6 avril au 24 octobre 1917. Trotski sur le devant de la scène. Georges Clemenceau, « Le Tigre ». 12198
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Publié par (l.peltier) le 18 septembre 2008 En savoir plus

6 04 1917 

Les États-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne. Pour ce faire, la France avait mis le paquet en envoyant Henri Bergson à Washington auprès du président Thomas Woodrow Wilson, qui avait une formation en philosophie et en théologie. Bergson lui avait parlé État de droit, paix, démocratie, force qui s’use, – l’Allemagne – , force qui ne s’use pas, – l’esprit -. Plus tard, Bergson sera à la tête de l’Institut international de coopération intellectuelle, ancêtre de l’UNESCO. Cela permit peut-être d’habiller plus élégamment la déclaration de guerre mais l’essentiel des motifs était beaucoup plus du côté du télégramme de Zimmermann.

9 avril 1917    

Bataille d’Arras. La ville est soumise depuis des mois aux bombardements allemands, qui veulent garder le contrôle de l’environnement minier de la ville. Nivelle vient de prendre le commandement des armées françaises et propose au général anglais une offensive sur Arras : depuis l’automne précédent il sait qu’une compagnie de sapeurs néo-zélandais a découvert l’immense réseau de galeries en place depuis le Moyen-Âge pour exploiter la craie dont on fait les maisons du pays. Et les Allemands ne savent rien de cela. Ce qui fait que nombre des 24 hommes qui se lancent dans ces galeries vont en surprendre quelques uns tout affairés encore à se raser voire à leur petit-déjeuner ! Tout cela avait été équipé pendant plus de cinq mois : popotes, latrines, électrification, antennes médicales, douches, points d’eau, percement de galeries pour créer des liaisons là où nécessaire etc… Les Britanniques enfoncent cinq kilomètres de tranchées allemandes en moins de douze heures. Les Canadiens emportent la crête de Vimy [au nord, nord-est d’Arras], bastion allemand qui va devenir, dans le récit de l’histoire canadienne, une date fondatrice de la nation. Mais Haig, craignant des retards de ravitaillement, ralentit l’offensive. Cette erreur stratégique permet aux troupes adverses de se ressaisir et de lancer de furieuses contre-attaques. La bataille d’Arras s’enlise alors en escarmouches locales à partir du 14 avril pour s’achever le 17 mai, à raison de 4 000 morts par jour ! – 150 000 côté britannique, 120 000 côté allemand : un carnage !

La bataille d’Arras devait être une diversion pour appuyer l’attaque principale lancée par Nivelle quelques jours plus tard sur le Chemin des Dames. Le Français avait promis de l’emporter en quarante-huit heures, or ce fut un échec immédiat. Les combats meurtriers durèrent des mois. 

Yves Le Maner

Alors dominion britannique, le Canada était entré en guerre dès le 4 août 1914. Le pays comptait alors 7.2 millions d’habitants et l’enrôlement se faisait sur la base du volontariat. La conscription ne sera instituée qu’en 1917.

Pourtant, loin de cet unanimisme, la Première Guerre mondiale a laissé dans la mémoire collective québécoise la trace d’un refus généralisé d’aller combattre en Europe et d’un événement responsable de divisions profondes. Ce sentiment très ancré est avant tout le souvenir de la crise de la conscription de 1917-1918 qui a effacé les premières années du conflit.

La décennie 1910 s’ouvre au Canada dans un contexte de tensions renouvelées entre les deux nations canadienne-anglaise et canadienne-française. Le contentieux est ancien et la situation interne du Canada est marquée par cette méfiance, pour ne pas dire franche hostilité, d’une grande partie des élites canadiennes-anglaises envers le fait français au sein du dominion. Le Québec, depuis le début du siècle, connaît une renaissance du nationalisme, motivé par le respect des droits des minorités canadienne-française et acadienne du pays.

Ce nationalisme se cristallise particulièrement autour de la question du bilinguisme et dépasse donc les frontières provinciales. L’adoption du règlement XVII en 1912 qui décide l’abolition de l’usage du français dans les écoles ontariennes attise violemment ces tensions entre francophones et anglophones. En effet, il convient de rappeler que les frontières administratives des provinces canadiennes ne sont pas celles des langues pratiquées. Habiter au Québec ne veut pas dire être francophone, et inversement. Les francophones de l’Ontario ou du Nouveau-Brunswick (l’ancienne Acadie) ou encore des États-Unis d’Amérique se définissent eux-mêmes comme des Canadiens français, c’est-à-dire des descendants des familles françaises implantées en Amérique du Nord souvent depuis plusieurs siècles.

C’est dans ce contexte qu’éclate le premier conflit mondial au début du mois d’août 1914. En déclarant la guerre à l’Allemagne, la Grande-Bretagne entraîne de facto tout l’Empire britannique dans le conflit, à commencer par ses dominions. Ainsi, bien qu’il ne soit pas directement concerné par la crise européenne, le Canada, officiellement indépendant depuis le 1° juillet 1867 mais toujours lié à Londres pour sa politique étrangère, entre en guerre au soir du 4 août.

La nature juridique du dominion accorde cependant au gouvernement canadien la liberté de décider de la nature et de la portée de son effort de guerre. À l’annonce de la déclaration de guerre, l’opinion publique se range globalement derrière son gouvernement et la Couronne britannique, mais aussi la France, considérant ce conflit comme un conflit juste. Quelques manifestations enthousiastes ont même lieu dans les grandes villes, en particulier Montréal et Toronto.

À cette époque, le Canada est un pays prospère, peu militarisé et encore moins militariste, qui compte 7,2 millions d’habitants (recensement de 1911). Pourtant, dès le 6 août, Ottawa décide de l’envoi d’un contingent de 25 000 hommes formant un corps expéditionnaire canadien (CEC). Mais le Canada est-il prêt à fournir ces soldats ? Le pays dispose d’une force permanente d’à peine 3 000 hommes et d’une milice réserviste, fondée sur le volontariat, de 60 000 hommes (dont bon nombre n’ont en réalité qu’une très rudimentaire formation militaire). Cette armée reste largement dominée par les traditions britanniques. Dans ces troupes où l’on ne parle que l’anglais, on rencontre peu de francophones : des 329 officiers de carrière de la force permanente, seulement 30 sont francophones. À ce problème fondamental de la langue s’ajoute la répugnance traditionnelle des Canadiens français sur les questions d’ordre militaire et de défense impériale. Les débats entourant la participation du Canada à la guerre d’Afrique du Sud et la formation d’une marine de guerre canadienne de 1909 à 1913 ont ainsi suscité d’intenses querelles entre la majorité anglophone et la minorité francophone. La levée du contingent doit, en principe, s’appuyer sur un plan de recrutement conçu en 1911-1912. Il prévoit qu’en cas de conflit une division d’infanterie et une brigade de cavalerie seront fournies à l’armée britannique comme contribution militaire. La participation de chaque province est calculée à partir de la proportion d’hommes en âge de servir. Alors que le Québec compte 2 millions d’habitants en 1911, soit près de 28 % de la population totale, l’état-major estime que la province doit fournir 4 733 hommes, soit seulement 1 % des 442 930 hommes en âge de s’enrôler. Ce chiffre qui apparaît faible s’explique en partie par plusieurs facteurs sociodémographiques : le Québec est alors une société très rurale, où le mariage est précoce et le taux de natalité très élevé. Les hommes en état de combattre sont aussi des pères de famille nombreuse dont le revenu est assuré par l’activité agricole.

De manière totalement imprévisible, le ministre de la Milice et de la Défense du Canada, Samuel Hughes, annule ce plan de mobilisation le 31 juillet et lance des ordres contraires en ignorant les différences régionales, d’où un recrutement anarchique. Finalement, le Québec fournit 5 773 hommes au premier contingent, plus que ce qui était attendu, en raison d’un fort taux d’enrôlement des Montréalais anglophones. L’Ontario en fournit 13 957, alors qu’il avait été planifié de lui en demander 10 679. Malgré la cacophonie, Hughes arrive à réunir un peu plus de 36 000 hommes (dont 1 245 francophones), à Valcartier (près de Québec), un camp créé de toutes pièces, à les équiper et à les faire partir pour la Grande-Bretagne à la fin du mois d’octobre 1914.

Si le nombre de francophones est suffisant pour créer un bataillon d’infanterie, Hughes choisit plutôt de les répartir au sein du 12° bataillon, composé majoritairement d’hommes des Provinces maritimes (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Ecosse et Île-du-Prince-Édouard), et du 14° bataillon, regroupant pour la plupart des Montréalais anglophones. Avec cette décision, les autorités gouvernementales et militaires manifestent leur doute persistant sur la loyauté à la Couronne britannique des Canadiens français. Au grand désarroi de ces engagés, aucune unité d’activé francophone ne fait donc partie du premier contingent canadien à se rendre en France, ce qui contribue au peu d’empressement des francophones à s’enrôler. La presse anglophone souligne ce manque d’engouement et note de manière acerbe que les Canadiens français ne composent qu’environ 3,4 % du contingent rassemblé à Valcartier. Cette critique ira en s’amplifiant jusqu’à la loi sur la conscription de juillet 1917.

La majorité (entre 60 et 70 %) des soldats formant la 1° division canadienne du CEC, qui quitte le pays pour la France le 8 septembre 1914, est constituée d’hommes nés en Grande-Bretagne et arrivés depuis peu en Amérique du Nord. Ce sont ces très récentes vagues de migration de Britanniques, importantes au début du XX° siècle au sein de l’empire, qui créent d’ailleurs le lien impérial. Leur attachement à la mère patrie l’emporte naturellement sur toute autre considération. Pour les Canadiens anglophones et francophones d’ancienne implantation, le lien avec l’Europe est bien moins naturel. Il ne faut cependant pas minimiser les initiatives visant à l’engagement. Afin d’encourager les francophones à s’enrôler et constatant la barrière que constitue l’unilinguisme anglais dans l’armée permanente, un regroupement d’hommes politiques de tous bords, d’hommes d’affaires et de religieux canadiens-français militent en septembre 1914 pour la formation d’une unité exclusivement francophone, qui deviendrait également le symbole de l’unité nationale.

