25 mai 1944 au 11 novembre 1944. Villes de France bombardées. D day : débarquement allié en Normandie. Fin du gouvernement de Vichy. 23780
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Publié par (l.peltier) le 5 septembre 2008 En savoir plus

25 05 1944 

Les Anglais n’ont de cesse de tromper les Allemands : et si on leur faisait croire que Montgomery a quitté l’Angleterre, ils en concluraient qu’un débarquement sur les côtes françaises n’est pas possible en son absence. Aussitôt dit, aussitôt fait : la principale qualité de l’acteur notoirement méconnu qu’est M.E. Clipton Jones est de ressembler comme deux gouttes d’eau à Montgomery ; après un rapide apprentissage, il décolle pour Gibraltar… juste en face d’Algésiras où les Allemands ont un bel observatoire de tout ce qui se passe sur l’aéroport de Gibraltar. À sa descente d’avion, il ne reste plus qu’au sosie de Montgomery qu’à passer, bien lentement, les troupes en revue… et le tour est joué.

26 05 1944    

Bombardements de Lyon, Nice, St Étienne, Chambéry, Marseille, Rouen… : 25 villes auront été touchées, faisant 5 407 morts, dont 1 000 à Saint Etienne, 119 à Chambéry. Les bombardements de Rouen dureront jusqu’au 4 juin.

Mais la préparation du débarquement ne se limitera pas à des bombardements : l’intox y prendra une bonne part : depuis plus d’un an, la LCS avait lancé la fabrication d’une armée … en bois, avant qu’un américain, se souvenant des parades de Broadway, suggère de les faire en caoutchouc : on aura ainsi des chars que quatre hommes peuvent soulever sans difficulté, et le Fusag – fort de 25 divisions -, sera disposé dans le Kent, pour faire croire à l’imminence d’un débarquement dans le Pas de Calais. Coté allemand, seul le général von Runstedt avait deviné tout cela, mais il ne fit pas le poids devant Hitler face à la concentration d’informations disant le contraire : et ainsi deux des meilleures divisions Panzer SS et la XV° armée allemande, la plus redoutable, restèrent cantonnées dans le Nord et le Pas de Calais. On fait de même en Écosse, de façon à faire croire aussi à un débarquement en Norvège, ce qui permettra d’y fixer 400 000 soldats allemands.

L’espion double Arabel, de nationalité espagnole – Joan Pujol Garcia de son vrai nom -, avait lui aussi activement participé à cette guerre de l’intox : les Allemands pour lesquels il était Alaric Arabel, pensaient l’avoir de leur côté quand en fait il travaillait pour les Alliés, pour lesquels il était Garbo. Il avait informé les Allemands, volontairement trop tard, du débarquement, dans la nuit du 5 au 6 juin, leur disant qu’en fait il ne s’agissait que d’un leurre, et que le vrai débarquement allait avoir lieu dans le Pas de Calais, ce qui avait conforté Hitler dans son choix d’y maintenir 7 divisions. Les Allemands ne découvrirent jamais son rôle exact, le décorant de la Croix de fer en juillet 1944, les Anglais le décorèrent de l’Ordre de l’Empire Britannique le 25 novembre 1944. Plus tard, dans sa librairie la Casa del regalo à Lagullinas, au Venezuela, quand la nostalgie le gagnera, il mettra côte à côte les deux décorations, bien en vue et se saoulera devant elles avec un cognac français.

05 1944     

Le  Daily Telegraph publie des mots croisés où apparaissent les mots Utah, Omaha, Overlord, autant de noms choisis pour les plages du débarquement, six jours plus tard : personne ne saura jamais où cela a bien pu fuiter.

3 06 1944                    

Les Alliés ont attendu le dernier moment pour avertir de Gaulle de l’imminence du débarquement : il le prend mal, et Churchill se fâche, une première fois : De Gaulle must go !, puis une autre en face à face : Sachez le, général ! chaque fois qu’il nous faudra choisir entre l’Europe et le Grand Large, nous serons toujours pour le Grand Large. Chaque fois qu’il me faudra choisir entre vous et Roosevelt,  je choisirai Roosevelt.

Proclamation du GRPF – Gouvernement Provisoire de la République Française -. Hitler s’octroie un peu de repos dans son nid d’aigle pour fêter le mariage de la sœur d’Eva Braun.

photos historiques rares 22

Eva Braun

4 06 1944         

Les cheminots français provoquent 834 déraillements, mettent hors d’usage 6 000 locomotives, et perdent 2 000 des leurs. La 27° division allemande quitte Redon en train : elle n’arrivera à Saint Lô que le 11 juin.

Après avoir forcé le front à la bataille de Monte Cassino, le corps expéditionnaire français – quatre divisions comptant au total 112 000 hommes – commandé par les généraux Juin et de Monsabert aboutit à la libération de Rome où entre le général Mark Clark : […] la colonne s’engageait dans la Via dell’Impero : et, tandis que tourné vers le général Cork, je tendais la main vers le Forum et le Capitole en criant : Voici le Capitole ! une clameur terrible me coupa la parole. Une immense foule de femmes se ruait, en hurlant, à notre rencontre par la Via dell’Impero : elles semblaient se jeter à l’assaut de notre colonne. Elles couraient, échevelées, délirantes, agitant les bras, riant, pleurant, criant : en un instant nous fûmes entourés, assaillis, débordés, et la colonne disparût sous un amas inextricable de jambes et de bras, sous une forêt de cheveux noirs, sous une tendre montagne de seins, de hanches charnues, d’épaules blanches. [Comme d’habitude, dit le lendemain, au cours de son sermon, le jeune curé de l’église de Sainte Catherine, sur le Corso d’Italie, comme d’habitude la propagande fasciste mentait, quand elle annonçait que l’armée américaine, si elle entrait dans Rome, attaquerait nos femmes : ce sont nos femmes qui ont attaqué, et défait, l’armée américaine] Et le bruit des moteurs et des chenilles s’éteignit dans les hurlements de cette foule en délire.

Curzio Malaparte. La Peau. Denoël 1949

Ensuite, le général Juin aura besoin d’un mois pour gagner Sienne : pour que ses hommes y arrivent sur leurs deux jambes et non unijambistes, voire cul-de-jatte, il lui faudra se mettre au pas des démineurs, en avant des premières troupes : l’itinéraire était truffé de mines, et un démineur, ça avance lentement, très lentement, la peur au ventre, la sueur au front, le geste méticuleux du chirurgien ; une mine désamorcée, et c’est le ouf de soulagement, vite étouffé par l’angoisse de la prochaine.

Le CEF – Corps Expéditionnaire Français – composé à 60 % de nord-africains, sera accusé essentiellement par l’Italie de viols et de pillages.

Donner des statistiques fiables est d’autant plus difficile que les victimes éprouvaient de la honte à en parler, pour des raisons intimes et en raison culture locale marquée par une culture masculine et machiste dominante, tendant à culpabiliser les victimes des viols et leur imposant le silence sur les méfaits subisLa France après-guerre acceptera de dédommager 2 000 victimes et 20 000 cas de pillage. Selon l’historienne Julie Le Gac, vu la réticence des femmes italiennes à porter plainte, le chiffre devait être plus proche des 4 000 à 5 000 viols, le chiffre de 60 000 avancé par les autorités italiennes semblant être exagérément gonflé comme élément de négociation. […] Le général Juin condamnera ces violences tout en les minimisant mais face aux protestations des Américains, il ordonnera que soit fusillé tout soldat pris sur le fait, ce qui conduira selon Julie Le Gac à quelques dizaines d’exécutions sommaires avant que la justice militaire, reprenant les choses en main, ne prononce 185 condamnations pour violences sexuelles mais dont une seule exécution car le viol avait été suivi du meurtre de la victime.

Wikipedia

5 06 1944   

Dwight Eisenhower, [1] le général américain commandant l’opération Overlord [souverain] s’adresse à l’ensemble des forces, et sa déclaration donne encore lieu à une colère de de Gaulle, mais difficile d’y changer quoi que ce soit quand la dite proclamation a déjà été tirée à 40 millions d’exemplaires ! Ceci dit, il reste essentiel de dire qu’Eisenhower aura toujours soutenu de Gaulle et continuera à le faire jusqu’à la victoire – c’est lui qui inclura la 2° D.B. dans les troupes du débarquement, c’est encore lui laissera la même 2°DB libérer Paris -. Tous les autres décideurs américains – Roosevelt en tête – l’auraient avec plaisir mis dans un placard.

Le jour du débarquement avait été initialement fixé au 1° mai 1944, puis reporté au 1° juin, puis au 4, puis au 5 : la météo alors trop mauvaise pour permettre un soutien aérien avait encore entraîné son report au lendemain ; cela correspondait au congé qu’avait pris Rommel pour fêter l’anniversaire de son épouse à Heerlingen : il avait quitté son QG de la Roche-Guyon le 4 juin et avait interrompu sa permission pour y être de retour le 6 au soir, même s’il pensait que la tempête ne permettrait pas un débarquement. Une partie de l’armada avait déjà largué les amarres, et 138 navires ne reçurent pas l’ordre d’annulation : un hydravion les rattrapera pour leur dire : go home.

Soldats, Marins et Aviateurs des Forces expéditionnaires alliées !

Vous êtes sur le point de vous embarquer pour la Grande Croisade vers laquelle ont tendu tous nos efforts pendant de longs mois. Les yeux du monde sont fixés sur vous. Les espoirs, les prières de tous les peuples épris de liberté vous accompagnent. Avec nos valeureux Alliés et nos frères d’armes des autres fronts, vous détruirez la machine de guerre allemande, vous anéantirez le joug de la tyrannie que les Nazis exercent sur les peuples d’Europe et vous apporterez la sécurité dans le monde libre.

Votre tâche ne sera pas facile. Votre ennemi est bien entraîné, bien équipé et dur au combat. Il luttera sauvagement.

Mais nous sommes en 1944 ! Beaucoup de choses ont changé depuis le triomphe nazi des années 1940-41. Les Nations unies ont infligé de grandes défaites aux Allemands, dans des combats d’homme à homme. Notre offensive aérienne a sérieusement diminué leur capacité à faire la guerre sur terre et dans les airs. Notre effort de guerre nous a donné une supériorité écrasante en armes et munitions, et a mis à notre disposition d’importantes réserves d’hommes bien entraînés. La fortune de la bataille a tourné ! Les hommes libres du monde marchent ensemble vers la Victoire !

J’ai totalement confiance en votre courage, votre dévouement et votre compétence dans la bataille. Nous n’accepterons que la Victoire totale !

Bonne chance ! Implorons la bénédiction du Tout-Puissant sur cette grande et noble entreprise.

Le soir, la BBC diffuse les vers de Verlaine, qui annoncent l’imminence du Débarquement :

Les sanglots longs des violons de l’automne
Blessent mon cœur d’une langueur monotone

À Tourcoing, le colonel allemand Helmut Meyer, qui a déjà entendu les jours précédents le premier vers entend maintenant le second : il sait que le jour du débarquement est imminent, mais il ne sait pas où.  Le code avait déjà été utilisé auparavant par un réseau de résistance démantelé par les Allemands. Tous les messages utilisés par ce réseau avaient été bannis par les Alliés, sauf le message Verlaine.

Pendant ce temps-là, dans le spacieux appartement, noblesse littéraire oblige, où Hugo avait jadis logé Juliette Drouet [14, rue Sainte Anastase, dans le 3° ndlr], Charles Dullin et Simone Jolivet, aidés par Sartre et Simone de Beauvoir ont vu large pour une grandiose fiesta : le salon est noyé de fleurs, les murs – parés de guirlandes et de rubans, le buffet est à rendre jaloux les meilleurs traiteurs, et le vin coule à flots. Écrivains, éditeurs, comédiens et ce couple le plus en vue : Camus et sa passion du jour, Maria Casarès qui joue dans son Malentendu au théâtre des Mathurins.

Andreï Makine. Le pays du lieutenant Schreiber. Grasset 2014

Pour faire court, Léon Bloy parlait du Putanat. L’affaire n’est pas nouvelle : en pleine première guerre mondiale – mai 1917 – Diaghilev avait rameuté le tout Paris pour sa Parade. Et, soixante quinze ans plus tard, en pleine pandémie de Covid 19, on verra à Marseille une boîte de nuit avec 200 personnes serrées collées, un mariage avec 600 personnes, un carnaval avec 6 500 personnes, pour une fois non masquées. Et, pour cette fiesta, il ne peut s’agir de fêter le débarquement du lendemain, puisque personne n’en savait rien, de Gaulle le premier !

6 06 1944 

Jour J : Opération Overlord : débarquement allié sur les plages de Normandie.

 

Apuntes profesionales, de Carlos Alberto SANTOSTEFANO: BATALLA DE ...

Escort Carrier Photo Index: USS OMMANEY BAY (CVE-79)

 

00 : 05 Bombardement des positions allemandes entre Le Havre et Cherbourg
00 : 15  Largage des pathfinders, les parachutistes chargés des balisages des zones de saut et destruction de voie ferrée par la Résistance.
00 : 20 Atterrissage des planeurs britanniques sur le canal de Caen à la mer
01 : 00 Largage des parachutistes des divisions aéroportées
03 : 20 Atterrissage des planeurs avec le matériel lourd des divisions aéroportées
06 : 00 Début du bombardement naval de la côte normande
06 : 30 Heure H, débarquement sur les plages américaines
07 : 30 Heure H+1, débarquement sur les plages britanniques et canadiennes

Mais quel est donc l’andouille qui a mis les 4 saisons de Vivaldi sur ces images ?  Heureusement, on peut couper le son.

En 1962, on verra sur les écrans Le jour le plus long de Darryl Zanuck.

Le Jour le plus long (1962) de Ken Annakin, Andrew Marton et Bernhard ...

 

1 213 bateaux de guerre, 736 navires de soutien, 864 cargos et 4 126 engins et péniches partis de Portsmouth débarquent 20 000 véhicules et 156 000 hommes sur les plages de Normandie,  regroupées en 5 zones entre Saint Martin de Varreville, dans le Cotentin à l’ouest et Ouisthreham sur l’embouchure de l’Orne à l’est. 17 000 parachutés, 56 000 débarqués sur Utah et Omaha et 83 000 débarqués sur le secteur anglo-canadien. Le gros des troupes est britannique et canadien – 72 000 hommes -, et américain – 57 000 hommes -. Quelques Français parmi eux, dès le premier jour : les 177 hommes [2] que commandait le capitaine de corvette Philippe Kieffer, de mère anglaise : entraînés dans les Highlands d’Écosse au milieu des commandos britanniques, ils eurent pour objectif le Casino d’Ouistreham : 11 furent tués sur la plage. Contrairement à ceux de la 2° DB de Leclerc, tous ces hommes parlaient couramment anglais : cela facilite la communication, bien sûr ! Le succès de l’opération sera chèrement payé : 4 900 morts, noyés ou tombés sous les balles sur les plages elles-mêmes, et autant dans les combats au-delà des plages. 12 000 avions sont engagés afin d’assurer le soutien du débarquement, dont un millier transportant les parachutistes. 5 000 tonnes de bombes sont larguées sur les côtes normandes. Les combats aériens des semaines précédentes avaient très gravement touché l’aviation allemande, qui ne disposait plus, ce 6 juin 1944 que d’une centaine de chasseurs. Les opérations de débarquement se poursuivront pendant encore plusieurs semaines. 156 000 hommes, c’est l’effectif débarqué ce 6 juin, mais l’opération globale aura concerné 3 millions de soldats ! 3 millions d’hommes, et les Américains comme les Anglais étaient parvenus à cacher cela à de Gaulle ! Stupéfiant !

Dans le même temps, le SOE largue 85 000 conteneurs d’armement sur la Normandie. L’armée des ombres se met en lumière : on comptera 900 sabotages en 24 h sur l’ensemble du territoire.

08 h 00 

Toutes les liaisons radio ont été coupées. Montague Taylor, de l’Agence Reuter, envoie son pigeon Gustav porter la bonne nouvelle jusqu’à Thorney Island, dans le Sussex, à 240 km de là : il le fera en moins de 5 heures, malgré un vent contraire de 48 km/h. L’exploit lui vaudra la Médaille Dickin, l’équivalent pour les animaux de la Victoria Cross.

Bien sûr, sur une opération aussi gigantesque, il y a quelques couacs, qui signifient tout de même la mort que quelques dizaines d’hommes : il en alla ainsi des chars amphibies, essentiellement des DD – Duplex Drive, un Sherman américain modifié – dont nombre d’entre eux furent envoyés par le fond, sans un seul obus, simplement du fait d’une mer plutôt agitée. Le général anglais Percy Hobbart, qui les avait conçus était certainement très qualifié en matière de chars, mais il est bien possible qu’en revanche il n’ait jamais mis les pieds sur un bateau : il avait conçu ses chars pour flotter avec des creux de 30 centimètres ; malheureusement, ce jour-là, dans la Manche et sur Omaha Beach, certaines faisaient 2 mètres ! Sur 32 chars transportés pour Omaha Beach, 27 n’arrivèrent pas sur la plage ! De plus, les LCT – Landing Craft Tank, les navires qui les transportaient – avaient une vitesse inférieure à celle des navires qui transportaient l’infanterie, et donc, ceux qui réchappèrent à la noyade, arrivèrent sur la plage un quart d’heure après les premiers biffins, quand ils étaient censés couvrir leur arrivée de leur armement ! L’épisode, peu glorieux, restera longtemps enfoui dans les tiroirs.

Huit heures après Eisenhower, de Gaulle intervient à la BBC : La bataille suprême est engagée ! Après tant de combats, de fureur, de douleurs, voici venu le choc décisif, le choc tant espéré. Bien entendu, c’est la bataille de France, c’est la bataille de La France… Derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes voici que reparaît le soleil de notre grandeur.

vers 21 h, le même jour   

À Paris, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Arletty et Otto Abetz assistent au théâtre du Vieux Colombier à Huis clos  – l’enfer, c’est les autresde Jean-Paul Sartre. L’histoire ne dit pas si tout ce beau monde était bras dessus , bras dessous…

7 06 1944  

Violette Szabó, 22 ans, déjà veuve d’un officier mort en Égypte à la bataille d’El-Alamein, en 1942, mère d’une petite fille de 2 ans, et ses trois compagnons d’armes, tous membres du SOE – Special Operation Executive –  sont parachutés dans les environs de Limoges pour retarder le plus possible la division Das Reich qui remonte vers le nord pour contrer les forces du débarquement. Bob, alias Paco, est spécialiste des explosifs pour faire sauter ponts et chemins de fer ; elle-même est courrier, chargée d’assurer la coordination des ces opérations avec la Résistance locale. Deux jours plus tard, en fuyant une patrouille allemande, elle se tord la cheville et se retrouve torturée pas la Gestapo. Elle ne parlera pas, sera déportée à Ravensbrück où elle sera exécutée le 27 janvier 1945. La Division Das Reich aura été retardée d’une quinzaine de jours. Ce retard n’est-il pas à l’origine des massacres de populations civiles des jours suivants ? La question ne peut pas être éludée.

Soixante-quinze femmes sont parties de Tempsford, l’aéroport secret d’où elles décollaient de nuit sans autre éclairage que celui de la lune, près de Cambridge. Vingt-deux n’ont pas survécu à leur mission.

Quelque 600 maquisards FTP – Francs Tireurs et Partisans, communistes – sous les ordres de Jean-Jacques Chapou – alias capitaine Philippe – attaquent Tulle le 7 au matin. Dans la confusion, le préfet négocie avec les chefs résistants le départ vers Limoges du contingent de 600 GMR, – Groupe Mobile de Réserve, la police de Vichy -, au milieu desquels vont se dissimuler des miliciens. Les combats sont en revanche rudes avec la garnison allemande. Les morts se comptent par dizaines de part et d’autre. Dix-sept gardes-­barrières qui ont le malheur de porter un brassard blanc sont confondus avec des FTP et exécutés par les forces d’occupation.

