mai 1985 au 25 août 1986. Les Restos du cœur. Explosion d’un réacteur de Tchernobyl. Les remorqueurs Abeille, saint Bernard de la mer. La Grotte Cosquer. Tunnel sous la Manche. 25002
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Publié par (l.peltier) le 24 août 2008 En savoir plus

05 1985   

Iakovlev, ancien ambassadeur russe au Canada, est devenu l’éminence grise de Gorbatchev ; il l’a persuadé de l’inadmissible retard de l’URSS sur les pays occidentaux, notamment en matière d’agriculture. Quinze ans, plus tôt, un rapport secret demandé par le KGB, sur une évaluation de l’économie russe selon des critères occidentaux, avait déjà tiré la sonnette d’alarme.

La première mesure prise par Gorbatchev le 1° juin est la prohibition : les points de vente de vodka vont être diminués de moitié, et le prix de vente de la même vodka augmenté de 30 %. Si l’on veut être populaire, ce n’est pas comme ça qu’il faut commencer en Russie. Il y gagnera le surnom de Secrétaire minéral. Il faut tout de même savoir que la consommation moyenne d’alcool [calcul établi pour de l’alcool à 96°] avait dépassé douze litres par habitant et par an ! Un enfant sur six naissait débile. L’argent perdu par l’État en faisant détruire vignobles et distilleries passera dans l’économie parallèle.

L’idée de perestroïka, est née dans les académies du KGB… Depuis Brejnev, le parti était devenu une gigantesque association de truands. Le KGB  restait le seul organisme qui fonctionnait. Au fil des ans, il s’est tout bonnement substitué à l’État. Les projets étaient préparés au KGB, on y élaborait les stratégies, et le Politburo les entérinait avant qu’elle ne retournent au KGB pour application. Le vrai pouvoir, c’était le KGB.

Christophe Nick. Actuel N° 43-44-45 07-08-09 1994

8 06 1985  

Joe Simpson et Simon Yates redescendent du sommet du Siula Grande – 6 356 m – dans les Andes Péruviennes. Ils ont déjà essuyé une tempête lors de l’ascension de la face ouest, et les difficultés s’avèrent beaucoup plus grandes que prévu : dans la Cordillère des Andes, un régime des vents et une consistance de la neige bien spécifiques créent des corniches et des congères dont on ne peut avoir idée dans les Alpes. Ils ont déjà passé dans cette voie beaucoup plus de temps que prévu et ont épuisé leurs recharges de gaz : il leur faut se dépêcher. La progression est lente… ils viennent de quitter leur quatrième bivouac et sont tous deux atteints de gelures aux mains ; arrivés à proximité du col Santa Rosa, c’est l’accident : la neige se dérobe sous les pas de Joe qui chute le long d’un mur de glace pour se recevoir sur un rocher : son genou gauche se brise sous le choc.

Il ne reste plus de choix sur l’itinéraire et Simon l’entraîne de force dans une folle descente en s’efforçant de traverser les pentes très raides qui séparent le col du glacier. La souffrance de Joe le met aux limites de la défaillance et il trouve encore l’énergie pour creuser des marches pour assurer chaque relais et accélérer les manœuvres : 1 000 mètres de dénivelé sont avalés sans arrêt et, à la nuit tombée, au bas de cette pente, nouvelle catastrophe : Joe chute à nouveau, et cette fois dans une immense crevasse : il se retrouve pendu à la corde, tête en bas, à 5 mètres de la surface la plus proche.

Il parvient à se redresser à l’aide d’anneaux de corde qu’il noue en Prussik… mais, impossible de communiquer avec Simon : ses appels se perdent sur les parois de glace. L’attente s’installe, sans changement… des vibrations de la corde transmettent la volonté de Simon de tenter quelque chose… puis soudain, c’est à nouveau la chute : Joe se retrouve sur une vire de glace, 15 mètres plus bas : Simon s’est trouvé en surface immobilisé par une corde tendue, puis bientôt déstabilisé, impuissant à enrayer son propre glissement vers le bas, à bout de forces : après une heure d’attente et d’efforts vains, dans un réflexe de survie, il coupe la corde ! ! !

Joe ne comprend ce qui s’est passé que lorsqu’il avale la corde et voit l’extrémité coupée net. La douleur lancinante en permanence, insupportable à chaque choc se mêle à la surprise d’être encore en vie, puis au désespoir de voir rompue la corde. Joe ne peut se résigner… il calcule, détaille son environnement, … parvient à descendre encore dans la crevasse jusqu’à atteindre une zone ressemblant à une plate-forme, d’où il pourra atteindre une pente très raide pour remonter à la surface, 40 mètres plus haut.

Il trouve l’énergie pour tailler des marches dans cette pente, traînant sa jambe inerte… et parvient à retrouver la surface, le lendemain matin : il aura passé plus de 12 heures dans la crevasse. La tempête a cessé… aucune trace de présence humaine : ou bien Simon est mort, ou bien il a cherché à redescendre seul , après avoir coupé la corde.

Joe se trouve à 10 kilomètres du camp de base… une marche normale est exclue… il va falloir ramper en s’aidant des piolets-marteaux, trouver un chemin dans le chaos des séracs… il y a déjà longtemps qu’il n’a rien pu boire, ni manger… les lunettes de soleil ont été perdues lors de la première chute… et l’ophtalmie menace.

Mais l’obsession de la progression, l’espoir d’une fin après avoir surmonté déjà d’aussi grandes difficultés, continuent à prévaloir sur l’épuisement et la tentation de l’abandon. Il passera encore deux nuits seul, creusant chaque fois un trou dans la neige. Ce n’est que 12 heures avant la fin de son calvaire qu’il pourra trouver de l’eau accessible : auparavant il ne pouvait que l’entendre couler dans les anfractuosités du glacier. Joe sait qu’une troisième nuit lui sera fatale… d’autant que Simon ne peut plus que le croire mort : arrivé au camp de base depuis deux jours, il y a retrouvé Richard, un compagnon rencontré à Lima qui a partagé leur expédition jusqu’au camp de base où il est resté en attendant leur retour du sommet. Il a eu le temps de se restaurer, de se reposer et n’a plus de raison pour s’attarder.

Simon a eu les mains touchées par le gel mais le secours de Richard le remet sur pied assez vite et ce dernier le presse maintenant de redescendre : Simon lui a raconté le drame et tous deux sont persuadés de la mort de Joe … Ils se sont d’ailleurs déjà débarrassés de ses vêtements en les brûlant… Mais Simon oppose une résistance irrationnelle à la volonté de départ de Richard… il s’y résigne finalement pour le lendemain matin… quand, en pleine nuit, il entend une voix lointaine crier son nom ; il sort avec Richard et finit par trouver Joe ensanglanté, épuisé, aux portes de la fin après s’être sorti des pièges des séracs, crevasses et moraines : pendant trois jours et demi, Joe se sera refusé à baisser les bras, à mourir : son acharnement à vivre l’amènera là où on ne l’attendait déjà plus…

Il atteindra la ville la plus proche sur le dos d’un mulet, puis Lima en taxi : à l’hôpital il lui faudra encore attendre 2 jours avant d’être opéré, le temps que parvienne le télex de prise en charge par son assurance. Il a perdu 20 kilos, connaîtra six opérations, sauvant sa jambe et ses mains, mais gagnant des crises d’arthrite. Deux ans plus tard, il était dans l’Himalaya, et se mettait à écrire Touching the void où il écrivait bien clairement que, lors de cette tragédie, si les rôles avaient été inversés, il aurait fait la même chose que Simon : couper la corde.

Et revient bien sûr à l’esprit le fameux Ce que j’ai fait, aucune bête ne l’aurait fait de Guillaumet, 50 ans plus tôt, à quelques milliers de kilomètres au sud, quand il avait dû poser son avion en catastrophe dans la Cordillère entre Santiago du Chili et Buenos Aires et marcher cinq jours avant de trouver âme qui vive.

Résumé de La mort suspendue. Joe Simpson. Editions Glénat.

Un film sortira en février 2004

https://www.montagnes-magazine.com/media/actu/2020/01/trace%20peruana%20supreme%20siula%20grande.jpg

En 1987, le récit d’une pareille aventure ne peut qu’offrir un grand succès littéraire, amplifié par la sortie d’un film. 50 ans plus tôt, il fallait la notoriété de l’Aéropostale pour que la Presse reprenne largement le drame vécu par Guillaumet ; mais s’agissant d’un simple montagnard, connu de son seul village, personne n’en parle et pourtant, dans ces années d’avant-guerre, (la deuxième), un drame bien ressemblant à celui de Joe Simson, eut lieu :

Je pense à cet autre alpiniste solitaire, au retour d’une grande course traversant un pont de neige et tombant dans une crevasse du glacier d’Aletsch (en Suisse. ndlr). La crevasse était insondable. Par bonheur, il tomba sur un bouchon de neige, à une dizaine de mètres de profondeur, et ne se blessa que légèrement.

Il était donc vivant. Vivant, mais seul, mais abandonné, perdu au fond de cette oubliette de glace, d’où il ne voyait qu’une mince écharpe de ciel bleu et, la nuit, quelques faibles et vacillantes étoiles.

Il y resta huit jours et sept nuits, se nourrissant d’un peu de chocolat qu’il faisait fondre à la flamme d’une bougie, délayé dans l’eau qui, du glacier, lui tombait goutte à goutte. À cette pauvre flamme aussi, il tentait de dégeler les pieds et ses mains, progressivement brûlés par l’éternelle nuit des profondeurs glaciaires.

Huit jours, et sept nuits ! Aucune recherche n’avait abouti. Tous le croyaient mort, y compris ses amis ; y compris sa mère. Son père, seul, absurdement, s’obstinait à espérer. Mais il était abandonné : ce vivant, pour les vivants n’était plus qu’un nom, qu’une ombre. Ils avaient, en esprit, rabattu sur lui, la pierre.

Mais lui, cependant, s’entêtait à vivre, à durer. Son piolet était resté accroché aux débris du pont de neige. Au prix d’efforts inouïs, il parvint à se hisser jusqu’à un mètre de ce piolet. Jusqu’à un mètre de la lumière, de la liberté, de la chaleur retrouvée de la vie. Mais ce mètre était infranchissable. Ses forces le trahirent. Il retomba.

Il recommença. Sept fois. Toujours en vain.

Sept fois il gravit, à la pointe de ses mains sanglantes et insensibles, le terrible mur aux reflets d’acier, pour finalement retomber à la nuit de sa prison de glace. Épuisé, il dut renoncer à ses tentatives. Et c’est alors qu’au soir du quatrième jour le piolet vint à tomber à son côté : inutile désormais, puisqu’il n’avait plus la force de s’en servir.

Parfois, il entendait passer des caravanes. Il entendait des paroles échangées, des chants, des rires. Et il criait ; en vain : les bords de la crevasse étaient disposés de telle sorte qu’ils amplifiaient les sons venus de l’extérieur, sans laisser échapper ceux qui pouvaient monter de son fonds. Et la voix du prisonnier, captive elle-même, se perdait en inutiles échos dans les galeries mortes de cet univers souterrain. Elle écrasait son cri sur lui.

J’imagine le blessé luttant contre tant de cruautés accumulées, contre les raffinements de la montagne ; abandonné de l’univers, aux portes d’un autre monde, mais luttant encore, toujours, dans son ombre froide ; tentant de retenir dans ses mains exténuées ses dernières forces, dans son esprit au seuil du délire l’ultime bribe de raison. Je me représente ses aubes d’espoir, ses interminables journées déçues, ses nuits terribles. Et je l’admire ; je l’admire de s’être ainsi acharné à vivre – c’est à dire à souffrir – alors qu’il eut été si facile de s’abandonner à l’heureuse torpeur mortelle de la neige, ou de se laisser doucement glisser au gouffre offert. Nul mot ne suffirait à tant de courage. Et c’est là plus que du courage : de la sainteté.

Il fut enfin sauvé, par miracle ; miracle moindre, il est vrai, que celui de son obstination. Passant à côté de la crevasse, un guide remarqua ce pont crevé, s’en approcha, se pencha, vit le captif. On le redescendit le soir même dans la vallée, la moitié du corps insensible, ses yeux brulés emplis d’ombre.

Il vit. Amputé de plusieurs doigts, il n’a pas renoncé à courir la montagne. Qu’ajouterais-je ? Pensant à cet homme, je l’aime. J’en viens à aimer les autres hommes ; à penser qu’il n’y a pas, qu’il n’y aura jamais  lieu de désespérer d’eux. Et c’est la montagne encore qui m’aura donné cette joie.

Georges Sonnier. Où règne la lumière. Albin Michel 1946

14 06 1985

Signature de l’accord de Schengen qui prévoit la suppression des contrôles aux frontières entre la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays Bas, rejoints depuis par l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce.

17 06 1985    

Patrick Baudry vole à bord de la navette américaine Discovery jusqu’au 24 juin 85.

19 06 1985  

Laurent Fabius impose le test de dépistage du Sida pour tous les donneurs de sang.

22 06 1985

Simone Weber, solide lorraine, est inculpée des meurtres de son mari et de son amant ; un journaliste de la très respectable chaîne France Culture lâchera sur les ondes ce qu’il a sur le cœur : on n’est pas encore en mesure de savoir si cette femme a commis des meurtres, mais on sait déjà que c’est une belle emmerdeuse. Le verdict tombera seulement le 28 02 1991 : 20 ans pour le meurtre de son amant, mais non coupable du meurtre de son mari.

06 1985   

Pendant quelques jours, le Niger cesse de couler à Niamey. Un an plus tôt, le lac Tchad était quasiment à sec. D’une superficie de 20 000 à 23 500 km² vers 1910, il était passé à 9 000 km² dès 1973.

1 07 1985 

Mise sur le marché de l’essence sans plomb.

5 07 1985   

Inculpation de Christine Villemin. Dans Libération Marguerite Duras revêtira sans vergogne le manteau de la justice pour l’accuser du meurtre de son enfant, et la trouver pour finir sublime, forcément sublime… Elle sera libérée onze jours plus tard sous contrôle judiciaire avant de bénéficier en 1993 d’un non-lieu pour absence total de charges. 24 ans plus tard, en octobre 2009, sera ordonné la réouverture de l’enquête justifiée par les progrès extraordinaires que permettent les relevés d’ADN – c’est précisément en 1985 qu’a été effectué le premier relevé d’empreinte génétique -. Et deux résultats vont tomber, l’un prélevé sur la face encollée du timbre d’une lettre adressée par le corbeau aux Villemin et une autre sur une partie de l’enveloppe : deux empreintes différentes, une masculine, l’autre féminine, qui disculpent les époux Villemin autant que Bernard Laroche. Mais ces échantillons d’ADN ne parleront pas : c’étaient les tous débuts de cette technique et n’avaient pas encore été mis au point l’ensemble des conditions à réunir pour que l’ADN puisse parler…. les ADN trouvés se révéleront souvent être ceux des enquêteurs, policiers, juges etc… On en trouvera d’autres en juillet 2010.

13 07 1985  

À l’initiative de Bob Geldorf, concert simultané à Wembley et Philadelphie, en faveur de l’Éthiopie, touchée par la famine : dès le début du concert, 8,5 M. $ auront été réunis.

23 07 1985  

À Oakland, Nouvelle Zélande, les faux époux Turenge – en fait , agents de la DGSE – coulent le Rainbow Warrior, de Greenpeace ; un photographe portugais y laisse la vie ; c’était une opération particulièrement mal montée des services secrets français : Alain Mafart et Dominique Prieures seront condamnés à 10 ans de prison le 22 11 1985, mais finalement libérés en mai 1988. Jusqu’alors, la marine française avait Greenpeace dans sa ligne de mire, et l’avait même infiltré en ayant un de ses agents sur le Rainbow Warrior, lequel mettait de temps à autre de la limaille de fer dans la dynamo, ce qui immobilisait le bateau pour la période souhaitée. C’était une époque où c’était l’amiral Langsade, chef d’état-major des armées, qui était à la tête de tout cela, lequel amiral, ne voulant plus gérer la pénurie avait donné sa démission au ministre de la Défense, Charles Hernu, alors un peu, beaucoup porté sur la dive bouteille. Il sera remplacé par Paul Quilès. Son remplaçant avait décidé de passer à la vitesse supérieure et c’est ce gros caca qui en résultera. Au sein des services secrets du monde libre, la DGSE y laissera tout son crédit pour des décennies.