Le gouvernement approuve finalement la naissance de cette unité le 20 octobre 1914 : le 22° bataillon canadien-français est créé dès le lendemain. Sur 5 584 soldats qui vont y servir, 4 739 sont du Québec, le plus grand nombre des autres francophones venant de l’Ontario (514). Il sera l’unique unité exclusivement francophone à prendre part aux combats en France et en Belgique. En effet, 15 bataillons francophones vont être levés durant le conflit mais, comme leurs homologues anglophones, ils sont démembrés une fois débarqués en Angleterre pour combler les rangs des unités existantes. L’apparente unanimité se fissure toutefois rapidement au Québec sous la pression des natio­nalistes. Aller défendre les droits d’autrui outre-Atlantique alors que l’on estime les siens bafoués dans son propre pays reste inacceptable pour beaucoup. Sentiment que le chef de file nationaliste Henri Bourassa cristallise en ces termes dès le 21 décembre 1914 : Au nom de la religion, de la liberté, de la fidélité au drapeau britannique, on adjure les Canadiens français d’aller combattre les Prussiens d’Europe. Laisserons-nous les Prussiens de l’Ontario imposer en maîtres leur domination en plein cœur de la Confédération canadienne à l’abri du drapeau et des institutions britanniques ? Ce discours rencontre un grand succès tant il est vrai que la majorité des Canadiens français ne ressent alors ni fidélité particulière à la France ni loyauté au Royaume-Uni.

Enfin, les pertes épouvantables sur le front à partir du printemps 1915 refroidissent la ferveur et la volonté de combattre de tous les Canadiens et, par voie de conséquence, le recrutement partout au Canada diminue inexorablement dès l’automne 1915. Les besoins de main-d’œuvre des milieux industriel et agricole, de plus en plus pressants dès 1916, freinent également l’enrôlement des volontaires dans l’ensemble du pays.

Alors que 80 000 à 100 000 hommes manquent pour compléter les rangs du CEC, le Premier ministre Robert Borden annonce en mai 1917 son intention d’instaurer la conscription au Canada.

Le Québec est la première province à se dresser à l’unisson contre cette décision. Ailleurs au Canada la résistance concerne des groupes circonscrits, tels que des organisations ouvrières ou encore les fermiers de l’Ontario. Lorsque le 24 juillet 1917, au terme de vifs débats, le Parlement fédéral adopte le Military Service Act obligeant tous les hommes de 20 à 35 ans, célibataires ou sans enfants, à se présenter aux autorités, les mouvements de contestation se développent au Québec, parfois de manière violente.

Au printemps 1918 l’armée intervient pour réprimer des émeutes dans la ville de Québec et maintenir l’ordre dans le reste de la province. Le point culminant de cette opposition se déroule à Québec le lundi 1° avril 1918, lors d’une manifestation brutalement réprimée par l’armée durant laquelle quatre personnes sont tuées et plus d’une soixantaine grièvement blessées. Cette crise de la conscription a profondément modifié la mémoire québécoise de la Grande Guerre, qui a retenu cet événement comme un fort marqueur identitaire.

Le gouvernement d’Ottawa définit dès les années 1920-1930 une politique mémorielle canadienne du conflit autour de la cérémonie du 11 Novembre et de la bataille de Vimy, avec comme figure centrale l’ancien combattant qui, au-delà de ses origines communautaires, a su représenter le Canada auprès de ses alliés contre un ennemi commun. De leur côté, les Québécois vont d’abord refouler le souvenir de la crise de la conscription, avant de développer, à partir des années 1970 et de l’affirmation d’un nationalisme souverainiste, une mémoire communautaire victimisante centrée sur le refus de la guerre et l’oppression des Canadiens français.

[…] Dans le cadre de la grande offensive britannique connue sous le nom de bataille d’Arras prévue en avril 1917, le corps expéditionnaire canadien (CEC) reçoit la mission de prendre la crête de Vimy. Conquise dès octobre 1914 par les Allemands puis solidement fortifiée, cette crête a fait l’objet en 1915 et 1916 de plusieurs assauts français qui se sont soldés par des échecs et la mort de plusieurs dizaines de milliers d’hommes. Le site, qui s’étend sur 8 kilomètres, est le point culminant du dispositif allemand dans le Pas-de-Calais. Son sommet (la cote 145) est un véritable observatoire d’où il est possible de surveiller un rayon de près de 35 km.

Après une préparation minutieuse, le matin du 9 avril 1917, pour la première fois les quatre divisions canadiennes (81 000 hommes) montent à l’assaut côte à côte. Lors de cette attaque, le 22° bataillon canadien-français agit en soutien de l’immense vague d’assaut et est chargé de nettoyer les tranchées ennemies. Avant la fin de la journée la plupart des positions allemandes sont prises. Le 12 avril, les deux derniers sommets sont également conquis. Dans ces violents combats, le CEC perd 10 500 soldats dont 3 600 tués.

Sans nier la valeur et la bravoure militaire des forces canadiennes, qui ont gagné tout au long de la guerre une réelle réputation de troupe d’élite, de nombreuses études récentes tendent à relativiser l’importance stratégique de cette opération. C’est pourtant la bataille de Vimy, plus que celles de Flers-Courcelette ou de Passchendaele, qui va être retenue par le Canada comme symbole politique et mémoriel de son engagement dans la Grande Guerre.

Dès les années 1920, le gouvernement canadien, effaçant les douloureux événements de la crise de la conscription au Canada français, construit le récit d’un fait national unitaire marqué par le courage, les souffrances et la victoire lors des combats de Vimy. La bataille, qui a réuni des soldats de toutes les provinces canadiennes, devient vite le symbole de l’émergence d’une nation canadienne moderne et autonome de la métropole britannique.

La Commission canadienne des mémoriaux de champs de bataille choisit ce site pour ériger un monument commémoratif à tous les morts canadiens de la Grande Guerre. Pourtant plusieurs voix s’élèvent pour rappeler que d’autres lieux auraient mérité d’être distingués. Comme le précise la brochure de la Commission, c’est l’aspect œcuménique de cette bataille qui est retenu : Vimy ne fut pas le plus grand fait d’armes du corps d’armée canadien, ni quant au résultat ni quant à l’importance stratégique, mais c’est là que le corps d’armée combattit pour la première fois en tant qu’unité et, comme ses éléments provenaient de toutes les régions du pays, on peut considérer que c’est à Vimy que notre jeune pays entra en guerre pour la première fois.

En 1922, la France contribue fortement à ce choix en cédant à perpétuité au Canada la crête de Vimy. La construction du monument est confiée à l’architecte torontois Walter Seymour Allward et débute en 1925. Il est inauguré le 26 juillet 1936 en présence d‘Edouard VIII et du président Lebrun. Les noms des 11 285 Canadiens tués en France et dépourvus de sépulture y sont gravés. Faisant appel à ses souvenirs, le général Alexander Ross contribue au mythe de Vimy par cette phrase restée célèbre : C’était tout le Canada, de l’Atlantique au Pacifique, qui passait. J’ai pensé alors que, pendant ces quelques minutes, j’assistais à la naissance d’un pays.

Afin de rassembler les communautés canadienne-anglaise et canadienne-française, les autorités fédérales privilégient un discours pacifiste fondé sur les souffrances communes. Le monument doit aussi permettre aux familles de mener leur travail de deuil. Allward intègre ces objectifs dans le programme iconographique : on n’y trouve pas de représentations de soldats combattants ou victorieux mais des figures épuisées, recroquevillées, douloureuses, ou encore les allégories de l’Espérance, de la Foi et de la Charité, toutes dominées par la statue féminine de la Nation Canada, la tête penchée vers le sol, pleurant la mort de ses fils.

Devenue officiellement élément fondateur de la nation canadienne par une loi en 2003, la bataille de Vimy est érigée comme nouveau symbole de la puissance militaire d’un Canada uni. Passant d’un discours pacifiste et pro onusien à une rhétorique patriotique et belliciste, le Canada s’implique alors dans les opérations militaires en Afghanistan et au Proche-Orient. Sans surprise des voix s’élèvent au Québec contre cette évolution. En juin 2016, le parc Vimy de Montréal est rebaptisé parc Jacques Parizaeu, du nom du Premier ministre souverainiste de 1994 au référendum de 1996. Plutôt bien accueillie au Québec, cette décision prouve que la mémoire canadienne de la Grande guerre reste encore aujourd’hui plurielle.

Laurent Veyssière. L’Histoire n° 434 Avril 1917

16 04 1917  

Avec l’appui et les finances des Allemands qui sentent combien le bonhomme peut déstabiliser l’empire russe, Lénine a quitté Zurich le 27 mars dans un wagon plombé, le terme ne signifiant rien d’autre que le bénéfice de l’exterritorialité, soit un statut semblable à celui d’une ambassade : pour éviter d’avoir à traverser des pays en guerre, dont le sien, il fait le tour par le nord de la Suède, puis redescend par la Finlande sur Petrograd : 4 000 km en train et ferry, accompagné, il est vrai, d’Inès Armand, sa maîtresse française : ainsi, le temps passe plus vite. Quand  il arrive à Petrograd le 3 avril, à sa grande surprise, il est accueilli triomphalement, même par ses adversaires. Il a pour mot d’ordre : la paix, du pain et la liberté, et la radicalité des ses Thèses d’avril effraie plus d’un vieux marxiste, dont Plekhanov, qui parle de délire : refus de collaboration avec le gouvernement provisoire, appel immédiat à la paix et à la fraternisation avec l’ennemi, exercice absolu du pouvoir par les soviets, prise en main des usines par les ouvriers et de la terre par les paysans.

On ne connaît par l’auteur de ce gentil poème, mais, s’il venait des soviets, la propagande était plutôt joliment tournée :

Dans une bataille, deux soldats se rencontrent,
Un étranger et un des nôtres.
Le premier a saisi le fusil de l’autre et lui dit :
Attends, camarade, tu pensais rencontrer un ennemi ;
En réalité tu as trouvé un ami :
Je suis ouvrier comme toi ;
Quelqu’un a provoqué la querelle entre nous,
C’est le tsar qui nous a entraînés dans cette guerre.
Mais si nous sommes amis
Ton fils sera libre et le mien aussi.

