Publié par (l.peltier) le 28 décembre 2008 | En savoir plus |
14 800
La mégafaune nord américaine – mammouths, chevaux, paresseux géants… – se met à disparaître, et cela va durer à peu près 1 300 ans. Le phénomène est probablement du à la sortie de l’ère glaciaire, entraînant une hausse des températures. Premières victimes, les animaux laissèrent proliférer la végétation, et réchauffement aidant, les incendies se multiplièrent, laissant des traces importantes de charbon que l’on retrouve aujourd’hui dans les carottes prélevées en Indiana – lac Appleman – et dans l’État de New York.
14 000 à 9 500
Peintures des grottes d’Altamira, au sud de Santander, en Espagne. Elles seront découvertes par don Marcellino Sanz de Sautuola en 1875. La gourmandise de l’être humain pour les histoires romantiques attribueront cette découverte à sa fille Maria de 8 ans, en 1876 qui se serait exclamée : Alta ! Mira ! Laquelle dira à Breuil en 1902 n’avoir aucun souvenir de cela.
13 000
Les Sibériens envahissent les Amériques : ils sont à l’origine des civilisations brillantes et cruelles qui vont se développer dans l’actuel Mexique, en Amérique centrale et du Sud : on fera nôtres les erreurs de Christophe Colomb en les appelant Indiens. Le site paléontologique de Monte Verde, découvert en 1975 sur la côte chilienne, date de 13 000 ans. Mais il existerait des preuves d’un peuplement des Amériques antérieur à celui-là : Pedra Furrada, site du nordeste brésilien, découvert en 1978, daterait de 50 000 ans, Puebla, au Mexique, découvert en 2005, daterait de 40 000 ans : ces peuplements se seraient faits soit par la mer, en l’occurrence la côte ouest du Pacifique, soit par voie de terre, non par l’Alaska, mais par l’Europe, à une époque où l’Atlantique nord était suffisamment gelé pour permettre un déplacement de groupes humains.
Selon les hypothèses les plus récentes, ces Amérindiens auraient commencé à quitter la Sibérie vers ~25 000 ans et ne seraient arrivés en Amérique que 10 000 ans plus tard, donc, vers ~15 000 ans [1] : ils seraient restés dans la région, alors émergée, de l’actuel détroit de Behring durant dix mille ans, car c’était la seule à offrir un climat supportable, avec une végétation de petits arbustes, et donc une importante faune : de quoi se chauffer et se nourrir. Mais l’homme n’a pas été le premier à franchir ce détroit : les dinosaures l’avaient fait avant lui.
Si l’on en croit Jared Diamond, géographe et biologiste américain, ces Homo Sapiens étaient beaucoup moins sages qu’on aurait pu le croire :
Quand les hommes franchissent le détroit de Behring, 12 000 ans avant J.C. et gagnent l’Amérique du Nord, ils se livrent à un carnage inouï. En quelques siècles, ils exterminent les tigres à dents de sabres, les lions, les elansstags, des ours géants, les bœufs musqués, les mammouths, les mastodontes, les paresseux géants, les glyptodontes [des tatous d’une tonne], les castors colossaux, les chameaux, les grands chevaux, d’immenses troupeaux de bisons… Ce fût la disparition animalière la plus massive depuis celle des dinosaures. Ces bêtes n’avaient aucune expérience de la férocité d’Homo sapiens. Ce fut leur malheur. Depuis, nous avons encore fait disparaître d’innombrables espèces.
*****
Son disciple et ami Yuval Noah Harari abonde dans le même sens :
Homo sapiens fut la seule espèce humaine à atteindre le bloc continental de l’hémisphère Ouest, où il arriva voici 16 000 ans, autour de 14 000 avant notre ère. Les premiers Américains arrivèrent à pied : à l’époque, le niveau de la mer était si bas qu’un pont de terre rattachait le nord-est de la Sibérie au nord-ouest de l’Alaska. Non que ce fût facile : le voyage était ardu, plus dur peut-être que la traversée en mer vers l’Australie. Sapiens dut commencer par apprendre à résister aux conditions arctiques extrêmes de la Sibérie du Nord, où le soleil ne brille jamais en hiver et où les températures peuvent tomber à – 50°.
Jusque-là, aucune espèce humaine n’avait réussi à pénétrer des espaces comme la Sibérie du Nord. Même les Neandertal, adaptés au froid, se cantonnèrent à des régions relativement plus chaudes, plus au sud. Mais Homo sapiens, dont le corps était fait pour vivre dans la savane africaine plutôt que dans des pays de glace et de neige, trouva des solutions ingénieuses. Quand les bandes de fourrageurs Sapiens migrèrent vers des climats plus froids, ils apprirent à se faire des chaussures isolant de la neige et des vêtements thermiques efficaces formés de plusieurs couches de peaux et de fourrures cousues à l’aide d’aiguilles. Ils mirent au point des armes nouvelles et des techniques de chasse sophistiquées qui leur permirent de traquer et de tuer des mammouths ou les autres gros gibiers du Grand Nord. Avec l’amélioration de ses vêtements thermiques et de ses techniques de chasse, Sapiens osa s’aventurer toujours plus profondément dans des régions glaciales. À mesure qu’il allait plus au nord, vêtements, stratégies de chasse et autres techniques de survie continuèrent de progresser.
Mais à quoi bon s’inquiéter ? Pourquoi s’exiler délibérément en Sibérie ? Peut-être certaines bandes furent-elles chassées au nord par la guerre, par des pressions démographiques ou des catastrophes naturelles. D’autres ont pu être attirées par des raisons plus positives comme les protéines animales. Les terres arctiques grouillaient d’animaux savoureux tels que les rennes et les mammouths. Chaque mammouth était source d’une énorme quantité de viande (avec le froid, on pouvait même la congeler pour la consommer plus tard), de graisse goûteuse, de fourrure chaude et d’ivoire précieux. Les découvertes de Sounguir le prouvent : non contents de survivre dans les glaces du Nord, les chasseurs de mammouths prospéraient. Au fil du temps, les bandes essaimèrent largement, traquant mammouths, mastodontes, rhinocéros et rennes. Autour de 14 000 avant notre ère, la chasse en entraîna certains de la Sibérie du Nord-Est vers l’Alaska. Bien entendu, ils ne surent pas qu’ils découvraient un nouveau monde. Pour le mammouth comme pour l’homme, l’Alaska était une simple extension de la Sibérie.
Au départ, les glaciers bloquèrent le passage de l’Alaska vers le reste de l’Amérique, ne permettant qu’à une poignée de pionniers isolés d’explorer les terres plus au sud. Autour de 12 000 avant notre ère, cependant, le réchauffement climatique fit fondre la glace et ouvrit un passage plus facile. Profitant du nouveau couloir, les hommes passèrent au sud en masse, se répandant à travers le continent. Initialement adaptés à la chasse au gros gibier dans l’Arctique, ils ne tardèrent pas à se faire à une stupéfiante diversité de climats et d’écosystèmes. Les descendants des Sibériens colonisèrent les forêts épaisses de l’est des États-Unis, les marais du delta du Mississippi, les déserts du Mexique et les jungles fumantes d’Amérique centrale. Certains se fixèrent dans le bassin de l’Amazone, d’autres s’enracinèrent dans les vallées des Andes ou la pampa argentine. Tout cela en l’espace d’un millénaire ou deux ! Dix mille ans avant notre ère, des hommes habitaient déjà la pointe la plus au sud de l’Amérique, l’île de Terre de Feu, à l’extrême sud du continent. Ce Blitzkrieg à travers l’Amérique témoigne de l’incomparable ingéniosité et de l’adaptabilité insurpassée de l’Homo sapiens. Aucun autre animal n’avait jamais investi aussi rapidement une telle diversité d’habitats radicalement différents et ce, en utilisant partout quasiment les mêmes gènes.
La colonisation de l’Amérique fut peu sanglante mais laissa derrière elle une longue traînée de victimes. Voici 14 000 ans, la faune américaine était bien plus riche qu’aujourd’hui. Quand les premiers Américains quittèrent l’Alaska pour le Sud, s’aventurant dans les plaines du Canada et de l’ouest des États-Unis, ils trouvèrent des mammouths et des mastodontes, des rongeurs de la taille d’un ours, des troupeaux de chevaux et de chameaux, des lions géants et des douzaines d’espèces de gros animaux qui ont totalement disparu, dont les redoutables chats à dents de cimeterre et les paresseux terrestres géants qui pesaient jusqu’à huit tonnes et pouvaient atteindre six mètres de haut. L’Amérique du Sud hébergeait une ménagerie encore plus exotique de gros mammifères, de reptiles et d’oiseaux. Les Amériques avaient été un grand laboratoire d’expérimentation de l’évolution, un espace où avaient évolué et prospéré des animaux et des végétaux inconnus en Afrique et en Asie.