Thirty Years Later: The Bombing of the Rainbow Warrior

31 08 1985   

Plusieurs accidents de train entraînent la démission du président de la SNCF, André Chadeau.

  • St Pierre du Vouvray, le 8 juillet, 8 morts.
  • Flaujac, le 3 août, 35 morts
  • Argenton sur Creuse le 31 août, 42 morts.

1 09 1985

On retrouve au large de Terre Neuve l’épave du Titanic, par 3 870 m. de fond, selon les coordonnées suivantes :

  • proue : 41°43′ 47″ N, 49° 56′ 49″ O.
  • poupe : 41° 43′ 35″ N, 49° 56′ 54″ O.
  • chaudière : 41° 43′ 32″ N, 49° 56′ 49″ O .

Le sous marin Nautile, commandé par Paul-Henri Nargeolet [1], se mettra au travail le 13 août 1987 pour remonter le plus d’objets possibles. Les causes du naufrage restent discutées : le fait que le bateau repose sur le fond en deux parties, séparées de 700 mètres signifie très probablement qu’il s’est cassé quand la proue, très alourdie par l’eau qui avait envahi 6 compartiments étanches s’est mise à peser un poids tel que la coque s’est rompue, ou bien que c’est une explosion due à un incendie dans les machines, qui a cassé la coque. Les incendies étaient alors un phénomène très fréquent. La brèche de pratiquement 100 mètres de long aurait été amorcée par le frottement de l’iceberg le long des rivets de raccord d’une plaque à l’autre, qui créa une série de petites brèches en ligne le long de 6 compartiments, qui, pression et fragilité de la tôle défectueuse aidant, devint rapidement une énorme brèche. Mais si c’était là la seule cause du naufrage, celui-ci se serait produit en dix minutes. Or le paquebot a mis 2 h 30′ avant de couler… Les deux parties de la coque ont heurté le fond marin à une vitesse de 40 à 50 km/h, ce qui explique la grande dispersion de nombreux objets. La quille s’est enfoncée dans les sédiments sur environ dix mètres.

Les Américains, en violation de la loi internationale, s’adjugeront la propriété des biens restant à bord… mais au cours des années suivantes force leur sera de constater la disparition de pas mal de choses ; à ces profondeurs, les voleurs ne peuvent pas se bousculer : outre un sous-marin américain seuls un sous-marin russe et un français peuvent y aller… de quoi alimenter les conversations dans les carrés ; tout ce qui est remonté officiellement se vend à prix d’or par l’intermédiaire de Christie’s ou Sotheby’s. Et il est vrai qu’il y a une sorte d’urgence, car les concrétions que l’on observe un peu partout sont en fait des bactéries, c’est à dire des êtres vivants, qui prospèrent tant et plus, ce qui signifie que plus on attend et plus elles se développent, augmentant ainsi les difficultés des robots à récupérer ce qui peut l’être.

Épave du Titanic — Wikipédia

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15 09 1985

En Suède, 0,35 M. d’étrangers participent aux scrutins régionaux.

20 09 1985 

Charles Hernu, ministre de la défense fait office de fusible dans l’affaire du Rainbow Warrior, et donc, démissionne. L’amiral Lacoste est limogé de son poste de directeur de la DGSE. Il mourra en 1990 et sa seconde épouse – Dominique Tétreau – fera savoir à Laurent Fabius, alors premier ministre, qu’il ne serait pas le bienvenu aux obsèques.

21 09 1985  

Tremblement de terre à Mexico, sur la faille San Andrea, qui va du Chili en Californie ; l’amplitude varie de 6,5 à 7,3 ; il y a environ 10 000 morts.

09 1985  

Dans la calanque de la Triperie, dans les tombants des falaises du cap Morgiou,  – calanques de Marseille -, découverte de la grotte Henri Cosquer : c’est le nom du découvreur, plongeur à Cassis. Il gardera le secret entre amis plusieurs années ; mais l’exploration fit tout de même 3 morts le 1° septembre 2001, et il devenait très risqué de continuer ainsi : il fit la déclaration officielle de sa découverte le 3 septembre 2001. Son entrée se trouve à 37 m sous le niveau de la mer. Elle a été occupée et peinte – notamment 55 mains négatives, mais encore des chevaux, des bisons, des phoques, pingouins – au paléolithique supérieur, à peu près de 33 000 ans à 18 500 ans avant J.C., avec une interruption dans l’occupation autour de 20 000 ans : il faisait alors bien froid, d’où la présence d’animaux de climat froid. Elle n’a pas été habitée : à cette époque, cette entrée se trouvait à 120 m au dessus du niveau de la mer, qui était à 10 km de là. À l’échelle géologique, la variation du niveau de la Méditerranée aurait été de 80 à 90 m. Le réchauffement climatique provoquera une remontée des eaux à l’intérieur de la grotte, mais d’autres raisons expliquent le phénomène, entre autres, une variation notable de la pression de l’air à l’intérieur de la grotte. À plus ou moins long terme, il est donc quasiment certain qu’elle sera complètement envahie par l’eau ; en conséquence un programme de numérisation en 3 D a été mis en place en 2020, dont la copie sera présentée dès 2022 à la Maison de la Méditerranée à Marseille, à côté du Mucem, dans une conception qui ne laisse aucune place à la liberté d’aller et venir au visiteur, bloqué et donc passif dans son véhicule télécommandé sur tout le parcours, écouteurs aux oreilles pour le commentaire : silence, on tourne… en bourrique. C’est comme à Disneyland, chapeau pour l’imagination !

Immergée dans le parc national des Calanques, à Marseille, la grotte Cosquer a été fréquentée et ornée pendant quatorze mille ans par des chasseurs-cueilleurs paléolithiques. Trente ans après l’annonce de sa découverte et le début des recherches, les scientifiques révèlent encore le potentiel archéologique de ce site unique et menacé.

Sur les parois de la grotte Cosquer, on décompte 73 représentations de mains, essentiellement négatives. Un motif surreprésenté dans l’art pariétal.

Sur les parois de la grotte Cosquer, on décompte 73 représentations de mains, essentiellement négatives. Un motif surreprésenté dans l’art pariétal. MC-DRAC / SRA PACA / LUC VANRELL Le « peintre » se mettait en bouche une boue d’argile, puis, posant la main sur la paroi, projetait cette boue tout autour de sa main et avant-bras. La main est une des représentations les plus courantes de l’art pariétal, – on en voit dans tout l’art pariétal d’Europe occidentale, surtout en Espagne. Elles datent en général – quand la datation est possible – du Gravétien, de – 27 000 à – 22 000.

La grotte Cosquer enfin révélée au public | Ville de Marseille

Le ciel est bleu et la mer calme, ce matin de septembre [2021], sur le port de la Pointe-Rouge dans le sud de Marseille. Sur le quai, trois hommes remplissent un caisson cylindrique de capteurs électroniques, d’appareils photo et scanner et de lampes-torches, puis le referment hermétiquement avec soin. Une fois la pression dans les bouteilles de plongée vérifiée, ils chargent le matériel à bord d’un puissant Zodiac qui prend aussitôt la mer. Direction le cap Morgiou, dans le parc national des Calanques, et la grotte Cosquer qui s’ouvre à ses pieds, seule cavité ornée au monde dont l’entrée se situe sous le niveau de la mer.

La pointe de la Voile, au premier plan, au pied de laquelle s’ouvre la grotte, et le cap Morgiou. Cette zone de falaises abruptes, dans lesquelles se développe la cavité karstique, est interdite à la plongée et au mouillage. PEDRO LIMA.

Luc Vanrell, archéologue indépendant rattaché au Laboratoire méditerranéen de préhistoire Europe Afrique (Lampea), détaille les objectifs de cette mission organisée sous l’égide de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) PACA : Nous devons finaliser le relevé 3D de la cavité, effectuer des mesures sur le plan d’eau et surveiller l’état des parois ornées de peintures et gravures, menacées et corrodées par l’eau salée. 

La sortie de ce matin a été reportée plusieurs fois pour cause de mauvaise météo. Par mer agitée et vent fort, l’accès à la cavité, noyé à 37 mètres de fond, devient trop dangereux. Bertrand Chazaly, topographe de la société Fugro chargé du relevé 3D, et Bruno Arfib, du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (Cerege), qui étudie le fonctionnement hydraulique et climatologique de la grotte, complètent la palanquée.

Le panneau des chevaux est à sec durant huit à dix mois par an, grâce à l’injection d’air dans la cavité, sous l’effet des vagues. Lorsque la pression de l’air diminue, le niveau d’eau remonte et recouvre partiellement le panneau. MC-DRAC / SRA PACA / LUC VANRELL Seule solution technique envisageable : injecter de l’air jusqu’à ce que sa pression fasse baisser le niveau de l’eau…

La traversée, de trente minutes environ, longe le paysage majestueux des hautes falaises de calcaire blanc du massif des Calanques et il n’est pas rare, sur le trajet, de croiser des thons ou des groupes de dauphins. À quelques encablures du cap Morgiou, long éperon rocheux qui s’avance dans la Méditerranée, Luc Vanrell, par radio, obtient des autorités maritimes l’autorisation d’entrer dans la zone de protection de la grotte Cosquer, d’un rayon de 300 mètres autour de la pointe de la Voile. Un arrêté préfectoral de 2013 y interdit tout mouillage et plongée. Parvenus sur le site, les trois chercheurs s’équipent, se mettent à l’eau et s’enfoncent dans la Grande Bleue, ne laissant derrière eux qu’une colonne de bulles d’air. Nous ne les reverrons que cinq heures plus tard, au retour de la mission.

Arrivé au pied du tombant rocheux, Luc Vanrell ouvre, avec une lourde clé métallique en forme de croix, un portail en acier inoxydable bloquant l’accès à un étroit conduit, dans lequel se glisse l’équipage. Une main sur le câble qui sert de fil d’Ariane, l’autre sur le caisson étanche maintenu en équilibre, les scientifiques palment avec précaution dans le boyau qui remonte sur 116 mètres avec une pente de 30 degrés. Ce faisant, ils empruntent le même parcours que les chasseurs-cueilleurs du paléolithique supérieur, il y a trente mille ans, qui ont fréquenté et orné la grotte lors de la dernière période glaciaire.

A l’époque, la mer se situe jusqu’à 135 mètres plus bas et le porche d’entrée est à l’air libre, à environ 100 mètres d’altitude. Sur la base d’analyses au carbone 14 d’échantillons de charbon prélevés sur les sols et les parois de la cavité (quarante et un depuis 1991), on sait qu’elle a été fréquentée durant quatorze mille ans, entre 33 000 et 19 000 avant le présent, lors de deux périodes (ou chronocultures) du paléolithique supérieur appelées gravettien et épigravettien. Avant que la forte remontée du niveau marin consécutif à la fin de la glaciation ne l’engloutisse partiellement, il y a neuf mille ans environ.

De nos jours, les sols de l’étroite galerie noyée sont recouverts d’une épaisse couche de vase, imposant une concentration maximale aux plongeurs. Un mouvement trop brusque peut avoir des conséquences graves, mettant la vase en suspension dans l’eau déjà sombre et rendant la visibilité nulle. C’est ce qui s’est produit ici même, le 1° septembre 1991, lorsque trois plongeurs ont perdu la vie en cherchant à atteindre la grotte ornée dont ils avaient entendu parler… Conduisant, le surlendemain, le scaphandrier professionnel Henri Cosquer à en déclarer l’existence aux autorités, six ans après l’avoir découverte au cours d’une prospection de spéléologie sous-marine, puis visitée à plusieurs reprises, seul ou en groupe.

Après le passage d’un dernier siphon, l’équipe scientifique débouche enfin dans la première salle de la grotte, de grandes dimensions (50 x 40 mètres) et aux deux tiers immergée. Dans le faisceau des torches, le spectacle est fascinant. D’immenses piliers stalagmitiques blanchâtres plongent dans le lac d’eau salée, tandis que les voûtes et les parois, aux teintes ocre et jaune, sont parsemées de draperies minérales, stalactites et fistuleuses aux formes délicates. Le plafond est en pente, comme la galerie d’accès, et plusieurs stalagmites sont cisaillées, signe d’une intense activité sismique passée. Les trois plongeurs n’ont pas le temps d’admirer la beauté presque irréelle des lieux et nagent jusqu’à une petite plage sur laquelle ils prennent pied puis déposent leur matériel.

C’est en bas de combinaison et en chaussons de plongée que vont se dérouler les cinq heures de travail sous terre. Cette durée est fixée, pour des raisons de sécurité et de protection, par la DRAC, qui est chargée de la conservation du site, propriété de l’Etat et classé depuis 1992 au titre des monuments historiques. Pas plus de cinq personnes (uniquement des scientifiques et spécialistes de la conservation) ne travaillent en simultané dans la grotte et celle-ci est mise au repos absolu après cinq jours consécutifs de missions. La température de la cavité varie entre 18,7 °C et 21,2 °C, régulée par les eaux de la Méditerranée, et le niveau de CO2 est sensible à la présence humaine.

Aujourd’hui, Luc Vanrell et Bruno Arfib doivent se rendre dans la deuxième salle de la grotte, située dans le nord du site. Traversant par endroits des cuvettes d’eau salée, ils empruntent un cheminement imposé qui évite les nombreux foyers d’éclairage et les outils en silex (dix-sept au total) présents sur les sols archéologiques.

Cette prudence n’a pas toujours été de mise. La cavité porte encore, sous forme d’empreintes de pas modernes et de marques sur les parois, les stigmates de missions invasives menées en 1992 et 1994, de tournages de films et d’émissions de télévision (Ushuaïa), et même de visites clandestines postérieures à 1991.

Dans le faisceau des torches, des figures animales apparaissent fugacement sur les parois, au milieu d’enchevêtrements de traits indistincts. Puissants bisons, délicats chevaux et bouquetins, phoques et pingouins, rarissimes dans l’art pariétal paléolithique, composent le bestiaire original de la grotte engloutie. Certaines figures sont dessinées à même le sol, preuve que les artistes ont exploité toutes les surfaces disponibles. Les traits au charbon de bois sont d’une étonnante fraîcheur, miracle de conservation dû à l’humidité qui règne sous terre (plus de 90 %) et à l’occultation du site depuis sa submersion partielle.

Après quelques minutes de progression prudente, l’équipe débouche dans la deuxième salle ornée, plus petite que la première, en franchissant une étroiture naturelle baptisée faille des Bisons. Là s’ouvre un vaste puits de 20 mètres de profondeur, montant sur 45 mètres dans sa partie aérienne, au bord duquel une draperie minérale est tapissée de dizaines d’empreintes de mains négatives noires. Elles ont été obtenues, il y a trente et un mille ans, en crachant sur la roche un mélange d’eau, de salive et de charbon pulvérulent fabriqué sur place en brûlant du pin sylvestre. D’autres, de couleur rouge, ont été réalisées avec de l’argile trouvée dans la grotte et transformée en pigment. L’analyse détaillée de ces empreintes de mains a montré qu’elles ont appartenu à des hommes, des femmes et des enfants.

Afin de réaliser des mesures de température et de conductivité, le climatologue Bruno Arfib n’hésite pas à s’embarquer sur un petit bateau pneumatique pour naviguer au-dessus du puits. Il cherche à mieux comprendre le fonctionnement hydrologique et climatique de la cavité, en particulier sa mise en pression très particulière qui sauve de nombreuses œuvres de la noyade.

D’autres recherches ont montré que le gouffre est habité par de grands homards Homarus gammarus, capables de sectionner d’un coup de pince les capteurs qui surveillent en permanence la température de l’eau. Deux études menées en 2015 et 2016 par Pierre Chevaldonné (CNRS – Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale) ont confirmé la grande richesse biologique de la grotte, qui abrite des nuées de mysidacés, petites crevettes cavernicoles grégaires, ainsi que des espèces généralement observées dans les abysses des canyons sous-marins, comme l’éponge blanche et massive Haliclona magna ou un crustacé aux teintes orangées appartenant au genre Munida.