De New York, Léon Trotski appelle au transfert du pouvoir aux soviets ; Iossif Vissarionovitch Djougachvili, alias Staline, – l’homme d’acier – banni en Sibérie, revient aussi à Petrograd. Né à Gori, en Géorgie, il était sud-ossète par son père ; son nom ossète était Dzougata et le pseudonyme Staline vient d’un héros de légende ossète : Soslan Stalnoï.

1 05 1917     

Une première élection au congrès des soviets désigne plus de 600 délégués socialistes-révolutionnaires et mencheviks contre seulement 105 bolcheviks [1]

4 05 1917  

Léon Trotski arrive à Petrograd

13 05 1917   

Apparition de la Vierge à trois enfants portugais de Fatima : ils revinrent sur les lieux tous les treize du mois cinq mois de suite, suivis de croyants toujours plus nombreux, jusqu’à 70 000, 80 000 personnes ! L’État portugais, alors franc-maçon, commence par faire mettre les enfants au cachot, avant de les en libérer. L’Église n’était pas beaucoup plus enthousiasmé par le phénomène, et ne reconnaîtra que quelque chose s’est passé à Fatima que vers la fin des années 1920. Le 13 octobre 1917, il pleut, de la boue partout et le soleil s’approche pour tout sécher ! et cela avait été annoncé par la Vierge. François et Jacinthe, les deux cousins de Lucie Sos Santos mourront rapidement de la grippe espagnole en 1919 et 1920, mais Lucie vivra jusqu’à 97 ans, pratiquant dans sa jeunesse et par obéissance un nomadisme monacal pour finalement poser ses valises au Carmel de Coimbra ! Des trois secrets révélés par la Vierge, seul le dernier le restera, quand il aurait du être révélé en 1960, mais Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul I°, Jean-Paul II s’y opposeront, renvoyant aux archives du Vatican la lettre de Lucie qui en donnait le détail. Le 26 juin 2000 le cardinal Ratzinger le révélera, – essentiellement l’attentat auquel survécut miraculeusement Jean-Paul II – mais pour la plupart des croyants, l’essentiel du message restera secret : s’agirait-il tout simplement de la fin du Vatican (le pape François serait l’avant-dernier) ?

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Lucie, François et Jacinte

18 05 1917 

Parade, de Serge Diaghilev, est créé au Théâtre du Châtelet, à Paris : décors et costumes de Pablo Picasso, musique d’Erik Satie, livret de Jean Cocteau, préface du programme par Guillaume Apollinaire…. excusez du peu…. tous les talents étaient requis pour faire oublier la guerre. De 1921 à 1926, c’est la sœur de Nijinski, Bronislava Nijinskaia qui sera première danseuse et maîtresse de ballet.

Parade a explosé la tirelire du spectacle vivant. Annoncé comme un nouveau chef-d’œuvre par la troupe des Ballets russes de Serge Diaghilev (1872-1929), toujours attendu au tournant depuis ses premières productions en  1909, le spectacle était signé par ce que la France avait de plus prestigieux, et même peut-être de mieux : Jean Cocteau (1889-1963) au livret, Erik Satie (1866-1925) à la musique, Pablo Picasso (1881-1973) pour les décors et costumes et Léonide Massine (1896-1979) à la chorégraphie. Le résultat dépasse toutes les espérances.

Parade, ballet réaliste selon Cocteau, se déroulait devant un théâtre forain. Un rideau de scène signé par Picasso offrait une vision onirique de la vie d’une troupe de saltimbanques. Il s’ouvrait sur un décor et des costumes… cubistes ! Surgissaient un prestidigitateur chinois, une petite fille américaine, deux acrobates, deux manageurs et un cheval, qui défilaient pour inviter le public à entrer voir le spectacle, sans y réussir. Quant à la partition de Satie, elle mélangeait à l’orchestre des sons de machine à écrire, de revolvers, de roue de loterie et de sirènes d’alarme. Avec des moments de silence et un ragtime.

Branle-bas de combat, les lustres en cristal du théâtre se sont mis à trembler. Tout était neuf – argument, musique, spectacle -, raconte Francis Poulenc, dans son livre Moi et mes amis, publié en 1963. Et c’est avec stupeur que les habitués des Ballets russes d’avant 1914 virent se lever le rideau de Picasso, déjà tout à fait insolite pour eux, sur un décor cubique… Chaque art ruait dans les brancards.

Parade provoque une déferlante de protestations. Avec ce spectacle, les Ballets russes, qui venaient d’essuyer un échec avec Le Dieu Bleu (1912), retrouvent la saveur du scandale, qui leur va comme un gant. Il est apparemment moins violent que celui qu’a suscité Le Sacre du printemps, en  1913, signé par le danseur Vaslav Nijinski et le compositeur Igor Stravinsky – mais tout de même. Cette fronde n’est pas pour déplaire à Cocteau, qui n’avait eu de cesse de reprendre son rang d’agitateur auprès de Diaghilev. Étonne-moi, lui avait lancé le producteur et impresario, en manque de secousses émotionnelles. Autant dire que Cocteau a rempli son contrat.

Le spectateur est choqué : la guerre est là et les artistes s’amusent. Mais avec quoi ? Guillaume Apollinaire, qui a écrit le programme du spectacle, calme le public. De retour du front, il vient de se faire trépaner. Sans lui, son uniforme et le bandage qui entourait sa tête, des femmes armées d’épingles – à chapeau – nous eussent crevé les yeux, raconte Cocteau dans La Difficulté d’être (1947). Le critique Jean Poueigh (1876-1958) juge la musique outrageante pour le bon goût français.

Satie, qui signe ici son deuxième ballet, réplique par des cartes postales sans enveloppe, pour que le concierge puisse les lire : Monsieur et cher ami, vous êtes un cul, pire, un cul sans musique. Signé Erik Satie. Plainte et procès.

Parade est une œuvre passionnante qui n’a pas été comprise à l’origine et dépasse la pochade à laquelle on a souvent voulu la réduire, commente l’historienne. C’est une sorte de querelle de primauté entre la musique, les arts plastiques et la danse, qui pose la question qu’est-ce qui est essentiel dans ce spectacle ? Entre Cocteau, ce narcisse sur pattes, Satie, qui se méfiait des danseurs et de Massine en particulier, Picasso qui les affuble de costumes démesurés, ça tire par tous les bouts.

La haute singularité des artistes, engagés dans des recherches aiguisées, la multiplicité des références – le music-hall, Hollywood, le cirque – et les influences mises en jeu se télescopent violemment.

Sylvie Jacq-Mioche

Le coup de force qu’a été Parade réside dans la façon dont il a mis à mal la problématique décorative des Ballets russes et toutes les références alors en usage, analyse. Il n’y a plus d’harmonie, plus de structure, plus de mélodie. On est, à tous les niveaux, dans le collage cubiste et la dissonance. C’est avec ce spectacle que Picasso va matérialiser ses recherches sur le cubisme et les papiers collés menées depuis 1912. Parade, c’est de l’agit-prop à la française et le début d’une nouvelle ère.

Anne Baldassari

Parade entendait célébrer le malentendu éternel entre la scène et la salle. C’est fait. Rarement intention esthétique sur le papier aura atteint à ce point sa cible. Le fameux rideau de scène de Picasso, conservé au Centre Pompidou, concentre nombre des problématiques qui font de Parade une œuvre palpitante. Selon les intentions de Satie, le prélude et le final du ballet auraient dû se jouer devant le rideau fermé et sans aucun danseur ou interprète. Encore une folle audace, et une situation révolutionnaire pour le spectacle vivant de l’époque. A l’origine, le rideau devait être rouge. Après un séjour à Naples où il tombe sous le charme des toiles de fond des théâtres populaires, Picasso va peindre des artistes et des acrobates au repos, scène qu’on ne montre pas a priori comme telle sur un plateau.

On est déjà avec Parade dans une réflexion sur la représentation. Mettre en valeur par la peinture une scène qui se passe habituellement dans les coulisses est inimaginable à l’époque. Le chorégraphe américain Merce Cunningham le fera à sa façon en  1968 avec Walkaround Time. Avec son complice le compositeur John Cage, ils seront dans les problématiques de Parade. Ce ballet ne présente pas le spectacle tel qu’il aurait dû être, il donne seulement une idée de ce qui aurait pu se passer. C’est véritablement une œuvre de rupture. Les avant-gardes artistiques de l’époque poursuivent des questionnements qui ne sont pas forcément ceux de la société.

Sylvie Jacq-Mioche

Cette bascule esthétique a aussi introduit un nouveau mot, qui va devenir un mouvement artistique. Dans le programme, Apollinaire qualifie le spectacle de sur-réaliste et le coup d’envoi est donné à une vision radicalement nouvelle du monde et du geste artistique. Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir.

*****

Le sur-réalisme souligné par Apollinaire signifie que ce qui se passe sur scène est l’artefact le plus élaboré pour rendre compte de la réalité. La pièce se situe plus loin que le réel, auquel elle ne se soumet pas. Elle est proche des recherches sur le ready-made menées par Marcel Duchamp autour des années 1913-1916, pour qui c’est le spectateur qui fait l’œuvre. Parade met en jeu ce principe.

[…] Le fait que les acrobates remplacent les danseurs dans Parade interroge aussi l’esthétique du classique. On est en  1917. La guerre est là, mais aussi la révolution russe. Le ballet est relié à la Russie, au tsar et à l’aristocratie. Et soudain, avec Parade, c’est le cirque, le populaire, la spontanéité qui surgissent. La virtuosité est balayée. L’acrobate ne dissimule pas l’effort. C’est un changement de perspective pour la danse accompagné d’une rupture sociale. Le choc artistique est au diapason de la fracture que connaît la société avec la guerre. Après Parade, le monde sera radicalement autre.