9 06 1944   

La division SS Das Reich pend aux balcons  et aux réverbères de Tulle en Corrèze 99 otages, et en déporte 149 autres en représailles de l’assaut sanglant de la Résistance, deux jours plus tôt. Jean-Jacques Chapou se suicidera le 16 juillet   Mise en service des premiers aérodromes alliés sur le continent.

10 06 1944   

Massacre d’Oradour sur Glane, par la division SS Das Reich – 150 hommes commandés par le général Fritz von Brodowski -, au sein de laquelle on compte 14 Alsaciens, dont 12 malgré nous : il y aura 642 victimes, dont 244 femmes et 193 enfants brûlés à l’intérieur d’une église. 7 rescapés raconteront l’horreur.

Condamnés en 1953 par la Cour de Justice de Bordeaux, les 14 Alsaciens seront graciés par l’Assemblée Nationale : la Commune d’Oradour renverra alors sa légion d’honneur et interdira à tout représentant de l’État toute participation aux cérémonies de commémoration.

Les Alsaciens n’attendirent pas la seconde guerre mondiale pour connaître ces déchirements : devenus Allemands en 1870, ils étaient donc considérés comme tels dès le début de la première guerre mondiale : ceux qui se trouvaient alors sur le territoire français furent assignés à résidence : Albert Schweitzer fit partie du lot, et passa ainsi un an à la Maison de santé Saint Paul, à Saint Rémy de Provence, là même où Vincent Van Gogh fût interné à sa demande de mai 1899 à mai 1890.

Il faut que nous prenions nous-même des dispositions pour que cela ne se reproduise pas. Si nos amis nous aident, tant mieux. Mais il nous appartient, indépendamment de toute sécurité générale, de faire justice et d’empêcher le renouvellement de tels crimes.

Général de Gaulle, le 5 mars 1945

Photo aérienne de Oradour-sur-Glane - Haute-Vienne (87)

Ce même 10 juin, 47 francs-tireurs et partisans (FTP), des gamins encore, avaient été froidement abattus à Ussel.

12 06 1944   

Les 10 premiers V1, – Vergeltungswaffe – armes de représailles, surnommées les chiens d’enfer – bombes volantes allemandes, 7,5 m de long, 5.2 m d’envergure, un poids de 3 tonnes, emportent 820 kg d’explosifs à 650 km/h, à 800 mètres d’altitude. Les Allemands en lancèrent 244 pendant ces trois jours, 24 000 au total, jusqu’à la fin de la guerre. Ils firent 4 700 morts ; mais les Mosquitos anglais étaient à même de les déstabiliser d’un coup d’aile en vol, et en détruisirent ainsi 4 600. D’autre part, leurs rampes de lancement étaient facilement repérables par un avion et furent copieusement bombardées.

À Meymac, en Corrèze, des résistants que la capture de 47 soldats allemands et une Française collaboratrice encombre bien (nourriture, hébergement) reçoivent l’ordre de les liquider et ils le font, à l’exception de quelques uns qui refusent, dont Edmond Réveil qui révélera l’affaire à 98 ans, en 2023. Nul ne saura jamais combien d’histoires sordides de ce genre seront restées cachées, tues à jamais.

L’Office national des combattants et des ­victimes de guerre (ONACVG) s’est saisi de l’affaire, en lien avec le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge (VDK), l’association allemande dont la mission est de retrouver partout dans le monde les corps des soldats disparus au cours des différents conflits. Le lieu des exécutions a été retrouvé, au dire des autorités. En juillet 2023, des sondages par radar ont détecté des anomalies du terrain et la présence d’objets métalliques enterrés. Les fouilles commenceront en août 2023.

[…] Bizarrement, les hommes du VDK étaient déjà passés à Meymac, à la fin des années 1960. Ils avaient creusé une première fosse et exhumé onze corps, dont sept avaient été identifiés, qui avaient été transférés dans le cimetière militaire allemand de Berneuil (Charente-Maritime). Un agriculteur de la commune, André Nirelli, qui avait 10 ans à l’époque, se souvenait du passage de ces mystérieux visiteurs, guidés par son père. Il situe formellement la scène en 1967. Un bref rapport du VDK est, lui, daté de 1969. C’est la seule trace écrite de cette première campagne : il n’existe rien d’autre, ni dans la presse locale ni surtout dans les archives françaises, ce qui paraît surprenant alors que des corps ont été déplacés.

[…] Les émissaires venus d’Allemagne n’étaient pas les bienvenus. L’ancien envahisseur ne faisait rien non plus pour plaire. Pour mémoire, la République fédérale refusait obstinément d’extrader le SS Heinz Lammerding, commandant de la division Das Reich, qui avait été condamné à mort par contumace en 1953 par le tribunal de Bordeaux pour avoir ordonné les massacres de Tulle et Oradour. Il mourra dan son lit en 1971.

[…] Dans son témoignage versé après la guerre aux archives de Tulle, le colonel Louis Godefroy, alias Rivière, assume la responsabilité de l’ordre d’exécution. C’était outre une charge énorme un réel danger pour la sécurité de nos éléments d’avoir à garder des prisonniers alors que l’ennemi sillonnait la région, écrit-il. La situation (…) exigeait leur disparition immédiate.Louis Godefroy ajoute que les prisonniers connaissaient leurs déplacements et leurs planques, justifiant à ses yeux de prendre la seule décision possible : les passer par les armes. Selon les maquisards, les prisonniers se seraient vu proposer un marché : rejoindre les rangs des rebelles ou être tués.

Hannibal, le chef du groupe, est chargé d’appliquer l’ordre. Quand il a compris qu’il devait les tuer, il a pleuré comme un gamin, assure Edmond Réveil à La Montagne. Il était alsacien, donc il parlait allemand. Il leur a parlé un par un. Mais il y avait une discipline dans la Résistance. Il a demandé aux gars lesquels se portaient volontaires pour exécuter les ordres. Chaque maquisard avait son bonhomme à tuer. Il y en a, parmi les gars, qui n’ont pas voulu, dont moi. Les prisonniers ont été tués, on a versé de la chaux sur eux et on n’en a plus jamais reparlé. Ce n’est pas marrant, vous savez, de fusiller quelqu’un…La femme est passée par les armes, en treizième position, se souvient précisément le témoin. De ces heures, Edmond Réveil a conservé en tête l’odeur du sang.

[…] Régulièrement, des corps allemands sont retrouvés en Normandie, désarmés, avec une balle dans la nuque : des prisonniers dont les troupes libératrices ne savaient que faire au cœur des combats.

Alain Albinet, Benoît Hopquin. Le Monde du 12 08 2023

14 06 1944

De Gaulle embarque sur le contre-torpilleur La Combattante et débarque sur une plage entre Gray sur mer et Courseulles.

Les généraux Marshall et Arnold, les maréchaux Brooke et Smuts, l’amiral King et le premier ministre Winston Churchill, envoient un télégramme à l’amiral Lord Louis Mountbatten en poste à la tête du SEAC, sur le point de gagner contre les Japonais la bataille d’Imphal : Nous avons rendu visite ce jour aux armées britanniques et américaines établies en terre de France. Nous avons navigué entre de vastes armadas de navires et de péniches de débarquement de tous types qui mettaient à terre des hommes, des véhicules et des approvisionnements en nombre toujours croissant. […] Nous tenons à vous dire à ce stade de votre dure campagne que nous sommes pleinement conscients du fait qu’une bonne partie de ces remarquables réalisations et du succès qu’elles ont rendu possible trouvent leur origine dans les techniques mises au point par vous et votre état-major à la direction des Opérations combinées.

15 06 1944

Le sous-préfet de Bonneville, Jacques Lespes est le premier fonctionnaire civil à avoir donné l’ordre de désarmer devant la résistance : il est fusillé sans jugement. 300 bombardiers de la RAF, pilonnent le port de Boulogne sur Mer. Les Américains bombardent Nantes et la cathédrale est à nouveau endommagée. Le général de Gaulle se rend à Bayeux, puis Isigny, détruite à 60 %, faisant le nécessaire pour que lui soit rapidement reconnue une légitimité : nomination d’un sous-préfet etc…

17 06 1944 

Himmler donne l’ordre d’évacuation de camps de concentration : cela va se faire par train… quand il y en aura. Et quand il n’y en a pas, elle se feront à pied : on verra des marches de Budapest à Vienne – 250 km – , d’Auschwitz à Groβ Rosen, etc… L’ordre était appliqué avec beaucoup de souplesse : ainsi Hans Aumeier, commandant du camp de Klooga, en Estonie, estimera que le plus simple était de tuer tous les détenus, ce qu’il commença à faire le 19 septembre et qui se termina 4 jours plus tard : 2 500 juifs et 73 prisonniers de guerre russes et estoniens seront tués. Le 23 septembre, les derniers SS s’enfuiront, sans avoir eu le temps de brûler tous les corps. Le 28 septembre arriveront les Russes, qui trouveront 85 vivants. Ils photographieront les buchers découverts en forêt, les cadavres alternant avec les billots de bois. Aumeier sera arrêté le 11 juin 1945, extradé en Pologne où il sera jugé surtout pour ses exactions à Auschwitz où il était en poste auparavant. Condamné à mort le 22 décembre 1947, il sera pendu le 28 janvier 1948 dans une prison de Cracovie.

DISCOVERY OF THE MASS MURDER – KLOOGA CONCENTRATION CAMP AND HOLOCAUST MEMORIAL

18 06 1944 

Denise Jacob, ainée de Simone Weil, est arrêtée à Lyon par la Gestapo. Elle y passe deux mois, est torturée, ne parle pas. Elle sera déportée à Ravensbrück et en sortira vivante. Elle s’apprêtait à livrer deux postes émetteurs et du matériel estampillé made in England au maquis des Glières.

Albert Beugras, père d’Anne Marie, 10 ans, qui deviendra Anne Sylvestre, et de Marie Chaix -, fait parti du bureau politique du PPF – le Parti Populaire Français – de Jacques Doriot. Il se réfugiera en Allemagne deux mois plus tard, puis sauvera sa peau en se rendant aux Américains. Mais déjà, pour Anne-Marie, l’ambiance à l’école, chez les Dominicaines, tourne vite à la mise en quarantaine. La supérieure est la sœur du colonel Rémy, figure de la résistance. Elle-même a été déportée. Elle prendra la défense d’Anne-Marie avec vigueur et les choses rentreront dans l’ordre.

19 06 1944  

Une tempête détruit le port artificiel américain de Saint Laurent sur Mer : il était en service depuis 3 jours ; on débarquera plus de matériel directement sur les plages. L’autre port artificiel, à Arromanches, est endommagé mais pourra être remis en état et restera opérationnel pendant 8 mois : jusqu’à la fin août il verra débarquer 20 % des forces alliées.

20 06 1944     

Des miliciens font sortir Jean Zay, ancien ministre du Front Populaire, de la prison de Riom : c’est pour l’assassiner.

du 6 au 22 06 1944   

Saint Lô aura subi sept bombardements alliés : détruite à 90 %, elle héritera du nom de capitale des ruines. On comptera environ 400 morts.

En visant ces villes carrefour, l’enjeu était de couper les grands axes qui auraient servi aux renforts allemands pour rejoindre la tête de pont allié. En fait les Allemands n’ont éprouvé aucune difficulté à contourner ces champs de ruines.

Michel Boivin

Les Américains débarquent à Saïpan, dans les îles Mariannes, dans le Pacifique : 5 mois plus tard ils l’utilisaient comme base pour bombarder Tokyo. À l’est, début de l’offensive russe.

23 06 1944  

Maurice Rossel, ancien membre du CICR, visite le camp de Theresienstadt, vitrine des nazis destinée à l’opinion internationale : la mascarade était la règle et le brave homme s’était laissée berner : orchestre jouant dans un pavillon spécialement construit pour l’occasion, fausse école. Il repartira avec des photos d’enfants souriants et bien nourris, et rendra un rapport parlant de la situation enviable des Juifs ! Trois mois plus tard, le même brave homme visite Auschwitz sans s’inquiéter du pourquoi et du comment des chambres à gaz, et, dans les mêmes semaines, pour bien profiter des décors mis en place à Theresienstadt, la Gestapo de Prague demandera au cinéaste juif Kurt Gerron, interné au camp d’y tourner un film de propagande tout à la gloire des conditions de vie idylliques pour les détenus ! Ce ne sera évidemment qu’un tissu de falsifications ! en commençant par les malades les plus gravement atteints évacués hors champ de la caméra pour être remplacés par des malades en bonne santé et souriants etc etc …

26 06 1944

Les Américains prennent Cherbourg, le port en eau profonde tant convoité pour permettre la suite du débarquement des forces alliées : mais d’importants travaux seront nécessaires pour réparer la casse allemande, et il faudra attendre la fin juillet pour qu’il redevienne opérationnel.

29 06 1944

Le transport de troupes japonais Toyama Maru est torpillé par le sous-marin américain USS Sturgeon, avec à son bord plus de 6 000 hommes de la 44e brigade mixte indépendante japonaise. Le naufrage cause la mort de 5 600 soldats.

28 06 1944      

Depuis le 6 janvier, Philippe Henriot est secrétaire d’État à l’information et à la Propagande de Vichy, dans un gouvernement Laval, sous la pression des Allemands, contre l’avis de Pétain, qui avait refusé de signer le décret de sa nomination. La Résistance, inquiète des ravages dans l’opinion  du redoutable tribun de Radio-Paris a ordonné son exécution. Et c’est Charles Gonnard, à la tête d’un commando du COMAC – un comité chargé de coiffer tous les FFI -, qui s’en charge : ils l’abattent à son domicile. Il aura droit à des obsèques nationales le 2 juillet 1944, en présence de tout le gouvernement, de nombreux allemands… et du cardinal Suhard.

29 06 1944   

La mort de Philippe Henriot appelle vengeance pour la Milice, qui exige le peloton d’exécution pour 30 otages juifs. À Paul Touvier, responsable de la Milice à Lyon, couvrant 10 départements, on demande d’en désigner 7 parmi les prisonniers  : il les fait exécuter contre le mur du cimetière de Rilleux la Pape.

30 06 1944   

Rezso Kasztner, journaliste juif de 38 ans, cofondateur du Comité d’aide et de secours, face à la déportation massive des Juifs hongrois, a négocié avec Adolf Eichmann le détournement d’un convoi de 1 684 déportés vers la Suisse, contre rançon à raison de 1 000 $ par personne. Ceux qui ne disposaient pas de la somme étaient les plus nombreux et donc, Kasztner avait dû procéder au choix – par mise aux enchères des inscriptions sur la liste du convoi – d’un bon nombre de riches qui payaient ainsi pour plusieurs personnes. Le train quitte Budapest, en fait non pour la Suisse mais pour le camp de Bergen Belsen, d’où 318 enfants repartiront pour la Suisse en août ; les adultes, moins les morts et ceux qui seront maintenus à Bergen Belsen, partiront pour la Suisse en décembre. Après la guerre, Rezso Kasztner se retrouvera assez rapidement en Israël au cœur d’une aigre dispute : collaborateur ou héros ? Un premier jugement en 1956 le condamnera pour avoir vendu son âme au diable. Un extrémiste de droite l’assassinera en 1957 et la Cour suprême le réhabilitera en 1958. L’affaire sera portée à l’écran par Gaylen Ross en 2008 : Le juif qui négocia avec les nazis.

3 07 1944 

La machine nazie  poursuit son œuvre de mort : 750 juifs et résistants de tous bords dont beaucoup de républicains espagnols partent en train de Toulouse pour Dachau, où ils arriveront 54 jours plus tard… le 28 août avec 536 déportés dont 63 femmes… Les difficultés pour faire rouler le train ont été innombrables et nombreux sont ceux qui ont pu se faire la belle. Le convoi passera près d’un mois à Bordeaux, où Maurice Papon aura sa part de responsabilité dans les conditions de vie inhumaines imposés à ces déportés à la synagogue de Bordeaux. Près de la moitié des 536 mourront à Dachau.

6 07 1944  

De Gaulle reçoit un accueil triomphal à New York. New York n’est pas Washington et encore moins la Maison Blanche, mais cela contribuera tout de même à le rendre plus fréquentable aux yeux de Roosevelt.

7 07 1944

Georges Mandel, ex-ministre des Postes, des Colonies, puis de l’Intérieur quand Paul Reynaud était président du Conseil, est assassiné en forêt de Fontainebleau par la Milice sur ordre allemand, probablement en représailles à l’exécution de Philippe Henriot. Il venait de quitter Buchenwald pour être remis aux autorités françaises.

8 07 1944   

Anglais et Canadiens lâchent 2 500 tonnes de bombes sur Caen. 12 000 Caennais iront se réfugier dans les carrières de pierre souterraines au sud de la ville, exposés au typhus et à la malnutrition.

La Libération de Caen : Que s'est il passé le 7 juillet 1944 ...

 

10 07 1944

Libération de Caen.

14 07 1944   

Les prisonniers de droit commun enfermés à la Santé se soulèvent : la répression donne lieu à un massacre.

16 07 1944

À la fin du mois de juin, de Gaulle avait retiré le CEF – Corps Expéditionnaire Français – du front italien pour l’intégrer dans l’armée B du général De Lattre de Tassigny, qui débarquera en Provence en août 1944.

Fait rare dans l’Histoire, on aura vu une direction de guerre décider de sang-froid que la victoire ne serait pas exploitée. (…) L’Histoire jugera, et elle ne jugera pas sans ironie, en déplorant que le bon sens français n’ait pu se faire entendre au Conseil interallié.

Lettre du Général Juin au général de Gaulle.

20 07 1944    

À 12 h 42, une bombe posée par le colonel Claus Schenk Graf von Stauffenberg explose au QG d’Hitler, le Wolfsschanze – La Tanière du Loup – à Forst Görlitz – aujourd’hui Gierłoż – près de Rastenburg, en Prusse-Orientale, aujourd’hui Ketrzyn en Pologne. Il y a des blessés, 4 morts, Hitler, n’est que légèrement blessé : le colonel n’avait utilisé que la moitié des explosifs [grièvement blessé en Afrique du Nord, il n’avait plus qu’un œil et une main valide], et surtout Hitler qui attendait Mussolini, avait décidé peu avant de changer le lieu de la réunion, remplaçant une pièce aux murs de béton, par un baraquement provisoire en bois – die Lagebarack – : le souffle de l’explosion s’est exercé surtout sur les cloisons qui ont volé en éclat ; si la salle initiale avait été utilisée, la seule charge déposée aurait largement suffi à tuer tout le monde. Le général Fellgiebel avait promis de faire sauter le central téléphonique concerné, mais il ne le fit pas, catastrophe sans appel pour les conspirateurs, car il était indispensable, pour endiguer la révolte, de disposer d’un réseau de communications intact, dira J.W. Wheeler Bennet. La train de Mussolini avait été retardé et il n’était arrivé qu’après l’explosion, accueilli en gare de Görlitz, dans la banlieue de Berlin par un Hitler apparemment en bonne forme, même s’il avait quelques cheveux bien roussis et un bras droit choqué. Ayant quitté la pièce peu avant, le colonel von Stauffenberg avait regagné Berlin, persuadé de la réussite de l’attentat, et avec les autres conjurés, il ordonne l’arrestation des SS. Cela n’ira pas plus loin ; Fromm, devant l’absence de confirmation de la mort d’Hitler, l’arrêtera : il sera fusillé la nuit même avec ses complices, en criant Vive la sainte Allemagne. Vers 1 heure du matin, Hitler lui-même annoncera à la radio qu’il était bien vivant. La répression fera plus de cinq mille victimes, surtout parmi les officiers de la Wehrmacht et leurs familles, pendus à une corde de piano pour que l’agonie dure plus longtemps, puis accrochés par la gorge à un croc de boucher. Hitler donne quasiment tous pouvoirs à Heinrich Himmler.