Mais ce n’est plus le cas. Deux mille ans après l’arrivée du Sapiens, la plupart de ces espèces uniques avaient disparu. Dans ce bref intervalle, suivant les estimations courantes, l’Amérique du Nord perdit 34 de ses 47 genres de gros mammifères, et l’Amérique du Sud 50 sur 60. Après plus de 30 millions d’années de prospérité, les chats à dents de cimeterre disparurent. Tout comme les paresseux terrestres géants, les lions énormes, les chevaux et les chameaux indigènes d’Amérique, les rongeurs géants et les mammouths. S’éteignirent également des milliers d’espèces de petits mammifères, de reptiles et d’oiseaux, et même d’insectes et de parasites (toutes les espèces de tiques du mammouth sombrèrent dans l’oubli avec ce dernier).
Voici des décennies que paléontologues et zoo-archéologues – ceux qui cherchent et étudient les restes d’animaux – ratissent les plaines et les montagnes des Amériques à la recherche d’os fossiles d’anciens chameaux ou de fèces pétrifiées de paresseux terrestres géants. Quand ils trouvent ce qu’ils cherchent, ils emballent avec soin leurs trésors pour les expédier dans des laboratoires, où chaque os, chaque coprolithe (appellation technique des excréments fossilisés) est méticuleusement examiné et daté. Ces analyses donnent sans cesse les mêmes résultats : les dernières crottes et les os chameau les plus récents datent tous de l’époque où les hommes inondèrent l’Amérique – entre 12 000 et 9 000 environ avant l’ère commune. Les chercheurs n’ont découvert des crottes plus récentes que dans une région. Sur diverses îles des Caraïbes, notamment à Cuba et à Hispaniola, ils ont en effet trouvé des fèces pétrifiées de paresseux terrestre qui dataient d’environ 5 000 ans avant notre ère. Or, c’est exactement l’époque où les premiers humains réussirent à traverser la mer des Caraïbes et à coloniser ces deux grandes îles. De nouveau, certains chercheurs essaient de disculper Homo Sapiens pour blâmer le changement climatique (ce qui les oblige à postuler que, pour quelque mystérieuse raison, le climat des Antilles demeura statique pendant 7 000 ans alors que le reste de l’hémisphère Ouest se réchauffait). En Amérique, cependant, impossible d’esquiver la crotte. Les coupables, c’est nous. Mieux vaudrait le reconnaître. Il n’y a pas moyen de contourner cette vérité. Même si le changement climatique nous a aidés, la contribution humaine a été décisive.
Arche de Noé
Si, aux extinctions de masse en Australie et en Amérique, nous ajoutons les extinctions de moindre ampleur qui se produisirent quand Homo sapiens se répandit en Afro-Asie – ainsi de l’extinction de toutes les autres espèces humaines – et les extinctions qui accompagnèrent la colonisation par les anciens fourrageurs d’îles aussi lointaines que Cuba, la conclusion est inévitable : la première vague de colonisation Sapiens a été l’une des catastrophes écologiques les plus amples et les plus rapides qui se soient abattues sur le règne animal. Les plus durement touchés furent les gros animaux à fourrure. Au moment de la Révolution cognitive, la planète hébergeait autour de deux cents genres de gros mammifères terrestres de plus de cinquante kilos. Au moment de la Révolution agricole, une centaine seulement demeurait. Homo sapiens provoqua l’extinction de près de la moitié des grands animaux de la planète, bien avant que l’homme n’invente la roue, l’écriture ou les outils de fer.
Cette tragédie écologique s’est rejouée en miniature un nombre incalculable de fois après la Révolution agricole. Île après île, les données archéologiques racontent la même histoire. La scène d’ouverture montre une population riche et variée de gros animaux, sans aucune trace d’humains. Dans la scène 2, l’apparition de Sapiens est attestée par un os humain, une pointe de lance et, peut-être, un tesson de poterie. L’enchaînement est rapide avec la scène 3, dans laquelle des hommes et des femmes occupent le centre, tandis que la plupart des gros animaux, et beaucoup de plus petits, ont disparu.
La grande île de Madagascar, à quatre cents kilomètres à l’est du continent africain, en offre un exemple fameux. Au fil de millions d’années d’isolement, un éventail unique d’animaux y était apparu. Ainsi de l’oiseau-éléphant, créature incapable de voler, de trois mètres de haut pour près d’une demi-tonne – le plus gros oiseau du monde – et des lémurs géants : les plus grands primates de la planète. Les oiseaux-éléphants et les lémurs géants, comme la plupart des autres gros animaux de Madagascar, disparurent subitement voici 1 500 ans, précisément quand les premiers hommes mirent le pied sur l’île.
Dans le Pacifique, la principale vague d’extinction commença autour de 1 500 avant notre ère, quand les fermiers polynésiens colonisèrent les îles Salomon, Fidji et la Nouvelle-Calédonie. Directement ou indirectement, ils tuèrent des centaines d’espèces d’oiseaux, insectes, escargots et autres habitants locaux. De là, la vague d’extinction avança progressivement vers l’est, le sud et le nord, au cœur du Pacifique, effaçant sur son passage la faune unique de Samoa et de Tonga (1 200 avant notre ère), des Marquises (1 AD – Anno Domini, terminologie anglo-saxonne équivalent à notre ap. J.C.), de l’île de Pâques, des îles Cook et d’Hawaii (500 AD) et, pour finir, de Nouvelle-Zélande (autour de 1 200).
Des désastres écologiques semblables se produisirent sur presque chacune des îles qui parsèment l’Atlantique, l’océan Indien, l’océan Arctique et la Méditerranée. Jusque sur les îlots les plus minuscules, les archéologues ont découvert les traces de l’existence d’oiseaux, d’insectes et d’escargots qui y vivaient depuis d’innombrables générations, à seule fin de disparaître quand arrivèrent les premiers humains. Une poignée seulement d’îles très lointaines échappèrent à l’attention de l’homme jusqu’à l’âge moderne, et ces îles gardèrent leur faune intacte. Les Galápagos, pour prendre un exemple célèbre, restèrent à l’abri des hommes jusqu’au XIX° siècle, préservant ainsi leur ménagerie unique, dont les tortues géantes qui, comme les anciens diprotodons, ne montrent aucune peur des humains.
La première vague d’extinction, qui accompagna l’essor des fourrageurs et fut suivie par la deuxième, qui accompagna l’essor des cultivateurs, nous offre une perspective intéressante sur la troisième vague que provoque aujourd’hui l’activité industrielle. Ne croyez pas les écolos qui prétendent que nos ancêtres vivaient en harmonie avec la nature. Bien avant la Révolution industrielle, Homo sapiens dépassait tous les autres organismes pour avoir poussé le plus d’espèces animales et végétales à l‘extinction. Nous avons le privilège douteux d’être l’espèce la plus meurtrière des annales de la biologie.
Si plus de gens avaient conscience des deux premières vagues d’extinction, peut-être seraient-ils moins nonchalants face à la troisième, dont ils sont partie prenante. Si nous savions combien d’espèces nous avons déjà éradiquées, peut-être serions-nous davantage motivés pour protéger celles qui survivent encore. Cela vaut plus particulièrement pour les gros animaux des océans. À la différence de leurs homologues terrestres, les gros animaux marins ont relativement peu souffert des révolutions cognitive et agricole. Mais nombre d’entre eux sont au seuil de l’extinction du fait de la Révolution industrielle et de la surexploitation humaine des ressources océaniques. Si les choses continuent au rythme actuel, il est probable que les baleines, les requins, le thon et le dauphin suivent prématurément dans l’oubli les diprotodons, les paresseux terrestres et les mammouths. Parmi les plus grandes créatures du monde, les seuls survivants du déluge humain sont les hommes eux-mêmes et les animaux de ferme réduits à l’état de galériens dans l’Arche de Noé.
Yuval Noah Harari. Sapiens Une brève histoire de l’humanité. Albin Michel 2015
Postérieurement à ces écrits d’Harari, des recherches anglaises et américaines viendront aggraver les dommages créés par Homo Sapiens : partout, son arrivée entraîne un effondrement de la taille moyenne des animaux :
C’était il y a quelques 14 000 ans. Le continent américain abritait une faune à nulle autre pareille. En Alaska et dans les terres du Yukon, des mammouths de 10 tonnes et de 5 mètres au garrot avalaient tranquillement herbes et autres carex. Un peu plus au sud s’étendaient les terres de l’impressionnant rhinocéros laineux [2 mètres au garrot pour trois tonnes] et jusqu’aux tropiques, celles du terrible tigre à dents de sabre [450 kg, 3.5 mètres de long]. Ce qui n’empêchait pas les gigantesques paresseux terrestres de traîner leurs quatre tonnes [et jusqu’à six mètres de la tête à la queue] en relative sécurité. Et puis, en quelques siècles, 3 000 ans tout au plus, ces géants ont disparus. Éradiqués. La cause ? Longtemps, les scientifiques se sont opposés sur le sujet. Un météorite, comme lors de la disparition des dinosaures, il y a 66 millions d’années ? Un changement brutal du climat ? Ou encore l’homme, chasseur habile et sans scrupules ? Dans un article publié dans la revue Science, le 20 avril 2018, une équipe américaine vient appuyer cette dernière hypothèse. Elle n’accuse pas seulement les conquérants du Nouveau Monde, probablement arrivés par le détroit de Behring, d’avoir éradiqué quelques espèces imposantes. Elle nous juge responsables de la baisse de la taille des mammifères à travers le quaternaire tardif, comme l’indique sobrement le titre de la publication. En d’autres termes, nous serions coupables de la disparition générale des plus grands mammifères sur les cinq continents, et cela depuis au moins 125 000 ans.