Sylvie Jacq-Mioche

Paradoxalement, et aussi crucial qu’ait été son impact esthétique, Parade, qui fut repris en  1920 par les Ballets russes, n’a pas connu le succès du Sacre du printemps, maintes fois remonté et réinventé par des chorégraphes de tous bords. En  1980, le réalisateur Jean-Christophe Averty en a fait un film, Parade autour de Parade, sur une chorégraphie de Jean Guélis. Lorsqu’en  2002, pour l’inauguration de l’exposition Picasso-Matisse, au Grand Palais, Anne Baldassari remonte le ballet, en complicité avec Jean-Albert Cartier, directeur artistique, elle rencontre des difficultés : Nous avons eu du mal à réunir les éléments de ce ballet qui n’a pas été si souvent joué.

Parmi les relectures qui ont marqué la scène contemporaine, celle d’Angelin Preljocaj, directeur du Ballet Preljocaj, à Aix-en-Provence, qui tentait de faire vibrer cette fibre de liberté de la pièce originelle. Avec le plasticien japonais Aki Kuroda, le styliste Hervé Pierre, sur la musique d’Erik Satie, il s’emballe pour le cirque. J’ai eu envie moi aussi de répondre au fameux Étonne-moi de Diaghilev, où Preljocaj interprétait le rôle de Monsieur Loyal. J’ai joué avec les concepts de ce ballet bâti avec la conscience omniprésente du public. J’ai essayé d’éviter de me censurer. Tout était possible, et surtout le trop, c’est-à-dire tout ce qui tire vers le music-hall, voire la Fête à Neu-Neu, les lampions. La seule chose à laquelle je tenais est l’écriture et la solidité de la construction.  Commande de l’Opéra national de Paris, Parade, d’Angelin Preljocaj, a été créé en  1993 sur le plateau du Palais Garnier, à Paris.

Résumé de Rosita Boisseau Le Monde du 2 août 2017

05 1917 

Dans les environs d’Issoudun, en plein cœur de la France, 1 300 hectares sont loués par les Américains pour en faire la plus grande base arrière pour l’entrainement de ses soldats, et notamment de ses aviateurs ; la main d’œuvre ne manque pas : ce sont les prisonniers de guerre allemands. La France va construire une voie ferrée pour transporter les matériaux de construction importés des États-Unis. Parmi les aviateurs on trouve Quentin Roosevelt, le fils du président Théodore Roosevelt. La base aérienne comporte sept terrains, chacun d’entre eux offrant au moins deux pistes. Bien entendu, tout cela est fait à l’américaine : on importe tout, jusqu’au cinéma. Mais, les soldats étant bien payés, ils iront dépenser leurs sous à Issoudun.

Montierchaume : le camp américain revit à son tour

Un peu d'histoire - Mairie d'Issoudun

10 06 1917  

L’Ukraine proclame son indépendance, dirigée par la Rada centrale. Devenue République Populaire d’Ukraine le 7 novembre suivant, elle participera au traité de Brest Litovsk à titre de nation indépendante, aux cotés des bolcheviks de Moscou et des Allemands. Elle durera, cahin-caha, jusqu’en 1920. Trotski aiguise ses couteaux : Des têtes doivent tomber, le sang doit couler… La force de la Révolution française, c’était cette guillotine qui raccourcissait d’une tête les ennemis du peuple. C’est un instrument excellent. Il nous en faut une dans chaque ville 

14 06 1917 

Catherine Sayne Wittgenstein, princesse russe de 22 ans, tient un journal dans lequel la fin d’un monde est naturellement perçue comme la fin du monde. Bronitsa est une ville d’Ukraine, proche du Dniestr, où la famille possède une résidence, la principale étant à Petrograd.

Bronitsa, le 14 juin 1917

La Russie périt ! Est-il possible qu’un être humain raisonnable et pensant ne voie pas cet état de fait ? Personne de ceux qui ont quelque chose à dire ne parle plus de pays natal, de patrie, de Russie. Tout ceci n’existe plus. Il y a les prolétaires de tous les pays, l’Ukraine libre la Finlande, la Sibérie, la Crimée, le Caucase et environ vingt autres républiques autonomes. Mais il n’y a plus de Russie. Théoriquement l’union de toute cette organisation s’appelle Russie libre, mais personne ne sait où se trouvent la liberté et la Russie. Ce qui s’appelle République russe n’a ni président, ni Parlement, mais à leur place le Conseil des délégués des ouvriers et des soldats. Il n’y a pas de ministères responsables, à la place une administration qui se fait appeler gouvernement provisoire, c’est-à-dire une assemblée de gens qui n’ont pas de pouvoir, pas de force et pas non plus le savoir pour, conformément à leur nom, gouverner et exercer leur puissance. M. le ministre pour l’Éducation du peuple, le professeur Manuiov, en est un exemple excellent. Il a déjà accompli des réformes importantes et sages, qui ont mutilé toute l’orthographe de la langue russe. [Il s’agit là de l’introduction de la nouvelle orthographe russe simplifiée].

Le ministre de l’Armée et de la Marine Kerenski est une exception réjouissante; il s’est placé lui-même le 18 juin à la tête de l’assaut des soldats. Mais maintenant des rumeurs circulent selon lesquelles il aurait été touché dans le dos par une balle félonne et serait blessé ou mort.

Nous n’avons plus d’opinion publique, plus que les cris des bolcheviks et des léninistes. Il y a le grand peuple travailleur et tous ceux qui n’en font pas partie, c’est-à-dire les gens qui ne vivent pas exclusivement de leur travail manuel, sont des bourjoui. [Mot créé phonétiquement d’après bourgeois] qu’il faut persécuter, dépouiller et éliminer. Il n’y a presque plus d’armée, mais à sa place deux millions ou plus de déserteurs ; il n’y a pas de tribunaux, à leur place la justice de lynchage des masses ; il n’y a même plus une fraction de l’ordre qui existait sous l’ancien régime. Au lieu de cela c’est le règne de la provocation totale, de la décomposition, en un mot de l’anarchie. C’est là une faible description des circonstances actuelles ; elle ne rend pas un dixième de ce que nous vivons en ce moment. Les événements se précipitent avec une hâte vertigineuse ; et il s’écoulera à peine plus de quelques mois avant que nous ne tombions tous dans un abîme duquel nous ne sortirons plus.

Le pire de tout, l’irréparable, c’est que la Russie s’est à jamais couverte de ridicule devant le monde entier par cette maudite et folle politique de notre gouvernement actuel, celui des bolcheviks et des socialistes. Depuis déjà presque quatre mois on mène sur notre front des pourparlers de paix séparée. Durant tout ce temps, ils n’ont pas remué le petit doigt pour empêcher les Allemands de déplacer toutes leurs forces sur les fronts de nos alliés. Face à nos alliés, nous nous sommes comportés de façon ignoble et horrible. Nous ne les avons pas soutenus, nous les avons vendus et livrés aux Allemands ! Les maudits camarades exigent la conclusion d’une paix séparée, ils exigent une vérification de l’accord secret avec l’Angleterre et la France et le slogan Paix sans annexion ni contribution, qui a été adopté par le gouvernement provisoire et tous les hooligans russes, n’est pas non plus de nature à améliorer la renommée de la Russie.

Et tout ceci dans cette guerre à laquelle les gens étaient vraiment partis pour combattre et mourir pour la gloire et l’avenir de la Russie ! Il n’y aura rien à lire sur ce départ patriotique dans la future histoire de la Russie, on dira au contraire fièrement que la Russie était indifférente au soldat russe, qu’il avait fraternisé avec les Allemands pour que l’Internationale triomphe – c’est-à-dire par bêtise et lâcheté – et que sous le même prétexte il s’était enfui en courant des tranchées.

L’Histoire est impartiale : elle montrera au monde entier ce comportement ignominieux de la Russie et cet opprobre nous restera à jamais. Quel sens y a-t-il pour nous à survivre à cette époque, à être les témoins de cette honte qui retombe sur nous? Nous avons été élevés dans l’amour de la Russie; depuis notre enfance nous étions habitués à considérer le patriotisme et l’amour du pays natal comme un idéal élevé. Maintenant tout s’est effondré. La patrie que nous avions considérée comme grande a été déshonorée et piétinée dans la boue devant nos yeux ! Que ne donnerais-je pas pour sauver notre patrie, l’élever à une hauteur encore jamais atteinte et montrer au monde entier que la Russie vit encore, que son honneur et sa force n’ont pas péri sous les bottes sales des camarades.

Pour l’instant, nous ne pouvons rien faire d’autre que d’observer comment tout ce qui nous est sacré est traîné dans la boue, recouvert de crachats de graines de tournesol et souillé de mégots.

Bronitsa, le 6 juillet 1917

Je ne tiens plus mon Journal, car on ne peut écrire que si on se sent un peu plus calme, ce qui arrive maintenant très rarement. Depuis mes dernières notes, peu de temps s’est écoulé mais nous nous sommes bien approchés de l’abîme. Je crois qu’il n’y a pas dans toute l’Histoire du monde un deuxième exemple d’une traîtrise telle que celle que viennent de commettre notre armée du Sud-Ouest ou tout au moins quelques régiments, les VII° et XI° armées. Lorsqu’ils se sont trouvés sous le feu des Allemands, ils ont tout simplement pris la poudre d’escampette vers l’arrière-pays et ont abandonné leurs positions pourvues de tout leur équipement technique ; ils ont laissé à l’ennemi je ne sais combien de pièces d’artillerie, de dépôts de munitions et de ravitaillement, de divisions sanitaires et ainsi de suite. Ils ont abandonné Tarnopol, un des points stratégiques les plus importants de Galicie, qui était en notre possession depuis le début de la guerre. Les déserteurs courent comme un troupeau de bétail, laissent tout derrière eux et pillent la population. Ils arrêtent des trains, éjectent tous les voyageurs, entrent de force et suppriment tous ceux qui essaient de les arrêter ou de les raisonner. C’est un écroulement général.