21 07 1944     

10 000 soldats allemands montent à l’assaut du maquis du Vercors : 700 morts sur les 4 000 résistants. Les armes parachutées depuis novembre 1943 avaient pu l’être grâce aux Special Operations Executive anglais, qui avaient effectué la liaison entre les quartiers généraux des Alliés, ceux de la France Libre à Londres et ceux du Vercors. Les Alliés avaient programmé un très important parachutage d’armes sur le Massif Central qui aurait dû avoir un rôle primordial dans l’équipement de la Résistance pour libérer le territoire. Finalement cette opération Caïman sera annulée le 1°août, mais ce seul projet avait déjà fait abandonner le Vercors que de Gaulle avait d’ores et déjà sacrifié : la promesse du parachutage de 4 000 hommes n’avait engagé que ceux qui l’avaient cru. Ce 1° août est aussi le jour de la mort, les armes à la main, de Jean Prévot – alias capitaine Goderville – à la tête du maquis du Vercors, qui voulait défendre violemment des idées modérées.

22 07 1944  

Signature des accords de Bretton Woods, avec pour objectif la mise en place d’une organisation monétaire mondiale et l’aide à la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la guerre : 730 délégués représentent 44 nations alliées. Est présent un observateur soviétique. La France est représentée Pierre Mendès France. Les deux maitres d’œuvre sont John Maynard Keynes, à la tête de la délégation britannique, et Harry Dexter White, assistant au secrétaire au Trésor des États-Unis, qui avaient chacun leur plan. Le plan Keynes fut ébauché dès 1941 et préparait un système monétaire mondial fondé sur une unité de réserve non nationale, le bancor. La partie américaine mettait en avant le rôle de pivot du dollar américain et proposait plutôt de créer un fonds de stabilisation construit sur les dépôts des États membres et une banque de reconstruction pour l’après-guerre. Finalement, c’est la proposition de White qui prévalut, organisant le système monétaire mondial autour du dollar américain, mais avec un rattachement nominal à l’or.

Deux organismes ont vu le jour lors de cette conférence, qui sont toujours en activité :

  • la Banque Mondiale, formée de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement [BIRD] et de l’Association Internationale de Développement [IDA]. Les règles en vigueur, évidemment favorables aux pays fondateurs y seront immuables pendant plus de 50 ans : ainsi, les États-Unis ont toujours en 2010, 16 % des droits de vote, ce qui représente plus que la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie réunies !
  • Le Fonds Monétaire International  [FMI] est régi par des règles identiques, tout aussi rigides : ainsi, en 2010, la Belgique dispose de droits de vote plus importants que le Brésil…

Un troisième organisme aurait dû être créé, chargé du commerce international. Mais en l’absence d’accord, il ne verra le jour qu’en 1995 avec la création de l’Organisation Mondiale du Commerce [OMC]  après les cycles de négociations de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce [Kennedy Round, puis GATT].

24 07 1944

La ligne de démarcation [3] passe entre Bourges au nord, en zone occupée et Saint Amand Montrond, au sud, en zone libre jusqu’en novembre 1942 ; assez nombreux étaient les Juifs à s’y être réfugiés. Pierre-Marie Paoli, 23 ans, avait été engagé comme interprète par la Gestapo de Bourges le 31 mars 1943 et en quelques mois pendant lesquels son zèle antisémite et anti communiste lui avaient fait grimper les échelons, il était devenu SS Scharführer. Trois jours plus tôt, il fait rafler 36 juifs – 28 hommes, 6 femmes – qu’il fait jeter dans des puits les 24, 26 juillet et 8 août sur la ferme abandonnée de Guerry, devenue terrain militaire. Il a bien d’autres crimes à son actif : peu nombreux étaient les survivants à ses interrogatoires : on estime ses victimes à 300. Dans son village natal d’Aubigny, quatre seulement revinrent des camps où il en avait envoyé 23. Il va suivre les Allemands lorsqu’ils évacueront Bourges le 6 août, sera rattrapé le 16 mai 1945 par les Anglais à Flensburg, près du Danemark, qui le livreront aux Français en janvier 1946 ; il sera fusillé sur le polygone de Bourges le 15 juin 1946.

26 07 1944 

Résistance allemande à Arnhem, Pays Bas ; ils prolongeront la guerre de 8 mois, en tenant des poches en Alsace, en Prusse orientale, en Hongrie, et en lançant l’offensive des Ardennes pendant l’hiver 44/45.

Paul Morand a fui la Roumanie, deux mois plus tôt, bombardée par les Anglo-américains comme par les Russes. La protection de Jean Jardin lui obtient le poste d’ambassadeur à Berne, où il va rester … 41 jours.

Les rangs de la Résistance se renforcent un peu partout sur le territoire : des réseaux qui ont besoin d’argent pour s’équiper et organiser des opérations contre l’occupant. Il leur faut également rembourser leurs dettes auprès des commerçants ou paysans chez qui ils s’approvisionnaient en échange de bons de réquisition, destinés à être remboursés.

Sentant le vent tourner, Jean Callard, préfet par intérim de la Dordogne, vichyste convaincu jusqu’alors, décide d’aider la Résistance locale en divulguant un transfert massif d’argent, par train, entre Périgueux et Bordeaux. 150 résistants attendent l’arrivée dudit train en gare de Neuvic, et s’en emparent avec la complicité des cheminots. Les quatre policiers affectés par le préfet à la surveillance du convoi, prévenus de l’attaque, laissent faire… Sur deux camions, ce sont 150 sacs de jutes remplis de billets qui sont chargés, un convoi qui pèse près de quatre tonnes et demi. Un butin exceptionnel de 2,28 milliards de francs, soit à peu près 474 millions € est ainsi détourné.
On a parlé d’attaque du train de Neuvic, de casse du siècle etc, quand il ne s’agissait que d’une livraison : tout cela n’était que du grand guignol, le préfet de la Dordogne désirant le faire passer pour un vol aux yeux de Vichy quand ce n’était en fait que le cadeau d’un préfet à la Résistance, déguisé sous forme d’attaque. L’intégralité de l’argent n’a pas uniquement servi la Résistance, et une grande partie du magot prendra la direction de la capitale pour rejoindre d’autres poches.
La première semaine de septembre 1944, les principaux partis politiques se réuniront au château de Fleurac et décideront de se partager l’argent …  tout un lot de personnages douteux, glauques, d’intérêts partagés, de silences complices ; et le premier geste des partis politiques censés incarner la démocratie retrouvée, sera de mettre la main dans le pot de confiture : le principe même de la Résistance est violé.

28 07 1944  

Sur le front de Normandie, la première armée américaine atteint Coutances.

La haine de la démocratie aveugle encore quelques acharnés :  Hitler est un mortel de la grande espèce. […] J’admire Hitler, nous admirons Hitler. C’est lui qui portera devant l’histoire l’honneur d’avoir liquidé la démocratie. […] Quant aux reproches classiques d’opportunisme et de flagornerie, espérons qu’au mois de juillet 1944, ils n’ont plus d’objet.

Lucien Rebatet. Je suis partout. Juillet 1944.

31 07 1944  

Depuis le 6 juin, les Allemands ont perdu en Normandie 114 000 hommes, et comptent 40 000 prisonniers. Les pertes alliées se montent à 122 000 hommes. Entre le 5 juin et le 25 août 1944, sur les cinq départements – Calvados, Manche, l’Orne, Eure et Seine-Maritime, 19 890 civils payèrent de leur vie la libération

Antoine de Saint-Exupéry s’envole de Bastia pour une mission de photo sur la région Rhône Alpes à bord d’un Lightning P 38, avion de reconnaissance américain, très sophistiqué, capable de voler à haute altitude et donc d’échapper à l’ennemi. Il a 44 ans et normalement ne devrait plus voler. Il a déjà eu plusieurs accidents qui ont laissé des séquelles. Un avion allemand croise sa route, 3 000 mètres plus haut, piloté par Horst Rippert [4] : il descend et l’abat. L’avion de Saint-Exupéry pique dans l’eau à la verticale à 800 km/h, au sud-est de l’île de Riou, au large des calanques de Marseille. Le 20 octobre 1998, un pêcheur trouvera dans ses filets sa gourmette, sur des fonds entre – 90 m et – 300 m, ainsi que des panneaux de la carlingue de l’avion, criblés de balles. D’autres morceaux de la carlingue, trouvés en octobre 2003 par Luc Vanrell, et remontés par Henri-Germain Delauze, patron de la Comex avec son navire Minibex après la levée de l’interdiction d’intervention, seront formellement identifiés, grâce aux numéros de série relevés sur les turbines. Le père du Petit Prince s’en est allé, et c’est toute la poésie qui est en deuil.

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Antoine de Saint-Exupéry, « Le Petit Prince en tenue d’apparat », illustration pour le chapitre I, aquarelle et crayon sur papier.

Le Petit Prince en tenue d’apparat, illustration pour le chapitre I, aquarelle et crayon sur papier. COLLECTION PARTICULIÈRE/SUCCESSION SAINT EXUPÉRY-D’AGAY/PHOTO : MAD, PARIS/CHRISTOPHE DELLIÈRE

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1 08 1944 

L’armée rouge atteint Praga, aux portes de Varsovie, mais, sur ordre de Staline, n’intervient pas pour éviter l’anéantissement par les Allemands des insurgés polonais commandés par le général Komorowski ; ils refusent même à l’aviation américaine le droit d’utiliser les aéroports soviétiques pour leur porter secours. Pendant 63 jours, plus de 40 000 soldats allemands, soutenus par des chars, de l’artillerie, de l’aviation, des bombes Goliath, vont exterminer, chaque jour, 3 500 personnes : 220 000 morts. Les Polonais capituleront le 3 octobre : 50 000 personnes furent déportés dans les camps de concentration d’Auschwitz, Gross Rosen, Ravensbrück, Mauthausen et autres, le reste de la population, malades, vieillards, femmes et enfants fut dispersé dans la région de Kilce et de Cracovie.  Staline substitue l’autorité du Comité de Lublin à celle du gouvernement réfugié à Londres.

La 2° Division Blindée du général Leclerc débarque à Utah Beach, dans la base sud-est du Cotentin ; étoffée de bon nombre de soldats des forces de Giraud, aux ordres de l’État Français, elle compte 16 828 hommes : 3 000 Français libres, 3 000 évadés de France par l’Espagne, le Corps franc d’Afrique, des Corses, des ambulancières (les Rochambelles), deux unités de l’armée d’Afrique, 3 600 Libanais, Syriens, Algériens et Maroc, 500 étrangers représentants 22 nationalités dont 400 Espagnols. Leclerc déclarera : ma plus belle victoire est d’avoir fait une Division de toutes ces additions. La principale explication à ce débarquement tardif par rapport aux premières troupes américaines débarquées presque deux mois plus tôt tient pour l’essentiel à la difficulté qu’il y aurait eu à communiquer : les américains ne parlaient pas français, et réciproquement. Les Alliés, qui voulaient tout d’abord contourner Paris, le laisseront, bon gré mal gré foncer sur la capitale, via le Mans, Alençon Argentan,  pour lui laisser les honneurs de la libération, fermant à moitié les yeux sur les véhicules piqués à leurs propres forces puis maquillés : sous le major de l’École de guerre perçait le corsaire. Sous le monarchiste lecteur de l’Action Française – ses camarades d’étude le nommaient l’aristo –, perçait le dissident. En poste en 1933 au Maroc sous les ordres du général Giraud, ce dernier se souviendra un jour ne s’être jamais fait engueuler de la sorte par un simple lieutenant. Plus tard, de Gaulle s’amusera : Leclerc indiscipliné ? Certes non : il a toujours exécuté mes ordres, même ceux que je ne lui ai jamais donnés.

5 08 1944   

Le maréchal Pétain, face à l’inexorable avancée des alliés, s’essaie au rétropédalage en écrivant à Pierre Laval, le chef du gouvernement : Des otages innocents ont été arrêtés, des meurtres commis, des rapts et des vols nous sont constamment signalés. Vous prendrez les mesures qui s’imposent avant que la Milice ne laisse dans l’Histoire de France la tâche la plus honteuse de la période troublée que nous traversons.

Quelques jours plus tard, Joseph Darnand, au premier rang des personnes visées par la lettre de Pétain, lui répond : Pendant quatre ans , j’ai reçu vos compliments, vos félicitations. Vous m’avez encouragé. Et aujourd’hui, je vais être la tâche de l’Histoire de France […] On aurait pu s’y prendre un peu plus tôt.

8 08 1944

Marcel Bigeard, 28 ans, qui a suivi depuis près d’un an un entraînement commando sous la houlette des Anglais au sein du très secret club des Pins, près d’Alger, est parachuté dans les Pyrénées pour prendre la tête des FFI de l’Ariège en s’appuyant sur les maquis tenus par des Espagnols qu’il pense anarchistes quand ils sont communistes : 30 ans plus tard, quand il entrera en politique, il réalisera que ce n’est pas la même chose.

François Jacob, 24 ans, est officier du service santé de la 2° D.B. Il est à Mortain, dans la Manche ; parti secourir un blessé, il est lui-même blessé par 80 éclats d’obus qui l’atteignent au bras et à la jambe : cela lui vaudra 7 mois à l’hôpital du Val de Grâce. Il ne retrouvera jamais l’usage normal de la main et devra se résigner à abandonner la chirurgie qui était son but quand il avait commencé ses études de médecine – il était en 2° année quand il rejoindra de Gaulle à Londres – pour la biologie. Tant pis pour la chirurgie et tant mieux pour la biologie : il recevra le Nobel de médecine en 1965 avec ses collègues André Lwoff et Jacques Monod. Il sera reçu à l’Académie française en 1997 : À chaque menace d’asservissement, on verra toujours se lever le petit groupe de ceux pour qui la paix ne s’achète pas à n’importe quel prix ; l’éternelle poignée de ceux qui, pour témoigner, sont prêts à se faire égorger.

Les Américains reprennent l’île de Guam [latitude de Bangkok, longitude de Melbourne] : ces combats farouches leur auront coûté 1 800 hommes, 5 000 aux Japonais, qui, juste avant de partir, exécuteront 200 autochtones, favorables aux Américains. L’île va devenir une très importante base militaire, avec 7 000 hommes, toutes armes confondues. C’est de Guam que décolleront les bombardiers pour le Vietnam. Guam, à la différence d’Hawaï, n’est pas un État, mais bénéficie du statut assez bancal de territoire  non incorporé : c’est le Congrès qui préside à sa destinée, tandis que l’île ne dispose que d’un seul délégué à la Chambre des représentants et d’aucun au Sénat. Le délégué, lui non plus, n’a pas le droit de vote…

10 08 1944  

Heinrich Himmler a convoqué à l’hôtel de la Maison Rouge à Strasbourg une réunion de responsables économiques – Krupp, Röchling, Volkswagen, Rheinmetall, Messerschmitt, IG Farben, qui fournissait le gaz Zyklon-B aux camps d’extermination, etc – et de généraux SS pour organiser d’une part le transfert massif de capitaux allemands vers l’Amérique du sud afin qu’après la défaite, un IV° Reich allemand fort pût renaître, et d’autre part l’organisation et la fuite des responsables des SS, de la Gestapo et leurs auxiliaires. Serment de fidélité au Führer ou pas, il s’agissait de sauver sa peau et de ne pas partir sans biscuits ! Ils avaient déjà jeté leur dévolu sur la province de Missiones au nord de l’Argentine, les rives du rio Paraguay et les terres basses de la Bolivie, avec Santa Cruz pour ville principale. L’opération se nommera Odessa : Organisation der ehemaligen SS-Angehörigne – Organisation des anciens membres des SS –. Dès la fin 1944, des sous-marins allemands arrivaient de nuit à l’embouchure du Rio de la Plata, où leur cargaison était transbordée sur des barques qui remontaient le rio Paraguay jusqu’à Santa Cruz. Les Américains révélèrent en 1996 que dans le seul mois d’avril 1945, c’est environ 1 milliard $ (valeur 1945) qui fut ainsi reçu par les compagnies d’assurances, les banques, les sociétés fiduciaires, les administrateurs de biens et les maisons de commerce de Bolivie, d’Argentine et du Paraguay. Dès la fin 1944, les Allemands achetaient dans l’Oriente bolivien de gigantesques domaines , des entreprises agro-industrielles, des élevages et des compagnies de transport. Odessa fera aussi bénéficier de ses services de très nombreux oustachis croates, et encore des Croix de fer roumains.

11 08 1944 

Pétain confie à l’amiral Auphan, qui fut secrétaire d’État à la Marine pendant six mois en 1942, un courrier à l’adresse de de Gaulle pour tenter un rapprochement avec ce dernier… qui refusera de le recevoir et qui, de plus, le fera arrêter.

15 08 1944    

La VII° armée américaine et le 2° corps d’armée du général de Lattre de Tassigny débarquent sur les plages de Provence, entre Cannes et Le Lavandou : cela représente 300 000 soldats français, 100 000 soldats américains, et en matériel, 2 000 bateaux et 2 000 avions [5] . La jonction avec les troupes de Normandie sera faite le 12 septembre près de Châtillon sur Seine.

Les femmes dans l'armée de Libération - Histoire analysée en images et œuvres d'art | https://histoire-image.org/

des femmes soldats, à Saint Tropez ! … explication :

Dans le cadre de l’organisation des troupes françaises libres, le général d’armée Giraud, commandant en chef des forces terrestres et aériennes en Afrique du Nord, et le colonel Merlin, commandant des transmissions en Afrique du Nord, avaient créé le Corps féminin des transmissions (C.F.T.) le 22 novembre 1942. Cent cinquante femmes avaient été engagées, pour pallier le déficit de personnel masculin. Formées aux spécialités de radio, de téléphoniste, de télétypiste et de radio/secrétaire d’analyse, ces premières femmes soldats de l’armée de terre avaient été vite appelées les Merlinettes en référence au colonel Merlin.

En 1944, le nombre de ces combattantes atteint environ 2 400 (2 000 pour l’armée de terre, 400 pour l’armée de l’air), dont la majorité participe à la campagne d’Italie avec les forces françaises du général Juin. Après la reprise de Naples, de Rome, de Monte Cassino et de Sienne, elles sont également présentes lors du débarquement à Tarente le 9 août 1944, prélude à celui effectué en Provence, qui débute le 15 août 1944. Plusieurs Merlinettes débarquent ainsi à Saint-Tropez le 16 août, comme le montre le cliché Personnel féminin de l’Armée de Terre pris le jour même.

Alexandre Sumpf. Février 2013 https://histoire-image.org/de/etudes/femmes-armee-liberation

Les alliés veulent empêcher les Allemands d’aller contrer ce débarquement : le verrou principal est Sisteron : on va donc essayer de détruire voies de chemin de fer et ponts, mais c’est la chapelle Notre Dame, bien haut perchée sur le pli principal de la cluse sur lequel est construite la Citadelle qui est la première à être pulvérisée. Elle avait été restaurée en 1935. Des bombardements en piqué auront raison deux jours plus tard des objectifs recherchés.

