer les rivières du globe

En octobre, Ocean Cleanup mettra en service un plus grand navire pour mettre en œuvre l’opération Mammoth Syzstem 03, à même de purger une surface de la taille d’un terrain de foot toutes les 5 secondes !

Ocean Cleanup ประสบความสำเร็จ สร้าง ‘เครื่องกวาดขยะทะเล’ สิ่งประดิษฐ์ ...

En France, avec un décalage de 2 ans, le bateau Plastic Odyssey, mis à l’eau en 2018, devrait être opérationnel en 2020, pour un tour du monde de 3 ans, commençant par Alexandrie : c’est un petit bateau usine [39 mètres de long] qui fabriquera des objets courants avec les plastiques ramassés le long des côtes et fournira son moteur avec le carburant obtenu par pyrolyse des plastiques qui n’auront pas été transformés. Autrement plus séduisant ! attendons de voir les résultats et coûts de chacun.

Dans les ports, un petit robot pour les nettoyer : Jellyfishbot, un robot conçu par Iadys, à Roquefort la Bégude, dans les Bouches du Rhône : 70 centimètres de côté, une autonomie de 6 à 8 heures, ramassant jusqu’à 80 litres de déchets ou collectant 30 à 40 litres d’hydrocarbures.

Le Jellyfishbot, robot nettoyeur de plans d'eau - IADYS

Et encore, cette fois à Antibes : L’association Earthwake, fondée en 2015 par le comédien Samuel Le Bihan, a pour mission de mettre au point des innovations pour collecter et valoriser les déchets plas­tique. Aujourd’hui, en partenariat avec le Port Vauban d’Antibes, Earthwake organise une démonstration de son prototype Chrysalis, une machine révolutionnaire dédiée au problème de pollution des océans par les déchets plastique. Cette démonstration en direct révèle une haute technologie et une réaction chimique sensationnelle. Inventée par Christofer Costes et fabriquée en France, Chrysalis produit des matières premières secondaires exploitables – comme le carburant – en transformant les plastiques non recyclables. Elle peut ainsi alimenter des groupes électrogènes, des moteurs de bateau ou encore de tracteur.

Depuis trois ans, les équipes d’Earthwake, en collaboration avec l’Institut Français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN), l’École centrale de Paris et le bureau d’in­génierie Atanor, travaillent sur la machine Chrysalis dans le but de valoriser les déchets plastique. Elle transforme le polyéthylène et le polypropylène par un principe simple de pyrolyse mais jamais développé avec un tel niveau d’efficacité et une telle qualité de matières premières, ne nécessitant ni électricité, ni carburant. Dans sa version définitive, Chrysalis sera disponible début 2019 et a pour ambition de recycler 15 000 tonnes de plastique en 2020. Elle se transportera facilement dans un conteneur et pourra traiter entre 7 et 10 tonnes de plastique par mois.

En effet, cette solution permet de redonner de la valeur aux déchets plastique pour susciter leur collecte. Une collecte créatrice d’emplois et de liens forts pour créer une solidarité et une sensibilisation autour des déchets plastique. L’énergie produite sera utilisée pour les véhicules de transport (voitures, tracteurs, bateaux, groupes électrogènes) des associations parties prenantes de l’écosystème.