Et, naturellement, les Allemands n’attendent pas ; ils avancent et poussent ce troupeau de traîtres devant eux. La patrie peut-elle encore être sauvée de cette catastrophe ? La peine de mort pour trahison réintroduite par Kornilov peut-elle encore aider à quelque chose ? Cela peut-il encore aider que Lénine se soit caché en Allemagne, que Zinoviev, Kamenev et d’autres types de ce genre aient été arrêtés ? Le changement au gouvernement provisoire et la victoire des cadets peuvent-ils encore aider ? Ou l’interdiction de la Pravda ? [Du 3 au 5 juillet, les bolcheviks firent une tentative de coup d’État réduite à néant par le gouvernement Kerenski. Lénine dut se cacher en Finlande.]

Non, camarades, trop tard ! Vous ne pouvez plus ramener ce qui existait, ressusciter ce qui est mort ! Vous ne pouvez plus faire d’un tas de traîtres et de déserteurs la grande armée russe courageuse ; vous n’en extirperez plus la propagande bolchevique; vous ne l’amènerez plus à reconnaître les officiers que vous avez déshonorés et traînés dans la boue ! Maintenant il est trop tard ! Vous ne pouvez plus, de paysans qui sont devenus des bandits sans scrupules, refaire les travailleurs honnêtes d’avant ! Là aussi les bolcheviks ont déjà allumé la mèche et dit aux paysans : Prends ce qui ne t’appartient pas, vole ce qui a été volé, tu es le seul homme qui ait le droit de vivre ; prends le domaine des autres et eux, pends-les et brûle-les !  Peut-on après des promesses aussi attrayantes redevenir un homme correct ? Un ouvrier, qui domine maintenant la Russie, passe tout son temps à des réunions et à des défilés armés et qui perçoit pour cette occupation de fortes sommes d’argent russe et allemand, peut-il vraiment redevenir un homme honnête et bon ? Un écolier peut-il étudier avec zèle quand on le persuade qu’il est inutile d’apprendre à lire et à écrire ? Un officier peut-il comme avant partager fraternellement toutes les difficultés avec les soldats, quand ces soldats ne cherchent qu’à le railler et à le tuer? Un propriétaire terrien peut-il comme avant honorer et apprécier les paysans quand ceux-ci ne pensent qu’à la meilleure façon de le dépouiller ou de lui montrer leur pouvoir par leurs brutalités et leurs coups de force ? Non, non et encore non! Camarades, vous pouvez être fiers de vous ! Vous avez réussi à réduire la Russie à néant avec toutes les lois de votre art socialiste ! Naturellement la question de savoir qui devra un jour construire une nouvelle Russie ne vous inquiète pas. Ce ne sera certainement pas vous, vous le pouvoir révolutionnaire, l’éruption révolutionnaire, la démocratie révolutionnaire, le peuple. Tout ce qui était révolutionnaire a déjà maintenant trouvé un champ d’action approprié. La révolution est en danger, sauvez la révolution, sauvez la liberté ! Non, et là vous pouvez me croire, il n’y a que vous-mêmes qui puissiez sauver la liberté et la révolution. Ne les avez-vous pas détruites vous-mêmes ? Pas une seule personne décente ne remuera le petit doigt pour sauver cette liberté et cette révolution. Avez-vous donc cru aux slogans du socialisme, brillant comme un feu d’artifice, que vous prêchiez ? Non, vous vous êtes seulement pris la liberté, la liberté d’être des crapules encore pires que celles que vous étiez avant, et la révolution vous l’avez utilisée pour vous adonner à vos vices et humeurs.

Si quelque chose sauve maintenant la Russie, ce sera la contre-révolution, la réaction contre laquelle vous mettez les citoyens en garde sans vous rendre compte que vous les mettez en garde contre vous-mêmes. Et quand commencera cette liberté nouvelle, éclatante et véritable, pour qui sera-t-elle là ? Ceux qui luttent pour elle laissent leur vie dans les réseaux de fils de fer barbelés ; ils meurent parce qu’ils essaient de retenir les déserteurs ; ils périssent des mains des traîtres et des meurtriers engagés. Ce sont des officiers, des enfants de ces bourjoui qui croyaient encore il y a quatre mois à la grande révolution russe et qui les ont envoyés défendre cette révolution dans l’armée. Maintenant l’armée est devenue internationaliste, les bourjoui des vampires, et leurs enfants les officiers, des martyrs.

Je n’ai pas écrit tout cela pour l’envoyer à un journal – la liberté de parole et la liberté de la presse n’existent qu’en théorie – mais seulement pour vider mon cœur empli de douleur. Cette douleur morale est parfois si grande que j’ai la sensation de ne pouvoir la supporter. Comment tout cela se terminera-t-il ?

Bronitsa, le 9 juillet 1917

Les Allemands avancent : apparemment ils ont pris Khotine et Kamenets. Nous fuyons dans un train sanitaire.

Bronitsa, le 19 juillet 1917

C’est redevenu plus calme. L’avance allemande s’est arrêtée, nous ne bougeons plus d’ici. On peut s’habituer à tout, aussi aux situations les plus folles. Ces deux dernières semaines ont été terribles : nous dûmes observer de près ce que nous craignions plus que l’occupation allemande – notre propre armée en déroute. L’armée n’est pas arrivée jusqu’à nous, seulement son rebut a fait son apparition : des régiments de réserve, célèbres pour leur manque de discipline, des détachements sanitaires, des trains. Moguilev a immédiatement pris l’aspect caractéristique d’une ville d’étape : l’état-major de la VIII° armée y fut évacué depuis Kamenets, ainsi qu’un détachement d’aviation, de nombreux détachements sanitaires, des hôpitaux militaires, des bases pour automobiles et ainsi de suite. Moguilev n’a jamais vu autant de circulation et de gens. Sur les routes de campagne se déplaçaient des trains, les entrepôts de pièces de rechange furent installés dans les villages. Là nous avons découvert le plaisir de vivre à l’arrière du front. Des bandes de soldats qui traînaient par là, pieds nus, en loques, arrogants, firent leur apparition dans notre parc et surtout dans le verger. Ces bandes devenaient de plus en plus grandes et, comme les sauterelles, détruisaient tout ce qu’elles trouvaient : fruits, légumes et ce qu’elles ne pouvaient pas manger ; des citrouilles de la taille du poing, des variétés hivernales de pommes et de poires furent arrachées ou piétinées. Ils pensaient que cela n’avait pas d’importance, les Allemands prendraient tout de toute façon. Chaque nuit ils essayaient de mettre les ruches en morceaux, mais ces attaques furent brillamment repoussées par notre milice volontaire qui se compose de nos deux vieux Lavron et Maxime, de Cyrille et du soldat Ivan Sundjuk. Mais une fois ils ne purent l’empêcher : une grande quantité de camarades détruisit deux ruches.

Ces jours-là, nous nous tenions dans la maison et n’en bougions pas. Quand Papa et André sortaient pour parler aux soldats qui réclamaient une fois du pain, puis à nouveau de l’alcool, ils avaient des revolvers dans leurs poches. Sous nos fenêtres flânaient des soldats avec des géraniums rouges de nos plates-bandes à leurs boutonnières.

Que faisions-nous enfermés chez nous dans des conditions pareilles ? Nous étions tous très calmes et très occupés. On faisait quantité de projets et on discutait beaucoup : faut-il partir, faut-il rester et attendre les Allemands comme les seuls à pouvoir mettre de l’ordre ? Depuis le début de l’avancée allemande, Papa a pris la résolution de ne pas partir, et Maman a dit qu’elle voulait rester auprès de lui. Nous autres ne pouvons pas rester. D’abord Papa et Maman voulaient que nous essayions de parvenir à Moscou ou Kiev. Mais dans les villes c’est le règne de la faim et de l’anarchie. La seule possibilité de rester dans les environs, pour pouvoir rentrer immédiatement quand tout se calmera, était de se faire admettre dans un détachement ou un convoi sanitaire et d’y rester jusqu’à ce que la situation s’éclaircisse.

Le chef du détachement sanitaire et le principal plénipotentiaire de la Croix-Rouge à la I° et à la VIII° armée se sont déclarés prêts à nous admettre. Papa est allé les voir à Moguilev et dans notre fabrique où ils ont leur quartier. Au cas où nous ne pourrions rester ici, nous serons immédiatement admis à la station d’évacuation de Moguilev : Tatiana et moi comme infirmières chargées des pansements, André comme aide du plénipotentiaire et Olga comme aide-infirmière.

Ces jours-là Maman, Olga et moi avons cousu des uniformes à toute vitesse. Tatiana et moi possédons encore nos robes des lointaines journées de l’hôpital Iekaterininski ; pour Olga, tout dut être fait à neuf. Anton Tschaïkovsky, un de nos prisonniers autrichiens, a très rapidement confectionné pour André une chemise d’uniforme et des pantalons. À cause de ces travaux urgents, j’ai complètement oublié les désagréments de ces journées.

Il y eut une journée où nous avons décidé à l’unanimité de disparaître le lendemain direction Moguilev. L’appartement que Papa y a loué est, il est vrai, à moitié occupé par des aviateurs, mais je crois que des gens honnêtes se serreraient certainement pour nous faire de la place. Cette journée fut pire que toutes les précédentes. Des soldats du 86° régiment de réserve cantonné à Bronitsa se promenaient en bandes sous nos fenêtres. Vers le soir, j’étais assise dans le coin préféré de ma chambre et étais justement en train de terminer un tablier lorsque j’entendis tout à coup un cri fort et des pleurs. C’était le grand-père Tanas, notre vieux gardien, qui racontait d’une voix désespérée : Ces maudits Moscovites sont arrivés à cheval et ont emporté du foin. Il criait et pleurait aussi fort que si cela avait été son propre foin. J’ai vu par la fenêtre une horde de soldats apparaître, charger imperturbablement le tas de foin sous le vinaigrier, puis se rendre plus loin dans le parc au prochain tas de foin. Toute cette soirée, d’obscures silhouettes en uniforme de soldat galopèrent en long et en large dans le parc et sur la place devant la terrasse. Le même jour apparut un groupe de soldats avec à sa tête le juif Podgaïts ; ils criaient quelque chose au sujet de Tatiana Nicolaïevna et montraient Waria qui se tenait assise près de la fenêtre.