Les indices en ce sens étaient déjà graves et concordants. En 2007, la Britannique Caitlin Buck et le Français Edouard Bard avaient profité des dernières techniques de datation au carbone 14 et des méthodes d’analyse statistiques plus rigoureuses pour établir une chronologie précise des événements d’Amérique du Nord, Les mammouths y avaient disparu il y a environ 1 300 ans, les chevaux sauvages il y a quelques 14 200 ans annonçaient-ils. Impossible dès lors d’accuser le dernier âge de glace [Dryas] survenu voilà 12 800 ans, ultérieurement donc. L’explication la plus plausible semblait bien l’arrivée de l’homme en Alaska, quelques centaines, voire quelques dizaines d’années avant l’éradication des chevaux. Difficile, en effet, d’y voir une simple coïncidence temporelle.
Des paléontologues américains enfonçaient le clou. Michaël Cheney et Daniel Fisher, entreprenaient d’analyser la formidable collection de défenses de mammouths sibériens rassemblés dans leur établissement. Un peu à la manière des troncs d’arbres, les imposantes incisives gardent les traces de la vie de l’animal, et notamment l’âge de son sevrage. Un précieux renseignement. En effet, quand un animal subit un stress climatique, sa ressource alimentaire se raréfie et les mères allaitent plus longtemps leurs petits. À l’inverse, confronté à une pression de chasse, elles accélèrent le sevrage afin de pouvoir plus rapidement reprendre la procréation. Des comportements observés chez plusieurs grands mammifères actuels. Or Cheney et Fisher ont constaté qu’entre – 40 000 et – 10 000 ans, l’âge du sevrage est passé de huit à cinq ans. Autant dire, qu’en plusieurs millénaires de chasse régulière, un petit groupe d’humains est venu à bout du colosse des steppes.
Nathaniel Herzberg. Le Monde du 25 04 2018
En Amérique du sud, de nombreux sites attestent d’une présence humaine encore plus ancienne : ainsi la Serra da Capivara, dans l’État du Piaui au Brésil, à peu près à mi-chemin entre Belem et Salvador de Bahia, est riche en peintures rupestres : plus de 1 300 sites répertoriés ! Des pierres taillées datant d’environ 22 000 ans et des charbons estimés à 48 000 ans y ont été trouvés.
Étant encore pour de longues années en terres d’archéologues, il peut être utile d’entrer un peu dans leurs disputes où le nationalisme, voire le chauvinisme viennent assez souvent mettre leur grain de sel dans les discussions scientifiques :
Niède Guidon, une archéologue française née en 1934 a été la première à fouiller dans la Serra da Capivara, dès 1973. Elle s’y est installée définitivement en 1992, a bâti dans ce coin perdu le Musée de l’homme américain, dressé les plans d’un musée de l’écologie. La mer venait ici il y a des millions d’années. Le sol est très salé, peu épais, il y a beaucoup de galets, rien ne pousse. C’est à Niède Guidon que le parc national de la Serra da Capivara doit son existence. La scientifique s’est battue pour prouver la pertinence des découvertes effectuées ici par elle-même, puis par la mission française qu’elle a dirigée avant le paléontologue Fabio Parenti et Eric Boëda. On y compte aujourd’hui 1 300 sites comportant des peintures rupestres – dont 162 ouverts aux visites – éparpillés sur 130 000 hectares laissés à l’état sauvage. Le parc est classé Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1991.
La terre rouge, les pierres nues, les épineux servent d’écrins à des falaises érodées qui indiquent qu’auparavant l’endroit fut couvert d’eau, de fleurs et de forêts. Les peintures rupestres, dans un premier temps datées entre 8 000 et 12 000 ans, parfois superposées, évoquent, la lutte, la chasse, le sexe, le mouvement des animaux, dont la course de la biche, symbole et logo du parc. Depuis que les félins se sont raréfiés, les mocos, ou cavies – entre rat et cochon d’Inde -, ont proliféré. D’apparence inoffensive, ces rongeurs ont pourtant la mauvaise habitude de vivre en bandes et de concentrer les déjections au même endroit, au flanc des falaises ornées de fresques. Avec leurs amies les termites, les mocos font des ravages. Autre coup dur en ce début d’année 2015 : la débandade de la puissante compagnie pétrolière nationale Petrobras, mise à terre par un énorme scandale de corruption. Or, le long des sentiers très bien entretenus et protégés du parc national de la Capivara figurent les panneaux du sponsor, Petrobras Cultural.
L’importance du site tient à ce que, par son ancienneté, il chamboule la préhistoire. Depuis les années 1930 en effet, il était établi que les Amériques avaient été peuplées par le Nord, via le détroit de Béring, franchi il y a environ 13 000 ans. La preuve ? Le site dit de Clovis (Nouveau-Mexique), découvert en 1939, avec mammouth et pierres taillées. La fascination exercée par Clovis s’explique par la nature des objets qui y ont été découverts, explique Eric Boëda. Ils sont très beaux, d’usage courant, ils réactivent la mémoire. En obsidienne ou encore en calcédoine, il y a des pointes de flèches fines comme des feuilles de laurier. Rien de tel à la Serra da Capivara, où les objets sont taillés dans le quartz.
Les clovistes considéraient donc que l’Amérique du Nord avait été la source naturelle du peuplement du Sud exotique. Un dogme impossible à écorner jusqu’à ce que vienne le contredire l’accumulation de découvertes, aux États-Unis mêmes, au Chili, au Mexique et au Brésil, notamment sur le site de Santa Elina (datation à 25 000 ans), dans le sud du Mato Grosso, ne viennent le battre en brèche. Michel Fontugne, océanographe au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, spécialiste des datations qui a longtemps travaillé sur le bassin du Parana, remarque que les Américains ont cédé du terrain et acceptent aujourd’hui le seuil de 25 000 ans, ce qui était inconcevable il y a trente ans. On a passé la barrière de Clovis.
Niède Guidon n’y est pas pour rien. Elle est une star au Brésil, parfois autoritaire et clivante, chercheuse atypique qui a eu raison trop tôt, souligne Eric Boëda. Née d’un père français, importateur de vins et exportateur de café dans le sud du pays, et d’une mère brésilienne d’origine kaingang – des Indiens du Parana qu’étudia Claude Lévi-Strauss dans les années 1930 -, elle se forma à l’archéologie à l’université de Sao Paulo (USP) avec un professeur passé par le Musée de l’homme. Nous sommes en 1963. Niède Guidon, qui travaille au Museu Paulista, y organise une exposition de photos. On ne connaissait alors que les peintures rupestres des Mines générales. À cette occasion, un homme est venu me dire que, chez lui, dans le sud du Piaui, il en existait des centaines. Niède Guidon y court, mais un pont sur le rio Sao Francisco, qu’elle doit traverser, s’est effondré : il lui faut faire demi-tour. En 1964, après le coup d’État militaire, elle est dénoncée comme communiste et s’exile en France. Aidée par le spécialiste de la préhistoire André Leroi-Gourhan, elle devient professeure à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), à Paris.
Revenue en 1973 au Brésil pour une mission auprès des Indiens de l’Etat de Goias, elle accède enfin à la Serra da Capivara et entreprend ses premières fouilles à la Toca do Boqueirao, au lieu-dit Pedra Furada, une magnifique roche transpercée par les vents et l’érosion, au pied d’une falaise d’arénite haute de 70 mètres et couverte de dessins. J’ai commencé à fouiller Pedra Furada pour tenter de comprendre qui avait fait ces peintures. À 80 centimètres de profondeur, on a trouvé des charbons, des pierres taillées. Je les ai expédiés pour datation au laboratoire de Gif-sur-Yvette. La réponse fut : 18 000 ans (BP). Je n’y ai pas cru, je pensais qu’ils s’étaient trompés puisque, alors, on acceptait comme gravée dans le marbre la datation Clovis. On a creusé plus loin et découvert des foyers datés à 32 000 ans au carbone 14. Sur cette découverte, Niède Guidon et Georges Delibrias publient en 1987 un article dans Nature. Plus tard, poursuit Niède Guidon, dans des foyers très bas, presque sous la roche, on a identifié grâce à la thermoluminescence des traces de 120 000 ans. La Serra da Capivara aurait-elle été un refuge pour les tout premiers hommes américains ?