Pendant que les Merlinettes débarquaient à Saint Tropez, Emilienne Moreau rencontrait à Londres, où elle venait fuir la Gestapo et la milice française, plusieurs journaliste alliés qui publièrent l’article suivant sur les Françaises résistantes. Émilienne Moreau, c’est un grand nom de la Résistance, résistance qu’elle avait commencé à exercer dès la première guerre mondiale, à 17 ans en mouillant bien sa chemise : ainsi lors de la Bataille de Loos, dans le Pas de Calais, elle s’empare des clefs d’une prison pour libérer un soldat anglais accusé d’espionnage, et à ce titre condamné à mort, etc, etc …  Croix de guerre 1915, Médaille militaire britannique 1916, Compagnon de la Libération, [qui ne compte que six femmes sur les 1308], Royale Croix Rouge, Ordre de l’Hôpital de Saint Jean de Jérusalem.

Ce sont pour la plupart des femmes qui font les liaisons des groupes de résistance, ce sont des femmes qui portent et distribuent souvent les journaux et les tracts. Ce sont encore des femmes qui, lors de la tentative d’invasion de l’Angleterre, allaient dans les ports, sur les plages, dans les bois, et revenaient fourbues, lasses, épuisées, rapportant aux organisations les renseignements nécessaires sur la concentration des troupes et des péniches destinées à l’invasion de votre pays. La femme française a réagi, j’oserai dire, plus vite que les hommes parce que, mère de famille, elle s’est trouvée aux prises avec toutes sortes de difficultés que ne connaissent pas les hommes.

Tout d’abord la femme du prisonnier. Celui-ci, abandonné par celui qui avait abrité la révolution nationale sous la fameuse trilogie : Travail, Famille, Patrie, laissait sa femme avec la modeste allocation de 10 francs par jour. Elle fut obligée de travailler, en évitant par tous les moyens que son travail profite à ceux qu’elle haïssait. La misère s’installait en France, plus particulièrement dans les villes. On vit les femmes parcourir les campagnes afin de trouver la pitance nécessaire pour élever et nourrir leurs enfants. Parmi elles, parmi aussi les jeunes filles de toutes classes, s’éleva un souffle de révolte contre l’envahisseur, et elles se mirent au service de la Résistance. C’est ainsi qu’on vit bientôt les routes sillonnées de courageuses petites qui, sous prétexte de ravitaillement, portaient des mots d’ordre et faisaient de la propagande.

Ce sont les femmes qui acheminaient les vivres destinés au ravitaillement des membres des organisations traquées par la Gestapo, la police de Vichy et les miliciens. Ce sont les femmes qui, sous certains déguisements, allaient et venaient pour transmettre les ordres des chefs de nos organisations. Ce sont les femmes qui, pour la plupart, allaient à travers la France, déjouant les traquenards des armées de policiers qui pullulent dans notre pays, pour aller se renseigner sur la concentration de troupes. Ce sont les femmes, et je les connais bien, croyez-moi, qui abritent nos petits gars pleins de courage et d’héroïsme, après un coup de main sur un train, une écluse, un ouvrage de défense allemand. Pourtant, elles savent – et malheureusement, il y en eut des exemples – qu’en cas de capture, c’est souvent la mort par la torture. (…)

Voilà la femme française durant la guerre. J’ajouterais les mères de famille qui, plutôt que de voir leur enfant partir en Allemagne pour prêter ses bras à la machine de guerre allemande, l’encouragent à prendre le maquis. Pourtant, d’un côté, il y a une allocation importante et la presque certitude du retour, et de l’autre, l’obligation de subvenir aux besoins du garçon, l’angoisse de le savoir en danger… Bien sûr, il y eut parmi les Françaises des collaboratrices qui pactisèrent avec l’occupant ; mais, croyez-moi il y en eut peu et elles seront châtiées, car s’il est vrai que certains de nos alliés trouvent qu’il n’est pas bon de raser les femmes collaboratrices, nous trouvons, nous, en France, que ce châtiment est trop doux, pour toutes celles d’entre elles qui furent la cause de l’arrestation et de la torture des nôtres. 

16 08 1944

À la Une de Je suis partout, deux entretiens : Lucien Rebatet interroge Marcel Déat, et Pierre-Antoine Cousteau, Joseph Doriot. Le lendemain, Marcel Déat fuyait vers l’est, et tous les rédacteurs s’égaillaient. Galtier Boissière commentera : Je ne suis plus partout car je suis parti.

Jacques Lacarrière a 18 ans. À Orléans, important nœud ferroviaire, il répare ce qu’il peut à la suite des bombardements alliés, nombreux depuis plusieurs mois. Ce n’est pas une sinécure : caves et abris antiaériens effondrées, avec parfois des vivants, souvent des morts : Oui, forts et denses, éclairants, lumineux furent finalement ces jours de l’été 1944. Ces jours qui contribuèrent si fortement à hâter – avec le goût doucereux du pineapple rice pudding[découvert dans les poches des GI] la fin de mon adolescence. Quand les parents furent de retour, une fois la ville libérée, ils pensaient nous retrouver intacts, je veux dire tels que nous étions auparavant. Mais nous avions grandi, mûri et tant changé que, s’ils avaient eu ne fut-ce qu’une once d’intuition, ils n’auraient même pas dû nous reconnaître. Quand on a suivi et subi une initiation radicale, on ne la porte pas toujours sur son visage, mais elle se manifeste ou se devine à d’autres signes. Nous venions d’achever notre initiation à la guerre. Et à la pire de toutes : celle que l’on subit et non celle que l’on fait.

Devenus autres. Pas seulement différents mais autres. Nous le savions, nous le sentions ainsi que ceux qui, avec nous, chaque jours à nos cotés, infirmiers, pompiers, médecins, secouristes, volontaires, avaient partagé l’aventure. Il avait fallu décider tant de choses par nous-mêmes qu’il n’était plus question d’accepter maintenant sans réagir ou discuter les avis des adultes. Ainsi s’achève l’adolescence : quand on devient maître non de ses jours et de ses nuits, car cela était possible avant, mais de tous ses désirs et surtout de ses choix d’avenir. C’est à ce moment-là, quand tout autour de nous n’était que ruines, que la ville presque entière était à reconstruire et l’avenir à repenser, que je décidai seul, absolument seul (mais avec la complicité du tilleul) de ce que je ferais de ma vie : être cigale et jamais fourmi.

Jacques Lacarrière. Un jardin pour mémoire. Nil 1999

À Chartres, Robert Capa photographie Simone Touseau, tondue et marquée au fer rouge pour collaboration horizontale ; elle porte la petite Catherine née un peu plus de deux mois plus tôt, qu’elle a eu avec Erich Göz, un soldat allemand de la Wehrmacht, muté au siège de Stalingrad. La photo sera reprise par Time.  4 chefs d’inculpation lui seront adressés :

  • adhésion au PPF Parti Populaire Français de Jacques Doriot
  • travail volontaire en Allemagne (où elle était allée rejoindre son amant, soigné en Bavière pour une blessure sur le front russe).
  • germanophilie affichée
  • dénonciation de voisins comme résistants, accusation qui sera abandonnée à tort par la suite, car Arnaud Hée exhumera les pièces qui démontrent que quatre voisins des Tuseau avaient été dénoncés puis arrêté le 24 février 1943, dont son grand-père, Didier Hée, envoyé en train plombé à Mauthausen et de là à Loïbl, dans un kommando (groupe de prisonniers de guerre) chargé de construire un tunnel reliant ­l’Autriche à la Slovénie. Le matricule 26952 et un autre déporté étaient revenus des camps. Deux victimes de la dénonciation n’ont pas eu cette chance, dont Edouard Babouin, qui avait eu l’imprudence de dire aux Touseau qu’il préférait les Anglais aux Allemands, ce qui lui a valu de finir gazé, le 31 juillet 1944.

Elle sera condamnée à dix ans de dégradation nationale, et finalement libérée après deux ans et dix mois d’enfermement.

Les Français n’ont rien inventé avec la tonte des femmes condamnées par la vox populi. Tacite déjà, en parlait au I° siècle ap. J.C.  Sous l’Ancien Régime, il état d’usage de tondre les prostituées, comme de les marquer du sceau de l’infâmie, au fer rouge. Il en va de même pour les femmes adultères au Moyen-Âge, et ce dans l’Europe entière. La tonte est une tradition populaire qui n’appartient à aucun répertoire judiciaire ; elle est donc propre à des périodes troublées, quand des pans entiers du pays restaient hors contrôle de  la justice d’État.

Je revois devant la boutique d’un coiffeur une magnifique chevelure féminine gisant sur le pavé. Je revois des idiotes lamentables tremblant de peur sous les rires de la foule. Elles n’avaient pas vendu la France et elles n’avaient rien vendu du tout.

Eluard. 2012 p. 71 Lettres Françaises

2014 - L'été de la mémoire - La véritable histoire de la ...

Photo de Robert Capa, le 16 août 1944, rue Collin-d’Harleville, à Chartres.

En ce temps-là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait des filles. On allait même jusqu’à les tondre. 

Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé

La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée

Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte

Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête

Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège

Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.

                     Paul Éluard

Vingt cinq ans plus tard, Georges Pompidou, premier ministre de Charles de Gaulle, répondra lors d’une conférence de presse à un journaliste qui l’interrogeait sur l’ensemble des faits qui avaient conduit Gabrielle Russier, enseignante de 32 ans, à se suicider le 1° septembre 1969 à Marseille, en citant simplement quelques très courts extraits de ce poème.

18 08 1944 

Fin du gouvernement de Vichy.

Comprendre Vichy, restaurer tel qu’il fut le climat de l’été 1940, réclame un gigantesque effort d’imagination historique, nous dit aujourd’hui Robert Paxton qui a fait ce travail avec obstination. Il faut oublier tout ce qui s’est passé après. Il faut mettre en doute tout ce qui s’est dit  à la Libération. Il faut revenir dans l’ignorance de l’avenir, dans la trace du deuil de 1914, dans la pacifisme, dans l’humiliation de la défaite. Et dans la peur, l’envie de survivre, l’envie de confort, l’envie de paix.

Alice Ferney. Les Bourgeois. Actes Sud. 2017

19 08 1944 

Soulèvement de Paris ; trop tôt, pour le commandement américain. L’absence de coordination avec les Alliés était évidente. Mais, plus qu’une erreur de stratégie, c’était un calcul : parvenir par ses propres forces à libérer Paris, et ainsi prendre le pouvoir… qui serait donc communiste. Mais la résistance allemande s’avérera telle que les FFI devront vite lancer des appels au secours auprès des Alliés, et c’est la 2°DB de Leclerc qui y répondra le plus vite, moyennant quelques entorses au suivi hiérarchique des ordres.

Jacques Chaban Delmas, délégué militaire de région conclu avec le général Von Choltitz, gouverneur allemand de Paris, une trêve qui permettra à la ville de ne pas être détruite, contrairement aux ordres d’Hitler, et conformément aux rapports de force du jour : Von Choltitz n’avait déjà plus les moyens de détruire Paris.

Vichy, le 19-8-44

Déclaration à Monsieur le Chef de l’État Grand Allemand

En concluant l’Armistice de 1940, j’ai manifesté ma décision irrévocable de lier mon sort à celui de ma Patrie et de n’en jamais quitter le territoire.
J’ai pu ainsi, dans le respect loyal des conventions, défendre les intérêts de la France.
Le 16 juillet dernier, devant les rumeurs persistantes concernant certaines intentions allemandes à l’égard du gouvernement Français et de moi-même, j’ai été amené à confirmer ma position au corps diplomatique en la personne de son doyen, S.E. le Nonce Apostolique, en lui disant que je m’opposerais par tous les moyens à mon départ vers l’est.
Vos représentants m’ont fourni des arguments contraires à la vérité pour m’amener à quitter Vichy.
Aujourd’hui, ils veulent me contraindre par la violence, et au mépris de tous les engagements, à partir pour une destination inconnue.
J’élève une protestation solennelle contre cet acte de force qui me place dans l’impossibilité d’exercer mes prérogatives de Chef de l’État Français.

Philippe Pétain

20 08 1944   

Pétain, arrêté par les Allemands, part avec son gouvernement pour Sigmaringen, via Belfort. Très rapidement, très humainement, la communauté sera réduite aux caquets.

Message du Maréchal de France Chef de l’État aux Français

Vichy, le 20 Août 1944

Au moment où ce message vous parviendra, je ne serai plus libre.
Dans cette extrémité où je suis réduit, je n’ai rien à vous révéler qui ne soit la simple confirmation de tout ce qui jusqu’ici m’a dicté ma conduite.
Pendant plus de quatre ans, décidé à rester au milieu de vous, j’ai chaque jour cherché ce qui était le plus propre à servir les intérêts permanents de la France, loyalement mais sans compromis. Je n’ai eu qu’un seul but ; vous protéger du pire.
Et tout ce qui a été fait par moi, tout ce que j’ai accepté, consenti, subi, que ce fût de gré ou de force, ne l’a été que pour votre sauvegarde, car, si je ne pouvais plus être votre épée, j’ai voulu rester votre bouclier.
En certaines circonstances, mes paroles où mes actes ont pu vous surprendre. Sachez enfin qu’ils m’ont alors fait plus de mal que vous n’en avez vous-même ressenti. J’ai souffert pour vous, avec vous. Mais je n’ai jamais cessé de m’élever de toutes mes forces contre tout ce qui vous menaçait.
J’ai écarté de vous des périls certains ; il y en a eu, hélas, auxquels je n’ai pu vous soustraire. Ma conscience m’est témoin que nul, à quelque camp qu’il appartienne, ne pourra là-dessus me contredire.
Ce que nos adversaires veulent aujourd’hui, c’est m’arracher à vous. Je n’ai pas à me justifier à leurs yeux. Je n’ai souci que des Français. Pour vous comme pour moi, il n’y a qu’une France : celle de nos ancêtres : aussi, une fois encore, je vous adjure de vous unir. Il n’est pas difficile de faire son devoir s’il est parfois malaisé de le connaître.
Le vôtre est simple : vous grouper autour de ceux qui vous donneront la garantie de vous conduire sur le chemin de l’honneur et dans les voies de l’ordre.
L’ordre doit régner, et parce que je le représente légitimement, je suis et je reste votre Chef. Obéissez-moi, sans quoi nul ordre ne pourrait s’établir.
Ceux qui vous tiendront un langage propre à vous conduire vers la réconciliation et la rénovation de la France par le pardon réciproque des injures et l’amour de tous les nôtres, ceux-là sont des Chefs Français. Ils continuent mon œuvre et suivent mes disciplines. Soyez à leurs côtés.
Pour moi, je suis séparé de vous, mais je ne vous quitte pas et j’espère tout de vous et de votre dévouement à la France, dont vous allez, Dieu aidant, restaurer la grandeur ; c’est le moment où le destin m’éloigne. Je subis la plus grande contrainte qu’il puisse être donné à un homme de souffrir.
C’est avec joie que je l’accepte, si elle est la condition de notre salut, si devant l’étranger, fût-il allié vous savez être fidèles au vrai patriotisme, à celui qui ne pense qu’aux intérêts de la France, et si mon sacrifice vous fait retrouver la voie de l’union sacrée pour la Renaissance de la Patrie.

Philippe Pétain

Une quarantaine de FFI du colonel Drouot Lhermine libèrent Gap : il avait fallu faire croire aux quelque 850 militaires allemands dont 40 officiers, retranchés dans les bâtiments officiels de la ville que les maigres troupes de la résistance représentaient une véritable armée, ce que les Allemands n’admettront que lorsqu’ils entendront le canon d’un char américain, arrivé à 7 km de la ville. Dès le 8 août, un plan d’attaque de la ville, élaboré par le très charismatique commandant Paul Héraud, alias commandant Dupont, missionné par le Comité de Libération régional pour cette opération, avait été soumis dès le 8 août à la mission interalliée Confessional, qui l’avait intégralement approuvéIl s’agissait en premier lieu de faire sauter les ponts des 4 accès à GapMais Paul Héraud avait été tué le 9 août lors d’un contrôle routier. Le commandant Moreau prendra sa suite et, contre l’avis de Drouot Lhermine, prendra contact avec la Task Force américaine du général Butler pour envoyer un détachement vers Gap. Les contacts avec les Allemands aussi avaient  été pris, mais ceux-ci mettaient une condition à leur reddition : qu’elle soit faite à des militaires et non à des résistants qu’ils considéraient comme des terroristes. Le colonel Drouot Lhermine était un militaire. Les Américains prendront en charge les prisonniers allemands. Sisteron avait été libéré le 17 août avec trop de morts pour que les habitants accueillent chaleureusement les Américains. Le colonel Francis Cammaerts, chef d’un réseau du SOE britannique, chargé de coordonner l’aide et les parachutages dans la région et témoin de l’événement, déclarera que si on considère le nombre de vies épargnées et sauvées, cette libération fut une immense réussite.

21 08 1944    

À la tête de 20 000 hommes, Georges Gingouin entre à Limoges sans effusion de sang, en ayant obtenu la reddition de la garnison allemande. Instituteur communiste, il avait pris le maquis dans le Limousin le 11 février 1941 ; trois ans plus tard, il dirigeait plus de 3 000 hommes, solidement armés par les parachutages anglais. Très free-lance, une telle indépendance ne pouvait être supportée par le Parti, qui lui reproche d’organiser la lutte dans les campagnes, alors que la ligne officielle est la guérilla urbaine.

Le 13 mai 1945, à 29 ans, il sera élu maire de Limoges : le Parti va alors chercher à lui régler son compte : faux témoignages aidant, il sera inculpé d’assassinat en 1953, sera victime dans sa cellule d’une tentative de meurtre déguisée en suicide et devra attendre 1999 pour être réhabilité, ce dont il déclara ne pas être ému.

22 08 1944     

Hitler envoie de son bunker berlinois une de ses dernières consignes : Paris devra être réduit en amas de ruines. Dieu merci, le général von Choltitz, commandant la place de Paris, se laissa convaincre par le consul de Suède Nordling, de n’en rien faire… ce qui l’arrangeait bien, car, de toutes façons, il ne pouvait rien faire.

23 08 1944    

De Gaulle, arrivé en avion à Saint Lô trois jours plus tôt, rejoint Leclerc à Rambouillet.

Madeleine Riffaud, 20 ans, est depuis un mois au bord du gouffre : le 23 juillet, sur le pont de Solférino, elle a tué un officier allemand avec un revolver volé à un milicien. Engagée dans la résistance, elle rongeait son frein de ne pas participer à des actions d’éclat. Rattrapée par une voiture de la Milice, elle est remise à la Gestapo mais ne donne pas ses compagnons résistants ; Ils m’ont bien tabassée – il ne faut pas dire torturée, puisque j’ai gardé mes yeux, mes seins et mes doigts [nez cassé, colonne vertébrale en miettes, mâchoire brisée, privée de sommeil pendant des jours]. Aujourd’hui encore, je ne sais plus dormir sans pilules, mon cerveau a perdu le réflexe. Mais le pire, c’était la torture mentale. Les Français m’ont fait croire que c’était mon père qui hurlait à côté. Un agent m’a dit tout bas que c’était faux, je n’ai jamais pu le remercier. Je les ai vus s’acharner sur une femme enceinte à coup de pied dans le ventre. Après, j’ai fait naître son bébé mort. Pour me faire parler, les Allemands, eux, me faisaient assister à leur jardin des supplices. Je n’oublierai jamais cet adolescent, ils lui ont brisé les membres mais il me faisait non de la tête pour que je ne dise rien. Ni ce couple, atrocement mutilé l’un devant l’autre. Les SS criaient : Regarde, regarde ! J’ai pensé : Vous voulez que je regarde ? Je regarde. Et après, je raconterai. C’est ce que j’ai fait toute ma vie.