Le jour venu, nous décidâmes que le lendemain nous rassemblerions l’essentiel pour vivre à Moguilev et déménagerions le jour même dans cette ville. Le lendemain quand nous eûmes tout terminé et, fatigués, tenions encore à peine sur nos jambes, on nous envoya six gardes cosaques tout à fait à l’improviste. Après ce qui s’est passé hier, je sais que cette garde nous a été plus funeste qu’utile, mais alors – c’était le 13 juillet – ils purent chasser les bandes de soldats qui traînaient par là et nous procurer une sorte de calme au moins pour un court laps de temps. Nos protecteurs nous ont amené involontairement de gros désagréments : ils ont arrêté le juif Podgaïts que la population indigène accuse d’être un provocateur. Nous confirmâmes qu’il conduisait les bandes de soldats dans notre parc, qu’il les avait persuadées d’arrêter notre Ivan parce qu’il était soi-disant un déserteur et qu’il avait commis beaucoup d’autres bassesses de ce genre. Podgaïts fut arrêté mais, malgré toutes les déclarations en sa défaveur, il fut relâché le lendemain. Comment aurait-on donc pu ne pas libérer le camarade Podgaïts, membre de divers comités et commissions, citoyen de la ville de Moguilev ? Est-ce que le fait que ce citoyen soit un provocateur, un voleur et un scélérat a donc un sens ?

Le 18 juillet août apparut chez nous un enseigne qui interrogea les témoins ; il s’en trouva beaucoup qui avaient vu le juif au travail. Mais ce n’était pas encore assez. Le lendemain vint un soldat, membre du comité de l’armée, accompagné du même enseigne, qui interrogea à nouveau les témoins. Pendant quatre heures, il nota leurs déclarations puis informa Papa qu’on allait l’inculper pour privation de liberté du citoyen Podgaïts qui est naturellement innocent. Les bourjoui sont coupables du fait qu’on leur ait envoyé six cosaques pour assurer au moins vaguement leur sécurité. Le camarade Podgaïts est pour le comité un fonctionnaire important du parti et M. le Prince quelqu’un qu’ils haïssent du fond de leur âme.

Nous étions tous très agités et effrayés par cette histoire. Maintenant c’est celui qui a le pouvoir qui a raison et il n’est pas de notre côté. L’issue de tout cela est tout à fait incertaine.

Catherine Sayne Wittgenstein. La fin de ma Russie. Journal 1914-1919. Phébus

18 06 1917     

L’offensive russe lancée par Kerenski, après quelques succès, va être rapidement stoppée, faute de matériel militaire. Les Allemands lanceront une contre-offensive le 7 juillet, et, en quelques semaines, feront reculer les Russes de 300 à 400 km.

24 06 1917   

Les Mamelles de Tirésias, de  Guillaume Apollinaire sont jouées au Conservatoire Renée-Maubel (l’actuel Théâtre Michel-Galabru)

Engagé le 5  décembre 1914, dans la Légion étrangère, – car il n’était pas français, mais russe – Guillaume Apollinaire  a été naturalisé le 9  mars 1916. Trépané le 9 mai après avoir reçu un éclat de shrapnel, le 17  mars 1916, alors qu’il lisait Le Mercure de France, dans une tranchée, au bois des Buttes, au nord de l’Aisne, il porte encore un bandeau qui masque sa cicatrice, qui va marquer la frontière, qui ne sera pas franchie, entre les insultes verbales et la franche bagarre. J’ai tant aimé les arts que je suis artilleur [l’époque était très indulgente envers ce genre de jeux de mots que plus personne n’oserait produire aujourd’hui]. La musique a été confiée à Germaine Albert-Birot, mais, faute de pouvoir réunir un orchestre, elle est interprétée au piano. Le décor et les costumes sont signés par le peintre Serge Férat, qui reprend des thèmes cubistes. Max Jacob se glisse dans le chœur, et Philippe Soupault dans le trou du souffleur. Annoncée pour 16 h 45, la représentation commence avec deux heures de retard, à cause de la cohue dans le théâtre, où les poulbots regardent entrer une faune excentrique et agitée. On s’y entassait comme les ingrédients d’une bombe, dira Cocteau. De fait, il y a autant de raffut dans la salle que sur la scène. Et plus de scandale qu’à la création de Parade par les Ballets russes de Serge Diaghilev, qui a eu lieu le 18  mai, au Théâtre du Châtelet.

Le jour de la création, le mot sur-réalisme ne fait pas débat. Deux clans s’opposent. Les contre, comme Jacques Vaché, reprochent bruyamment à l’auteur de rafistoler du romantisme avec du fil téléphonique. Les pour, comme Aragon, défendent avec autant d’ardeur un théâtre nouveau : Les Mamelles nous libèrent enfin du théâtre des boulevards.

26 06 1917  

Les premières troupes américaines débarquent à Saint Nazaire ; elles introduisent en France les pompes à essence, le rasoir mécanique démontable Gillette et… le slip qui va remplacer le caleçon. La Grèce entre en guerre aux cotés des Alliés, c’est le parti du premier ministre Venizelos qui a finalement emporté la décision, contre celui du roi Constantin, allemand de naissance et donc partisan de se battre aux cotés des Allemands.

06 1917            

Le gouvernement provisoire ne réussit ni à négocier l’avenir de la paix, ni à faire les réformes attendues par le peuple. La violence monte : dans les campagnes les saisies de propriétés se multiplient, tandis que dans les villes, des séquestrations d’administrateurs ou de patrons sont le fait de comités d’usine prenant en main la gestion de leur entreprise. À Kronstadt, éclate une sorte d’insurrection dont on peut craindre l’extension, tandis que, dans tout le pays, la désobéissance civile enfle. Sans parler d’une montée contre-révolutionnaire émanant de l’armée, et quelque peu soutenue par l’église orthodoxe.

C’est alors qu’est organisé le premier congrès panrusse des soviets, le 3  juin, à Petrograd, qui réunit des délégués de toute la Russie. Ces délégués ont été élus par 20 millions de personnes – dont plus de 5 millions d’ouvriers, 8 millions de soldats et 4 millions de paysans. C’est ainsi que 600 soviets sont représentés en juin à Petrograd ; il y en aura 1 500 au II° congrès en octobre. Les députés socialistes mencheviks sont 248, les bolcheviks 105, les autres socialistes 160. Les conciliateurs arrivent donc largement en tête, mais c’est trompeur. Ils voient bien que sur le terrain, le pays les suit de moins en moins, alors que le péril principal vient de la droite – l’état-major, l’église orthodoxe, la haute bourgeoisie.

Mais, c’est la gauche qui attaque, Lénine le premier, au nom des bolcheviks. Alors que le menchevik Tsereteli déclare que la situation est tellement grave qu’aucun parti n’exprime explicitement le désir de  prendre seul le pouvoir, Lénine répond : Un tel parti existe, le nôtre est prêt à prendre tout le pouvoir entre ses mains.  Des rires couvrent les applaudissements. Quelle conception Lénine a-t-il de la démocratie, socialiste ou non, pour prétendre au pouvoir avec 105 députés sur plus de 800 ? Lénine provoque une nouvelle vague de rires en déclarant que son parti arrêterait cinquante ou cent des plus gros millionnaires.

Alexandre Kerenski, chef de file des socialistes-populistes (modérés), alors ministre de la guerre, stigmatise Lénine et son programme, qui lui rappelle la révolution russe de 1905 ou même les premiers massacres en France en 1792 et la terreur qui suivit : Ces propos sont un enfantillage quand on sait que le capitalisme est international et qu’arrêter quelques-uns de ses membres ne changera rien. En outre, nous voulons garder intactes les conquêtes de la révolution pour que Lénine puisse encore parler ici sans avoir à craindre de fuir à nouveau à l’étranger.

Tandis que se poursuivent les débats, une surprise attend les députés. La Pravda, organe des bolcheviks, annonce une grande manifestation contre la politique gouvernementale. Annoncée pour le 10 juin, elle aura lieu le 18. Le but affiché est de démontrer que les conciliateurs ne tiennent plus la rue. Mais en fait, la principale crainte des bolcheviks est de voir surgir une contre-révolution menée par l’armée, essentiellement les officiers. Ces derniers se sont constitués en associations pour le retour à l’ancien ordre. Ils se disent républicains, tant le tsarisme est discrédité, mais ce qu’ils désirent, en réalité, c’est l’instauration d’un régime autoritaire placé sous leur contrôle. Le général Kornilov et l’amiral Koltchak sont pressentis pour tenir le rôle de chefs.

Dans une motion de début juin, les cadres de l’armée disent combien ils ne tolèrent plus la décomposition de leur corps qui tient, selon eux, à la disparition complète de l’esprit militaire, à la chute de la discipline, à l’annulation de l’autorité du chef, à la méfiance envers les officiers qui ne défendaient pas la formule la paix coûte que coûte. On doit aussi à l’armée quelques libelles mettant en cause les juifs. Mais surtout, sont jugées inadmissibles les mesures instaurées par la révolution en marche : l’élection des officiers et l’intervention des comités militaires.

Et puis il y a les fraternisations avec l’ennemi allemand à la veille d’une grande offensive promise aux alliés. Nous vous envoyons des saucisses de pain blanc, du cognac, envoyez des cigarettes. Tels ont été les premiers balbutiements d’une fraternisation entre Russes et Allemands. Sans idée derrière la tête –  une simple pause dans la guerre, reprise aussitôt. Ces moments de répit sont nés spontanément à l’initiative de comités de soldats qui entendent créer un climat de confraternité, en espérant qu’il s’amplifie, afin de conduire à la fin des opérations. Aucune violence n’a lieu au front en mai 1917, sauf lorsque des officiers interdisent ces fraternisations ou tirent sur des hommes qui se congratulent. Les bolcheviks soutiennent ces rapprochements avec l’ennemi, qui cessent dès que le soviet de Petrograd les interdit pour ne pas nuire aux négociations de paix en cours –  lesquelles seront sans suite.