De son côté, Luc Vanrell inspecte les parois ornées, en partie immergées, dont certaines portions se détachent parfois à proximité de figures peintes et gravées sous l’effet de la corrosion marine. Ces atteintes sont liées à la montée inexorable de l’eau dans la grotte, jusqu’à 0,8 cm par an, liée au réchauffement climatique et à la hausse globale du niveau marin. Une situation d’autant plus alarmante qu’une majorité de figures se situe à moins de 2 mètres au-dessus du niveau de l’eau. Autre sujet de préoccupation, les scientifiques observent régulièrement des microplastiques apportés par la mer, et des analyses ont montré la présence de différents polluants dans les eaux de la cavité. Associées à l’aléa sismique, ces menaces font de la grotte Cosquer un site particulièrement fragile, amené à disparaître au moins partiellement d’ici à la fin du siècle.

Resté seul dans la première salle, Bertrand Chazaly complète pour sa part l’enregistrement 3D de la cavité, positionnant pour cela son appareil scanner face à l’émouvant panneau de quatre petits chevaux en partie noyés. Comme souvent, la position de travail est inconfortable, avec de l’eau jusqu’à la taille et la tête penchée sous une voûte basse. Nous numérisons tous les volumes avec précision – un point de mesure tous les 2 millimètres −, y compris les surfaces noyées, et numérisons toutes les œuvres avec une précision encore plus élevée, détaille l’expert.

Commandé par l’Etat et aujourd’hui achevé, ce relevé constitue un outil précieux pour la conservation du site et pour l’étude de ses œuvres. Et ce d’autant plus que, comme dans toutes les grottes ornées, les artistes ont ici exploité remarquablement les reliefs naturels pour faire surgir de la paroi les formes animalières. Le relevé 3D va permettre, en particulier sur les microgravures, de retrouver le geste des artistes, le sens de réalisation des traits, ou de déterminer si le graveur était droitier ou gaucher, souligne le conservateur du site Xavier Delestre, auteur d’un récent ouvrage (La Grotte Cosquer en questions, Equinoxe). Le relevé 3D joue aussi un rôle majeur pour la réussite de la future réplique de la grotte, en cours de réalisation à Marseille. Xavier Delestre précise qu’au cours des trois dernières années, le budget alloué par l’État pour la conservation, la recherche et le relevé 3D de la grotte Cosquer s’élève à environ 1 million €.

Mais l’heure tourne et l’équipe doit déjà quitter les lieux. Les services de la DRAC interdisant de laisser du matériel entre deux missions, tout doit être emporté, les échantillons s’ajoutant parfois aux caissons étanches, allant jusqu’à 60 litres d’eau salée conditionnés dans des bouteilles et des filets de plongée. La grotte Cosquer implique un engagement total, et nous perdons chacun en moyenne 3 kg par mission. Dans la cavité, on ne compte plus les pannes de batteries et de capteurs, durement sollicités par l’humidité et la salinité du site, tout comme nos organismes, témoigne Luc Vanrell de retour sur le Zodiac.

Le géographe physicien du Cerege Claude Vella effectue des mesures sur le plan d’eau devant le panneau des chevaux.

Le géographe physicien du Cerege Claude Vella effectue des mesures sur le plan d’eau devant le panneau des chevaux.

Cet archéologue, plongeur et photographe de métier, arrivé dans l’équipe scientifique en 1994, étudie le site depuis le début des années 2000, en compagnie de Michel Olive, archéologue au service régional de l’archéologie de la DRAC PACA. Ce duo a pris la suite des chercheurs (Jean Courtin, Jacques Collina-Girard et Jean Clottes, entre autres) qui ont dévoilé, après 1991, la structure géologique de la cavité, la chronologie générale de sa fréquentation et la diversité d’activités déroulées sous terre au paléolithique supérieur, outre la réalisation des œuvres.

Ainsi, Jean Clottes et Jean Courtin ont avancé, dans un ouvrage publié en 2005 avec Luc Vanrell (Cosquer redécouvert, Seuil), l’idée que les importants prélèvements de matière calcaire réalisés dans la grotte (intenses raclages de parois pour ôter une substance molle appelée  mondmilch et bris intentionnels de stalactites et stalagmites) correspondaient vraisemblablement à des pratiques médicinales, les plus anciennes connues à ce jour, le carbonate de calcium obtenu ayant pu servir de pansement, entre autres, d’antitussif ou d’antidiarrhéique. La substance blanche extraite en grande quantité de la grotte – au point que cette activité a peut-être constitué la motivation principale de la présence humaine sous terre – a aussi pu avoir une fonction rituelle, comme peinture corporelle.

Dans un récent numéro des Dossiers d’archéologieCosquer 1991-2021, 30 ans de recherches, avec Bruno Arfib, Bertrand Chazaly, Jean-Michel Chazine, Pierre Chevaldonné et Sylvain Coutterand, éditions Faton), Luc Vanrell et Michel Olive confirment encore le fabuleux potentiel archéologique de la grotte du cap Morgiou. Tout d’abord, ils enrichissent l’inventaire des entités graphiques, qui passe de 517 (en 2015) à 553, parmi lesquelles 229 figures animalières, 73 empreintes de mains et 240 signes géométriques. Un quart seulement des zones initialement ornées nous étant parvenu, nul doute que la grotte Cosquer devait être lors de son ornementation aussi riche artistiquement que Lascaux (Dordogne) ou Chauvet (Ardèche). De plus, une représentation probable d’ours a été découverte en 2018, portant le nombre d’espèces animales de douze à treize.

Autre nouveauté, certaines figures de ce bestiaire pourraient être encore plus anciennes que ce qui est admis : Plusieurs figures animales gravées détonnent du reste des représentations, notamment par la technique de réalisation, les dimensions et la façon de représenter les membres, notent Luc Vanrell et Michel Olive. En deux endroits au moins, ces figures anormales sont partiellement recouvertes par le halo de mains négatives noires situées à proximité, attribuées à la phase ancienne autour de trente-trois mille ans. Ceci démontre que les figures gravées sont plus anciennes encore, sans que l’on puisse les dater précisément

Parmi les innombrables traces présentes sur les parois, deux ont interpellé particulièrement les chercheurs. Il s’agit d’empreintes, laissées sur la superficie molle de la paroi, de fines stries géométriques : Elles évoquent l’empreinte estampée d’un matériau tissé et pourraient être la trace, du fait de leur localisation, d’un coup d’épaule fortuit, ce qui sous-entend le port d’un vêtement textile par son auteur. 

Si une empreinte datant de la période moderne de fréquentation n’est pas complètement à exclure, l’une d’entre elles recoupe néanmoins les traits gravés de l’homme-phoque tué, composition mi-humaine, mi-animale datée de l’épigravettien. Fascinant, ce possible emploi de textiles à l’époque de fréquentation de la grotte Cosquer ne constituerait pourtant pas une première. Le site de Dolni Vestonice, en Moravie, a livré des empreintes, sur des figurines d’argile, de fibres possiblement tissées autour de 26 000 ans. Les chasseurs-cueilleurs provençaux étaient-ils déjà capables d’entrelacer des fibres, animales ou végétales, pour obtenir des textiles et des vanneries ? L’hypothèse ne serait plus à exclure.

Par ailleurs, en analysant finement l’art pariétal, Luc Vanrell et Michel Olive ont identifié deux façons distinctes de représenter les crinières des chevaux, les conduisant à s’interroger sur les relations unissant à l’époque humains et équidés : On reconnaît des chevaux sauvages de type Przewalski, caractérisés par une crinière droite, drue et hérissée. Cependant, certains sont représentés avec une crinière tombant sur l’encolure et d’autres ont eu, postérieurement à leur réalisation, la crinière corrigée par gravure pour la rendre tombante. Or, une crinière longue et tombante est caractéristique, pour les éthologues et les éleveurs, d’un cheval sauvage passé à la captivité. Cela questionne sur le niveau de proximité atteint par les groupes humains avec les chevaux

Une autre figure d’équidé renforce l’hypothèse d’une grande proximité entre humains et chevaux, sans que l’on puisse à ce stade parler de domestication. Elle montre un signe rectangulaire courbe et quadrillé épousant le corps de l’animal, entre le garrot et les reins. Parfaitement ajusté, ce motif pourrait évoquer, d’après les deux chercheurs, une sorte de tapis posé sur le cheval, sans que l’on puisse à ce stade en deviner la fonction.

Il reviendra à la nouvelle équipe pluridisciplinaire, missionnée en mars par le ministère de la culture, de confirmer ou d’infirmer ces hypothèses. Dans un contexte d’urgence, la quinzaine de chercheurs (archéologues, pariétalistes, géomorphologues, spécialistes du traitement 3D…) devra surtout faire, vraisemblablement à partir du printemps prochain, un bilan sanitaire poussé de la cavité, préciser son fonctionnement climatique, améliorer encore la connaissance de son art et sauver ce qui peut l’être de ses vestiges archéologiques.

Agissant comme des pompiers face à l’incendie, selon son directeur, le préhistorien Cyril Montoya (Lampea), l’équipe proposera aussi la réalisation de fouilles sur les sols archéologiques, proscrites actuellement, quitte à les détériorer avant que la mer ne s’en charge. Jusqu’à extraire du site les vestiges les plus précieux et menacés de submersion, comme certains panneaux ornés ? Au cas par cas, il faudra envisager toutes les hypothèses, en accord bien entendu avec les autorités, répond Cyril Montoya. Patrimoine humain en sursis, la grotte silencieuse et fragile qui repose dans les calanques mérite toutes nos attentions.

Pedro Lima. Le Monde du 10 novembre 2021

Les dates-clés

De – 33 000 à – 19 000 ans Fréquentation et ornementation par des chasseurs-cueilleurs, Gravettiens puis, après une période sans occupation,  Solutéens ou Épigravettiens, durant la dernière période glaciaire.

9 000 ans Submersion du porche d’accès et des trois quarts des surfaces ornées lors de la remontée du niveau marin consécutif à la fin de la dernière glaciation.

1985 Découverte en plusieurs étapes par Henri Cosquer, suivie de visites seul ou en groupe.

3 septembre 1991 Déclaration de la découverte, deux jours après la mort accidentelle de trois plongeurs Grenoblois dans le conduit d’accès.

Du 19 au 21 septembre 1991 Mission d’expertise conduite par Jean Courtin, avec authentification des figures et premières datations.

De 1992 à 2020 Missions et campagnes scientifiques irrégulières. De 2005 à 2010, seules de rapides visites de contrôle sont effectuées.

2017 Début du dernier relevé 3D de la cavité, commandé par l’Etat et achevé en 2021, après ceux de 1994 et 2010-2013.

2021 Une nouvelle équipe scientifique est missionnée par le ministère de la culture.

2022 Ouverture à Marseille de la réplique de la grotte Cosquer, à l’initiative de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans la maison de la Méditerranée, voisine du MUCEM

UNE GROTTE UNIQUE AU MONDE - ppt video online télécharger

Balade aérienne : la Côte Bleue (Calanques, Frioul...)

 

Préhistoire : la grotte Cosquer, un patrimoine en péril

les gravures ne sont pas datables.

Sur les écrans fin novembre 2023 un remarquable documentaire : La grotte Cosquer. Un chef d’œuvre en sursis, une réalisation de Marie Thiry.

D’autres video, de Luc Vanrell, et de la réplique, antérieures au documentaire de Marie Thiry.

25 10 1985 

Nouveaux numéros de téléphone à 8 chiffres en province : en 1974 il y avait 10 M. d’abonnés en France, ils sont 23 M. en 1985. Coût de l’opération : 4,8 milliards de francs. Un nouveau changement est prévu pour le 18 octobre 1996 : passage à 10 chiffres.

13 11 1985

Une éruption du volcan Nevada del Ruiz, près d’Armero, à 100 km de Bogota – Colombie -, déclenche une coulée de boue : 23 000 morts.

20 11 1985   

Première chaîne de télévision privée en France : c’est la 5° de Robert Hersant et Silvio Berlusconi.

3 12 1985 

Fuite de gaz toxique à Bhopal, Inde : c’est de l’oxyanate de méthyle qui s’échappe d’une usine du groupe Union Carbide : on comptera 2 500 morts.

7 12 1985

Terrorisme à Paris : une bombe aux Galeries La Fayette, une autre au Printemps.

14 12 1985

Présentation du Rafale.

Le Rafale pour le remplacement des F-16 de la Composante ...

21 12 1985    

1° restaurant du cœur dans le 19° arrondissement, à l’initiative de Michel Colucci, alias Coluche. Sur Europe I : J’ai une petite idée comme ça. Si des fois, il y a des marques qui m’entendent… Je ferai un peu de pub tous les jours. S’il y a des gens qui sont intéressés pour sponsoriser une cantine gratuite, qu’on pourrait commencer par faire à Paris, puis qu’on étalerait dans les grandes villes de France […] Quand il y a des excédents de bouffe à droite, à gauche, et qu’on les détruit pour maintenir les prix sur les marchés, à ce moment-là, nous, on pourrait peut-être les récupérer. […] Et puis, on essaiera un jour, de faire une grande cantine, peut-être cet hiver. Gratos ! Voilà, je lance l’idée comme ça…

31 12 1985   

Fernande Grudet, 62 ans, alias Madame Claude (pour devenir mère maquerelle, mieux valait changer de nom, même si Georges Brassens chante quand je pense à Fernande, je bande, je bande) est arrêtée dans sa bergerie de Carjac, dans le lot, pour s’être soustraite à la justice après sa condamnation d’octobre 1976 à 11 mois de prison avec sursis et 11 millions de francs d’amende. Les juges avaient suivi le cheminement des policiers qui avaient coincé Al Capone : c’est du côté des impôts qu’ils font des bêtises : elle ne déclarait par les revenus de ses filles. Les prédécesseurs de Giscard s’étaient fort bien accommodés des activités de cette femme dont les filles satisfaisaient aux besoins en matière de sexe des gens qui comptent : discrétion, la classe, un vernis de culture, une plastique à en faire pâlir plus d’un : bref, on s’envoyait en l’air jusqu’à pas loin du paradis. Giscard lui, la soupçonnait de lui avoir mis une de ses filles dans les pattes pour ensuite le faire chanter et il avait donné ordre de s’en débarrasser. Elle n’avait de dévotion que pour l’argent et n’éprouvait que haine et mépris pour la terre entière : Il faut être con ou tordu pour payer une fortune une partie de jambes en l’air, et les femmes en prenaient encore plus pour leur grade. Deux choses marchent dans la vie : la bouffe et le sexe. Je n’étais pas douée pour la cuisine. 

Sa condamnation d’octobre 1976 l’avait fait fuir en Californie où elle avait tenté de se reconvertir dans la boulangerie – Marie Blachère avant l’heure -, sans réaliser que son type d’intelligence ne pouvait pas du tout correspondre à celui d’une boulangère pour laquelle un important pourcentage d’ADN est fait d’honnêteté, ce qui pour elle était terra incognata. Faillite faite, elle était revenue en France pour s’y refaire en reprenant mais encore plus clandestinement ses activités de mère maquerelle. Il ne restait plus qu’à aller la cueillir à domicile.

71 ans, en 1994. Une tête à avoir une petite culotte bien propre… on lui donnerait le Bon Dieu sans confession… et même la direction des Oiseaux, un pensionnat de jeunes filles très BCBG – Beau Cul, Belle Gueule -.

1985   

Le coût des grands projets de François Mitterrand est estimé à cette époque à 16 milliards de francs. En fait, ce sont 30 milliards (1,5 porte avions Charles De Gaulle) qui auront été investis de 1981 à fin 1997. Et le coût de fonctionnement de tout cela est estimé à 10, 15 % du montant de l’investissement. Retour de la Comète de Halley, tous les 76 ans. Félix Houphouët Boigny, président de la Côte d’Ivoire, termine la Basilique de Yamoussoukro, qui contient tous les paradoxes de l’Afrique : abdication de toute volonté d’exprimer le sentiment religieux africain en réalisant un édifice original, – ce n’est qu’une stricte copie  du chœur de St Pierre de Rome effectuée par des artistes étrangers – et en même temps besoin de la chrétienté africaine de s’affirmer face à l’islam conquérant et omniprésent.