Entretien à Télérama n° 3736 18 août 2021

Condamnée à mort, elle est libérée in extremis dans les cadre d’un échange de prisonniers le 18 août. Elle reprend ses activités de résistance avec le grade d’aspirant lieutenant dans la compagnie Saint Just, se retrouvant à la tête de trois hommes. La Résistance, qui a appris l’arrivée imminente à la gare de Ménilmontant, aux Buttes Chaumont d’un train allemand de 14 wagons d’armes légères, lui demande d’aller le neutraliser ; avec ses trois hommes, elle se place à la sortie d’un tunnel et envoie tout ce qu’elle peut de grenades, fumigènes etc, obligeant le train à se réfugier dans le tunnel, puis finalement à se rendre – 80 soldats sont faits prisonniers – mais surtout les armes vont à la Résistance au lieu d’aller aux Allemands. Elle épousera Pierre Daix en 1945… pour quelques mois  : J’ai essayé la vie normale, le couple, la famille. Mais je ne pouvais pas. J’avais besoin de situations extrêmes, au milieu des combattants je me sentais guérie. Elle sera reporter, vivra quelques mois au Vietnam, couvrira aussi la guerre d’Algérie.

Il faut mourir jeune, le plus tard possible. Je suis bien partie, non ? (97 ans en 2021 ; en 2023, la Banque Postale découvrira… bien tard… qu’elle se faisait arnaquer depuis des années, depuis qu’elle était aveugle, par une aide-ménagère… qui ne savait pas de quel bois elle pouvait se chauffer…) une affaire qui tourne à plus de 140 000 € !  Ses amis lanceront un cagnotte.

Madeleine Riffaud | Madeleine, Poesie

24 08 1944    

Leclerc est partout et s’impatiente des assauts répétés contre les résistances allemandes. À la Croix de Berny, le secteur du colonel Billotte [Petit-Clamart- La croix de Berny-La Belle Épine], il tombe sur Dronne, fidèle d’entre les fidèles, depuis Douala et Yaoundé :

  • Dronne qu’est-ce que vous f…ez là ?
  • Mon général, j’exécute l’ordre que j’ai reçu, me rabattre sur l’axe, au point où nous sommes. Mais j’ai l’impression qu’il n’y a rien devant nous, au moins pas de résistance sérieuse, c’est sûr.
  • Il ne faut jamais exécuter les ordres idiots. Dronne, filez droit sur Paris, entrez dans Paris…
  • Tout de suite, mon général. Mais je n’ai que deux sections d’infanterie. Il me faudrait d’autres moyens.
  • Prenez ce que vous trouvez. Faites vite.
  • Si je comprends bien, mon général, j’évite les résistances, je ne m’occupe pas de ce que je laisse derrière moi
  • C’est cela, droit sur Paris. Passez par où vous voudrez, il faut entrer. Vous leur direz que la division tout entière sera demain dans Paris.

La Nueve, la compagnie du capitaine Dronne, arrive dans la soirée place de l’Hôtel de Ville : les half tracks Guadalajara, Teruel, Guernica sont les premiers, suivis d’une section de chars lourds : le Romilly, le Champaubert et le Montmirail, et une section du génie. Gérard Philipe, 22 ans, des FFI, porte-voix de Roger Stéphane, proclame du haut d’une simple table : Les premiers chars de l’armée française franchissent en ce moment la Seine, au cœur de Paris.

25 08 1944  

Entrée de la 2° DB du général Leclerc à Paris par la porte d’Orléans. L’ordre de reddition est porté aux Allemands retranchés à l’Assemblée nationale par Philippe de Gaulle, 23 ans, fils de Charles. L’insurrection et la libération de Paris auront coûté aux Parisiens et à la 2° DB 1 630 morts, 4 000 blessés. Les Allemands auront perdu 4 200 hommes, 14 800 prisonniers.

Dans la salle de billard de la préfecture de police, vers 16 h 30, le texte de la reddition est présenté à Von Choltitz, qui est d’accord. C’est le général Leclerc qui représente la France. Aucune mention n’est faite de la Résistance intérieure…qui ne peut l’admettre : Leclerc va ajouter, après signature, sur l’exemplaire lui revenant le nom de Henri Rol-Tanguy, qui dirige les FFI en région parisienne.

Le général de Gaulle fait son entrée dans la ville à 16 heures par la porte d’Orléans. […] À 17 h, il est assis à la table que Von Choltitz vient de quitter, une demi-heure plus tôt, plaçant des secrétaires généraux dans les ministères : la vacance du pouvoir aura duré trente minutes, beaucoup trop peu pour permettre au pouvoir insurrectionnel de se mettre en place. Il s’installe au ministère de la Guerre, l’hôtel de Brienne, rue Saint-Dominique, qu’il avait dû quitter en juin 1940 : Rien n’y manque, excepté l’État, il m’appartient de l’y remettre. Il y établit le siège de la Présidence du gouvernement. Après une visite à la Préfecture de police, il se rend à l’Hôtel de Ville où l’attendent la Municipalité provisoire (Comité parisien de la Libération), le Comité national de la Résistance, des détachements de combattants ainsi qu’une foule immense. Après les discours que lui adressent M. Marrane, au nom du Comité parisien de la Libération, et M. G. Bidault, président du Comité national de la Résistance, il prononce vers 20 heures un discours diffusé par la Radiodiffusion de la nation française, et qui sera retransmis le lendemain par la BBC.

Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l’émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes, qui sommes ici, chez nous, dans Paris debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains.

Non ! nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Il y a là des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies.

Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.

Eh bien ! puisque l’ennemi qui tenait Paris a capitulé dans nos mains, la France rentre à Paris, chez elle. Elle y rentre sanglante, mais bien résolue. Elle y rentre, éclairée par l’immense leçon, mais plus certaine que jamais, de ses devoirs et de ses droits.

Je dis d’abord de ses devoirs, et je les résumerai tous en disant que, pour le moment, il s’agit de devoirs de guerre. L’ennemi chancelle mais il n’est pas encore battu. Il reste sur notre sol. Il ne suffira même pas que nous l’ayons, avec le concours de nos chers et admirables alliés, chassé de chez nous pour que nous nous tenions pour satisfaits après ce qui s’est passé. Nous voulons entrer sur son territoire comme il se doit, en vainqueurs. C’est pour cela que l’avant-garde française est entrée à Paris à coups de canon. C’est pour cela que la grande armée française d’Italie a débarqué dans le Midi ! et remonte rapidement la vallée du Rhône. C’est pour cela que nos braves et chères forces de l’intérieur vont s’armer d’armes modernes. C’est pour cette revanche, cette vengeance et cette justice, que nous continuerons de nous battre jusqu’au dernier jour, jusqu’au jour de la victoire totale et complète. Ce devoir de guerre, tous les hommes qui sont ici et tous ceux qui nous entendent en France savent qu’il exige l’unité nationale. Nous autres, qui aurons vécu les plus grandes heures de notre Histoire, nous n’avons pas à vouloir autre chose que de nous montrer, jusqu’à la fin, dignes de la France. Vive la France !

Une aussi flagrante occultation du rôle capital des forces alliées dans cette bataille de Paris, fera dire à Alfred Grosser que ce discours est un scandale.

Cette Radiodiffusion de la nation française n’était pas une coquille vide, sortie d’un tour de passe passe d’un prestidigitateur : de Gaulle y avait pensé dès 1942, en mettant sur le projet le journaliste Jean Guignebert, l’ingénieur Pierre Schaeffer qui avaient emmagasiné pendant des mois des programmes, constitués souvent par les auteurs publiés aux Editions de Minuit, par Camus, Aragon, par les musiciens de l’Orchestre national de la radio…

Volker Schlöndorff s’inspirera de la pièce Diplomatie écrite en 2011 par Cyril Gely, pour faire le film éponyme en 2014 avec Niels Arestrup jouant Dietrich von Choltitz, gouverneur du grand Paris et André Dussolier Nordling, consul de Suède. La pièce comme le film sont très denses, puissants, mais ont pris de grandes libertés avec la réalité car nombreux sont aujourd’hui les historiens pour dire que Von Choltitz n’avait déjà plus les moyens de faire sauter Paris.

Champs-Élysées

Les alliés bombardent le camp de déportés de Büchenwald : 450 déportés sont tués, 2 005 blessés ; parmi ces derniers, Mafalda d’Assia, princesse de Savoie, seconde fille du roi d’Italie, Victor Emmanuel III, épouse de Philippe de Hesse, arrêtés tous deux sur ordre d’Hitler : elle mourra de ses blessures 4 jours plus tard.

Au Grand Bornand, une cour martiale improvisée juge 98 miliciens ayant pris part à la répression contre le maquis des Glières : promesse leur avait été faite qu’ils auraient la vie sauve s’ils libéraient les maquisards qu’ils détenaient prisonniers, ce qu’ils avaient fait : 76 d’entre eux furent cependant fusillés.

184 hommes, femmes et enfants, dont 49 de moins de 14 ans, sont abattus, parfois à l’arme blanche par des soldats allemands appartenant pour la plupart au 17 ° bataillon SS de Châtellerault, à Maillé, un village de 500 habitants, dans l’Indre et Loire. À l’origine, des échanges de coups de feu entre trois soldats de la Wehrmacht et huit maquisards planqués dans une ferme du hameau de Nimbré.

Dans le Midi, le 7° Régiment de tirailleurs algériens a débarqué sur les plages de Provence, le 17 août. Le 25, ils donnent l’assaut à Notre Dame de la Garde, dernier bastion des forces allemandes. Le caporal Ahmed Litim, fauché par un obus, meurt de ses blessures. Soixante dix sept ans plus tard, en 2021, Benoît Payan, maire de Marseille, débaptisera l’école primaire Bugeaud, dans le quartier de la Belle de Mai pour le remplacer par Ahmed Litim.

26 08 1944  

Entouré des chefs de la Résistance encore vivants, de Gaulle descend les Champs Elysées, acclamé par un million de Parisiens. Il avait pris soin auparavant d’interdire au cardinal Suhard, archevêque de Paris, de participer à la cérémonie de la victoire, à Notre Dame. Fusillade d’origine inconnue que de Gaulle qualifiera de vulgaire tartarinade.

L’immense et joyeux soulagement qui déferla alors sur Paris laissa à plus d’un un certain goût d’amertume : La chienlit de cette descente des Champs Elysées que j’avais imaginé tellement autre pour notre honneur et l’honneur de Paris m’inspira des sentiments d’entière réserve et me conduisit à resserrer mes troupes aussi déçues et écœurées que moi-même, dans les liens d’une ambiance de guerre et de discipline stricte.

Paul de Langlade, colonel 2° DB, auparavant à la tête des 12° Régiment de Chasseurs d’Afrique, des forces nord africaines de Vichy. Ancien combattant 14-18 avec 7 citations.

Au fond, je n’aime pas, je n’ai jamais aimé cette ville femelle qui prétend exiger si impérieusement qu’on l’aime et dont l’effervescence tient surtout de la mousse de champagne – symbole pour moi de ce qu’il y a de pire -, dans le faire-accroire racoleur du caractère français. C’est dommage pour elle, mais jamais – et pourtant l’occasion lui en a été donné à plus d’une reprise – notre capitale n’a su figurer cette emblème de la résolution nationale qu’ont été le Moscou de 1812, le Londres de 1940, le Leningrad de 1941, le Varsovie de 1943 ; elle n’a été que le symbole, sublimé plutôt mal que bien, de nos déchirements.

Julien Gracq. Carnets du grand chemin. José Corti 1992

L’histoire des mouvements de Résistance en Europe est largement mythologique, étant donné que (sauf, dans une certaine mesure, en Allemagne) la légitimité des régimes et des gouvernements de l’après-guerre devait reposer essentiellement sur leur activité dans la Résistance. La France est un cas extrême, parce que les gouvernements qui se succédèrent après la Libération étaient en rupture totale avec le gouvernement de 1940, qui avait fait la paix et collaboré avec les Allemands, et que la résistance organisée, sans parler de la résistance armée, avait été relativement faible, tout au moins jusqu’en 1944 (la population ne lui avait apporté qu’un soutien inégal). Le général de Gaulle s’appliqua à reconstruire la France en se fondant sur un mythe : au fond, la France éternelle n’avait jamais accepté la défaite. La Résistance était un coup de bluff qui avait marché [6], devait-il dire (André Gillois : Histoire secrète des Français à Londres de 1940 à 1944. Paris, 1973 ; réed Hachette littératures, 1992). Par un acte politique, il fut alors décidé que les seuls combattants commémorés dans les monuments aux morts seraient les résistants et ceux qui avaient rejoint les forces gaullistes. Mais la France est loin d’être le seul exemple de pays reconstruit sur cette mystique de la Résistance.

Eric J. Hobsbawm. L’Âge des Extrêmes 1994

Nous sommes passés d’une grande injustice à une petite. La grande injustice de l’après-guerre, de 1945 à 1970, à été l’effacement de la Shoah dans la mémoire collective derrière les martyrs, les exploits gaullistes et communistes. Le Vercors a gommé Auschwitz. Maintenant, c’est l’inverse. De Gaulle, Jean Moulin, les FTP, Estienne d’Orves se sont estompés derrière le portail d’Auschwitz. La guerre, dans un manuel scolaire pour enfants de CM1, c’est le débarquement des GI et le ghetto de Varsovie. Il n’y a plus de place pour la France libre parce qu’il faut faire simple et bref. Pas plus que pour l’armée Rouge. C’est une autre injustice, un autre scandale. On devrait pouvoir garder les deux en tête, et dans son cœur.

Les jeunes devraient apprendre dans l’histoire de la France libre qu’il y a quelque chose de plus grand que le bonheur et l’individu : l’honneur. Le 18 juin, qui a sauvé notre démocratie, ne fut pas un acte démocratique. C’est l’appel d’un esseulé contre l’immense majorité. Si les sondages avaient existé à l’époque, de Gaulle serait mort de ridicule dans la nuit du 18 au 19 juin 1940. Ce qui est salutaire pour la Nation ne va pas sans blâme dans l’opinion, disait-il. Or, nous vivons en démocratie d’opinion. Ce n’est pas parce qu’on est à un contre dix qu’on a tort, et tout ne se décide pas dans l’instant. De Gaulle est un paria jusqu’à la fin 1941 et un emmerdeur jusqu’en 1944, mais il finit par imposer l’unité d’une nation à la mosaïque de tribus gauloises qu’étaient, par certains cotés, les mouvements de résistance.

[…]  De Gaulle avait un sixième sens, celui de l’orientation, comme les oiseaux. Il sentait ce qui s’ébauche dans le présent et qui sera l’avenir. Ses pronostics ont toujours été bons, donc à contre-courant, donc impopulaires. C’est invraisemblable. Quand il dit, en juin 1940, que la guerre va être gagnée, mais que la seule question est la place qu’aura la France après la victoire ou que la Russie soviétique va se retourner contre les nazis ; et même quand il fait sa conférence de presse sur le Proche-Orient, en 1967. Il n’a commis qu’une seule grande erreur, sur l’Indochine, en 1946.

Régis Debray. Journal du Dimanche 4 04 2010

Quand la guerre fut finie, je suis allée à la gare car j’avais le projet de suivre les cours de l’École libre des sciences politiques, rue Saint Guillaume, à Paris, en vue de devenir ambassadeur. La France était abîmée. Les trains n’allaient pas vite. Ils s’embrouillaient dans leurs routes parce que les avions ennemis et les avions amis avaient cassé beaucoup d’ouvrages d’art. La traversée des fleuves était une entreprise. Notre locomotive cherchait les ponts. Quand elle en trouvait un, elle sifflait. Parfois, elle se trompait. Elle sifflait une deuxième fois et elle faisait machine arrière. Je crois qu’elle confondait les rives gauche et droite, ça promettait pour Paris, avec la Seine au milieu. Elle avançait en tâtonnant, par détours, par zigzags et par remords, avec de brusques inspirations. Elle se faufilait énergiquement dans un fouillis de rivières, d’allées de peupliers, d’automnes, de villages, de fleurs et de viaducs, de brouillards. Paris se rapprochait et s’éloignait tour à tour. Cette lenteur et ces hésitations me plaisaient bien. Depuis ma naissance, je n’avais jamais vu ma capitale. À présent, j’étais sur la bonne voie, mais il me paraissait raisonnable d’observer des paliers de décompression, comme font les explorateurs sous-marins. Je m’habituais doucement à la géographie cachée de mon pays.

Nous tentions de faire le point. Nous consultions les cartes affichées dans les cabinets et les soufflets. Mais, comme les routes de cette fin de guerre étaient tout en déviation et en voie sans issue, nous n’en tirions pas beaucoup d’enseignements. La géographie était une science inachevée, une science humaine, trop humaine. La carte de France était déchirée par la guerre et mal recollée. Elle était pleine de trous et de griffures. Les montagnes n’occupaient pas leur place, on aurait dit des nuages et les rivières coulaient à l’envers. Un pays inconnu, un pays en train de se fabriquer, défilait dans les grandes vitres de notre wagon. Nous ne savions plus où étaient le nord et l’est. Le sud non plus.

Les paysages se recroquevillaient ou s’élargissaient. Des villes se dressaient où nous attendions des collines. La France était neuve, inachevée, scintillante. La peinture n’était pas sèche. Ça nous changeait des années en noir et blanc de l’Occupation. Elle était sauvée des inconvénients qui m’avaient toujours déplu dans les cours de géographie : la fixité, la permanence, le révolu, en somme la mort. C’est ce qui m’énervait au lycée : on m’avait persuadé que la géographie  était  achevée puisque Dieu a mis la dernière main à son ouvrage et qu’il veille à d’autres grains. J’ai appris depuis que la figure de la Terre, loin d’être un chapitre clos, est un mouvement perpétuel, une Genèse léthargique, avec dérives de paysages, érosions, laves et fleuves disparus, îles neuves et tous ces tatouages que les ingénieurs gravent sur la peau de la terre, viaducs et tunnels, ponts et barrages…

À chaque virage de notre train, ou plutôt chaque fois qu’il devait rebrousser chemin faute de pont, de viaduc ou de voie ferrée, la géographie se donnait le branle. Elle était comme un manège en bout de course. Le paysage tournait paresseusement autour de nous. Un panorama ou même un cours d’eau que les Atlas avaient loupé se déployait par surprise. Une ville inédite, avec ses maisons et ses fontaines, sortait de l’ombre. Bien sûr, on savait que cette géographie en transit était une illusion. Ça ne durerait pas. Raison de plus pour en tirer le meilleur. Une occasion à saisir. La paix allait remettre à leur place, dans les pages de l’atlas, les montagnes et les bassins fluviaux, les pitons, les cuvettes, et les rendre à leur éternité. Il n’empêche. Cette géographie en perdition n’a plus cessé de recouvrir mes mappemondes et je m’y attachais. Elle était si différente des géographies cataleptiques, durcies, réglementées dans lesquelles les hommes, désormais, sont tenus de résider. C’est pourquoi j’aime à me rappeler ce premier voyage dans la France du Nord. Il m’a enseigné qu’une fissure, une fêlure parcourt le tableau paralysé des mappemondes. Mes rêveries topographiques visent généralement à élargir cette fêlure et à la multiplier, à me persuader que tous les espaces et toutes les terres sont provisoires, inachevées et comme des fables.

Gilles Lapouge. La légende de la géographie. Albin Michel 2009

Près d’un an plus tard, François Truffaut, 13 ans rendra un devoir d’histoire : Si la France n’était pas le plus court chemin de l’Amérique vers l’Europe, les pavés parisiens résonneraient encore sous les bottes nazies car notre résistance était dérisoirement faible et ne pouvait rien faire sans l’aide des Alliés. Cela lui vaudra un bien sec 4/20 assorti du commentaire : Cynisme outrageant notre histoire. Il gardera en tête son cynisme pour en faire Le dernier Métro en 1980 avec Gérard Depardieu et Catherine Deneuve.