Earthwake, 17, Rue Bourgelat 69002 LYON Tel: 06 73 28 64 82 www.earthwake.fr

Biocontact N° 295 novembre 2018 www.biocontact.fr

Et encore, cette fois-ci, à La Trinité sur mer : Le voilier Manta [la raie manta a une grande capacité de filtration de l’eau de mer] a été imaginé par l’association Sea Cleaners (basée à la Trinité-sur-Mer, créée par Laurent Bourgnon et qui emploie 15 personnes). Il permettra de ramasser des plastiques dont la plupart ne sont pas recyclables. Ce bateau propre fonctionne aux énergies renouvelables, avec à bord une véritable usine de tri et de stockage de déchets plastiques (plus de 250 tonnes de déchets peuvent être stockées dans les coques du bateau). Lors de la Transat Jacques Vabre de 2015, Laurent Bourgnon était entré en collision avec un container, ce qui l’avait contraint à l’abandon. Ce navire a été étudié pour collecter les plastiques océaniques au plus près de la source de déversement, près des côtes. En effet, seul un navire offre la mobilité nécessaire aux déplacements rapides vers les bancs de plastiques encore concentrés par les vents et les courants, avant qu’ils n’entament leurs dérives océaniques vers les continents de plastique. Cette mobilité permet également d’intervenir en haute mer, là où la profondeur océanique rend impossible l’ancrage au fond de la mer et où un container immergé accidentellement peut avoir libéré sa cargaison d’objets en plastique.. Ce navire a été étudié pour collecter les plastiques océaniques au plus près de la source de déversement, près des côtes.  Au niveau de sa motorisation, Manta aura recours a des Kite Wings (cerf-volants), combinées à un gréement supportant des voiles classiques, auquel s’ajoutera un bloc propulseur hybride, permettant de réduire l’empreinte carbone à son strict minimum.

Yvan Bourgnon veut nettoyer les mers avec le Manta | Le Courrier Vendéen

La croisière-croisade d'Yvan Bourgnon contre le plastique | Illustré

Le Manta, imaginé par l’association, Sea Cleaner de La Trinité sur Mer, créée par Laurent Bourgnon. Opérationnel en 2022. Largeur : 49 m. Longueur : 70 m. Hauteur : 62 m. Capacité de Stockage 300 m. cubes.

The SeaCleaners | Manta et Innovation

Après avoir créé l’association The Sea Cleaners en 2016, le navigateur franco-suisse Yvan Bourgnon dévoile la maquette de son navire collecteur de déchets : le Manta, en référence à la raie du même nom qui est un poisson filtreur. Objectif : lancer la première mission de nettoyage des océans en 2022. Libération l’a rencontré.

D’où vient l’idée du Manta ?

J’ai eu une carrière sportive superbe, mais je suis certainement un des skippeurs qui a le plus abandonné à cause des déchets. D’un coup, tout s’arrête parce qu’il y a un container en travers de la route ou un plastique qui flotte. Puis, entre 2013 et 2015, j’ai fait un tour du monde en petit catamaran de sport. J’ai navigué dans l’océan Indien, le long de la barrière indonésienne : Sri Lanka, Maldives, et là, clairement, j’ai navigué pendant près de deux mois dans des déchets plastiques. C’était le choc. J’ai parfois été obligé de m’arrêter 40 fois par jour parce que les déchets étaient coincés dans mes gouvernails, dans mes dérives.

On m’avait dit : en mer, il n’y a que des micro-particules de plastique, mais en fait pas du tout. Sur une bande côtière de 0 à 50 miles, il y a parfois de grandes concentrations de plastiques, des filets de pêcheurs, des bouteilles d’eau, des sacs plastiques, des déchets qui sont encore dans leur état originel. Je me suis dit : L’océan est devenu une poubelle. J’avais eu la chance de faire ce même tour du monde entre mes 8 et mes 12 ans, et quand j’en parle avec mes parents, ils me disent qu’ils n’ont jamais eu besoin de ramasser un déchet plastique dans la mer.

Comment avez-vous conçu ce projet ?

À mon retour, je me suis entouré d’un spécialiste de la pollution, Patrick Fabre. On s’est rendu compte qu’il y avait de nombreuses zones de concentration de plastiques et que personne ne travaillait sur le sujet. Il y avait des barrières flottantes, des petits bateaux de 5-6 mètres avec des tapis de ramassage dans les ports, mais pas de bateau capable d’aller en mer pour ramasser significativement les plastiques. C’est comme ça qu’on a monté The Sea Cleaners, avec l’idée de concevoir le Manta qui serait le premier voilier hauturier, donc au large, capable de ramasser les déchets plastiques en mer.