Le géographe et alpiniste Éric Julien entreprend une expédition dans les montagnes de Colombie. C’est là, dans des circonstances exceptionnelles, qu’il découvre les Indiens Kogis : victime d’un œdème pulmonaire, le jeune homme est sauvé par cette peuplade qui le soigne avec des plantes et des connaissances d’un autre temps. De retour à Paris, il découvre que ces Indiens sont les derniers héritiers des grandes cultures précolombiennes du continent sud-américain. Revenu dix ans plus tard sur les lieux de son expédition avec l’idée d’aider les Kogis à retrouver leurs terres ancestrales et à s’inventer un avenir qui leur soit propre, il doit faire face à de multiples difficultés (narcotrafiquants, guérillas… etc) pour rejoindre, confinées dans des montagnes lointaines, une société qui a su préserver une grande beauté dans ses rapports avec la nature. Peu à peu, la confiance s’installe. En 1997, Eric Julien crée l’association Tchendukua – Ici et Ailleurs – qui, depuis la France, rachète et restitue aux Indiens Kogis leurs terres. En échange, il est initié à la connaissance intimes des écosystèmes qu’ont les Kogis.

Reporters sans Frontières est fondée à Montpellier par les journalistes Robert Menard, Rémy Loury, Jacques Molénat et Émilien Jubineau ; sa devise : Sans une presse libre, aucun combat ne peut être entendu. 

1 01 1986   

L’Espagne et le Portugal entrent dans la CEE, portant à 12 le nombre des pays membres.

14 01 1986    

Accident d’hélicoptère au cours du rallye Paris Dakar : Thierry Sabine et Daniel Balavoine y laissent la vie : les Africains, doués pour l’art de la récupération en feront une machine agricole : devant, ça bine, derrière, ça bat l’avoine.

20 01 1986 

Pour la première fois depuis 1979, le prix du baril de pétrole passe en dessous de 20 $. Inauguration de la Cité des Sciences à La Villette, réalisée par Adrien Fainsilber ; on est sur l’emplacement d’abattoirs très modernes qui n’avaient jamais servi, construits dans les années 60. Les jardins inaugurés en 1991 dont dus à Bernard Tschumi.

À Lille, Margaret Thatcher et François Mitterrand annoncent la construction du tunnel sous la Manche. L’annonce sera ratifiée par traité le 29 07 1987 ; le coût prévu à l’époque est de 66,2 milliards F. La première idée d’un franchissement de la Manche remonte au milieu du XVIII° siècle (Nicolas Desmarets puis Albert Matthieu Favier). Bonaparte n’avait pas dit non : c’est la guerre qui s’en était chargé. Le premier essai sérieux sera fait en 1867 avec la création de la Channel Tunnel Company en 1872 ; les travaux commenceront dès 1874 à Sangatte, en 1881 à Douvres et  1 800 mètres seront creusés de part et d’autre, à 29 mètres sous le fonds de la mer, sous la direction des ingénieurs anglais William Low et français Aimé Thomé de Gamond, quand, en 1883 il leur faudra tout arrêter lorsque la Royal Navy et des milieux d’affaires anglais mettront fin au projet. Ce ne sont pas moins de 139 projets qui auront été présentés !

Il faudra attendre Winston Churchill pour que le veto des militaires soit levé en 1955. Les études vont alors reprendre avec la création de l’Association du Chemin de fer sous marin entre la France et la Grande Bretagne qui laisse la place en juillet 1957 à un GETM : Groupe d’Etudes du Tunnel sous la Manche. Les travaux seront engagés en 1973 : 300 m. seront creusés du coté français et 400 du coté anglais, puis arrêtés deux ans plus tard et 500 M. F. seront remboursés par l’État aux entreprises. Mais les échanges continuent à augmenter : de 1973 à 1983 les voyageurs passeront de 25,2 M à 45,4 M et les marchandises de 45,4 M. T. à 53,4 M.T. Un nouveau montage se met en place, à 100 % privé, avec une sous estimation constante des coûts réels de l’opération.

Des quatre projets proposés c’est celui d’Eurotunnel qui l’a emporté : le premier projet a été écarté par crainte de collision avec les navires ainsi que l’utilisation de techniques non maîtrisées. Le troisième projet avait reçu un avis défavorable car le système d’aération avait été considéré comme insuffisant et le coût semblait sous-évalué. Restaient donc en compétition les projets Euroroute et Eurotunnel. Ce dernier fut sélectionné du fait de son coût inférieur mais également pour son impact jugé plus faible sur l’environnement et l’utilisation de techniques éprouvées.

  • Europont : il s’agissait d’un pont-tube de 37 km soutenu par 8 pylônes de 340 m de hauteur, faisant appel à des techniques nouvelles, avec des travées longues de 5 km suspendues à des câbles en kevlar. Le pont aurait deux niveaux de 6 voies chacun. Une liaison ferroviaire serait faite par tunnel. Le coût était évalué à 68 milliards de francs.
  • Euroroute : c’était un ensemble routier pont-tunnel-pont. Les ponts à haubans avec des travées de 500 mètres de portée reliant des îles artificielles à la côte, et un tunnel ferroviaire de 21 km sous le fond de la mer. Des rampes hélicoïdales permettent le passage du pont au tunnel. Une liaison ferroviaire indépendante passe par deux tunnels. Le coût était évalué à 54 milliards de francs hors frais financiers.
  • Transmanche Express : ce projet a été présenté à la dernière minute par la société British Ferries. Il comprenait un ensemble de quatre tunnels (deux routiers et deux ferroviaires) unidirectionnels. Deux îles artificielles seraient créées pour assurer la ventilation des tunnels routiers via des puits. Le coût annoncé est de 30 milliards de francs.
  • Eurotunnel : dans ses grandes lignes, ce projet reprenait celui de 1972 – 1975, d’un double tunnel ferroviaire avec un troisième tunnel de service. Ce projet a un coût estimé à 30 milliards de francs, qui, au final sera de 14.3 milliards d’€ !

28 01 1986 

La navette Challenger explose 74 secondes après son décollage, tuant ses 7 astronautes dont une femme, Christa Mc Auliffe ; c’est un joint d’étanchéité d’un booster qui n’a pas résisté aux – 3° qui régnait alors sur le pas de tir, la nuit précédente ! Un gaz à 3 200° s’est alors échappé par le joint défectueux et, faisant office de chalumeau, il a transpercé le réservoir et embrasé les 1 700 tonnes de carburant.

01 1986 

Une fusée Proton met en orbite les premiers éléments de la station russe Mir : un cylindre de 20 tonnes, 16 mètres de long pour 4,2 mètres de diamètre. À chacune des extrémités, deux pièces d’amarrage destinées à lui permettre d’accueillir six nouveaux éléments. Achevée, elle mesurera 45 mètres de long pour une masse de 140 tonnes. Elle a été mise en orbite  au ras des pâquerettes, vers 350 km d’altitude, et à cette hauteur là, on est loin du silence des espaces infinis : la densité de gaz avoisine encore 1 million d’atomes par centimètre cube. On compte 1 000 atomes par centimètre cube au cœur des nébuleuses interstellaires et 1 atome par mètre cube dans l’espace intergalactique. Par comparaison, 1 centimètre cube d’air, à la surface de la Terre, compte plus de 100 milliards de milliards d’atomes. De ce fait, elle était freinée par la friction de ce plasma relativement dense et glissait, lentement mais sûrement vers la Terre. Chaque jour, Mir perdra ainsi une centaine de mètres d’altitude. Pour rectifier cela, Mir se fera régulièrement remonter sur l’orbite initiale par des vaisseaux Progress.

4 02 1986        

General Motors arrête la fabrication de la Jeep.

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5 02 1986

C’est l’anniversaire de la république d’Iran : une bombe explose devant la FNAC Sport du Forum des Halles : ce magasin appartient à la GMF, dirigée par Michel Baroin, principal financier d’Eurodif.

26 02 1986  

Assassinat d’Olof Palme, 59 ans, premier ministre suédois. Ingvar Carlsson lui succède.

Ses prises de position en faveur des droits de l’homme lui avaient valu de nombreux ennemis, en Suède au sein de l’extrême droite et un peu partout à l’étranger, notamment en Afrique du Sud. La police suivit un si grand nombre de pistes et en même temps se refusa à entendre tant de témoins de premier ordre que deux journalistes se décidèrent à mener eux-mêmes leur enquête d’où il ressortit que la police était bien directement impliquée dans cet assassinat. Un club de base ball de la police existait, qui ne rassemblait que des policiers d’extrême droite. Peu avant l’assassinat, un témoin avait vu à proximité une voiture de police, occupée par un seul policier, – alors qu’ils sont d’habitude deux – ce dernier parlant dans un talkie walkie au lieu de la radio. Après l’assassinat, une autre voiture de police fût aperçue à proximité, gyrophare éteint. L’enquête déterminera que trente policiers étaient présents ce soir-là, dans les environs. Les enquêtes mettant en cause des policiers furent toutes systématiquement sabotées. Un congrès s’était tenu à Stockholm du 21 au 23 février, rassemblant des personnalités luttant contre l’apartheid en Afrique du Sud. Des membres des services secrets sud-africains avaient aussi fait le voyage, avec l’intention d’abattre le président de l’ANC, chose qui ne put se faire. Ils prirent alors mèche avec ces policiers d’extrême droite pour une autre cible et ce fût Olof Palme, lequel, supportant très difficilement la présence permanente de gardes du corps, représentait une cible très facile.

Résumé du récit de Patrick Penot, France Inter, le 18 novembre 2000, 13 h 30

En juin 2020 Krister Pettersonn, procureur de la justice suédoise donnera le nom d’un présumé coupable, sans preuve tangible : Stig Engström, 52 ans au moment des faits, qui s’est suicidé en juin 2000. Il avait appartenu à un groupe de policiers particulièrement anti-Palme. Dans l’ensemble, les Suédois n’y croiront pas.

28 02 1986  

Signature de l’Acte Unique Européen, qui prévoit la réalisation, au 1 01 1993, d’un véritable Marché Unique, sans frontières.

22 03 1986 

À la suite de législatives gagnées par la droite, Jacques Chirac est nommé premier ministre : première cohabitation, parfois tendue.

26 04 1986     1 h 23′

Explosion du réacteur n° 4 uranium-graphite de la centrale nucléaire russe de Tchernobyl, proche de la frontière Biélorusse (ce qui signifie Russie Blanche) mise en service en 1977, avec 4 réacteurs de 1 000 MW, à refroidissement par eau bouillante, à même de produire du plutonium militaire. Les 1 200 tonnes de béton qui recouvrent le réacteur sont projetées en l’air, une trentaine d’incendies se déclarent sur les toits, et près de 50 tonnes de combustible nucléaire s’évaporent dans l’atmosphère. Ce nuage, composé de plusieurs éléments radioactifs, s’abat sur une pinède voisine, puis traverse la Biélorussie et les pays Baltes en direction de l’Ouest. Par hélicoptère, les pompiers jettent sur le cœur du réacteur n°4 entré en fusion 5 000 tonnes de matériaux contenant du bore, – un élément qui absorbe les neutrons – et de produits lourds comme le plomb, le sable et l’argile. Ils sont cinquante à en mourir. Mais les restes du réacteur, dont la chape a explosé, sont à ciel ouvert : la radioactivité risque de se disperser dans l’environnement. L’État fait alors appel à 600 000 personnes, les liquidateurs, civils et militaires, qui vont nettoyer tout ça et surtout construire un sarcophage.

Sous la centrale abîmée, le cœur s’effondre petit à petit sur lui-même, dégageant une sorte de lave, appelée corium, qui grignote la dalle en béton. Problème : l’eau projetée par les pompiers pour éteindre l’incendie a rempli les piscines nucléaires, où s’écoule encore un mélange de matériaux irradiés à 1 200°C. Le sous-sol de la centrale est submergé de 20 millions de litres d’eau qui fonctionnent comme une bombe à retardement. Si le corium venait à atteindre ces eaux souterraines, ils les vaporiserai instantanément, générant une quantité de vapeur susceptible de causer une seconde explosion, certainement encore plus dévastatrice, et d’endommager les réacteurs intacts !

Les savants soviétiques sont formels : il faut agir vite. Trois employés de la centrale nucléaire sont réquisitionnés pour s’aventurer dans le labyrinthe de plomberie qui serpente sous le réacteur endommagé et actionner les valves de secours. Pour les motiver, on leur a promis des récompenses destinées à leur familles s’ils venaient à perdre la vie : des voitures, un appartement, une médaille au nom de l’Union soviétique. Les trois appelés, Alexei Ananenko, Valeri Bezpalov et Boris Baranov, ont entre 26 et 45 ans. Ingénieurs de formation, ils connaissent la centrale et l’emplacement salutaire des valves.

Équipés de tenues de plongée et de masques de protection, les trois hommes pénètrent dans le sous-sol de la centrale. Après plusieurs minutes de marche dans une eau contaminée à 45°C, le faisceau d’une des torches électriques tombe sur un large tuyau. Il suffit de le suivre pour déboucher dans la salle des valves, puis d’actionner ces dernières afin de vidanger l’eau dans les chambres voisines, où les pompiers pourront la pomper hors du site. Mission accomplie : les trois hommes quittent la centrale sous les vivats de leurs camarades et se débarrassent aussitôt de leurs tenues souillées par la radioactivité.

Bien sûr, la mission de décontamination du site ne s’arrête pas là. Les matériaux radioactifs peuvent encore atteindre le lit du fleuve Dniepr ou de la rivière Pripiat, risquant de corrompre les réserves d’eau potable de centaines de milliers d’humains et d’animaux. Pour refroidir le cœur du réacteur et stopper la course des matériaux irradiés, 400 mineurs du Donbass sont réquisitionnée pour creuser un tunnel de 150 mètres sous la centrale qui lui servira de chambre de refroidissement. Il faudra six semaines aux charbonniers pour venir à bout de cette mission… au lieu des trois mois initialement prévus.

Nicolas Mera. Slate 14 juillet 2024

Après l’explosion du réacteur n°4 de Tchernobyl, la centrale nucléaire qui accueillait trois réacteurs supplémentaires a continué à fonctionner pendant plus de 14 ans. Le démantèlement de ces trois réacteurs et la gestion de leurs déchets est l’autre grand chantier pour la sûreté nucléaire de Tchernobyl, parallèlement au chantier de l’arche géante qui doit couvrir le sarcophage du réacteur détruit. On fera appel à Areva pour construire des abris des matériaux contaminés, lesquels abris ne seront jamais opérationnels, par non conformité avec les mensurations des dits matériaux. Areva sera purement et simplement mis à la porte en avril 2007 par les Russes et s’en tirera avec un dédommagement de 45 millions €.

Des centaines de milliers de personnes vont être irradiés, le principal organe touché étant la thyroïde, l’un des cancers qui se soigne le mieux. On comptera chez les liquidateurs à peu près 4 000 morts ou invalides. Un peu moins de 30 ans plus tard, la végétation commençait à recouvrir tout ce désastre.

Le 6 mai, le ministère français de l’agriculture tire le bilan officiel : Le territoire français a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l’accident de Tchernobyl. Non, non, l’intox n’est pas morte… Le professeur Pierre Pellerin, patron du SCPRI – Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants -, relevant du Ministère de la Santé sera en première ligne d’un longue bataille judiciaire contre l’Association française des malades de la thyroïde et l’association antinucléaire Criirad, au premier rang desquels se trouvait Noël Mamère, qui attribuait à Pierre Pellerin la phrase selon laquelle le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à la frontière française, ce en quoi il avait tort, car Pierre Pellerin n’avait pas prononcé cette phrase. Mais sur le fond, à savoir le mensonge d’Etat, Noël Mamère avait raison : il perdra en première instance, il perdra en appel, il perdra en cassation et il finira par gagner devant la cour européenne des droits de l’homme… en novembre 2006, vingt ans après les faits.  Les scientifiques et citoyens Lambda qui s’étaient refusé à croire à la fable du nuage interdit de séjour en France, seront assez nombreux pour qu’un laboratoire d’analyses indépendant voit le jour : CRIIAD : Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité ; il prouvera la réalité de la contamination et les pouvoirs publics devront admettre leurs analyses. La Criiad [2] est installée en 1997 à Valence.

Le 14 mai, Gorbatchev s’en prendra aux gouvernements et aux  médias occidentaux qui auraient exagéré la gravité de l’accident dans un but polémique et politique.  