28 08 1944   

Les renforts allemands demandés par von Choltitz – la 47 ° Division d’Infanterie -, sont arrêtés, puis repoussés par le GT – Groupement Tactique – du colonel Langlade au nord du Bourget. Si l’insurrection de Paris n’avait pas été déclenchée prématurément, la 2° DB n’aurait pas foncé à bride abattue sur Paris, et cette Division allemande y serait probablement arrivée à temps : il y aurait eu sans nul doute une vraie, longue et coûteuse bataille de  Paris.

29 08 1944     

Tout le littoral méditerranéen est libéré. Si la bataille était âpre à l’ouest, c’est bien à l’est que les engagements étaient les plus importants : la Wehrmacht y avait les deux tiers de ses forces, et, pendant cet été 1944 l’Armée Rouge anéantit 30 divisions allemandes,  en Finlande, aux pays Baltes, en Roumanie, Bulgarie, dans la Russie Blanche, la Galicie et la Pologne.

Madeleine Goa est fusillée à l’Institut Dentaire de Paris. On retrouvera son corps quelques jours plus tard dans la Seine, lesté d’un pavé. Il n’existe aucune preuve d’une quelconque culpabilité. Qu’a-t-elle donc fait ? Quatre jours plus tôt, comme des milliers d’autres Parisiens, elle et son mari Marc se sont mis à la fenêtre de leur appartement pour regarder le défilé triomphal de la 2°D.B. de Leclerc. Ils sont munis d’une longue vue, que, d’en bas, d’aucuns prennent pour une arme ; les nerfs étaient encore à cran en ces heures et tout le monde avait la hantise du tireur caché sur les toits ou dans les immeubles ; et c’est ce qui se produisit pour Marc et Madeleine Goa : les assoiffés de vengeance montèrent chez eux et les firent prisonniers. Redescendus, il jetèrent Marc sous les chenilles d’un char de la 2° DB, et emmèneront Madeleine à l’Institut dentaire.

Quid de cet Institut dentaire ? Depuis le début de la guerre, il faisait fonction d’hôpital militaire pour les Allemands. Depuis le 20 août 1944, les FFS –Forces Françaises Spéciales – avec à leur tête, un communiste fanatique conseiller municipal à Malakoff, René Sentuc, alias capitaine Bernard, et avec l’aval du colonel Fabien, s’en sont emparé pour en faire le centre de la justice populaire de la résistance communiste. On retrouvera encore le dossier de Berthe Verly, blanchisseuse à Garches, qui sera elle aussi fusillée sans aucune raison, simplement victime de la dénonciation d’un voisin plutôt toqué. Pas d’instruction, pas de preuves, le règne de l’arbitraire, de la dénonciation et de la vengeance. Du 20 août au 15 septembre 1944, René Sentuc fera exécuter plus de 40 personnes, sans qu’aucune ne puisse avoir droit à un procès véritable. Le 3 septembre le préfet de police de Paris interdira cette pratique de justice parallèle, mais il faudra attendre le 15 septembre pour que René Sentuc et sa clique quittent les lieux. Il sera traduit lui-même en justice mais ne sera pas condamné… probablement protégé en haut lieu.

René Sentuc, le justicier communiste - certitudes

René Sentuc ; dans le civil, chauffeur de taxi

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Berthe Verly

Institut Dentaire George Eastman de Paris, 11 rue George Eastman dans le 13°. Inauguré le 21 10 1937, avec Edouard Clevel pour architecte. Financé par George Eastman, créateur de Kodak, pour qui l’hygiène bucco-dentaire était le top du top.

31 08 1944 

Les FFI libèrent la citadelle d’Amiens, où la Gestapo avait son tribunal et exécutait nombre de prisonniers dans les fossés de la citadelle : on retrouvera les corps de vingt-quatre d’entre eux, fusillés du 30 décembre 1941 au 8 juillet 1944. Au sein des FFI, Lucien Muchembled, 22 ans, qui dirigera des années plus tard le collège Saint Michel d’Annecy, puis le collège Stanislas de Montréal de 1970 à 1984. À la fin de la guerre, il s’engagera un temps dans la 2° DB du général Leclerc, et sera démobilisé le 29 novembre 1945. Il mourra à Montréal le 7 février 2014.

1 09 1944

Aux abois, les Allemands n’en continuent pas moins à faire régner la terreur : il affrètent un train pour emmener en déportation 872 prisonniers politiques et une majorité de résistants, arrêtés depuis plusieurs semaines, et détenus dans les prisons de Béthune, Valenciennes et Loos : c’est le Train de Loos qui part de Tourcoing, alors que les Allemands évacuent Lille. Trois jours de voyage en enfer – pas d’eau, pas de nourriture, pas de WC -, pour arriver dans la région de Cologne le . La plupart des prisonniers sont affectés au déminage des voies ferrées puis internés dans les camps de concentration de Oranienburg, Sachsenhausen, Dachau, Buchenwald. 284 personnes sur 872 rentreront de déportation. C’est le dernier convoi parti de France vers les camps de la mort.

3 09 1944   

Marius Berliet, 78 ans, fondateur des usines Berliet, est arrêté.

Au prétexte qu’aucune mesure n’a été prise pour la mise en route des fabrications de guerre en 1939 les usines Berliet avaient été réquisitionnées le  1939 sur ordre de Raoul Dautry, ministre de l’Armement. […] Les dirigeants avaient obtenu, en décembre, les crédits pour les commandes de tours nécessaires à la fabrication d’obus – refusés à Marius Berliet en septembre 1938. Le premier lot de 1 200 obus avait été le  4 juin 1939. À la faveur du départ de Maurice Roy le  1940, Marius Berliet était revenu à Vénissieux.

Dans le souci de préserver l’emploi – 6 800 personnes – l’usine avait fabriqué des gazobois mis au point entre les deux guerres et qui équipent les véhicules de la zone sud. Tout en étant en zone libre jusqu’en 1942, Automobiles M. Berliet avait subi les décisions prises par l’armée d’occupation en raison de l’installation, depuis les années 1910, d’une succursale-atelier située à Courbevoie en zone occupée.

L’organisme militaire allemand G.B.K. qui dirigeait et contrôlait l’industrie et le commerce de l’automobile en Allemagne et dans les territoires occupés accordait les bons matières à condition que les véhicules ou pièces soient livrés à l’occupant pour un tonnage ou valeur équivalente. […]  Du 1° octobre 1940 au  31 juillet 1944, les 17 constructeurs français avaient livré 116 917 véhicules aux autorités allemandes dont pour Renault 32 877, Citroën 32 248, Peugeot 22 658, Ford  10 620 et Berliet 2 389.

Wikipedia

5 et 6 09 1944  

348 avions britanniques lâchent 1 820 tonnes de bombes sur Le Havre : 5 123 civils tués, 80 000 sans-abris, 12 500 bâtiments détruits.

Nous vous attendions dans la joie, nous vous accueillons dans le deuil.

Le Havre Matin du 13 09 1944, s’adressant aux libérateurs

Un travail d’ivrognes.

Hubert de Lagarde, résistant, à propos du bombardement d’Orléans

En septembre 1944, les avions alliés se sont acharnés sur Le Havre pendant sept jours. Sans atteindre les garnisons allemandes installées sur les hauteurs. Après les derniers bombardements, la ville ne sera plus qu’un immense brasier. Des mois durant elle restera un chantier de démolition, recouvert d’un nuage de poussière et de cendre : plus d’habitations debout, plus de rues, plus d’hôtel de ville, plus de théâtre, plus rien. Après le tassement des gravats, la nouvelle ville sera édifiée sur deux mètres au-dessus du niveau de l’ancienne. Je n’ai compris les dégâts provoqués par la guerre que bien plus tard. Cette ville neuve était pour moi sans histoire, une simple page blanche à écrire.

Que ce soit au Havre, à Brest, à Nantes, tous les récits des bombardements alliés de 1944 décrivent les explosions se succédant à un rythme infernal, les milliers de bombes, les immeubles pulvérisés, les gens éperdus courant dans tous les sens, les cris déchirants, un vacarme immense. Bâtiments qui s’ouvrent comme des boites en carton, canalisations de gaz sectionnées et transformées en lance-flammes, vision impudique de lits soudains à ciel ouvert, tapisseries, intérieurs douillets brutalement exposés au regard. Un témoin des bombardements du Havre dépeint ce couple de vieillards prostrés dans la rue de Paris, quelques heures après l’arrêt des bombardements, devant leur immeuble éventré, la cage d’escaliers soufflée. Ils refusent de bouger, de quitter le quartier Notre Dame, entièrement dévasté. Ils attendent la bonne âme qui puisse leur ramener leur couple de pinsons oublié dans une cage, au quatrième étage.

Yves Gourmelon. Lettres de l’ami allemand. Domens 2018

La Bourse

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Auguste Perret, architecte de 71 ans sera chargé de réinstaller de la vie sur cette catastrophe. Aidé de 100 collègues choisis, il y parviendra, utilisant partout le béton armé. La fantaisie des vieux quartiers en est bien sur absente, mais les avenues sont larges… on respire. Il verra grand, parfois trop : la principale avenue, plus large que les Champs Elysées, n’est pas parvenue à agripper la vie sur son corps immense : elle est sinistre, lugubre, juste une machine à fabriquer de la neurasthénie. Il construira encore en 1948 le premier gratte-ciel français à Amiens : 90 m de haut, et un très beau bassin des carènes au ministère de la Marine que les nervis de Nicolas Sarkozy détruiront dans les années 2000 par un petit matin glauque au mépris le plus complet de tout débat démocratique. Il mourra en 1953, ses collègues poursuivront le travail au Havre.

Hotel de ville du Havre : vue d’ensemble de la façade principale | LE ...

Hôtel de ville du Havre

Arrivé d’Alger, Henri Frenay récupère son ministère des prisonniers de guerre et des déportés, le poste ayant été jusqu’alors occupé par François Mitterrand, auquel il propose d’en devenir le secrétaire général, poste qu’il refuse : Je ne me sentais pas la vocation de devenir fonctionnaire, dira-t-il plus tard. Dans une configuration identique  son ami jacques Chaban Delmas avait accepté, ce qui n’avait pas nui à sa carrière.

Il y a une contradiction, traditionnelle dans l’histoire de France, entre ceux qui tiennent la France pour une terre à ensemencer et ceux qui en font une idée, une force qui va, libre et mouvante : ceux qui voient dans un arbre la promesse d’un fruit et ceux qui le tiennent déjà pour le mas d’un navire…

Jean Lacouture. Mitterrand. Une histoire de Français 1. Les risques de l’escalade   Le Seuil 1998

8 09 1944 

Les Américains de la 7° DB ont libéré Verdun le 31 août et arrivent maintenant sur Dornot, au sud de Metz, où leur infanterie doit franchir la Moselle sur des barques légères ; l’artillerie allemande va les bloquer sur l’autre rive pendant deux jours, où ils s’enterrent pour échapper aux balles. Quand ils recevront l’ordre de se retirer, ils auront perdu 950 hommes.

Le premier V2 est tiré depuis Gouvy, en Belgique sur Paris. En 5 minutes, il atteint Maisons Alfort, où il fait 6 morts et 36 blessés. Jusqu’au 27 mars 1945, les Allemands en lancèrent 3 700, essentiellement sur Londres – environ 1 400 – et Anvers – environ 1 600 -.

Les 24 000 V1 et 3 700 V2 provoquèrent la mort de 8 938 personnes en Angleterre et de 6 500 en Belgique. En fait, ce gigantesque investissement, fut un mauvais calcul : Peenemünde engloutit 2 milliards de marks, le quart environ du projet Manhattan, c’est à dire, toute proportion gardée, le même effort que celui des Américains. En 6 mois d’opérations, les V2 n’emportèrent qu’une quantité d’explosifs légèrement supérieure à un seul grand raid de la Royal Air Force sur une ville allemande.

Hitler entendait que l’on en construise 900 par mois. Il était absurde de vouloir répondre aux flottes de bombardiers ennemies, qui en 1944 larguèrent en moyenne sur l’Allemagne 3 000 tonnes de bombes par jour pendant plusieurs mois à l’aide de 4 100 quadrimoteurs, par des représailles qui auraient propulsé tous les jours 24 tonnes d’explosifs en Angleterre : la charge de bombes larguées par six forteresses volantes seulement.

Albert Speer, ministre allemand de l’Armement et de la Production de guerre de 1942 à 1945

V2 (missile) — Wikipédia

9 09 1944  

L’Armée Rouge arrive à Sofia.

10 09 1944    

Le général de Gaulle remanie le gouvernement pour y intégrer des personnalités issues de la Résistance intérieure : Aimé Leperq, responsable FFI prend les finances, mais il va mourir d’un accident de voiture deux mois plus tard et sera remplacé par René Pleven ; Pierre Mendès France (1907-1982), ancien député et ministre radical, un homme de Londres, est à l’économie.

Bien que René Pleven ait la légitimité que lui confère le fait d’avoir été un des premiers à gagner Londres en 1940, il adopte plutôt un profil bas. Mendès en profite pour remettre au gouvernement un projet complet de réforme inspiré de ses propositions d’Alger, des enseignements qu’il a retirés de la conférence de Bretton-Woods qui a dessiné les grandes lignes du système financier international, en juillet, où il représentait la France, et de sa conviction que la priorité absolue doit être la lutte contre l’inflation.

Celle-ci est de fait très élevée : plus de 50 % en rythme annuel pour les trois derniers mois de 1944. Cette inflation est due en particulier à l’explosion du déficit budgétaire. Alors que le budget voté en 1938 pour l’année 1939 était de 81 milliards de francs, les dépenses publiques cumulées entre la déclaration de guerre en septembre 1939 et la fin 1944 se montent à 1 960 milliards de francs, dont 850 milliards de francs versés aux Allemands. Ces dépenses ont été financées à hauteur de 600 milliards de francs par les impôts, 960 milliards de francs par des emprunts à long terme placés auprès du public et 400 milliards de francs sous forme d’avances de la Banque de France, c’est-à-dire en pratique de mise en circulation de billets. Fin 1944, il y a environ pour 600 milliards de francs de billets en circulation, soit presque dix fois plus qu’en 1939.

Que propose Mendès France ? Un plan en sept points : blocage des prix et des salaires, après une augmentation moyenne de 20 % des salaires ; abandon de la loi fixant à 40 heures la durée hebdomadaire du travail ; fixation rapide et définitive de la liste des entreprises à nationaliser, sur la base de leur rôle économique et sans considération d’ordre politique ; mise en place de la Sécurité sociale ; suppression des réglementations protectrices de certaines professions héritées de Vichy (comme l’existence d’ordres professionnels) ; fixation rapide d’un taux de change fixe par rapport au dollar ; et, enfin, échange des billets de banque contre une nouvelle gamme. C’est la mesure phare du plan que Mendès France justifie en mettant en avant trois considérations.

La première est économique : en adoptant un barème dégressif pour l’échange, on réduira la masse monétaire, ce qui limitera l’inflation. La deuxième est que, alors que l’inflation ponctionne le pouvoir d’achat de tous, le barème de l’échange agira comme une forme d’impôt progressif en prélevant les gros détenteurs de billets. La troisième est que l’opération répond à une nécessité morale. En effet, parmi les détenteurs de billets, il y a les profiteurs du marché noir, qui devront expliquer pourquoi ils détiennent autant de liquide. Il y a aussi les Allemands et les collaborateurs qui se replient avec eux : les uns et les autres ont en effet vidé les caisses avant de fuir. Et si l’on ne procède pas à l’échange, ils pourront, une fois la paix et le calme revenus, utiliser les anciens billets.

Mettant ses pas dans ceux de Lepercq, Pleven plaide pour une action en douceur. Il propose un contrôle négocié des prix et des salaires, considérant qu’une hausse immédiate de 40 % de certains salaires n’est pas déraisonnable. Concernant les 40 heures, il propose d’en maintenir le principe en l’assouplissant pour permettre les heures supplémentaires. Quant à l’échange des billets, il considère que cela prendrait un tour déflationniste sur le plan économique et inquisitorial sur le plan politique.

À la place, il reprend l’idée de Lepercq de faire un emprunt dont une partie financerait le déficit budgétaire tandis que le reliquat servirait à rembourser la Banque de France et à détruire une partie des billets. Il concède que cela conduira à une poursuite de l’inflation, mais avance que celle-ci finira par s’épuiser d’elle-même avec le retour progressif à l’équilibre budgétaire.

Mendès a le soutien des socialistes (à l’époque la SFIO), qui pensent que les salariés auront du mal à se protéger de l’inflation, et des radicaux, qui défendent les classes moyennes et leur épargne déjà bien amputée ; il s’appuie sur l’exemple de la Belgique, dont le ministre des finances, Camille Gutt (1884-1971), a mené, dès octobre 1944, une opération d’échange des billets qui a si bien réussi qu’elle fera de lui le premier directeur du Fonds monétaire international. Pleven a aussi des soutiens : les communistes, qui veulent rester maîtres de l’épuration et pensent obtenir des hausses de salaires allant au-delà de l’inflation ; des responsables du monde des affaires, que le mélange contrôle des prix et abandon des réglementations vichystes rebute ; le général de Gaulle, enfin et surtout, qui se refuse à imposer à une population encore meurtrie un remède de cheval.

Ne parvenant pas à faire valoir son point de vue, Mendès démissionne. Pleven devient ainsi le locataire exclusif de la Rue de Rivoli le 6 avril 1945. Depuis, le débat continue pour savoir si de Gaulle a bien fait de ne pas suivre Mendès.

Mendès répétera que, ne comprenant rien à l’économie, de Gaulle avait réagi selon son intuition politique. Pleven, constatant le succès belge et le redressement allemand des années 1950 fondé sur le refus de l’inflation, jugera qu’en fin de compte, si Mendès avait probablement raison économiquement et moralement parlant, il avait politiquement tort. Quant à de Gaulle, après avoir quitté le pouvoir en 1946, il est de nouveau à la tête du pays entre 1958 et 1969. Or, pendant cette période, il milite pour une politique de stricte stabilité monétaire. À ceux qui y voient une contradiction, il oppose les circonstances.

Jean-Marc Daniel. Le Monde 13 09 2014

11 09 1944  

Georges Pompidou est jeune professeur au lycée Henri IV. En ces temps de sortie de tunnel, il commence à trépigner d’ennui ; camarade de Normale Sup de René Brouillet devenu conseiller au cabinet du chef du Gouvernement provisoire de la République Française, il lui écrit au cas où Je ne demande rien de brillant ni d’important, mais d’utile […] Je n’apporte aucun génie, mais de la bonne volonté et, je crois, du bon sens. Je m’adresse à toi parce que tu es le mieux placé de ceux que je connais pour pouvoir m’utiliser si tu le juges bon. Justement, de Gaulle cherche un agrégé sachant écrire. Trois semaines plus tard, Georges Pompidou intégrera le cabinet du général.

13 09 1944 

Jean, Henri, Maurice et Paul Berliet, fils de Marius, sont arrêtés. Après deux années d’emprisonnement, Marius, Paul et Jean seront jugés en juin 1946, Maurice et Henri n’étant passibles que du tribunal civil.. Le 8 juin 1946, Marius Berliet, déclaré  coupable d’avoir sciemment accompli un ou plusieurs actes de nature à nuire à la défense nationale sera condamné à deux ans de prison, à l’indignité nationale, à la confiscation de ses biens et à une interdiction de séjour dans l’agglomération parisienne, les départements du Rhône et limitrophes. En raison de son état de santé, sa peine sera commuée en assignation à résidence surveillée, sous surveillance médicale judiciaire à Cannes.