On s’était fixé deux objectifs : récolter 600 m³ de plastique par campagne et être en énergie verte au moins à 75 %. Des ingénieurs ont travaillé pendant très longtemps pour réussir à mettre au point des tapis roulants qui plongent dans la mer, un mètre sous la surface, ce qui existait déjà en petit.

A quoi ressemblera le Manta ?

Le bateau, dont le coût est estimé aujourd’hui à 25 millions d’€, pèsera 25 000 tonnes et aura la taille d’un terrain de foot : 70 mètres de long, 49 mètres de large, 62 mètres de haut. Ce sera le plus grand multicoque au monde et il hébergera 36 personnes.

On a donc quatre coques, soit trois entrées d’eau naturelles pour piéger les déchets plastiques. Avec la vitesse du bateau, ils se déposent sur le tapis roulant qui remonte à l’intérieur du bateau. C’est une vraie usine flottante. Ce qui est organique, troncs d’arbres, branches etc. va repartir à la mer à l’arrière du bateau, et des opérateurs vont ramasser et trier les plastiques, environ 100 kg/h.

Les recyclables seront compactés sur place sous forme de balles de 1 m³ et stockés à bord, jusqu’à 600 à 1000 m³. Les autres déchets, trop détériorés ou trop altérés par la flore, seront mis dans une pyrolyse : un four qui fait fondre le plastique et le transforme en carburant. Cela ne consomme pas de CO2 et cela crée du carburant dont nous avons besoin.

Quelle est l’efficacité concrète d’un tel projet ?

À raison de 25 campagnes par an en moyenne, on peut atteindre 30 000 m³. On n’aura ramassé qu’une partie du plastique, certes, mais le jour où il y aura 100 bateaux… Puis le Manta est aussi un outil merveilleux pour faire de la sensibilisation, ce qui manque dans les pays qui polluent le plus. On profitera des escales pour convoquer les populations, les décideurs, les politiques, et leur dire : on s’est retroussé les manches, voilà les plastiques qu’on a ramassés devant chez vous. Ensuite, l’idée est de mettre des unités de recyclage à disposition des villes afin de montrer que la technologie existe. On ne va pas s’arrêter à la collecte.

Tous les plastiques sont-ils récupérés ?

Non, les microplastiques se constituent après un an de dérive de plastique. C’est une aiguille dans une botte de foin. C’est de la pollution passée, plus difficile à récupérer. Mais on va pouvoir s’attaquer à la pollution future, qui ne fait que croître. Ce qui flotte dans la mer, c’est essentiellement la pollution de consommation des gens : les bouteilles en plastique, les sacs plastiques… Des choses qu’on peut facilement remplacer dans les usages.

Y a-t-il un risque pour la faune qui nagerait près de la surface ?

Le risque zéro n’existe pas, mais il y a des sonars à l’avant des bateaux qui font fuir les cétacés. C’est déjà expérimenté. Pour les tortues, peut-être que cela arrivera qu’une se fasse piéger, mais les tapis sont prévus pour ne pas être agressifs : elle va monter dans le bateau et retomber dans la mer de l’autre côté. Et s’il y a une bonne daurade, on la mettra dans le barbecue à l’arrière du bateau, c’est ça aussi, l’économie circulaire.

Vous avez dit que le bateau fonctionnerait avec 75 % d’énergie propre ?

Aujourd’hui sur le papier, on n’est pas loin du 100 %, mais ce sera forcément un peu moins. 75 %, c’est déjà énorme : aujourd’hui aucun bateau de travail n’est en énergie verte, même à 20 %.

Eolien avec deux grands mats à l’arrière, solaire, vent, pyrolyse avec 4 à 5 tonnes de gasoil par jour estimées… On a travaillé des milliers d’heures pour trouver le meilleur compromis. Quand on ramasse les déchets, on a besoin d’avoir une vitesse constante ce qui est impossible avec la voile, donc on utilise l’énergie électrique : le solaire et l’éolien. Quand on a besoin d’aller plus vite pour changer de zone, on navigue à la voile (près de 3000 m² de surface).