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Ce qui  est à l’œuvre au cœur du réacteur, c’est l’illustration par l’exemple de la fameuse équation d’Einstein, E=mc², qui met face à face, dans un rapport constant, l’énergie et la masse, deux choses qu’il n’allait pas de soi de rapprocher, l’une établie comme proportionnelle à l’autre, tant il est vrai que rien ne disparaît, mais se transforme. Un neutron libre percute un atome. Plus précisément, un atome lourd, uranium ou plutonium, capte au sein de son noyau un neutron libre. Le noyau devient instable, se scinde en deux, et libère deux ou trois neutrons. Parce qu’il perd en masse, sa fission dégage de l’énergie. A l’échelle de l’atome, c’est une énergie considérable. A notre échelle à nous, elle ne le devient que par le principe même de la fission nucléaire qui veut qu’une fois amorcée, la réaction se propage à des milliards d’atomes en quelques fractions de secondes. La sensation de l’homme qui comprend ça, qui sait être le premier dans l’histoire des hommes à la comprendre ? La sensation de cet hommes, en l’occurrence une femme, Lise Meitner, réfugiée en Suède en 1938, à l’instant où l’idée jaillit qu’elle sait être la bonne, d’une portée inimaginable, sans commune mesure avec ce qui a été mis au jour jusqu’ici ? En salle de contrôle, un agent appuie sur le frein. Deux, puis quatre, puis huit neutrons libérés, et la réaction s’emballe. L’idée, n’en laisser libre qu’un seul et absorber les autres. Le nucléaire civil, c’est ça. Le ronronnement d’une chaudière. Un neutron, une fission. Une fission, un neutron. Au milieu, le modérateur, graphite, eau légère ou eau lourde – dans les années quatre-vingt, les Russes privilégient le graphite -. Et les barres de contrôle – bore, cadmium -. Tous absorbeurs de neutrons.

Les barres sont mobiles. En position basse, elles plongent au cœur des assemblages de combustible dont la réactivité diminue jusqu’à l’arrêt complet. En position haute, le réacteur tourne à plein régime. Entre les deux extrêmes, les agents de conduite ajustent la puissance aux besoins d’approvisionnement du réseau électrique. Deux mécanismes garde-fous existent. Le premier interdit la remontée de la totalité des barres de contrôle pour prévenir un emballement du système. Le second déclenche automatiquement leur chute en cas de situation anormale – de température ou de pression, par exemple -.

Le 25 avril 1986, à la centrale nucléaire Lénine sur les rives de la rivière Pripyat en Ukraine, quinze kilomètres au nord-ouest de Tchernobyl, deux cent onze barres de contrôle sont à la disposition des opérateurs, techniciens, contremaîtres et ingénieur en chef qui pilotent l’arrêt de la tranche numéro quatre. C’est un arrêt ordinaire pour travaux de maintenance. Le réacteur est de type RBMK, une filière à eau bouillante modérée au graphite, développée par l’URSS et exploitée uniquement à l’est du rideau de fer. Sur cette filière, le combustible peut être déchargé et rechargé tout au long de l’année. Tandis qu’en Occident, les mêmes opérations doivent être précédées d’une mise à l’arrêt complet du réacteur. Le déchargement du combustible usagé permet d’extraire certains produits de fission recyclables tel le plutonium 239. La supériorité de la technologie soviétique est donc de pouvoir satisfaire à la fois les besoins des civils en énergie électrique et ceux de son armée en plutonium de qualité militaire prélevé en quelques heures à la demande. Cet avantage a des inconvénients au plan de la sûreté. Les réacteurs RBKM sont réputés instables à faible puissance. Et en cas d’accident, l’absence de cuve autour du combustible et d’enceinte hermétique autour du réacteur prive la population d’un espoir de confinement des matières radioactives.

La procédure d’arrêt de tranche est enclenchée le vendredi 25 avril au matin. Cette réduction programmée, par paliers de la puissance du réacteur avant son arrêt complet, sera mise à profit pour faire un essai de pilotage. L’objectif est de simuler une perte d’alimentation électrique. On vérifiera que l’inertie de la turbine permet d’alimenter les systèmes de sauvegarde, jusqu’à ce que les diesels de secours prennent le relais. Le programme de l’essai a été rédigé à la va vite, sans la rigueur nécessaire, signé et contresigné de la même façon, et transmis par les voies hiérarchiques aux équipes chargées de le mettre en œuvre. Dans une conversation téléphonique enregistrée la veille de l’accident, un opérateur s’adresse à l’un de ses collègues et s’étonne : Ici, dans le programme, il est dit comment procéder, et ensuite je vois que d’importants passages ont été biffés, qu’est-ce que je dois faire ? Silence de son collègue : Procède selon ce qui est supprimé.

Après une matinée de baisse de charge progressive par insertion automatique des barres de contrôle, un premier palier est atteint à 13 heures. Au même moment, le répartiteur de Kiev doit faire face à un besoin accru de courant sur le réseau local et demande au directeur de la centrale d’interrompre la baisse de charge. Sa demande est contraire à la procédure, mais elle est acceptée. Le réacteur va devoir fonctionner pendant plus de dix heures à mi-puissance. Ce régime anormal de fonctionnement libère dans les réacteurs de type RBMK une grande quantité de xénon, un gaz rare qui a la particularité de capter les neutrons et de faire chuter la réactivité. À 23 h 10, lorsque les agents de conduite reprennent la procédure, l’empoisonnement au xénon provoque un effondrement brutal de la puissance. À ce stade, l’essai d’îlotage devrait être abandonné car le réacteur ne libère plus l’énergie nécessaire. Mais le responsable décide de mener le  test à son terme. Ordre est donné aux opérateurs de passer en commandes manuelles et de faire l’inverse de ce qui a été fait au cours des vingt dernières heures, à savoir relever les barres de contrôle afin de relancer la réaction en chaîne. Un dispositif de sécurité bloque la remontée des trente dernières barres. Ce dispositif est déconnecté, de même que les mécanismes automatiques d’alarme et d’arrêt d’urgence. De trente barres, on passe à vingt, puis douze, puis six. Le niveau de puissance remonte. Mais le réacteur est devenu très instable et les opérateurs doivent procéder à des réglages à intervalles répétés de quelques secondes. Un chef d’équipe réclame que soit stoppé le programme d’essai en cours, l’ingénieur en chef s’y refuse. À 12 h 32, la poursuite de l’essai entraîne un nouvel effondrement de la puissance, les dernières barres de contrôle sont relevées. À 1 h 23, une première explosion suivie d’une seconde soulève les mille tonnes de la dalle de couverture. La dalle retombe à la verticale, mettant le réacteur à ciel ouvert. L’afflux d’oxygène enflamme le graphite. Du combustible, des composants du cœur et des éléments de structure sont projetés sur les bâtiments adjacents, et un nuage de fumée et de vapeur d’eau chargées de radionucléides s’élève jusqu’à huit kilomètres dans l’atmosphère. Rapidement, les composants les plus légers, y compris des produits de fission et pratiquement tout l’inventaire des gaz rares sont soufflés par les vents dominants en direction du nord-ouest. En cette fin d’avril 1986, l’anticyclone s’est installé sur l’Europe. Il fait beau et chaud ces derniers jours, et dans la ville nouvelle de Pripyat à trois kilomètres de la centrale, des hommes et des femmes dorment la fenêtre ouverte, réveillés par les explosions, certains s’apprêtent à se lever mais se ravisent ; très vite, le silence retombe, il est 1 h 25.

Elisabeth Filhol. La Centrale. POL 2010

À Tchernobyl, on a construit un réacteur intrinsèquement dangereux, très différent des ceux que l’on trouve en France et dans la majorité des pays du monde : les neutrons doivent être ralentis pour leur permettre d’être captés par un atome d’uranium et provoquer la fission. Dans un réacteur commun, à eau pressurisée, l’eau a deux fonctions : elle ralentit les neutrons qui sont ainsi modérés, et elle évacue la chaleur. Cette conception possède ce qu’on appelle une sécurité passive. Si on perd l’eau qui refroidit (par exemple à cause d’une fuite) les neutrons ne sont plus ralentis et la fission s’arrête. Dans le réacteur de Tchernobyl, on avait séparé les deux fonctions : la modération était assurée par du graphite. Si on perd l’eau qui refroidit le réacteur, le modérateur reste et la réaction s’emballe et surchauffe. On n’a plus de sécurité passive. Pour couronner le tout, les barres de contrôle avaient une faiblesse de conception. La France a eu des réacteurs au graphite, qui ont été arrêtés depuis longtemps. Le type de réacteur de Tchernobyl a été construit parce qu’il permettait aussi de fabriquer du plutonium de qualité militaire. Pour obtenir du plutonium de bonne qualité il faut pouvoir charger et décharger le combustible en continu, ce qui conduit à supprimer les garde-fous. Les réacteurs d’EDF n’ont pas de vocation militaire. On les arrête pendant un à deux mois tous les dix à dix-huit mois pour remplacer le combustible. À Tchernobyl, on a expressément demandé aux opérateurs de débrancher les systèmes de sécurité pour tester le comportement du réacteur hors de sa zone normale. L’expérience a mal tourné et la réaction s’est emballée. Le métal des tubes contenant les pastilles d’uranium (le zirconium) a réagi avec la vapeur surchauffée et a créé des grandes quantités d’hydrogène qui se sont accumulées dans l’enceinte du réacteur. L’hydrogène et l’oxygène de l’air ont créé un mélange détonant. Après l’explosion, le graphite et le cœur en fusion étaient exposés à l’air libre. Au contact de l’air, le graphite s’est enflammé. L’incendie a vaporisé une partie du cœur à des kilomètres d’altitude.

Il y a au moins deux raisons pour qu’un accident identique ne puisse se produire dans une centrale française : il n’y a pas de graphite dans le cœur, et elle dispose d’un recombineur d’hydrogène : si l’hydrogène apparaît dans l’enceinte, il est recombiné avec de l’oxygène pour faire de l’eau.

Jean-Marc Jancovici. Christophe Blain. Le monde sans fin. Dargaud 2021

Cela s’est passé dans la nuit du vendredi au samedi… Au matin, personne ne soupçonnait rien. J’ai envoyé mon fils à l’école et mon mari est allé chez le coiffeur. Je préparais le déjeuner lorsque mon mari est revenu : Il y a un incendie à la centrale. On a donné l’ordre de ne pas éteindre la radio. J’ai omis de dire que nous habitions Pripiat, tout près du réacteur. Je revois tout cela de mes yeux : une lueur framboise, flamboyante. Le réacteur semblait être éclairé de l’intérieur. Ce n’était pas un incendie ordinaire, mais une luminescence. C’était très beau. Je n’ai rien vu de tel, même au cinéma. Le soir, tout le monde était à son balcon. Ceux qui n’en avaient pas sont passés chez les voisins. On prenait les enfants dans ses bras pour leur dire : Regarde ! Cela te fera des souvenirs ! Et c’étaient des employés de la centrale… Des ingénieurs, des ouvriers, des professeurs de physique… Ils se tenaient là, dans la poussière noire… Ils parlaient… Ils respiraient… Ils admiraient… Certains faisaient des dizaines de kilomètres à bicyclette ou en voiture pour voir cela. Nous ignorions que la mort pouvait être aussi belle. Mais je ne dirais pas qu’elle n’avait pas d’odeur. Ce n’étaient pas les senteurs du printemps ou de l’automne, mais quelque chose de différent. Ce n’était pas, non plus, l’odeur de la terre… J’avais la gorge irritée et les yeux pleins de larmes. Je n’ai pas dormi de la nuit. J’entendais les voisins marcher dans l’appartement du dessus. Insomniaques, eux aussi. Ils tiraient des meubles et tapaient avec un marteau. Ils faisaient peut-être leurs bagages. Moi, j’étouffais une migraine avec des comprimés. Le matin, lorsque le soleil s’est levé, j’ai regardé autour de moi et – je ne l’invente pas maintenant, je l’ai ressenti à ce moment-là – j’ai vu que quelque chose avait définitivement changé. À huit heures, des soldats avec des masques à gaz déambulaient déjà dans les rues. Lorsque nous les avons vus, avec leurs véhicules militaires, nous n’avons pas eu peur. Au contraire, nous nous sommes calmés. Puisque l’armée venait nous aider, tout irait bien. L’idée que l’atome pacifique pouvait tuer n’entrait pas dans nos esprits… Que l’homme était impuissant devant les lois de la physique…

Nadejda Petrovna Vygovskaïa, évacuée de la ville de Pripiat. Rapporté par Svetlana Alexandrievitch : Œuvres  La Supplication. Actes sud Octobre 2015

Évidemment, à tout seigneur tout honneur, les rois de l’intox sont quand même à l’est, et Andréï Sakharov en est probablement la plus illustre victime ; toujours exilé à Gorki, il ne peut avoir accès à aucune source d’information fiable et doit se contenter des nouvelles de la presse locale, ceci jusqu’au 3 juin 1986, date du retour de sa femme à Gorki : elle était aux États-Unis pour soins médicaux. D’autre part, Gorki étant à l’est de Moscou, et  Tchernobyl, au nord de Kiev, au sud, sud-ouest de Moscou, les vents dominants, d’est en ouest, n’atteindront pas Gorki.

J’appris l’affreuse catastrophe de Tchernobyl avec beaucoup de retard, sur un coin de journal vieux de deux jours reproduisant une brève (et inexacte) dépêche de l’agence TASS (c’était sans doute le 6 mai). À ce moment-là, je m’efforçais d’assimiler les développements de la physique et, comme je l’ai mentionné, non seulement je n’écoutais pas les radios occidentales, mais je ne lisais même pas les journaux. Par malheur, je ne vis pas non plus la première conférence de presse consacrée à la catastrophe, au cours de laquelle on vit apparaître Velikhov et qui fit entendre un son de cloche différent, plus proche de la situation réelle.

À ma grande honte, je m’en tins fermement, au début, à la conviction qu’il ne s’était rien produit de terrible. Je pris pour donnée de base les chiffres qui avaient été cités début mai dans la presse soviétique concernant le taux de radiation : 10 à 15 millirôntgens à l’heure – mesure qu’on aurait prise près du réacteur les premiers jours qui suivirent l’accident [ ! ?]. Aucune autre donnée chiffrée n’était communiquée. Ces chiffres donnaient effectivement une image relativement rassurante. Il est vrai que la mort d’un certain nombre de pompiers, qu’on apprit vers le milieu du mois, restait inexpliquée. En me fondant sur les chiffres officiels, j’estimais totalement exclue la possibilité de retombées radioactives étendues sur un vaste territoire, de même que des conséquences écologiques graves et des effets sur la population (cancers et affections génétiques).

C’était une erreur honteuse ! Les chiffres publiés dans la presse soviétique étaient (sciemment ?) minimisés, divisés au moins par cent ! D’autre part, je ne disposais pas d’une information convenable. Malheureusement, il y avait aussi une troisième raison, subjective, à ma complaisance : mes opinions préconçues, une inertie mentale, le refus de regarder l’horrible réalité en face.

Le 21 mai, les physiciens V.Ya. Fainberg et A.A. Tseïtline vinrent me rendre visite pour mon anniversaire et me parlèrent de l’accident. Mais au cours des deux semaines qui précédèrent leur venue, le KGB sut utiliser à fond mon erreur. Du 7 au 19 mai, des gens m’accostèrent dans la rue comme s’ils étaient de simples passants et me posaient des questions sur Tchernobyl ; je leur répondais de façon apaisante, mais spécifiant que je manquais d’informations. Tout cela était filmé en secret et transmis en Occident (amputé de mes réserves). Le KGB enregistra et publia en Occident ma réplique stupide du 15 mai au cours d’une conversation téléphonique avec Lioussia : Ce n’est pas une catastrophe, c’est un accident !

Le 20 mai, à la veille de la venue des physiciens, je fus accosté par un homme qui se présenta comme le correspondant du journal local Gorkovski rabotchi. Cette conversation, qui au début ne se présentait pas comme une interview, eut lieu près de notre balcon : j’étais en train d’arroser les fleurs sur les plates-bandes. Il prit pour prétexte une carte postale non signée que j’avais adressée à ce journal quelques mois auparavant et dans laquelle j’entendais rectifier certaines inexactitudes. À nouveau, je fus trop lénifiant sur Tchernobyl et ce que je dis sur les problèmes du désarmement était juste pour une part, mais assez mal venu.

Quelques jours après, catastrophé par ce que j’avais fait, j’envoyai à la rédaction de Gorkovski rabotchi (c’est-à-dire au KGB) une lettre exigeant soit qu’on publie mon interview avec des rectifications, soit qu’on ne la publie pas ; dans le cas contraire, je menaçais de faire passer directement une déclaration en Occident. Bien sûr, c’était parler dans le désert. Une semaine après, Victor Louis fit passer, par l’intermédiaire du magazine allemand Bild, une cassette vidéo avec ma pseudo-interview dûment arrangée et coupée, et fit part à la presse de ses commentaires, dont le sens était en gros celui-ci : Sakharov est de notre côté de la barricade ( ! ?). Nous ne pouvons cependant le faire revenir à Moscou, car il a une femme insupportable (elle s’est mal conduite à l’étranger) qui, sitôt revenue à Moscou, donnera une conférence de presse aux journalistes occidentaux !