Lorsque Kerenski choisit de devenir ministre de la guerre plutôt que premier ministre dans le gouvernement provisoire formé en avril, il croit qu’il sera plus utile au front qu’à l’arrière. Il sait que l’indiscipline y gagne du terrain, que les désertions augmentent et que la préparation d’une offensive est nécessaire. En juin, à Petrograd, au Congrès des délégués du front, il s’adresse, avant son départ au champ de bataille, aux troupes en présence, composées à la fois des officiers et de bolcheviks membres des comités de soldats. À ces derniers, qui, trois mois plus tôt se sont mutinés sur le front du sud-ouest, il fait ce reproche : Vous saviez tirer sur vos frères quand l’autocratie vous en donnait l’ordre, mais vous refusez de tirer quand c’est l’ennemi allemand qui envahit notre terre natale…

Ailleurs, entendant ce même discours, le bolchevik Krylenko se met à sangloter, et dit : Je m’étais prononcé contre l’offensive, mais si le camarade Kerenski m’en donne l’ordre, je partirai le premier au combat. Belle éloquence, mais la suite sera tout autre : l’offensive en Galicie, le 18 juin, échoue et provoque les soulèvements de juillet. Le 2 juillet, les faubourgs de Petrograd et de Kronstadt commencent à s’agiter. Et puis, pour ne pas arranger les choses, l’Ukraine a profité de la révolution pour se proclamer république autonome. Ce qui insupporte les ministres constitutionnels-démocrates russes, qui démissionnent pour protester contre l’accord passé par le  gouvernement avec la Rada, la  douma de Kiev.

Pendant ce temps, les manifestations de rue se multiplient, qui s’apparentent à une tentative d’insurrection. Elles sont animées par des anarchistes, tel Max Bleichman, qui trouvent face à eux des troupes fidèles au soviet et au gouvernement. Sur cette question, la  direction du parti bolchevique est divisée. Une bonne partie y est hostile, tels Kamenev, Zinoviev et Lénine. D’abord surpris que leurs mots d’ordre La paix, le pain, la terre ou Tout le pouvoir aux soviets incitent le peuple à battre le pavé, ils estiment surtout qu’elles surviennent trop tôt. Déjà, les bolcheviks jugeaient prématurées les  mutineries de soldats et celles des marins de Kronstadt.

C’est pourquoi la direction bolchevique refuse de saluer les cortèges qui défilent sous ses fenêtres. Ce qui provoque des réactions variables – en juin, le parti est jugé trop à gauche, en juillet, il est trop à droite. Souvent, les rassemblements dégénèrent. Les scènes de violence se multiplient entre le 3 et le 7 juillet. Le 3 juillet, les troupes loyalistes font 40 morts et plus de 80 blessés sur la perspective Nevski. Un autre jour, des manifestants commencent à lyncher Tchernov, le ministre de l’agriculture à qui on reproche de ne pas avoir pris le pouvoir ; Trotski réussit à s’interposer, lui sauvant la vie.

L’échec de la tentative d’insurrection donne au gouvernement l’opportunité de lancer la chasse aux bolcheviks. Pour rallier les indécis, le ministre de la justice Perevercev rend publics des documents montrant que Lénine est un agent allemand, ajoutant que son retour au pays depuis la Suisse, dans un train plombé, n’a pu se faire qu’avec l’aide de l’ennemi.

Une trentaine d’autres Russes se trouvaient avec Lénine dans ce train qui bénéficiait de l’exterritorialité. Il est vrai que le retour de ces militants bolcheviques ne pouvait qu’ajouter au désordre en  Russie, et donc bénéficier à l’Allemagne. Toujours est-il que l’accusation d’intelligence avec l’ennemi provoque un vaste mouvement d’opprobre contre les bolcheviks : au lendemain des journées de juillet, les arrestations se multiplient, notamment celles de Zinoviev, Kamenev et Lénine. Ce dernier, paniqué, arrive néanmoins à s’enfuir en se maquillant, puis à se cacher en Finlande.

La répression est impitoyable. J’avais été enfin libre de jouer le sauveur des soviets, commentera plus tard le général Polovcev. Le prince Gueorgui Lvov, lui, quitte la direction du gouvernement provisoire. Alexandre Kerenski le remplace, dont le prestige n’est pas entaché par des événements. Il n’a pas versé dans l’antibolchévisme sommaire des dirigeants mencheviks. Le grand vainqueur de cet épisode désordonné et sanglant, c’est bien lui, Kerenski, qui devient en juillet premier ministre du gouvernement provisoire.

Résumé de Marc Ferro. Le Monde  juillet 2017

Création aux côtés de l’armée française d’une armée polonaise, dite l‘armée bleue pour la couleur de ses uniformes, forte de 70 000 hommes dont 6 000 français ;  les soldats sont des polonais immigrés venue des États-Unis, du Canada, mais aussi des prisonniers de guerre venus des Empires Centraux au sein desquels ils ont combattu. À la fin de la guerre, elle comptera 100 000 hommes ; elle est, lors de sa création, commandée par un Français, le général Archinard. Elle passe sous commandement polonais avec le général Haller en octobre 1918. Les Français qu’elle compte dans ses rangs doivent, aux termes des accords passés avec la Pologne en janvier et février 1919, aider l’État polonais à se constituer librement à l’abri des interventions extérieures ennemies qui pourraient se produire sur ses frontières. Cette armée rejoindra la Pologne en 1919-1920 lors de sa guerre contre la Russie. Dans le même temps, une mission militaire strictement française (MMF) dirigée par le général Henrys s’installe à Varsovie.

3 et 4 07 1917  

Des régiments de Petrograd, craignant d’être envoyés sur le front, décident de préparer une insurrection. Les marins de Kronstadt et des militants ouvriers se portent vers le palais de Tauride pour demandant au soviet d’assurer le pouvoir, en vain. L’armée disperse les manifestants, faisant 50 morts. Trotski et Kamenev, dirigeants bolcheviques, sont arrêtés ; Lénine, accusé d’être un agent du Kaiser, s’enfuie en Finlande en compagnie de Zinoviev. La peine de mort est rétablie sur le front. Le prince Lvov charge Kerenski de réorganiser le gouvernement. De tout ce remue-ménage émerge un homme, qui gagne tous les jours en influence : Kornilov, commandant jusqu’alors du front sud-ouest, qui est promu généralissime. La peine de mort est rétablie sur le front, les meetings sont interdits, les déserteurs repris sont traduits immédiatement devant une cour martiale, les comités de soldats voient leurs compétences restreintes et la propagande bolchevique est interdite : toutes ces mesures vont accélérer ce que le général Broussilov nommera le bolchevisme de tranchées :

Les soldats voulaient la paix, pour pouvoir rentrer chez eux, régler leurs comptes aux propriétaires fonciers, vivre librement sans payer d’impôts, sans avoir à se soumettre à quelque autorité que ce soit. Les soldats se tournèrent peu à peu vers les bolcheviks, parce qu’ils pensaient que tel était leur programme. Ils n’avaient pas la moindre idée de ce qu’était le communisme, l’internationale ou la division en classes. Par contre, ils s’imaginaient parfaitement de retour chez eux, ayant partagé toutes les terres, ayant fait disparaître tous les propriétaires fonciers, n’ayant plus ni devoirs ni obligations devant l’État, la nation. Cette liberté sans entraves, cette liberté anarchique, voilà ce qu’était pour eux le bolchevisme, fondé sur trois exigences majeures la paix, la terre, la liberté : mir, zemlia, volia.

4 07 1917    

En présence du général Pershing, chef du corps expéditionnaire américain, le colonel Charles Stanton, chief paymaster [payeur aux armées], se rend à l’occasion de l’Independance Day au cimetière de Picpus sur la tombe de La Fayette : La Fayette, here we are. C’était une façon pour le gouvernement américain de récupérer le cours des événements, mais les jeunes américains qui s’étaient engagées aux cotés des Français dès août 1914, n’avaient pas attendu l’engagement officiel des États-Unis dans la guerre de même que La Fayette n’avait pas attendu un accord du roi pour se rendre aux cotés de Washington. À la fin de la guerre, en remerciements, la France créera le Grand Prix d’Amérique : ma foi, ça ne coûte pas cher, et en plus, ça peut rapporter gros.

6 07 1917  

Fayçal d’Arabie, fils d’Hussein et Lawrence prennent Aqaba, le port le plus nord de la Mer Rouge aux Turcs et aux Allemands, après mille kilomètres d’embuscades et de guérilla dans le désert.

27 07 1917 

Les pupilles de la nation sont pris en charge par l’État.

9 08 1917  

Les industriels français du nord et de l’est, chassés par la guerre, inaugurent un haut-fourneau à Colombelles, dans le Calvados.

14 08 1917

La Chine entre dans la guerre mondiale aux côtés des Alliés.

16 08 1917  

Le général Pétain délivre à l’escadrille américaine sa première citation à l’ordre de l’armée : Escadrille composée de volontaires américains venus se battre pour la France, avec le plus pur esprit de sacrifice. A mené sans cesse sous le commandement du Capitaine Thénault qui l’a formée, une lutte ardente contre nos ennemis. A soulevé l’admiration profonde des chefs qui l’ont eue sous leurs ordres et des escadrilles françaises qui, combattant à ses côtés, ont voulu rivaliser avec elle. Dans des combats très durs et au prix de pertes graves qui, loin de l’affaiblir, exaltaient son moral, a abattu 28 avions ennemis homologués.

26 08 1917

Appuyé par le corps des officiers et les conservateurs, le général Kornilov exige un remaniement ministériel. Kerenski le démet. Kornilov marche sur Petrograd, où les bolcheviks parviennent à le neutraliser. Il est arrêté au bout de deux jours – un cœur de lion, mais une cervelle de mouton – lâchera le général Alexeïev. Mais Kerenski pour avoir eu besoin de l’aide des bolcheviks, s’est affaibli. Le corps des officiers perd de son autorité, les soldats sont de plus en plus nombreux à participer aux soviets et les désertions s’amplifient sur le front.

Sans le putsch de Kornilov, il n’y aurait pas eu de Lénine.