En 1978, Niède Guidon forme avec la mission française une équipe pluridisciplinaire : géologues, zoologues, spécialistes de l’environnement, archéologues, paléontologues. Elle ferraille avec ses collègues américains. Si les datations ne sont pas mises en cause, leur interprétation est contestée – les charbons analysés proviendraient d’un feu provoqué par l’orage, les pierres ne seraient en rien des outils, mais auraient été naturellement façonnées par une chute. Pour les peintures rupestres (hématite rouge, kaolinite blanche, charbon et os brûlés noirs), la datation est peu aisée. On a reproché à la Fondation Musée de l’homme américain (Fumdhan), qui gère le parc et les recherches, d’avoir rusé en proposant par exemple aux experts français de dater, non une peinture noire de la Toca das Mœndas, mais la couche de calcite formée par-dessus (datation à 31 860 ans). Dans cette atmosphère de défiance générale, l’équipe de la Serra da Capivara a longtemps tourné le dos aux prestigieuses revues scientifiques anglophones.
En retour, le site a été longtemps ignoré par une communauté scientifique dominée par les Américains, ceux du Nord, les Yankees, nous dit Manuela Gomes de Matos, une jeune archéologue formée à l’université de Recife. Les fouilles y ont été entravées et retardées. Les gringos peuvent-ils admettre que des métèques soient arrivés en premier ? ironise Michel Fontugne, tandis qu’Eric Boëda, qui a fouillé en Syrie avant le Brésil et la Chine, enfonce le clou : Il y a eu des batailles homériques autour de Clovis et de la Serra da Capivara. Or, c’est aux États-Unis qu’on a trouvé les preuves qui allaient à l’encontre du modèle Clovis, à Cactus Hill, en Virginie, et à Meadowcroft Rockshelter, en Pennsylvanie (19 000 ans). Même au Brésil ou dans le sud du Chili, sur le site de Monte Verde fouillé par l’Américain Tom Dillehay, où les contre-preuves s’accumulaient, les recherches de Niède Guidon étaient critiquées.
Quand il arrive sur le site de la Serra da Capivara, en 2008, Eric Boëda n’est lui-même pas complètement convaincu. Il y réalise une nouvelle expertise sur les pierres taillées – Imparable, c’était plus vieux de 10 000 ans que tout le reste – avant de publier ses conclusions en septembre 2014 dans la revue d’archéologie britannique Antiquity. Quand on fouille, on travaille par couches et l’on ne sait pas ce que l’on va trouver. En Europe, nous avons un fait, nous disons qu’il est vrai. Aux États-Unis, il y a un modèle, et les faits qui ne le corroborent pas sont considérés comme faux.
L’archéologie brésilienne a longtemps été de tradition européenne. Mais dans les années 1970, sous le régime militaire, les élites intellectuelles sont invitées à étudier aux États-Unis, et elles reviennent avec des modèles américains. La France, quant à elle, s’est désintéressée de ces chantiers considérés comme mineurs. Elle a, depuis les Lumières et Bonaparte, le plus souvent financé l’étude des grandes civilisations, en Égypte, au Mexique…, explique Eric Boëda. Mais les temps ont changé et, à partir des fouilles de Capivara, des écoles d’archéologie se sont montées à Recife, Aracaju, Teresina. La Fumdham s’est vu confier les fouilles – attenantes à la transposition du rio Sao Francisco, le déplacement du cours du fleuve à des fins d’irrigation, énorme chantier mené dans le Nordeste par le gouvernement de Lula puis celui de Dilma Roussef. Contesté par les écologistes, ce projet est important pour l’archéologie.
Le problème de la Serra da Capivara est qu’on n’y a pas trouvé de squelettes humains – ou peu, mis à part ceux d’un homme et d’une femme et un crâne provenant du site de Toca dos Coqueiros, daté à 11 000 ans et ayant des caractéristiques négroïdes ou aborigènes. Ce qui fait dire au professeur d’anthropologie Walter Neves (université de Sao Paulo), qui veille sur le site de Lapa Vermelha, à Lagoa Santa (Mines générales), où fut découvert en 1974 par l’archéologue Annete Laming-Emperaire le crâne négroïde d’une femme dénommée Luzia : Les affirmations de Niède Guidon sont exactes à 99,9 %. Le 0,1 % fâche beaucoup Niède Guidon. Eric Boëda interprète ainsi cette objection : Pour les anthropologues, les restes fossiles sans squelettes humains, c’est comme une voiture sans chauffeur.
Par où sont-ils passés ?
Jusque dans les années 1990, la théorie dite de Clovis avait établi que la colonisation des Amériques s’était faite pendant la dernière période glaciaire, par le détroit de Béring, alors asséché. Il y a 13 000 ans environ, des chasseurs d’origine asiatique auraient suivi des troupeaux à travers la Sibérie et l’Alaska, avant de descendre vers le sud par la côte ouest.
Mais en 1996, un squelette datant de 9 300 ans, l’homme de Kennewick, est retrouvé sur les rives du fleuve Columbia, dans l’État de Washington. Le crâne présente des caractéristiques caucasoïdes, à l’instar des Européens. On évoque alors la possibilité d’une traversée de l’Atlantique nord, sans certitudes. Les sites les plus anciens des États-Unis, pré-Clovis, sont pourtant tous situés sur la côte est.
En 1999, le crâne de Luzia, la première Brésilienne, découvert à Lagoa Santa (Etat du Minas Gerais, datation à 11 500 ans), est soumis à une reconstitution par tomographie informatique ; il présente des caractéristiques négroïdes et australoïdes. Ceci apporte de l’eau au moulin des partisans du cabotage. Il y a 70 000 ans, les eaux atlantiques ont baissé de 120 mètres, modifiant les conditions migratoires et permettant, selon certains théoriciens, le cabotage d’un continent à l’autre. Des Mélanésiens ou des Aborigènes d’Australie auraient pu ainsi longer les côtes depuis l’Extrême-Orient et le Japon et franchir le détroit de Béring. Les scientifiques misent sur les progrès de l’archéologie marine afin d’explorer ce qui est passé sous l’eau. Ainsi, en 2014, une équipe mexicaine a découvert dans une grotte sous-marine de la péninsule du Yucatan le squelette d’une femme datant de 12 000 à 13 000 ans, mais d’origine asiatique.
Le biologiste Robson Bonnichsen, de la Fondation Oswaldo Cruz, à Sao Paulo, a trouvé dans le parc de la Serra da Capivara des traces de selles -révélant la présence d’Ancyclostoma duodenale, un parasite qui se développe en milieu tropical, peu compatible avec un passage par le Nord glaciaire ou le Sud antarctique – une route de cabotage plausible mais délicate. Une autre théorie suggère qu’il y a 100 000 ans, ou plus, des humains, profitant de vents portants, auraient abordé l’Amérique du Sud en naviguant directement depuis les côtes africaines, distantes de moins de 3 000 kilomètres. Ils auraient ensuite utilisé les fleuves pour s’enfoncer dans le continent. Niède Guidon explique ainsi le peuplement du site du Piaui, à quelque 1 000 kilomètres de la côte actuelle.
Si Homo erectus est arrivé à l’île de Florès, en Indonésie, il y a 850 000 ans par navigation, pourquoi Homo sapiens, plus évolué, n’aurait-il pas su naviguer ? interroge Niède Guidon. Les échanges directs avec l’Afrique seraient très anciens. Ainsi des fossiles de singes amazoniens présentant des caractéristiques morphologiques africaines ont-ils été trouvés à Santa Rosa (dans l’est du Pérou) et analysés par Kenneth Campbell, conservateur au Musée d’histoire naturelle de Los Angeles. Ils ont 36 millions d’années, écrit-il dans la revue Nature du 4 février.
Véronique Mortaigne. Le Monde du 29 04 2015
Pascale Binant, préhistorienne publiera dans L’Histoire de septembre 2014 quatre pages sur les peintures rupestres de la Serra da Capivara : pas un mot sur Niède Guidon ! Le moins que l’on puisse dire c’est que ça fait drôle… pour le plus, no comment.
Une météorite de près de deux kilos percute la glace de l’Antarctique, dans les Allan Hills, proche de la base de l’explorateur Scott, et du Mont Erebus, sommet le plus élevé de l’Antarctique, sur la Terre Victoria. Elle sera découverte par des Américains le 27 décembre 1984, et on apprendra alors qu’elle nous vient de Mars, qu’elle a quitté 16 millions d’années plus tôt : on appelle cela prendre le chemin des écoliers. Le lieu de son atterrissage déterminera son nom : ALH 84001. En 1996, on publiera des résultats d’analyse révélant la présence de microscopiques structures en formes de globules et de bâtonnets, constitué de carbonates, avec la présence de composés organiques ; les conclusions sont les suivantes :
Aucune des caractéristiques que nous avons décrites ne permet, à elle seule, de conclure à l’existence d’une vie passée sur Mars. Il y a une explication alternative – une origine non organique, purement minérale – pour chacune de ces caractéristiques, quand elles sont prises en compte individuellement. En revanche, quand on prend en compte ces caractéristiques dans leur ensemble, notre conclusion est qu’elles constituent des preuves en faveur de l’existence de forme de vie primitive sur la planète Mars, quand elle était plus jeune.