Au cours de la dernière semaine de son séjour, Lioussia se rendit en Angleterre et en France, rencontra Margaret Thatcher, le président Mitterrand et le Premier ministre, Jacques Chirac ; elle les pressa d’intervenir pour mon retour à Moscou (il s’agissait donc bien d’un retour à Moscou et non d’une émigration). Elle revint en Union soviétique le 2 juin et décida le lendemain de se rendre à Gorki afin de me revoir après ces six mois de séparation. Mais sitôt qu’elle mit les pieds à Gorki, le piège se referma et elle n’eut plus la possibilité d’aller à Moscou jusqu’à notre libération en décembre. À la gare, le KGB fit déjà la démonstration de ses pouvoir illimités en interdisant aux porteurs de sortir les bagages de Lioussia du wagon. Quelques jours après, on la convoqua à l’OVIR pour qu’elle rende son passeport extérieur (qui était resté à Moscou) et reprenne son statut d’exilée.

Lioussia me parla aussitôt des heures durant des enfants, des petits-enfants et de Ruth Grigorievna, de son opération au cœur et du reste, de son livre, de son intervention au Congrès des États-Unis, de tout ce qu’elle avait fait pour changer notre situation. Elle me parla aussi des cassettes vidéo guébistes qui circulaient en Occident (faites à partir de films tournés en secret depuis de longues années avant et pendant la grève de la faim, par exemple dans la rue et dans le cabinet du docteur Oboukhov ou de sa femme qui est cardiologue, à la gare de Gorki, à la poste, etc.). Au cours de nos conversations téléphoniques de décembre à mai, Lioussia avait plus d’une fois tenté de m’en parler, mais à chaque fois qu’elle abordait ce sujet, la communication était coupée.

Je fus bouleversé par les faits, pour moi nouveaux, que me rapporta Lioussia au sujet de Tchernobyl. Elle avait appris la catastrophe au sujet de Tchernobyl alors qu’elle assistait à l’assemblée annuelle de l’Académie nationale des États-Unis, c’est-à-dire bien avant que la presse soviétique eût publié les premières informations. La télévision américaine montra des images prises par satellite sur lesquelles on pouvait voir le réacteur en feu. Une hausse des taux de réactivité fut observée dans tous les pays européens. Dès les premiers jours qui suivirent l’accident, la Tchécoslovaquie, la Suède, la Pologne et la Hongrie exigèrent des explications auprès des autorités soviétiques, mais pendant longtemps elles ne purent obtenir aucune réponse. En Pologne, on distribua à la population des tablettes contenant de l’iode afin d’accélérer l’élimination de l’isotope radioactif de l’iode (dès lors on pouvait se demander ce qu’on faisait en URSS où, évidemment, la radioactivité était supérieure). En Ukraine et en Biélorussie, on conseillait aux femmes enceintes d’avorter ! Tout cela était horrible et bouleversait complètement l’image rassurante que je m’étais faite et que j’avais encore partiellement gardée en tête, même après la visite de Fainberg et Tseïtline.

J’aimerais croire que j’ai su tirer les leçons de mon erreur. En tout cas, au cours des mois suivants, je réfléchis beaucoup aux raisons de mon égarement. Mais il était plus important encore d’arrêter ma position vis-à-vis de l’énergie nucléaire en général.

Andreï Sakharov. Mémoires. Seuil 1990

Le colonel Vodolajski … Un héros de la Fédération de Russie enterré en terre biélorusse. Lorsqu’il a dépassé la dose maximale, il n’a pas voulu être évacué. Il est resté pour apprendre la technique [largage de sable depuis un hélicoptère] à trente-trois équipages supplémentaires. Il a fait lui-même cent vingt vols et balancé sur la centrale entre deux cents et trois cents tonnes de sable. Quatre à cinq vols par jour. À trois cents mètres au-dessus du réacteur, la température dans la carlingue atteignait soixante degrés. Vous pouvez vous imaginer ce qu’il en était en bas, pendant la durée de l’opération. La radioactivité atteignait 1 800 röntgens par heure. Les pilotes avaient des malaises en plein vol. Pour balancer leurs sacs de sable dans l’orifice brûlant de la centrale, ils sortaient la tête de la carlingue et faisaient une estimation visuelle. Il n’y avait pas d’autre moyen… Aux réunions de la commission gouvernementale, on rapportait les choses d’une manière très simple : Pour cela, il faut mettre une vie. Et pour ceci, deux ou trois vies… Une manière très simple. La banalité du quotidien…

Le colonel Vodolajski est mort. Sur sa fiche médicale, les médecins ont noté six rems. En vérité ce sont six cents !

Et les quatre cents mineurs qui creusaient jour et nuit une galerie sous le réacteur ? Il fallait creuser ce tunnel pour y verser de l’azote liquide et congeler un coussin de terre, comme disent les ingénieurs. Autrement, le réacteur aurait risqué de s’enfoncer dans les eaux souterraines. Ces mineurs venaient de Moscou, de Kiev, de Dniepropetrovsk. Ils ne sont mentionnés nulle part. Nus, accroupis, ils poussaient devant eux des wagonnets. La température atteignait cinquante degrés et la radiation, des centaines de röntgens.

Maintenant, ils agonisent… Et s’ils n’avaient pas fait cela ? Ce sont des héros et non pas des victimes de cette guerre qui semble ne pas avoir eu lieu. On parle de catastrophe, mais c’était une guerre. Les monuments de Tchernobyl ressemblent à des monuments de guerre.

Sergueï Vassilievitch Sobolev, vice-président de l’Association biélorusse Le Bouclier de Tchernobyl.

J’ai beaucoup réfléchi. Je cherchais le sens… Tchernobyl est une catastrophe de la mentalité russe. Vous n’y avez jamais pensé ? Bien sûr que je suis d’accord lorsque l’on dit que ce n’est pas le réacteur qui a explosé, mais tout l’ancien système de valeurs. Quelque chose, pourtant, me manque dans cette explication…

Je parlerais plutôt de ce que Tchaadaïev a été le premier à définir : notre hostilité envers le progrès. Notre aversion pour la technologie. Notre anti-instrumentalisme. Regardez l’Europe. À partir de la Renaissance, elle adopte une attitude instrumentaliste à l’égard du monde environnant. C’est rationnel, raisonnable. Comme le respect d’un professionnel, d’un maître, pour l’instrument qu’il tient dans les mains. Leskov a écrit une remarquable nouvelle : Caractère de fer. De quoi s’agit-il ? Le caractère russe, c’est de s’en remettre toujours au petit bonheur la chance. C’est le leitmotiv du thème russe. L’Allemand, lui, mise sur l’instrument, sur la machine. Les Allemands tentent de surmonter les événements, de dompter le chaos, alors que nous comptons sur le hasard. Allez où vous voudrez, à Kiji par exemple, et vous entendrez le guide vous expliquer avec orgueil que le temple a été bâti sans un seul clou. Au lieu de construire une bonne route, nous nous vantons d’avoir su ferrer un pou. Les roues des charrettes s’enlisent dans la boue, mais nous tenons l’oiseau de feu dans nos mains. Nous payons aussi le prix d’une industrialisation rapide. Du bond en avant. En Occident, cela a pris du temps : un siècle pour les filatures, un siècle pour les manufactures. La machine et l’homme ont changé de concert. La conscience et la pensée technologiques ont eu le temps de se former. Alors que chez nous… À part ses mains, de quoi dispose un villageois, encore de nos jours ? D’une hache, d’une faux et d’un couteau. Et d’une pelle. Comment un Russe s’adresse aux machines ? En les couvrant d’injures. Il ne les aime pas, les méprise, les hait. En fait, il ne comprend pas ce qu’il a entre les mains. J’ai lu quelque part que le personnel des centrales nucléaires traite les réacteurs de casseroles, de samovars, de cuisinières. Voilà de la superbe : nous allons cuire des œufs au plat sur le soleil !

Il y avait beaucoup de paysans parmi ceux qui travaillaient à Tchernobyl. Dans la journée, ils étaient à proximité du réacteur et, le soir, ils retournaient dans leurs potagers ou dans ceux de leurs parents d’autres villages : ils y plantaient des pommes de terre avec une pelle et distribuaient le fumier avec une fourche… Leur conscience se baladait entre deux époques : l’âge de pierre et l’âge de l’atome. Ils oscillaient sans cesse, comme un balancier. Imaginez un chemin de fer conçu par de brillants ingénieurs. Le train roule à toute vitesse, mais en guise de machinistes, il est conduit par des cochers de diligence. C’est le destin de la Russie de voyager entre deux cultures. Entre l’atome et la pelle. Et la discipline technologique ? Notre peuple la perçoit comme une violence, comme des fers, des entraves. Il est spontané. Il a toujours rêvé non de liberté, mais d’un manque total de contrôle. Pour nous, la discipline est un instrument de répression. Il a quelque chose de particulier dans notre ignorance qui la rapproche de l’ignorance orientale…

Je suis historien… Auparavant, j’ai beaucoup étudié la linguistique, la philosophie du langage. La langue ne nous permet pas seulement de penser, elle dirige aussi nos pensées. À dix-huit ans, ou peut-être un peu plus tôt, lorsque j’ai commencé à lire le samizdat, j’ai découvert Chalamov, Soljenitsyne, et j’ai soudain compris que, bien qu’élevé dans un milieu cultivé (l’un de mes grands-parents était prêtre et mon père professeur à l’université de Saint-Pétersbourg), toute mon enfance a été pénétrée de la conscience des camps. Mon vocabulaire, alors, était celui des zeks – Contraction russe du mot détenu. (N.d.T.)-.

Pour nous, c’était tout à fait naturel d’appeler son père, le patron, et sa mère, la matrone. Pour un cul malin, il se trouvera toujours une bitte en vis : voilà la sagesse que j’assimilais à neuf ans. Même nos jeux, nos dictons, nos devinettes venaient du monde des zeks. Parce que les détenus ne formaient pas un monde à part existant dans un ailleurs imprécis, les prisons. Ce monde était mitoyen avec le nôtre. Comme l’écrivait Akhmatova : La moitié du pays emprisonnait et l’autre moitié moisissait en prison. Il me semble que cette conscience de zek est entrée en opposition avec la culture. Avec la civilisation, avec le synchrotron…

De plus, nous avons été élevés dans un paganisme soviétique très particulier : l’homme était considéré comme le maître, la couronne de la création. Et il avait le droit de faire ce qu’il voulait de la planète. Comme dans la célèbre formule de Mitchourine : Nous ne pouvons pas attendre que la nature nous accorde ses faveurs, notre tâche est de les lui arracher. C’était une tentative d’inoculer au peuple des qualités qu’il n’avait pas. De lui donner la psychologie d’un violeur. Un défi à l’histoire et à la nature. Aujourd’hui, tout le monde s’est soudain mis à parler de Dieu. Que ne l’a-t-on cherché au Goulag, dans les cellules en 1937, dans les réunions du parti, en 1948, lorsqu’on dénonçait les cosmopolites ! Ou sous Khrouchtchev, lorsqu’on détruisait les églises ? Le contexte contemporain de cette recherche de Dieu par les Russes est faux. On bombarde des maisons civiles en Tchétchénie… On ramasse à la pelle les restes des tankistes russes brûlés vifs dans leurs chars… Et l’on va aussitôt à l’église… Pour la veillée de Noël…

Ce qu’il faut, c’est répondre à une question : le peuple russe est-il capable de faire une révision globale de toute son histoire, comme l’ont fait les Japonais et les Allemands après la Seconde Guerre mondiale ? Aurons-nous assez de courage intellectuel ? On ne parle presque pas de cela. On parle du marché, des bons de privatisation… Nous survivons pour la énième fois. Toute notre énergie est investie dans ce processus. Mais, pendant ce temps, l’âme est livrée à elle-même… Alors, à quoi tout cela sert-il ? Votre livre ? Mes nuits d’insomnie ? On peut trouver quelques explications, parler de fatalisme primitif. Mais il peut également y avoir des réponses grandioses. Le Russe veut toujours avoir foi en quelque chose : dans les chemins de fer, dans l’idée byzantine, dans l’atome… Et maintenant, dans le marché. Dans une nouvelle de Boulgakov, l’un des personnages disait : J’ai péché toute ma vie. J’ai été actrice. La conscience du caractère pécheur de l’art, de l’immoralité de sa nature même. Car c’est jeter un regard dans la vie d’autrui. Mais comme le sérum extrait d’une matière contaminée, ce regard peut devenir le vaccin d’une expérience qu’un autre a vécue. Tchernobyl est un sujet à la Dostoïevski. Une tentative pour donner une justification à l’homme. Et peut-être est-ce tout simple ? Peut-être suffit-il d’entrer dans le monde sur la pointe des pieds et de s’arrêter sur le seuil ?

Alexandre Revalski, historien

La blague est indissociable de l’âme russe. Le simple évocation de Radio Erevan signifie l’annonce d’une blague :

  • Est-ce qu’on peut manger des pommes de Tchernobyl ? 
  • Bien sûr que l’on peut, mais il faut enterrer profondément les trognons…

*****

Je ne suis pas un homme de plume, je suis physicien. Voilà pourquoi je me bornerai à parler de faits…

Pour Tchernobyl, il faudra bien répondre un jour… Le temps viendra où il faudra payer… Comme pour 1937. Même si ce n’est que dans cinquante ans ! Même s’ils sont vieux ! Même s’ils sont morts ! Ce sont des criminels ! (Un silence.) Il faut préserver les faits… On les réclamera !

Ce jour-là, le 26 avril, j’étais à Moscou. En mission. C’est là que j’ai appris pour la catastrophe.

J’ai aussitôt appelé Sliounkov, le premier secrétaire du Comité central de Biélorussie, à Minsk, mais on ne me l’a pas passé. J’ai renouvelé l’appel à plusieurs reprises, jusqu’à tomber sur l’un de ses assistants qui me connaissait très bien.

  • Je téléphone de Moscou. Passez-moi Sliounkov ! J’ai des informations urgentes. Au sujet de l’accident…

J’appelais sur une ligne gouvernementale, mais l’affaire était déjà strictement confidentielle. Dès que j’ai mentionné l’accident, la liaison a été coupée. Bien sûr, tout était écouté. Inutile de préciser par qui. Les organes concernés. L’État dans l’État. Et le fait que moi, le directeur de l’Institut de l’énergie nucléaire de l’Académie des sciences de Biélorussie, membre correspondant de l’Académie des sciences, je voulais parler au premier secrétaire du Comité central n’y changeait rien. Le secret s’étendait à moi aussi. Il me fallut batailler pendant deux heures pour que Sliounkov daigne enfin se saisir du combiné.

  • C’est un grave accident. Selon mes calculs (j’avais déjà pu contacter un certain nombre de personnes à Moscou et obtenir des informations), le nuage radioactif avance vers vous. Vers la Biélorussie. Il faut immédiatement traiter préventivement à l’iode toute la population et évacuer ceux qui vivent à proximité de la centrale. Il faut évacuer les gens et le bétail dans un rayon de cent kilomètres. On m’a déjà fait un rapport, m’a répondu Sliounkov. Il y a bien eu un incendie, mais il a été maîtrisé.

Je n’ai pas pu me retenir :

  • On vous trompe ! C’est un mensonge. N’importe quel physicien vous dira que le graphite se consume à raison de cinq tonnes à l’heure. Vous pouvez déterminer vous-même combien de temps il va brûler !