Kerenski

Le parti bolchevique compte alors moins de 200 0000 membres.

29 08 1917   

Après avoir exploré dans l’extrême nord du Groenland la zone entre les fjords Saint Georges et de Long, l’expédition dirigée par le grand explorateur Knud Rasmussen est de retour dans de très dures conditions, mais la terre l’Inglefield, où l’on sait pouvoir trouver nourriture et repos est proche. Le dernier chien a été mangé cinq jours plus tôt, un homme est mort un mois auparavant. Le 25 août, la lenteur de progression de Wulff a incité Rasmussen à partir chercher des secours en compagnie d’un esquimau à marche forcée, – il va faire 100 kilomètres en deux jours – en laissant derrière les quatre autres hommes progresser à leur allure, munis de 2 fusils, 80 cartouches et 40 balles. Mais Thorild Wulff, naturaliste suédois, est à bout ; il ne peut plus se nourrir, ne supportant pas l’odeur du lièvre, seul gibier disponible sans grand effort ; il se couche sur un lit de pierre pour ne plus se relever. Il écrit quelques courriers d’adieu. Les trois hommes restants l’abandonnent pour rester en vie. Rasmussen n’apprendra la mort de Wulff que le 10 septembre à Etah.

Mon cher Knud, La faim continuelle et les efforts de l’été et l’absence presque totale de nourriture dans les derniers jours ont maintenant amoindri mes forces physiques à un point tel que, même en mobilisant toute ma force de volonté, je ne suis plus en mesure de suivre Koch et les Esquimaux. Comme leur salut dépend d’une marche aussi rapide que possible vers de meilleurs terrains de chasse, je ne suis qu’une charge pour le groupe si je dois continuer à me traîner. Avec une sérénité parfaite, je vous dis adieu et je vous remercie de la bonne camaraderie pendant l’expédition et j’espère que vous pourrez vous sauver vous-même et mes résultats. […] Nord Groenland 29/08/1917

Cette introduction de la lettre à Knud Rasmussen, dictée à Lauge Koch est écrite en danois. La dernière ligne seulement est de la main même de Wulff, en suédois : Salut vieil ami. Thorild Wulff.

7 09 1917 

Köbis et Reichpietsch, deux marins allemands sont fusillés. Le 2 août ils avaient pris la parole lors d’une manifestation de soutien à des marins qui avaient protesté la veille contre leurs conditions de vie à Wilhemshaven. Könis, marqué par les idées progressistes, n’était affilié à aucun parti, et Reichpietsch avait adhéré au Parti socialiste indépendant.

11 09 1917  

Georges Guynemer a 23 ans : il a déjà 54 victoires à son actif, aux commandes de son Spad construit par Louis Blériot et commande l’escadrille des Cigognes. Il s’envole de Malo les Bains, pour la dernière fois : il est abattu au-dessus de la forêt de l’Halthust, près de Poerkapelle, en Belgique. Il va très vite devenir le héros de l’aviation française ; l’École de l’Air reprendra sa devise : Faire face.

7 10 1917   

Kerenski a convoqué une Convention démocratique qui a approuvé la création d’un organe permanent, le Conseil de la République. Dès la première séance, Trotski, président du soviet de Petrograd, dénonce cette nouvelle Douma et les représentants bolcheviques quittent la séance. Déguisé en marin, Lénine rentre clandestinement à Petrograd, condamnant sans cesse le légalisme révolutionnaire. Huit jours plus tard, le projet d’insurrection pouvait être mis à l’ordre du jour des soviets : les oppositions de Zinoviev et de Kamenev cèdent devant l’autorité croissante de Lénine. Dans les campagnes, la désagrégation de l’armée tsariste et une immense jacquerie avaient crée dès septembre une situation révolutionnaire : des milliers de grands domaines avaient été saccagés et il y eut un formidable nivellement économique et social : chaque famille paysanne reçut 2 hectares de terres cultivables. Les plus aisés, qui exploitaient avant 1917 une dizaine d’hectares, furent contraints de rétrocéder une partie de leur terres : c’était le partage noir, dont avaient rêvé des générations de paysans.

14 10 1917

Carlos Gardel, né Charles Gardes à Toulouse, exprime à travers le tango le mal d’amour de l’homme : cela se passe à Buenos Aires.

15 10 1917    

Mata Hari est fusillée dans les fossés du château de Vincennes pour espionnage pour le compte des Allemands. Le courage ne lui fait pas défaut : elle refuse qu’on lui bande les yeux. Margaretha Geertruida Zelle était née en 1876 à Leeuwarden, capitale de la Frise, au nord des Pays Bas. L’envoûteuse ne fût qu’une bien piètre espionne, très probablement victime d’un procès truqué, sans preuve aucune. La seule certitude, c’est qu’elle ne fourgua aux Allemands que des tuyaux percés. Elle avait commencé par épouser un officier hollandais en poste en Indonésie, où elle avait repéré le nom de Mata Hari qui, en indonésien, signifie œil du jour – le soleil -. Veuve d’un second mari, toujours militaire, elle était montée à Paris en 1904 et, dès le 13 mars 1905, en une seule soirée, elle en devint la coqueluche, dans une séance d’effeuillage au musée Guimet : il s’agit d’une danse sacrée vouée à Shiva faisait-elle annoncer !

Elle ne dansait guère mais elle savait se dévêtir progressivement et mouvoir un long corps bistre, mince et fier… Elle arrivait presque nue à ses récitals, dansant vaguement avec des yeux baissés et disparaissait, enveloppée dans ses voiles…

Colette. Le Figaro

En Mata Hari, tout est factice. Elle a vécu et a péri cachée derrière son double : une Hollandaise que l’on prend pour une hindoue, une créature plutôt laide adorée comme une beauté, une danseuse sacrée qui ne sait pas danser (…), une espionne maladroite tenue absurdement pour le
meilleur agent de l’Allemagne en guerre. 

Fred Kupferman. Le Monde du 8 février 1982

Pareille personnage ne pourra qu’intéresser le cinéma : un film de 1931 de George Fitzmaurice avec Greta Garbo, Ramon Novarro. Un autre de Jean-Louis Richard et François Truffaut en 1964, avec Jeanne Moreau, Jean-Louis Trintignant, Claude Rich, Jean-Pierre Léaud, Marie Dubois, musique de George Delerue. Un téléfilm en 2002 d’Alain Tasma, avec Maruschka Detmers, Bernard Giraudeau, Michel Aumont.

Création de l’agence Havas.

24 10 1917 

Les Austro Hongrois et les Allemands commandés par le général von Below attaquent les Italiens du général Cardona près de Caporetto : la déroute italienne est totale, faite plus de défections que de combats perdus : 31 000 morts, 15 000 canons abandonnés à l’adversaire, 300 000 prisonniers et autant de désertions. Le général Cardona sera limogé. Caporetto est aujourd’hui le village de Kobarid, en Slovénie, au nord est d’Udine. Sur toute la durée de la guerre, 750 hommes, déserteurs, mutinés, insoumis, furent fusillés.

Il existe deux lois, que, selon les manuels de guerre, toute manœuvre d’attaque devait respecter. La première était vieille comme l’art de la guerre et disait que pour vaincre il faut conquérir les sommets, les points à partir desquels on peut dominer le terrain. Au-delà d’un principe stratégique, c’était une catégorie mentale, symbolisée par les milliers de citadelles qui, partout dans le monde, placent le pouvoir dans les positions élevées, là où il est possible de contrôler tous les mouvements humains. La seconde règle, d’une logique incontestable, insistait sur la nécessité d’avancer en formation compacte, avec une ligne de front le plus large possible, pour ne pas risquer de perdre à l’avant des contingents de troupes isolées qui, s’étant détachés du gros de l’armée, se retrouveraient d’abord trop éloignées du ravitaillement et, ensuite, inexorablement encerclées. Géométriquement, un raisonnement inattaquable. Ces règles-là, les Allemands les connaissaient parfaitement. On peut même dire qu’ils avaient largement contribué à les fonder. Le 24 octobre 1917, ils attaquèrent en s’appuyant sur une stratégie qu’on pouvait définir comme suit : les règles étant celles-ci, faire l’inverse. Négligeant les sommets, ils avancèrent au fond de la vallée, là où les défenses étaient plus distraites et plus molles. Et ils le firent avec de petits détachements d’assaut, auxquels avait été donné l’ordre inconcevable, d’enfoncer les lignes ennemies puis de ne jamais s’arrêter, perdant ainsi tout contact avec le gros de l’armée et décidant de leurs propres mouvements et de leurs actions de manière autonome. L’idée était de pénétrer à l’intérieur des lignes ennemies comme des termites qui, ayant choisi comme point d’entrée celui où le bois était le plus mou, creuseraient ensuite leur chemin à l’intérieur du déploiement ennemi jusqu’à ce que les sommets, sans même avoir été conquis, tombent d’eux-mêmes. Et ce fût exactement ce qui arriva.

Alessandro Baricco. Cette histoire-là. Gallimard 2007

Grande Guerra, Pillola 117: Caporetto, la sconfitta e la disfatta ...

Caporetto: la più grande sconfitta mai subita dall'esercito italiano

La déroute de Caporetto ne sera pas décisive. Les Italiens redresseront la tête, aidés des Français et des Anglais devant les Autrichiens à partir du 9 novembre sur le Piave. Le général Diaz remplace le général Cardona tandis que le nouveau président du conseil, Orlando, se bat contre les défaitistes. Les mutineries dans l’armée autrichienne et dans la marine, les coups des nationalités révoltées accéléreront la dislocation de l’empire d’Autriche-Hongrie : le 29 octobre 1918, les Italiens reprennent Vittorio Veneto. L’armistice sera signé le 3 novembre 1918 à la Villa Giusti, dans les environs de Padoue. La paix était payée au prix fort : le fascisme n’aura plus qu’à exploiter les désordres et déséquilibres entraînés par cette amère victoire.

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[1] Contrairement à ce que fait apparaître cette élection, menchevik signifie minoritaire et bolchevik majoritaire : la réalité va vite se mettre à l’unisson du sens des mots.