L’aviation américaine veut bombarder l’usine chimique allemande IG Farben, fabricant du caoutchouc synthétique, située à 7 km de Birkenau ; imprécision, erreur ? l’un des bombardiers envoie des bombes aussi sur Birkenau où elles tuent 40 détenus et 15 SS.

15 09 1944   

Mise en place des cours spéciales de Justice, – ordonnance du GRPF du 26 juin 1944 –  dans chaque département pour juger les collaborateurs de Vichy, et essayer d’enrayer les parodies de procès et les exécutions arbitraires qui se développaient ; on comptera de 11 000 à 15 000 exécutions sommaires. Parallèlement fonctionneront d’autres juridictions : créée par une ordonnance du 10 janvier 1944, une Cour martiale, tribunal militaire qui siège en temps de guerre, composée d’officiers et de sous-officiers FFI et d’un magistrat : la Haute Cour de Justice pour juger les collaborateurs qui avaient participé à l’activité des gouvernements de l’État Français du 17 juin 1940 à août 1944. Des chambres civiques, rattachées aux cours de justice, jugent les crimes qui ne relèvent pas d’une peine de prison. Elles prononcent une dégradation nationale, une interdiction de séjour, une amende. 130 000 personnes seront jugées par un tribunal civil, dont 33 000 seront acquittées, soit 97 000 condamnations ; 50 000 auront des peines non privatives de liberté, 46 000 peines de dégradation ou d’indignité nationale, 6 800 peines de mort, au sein desquelles 4 700 par contumace, 1 530 commuées, 767 exécutées, 13 500 peines de travaux forcés. Avec les condamnations des tribunaux militaires, on arrive au moins à 1 483 exécutions relevant du judiciaire.

La Terreur Rouge habitera la mémoire de bon nombre de Français, pendant bon nombre d’années. Tandis que Mauriac mettait en cause le bien fondé d’une justice qu’il jugeait expéditive, Camus ripostait : Ces hommes qui ont tout rationné sauf la honte, ne peuvent attendre de la France ni l’oubli ni l’indulgence.

Combat du 22 août 1944

17 09 1944

Début de l’opération aéroportée des Alliés Garden Market. Deux stratégies opposées s’affrontaient sur la conduite de la guerre, celle des Américains, du général Patton en particulier : combattre l’ennemi de front, en poursuivant l’offensive de là où elle est ; et la stratégie anglaise, du général Montgomery en particulier : contourner l’ennemi pour les frapper sur ses arrières, là où il ne s’y attend pas : en l’occurrence, parachuter des troupes sur la Hollande pour contourner l’obstacle de la ligne Siegfried, faire passer des blindés de l’autre côté du Rhin à Arnhem pour ainsi s’emparer du bassin industriel allemand de la Ruhr, et écourter la durée des combats restant à mener jusqu’à la victoire finale.  Les deux généraux, coiffés par Dwight Eisenhower, se haïssent par ailleurs cordialement. C’est au général en chef qu’il revient de trancher, et il le fait en faveur du plan qui propose d’abréger la guerre : il sait plus que tout autre combien les opérations depuis le débarquement vont lentement, coûtent en munitions, en carburant et bien sûr, en hommes : il tranche donc en faveur de Montgomery au détriment de Patton.

1 400 bombardiers Lancaster et B 17 bombardent dès l’aube les positions de la défense antiaérienne allemande, relayés ensuite par les chasseurs P 38 Lightning et P 47 Thunderbolt qui mitraillent à basse altitude. À 10 h 25, douze Short Lightning larguent les éclaireurs en charge de guider les troupes aéroportées qui suivront trois heures plus tard : pas moins de 34 000 hommes parachutés depuis 1 527 avions ou transportés par 478 planeurs, lâchés au nord d’Eindhoven. Les succès initiaux vont être nombreux, essentiellement des ponts dont les alliés prennent le contrôle, mais il y aura des bavures : les Allemands examineront les morts d’un planeur abattu et trouveront sur le corps d’un officier le plan général de l’opération, malgré l’interdiction qui avait été faite d’emporter un document de cette nature. Les Allemands voudront croire que c’est un piège. Il est impératif pour les Alliés de prendre les ponts d’Arnhem et de Nimègue (alors le plus long d’Europe avec ses 600 m.) qui enjambent tous deux un bras du Rhin, ponts par où devraient passer les blindés, en appui au sol des troupes aéroportées. Et les ennuis vont commencer : des radios qui ne marchent pas, soit à cause de quartz mal choisis, soit à cause de batteries déchargées car ayant déjà trop servies. Les chars et l’infanterie des Irish Guards entrent en Hollande vers 15 h, mais trouvent rapidement une très forte opposition de la Wehrmacht : le général Model avait rameuté tous les hommes possibles, jeunes, blessés légers, vieux, et la sous-estimation de la résistance allemande par Montgomery devient flagrante. La météo est pire qu’annoncée. Le 20 septembre, le pont d’Arnhem sera repris par les Allemands, celui de Nimègue sécurisé dans la soirée par les Alliés qui avaient dû traverser les 365 m. Rhin dans 26 canots qui étaient nombreux à manquer de pagaies pour prendre les Allemands à revers. Les combats sont acharnés, et pour finir, la victoire reste aux Allemands. L’amateurisme, les fausses certitudes qui ne sont que des approximations, de Montgomery auront coûté des milliers de morts aux Alliés, ce qui n’empêchera pas l’intéressé de déclarer, avec un incroyable aplomb que Garden Market avait réussi à 90 % ! Contre-vérité, mensonge, encore et encore.

Les parachutistes capturés sont traités en prisonniers de guerre, mais les vainqueurs allemands fusillent sans procès les civils néerlandais soupçonnés de les avoir aidés. Arnhem est vidée de ses habitants. Cent mille personnes errent sur les routes.

L’opération est un échec complet. En mémoire des camarades tombés, le béret des parachutistes britanniques porte un ruban noir. Frost et ses hommes ont reçu les honneurs de la guerre. D’assiégeants, ils sont devenus assiégés ; on leur avait demandé de tenir deux jours, ils ont tenu neuf jours et neuf nuits, sans renfort, ni repos.

Du côté allié, les pertes s’élèvent à 16 805 hommes tués, blessés ou prisonniers : dont 7 640 Britanniques et Polonais des 1st British Airborne Division et la 1° brigade indépendante de parachutistes polonais, 3 664 Américains des 82nd et 101st Airborne et 5 354 Britanniques pour le XXX corps.

Du côté allemand, Model évalue à 3 300 les pertes de son groupe d’armées B ; mais des calculs récents avancent le chiffre de 8 000 soldats allemands hors de combat, dont au moins 2 000 tués.

[…] Une conséquence tragique de l’échec de l’opération fut le Hongerwinter (Hiver de la faim). En effet, pendant la bataille, les travailleurs des chemins de fer néerlandais, incités par le gouvernement néerlandais à Londres, entamèrent une grève afin d’aider l’avance alliée. En représailles, les Allemands interdirent le transport de nourriture, ce qui provoqua une famine durant l’hiver 1944-1945 et causa la mort d’environ 18 000 Néerlandais.

Wikipedia

Richard Attenborough portera  cette bataille à l’écran en 1977 avec Un Pont trop loinA bridge too far – avec Sean Connery, Robert Redford, Michael Caine.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e1/Marketgarden-2009-31-08.png

18 09 1944

Le cargo japonais Junyō Maru est coulé par le sous-marin britannique HMS Tradewind. Le naufrage cause la mort de 5 620 personnes, dont 2 300 prisonniers de guerre néerlandais, américains, britanniques et australiens.

25 09 1944   

Hitler créé le Volkssturm : la mobilisation totale du peuple allemand : les hommes de plus de 45 ans, les jeunes entre 15 et 20 ans, un certain nombre de femmes, avec l’idée de libérer l’armée d’active combattante des tâches secondaires : garde et surveillance, prévôté, défense passive, voire tenue de l’arrière.  Ils sont équipés de fusils Mauser et de Panzer Faust, une sorte de bazooka.

27 09 1944       

Il reste en Allemagne 14 574 Juifs.

09 1944 

De Gaulle ne veut se contenter de la presse existante : ni Le Figaro ni Combat et encore moins L’Humanité ne lui donnent satisfaction. En son for intérieur, il regrette les grands titres d’avant-guerre comme Les Débats ou Le Temps. Il convoque son ministre de l’information, Pierre-Henri Teitgen : Teitgen, refaites-moi Le Temps ! Choisissez un directeur dont le passé de résistant et la compétence de journaliste ne peuvent pas être mis en cause… Vous lui adjoindrez un protestant libéral et un gaulliste !

Teitgen cherche à temporiser. Une trentaine de quotidiens participent déjà à l’effervescence de la vie démocratique à Paris alors que la pénurie de papier est réelle : Mon général, dit-il, c’est bien sûr l’idéal. Mais nous avons des problèmes d’approvisionnement en papier considérables et la clientèle française pour un tel journal n’est pas assurée. Le général le coupe : La clientèle française, Teitgen, je m’en fiche ! Nous avons besoin d’un grand journal pour l’extérieur, et les ambassades considèrent à tort ou à raison, depuis des décennies, qu’un quotidien de ce modèle, plus ou moins officieux, mieux informé que les autres, renseigne davantage sur ce qui se passe en France. Allez, et faites vite.

Deux mois plus tard, c’est fait. Ou presque. Teitgen et son équipe ont trouvé l’oiseau rare. Il s’appelle Hubert Beuve-Méry. Âgé de 42 ans, docteur en droit, il a vécu en Tchécoslovaquie et assuré la correspondance de différents journaux français avant guerre. Aux premières loges pour assister à la montée du nazisme, il a dénoncé les Accords de Munich en 1938, qui cédaient devant les demandes de Hitler, et démissionné du Temps. La guerre l’a ensuite précipité dans la Résistance intellectuelle puis, successivement, dans les maquis des Alpes et du Tarn.

De Gaulle l’adoube. On lui donne le titre de gérant et l’autorisation de paraître, et on lui adjoint deux associés, René Courtin, le protestant libéral, et Christian Funck-Brentano, le gaulliste. Début décembre, Beuve-Méry prend possession des anciens locaux et de l’imprimerie du Temps, rue des Italiens à Paris. Jusqu’au départ de de Gaulle, en janvier 1946, les rapports entre les deux hommes resteront sans problème, puisque quasiment inexistants il n’en ira plus de même une fois de Gaulle revenu aux affaires en 1958. Deux orgueils aux origines sociales différentes s’affronteront, qui se ressemblaient trop pour ne pas se détester.

Fatigué de ses critiques systématiques, de Gaulle qualifiera Beuve Méry du sobriquet Monsieur Faut qu’ça rate. Le soldat n’avait pas raté sa cible : en plein dans le mille. Il n’est que de voir une photo de Beuve Mery lors de la conférence de rédaction – la grand-messe quotidienne – pendant laquelle chacun restait debout pour réaliser à quel point ils ressemblent aux pères fondateurs des États-Unis, avec cet air de puritain donneur de leçon, constipé, dur à jouir, ayant en horreur la rigolade, les parfaits pisse-froid, tout cela au nom de la rigueur et des obligations de l’exercice de la critique. Lors de leur dernière rencontre, le 21 juin 1960 de Gaulle lui avait lancé, pour faire plus élégant que le Faut qu’ça rate : Et puis, vous êtes comme Méphisto… Mais oui, rappelez-vous, quand Méphisto dit à Faust : Ich bin der Geist, der stets verneint – Je suis l’esprit qui toujours nie -.  Déstabilisé, Beuve Méry s’était repris : vous savez bien que ce n’est pas vrai, mon général… Je n’ai pas toujours dit non. Quarante ans plus tard, Le Monde aura changé à plusieurs reprises d’actionnaires, mais sera toujours faut qu’ça rate, juste un peu moins pisse-froid, ne prenant pour s’exonérer que le crayon souvent féroce, parfois laborieux, de Plantu.

Les Américains poussent les Allemands sur le chemin du retour à la case départ et font pas mal de prisonniers, dont Aloïs Stanke, muté à Dijon depuis le mois d’avril. Malentendu, méprise ou peut-être simple bêtise ? Ils ne savent pas qu’auparavant Aloïs Stanke, allemand devenu à Bourges Alfred Stanke est franciscain et qu’il a été surveillant et infirmier à la prison du Bordiot depuis 1942, où il a passé bien des jours mais surtout de très nombreuses nuits à soulager les détenus revenant des séances de torture subies dans le local de la Gestapo, rue Michel de Bourges, à passer du courrier dans les deux sens, à leur apporter quelques rabiot de nourriture. Il faudra l’insistance des nombreux soutiens qu’il avait à Bourges pour le sortir d’un camp de prisonniers dans l’Arizona en octobre 45. Au Bordiot, il avait croisé Marc Toledano, qui écrira Le Franciscain de Bourges en 1966, et il sera porté à l’écran sous le même titre par Claude Autant Lara en 1968 avec Hardy Krüger dans le rôle de frère Alfred.

Les forces alliées ont quotidiennement besoin de carburants et les ressources locales n’y suffisent pas : ils mettent en place un pipe entre l’île de Wight et Cherbourg – 130 km -, approvisionné par le pétrole américain. Une armée américaine en opération, consomme 1.8 millions de litres de carburant par jour !

1 10 1944        

Les Russes libèrent l’Europe Centrale. Il est indispensable de mette en italique libérer, car très souvent, c’est précisément pour bien des populations le début de l’enfer des camps, sur place quelquefois, en Sibérie souvent ; ainsi de ces minorités allemandes du Banat, au nord de Belgrade, venues du Bade Wurtemberg, d’Alsace, de Lorraine, de Bade à la demande de l’empereur il y a presque 200 ans, ayant fait de ces marais le grenier à blé de l’empire austro-hongrois. À la fin de la première guerre mondiale, le traité de Trianon avait fait d’eux, qui des Yougoslaves, qui des Hongrois, qui des Roumains. Très souvent les hommes étaient au front sous les drapeaux allemands quelques uns se battant encore, d’autres prisonniers des Anglais ou des Américains ; restaient dans les villages les femmes, les enfants et les vieillards ; comment auraient-ils pu savoir que les attendaient cinq ans d’errance, de camp en camp, dans le froid et la faim ? Les minorités de langue allemande établies en ex-Yougoslavie eurent au bas mot 92 400 morts, dont 63 600 civils et 28 800 militaires. Les autres minorités allemandes connurent des sorts aussi tragiques, et elles sont nombreuses : la Batschka (entre le Danube et la Tisa, en Serbie et en Hongrie), la Syrmie (à l’extrême est de la Croatie, avec la ville de Vukovar),  la Slavonie (est de la Croatie, voisine à l’ouest de la Syrmie), ceux de Gottscheer (est de la Slovénie), les Karpatendeutschen (en Slovaquie, proche de Bratislava), les Bucoviens (au nord de la Roumanie, voisins de l’Ukraine), les Siebenburger Saxel (en Transylvanie, centre-ouest de la Roumanie), les Sudètes (en Tchéquie)…

Tout bascula le 1° octobre quand les Russes investirent Kudritz, mon village [alors en Yougoslavie, aujourd’hui en Serbie]. J’avais alors neuf ans. Ils pillèrent et violèrent comme partout ailleurs. Ils exécutèrent à tour de bras. Un oncle et deux tantes furent emmenés en Russie. Fin mars 1945, toute la population fut rassemblée sur la place du marché. Les maigres balluchons furent eux-mêmes triés pendant que les partisans serbes vidaient toutes les maisons d’une rue, la transformant en ghetto, où vécut toute la population, entassée et affamée jusqu’à l’été 1945.

Nous fûmes alors transférés au camp de Mollidorf, à 50 km au nord de Belgrade, dans l’actuelle Serbie, où végétaient entre 30 et 40 000 personnes. Nous prîmes le statut d’apatride. Chaque jour il y avait une quarantaine de décès. Je perdis ainsi un grand-père, un oncle et une tante.

Au cours de l’année 1946, les rescapés furent déplacés vers le camp de Gakova, en Serbie, près de Sombor. C’est là que je contractai la malaria. Ma grand’mère et des cousins y décédèrent.

En juin 1947, après une tentative d’évasion sans succès, ma mère réussit la seconde qui nous permit de gagner la Hongrie. Le jour, cachés dans la forêt, la nuit, marchant vers la frontière autrichienne que nous parvînmes à franchir à la seconde tentative : nous étions en zone russe où je fus soigné pour un nouvel accès de malaria. Ma mère entraîna ses deux enfants vers la zone anglaise dans le Burgenland, pratiquement poussés par les Russes, trop heureux de se débarrasser des pauvres réfugiés que nous étions. Pris en charge par les Anglais, ils nous emmenèrent au camp de Feffernitz, dans la province autrichienne de Carinthie : nous y restâmes une semaine, en septembre 1947, pour finalement aller travailler dans une ferme à Glanhofen, en Carinthie : le travail de ma mère nous assurait l’hébergement et la nourriture. Comme le fermier voulait m’obliger à garder les vaches au lieu d’aller à l’école, ma mère refit son baluchon et nous rentrâmes au camp de Feffernitz, début avril 1948, où mon père, de retour de captivité, nous rejoignit en janvier 1949.

En mars, la famille quitta Feffernitz pour Mulhouse, où l’on nous destinait aux travaux agricoles en Franche Comté. Par un heureux concours de circonstances, nous aboutîmes à Kaysersberg où notre père, qui avait appris le métier de ferblantier, trouva un travail et un petit logement, à partager avec un compatriote. C’était le 27 avril 1949. À 14 ans, j’avais passé le tiers de ma vie dans des camps.

Franz Stiegler

2 10 1944    

Les Allemands, pour couvrir les arrières du maréchal Kesselring qui se bat encore en Italie du Nord contre les Alliés, délogent du refuge Torino, sous la pointe Helbronner, versant italien du Mont Blanc les 13 FFI qui l’occupaient : six d’entre eux seront déportés. Parmi les assaillants, Anderl Heckmair et Ludwig Vörg, qui avaient fait la première de la face nord de l’Eiger en 1938, pour laquelle ils grimpaient avec deux Autrichiens, Fritz Kasparek, et Heinrich Harrer.

7 10 1944   

Les Sonderkommando – déportés chargés de la logistique des chambres à gaz et du four crématoire 4  – se révoltent à Birkenau : cela coûtera la vie à 450 d’entre eux.

10 10 1944   

Churchill rencontre discrètement Staline à Moscou, pour se partager les sphères d’influence dans les Balkans. Churchill dira qu’il s’agissait surtout de préserver la Grèce du communisme.

14 10 1944

La brigade du général anglais Scobie arrive en Grèce, deux jours après qu’Athènes se soit libérée, les Allemands prenant la fuite devant l’avancée des Russes. Le général Scobie va exiger le désarmement des Andartes, l’armée des partisans, communistes fortement aidée par la résistance yougoslave communiste : c’est le début de 5 ans de guerre civile, opposant un mouvement dominé par les communistes et une droite, souvent extrême, regroupée autour du roi.