David S MacKay NASA Science 1996
Une forme de vie a-t-elle pu exister sur Mars ? Une forme de vie dont la roche ALH 84001, aurait, il y a 16 millions d’années, emporté les vestiges, les fossiles, dans ses errances à travers l’espace et le temps, avant de s’écraser sur notre Terre ? Depuis plus de quinze ans, après de nombreuses recherches, aucune preuve n’a été apportée en faveur de l’hypothèse que les globules et bâtonnets de carbonate découverts sur la météorite ALH 84001 seraient des fossiles de micro-organismes martiens, ou des traces d’une activité ancienne de micro-organismes martiens. D’une manière générale, aucune preuve de vie extra-terrestre, et aucune preuve de l’existence de fossiles de vie extraterrestre, n’ont été à ce jour identifiés sur aucune météorite ni sur aucun astéroïde tombé sur notre planète. Ni sur aucune planète, astéroïde ou comète que les sondes spatiales ont pu examiner.
Jean-Claude Ameisen. Sur les épaules de Darwin. Les battements du temps. LLL 2012
12 000
Une oscillation de l’axe de rotation de la terre déplace légèrement vers le nord les moussons saisonnières de l’Afrique. Toute la zone du Sahara, jusqu’alors désert à peu près comme aujourd’hui, et ce depuis 70 000 ans, connaît d’abondantes précipitations qui créent un important réseau hydrographique, et couvre la zone de végétation, laquelle va commencer par attirer les animaux, puis l’homme.
Le peuplement de la vallée du Nil dépendit étroitement des variations des niveaux du fleuve et des évolutions climatiques régionales puisque la vallée se peupla ou au contraire se vida de ses habitants au gré des épisodes successifs de sécheresse ou d’humidité qu’elle connut. Quand elle était sous les eaux, la vie l’abandonnait pour trouver refuge dans ses marges les plus élevées, auparavant désertiques mais redevenues, sous l’effet du changement climatique, favorable à la faune, donc aux hommes vivant à ses dépens. Au contraire, durant les épisodes de rétractation du Nil, la vallée du fleuve était de nouveau accueillante.
Bernard Lugan. Histoire de l’Afrique. Des origines à nos jours. Ellipses 2009
Chaque fleuve, à l’âge de l’agriculture, était un fleuve de vie. Les anciens égyptiens étaient à ce point tributaires du Nil qu’ils le vénéraient sous des formes innombrables, principalement en tant que Hâpy, représenté sous les traits d’un homme au fort embonpoint, ses gros seins tombant lourdement sur la poitrine et son ventre débordant par dessus la ceinture. Hâpy semblait mort pendant une grande partie de l’année : La nature était comme épuisée ; les arbres gris de poussière, et quelques carrés de légumes péniblement entretenus formaient dans la campagne les seules tâches de verdure. Le Nil blanc, grossi par les pluies équatoriales, et le Nil Bleu par la fonte des neiges d’Éthiopie, qui ont leur confluence à Khartoum, charrient les sédiments qui vont pendant quelques kilomètres colorer leurs eaux en vert. La montée des eaux est perceptible à Assouan vers le 8 juin, au Caire du 17 au 20, et deux jours plus tard dans le delta. Au Nil vert a succédé le Nil rouge. Le fleuve emplit son ancien lit et commence à recouvrir la campagne. Quand la crue est à son maximum, dans la deuxième quinzaine de septembre, la vallée tout entière est un fleuve peu profond qui s’étend d’un désert à l’autre. Les villes et le villages bâtis sur des tertres sont autant de petites îles réunies par des digues. Brusquement, la nature reprend vie. Bêtes et gens communiquent dans l’allégresse ; Sobek, le dieu crocodile, s’agite dans son bassin. Tous les travaux sont arrêtés. Il suffisait de protéger les digues et les murs. C’était l’époque où les barques sacrées, abandonnant leur port d’attache, transportaient les fidèles dans les lieux de pèlerinage. [Pierre Montet L’Égypte éternelle Marabout université. Paris 1970].
Le domaine cultivable était divisé en rectangles d’une superficie allant de 500 à 20 000 hectares, qui étaient alimentés en eau par des écluses pour être inondés d’une hauteur allant de un à deux mètres. Ces eaux étaient ensuite renvoyées vers le Nil par un système de canaux quand, en octobre, le fleuve commençait à décroître et à rentrer dans son lit normal.
Ces deux périodes de la vie égyptienne – nommées perit, quand le fleuve inondait les champs, et chemou quand il se retirait – furent les premières saisons bien définies. Le fleuve peut ainsi être considéré comme le père du calendrier – comme d’ailleurs d’une foule d’autres entreprises, aussi bien industrielles qu’agricoles, à l’âge de l’agriculture. Abstraction faite de toute utilisation industrielle, l’eau jouait naturellement un rôle capital dans toutes les économies agricoles. Il faut 1 500 tonnes d’eau pour faire pousser une tonne de blé, 4 000 tonnes pour faire pousser une tonne de riz et 10 000 pour faire venir une tonne de fibres de coton.
Histoire inachevée du monde. Robert Laffont 1986
En Europe, début de la transgression flandrienne : réchauffement de l’épisode interglaciaire de l’Holocène. Dans les régions arctiques, l’homme commence à domestiquer les plus gentils des loups… qui deviennent chiens. L’Antarctique, lui, connaît le maximum de sa glaciation.
Ère géologique Holocène ~ 11 700 ans à 1950 ap. J.C.
Mésolithique : ~ 10 000 à ~ 5 000.
10 000
L’hémisphère Nord connaît une nouvelle avancée des glaces, nommée le Dryas récent : l’ampleur du phénomène tient plus de la mini-variation climatique que de la tendance générale : elle est courte mais abrupte. Mais dans l’ensemble du reste du monde, c’est bien d’une fonte générale des glaces qu’il s’agit, rehaussant le niveau marin d’une centaine de mètres et c’est ainsi que la Tasmanie, au sud-est de l’Australie se sépare d’elle pour devenir une île, qui va demeurer sans contact aucun avec le reste du monde jusqu’à la conquête de l’Australie par les Anglais, à la fin du XVIII° siècle.
En 1903, on découvrira un squelette dans les gorges de Cheddar, dans le sud-ouest de l’actuelle Angleterre : les Anglais le nommeront Cheddar man et lui attribueront longtemps des yeux marrons, des cheveux noirs et la peau claire ; mais les progrès des analyses de l’ADN, – celui-ci était très bien conservé grâce à l’air frais et sec de la grotte de Cheddar – parviendront en 2018 à des conclusions bien différentes : yeux bleus, cheveux noirs, bouclés et la peau noire.
Bien sûr, nous savons qu’il y a eu des habitants ici depuis au moins un million d’années. Mais depuis la dernière ère glacière, il est le premier homme connu de cette période d’occupation constante de la Grande-Bretagne. Nous savons que la couleur de peau plus claire est apparue au cours de ces 10 000 dernières années, avec l’invention de l’agriculture et la modification des régimes alimentaires, plus pauvres en vitamine D. Nous ne suggérons pas que Cheddar Man a évolué pour développer une peau plus claire, mais il y a eu des vagues de peuplement du Moyen Orient, de personnes maîtrisant l’agriculture, et elles ont apporté avec elles le gêne d’une couleur de peau plus claire.
Chris Stringer, musée d’Histoire naturelle de Londres
Autour de 10 000 ans avant notre ère, avant la transition agricole, la terre hébergeait de 5 à 8 millions de fourrageurs nomades [chasseurs-cueilleurs. ndlr]. Au I° siècle avant notre ère, il ne restera qu’1 à 2 millions de fourrageurs [essentiellement en Australie, en Amérique et en Afrique], mais ils ne pèseront plus rien en comparaison des 250 millions de cultivateurs du monde.
Yuval Noah Harari. Sapiens. Une brève histoire de l’humanité. Albin Michel 2015
L’Europe est recouverte d’une épaisse forêt d’essences tempérées, chênes, tilleuls, hêtre, mais aussi noisetiers, aulnes, ormes, ainsi que de nombreux arbres fruitiers, sauvages par définition, pommiers, pruniers, vignes, baies diverses, et où croissaient au moins six cents espèces de plantes [2] comestibles. Cette forêt était parcourue par un abondant gibier, aurochs (les derniers disparurent au XVII° siècle de notre ère), cerfs, chevreuils, sangliers. Les groupes de chasseurs cueilleurs indigènes dits mésolithiques y nomadisaient paisiblement, certains ayant même domestiqués les chiens à partir du loup, tandis que les régions riches en ressources aquatiques permanentes (poissons, coquillages, mammifères marins) permettaient une certaine sédentarité le long des grands fleuves et dans les zones côtières ou lagunaires, ce qui semble avoir été au moins le cas pour la Bretagne.
Mais, dans le même temps, des groupes de chasseurs-cueilleurs du Proche-Orient, entre le Néguev et le sud de l’actuelle Turquie, avaient entrepris de se sédentariser et de domestiquer des espèces sauvages locales, blé et orge, moutons, chèvres, bœufs et porcs, le chien ayant déjà été domestiqué. Dans un environnement semi-aride, ces domestications assuraient une alimentation sécurisée. De fait, l’invention de l’agriculture et de l’élevage (le Néolithique) ne s’est faite que dans un très petit nombre de régions du monde, indépendamment les unes des autres et avec des espèces animales et végétales à chaque fois différentes – bassin du fleuve Jaune, bassin du Yangzi Jiang [3], Andes, Mexique, Nouvelle-Guinée, peut-être nord de l’Afrique. Il a fallu un subtil mélange, pas toujours éclairci de conditions environnementales (il n’y a pas de raison de domestiquer des espèces très abondantes dans la nature), techniques (la maîtrise du stockage) mais aussi culturelles (un changement d’attitude vis-à-vis de la nature).