J’ai pris le premier train pour Minsk. Après une nuit sans sommeil, au matin, j’étais chez moi. J’ai mesuré la thyroïde de mon fils : cent quatre-vingts micro röntgens à l’heure ! La thyroïde est un parfait dosimètre. Il fallait de l’iode. De l’iode ordinaire. Deux à trois gouttes pour les enfants dans un demi-verre d’eau. Trois à quatre gouttes pour les adultes. Le réacteur allait brûler pendant dix jours, il fallait faire ce traitement pendant dix jours. Mais personne ne nous écoutait, nous autres, les scientifiques, les médecins. La science a été entraînée dans la politique… La médecine, dans la politique. Et comment donc ! Il ne faut pas oublier dans quelle situation nous nous trouvions, il y a dix ans. Le KGB fonctionnait, on brouillait les radios occidentales. Il y avait des milliers de tabous, de secrets militaires, de secrets du parti… De plus, nous avions été élevés dans l’idée que l’atome pacifique soviétique n’était pas plus dangereux que le charbon ou la tourbe. Nous étions paralysés par la peur et les préjugés. Par la superstition de la foi… Mais restons-en aux faits ! Rien qu’aux faits…

Dès mon retour, le 27 avril, j’ai décidé d’aller constater par moi-même la situation dans la région de Gomel, à la frontière ukrainienne, dans les chefs-lieux de district de Braguine, Khoïniki et Narovlia qui se trouvent à quelques dizaines de kilomètres à peine de la centrale. J’avais besoin d’une information complète. J’ai emporté des instruments pour mesurer le fond. À Braguine : trente mille micro röntgens à l’heure ; à Narovlia : vingt-huit mille… Les gens travaillaient la terre, préparaient la fête de Pâques, peignaient des œufs, faisaient des gâteaux… Quelle radiation ? De quoi s’agit-il ? Il n’y a eu aucun ordre. La direction demande des rapports sur l’avancement et le rythme des semailles. On me prenait pour un fou. De quoi parlez-vous, professeur ? Röntgens, micro röntgens… Un langage d’extraterrestre…

Retour à Minsk. Sur l’avenue principale, on vendait des pirojki farcis à la viande hachée, des glaces, des petits pains. Sous le nuage radioactif…

Le 29 avril. Je m’en souviens avec exactitude… À huit heures du matin, j’attendais déjà dans l’antichambre de Sliounkov. Même si j’insistais, faisais du forcing, personne n’acceptait de me recevoir. A cinq heures et demie du soir, un célèbre poète biélorusse est sorti du bureau de Sliounkov. Nous nous connaissions bien :

  • Avec le camarade Sliounkov, me dit-il, nous avons abordé les problèmes de la culture biélorusse.

J’explosai :

  • Mais bientôt, il n’y aura plus personne pour développer cette culture. Il n’y aura plus de lecteurs pour vos livres, si nous n’évacuons pas d’urgence les environs de Tchernobyl. Si nous ne les sauvons pas !
  • Mais, de quoi parlez-vous ? On m’a dit que l’incendie a déjà été éteint.

Je suis finalement parvenu à me frayer un chemin jusqu’à Sliounkov et à lui décrire le tableau que j’avais vu la veille. Il fallait sauver tous ces gens ! En Ukraine, (j’avais téléphoné) l’évacuation avait déjà commencé…

  • Pourquoi est-ce que les dosimétristes de votre Institut courent partout dans la ville en semant la panique ? me demande-t-il. J’ai consulté l’académicien Iline, à Moscou. Selon ses services, tout est normal, ici… Une commission gouvernementale est au travail, là-bas. Et le parquet. L’armée, les moyens techniques militaires sont déjà sur place pour colmater la brèche.

Des milliers de tonnes de césium, d’iode, de plomb, de zirconium, de cadmium, de béryllium, de bore et une quantité inconnue de plutonium (dans les réacteurs de type RBMK à uranium-graphite du type de Tchernobyl on enrichissait du plutonium militaire qui servait à la production des bombes atomiques) étaient déjà retombées sur notre terre. Au total, quatre cent cinquante types de radionucléides différents. Leur quantité était égale à trois cent cinquante bombes de Hiroshima. Il fallait parler de physique, des lois de la physique. Et eux, ils parlaient d’ennemis. Ils cherchaient des ennemis !

Tôt ou tard, ils auront à répondre de cela.

Vous allez vous justifier, disais-je à Sliounkov, en prétendant que vous êtes un constructeur de tracteurs (il avait dirigé une usine de tracteurs avant de faire carrière dans le parti) et que vous ne comprenez rien à la radiation. Mais moi, je suis physicien et j’ai une bonne connaissance des conséquences de la catastrophe.

Mais comment ? Un physicien quelconque osait donner des leçons au Comité central ? Non, ce n’étaient pas des criminels, mais des ignorants. Un complot de l’ignorance et du corporatisme. Le principe de leur vie, à l’école des apparatchiks : ne pas sortir le nez dehors. On devait justement promouvoir Sliounkov à un poste important, à Moscou. C’était cela. Je pense qu’il a dû recevoir un coup de fil du Kremlin, de Gorbatchev : surtout pas de vagues, ne semez pas la panique, il y a déjà assez de bruit autour de cela en Occident. Les règles du jeu étaient simples : si vous ne répondez pas aux exigences de vos supérieurs, vous ne serez pas promu, on ne vous accordera pas le séjour souhaité dans une villégiature privilégiée ou la datcha que vous voulez… Si nous étions restés dans un système fermé, derrière le rideau de fer, les gens seraient demeurés à proximité immédiate de la centrale. On y aurait créé une région secrète, comme à Kychtym ou Semipalatinsk[3] Nous sommes dans un pays stalinien. Il est encore stalinien à ce jour…

Dans les instructions de sécurité nucléaire, on prescrit la distribution préventive de doses d’iode pour l’ensemble de la population en cas de menace d’accident ou d’attaque atomique. En cas de menace ! Et là, trois mille micro röntgens à l’heure… Mais les responsables ne se faisaient pas du souci pour les gens, ils s’en faisaient pour leur pouvoir. Nous vivons dans un pays de pouvoir et non un pays d’êtres humains. L’État bénéficie d’une priorité absolue. Et la valeur de la vie humaine est réduite à zéro. On aurait pourtant bien pu trouver des moyens d’agir ! Sans rien annoncer et sans semer la panique… Simplement en introduisant des préparations à l’iode dans les réservoirs d’eau potable, en les ajoutant dans le lait. Les gens auraient peut-être senti que l’eau et le lait avaient un goût légèrement différent, mais cela se serait arrêté là. La ville était en possession de sept cents kilogrammes de ces préparations qui sont restées dans les entrepôts… Nos responsables avaient plus peur de la colère de leurs supérieurs que de l’atome. Chacun attendait un coup de fil, un ordre, mais n’entreprenait rien de lui-même. Moi, j’avais toujours un dosimètre dans ma serviette. Lorsqu’on ne me laissait pas entrer quelque part (les grands chefs finissaient par en avoir marre de moi !), j’apposais le dosimètre sur la thyroïde des secrétaires ou des membres du personnel qui attendaient dans l’antichambre. Ils s’effrayaient et, parfois, ils me laissaient entrer.

Mais à quoi bon ces crises d’hystérie, professeur ? me disait-on alors. Vous n’êtes pas le seul à prendre soin du peuple biélorusse. De toute manière, l’homme doit bien mourir de quelque chose : le tabac, les accidents de la route, le suicide…

Ils se moquaient des Ukrainiens qui se traînaient à genoux au Kremlin en quémandant de l’argent, des médicaments, des dosimètres (dont on ne disposait pas en quantité suffisante). Notre Sliounkov, lui, s’est borné à faire un bref rapport : Tout est normal. Nous surmonterons les problèmes par nos propres moyens. On le félicita : Bravo, les petits frères biélorusses !

Mais combien de vies ont-elles coûté, ces félicitations ?

Je sais bien que les chefs, eux, prenaient de l’iode. Lorsque les gars de notre Institut les examinaient, ils avaient tous la thyroïde en parfait état. Cela n’est pas possible sans iode. Et ils ont envoyé leurs enfants bien loin, en catimini. Lorsqu’ils se rendaient en inspection dans les régions contaminées, ils portaient des masques et des vêtements de protection. Tout ce dont les autres ne disposaient pas. Et aujourd’hui on sait même qu’un troupeau de vaches spécial paissait aux environs de Minsk. Chaque animal était numéroté et affecté à une famille donnée. À titre personnel. Il y avait aussi des terres spéciales, des serres spéciales… Un contrôle spécial… C’est le plus dégoûtant… (Après un silence.) Et personne n’a encore répondu de cela…

Lorsque l’on a cessé de me recevoir et de m’écouter, je les ai inondés de lettres et de rapports. J’envoyais des cartes, des chiffres à toutes les instances. J’ai constitué un dossier : quatre chemises de deux cent cinquante feuilles chacune. Des faits, rien que des faits. J’en ai pris une copie. Je gardais l’un des deux exemplaires au bureau et cachais l’autre à la maison. C’est ma femme qui s’en est chargée. Pourquoi cette copie ? Nous vivons dans un pays bien particulier… Je fermais toujours personnellement mon bureau. Au retour d’une mission, mes dossiers avaient disparu… Mais j’ai grandi en Ukraine. Mes ancêtres étaient des Cosaques. J’ai le caractère cosaque. J’ai continué d’écrire. De faire des conférences. Il fallait sauver les gens. Les évacuer d’urgence ! Nous avons multiplié nos missions d’enquête. Notre Institut a dressé la première carte des régions contaminées… Tout le sud de la république.

Mais tout cela, c’est déjà de l’histoire… L’histoire d’un crime !

L’Institut s’est vu confisquer – sans explication – tous les appareils destinés au contrôle des radiations. On me téléphonait à la maison, pour me menacer :

  • Arrêtez de faire peur aux gens, professeur. Nous allons vous exiler dans des contrées éloignées. Vous ne devinez pas où ? Eh bien, vous avez la mémoire courte.

On exerçait aussi des pressions sur les employés de l’Institut. On les intimidait de la même manière. J’ai écrit à Moscou…

Platonov, le président de notre Académie des sciences, m’a convoqué :

  • Le peuple biélorusse se souviendra un jour de toi, car tu as beaucoup fait pour lui. Mais tu n’aurais pas dû écrire à Moscou. Tu n’aurais pas dû ! Maintenant, on exige que je te limoge. Pourquoi as-tu écrit ? Ne comprends-tu pas à quoi tu t’attaques ?

J’avais des chiffres, des cartes. Et eux ? Ils pouvaient m’interner en asile psychiatrique. En tout cas, ils m’ont menacé de le faire. Ils pouvaient organiser un accident de voiture. Ils m’ont prévenu de cela, aussi. Ils pouvaient également ouvrir une information judiciaire pour activités antisoviétiques. Ou pour escroquerie, par exemple, à cause d’une caisse de clous qui n’avait pas été enregistrée par l’économe de l’Institut.

Une enquête a été ouverte… Et ils ont obtenu le résultat souhaité : j’ai été victime d’un infarctus… (Il se tait.)

J’ai tout marqué. Tout est dans le dossier. Rien que des faits…

Nous examinions les enfants dans les villages… Garçons et filles… Mille cinq cents, deux mille, trois mille micro röntgens… Plus de trois mille… Ces filles ne pourront jamais être mères. Elles ont des séquelles génétiques… Un tracteur labourait un champ. J’ai demandé au représentant du comité de district du parti, qui nous accompagnait :

  • Le tractoriste est-il au moins protégé par un masque ?
  • Non, ils travaillent sans.
  • Pourquoi ? vous n’en avez pas ? Pas du tout ! Nous en avons, en quantité suffisante au moins jusqu’à l’an deux mille. Mais nous ne les distribuons pas pour éviter la panique. Tout le monde s’enfuirait !
  • Vous rendez-vous compte de ce que vous faites ?
  • Bien sûr, pour vous c’est facile de discuter, professeur. Si on vous chasse de votre travail, vous en trouverez un autre. Mais moi, où j’irais ?

Vous vous rendez compte de l’étendue de ce pouvoir ! Un pouvoir illimité d’une personne sur quelqu’un d’autre. Ce n’est plus de la tromperie. C’est une guerre. Une guerre contre des innocents !

Nous avancions le long du Pripiat. Des familles entières y passaient leurs vacances, en camping. Ils se baignaient, bronzaient. Ils ignoraient que, depuis quelques semaines, ils se prélassaient sous un nuage radioactif. Il nous était strictement interdit d’entrer en contact avec la population, mais j’ai vu des enfants… Je me suis approché pour leur parler. Les gens étaient perplexes : Et pourquoi personne n’en parle, à la radio et à la télé ? Notre accompagnateur se taisait. Nous étions toujours escortés par un représentant des autorités locales. C’étaient les ordres… Je pouvais voir sur son visage le dilemme qui se posait à lui : cafarder ou ne pas cafarder ? Mais, en même temps, je voyais qu’il avait pitié de ces gens. C’était tout de même un homme normal… Mais j’ignorais quel sentiment l’emporterait, à notre retour. Rapporterait-il ou non ? Chacun faisait son choix… (Il demeure silencieux.)

Que devons-nous faire aujourd’hui de cette vérité? S’il y avait une autre explosion, tout recommencerait. Nous sommes toujours un pays stalinien… Et l’homme stalinien vit toujours…

Vassili Borissovitch Nesterenko, ancien directeur de l’Institut de l’énergie nucléaire de l’Académie des sciences de Biélorussie

… Le 26 avril 1986, à 1 h 23, une série d’explosions détruisit le réacteur et le bâtiment de la quatrième tranche de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Cet accident est devenu la plus grande catastrophe technologique du XX° siècle… Pour la petite Biélorussie de dix millions d’habitants, il s’agissait d’un désastre à l’échelle nationale. Pendant la Seconde Guerre mondiale, sur la terre biélorusse, les nazis avaient détruit 619 villages et exterminé leur population. À la suite de Tchernobyl, le pays en perdit 485. Soixante-dix d’entre eux sont enterrés pour toujours. La guerre tua un Biélorusse sur quatre ; aujourd’hui, un sur cinq vit dans une région contaminée. Cela concerne 2,1 millions de personnes, dont sept cent mille enfants. Les radiations constituent la principale source de déficit démographique. Dans les régions de Gomel et de Moguilev (qui ont le plus souffert de la tragédie), la mortalité est supérieure de 20 % à la natalité.

… Au moment de la catastrophe, parmi les 50 millions de radio-nucléides propulsés dans l’atmosphère, 70 % retombèrent sur le sol de la Biélorussie : en ce qui concerne le césium 137, 23 % de son territoire sont contaminés par une quantité de nucléides radioactifs égale ou supérieure à 37 milliards de becquerels (Bq) par kilomètre carré. A titre de comparaison, 4,8 % du territoire ukrainien et 0,5 % de celui de Russie sont touchés. La superficie des terres agricoles où la contamination égale ou dépasse 37 x 109 Bq/km² est supérieure à 1,8 million d’hectares. Quant aux terres irradiées par une quantité de strontium 90 égale ou supérieure à 11 x 109 Bq/km², elles couvrent un demi-million d’hectares. La superficie totalement interdite à l’agriculture représente 264 000 hectares. La Biélorussie est un pays sylvestre, mais 26 % des forêts et plus de la moitié des prairies situées dans les bassins inondables des cours d’eau Pripiat, Dniepr et Soj se trouvent dans la zone de contamination radioactive…

… À la suite de l’influence permanente de petites doses d’irradiation, le nombre de personnes atteintes, en Biélorussie, de cancers, d’arriération mentale, de maladies nerveuses et psychiques ainsi que de mutations génétiques s’accroît chaque année…

Tchernobyl, Minsk, Belarouskaïa Entsiklopediïa, 1996, p. 7, 24, 49, 101, 149.

Selon les observations, un haut niveau de radiation fut enregistré le 29 avril 1986 en Pologne, en Allemagne, en Autriche et en Rou­manie ; le 30 avril, en Suisse et en Italie du Nord ; les 1° et 2 mai, en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et dans le nord de la Grèce ; le 3 mai, en Israël, au Koweït, en Turquie…

Les substances gazeuses et volatiles projetées à grande altitude connurent une diffusion globale : le 2 mai, elles furent enregistrées au Japon ; le 4, en Chine ; le 5, en Inde ; les 5 et 6 mai, aux États-Unis et au Canada.

En moins d’une semaine, Tchernobyl devint un problème pour le monde entier…

Posledstviïa Tchernobylskoï avariï v Belaroussi, (Conséquences de l’accident de Tchernobyl en Biélorussie), Minsk, Haut collège International de radio écologie Sakharov, 1992, p. 82.

Le quatrième réacteur, nom de code Abri, conserve toujours dans son ventre gainé de plomb et de béton armé près de vingt tonnes de combustible nucléaire. Ce qu’il advient aujourd’hui de cette matière, nul ne le sait.