MESSAGE

Elle était assise au pied du platane
Dont l’ombre avait couvert mille générations.
Elle était assise, un fichu noir
Autour de ses cheveux sans âge,
Image de l’éternelle Mère,
Image de cette terre que l’on nomme la Grèce.
Elle était assise,
Plus vieille que le Temps,
Esprit des siècles et des lieux,
Pensive, immobile et tournant son fuseau
Entre ses mains noueuses,
Image de cette terre que l’on nomme la Grèce…
Et comme je passais devant elle
Sans même qu’elle me remarque,
Je m’approchai de son oreille
Pour lui dire : bonjour!
M’agenouiller, moi l’errant, le passant,
Devant cet immobile esprit des siècles et des lieux,
Comme un fils, comme un rameau né de son cœur,
M’agenouiller et recevoir son salut.
Mais elle ne me répondit pas. Elle ne me dit pas :
Bonne route ! comme je l’espérais.
D’une voix qui sortait du profond de la terre,
Larmes muettes sur ses paupières closes,
Le visage raviné de rides, elle dit en ouvrant les yeux  :
Comment… comment ont-ils pu faire cela ?
Des frères tuer leurs frères ?
Mes enfants égorger mes enfants ?
C’est tout ce que put proférer
Sa voix rude de paysanne
Et de sa main noueuse
Elle essuya ses larmes
Et de sa main noueuse
Elle se mit à tourner son fuseau…
Et depuis lors, heure après heure,
Intensément, au fond de moi,
Comme un orage, comme un message,
Sourd cette voix qui dit :
Comment… comment ont-ils pu faire cela ?
Des frères tuer leurs frères ?
Mes enfants égorger mes enfants ?
Depuis lors, je n’ai plus de paix.
Je vous dis ce simple message
Né aux lèvres de l’éternelle Mère
Que l’on nomme la Grèce…
Je vous écris ce simple message
Né du ventre de l’éternelle Mère
Que l’on nomme la Grèce…
Je vous crie ce simple message
Né des abîmes de sa douleur.
Assez de ce sang qui torture la Mère !
Assez de ce sang qui ensanglante notre Mère !

Sikélianos Anghélos (1884-1951). 1944

Le Maréchal Erwin Rommel se suicide : Hitler, convaincu de sa participation à l’attentat qui l’a visé deux mois plus tôt, (sans doute limitée à un simple accord), a accepté cette sortie, contre la promesse de la vie sauve pour sa famille. La popularité du maréchal était telle qu’il y avait un grand risque à lui réserver le sort réservé aux autres participants à ce complot. Le suicide sera déguisé en mort des suites d’un bombardement de sa voiture, et des funérailles nationales seront célébrées à Ulm le 17 octobre.

19 10 1944 

Des républicains espagnols réfugiés à Toulouse se sont mis en tête de renverser Franco. 4 000 d’entre eux entrent en Espagne par la vallée de la Garonne, le val d’Aran, avec pour objectif  la prise de la ville de Viela. Une fois ceci réalisé, il n’y aura plus qu’à attendre les alliés qui ne manqueront pas d’accourir pour nous prêter main forte. Mais ce sont les troupes de Franco qui accourront et le fiasco sera total. Les républicains laisseront sur le terrain, morts, 600 d’entre eux !

20 10 1944  

Les Russes joignent à Belgrade les partisans de Tito : grand frère et petit frères s’embrassent, mais le petit frère ne se laissera pas étouffer. Les Allemands évacuent les Balkans. Dans un premier temps, Churchill avait suivi son anticommunisme virulent pour refuser toute aide à Tito au profit de la résistance yougoslave monarchiste, mais son envoyé du SOE, Bill Deakin avait longuement approché Tito et était parvenu à convaincre Churchill de sa grande valeur et que sa forte personnalité lui permettrait de tenir tête à Staline, ce que confirmera l’avenir, et Churchill avait fini par accepter d’aider les communistes yougoslaves : c’en était dès lors fini de la résistance royaliste. En revanche Churchill restera intransigeant sur le soutien éventuel à apporter aux résistants communistes grecs et son soutien ira à la monarchie.

À la même période, le service de renseignements extérieurs de la SS décrypte une note d’un agent américain basé à Zurich, parlant d’un effondrement du front allemand prévisible à la mi 1945, mais de la nécessité de prendre en compte la mise en œuvre d’un réduit alpin, aux confins de la Suisse, de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie, qui pourrait prolonger le conflit d’un à deux ans. Qu’y avait-il de vrai dans ce réduit alpin ? Un peu plus que des broutilles, mais guère… quelques abris antiaériens, quelques cavernes où on fabrique des pièces de Messerschmitt et de Focke-Wulf, où l’on monte des V2, une imprimerie de fausse monnaie étrangère, le château autrichien de Goering où il a entassé les collections d’œuvre d’art volées, des résidences pour les familles des dignitaires nazis qui fuient les bombardements de Berlin… pas grand-chose à dire vrai.

Mais la rumeur se répand dans la presse et Goebbels et Himmler se disent : Et si on en remettait une bonne couche ? Et ainsi, dès le début 1945, ils distillèrent des informations faisant état  de fortifications imprenables, d’usines souterraines, de divisions d’élite etc etc … Et le drame, c’est qu’on les crut ! Le 28 mars 1945, Eisenhower décidera de briser toute possibilité de cette résistance de cette forteresse et informera Staline qu’il laisse du même coup Berlin à l’Armée Rouge, engageant ainsi les cinquante années à venir de l’Europe ! Et effectivement, le 25 avril, la 3° armée de Patton et la 7° armée de Patch recevront l’ordre de viser le sud-est et le sud-ouest pour conquérir le réduit alpin, dégarnissant suffisamment le front vers Berlin pour que l’Armée Rouge s’y installe durablement.

Dans ses mémoires, le général Bradley écrira : Je suis étonné que nous ayons pu faire preuve d’une telle naïveté !

*****

Ensuite, ce fut le bond tenace au-delà du Dniepr. Et le dévalement de l’avalanche jusqu’en Roumanie. Puis en Bulgarie. Puis l’opération de Russie blanche et la facile réduction de la poche de Bobrouïsk. Et, de nouveau, l’avalanche, en Pologne. Puis sur l’autre rive de la Vistule. Puis sur l’Oder.

À chaque opération, Joukov grandissait et prenait de l’assurance. Son seul nom emplissait les Allemands de terreur : il venait d’arriver sur leur front. À présent, il ne pouvait même pas imaginer un obstacle qu’il ne pût surmonter. Et c’est ainsi que, par ordre de Staline brûlant de prendre Berlin, ce que n’avait pu faire Hitler avec Moscou, et de le prendre au plus vite ! vite et tout seuls, sans les Alliés ! – Joukov couronna la guerre – et sa vie – par l’opération de Berlin.

Berlin se trouvait à peu près à égale distance de nous et des Alliés. Mais les Allemands avaient concentré toutes leurs forces contre nous et le danger était grand qu’ils se livrent purement et simplement aux Alliés et les laissent passer. Mais c’eût été intolérable ! La Patrie l’exigeait : à nous l’attaque ! et vite, toujours plus vite ! (Il avait emprunté l’idée à Staline et le voulait lui aussi à présent : obligatoirement pour une fête, pour le 1° mai ! Cela ne marcha pas.) Et il ne restait plus rien d’autre à Joukov que d’attaquer à nouveau frontalement, encore et toujours, sans tenir compte des pertes.

Nous payâmes l’opération de Berlin, disons, de trois cent mille hommes tombés (un demi-million ?) Mais n’en était-il pas tombé en grand nombre déjà auparavant ? qui en a tenu le compte ? Inutile aujourd’hui de s’arrêter spécialement sur cette question. Bien sûr, nos gens souffraient de perdre pères, maris, fils, mais ils supportaient stoïquement ces pertes inévitables, car ils comprenaient tous qu’ils traversaient les heures glorieuses de notre peuple. Les survivants les raconteraient à leurs petits-enfants, mais, pour l’instant, en avant ! ! (Les Alliés, plutôt par envie, se mirent à prétendre après la guerre que non seulement l’opération de Berlin était inutile, mais aussi toute la campagne du printemps 1945 : soi-disant, Hitler se serait rendu, même si elle n’avait pas eu lieu, sans nouveaux combats ; il était déjà condamné. Et eux, alors ? pourquoi réduire en flammes une ville non militaire comme Dresde ?… là aussi, dans les cent cinquante mille carbonisés – des civils, par-dessus le marché.)

Joukov était d’ailleurs prêt à continuer à faire la guerre comme une machine ; sa poigne désormais stratégique, sa volonté d’acier déchaînée réclamaient de la nourriture, du grain à moudre. Mais toute sa vie changea alors d’un coup : comme si son navire, lancé à toute allure, s’était échoué sur un banc moelleux et honorifique.

À présent, il était devenu Commandant en chef des troupes soviétiques d’occupation en Allemagne. Aux nuits sans sommeil passées à élaborer des opérations avaient succédé de longs banquets plantureux et arrosés avec les Alliés (lesquels s’agglutinaient autour du caviar et de la vodka). Une manière d’amitié s’instaura entre lui et Eisenhower. (Lors d’un banquet nocturne, il exécuta pour lui, à titre de démonstration, une danse populaire russe) Il s’ensuivit un flot d’échanges de décorations avec les Alliés. (Des ordres de grands formats qu’il fallut bien laisser pendouiller sur le ventre.) Les soucis économiques prirent la place des préoccupations guerrières : démonter les entreprises allemandes et les expédier en URSS. Et puis, bien sûr, remettre sur pied la vie de la population allemande : nous avons beaucoup fait pour eux, nos sentiments internationalistes ne nous permettaient pas de nous abandonner à l’esprit de vengeance, et Ulbricht et Pieck junior nous expliquèrent bien des choses. (Huit ans plus tard, Joukov fut stupéfié par l’inexplicable soulèvement des ouvriers berlinois : car, enfin, nous avions aboli toutes les lois nazies et donné pleine liberté à tous les partis antifascistes !)

Une fierté, seulement : aller en juin présider le défilé de la Victoire sur la place Rouge, monté sur un blanc coursier. (Staline, visiblement, aurait voulu le faire lui-même, seulement il n’était pas sûr de tenir en selle. Mais on voyait qu’il l’enviait : des plaques bistres apparaissaient sur sa figure. Une fois, à brûle-pourpoint, il fit cet aveu inouï à Joukov :  Je suis l’homme le plus malheureux du monde. J’ai même peur de mon ombre. Craignait-il un attentat ? Joukov ne pouvait croire à une pareille franchise.)

L’été vit se dérouler la cérémonie de la conférence de Potsdam (on n’avait pas trouvé d’endroit adéquat à Berlin, complètement détruit par notre artillerie et notre aviation). Ensuite il fallut s’occuper de forcer les Alliés à remettre aux organes de sécurité soviétiques nos propres citoyens soviétiques, qui, une fois de plus, de façon incompréhensible, ne désiraient pas regagner leur patrie. (Qu’est-ce que c’était que ça ? comment cela pouvait-il être ? Ou bien ils savaient avoir commis des crimes graves, ou bien ils s’étaient laissé séduire par la vie facile de l’Occident.) Il fallut exiger fermement des Alliés qu’ils acceptent qu’à leurs entrevues avec ces gens assistent de nos représentants professionnels de la Sûreté. (Lesquels se révélèrent gens très capables, il y en avait toujours eu dans notre armée, mais Joukov, des hauteurs où il siégeait, les avait en somme fort peu côtoyés.)

Entre bien d’autres choses du même genre… Joukov exécutait, mais avec une sorte de paresse, comme en s’assoupissant ; plus jamais ne revenaient les vols de l’aigle d’antan : discerner les plans de l’adversaire et élaborer ses propres desseins.

Alexandre Soljenitsyne. La confiture d’abricots et autres récits en deux parties. Fayard 2012

23 10 1944    

Quatre mois après les faits, les États-Unis, l’Angleterre et l’URSS reconnaissent le Gouvernement Provisoire de la République Française. De Gaulle, acerbe : Le Gouvernement est satisfait qu’on veuille bien l’appeler par son nom.

Sa ténacité aura été finalement payante : jusqu’au bout, les Américains se seront défiés de lui, laissant un ambassadeur auprès de Vichy jusqu’au dernier moment, s’apprêtant à imposer à la France leur administration (AMGOT : Allied military Government of Occupied Territories : Gouvernement militaire allié des territoires occupés.) et leur monnaie, comme aux pays vaincus de l’Axe. Des préfets américains avaient reçu une formation pour ce faire, même les timbres étaient prêts… Heureusement que les entourages respectifs remplirent très bien leur rôle d’amortisseurs, – Eisenhower côté américain – encaissant bravement tous les coups, car la confrontation directe de telles personnalités avec de tels enjeux aurait très rapidement conduit à la rupture… et il fallait l’envergure d’un de Gaulle pour s’imposer et parvenir à présenter un front commun avec les communistes… – je préfère une France rouge à une France rougissante, Joseph Kessel -. Il fera tout ce qui était en son pouvoir pour que la France elle-même soit considérée comme étant du côté des vainqueurs et non du côté des vaincus pour avoir collaboré avec l’ennemiSans lui, il est fort probable que la France aurait connu une guerre civile comme en a connu la Grèce.

500 Francs drapeau - 1944 - Impression américaine - FDCollector

nulle mention de République Française, de de Gaulle, de Gouvernement Provisoire

 

Musée de la résistance en ligne

Anciens francs type 1944 - Retours vers les Basses-Pyrénées

24 10 1944  

Louis Renault, malade et maltraité par la police française, meurt à la prison de Fresnes, sans même un simulacre de procès, pour collaboration et traîtrise, jamais prouvées ; placé sous tutelle de Daimler Benz pendant la guerre, les véhicules assemblés partaient pour la plupart vers l’Allemagne. Des chars y furent réparés. Surnommé l’ogre de Billancourt avant la guerre, de Gaulle le laissa en gage aux communistes à la Libération. Ses usines seront mises rapidement sous séquestre et nationalisées le 16 janvier 1945, par une ordonnance qui l’accusait d’avoir mis ses usines à la disposition de la puissance occupante. Louis Renault était malade depuis dix ans : atteint de troubles rénaux, il était atteint d’aphasie et avait eu rapidement recours à un assistant pour traduire ses paroles. Il faudra attendre le 29 juillet 1967, pour qu’une loi vienne ouvrir les droits à l’indemnisation des héritiers. En 2010, la cour d’appel de Limoges donnera raison aux petits enfants de l’industriel contre le Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane pour avoir ainsi légendé une photo de Louis Renault présentant la juvaquatre à Hitler au salon de l’automobile de Berlin en février 1939 : Louis Renault, une seule chose compte : moi et mon usine, fabriqua des chars pour la Wehrmacht. Renault sera nationalisé à la Libération. Le Centre voulait ainsi attribuer à Louis Renault une part de responsabilité dans le massacre du 10 juin 1944.

27 10 1944     

À la Comédie Française, De Gaulle préside une soirée consacrée aux poètes de la Résistance.

Le veilleur du Pont au change

Je vous salue, vous qui dormez
Après le dur travail clandestin
Imprimeurs, porteurs de bombes, déboulonneurs de rails, incendiaires
Distributeurs de tracts, contrebandiers, 
Je vous salue vous tous qui résistez, enfants de vingt ans au sourire de source
Vieillards plus chenus que les ponts, hommes robustes, images des saisons, 
Je vous salue au seuil du nouveau matin

Robert Desnos, écrit en février 1944, une semaine avant son arrestation.

Une très longue salve d’applaudissements salue le poète, alors déporté politique en Allemagne à Floha, 10 km à l’est de Chemnitz  depuis cinq mois. Il mourra du typhus 8 mois plus tard à Theresienstadt.

28 10 1944  

De Gaulle ordonne la dissolution des milices patriotiques et François Mitterrand épouse Danielle Gouzes, dont le père, directeur de collège à Villefranche sur Saône, avait été suspendu sans traitement par le régime de Vichy pour avoir refusé de donner la liste des enfants juifs de son établissement.

10 1944  

Bataille aéronavale de Leyte, dans le Pacifique.

Lors d’une matinée au Théâtre Français, consacrée aux poètes de la Résistance, Paul Claudel fait lire ce poème au général de Gaulle ; il sera publié dans Le Figaro le 23 décembre 1944. Ses 76 ans lui avaient conservé la vitesse requise pour retourner chemise, veste et pantalon.

Tout de même, dit la France, je suis sortie !
Tout de même, vous autres ! dit la France, vous voyez qu’on ne m’a pas eue et que j’en suis sortie !
Tout de même, ce que vous me dites depuis quatre ans, mon général, je ne suis pas sourde !
Vous voyez que je ne suis pas sourde et que j’ai compris !
Et tout de même, il y a quelqu’un, qui est moi-même, debout ! et que j’entends qui parle avec ma propre voix !
VIVE LA FRANCE ! II y a pour crier : VIVE LA FRANCE ! quelqu’un qui n’est pas un autre que moi !
Quelqu’un plein de sanglots, et plein de colère, et plein de larmes ! ces larmes que je ne finis pas de reboire
depuis quatre ans, et les voici maintenant au soleil, ces larmes ! ces énormes larmes sanglantes!
Quelqu’un plein de rugissements, et ce couteau dans la main, et ce glaive dans la main, mon général, que je me suis arraché du ventre !
Que les autres pensent de moi ce qu’ils veulent ! Ils disent qu’ils se sont battus, et c’est vrai !
Et moi, depuis quatre ans, au fond de la terre toute seule s’ils disent que je ne me suis pas battu, qu’est-ce que j’ai fait ?
Et vous, monsieur le Général, qui êtes mon fils, et vous qui êtes mon sang, et vous, monsieur le soldat ! et vous, monsieur mon fils, à la fin qui êtes arrivé !
Regardez-moi dans les yeux, monsieur mon fils, et dites-moi si vous me reconnaissez !
Ah! c’est vrai, qu’on a bien réussi à me tuer, il y a quatre ans ! et tout le soin possible, il est vrai qu’on a mis tout le soin possible à me piétiner sur le cœur !
Mais le monde n’a jamais été fait pour se passer de la France, et la France n’a jamais été faite pour se passer d’honneur !
Regardez-moi dans les yeux, qui n’ai pas peur, et cherchez bien, et dites si j’ai peur de vos yeux de fils et de soldat ! 

11 11 1944   

Adrienne Clotis, est venue à Saint Chamand, 25 km de Brive, rendre visite à sa fille Josette, 34 ans, belle femme née à Montpellier, maîtresse d’André Malraux, qui aura toujours refusé de divorcer de Clara pour l’épouser. Elle a eu de Malraux deux enfants : Gauthier, né le 5 novembre 1940 et Vincent le 11 mars 1943. Les rapports entre mère et fille sont quasi détestables, la mère désapprouvant ce statut de maîtresse d’un intellectuel rouge qui se refuse à choisir. Josette raccompagne sa mère à la gare jusqu’à son compartiment, puis court vers la sortie quand le train s’ébranle, fait un faux pas sur le marchepied et glisse sous le train : les deux jambes sectionnées, elle mourra à l’hôpital de Tulle quelques heures plus tard. Ses deux garçons mourront dans un accident de voiture en mai 1961 près de Beaune.

Josette Clotis (auteur de Le Temps vert) - Babelio

 

André et Josette

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[1]   On a parfois un peu de mal à croire à la réelle nocivité du tabac quand on sait qu’il fumait plus de quatre paquets de cigarettes par jour et qu’il est mort à 79 ans, ce qui est ma foi un âge honorable.

[2] … dont Gwenn Aaël Bolloré, oncle de Vincent Bolloré.

[3] Quand les Allemands avaient envahi la zone libre le 11 novembre 1942, la ligne de démarcation était restée en place : la structure permettait toujours un certain contrôle et très tôt, dès juillet 1940, les troupes allemandes qui en assuraient le fonctionnement avaient été remplacées par des Autrichiens ; donc elle ne mobilisait pas vraiment de troupes qui auraient manqué sur les nombreux fronts.

[4]  Ce n’est qu’en 2008 qu’il rendra cela publique. Saint Exupéry, l’ultime secret. Luc Vanrell. Jacques Pradel. Editions du Rocher 2008.

[5]  Les Américains auront fabriqué 100 000 avions en 1944

[6] La citation est encore reprise  par Eric Roussel, dans Charles de Gaulle, Gallimard 2002