Une fois l’agriculture établie, l’une de ses conséquences directes est, par une alimentation meilleure et sécurisée, une explosion démographique continue : si les chasseuses-cueilleuses ont en moyenne un enfant tous les trois ans, les agricultrices enfantent chaque année, même si la moitié des nouveau-nés meurent avant l’âge d’un an. Ce boom démographique conduit à partir du VII° millénaire une partie des nouveaux paysans du Proche-Orient à déborder progressivement sur les régions avoisinantes, le nord-est de l’Afrique, l’Asie centrale et finalement l’Europe, à partir de 6 500 avant notre ère.
Jean-Paul Demoule. Histoire mondiale de la France, sous la direction de Patrick Boucheron et 132 auteurs encadrés par Nicolas Delalande, Florian Mazel, Yann Potin, Pierre Singaravélou. Seuil 2018.
Malgré une nette prépondérance humaine, de surprenants envahisseurs se présentent il y a environ 10 000 ans. À cette date, l’Europe, du moins pour sa partie occidentale, n’abrite plus de lions depuis près de 5 000 ans, suite à l’extinction du lion des cavernes. Des représentant d’un nouveau type arrivent, d’Afrique ou d’Asie occidentale : il s’agit de Panthera leo, la seule espèce de lion ayant survécu jusqu’à aujourd’hui. Il y a 10 000 ans, elle atteint le Portugal, après avoir colonisé sur son passage la France et l’Italie. Elle résiste en Ibérie pendant au moins 5 000 ans, mais à mesure que les populations humaines se développent, elle est repoussée vers l’est. À l’époque d’Hérodote, les lions à l’Ouest du Bosphore ne sont vraiment nombreux que dans les plaines de Macédoine, région qu’ils finissent par déserter au dernier siècle avant notre ère. Ils survivent en Géorgie jusqu’en l’an 1 000 environ et dans l’est de la Turquie jusqu’au XVIII° siècle, ce qui, soit dit en passant, fait de l’espèce un candidat à la réintroduction irréprochable même selon les normes strictes de l’UICN – Union Internationale pour la Conservation de la Nature -.
La hyène rayée est un autre envahisseur inattendu. Comme le lion, qui tente d’occuper, au moins dans une certaine mesure, la niche écologique du lion des cavernes, la hyène rayée endosse en partie le rôle de sa parente beaucoup plus grande, la hyène tachetée. Il n’existe pas de vestige de cette espèce dans les gisements pléistocènes d’Europe occidentale. Peut-être a-t-elle quitté l’Afrique sur le tard, au Néolithique (entre 2 000 et 4 000 ans) et s’est-elle brièvement répandue en Europe occidentale, en particulier en France et en Allemagne, avant de s’éteindre partout sauf dans le Caucase, où sa présence reste précaire.
Alors que les migrations animales sont peu nombreuses, le rythme des migrations humaines s’accélère. Des études génétiques, y compris celle d’ADN fossile, montrent qu’il y a environ 14 000 ans, un groupe d’humains commence à migrer vers l’ouest à partir de ce qui est aujourd’hui la Grèce et la Turquie (même si le mouvement a pu commencer plus à l’est). Ces voyageurs se mélangent au patrimoine génétique européen et remplacent probablement une partie des premiers colons. Cet apport fait tomber la proportion moyenne d’ADN néandertalien dans les populations européennes à environ 2 %.
Nous savons que ces nouveaux arrivants étaient assez différents des habitants d’origine. Quelques aperçus révélateurs de leur culture ont été découverts en Turquie, à Göbekli Tepe, qui abriterait le plus ancien temple du monde. Le temple de Göbekli Tepe, a été construit il y a environ 11 500 ans, quelques milliers d’années après les premières arrivées des nouveaux migrants en Europe occidentale, mais avant l’avènement de l’agriculture. Il est probable que les ancêtres des bâtisseurs de Göbekli Tepe partageaient une culture commune avec les migrants entrés en Europe il y a au moins 14 000 ans.
Tim Flannery. Le supercontinent. Une histoire naturelle de l’Europe. Flammarion. 2018
~ 9 700
Tsunami sous les eaux du lac d’Aiguebelette, (5.4 km²) en Savoie.
~ 9 600
Dans l’actuelle Turquie, proche de la frontière avec la Syrie, plein nord de Palmyre, à Göbekli Tepe, des hommes édifient une vingtaine de sites de mégalithes en forme de T, d’un diamètre d’environ 30 mètres, sculptés d’un impressionnant bestiaire : serpents, renards, sangliers, scorpions, grues. Ce sanctuaire sera actif jusqu’en ~ 8 200. Il se trouve que l’engrain le plus ancien – une variante domestiquée du blé sauvage – a été trouvé dans les collines de Karacadag, à une trentaine de kilomètres. Ces édifices existent -ils parce qu’à proximité poussait le blé qui permettait de nourrir les bâtisseurs, ou bien a-t-on planté le blé quand il a fallu nourrir ces hommes ?
~ 9 500
Un groupe de chasseurs établit un campement sur les bords du Verdanson, là même où, 10 000 ans plus tard, se créera Montpellier. Premiers arcs, une révolution en matière d’armes.
~ 9 000
Début de l’élevage de la chèvre et du mouton en Anatolie. Les Chinois prennent déjà de l’avance en découvrant l’alcool… de riz bien sûr : c’est à Jiahu, dans le Henan, où l’on trouvera en 2005 des jarres recelant des traces de résidus de fermentation.
Dans l’Oural, les premiers chamans ? C’est peut-être aller un peu vite, mais ce n’est pas impossible : dans un tronc de mélèze alors vieux de 157 ans, des hommes sculptent celle que l’on nomme aujourd’hui l’idole de Shigir, un totem haut de 5.30 mètre : des yeux réduits à deux simples fentes, une bouche en O, et un corps longiligne recouvert d’incisions.
Ce totem sera mis au jour en 1890, éclaté en plusieurs morceaux, à 4 mètres de profondeur dans une tourbière dont l’acidité naturelle avait permis de la conserver en ralentissant la décomposition des matières organiques. Vladimir Tolmachev, un archéologue sibérien en fera le relevé en 1914. Il sera depuis lors exposé au musée régional de Sverdlovsk, à Iekaterinenbourg, après avoir subi les aléas de l’histoire récente. Une partie de l’idole a en effet disparu durant l’époque soviétique, la statue d’origine, haute de 5,30 m. ayant ainsi été réduite à 2,80 m.
~ 8 500
Les plus grandes colonies de peuplement du monde sont des villages comme Jéricho, qui compte quelques centaines d’individus. En ~7 000, la ville de Çatal Höyük, en Anatolie, comptera entre 5 000 et 10 000 habitants, peut-être alors la plus grande agglomération du monde. Aux V° et IV° millénaires, des villes comptant plusieurs dizaines de milliers d’habitants surgiront dans le Croissant fertile, chacune dominant tout à tour une multitude de villages voisins. En ~3 100, toute la vallée du Nil inférieur sera unie dans le premier royaume égyptien.
Yuval Noah Harari. Sapiens Une brève histoire de l’humanité. Albin Michel 2015
~ 8 000
Les glaciers fondent en Amérique du Nord, libérant les eaux d’immenses lacs qui refroidissent les courants marins et produisent un refroidissement des zones bénéficiaires du Gulf Stream. Mais la principale manifestation de la fin de la dernière glaciation – le Würm -, est un réchauffement, qui éloigne les hommes de la proximité des grottes et cavernes – mettant ainsi fin à l’art pariétal en Europe occidentale -. Les rennes migrent vers le nord ; les mammouths, impuissants à s’adapter, disparaissent, et, dans nos zones désormais tempérées, l’agriculture permanente apparaît : l’homme, qui vivait jusqu’alors essentiellement de cueillette, chasse et pêche, en petites cellules nomades va se sédentariser, les premiers foyers se situant entre Méditerranée et Mer Noire : Grèce, Turquie et branches vers les actuels Irak, Syrie et Palestine Israël. Cette sédentarisation va donner naissance aux premiers villages où l’on inventera les premiers outils agricoles : faucille, meule ; on a alors des rendements de l’ordre de 3 grains récoltés pour deux semés. La pierre taillée cède la place à la pierre polie, on invente aussi la poterie. Plus au sud, au Sahara, vert depuis une vingtaine de siècles au plus, disparaissent les Kiffiens, peuple de pêcheurs : on retrouvera des tessons de leurs poteries à Gobero, à peu près à 150 km au sud-est d’Agadez. Plus au sud encore, en 2012, on retrouvera à proximité du lac Turkana 27 squelettes portant tous des traces de blessures profondes : la première guerre connue ?