Comment saurez-vous où aller pêcher des plastiques ?

On ne sait pas encore avec précision mais on va se concentrer sur l’Asie du Sud-est, l’Amazonie, le Nigeria et l’est de la Méditerranée. Quand on regarde les chiffres, la majorité des plastiques arrivent des 10 plus grands fleuves du monde. Mékong, Yangtsé, Gange, Amazonie… On n’a pas besoin d’aller ratisser toute la surface des océans, on peut se poster à la sortie des fleuves. Par ailleurs, les agences spatiales comme l’ESA ont décidé de lancer des satellites en 2020 pour repérer les amas de plastiques. Enfin, on utilisera deux drones qui ont 50 km d’autonomie.

Que reste-il à faire avant la première campagne prévue en 2022 ?

À partir du mois de septembre, 12 personnes chercheront des correspondants dans chaque pays et devront déterminer où va aller le Manta, obtenir les accords de navigation, les accords pour déposer nos déchets plastiques… Pour l’instant on a un quart du financement, 7000 donateurs et 25 mécènes et on a besoin d’en trouver une centaine.

Ce projet est-il amené à être décliné ?

Oui, imaginons un seul camion poubelle à l’échelle de la France, ce serait insuffisant. L’idée est que chaque pays puisse monter son propre projet pour financer des bateaux. Nous sommes là pour développer une technologie, la mettre au point, et mettre les plans en open data. Une fois que tout est prêt, après six ou sept ans de travail, on laissera tout à disposition gratuitement. Il ne faut pas que tout le monde perde des millions de dollars pour mettre au point un tel bateau.

Laurent Bourgnon interviewé par Aurélie Delmas.,Libération 23 avril 2018

Les États-Unis et la France ne sont pas seuls à avoir pris conscience de la gravité de la situation et, si le plus souvent, la règle en ce qui concerne les riches est qu’ils s’en désintéressent complètement, il est des exceptions pour faire mentir la règle, à l’instar de Bill Gates et de sa fondation : ainsi le milliardaire norvégien Kjell Inge Rokke a-t-il fait construire REV Ocean, le plus grand navire privé du monde – 182 mètres de long – à seule fin de dépolluer les mers et les océans : le bateau sera à même d’incinérer cinq tonnes de plastique par jour ! Un système d’aspiration permettra de le récupérer, et un incinérateur permettra de brûler tous les matériaux dont le plastique, sauf le métal et le verre. Ils seront brûlés d’une façon positive pour l’environnement, sans produire de gaz nuisibles.

Construit pour le gros œuvre à Tulcea, en Roumanie, il sera emmené par le remorqueur Kamarina d’août à septembre 2019, jusqu’à Brattvåg, en Norvège où il sera terminé pour être opérationnel en 2020. Il emmène 60 scientifiques et 30 hommes d’équipage. revocean.org :

Rosellinis Four-10, Bygg nr. 884 ved Vard Brattvaag, VARD ...

rev ocean varo (7) - Liguria Nautica

Beaucoup plus traditionnel, le trois mâts Kraken, ex chalutier transformé en voilier, navire de tourismede l’ONG Wings of the ocean, fondée par Julien Wosnitza, en 2018. Il navigue sous pavillon dominicain. Construit en 1974, 42 m de longueur hors tout, 7.5 m au maître bau, 3.85 m de tirant d’eau, 1 007 m2 de voilure, 4 cabines 2 personnes, 6 cabines 4 personnes, 9 douches, 9 toilettes. Mais il est bien difficile de savoir d’où viennent les sous. Apparemment, la collecte des déchets est manuelle.

Le Kraken, qui bat pavillon dominicain, devrait rester amarré au quai d'Alger au moins trois semaines.