Il y a 8 000 ans, les premières sociétés agricoles et patriarcales, issues du Proche Orient, s’établissent en Europe, plutôt dans le Sud. Puis, il y a 6 000 ans, d’autres populations d’éleveurs issues d’Eurasie centrale, plus égalitaires, arrivent à leur tour en Europe et remontent vers le nord. Conséquences actuelles : le génome des populations d’Europe du Sud contient plus de gènes des populations agricoles coercitives venues du Proche Orient. Et le génome des populations d’Europe du Nord contient plus de gènes des populations d’éleveurs, plus égalitaires, venues d’Eurasie. Fait stupéfiant, on retrouve aujourd’hui ces différences culturelles dans les héritages respectifs du droit romain et du droit germanique. Ainsi, les sociétés d’Europe du Sud sont plus phallocrates, tandis que celles d’Europe du Nord montrent plus d’équité entre sexes. On mesure même l’impact de ces différences sur les recherches sur les inégalités de genre !
Pascal Picq. Le Monde du 11 novembre 2020
La sécheresse réapparut [dans la zone de latitude saharienne en Afrique] et la vallée du Nil qui redevint un milieu refuge commença à être repeuplée, essentiellement à partir du Sahara et du désert oriental.
Cette période de l’Aride intermédiaire ou Aride mi-holocène paraît avoir été considérable pour l’évolution de la vallée du Nil, car elle entraîna le repli vers le fleuve de populations sahariennes pratiquant l’élevage des bovins et des ovicapridés. Or ce mouvement de pasteurs venus depuis le Sahara oriental et central explique en partie l’éveil égyptien. La naissance de l’Égypte semble en effet due à la rencontre entre certains néolithiques sahariens et les descendants des hommes de l’Adaptation nilotique. Vers 5 500 avant J.C. débuta d’ailleurs le prédynastique qui fut la période formative de l’Égypte.
Bernard Lugan. Histoire de l’Afrique. ellipses 2009
La population de l’ensemble de la terre serait au maximum de dix millions. Le littoral méditerranéen de notre actuel Languedoc suit à peu près une ligne de Rosas à Marseille. La Durance, jusque là fleuve côtier indépendant du Rhône, ayant son delta dans l’actuelle plaine de la Crau, a rehaussé sa rive gauche par apport de galets à tel point qu’elle ne peut plus franchir le pertuis de Lamanon – 7 km au nord de Salon de Provence, à l’extrémité orientale de la chaîne des Alpilles – et trouve le seuil d’Orgon, plus en aval en contournant les Alpilles par le nord, devenant ainsi un affluent du Rhône, dans lequel elle se jette en Avignon. À l’autre bout de la France, on va à pied sec du site de Calais à celui de Douvres : c’est alors un isthme et pas encore un détroit… et très loin de là à l’est, l’actuel détroit de Behring lui aussi est un isthme permettant le passage des humains comme des animaux. Les Apaches, qui vivent aujourd’hui dans des réserves du sud-ouest des États-Unis, se disent descendants des Mongols, car ils ont tous deux une marque bleue au bas du dos, à l’emplacement du rein droit : il s’agit d’un nævus pigmentaire, venant d’une hypermélanose, qui disparaît au cours de l’enfance. En Champagne, on l’appelle encore tâche d’Attila.
J’aimerais savoir comment était la vie, il y a dix mille ans, disait Pépé. J’y pense souvent. La nature devait ressembler à celle d’aujourd’hui, avec les mêmes arbres, la même terre, les mêmes nuages, la même neige qui tombait de la même façon sur l’herbe et qui fondait, le printemps venu. Les gens exagèrent les changements de la nature, comme si elle était si légère ! […] La nature résiste aux changements. Et si changement il y a , la nature attend de voir s’il peut durer. Dans le cas contraire, elle l’écrase de tout son poids ! Il y a dix mille ans, la truite, dans le torrent, devait être toute pareille à celle de maintenant.
[…] C’est pour ça que j’aimerais y aller ! Pour voir comment on a appris ce que nous savons aujourd’hui. Prends un chevreton par exemple. Il n’y a rien de plus simple. Traire la chèvre, chauffer le lait, le faire cailler et presser le tout, chacun l’a vu faire bien avant de savoir marcher. Mais comment a-t-on découvert que la meilleure façon de cailler le lait était d’utiliser un estomac de chevreau, le gonfler comme un ballon, le sécher, le tremper dans l’acide, le réduire en poudre et jeter quelques grains de cette poudre dans le lait chaud ? J’aimerais bien savoir comment les femmes ont découvert ça ?
[…] C’est ça que j’aimerais savoir si j’étais un corbeau sur un arbre ! Toutes les bêtises qu’on a dû faire ! Et petit à petit, lentement, le progrès.
[…] Le fil du savoir, que la nature n’écrase pas, ressemble au fil d’or qui court dans une roche.
John Berger. La Cocadrille. La Fontaine de Siloé 1992
Début de l’élevage de la vache en Anatolie. Début de la domestication du mil au sud du Sahara, au nord-nord-est du fleuve Sénégal. Les changements alimentaires de l’homme, par le passage du cru au cuit, lui font ressentir le besoin de sel.
~ 7 500
Début de l’exploitation des mines de sel à Hallstatt, dans l’actuelle Autriche. En 2004, un archéologue trouvera dans une tombe humaine à Chypre, le squelette d’un chat : c’est la plus ancienne trace du matou.
~ 7 000
Le mouton arrive dans ce qu’est aujourd’hui le midi de la France : ils vont commencer à tracer des drailles, sans avoir alors de berger, la survie leur commandant la transhumance pour fuir les chaleurs de l’été comme les rigueurs de l’hiver.
Des communautés de paysans-éleveurs venues du proche-Orient ou d’Anatolie migrent vers l’ouest en empruntant deux grandes voies, l’une terrestre, l’autre maritime. La voie terrestre permet la colonisation des Balkans puis à partir de ~5 500 de l’Ukraine, de l’Allemagne, de la Belgique et de la Bretagne. La voie maritime suit les côtes septentrionales de la Méditerranée et gagne entre ~6 100 et ~5 600, la côte dalmate, l’Italie, la France méridionale et la péninsule ibérique.
Catherine Perlès. Les navigateurs de la Préhistoire. La mer, 5 000 ans d’Histoire. Les Arènes- L’Histoire 2022
Dans l’actuel Pérou, l’homme cultive la papa – la pomme de terre – : le carbone 14 en trouvera des traces dans les grottes le long du Rio Chilca, au sud de Lima. Trois mille ans plus tard, on retrouve des traces de la même papa, près de Casma, dans le nord du Pérou. On va dénombrer dans les Andes et les vallées boliviennes plus de 1 400 variétés de pomme de terre. Les indiens mettront assez vite au point le chuño, un produit de déshydratation de la pomme de terre : exposée pendant trois nuits au gel, elle l’est ensuite au soleil, puis foulée pour rendre son eau. Après 45 jours de séchage, vous avez le chuño. [4]
Dans le sud de l’actuelle Jordanie, dans les montagnes d’Al-Khashabiya, des chasseurs construisent des murs pouvant couvrir plusieurs kilomètres : ce sont des pièges à gazelle ; les premiers découvreurs – des aviateurs – vers 1920 – les nommeront cerfs-volants.
~ 6 500
Après un intervalle aride, le Sahara entre dans sa dernière période humide et ce sont des nomades qui le peuplent : les Ténéréens, à peu près pour 2000 ans. On retrouvera leurs outils sur le même site que leur prédécesseurs – les Kiffiens- à Gobero, au sud-est d’Agadez. On retrouvera aussi une nécropole dans le Ténéré, au nord d’Agadez, remontant à 1 000 ans plus tôt, soit ~7 500, en un temps que l’on nomme aujourd’hui celui du Sahara vert. C’est à peu près de cette époque aussi que date le début d’une émigration vers l’Est, c’est-à-dire vers l’abondance de l’eau du Nil : ce sont les ancêtres des Égyptiens, dont on ne sait pas grand ’chose ; on leur attribue plusieurs cultures : du Fayoum, de 6 000 à 4 000, méremdienne, de 4 800 à 4 200, omarienne, de 4 600 à 4 400, badarienne de 4 400 à 4 000, Nagada I de 4 000 à 3 500 et Nagada II de 3 500 à 3 200, les premières s’étant installées en Basse Égypte, près du delta du Nil, les plus récentes, remontant vers la Haute Égypte, jusqu’au nord d’Assouan.
vers ~ 6 200
La déglaciation est déjà à l’œuvre en Amérique du Nord. La digue de glace qui, jusque là, retenait les eaux de l’immense lac Agassiz, se rompt brutalement : cette énorme masse d’eau douce se déverse brutalement dans l’Atlantique, dont le niveau augmente d’un mètre et demi, entraînant un brusque refroidissement pour quelques décennies de l’Europe, par arrêt du Gulf Stream. Cela va provoquer un premier relèvement du niveau de la Méditerranée.
~ 6 150
Tsunami du Storegga, sur la côte de l’actuelle Norvège. L’essentiel des matériaux (environ 3 500 km3) a été transporté sur une distance atteignant 290 km de longueur, et jusqu’à environ 800 km pour les plus fins. À l’époque de ces effondrements, le niveau marin était bien plus bas. Et ce sera partie remise en ~5000.
~ 6 000
Invention de la céramique. On estime qu’en Europe de l’Ouest, il faut 5,5 hectares de terrains agricoles pour subvenir à un individu ; à la révolution industrielle, en 1850, 1,2 hectares seront suffisants. En Chine à la même époque, il faut 8,5 hectares, 0,5 hectare en 1850. Sur le territoire de la future région Occitanie, les premiers oliviers s’implantent : ils viennent du Maroc.
vers ~ 5850
Venus de l’île de Palmarola, un peu à l’ouest de l’île de Ponza, à l’ouest de l’actuelle Naples, des Sapiens s’installent à Pont de Roque Haute, sur le littoral languedocien, sur la commune de l’actuelle Portiragne, à côté de Béziers : ils apportent avec eux la poterie, l’élevage de brebis, le blé et même l’obsidienne, exploitée sur l’île de Milos quand l’opale est exploitée à Naxos. Sur place, ils exploitent l’argile, le quartz et le basalte.
vers ~ 5 800
L’augmentation générale de la température a provoqué la fonte des glaciers d’Europe occidentale et d’Eurasie, et l’expansion thermique des océans : les deux phénomènes se traduisent par une montée du niveau de la Méditerranée d’à peu près 90 m [5]. Elle est alors au maximum de son extension : les cordons littoraux du Languedoc et du Roussillon n’existent pas encore. Un verrou sépare la mer Méditerranée – Marmara plus précisément – du lac d’eau douce aujourd’hui nommé Mer Noire, dont le niveau est inférieur de 150 m. Le niveau se met à dépasser celui du verrou, et la Méditerranée se déverse, doucement d’abord, puis, érosion aidant, de plus en plus vite, dans ce lac, jusqu’à équivalence des niveaux. Le phénomène est identique pour la mer d’Azov et la Mer Caspienne, par un autre passage. On ne sait pas en combien de temps cela se fit, mais Noé en eut tout de même assez pour construire une arche et y sauver tout ce qui pouvait l’être ; toutes ces populations se réfugièrent probablement le long des fleuves qui alimentent la Mer Noire : Dniepr et Danube.
Une autre hypothèse parle de la rupture d’une poche d’eau subglaciaire, dans les grandes plaines d’Ukraine, de très grande dimension, qui se serait brutalement déversé dans la Mer Noire en ~ 6700.
Yahvé fit disparaître tous les êtres qui étaient à la surface du sol, depuis l’homme jusqu’aux bêtes, aux bestioles et aux oiseaux du ciel : ils furent effacés de la terre et il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l’arche. La crue des eaux sur la terre dura cent cinquante jours.
Genèse 7. 17
C’est de ce millénaire que datent les premières traces de l’existence du vin, en Géorgie, en Arménie – à Haji Tiruz Tye et Vaïots Dzor, proches de l’actuelle frontière entre l’Iran et la Turquie -, dans les Monts Zagros en Iran ; selon la Bible le vin apparaît quand baissent les eaux du déluge. Plus tard, entre ~5000 et ~3000, on en trouvera à Areni, à l’est du lac de Van, à Godin, Tyr, Uruk, Ur, Tell, en Mésopotamie. Ils préféraient déjà le vin d’ici à l’eau de là.
~ 5 750
On trouve en Anatolie des figurations devenues célèbres de la Déesse-Mère en Maîtresse des Animaux. Dame des créatures sauvages, elle fait visiblement corps avec la nature, fraternisant avec les bêtes les plus indomptées.
Françoise Gange. Les Dieux menteurs. La Renaissance du Livre 2001
Toute l’Europe néolithique, à en juger par les mythes et les légendes qui ont survécu, possédait un ensemble de concepts religieux remarquablement homogène, fondé sur le culte de la Déesse Mère [6] aux si nombreuses appellations, que l’on connaissait aussi en Syrie et en Lybie. […] L’Europe ancienne n’avait pas de dieux… La Grande Déesse était considérée comme immortelle, immuable et toute puissante ; et le concept de la filiation par le père n’était pas encore apparu dans la pensée religieuse.
Robert Graves. Les mythes grecs
Si Françoise Gange, Robert Graves avaient besoin de preuves pour confirmer leurs dires, il n’est que de s’en remettre aux très nombreuses représentations de la femme depuis à peu près ~35 000 ans à ~18 000 ans : HohleFels en Allemagne, Galgenberg, en Autriche, Renancourt, Brassempouy, Willendorf en Allemagne, Laussel, Lespugue, Doni Vestonice en Tchèquie, Kostienky en Russie, Balzi Rossi à Grimaldi en Italie etc…
https://www.hominides.com/html/art/venus_art_mobilier.php
~ 5 500
Au nord de l’actuel Kazakhstan, l’homme commence à domestiquer le cheval, non seulement pour être monté mais aussi pour fournir la viande et le lait. Il est bien possible que cette antériorité du cheval sur les bovins et les ovins tienne à ce que le premier se débrouille tout seul pour se nourrir toute l’année quand les seconds doivent être nourris pendant l’hiver.
~ 5 400 à ~ 2 700
À l’embouchure du Dniestr sur la mer Noire, dans l’actuelle Roumanie et Moldavie, se développe la civilisation de Cucuteni-Tripolye, et sur le Danube, celle de Lepenski Vir. Ils vont construire des villes qui pourront avoir jusqu’à 20 000 habitants, d’une durée de vie très courte, 40, 50 ans au bout desquels elles étaient brûlées, sans doute parce que la cueillette imposait le déménagement. Des changements climatiques y mirent fin, non sans qu’il aient cherché à survivre en se réfugiant dans des grottes.
www.culture.gouv.fr/culture/arcnat/harsova/fr/index.html
Plus près de chez nous, dans l’actuelle Allemagne, à Herxheim, près de Spire, des hommes se sont livrés au cannibalisme, on ne sait pas très bien pourquoi, probablement plus par obéissance à des pratiques culturelles que parce que le ventre criait famine : toujours est-il qu’une centaine d’hommes en ont croqué à peu près un millier d’autres ! Quel appétit !
Premières cités lacustres sur les lacs alpins : www.chalain.culture.gouv.fr/fr/
~ 5 300
À Santa Ana Florida, dans l’actuel Équateur, les Mayo Chinchipe consomment couramment du cacao : on en retrouvera des traces dans des éclats de poterie : grains d’amidon caractéristiques de la plante, traces de théobromine (un composé spécifique aux fèves mures de cacao) et ADN anciens de cacaoyer.
________________________________________________________________________________________________
[1] Des recherches de 2017 dans les grottes du poisson bleu, dans le Yukon, au Canada, situent à 24 000 ans av J.C. des os de caribou et de cheval auxquels aurait été associé nécessairement l’homme.
[2] Plantes, parmi lesquelles le cannabis sativa, comme source polyvalente de fibres, de graines et d’insecticides et pour ses propriétés récréatives. Plante dite férale, n’ayant probablement jamais été sauvage, mais anciennement domestiquée puis retournées à la nature.
[3] L’agriculture existait aussi en Amérique du Sud, dans le nord du Pérou : en 2007, on a retrouvé des graines de courges et de coton vieilles de 9 200 à 5 500 ans, des cacahuètes de 7 600 ans, dont on peut prouver qu’elles ont été cultivées (Université Vanderbilt)
[4] Le chuño, appelé aussi moraya ou tunta, est une spécialité des Andes centrales produite par la déshydratation de pommes de terre par un cycle d’expositions au soleil et au gel et de foulages. À chaque cycle les tubercules perdent de l’eau. C’est la manière traditionnelle de conserver et stocker les pommes de terre pendant de longues périodes, parfois des années. La tunta se différencie du chuño car son processus de fabrication se fait à l’abri du soleil. C’est aussi le moyen de rendre comestibles les pommes de terre amères (papas amargas), les seules qu’il est possible de cultiver en haute altitude car elles résistent au gel, mais qui ne sont pas consommables à l’état frais à cause de leur teneur en alcaloïdes toxiques (substances également responsables de leur amertume). Ces produits tiennent une grande place dans l’alimentation indigène, et plus généralement de la gastronomie des régions de production. Actuellement, le chuño produit dans les hauts plateaux andins est consommé régulièrement dans le nord-ouest de l’Argentine, dans l’altiplano bolivien, dans le nord du Chili, et dans les régions andines et côtières du Pérou.
Wikipedia
[5] …90 m. pour les uns… 120 pour les autres
[6] en janvier 2006, c’est sous les auspices de Viracocha, l’Être suprême des Incas, de Taïta Inti, le Père Soleil, et de Pachamamma, la Terre Mère qu’Evo Morales Aïma fût intronisé premier président indien de la Bolivie, sur le site sacré de Tiwanaku aux nombreux mégalithes, sur les bords du lac Titicaca. Tiwanaku est la capitale sacrée de la Bolivie, du Pérou et de l’Equateur.