Et encore, un prototype de cargo à voile :

Les détracteurs de ces initiatives visant à résorber le plastique flottant disent que la surface de la mer n’est pas grand chose par rapport au tonnage de microparticules qui tapissent les fonds marins. Ils seront en fait contredits par une étude sud-africaine qui prélèvera en 2019/2020 916 échantillons provenant de 6 océans. Après avoir passé 2 000 fibres d’un millimètre de long au spectromètre infra rouge, ces chercheurs ont constaté que seules 8.2 % d’entre elles étaient en plastique (nylon, polyester), contre 79.5 % en cellulose (coton) et 12.3 % d’origine animale (laine).

16 09 2018 

Au Décastar de Talence, près de Bordeaux, Kevin Mayer, 26 ans, devient recordman du monde du décathlon  avec 9126 points, total de 10 épreuves dont 4 de course, 3 de saut, 3 de lancer, chaque épreuve étant dotée d’un certain nombre de points. C’est un des plus grands exploits de l’athlétisme français de l’après-guerre.

  Kevin Mayer   Record du monde dans la discipline
100 m 10″55 9″58 Usain Bolt, Jamaïque, 16 août 2009 à Berlin
400 m 48″42 43″03 Wayde van Niekerk, Afrique du Sud, 14 août 2016 au Brésil
110 m haies 13″75 12″50 Aries Merrit, Etats-Unis, 7 septembre 2016 à Bruxelles
1 500 m 4’36″11 3′ 26″ Hicham El Guerrouj, Maroc, 14 juillet 1998, à Rome
Perche 5, 45 m 6, 23 m Armand Duplantis, Suède, 24 07 2022, à Eugène, États-Unis
Longueur 7, 80 m 8, 95 m Mike Powell, Etats-Unis, 30 août 1991 à Tokyo
Hauteur 2, 05 m 2, 45 m Javier Sotomayor, Cuba, 27 juillet 1993, à Salamanque, Espagne
Poids 16, 00 m 23, 37 m Ryan Crouser, États-Unis, 18 065 2021 à Eugène États-Unis.
Javelot 71, 90  m 98, 48  m Jan Zelezny, Tchèquie, 25 mai 1996 à Iéna, Allemagne
Disque 50, 54  m 74, 08   m Jürgen Schult, Allemagne, 6 juin 1986 à Neubrandenburg, Allemagne

Il serait amusant de demander à chaque athlète détenteur d’un record du monde dans une discipline, de se tester dans la même année au décathlon pour voir combien de points le sépareraient du recordman du monde du décathlon…

Kevin Mayer lors de l’épreuve du saut à la perche, le 16 septembre, à Talence (Gironde).

16 septembre 2018 Talence… sur son nuage

24 09 2018

C’est l’Assemblée générale de Nations-Unies à New York. Jacinta Ardern, 38 ans, première ministre de la Nouvelle Zélande, arrive, sa petite Neve née trois mois plus tôt, dans les bras. Elle a tout de même pris six semaines de congé après la naissance, le vice-premier ministre assurant l’intérim.

28 09 2018 

En Indonésie, séisme de magnitude 7.5 conjugué avec tsunami sur la côte ouest des Célèbes, dans la province de Sulawesi, essentiellement à Palu, la capitale régionale, mais aussi à Donggala, la ville la plus proche de l’épicentre du séisme. Plus de 2 000 morts, 5 000 blessés graves, 50 000 déplacés. La terre ondulait comme une vague, comme un tapis que l’on secoue.

15 10 2018 

Trombes d’eau dans l’Aude, proches de Carcassonne : 14 morts, 20 blessés. La fraîcheur n’est pas encore installée et la température plutôt élevée de la mer expliqueraient en partie le phénomène. Les Italiens connaîtront la même chose autour de Venise.

28 10 2018 

Jair Bolsonaro à la tête du parti d’extrême droite du Brésil, remporte l’élection présidentielle avec 55 % des voix. Il a dit regretter que la dictature des militaires n’ait pas tué plus de monde ! C’est un évangélique fervent.

29 10 2018   

Un Boeing 737 MAX 8 de la compagnie indonésienne low-cost Lion Air s’écrase en mer 10′ après avoir décollé de Djakarta : 189 morts. Le pilote et le copilote totalisaient plus de 11 000 heures de vol. La livraison de ce modèle récent de Boeing avait été un temps suspendue pour des problèmes de moteur. Et cet avion avait connu un incident sur le vol précédent. Des compagnies indonésiennes ont été un temps interdites de vol dans le ciel américain et européen. Par ailleurs, quelques jours après que l’une des deux boites noires ait été retrouvée, le comité de sécurité des transports indonésien a indiqué que le vol 610 de Lion Air a reçu des informations erronées d’un des capteurs d’incidence  (AOA, Angle of Attack sensor), information qui lui a été fournie par Boeing, le constructeur. Le 6 mars 2020, la Commission de transport du Congrès américain qualifiera le 737 Max d’avion fondamentalement défectueux et dangereux. 

Boeing 737 MAX: de son envol aux accidents, chronologie d'une crise

Crash en Indonésie: l'avion de Lion Air n'aurait pas dû être autorisé à voler selon les enquêteurs

Crash Boeing 737 de Lion Air en Indonésie: sur 189 passagers, aucun survivant. - J. Barthet , blog personnel.

Crash d'avion: 2018, la pire année depuis 5 ans

Tempête de vent sur les Dolomites, dans l’Italie du nord-est : en moins d’une demi-heure, des millions d’arbres – pour l’essentiel des épicéas – sont cassés, plaqués au sol par un vent de plus de 200 km/h. Le Val di Fiemme, – la forêt des violons [2]grand fournisseur d’épicéa rouge – le bois de résonance dont on fait les violons, principalement à Cremone, en fait partie, mais aussi la plupart des vallées des Dolomites, de Bolzano à Cortina d’Ampezzo.

Mario est là, avec son instrument , il ne le quitte jamais, même en montagne : le violoncelle le suit partout, dort à côté de lui, voyage avec lui en avion où il occupe un siège expressément payé pour lui. Pas seulement à cause de sa valeur. Car il s’agit d’un violoncelle unique. Quand on l’étreint pour en jouer, on sent ses vibrations contre le ventre et les poumons. Il devient un compagnon de vie, on apprend à reconnaître sa peau et ses flancs.

L’histoire de l’arbre est écrite dans ses veines. Il s’agit d’un épicéa commun, le bois de résonance des luthiers, celui qui possède la diffusion du son la plus rapide. Il révèle toujours son origine, son âge, les climats sous lesquels il a vécu, l’un après l’autre.

Mon instrument, précise Brunello, vient des forêts au-delà du Passo Rolle, du bois où poussent les plus beaux sapins des Alpes. L’arbre a été coupé en 1560, à un ou deux ans près. Une antiquité ? Que non! Le bois des pianos s’abîme au bout d’un demi-siècle. En revanche, celui des luths – violes, violons et violoncelles – a le diable au corps. En vieillissant, il s’améliore.

Le bois de la forêt brûle dans l’âtre, il parle lui aussi, il émet des sons il entre dans le mystère de la création, il allonge sur le récit l’ombre des trépassé.

Brunello : Quand je prends en main un instrument qui a appartenu à d’autres, je reçois quelque chose de ceux qui m’ont précédé. J’entends si le violoncelle a été bien utilisé. Et, s’il se trouve que j’imite celui qui l’avait avant moi, je m’aperçois qu’il est heureux. Il se détend, il ne se rebelle pas, il émet des vibratos qui donnent la chair de poule. Et, de même, il  y a d’excellents instruments gâchés à force d’être maltraités. Ils émettent un son acide, dur.

Le luthier n’a aucun doute : L’instrument est l’élève de la personne qui en joue.

Paolo Rumiz. La légende des montagnes qui naviguent. Flammarion 2017

Et il  va falloir dégager rapidement tout ce qui est accessible, car les arbres au sol seront, en été, le terrain favori du bostryche, un coléoptère qui s’attaque aux sapins et qui est friand de ces épicéas rouges. Une désolation. À Venise, l’Acqua Alta, est montée à 159 cm, ce qui n’était pas arrivé depuis 1966, où l’acqua grande avait atteint 1.94 m. En novembre 2019 elle atteindra 1.87 m, ce qui signifie la Place Saint Marc sous un mètre d’eau. Que faire contre cela ? Eh bien le MOSE acronyme de Modulo Sperimentale Elettromeccanico : projet lancé en 2003 visant à contenir les acqua alta, au moyen de 78 digues placées aux entrées de la lagune, comme les Hollandais ont su contenir les inondations pour mettre Rotterdam à l’abri avec le Maeslantkering. Mais en 16 ans de vie, le projet sera resté projet tandis que l’argent filera, filera jusqu’à représenter un trou de 6 milliards d’€, sans que quoi que ce soit ait été entrepris. Pour la corruption ces années auront été des années de vaches bien grasses. Mais les Italiens ont le talent de se relever de bien des catastrophes et ils finiront par surmonter celle-là : le MOSE sera inauguré le samedi 3 octobre 2020 : c’est fantastique : normalement, on aurait dû avoir de l’eau (ce samedi était jour de l’acqua alta) jusqu’au genou, et là, on n’a qu’une petite flaque.

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[1] On ne le dira sans doute jamais assez, mais dans bien des domaines, c’est en final le consommateur à qui appartient la décision et non au législateur : quand tous les consommateurs cesseront d’acheter des œufs issus d’élevage de poules en batterie, ces derniers seront bien obligés de mettre la clef sous la porte, même si aucune loi ne leur demande. Quand, il y a bientôt quarante ans de cela, les consommateurs ont mis leurs pas dans ceux de l’Union Fédérale des Consommateurs pour refuser d’acheter du veau aux hormones, cela a marché ! Serait-on moins réactifs aujourd’hui qu’il y a quarante ans ?

[2] La France a aussi ses arbres musicaux, probablement moins nombreux qu’en Italie. On trouve les épicéas dans les combes d’altitude, dans les forêts du Massacre ou du Mont-Noir, à plus de 1 000 m. d’altitude, là ou le gel et la neige pincent dur jusqu’aux premiers jours de mai. Un grand froid ralentit la croissance de l’arbre, qui en devient ainsi plus beau. Les stocks de la scierie de Fertans, 260 habitants,  dans la vallée de la Loue, dans le Jura, à 30 km de Besançon, sont de noyer, cormier, poirier mais surtout, épicéa et érable, duo de nombreux instruments à cordes, essentiellement contrebasses et violoncelles : l’épicéa est sélectionné pour ses qualités mécaniques, et il est utilisé pour les tables d’harmonie, cette partie de l’instrument que les cordes font vibrer. C’est l’érable qui fait le fond, le manche, les éclisses, le chevalet, choisi pour son onde, sa moire qui embellit. Pour la touche, le cordier, on utilise l’ébène.

Dans la pratique tout les oppose : pour l’épicéa, je cherche un arbre parfait, à qui il n’arrive rien, une sorte de moine avec une vie bien rangée. L’érable, c’est l’inverse : il me faut un artiste, un sujet spectaculaire qui a souffert et fait des vagues. L’évolution actuelle de la gestion forestière est telle qu’on cherche à la rajeunir, c’est à dire que les arbres mincissent et on trouve de moins en moins de gros diamètres. Je ne suis pas certain qu’il existe aujourd’hui une scierie à même de débiter des arbres de 2 mètres de diamètre. Et les dimensions des contrebasses et des violoncelles elles, elles en changent pas.

Bernard Michaud, scieur de bois de lutherie.

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