Le sarcophage fut bâti à la hâte et il s’agit d’une construction unique dont les ingénieurs de Piter [Saint Petersbourg] qui l’ont conçue peuvent probablement se montrer fiers. Mais l’on procéda à son montage à distance : les dalles furent raccordées à l’aide de robots et d’hélicoptères, d’où des fentes. Aujourd’hui, selon certaines données, la surface totale des interstices et des fissures dépasse deux cents mètres carrés et des aérosols radioactifs continuent à s’en échapper…

Le sarcophage peut-il tomber en ruine ? Personne ne peut, non plus, répondre à cette question car, à ce jour, il est impossible de s’approcher de certains assemblages et constructions pour déterminer combien ils peuvent durer encore. Mais il est clair que la destruction de l’Abri aurait des conséquences encore plus horribles que celles de 1986.

Ogoniok, n° 17, avril 1996.

Chez Nous, il n’y a que l’homme au fusil ou l’homme à la croix. A travers toute l’histoire, il n’y en a pas eu d’autre. Et il n’y en aura toujours pas, pour l’instant…

Natalia Arsenievna Roslova, présidente du comité de Moguilev Enfants de Tchernobyl

Ces quatre témoignages ont été publiés par Svetlana Alexievitch dans La supplication. Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse. J.C. Lattès 1997

Trente ans plus tard, on se trouvera devant une situation à même de surprendre plus d‘un écologiste : une nouvelle forêt de pins et de bouleaux, plus résistants aux radiations, aura poussé en lieu et place de l’ancienne : des espèces animales d’avant la catastrophe seront réapparu : loups, ours, lynx, pyrargues, chevaux de Przewalski et bien d’autres…

Quand les gens sont partis, la nature est revenue.

Denis Vichnevski, responsable de la zone d’exclusion.

Les bobards d'Etat : Tchernobyl, enfumage autour d'un nuage

quelques jours après l’explosion

 

Le dôme de confinement, commencé en 1986,  terminé en novembre 2016. Longueur : 264 m, largeur : 165 m, hauteur : 115 m. Mais le site continue d’émettre des radiations et ce, jusqu’à nos jours. Il ne sera pas dépollué, estiment les scientifiques, avant 24 000 ans.

 1 05 1986

La duchesse de Windsor, veuve d’Edouard VIII d’Angleterre, lègue sa fortune à la France.

11 05 1986  

Jean Louis Étienne arrive au pôle nord après 63 jours de randonnée à skis : 1 200 km.

26 05 1986  

Michel Vaujour fait un séjour à la prison de la Santé : c’est insupportable pour sa femme Jamila qui va le chercher… en hélicoptère : opération réussie 5/5.

Jamila Vaujour : « Aider Michel à s'évader, c'était rompre avec ma vie »

La femme est l’avenir de l’homme

9 07 1986

Loi sur le statut de la Nouvelle Calédonie, divisée en 4 grandes régions.

21 08 1986  

Un gaz naturel, hydrogène sulfureux – H²S – ou dioxyde de carbone, – CO² – on ne le saura jamais vraiment – s’échappe du lac Nyos, au Cameroun, en pays Bamileke, proche de la frontière avec le Nigeria  : 1 746 morts. Chez les animaux : 3 952 têtes de bétail, 82 chiens, 3 404 volailles, 8 chats, 552 chèvres, 337 moutons, 7 chevaux, 2 ânes. La végétation n’a pas été atteinte. Des scientifiques accourront du monde entier, dont bien sûr notre incontournable Haroun Tazieff, qui bien sûr échafauda une théorie contre laquelle s’élevèrent la plupart des autres [à l’exception d’un Italien] à la tête desquels se trouvaient l’Islandais Sigurdsonn.

Tazieff : la catastrophe de Nyos est la conséquence d’une éruption volcanique

Sigurdsonn : il s’agit d’un dégazage explosif des eaux du lac Nyos, sans lien avec une éruption volcanique.

En 1908, cette partie du Cameroun était colonie allemande. Si l’on accorde crédit au professionnalisme et au sérieux allemands, on ne peut que s’en tenir à ce que dit la carte qui a été alors établie, sur laquelle, le lac Nyos ne figure pas. Donc il serait récent, apparu après 1908. En 1984, sur les bords du lac Monoun, proche du lac Nyos, 37 paysans d’une plantation étaient morts en même temps pour une raison inconnue. Le 30 décembre suivant, Rose-Marie Chevrier, assistante de Tazieff, se trouve au bord du lac Nyos pour y faire des prélèvements à verser au dossier de la conférence internationale à venir sur le lac Nyos, à Yaounde, en mars 1987. Elle observe un réchauffement de la température de l’eau et de la teneur de l’air en CO². À 19 h 55, une forte explosion se produit, suivie de deux autres, puis d’un rayon de lumière blafarde ; les eaux du lac rougissent, s’agitent, signes d’une remontée volcanique d’hématite. Elle grimpe en vitesse an amont du lac où elle bivouaque.

Lors de cette conférence internationale, les affrontements se feront plus au niveau des différences de méthodologie, des réticences certaines à abonder dans le sens de Tazieff ; ils seront d’ordre plus affectif que scientifique si bien qu’au final c’est la thèse de Sigurdsonn qui l’emportera. Nombre d’Africains céderont à leur indécrottable paranoïa, les uns y voyant un complot d’Israël ou de la France, les autres la vengeance des dieux qui se reposaient dans le fond du lac et qui ont été dérangés.

Donc, en dépit de la justesse des vues du français, la conférence de Yaounde aura droit aux claquements de porte de Tazieff et de son clan, ce qui ne surprit que peu de gens car les autres étaient déjà habitués.

25 08 1986 

Sauvetage en mer au large d’Ouessant.

Un cargo polonais, le Sopot, est sur le point de couler à 15 milles dans le suroît du Créac’h. Erreur de ballastage, il gîte horriblement, pour comble il s’agit d’un cargo mixte, remontant du Maroc avec trente et une personnes à bord, équipage et passagers. Vent force 10, mer très grosse, les creux atteignent 7 à 8 mètres. Les hélicoptères auront du mal à travailler, l’Abeille Flandre à s’approcher. Le Jean Charcot II pourrait-il appareiller ? La sirène retentit sur l’île Molène. Milo Masson, patron du canot, Goulven Perhirin, le sous-patron, et leurs hommes mettent, en dix minutes, le bateau à l’eau et contournent les roches par le sud. Près de la bouée des Pierres vertes, une lame propulse carrément le Jean Charcot dans les airs. Il retombe de tout son poids, jetant au sol ses occupants. La nuit est si noire qu’on n’aperçoit même pas la crête des déferlantes.

À ce moment, Louis Lacaze ignore que Charles Claden, dit Carlos, alors second capitaine de l’Abeille Flandre, est source des épreuves qu’endurent les bénévoles de la SNSM. Le remorqueur, commandé par Job Chapel, aperçoit le Sopot vers 22 h 15. La gîte est effrayante, quelque 28 degrés, le bateau se vautre, les Polonais sont réfugiés à l’arrière. Ils ont réussi, avant que la situation empire, à descendre une baleinière, et cinq d’entre eux ont ainsi rallié un navire de commerce qui s’est dérouté. L’hélicoptère de Lanvéoc en a hélitreuillé trois autres, puis son plongeur s’est gravement blessé et il a dû regagner sa base. Dans l’attente d’un second appareil, à supposer que le vent fraîchissant le permette, aucun moyen de secours n’est maintenant disponible – il reste vingt-trois personnes sur le bateau -. Si l’Abeille vient plus près, elle risque de couler le cargo. Carlos et Job Chapel s’entendent bien, et sur le fond, et sur la manière. Ils imaginent ensemble une manœuvre assez délirante pour offrir une chance à ces marins perdus. Le remorqueur va s’orienter vent arrière, à 7 ou 8 nœuds. Carlos et un volontaire se tiendront prêts dans le Zodiac, moteur démarré, suspendu à la grue. Et l’on tentera une mise à l’eau, entre deux vagues, à la volée. Un matelot accepte d’accompagner le second capitaine. Les voici tous deux, en combinaison de plongée, avec palmes et masque, parés à décoller. Job Chapel lance l’Abeille, le bosco, à la grue, compte les périodes, l’hélice du moteur hors-bord hurle dans le vide. Et ils sont partis, sur l’eau noire, sur les montagnes dont ils ne distinguent ni la cime ni la vallée. La mer est si forte que le Sopot, faiblement éclairé par son groupe de secours, est le plus souvent hors de leur vue, dévoré par les creux. C’est pire qu’ils ne l’imaginaient. Essayant d’attaquer la houle en biais, Carlos juge qu’il sera probablement impossible de revenir à bord, car le temps ne cesse d’empirer. Il crie dans la petite VHF étanche, et suggère à Job Chapel de requérir l’aide d’une vedette SNSM, capable de les récupérer et de les appuyer en cours de sauvetage. Un petit chalutier, courageusement, demeure sur zone au lieu de s’abriter. Mais un canot tous temps mené par des spécialistes sera plus sûr. Et le téléphone sonne chez Louis Lacaze.

Le Zodiac tient le coup. Carlos dégage le nable, à l’arrière ordinairement, cette ouverture est destinée à vider l’eau et à maintenir les fonds secs. Le but recherché, cette fois, est inverse : lester l’embarcation en laissant la mer y pénétrer, la vitesse corrigeant l’envahissement. L’Abeille suit, éclaire tout ce qu’elle peut, allume les vagues, balaie le Sopot. Mais, auprès du cargo, l’expédition devient folie. La poupe du bateau fait des bonds d’une quinzaine de mètres, et lorsqu’on s’engage au plus près, on se retrouve fatalement dans le noir. Les Polonais sont cramponnés à la lisse, équipés de gilets de sauvetage. Aucun signe de panique apparente, l’équipage lutte en bon ordre. Mais la coque s’enfonce et bascule tout à la fois, affreusement brutalisée.

Il est inimaginable d’accoster. Carlos profite des vagues les plus hautes pour gueuler aux naufragés qu’ils doivent sauter à l’eau, par groupe de quatre. Un temps. Puis une silhouette se détache, s’élance et plonge dans l’obscurité qu’essaient de percer en vain les projecteurs de l’Abeille. Le Zodiac fonce à l’aveuglette et repère l’audacieux.

C’est un jeune homme. Un second marin suit. Et deux femmes, dont l’une a peut-être une quinzaine d’années, absolument terrorisées. Les sauveteurs empoignent les rescapés par le gilet, les attirent à l’intérieur de l’embarcation. Demi-tour. Là-bas, sur le pont du remorqueur, on prépare des bouts, des élingues. Carlos se rapproche. Par instants, il surplombe l’Abeille, puis il se retrouve au fond du gouffre. À 20 mètres de la poupe, il choisit sa vague, monte, dose les gaz pour se retrouver, quelques secondes, à hauteur de la lisse. Des mains, des cordages happent le premier Polonais. On recommence. Et de deux. On recommence. Et de trois. On recommence. Cette fois-là, tandis que le Zodiac prend son élan, le matelot dit au second capitaine :

  • Je crois que j’ai trop peur. Si je continue, tout va foirer, il faut me remplacer.
  • Saute ! répond Carlos. Saute, et envoie-moi quelqu’un.

À la prochaine occasion, le matelot imite ceux qu’il a ramenés à bord. Un autre marin, Eric, dit Rock-and-roll, qui était sur le pont en combinaison de plongée, le relaie d’une détente, atterrissant auprès de Carlos, tout étourdi, en vrac. Les deux hommes filent vers le Sopot, embarquent une paire de nouveaux transfuges. Les deux suivants posent plus de problèmes. Ils sont âgés, ils se sont laissés tomber à l’eau mais ils ne bougent plus, ils se sont préparés à mourir et ils attendent, passifs. Pour Eric et Carlos, ce sont les plus lourds passagers, qu’il faut hisser à toute force, contre eux-mêmes. Juste avant minuit, les survivants de la dernière heure embarquent pourtant sur l’Abeille. Et le Zodiac repart. Le prochain candidat à la vie est le père de la toute jeune fille recueillie au premier tour.

  • Est-ce que ma fille est vivante ? Est-ce que ma fille est vivante ? répète-t-il en polonais.

Carlos lui donne une bourrade sur l’épaule et lui renvoie le seul mot qu’il connaisse dans sa langue :

  • À ta santé !

Trois tours, quatre tours. Le Jean Charcot est en route, dans des conditions épouvantables. Et le superfrelon de Lanvéoc revient, lui aussi, à la limite de la sécurité. Le treuilliste et le plongeur adoptent la même méthode que les hommes de l’Abeille, invitant les derniers naufragés à se lancer à l’eau avant d’être pris en charge. Éric et Carlos se perdent dans leurs comptes. Tandis que l’hélicoptère s’éloigne, ils interrogent à la VHF Job Chapel : le Sopot est-il désert ou non ? Le commandant n’est pas sûr que tout le monde a été évacué. Dans le doute, le Zodiac accomplit un ultime voyage.

Le voyage de trop. Le vent a encore forci, la mer s’est encore creusée. Sous la poupe du cargo, les deux hommes hurlent. Pas de réponse, nulle trace de vie. Carlos :

  • Le travail était fini et nous ne le savions pas. Cet aller-retour, c’était pour rien. Nous avons senti la peur nous envahir, la vraie trouille, le sang qui glace, les jambes qui lâchent.

L’Abeille donne des ruades désordonnées, roule en tous sens. L’arrière se soulève très haut, s’immobilise, retombe durement, renvoyant alentour des giclées virulentes. Il n’est guère d’instant où la lisse, même fugitivement, se trouve à l’horizontale. Eric et Carlos, qui n’ont plus le souci de leurs passagers mais le souci d’eux-mêmes, ont à présent l’esprit libre pour mesurer ce qui les attend. Au fond, ils pensent que, pour eux, la partie est perdue – ce n’est pas une pensée claire, c’est une évaluation intuitive, c’est ce que dit la moelle de leurs os -. Ils décident de s’accrocher à la crête d’une lame, et d’abandonner le Zodiac à son sort en se jetant vers le pont, advienne que pourra. Avant d’adopter toutefois cette solution du désespoir, Carlos veut épuiser les procédures plus classiques. Par radio, il demande au bosco d’allonger l’estrope, le câble pendant de la grue, estrope qui se termine par un crochet sur lequel, en temps normal, on rassemble les quatre élingues de l’annexe – une fois les anneaux pris dans le crochet, il ne reste plus qu’à gruter, virer, et déposer le Zodiac sur le pont -.

Le premier essai est infructueux. L’embarcation gonflable, noyée par un tourbillon, ne peut se stabiliser le long du remorqueur, fût-ce dix secondes. Carlos remet les gaz, revient se positionner sur l’arrière. Les lames défilent. Trop haute, celle-ci. Trop courte, celle-là. Trop incohérente, la troisième. La peur gagne du terrain, non pas une peur dynamique, une bonne lampée d’adrénaline qui te donne un coup de fouet, mais la mauvaise peur, celle qui ankylose, qui te rend gourd et te murmure n’insiste pas, c’est trop tard, c’est fini. Enfin une ouverture, une vague en forme de vague, qui ne s’effondre pas sur elle-même, puissante mais bien cambrée. Carlos pousse le moteur, la rattrape, l’escalade, ils sont contre la lisse, Eric bloque dans le crochet les quatre anneaux qu’il a réunis. Et les deux hommes, oubliant le Zodiac, plongent vers le pont comme ils plongeraient dans la plus bleutée des piscines, tête la première, bras en avant. Ils s’écrasent sur l’acier, dans un bain d’écume, ils n’ont mal nulle part, leur corps juge que cette matière verte et solide est un matelas délicieux. Ils se regardent et ils rient, pendant que le Zodiac, viré par le bosco, s’envole au-dessus de leurs têtes.

Job Chapel avertit aussitôt le CROSS que l’aide du Jean Charcot n’est plus nécessaire, tous les naufragés et tous les sauveteurs ayant été récupérés. Milo Masson, le patron, entend le message alors qu’il se trouve à seulement 4 milles de sa destination.

  • Vous avez liberté de manœuvre.
  • Bien reçu. Bravo à l’Abeille et aux hélicos. Pas d’autre commentaire. Le canot rebrousse chemin vers Molène, le plus dur de la nuit est devant lui.

Le remorqueur est bondé. Des Polonais partout – ils sont seize -, les autres ont été recueillis par le superfrelon. Carlos héberge dans sa cabine la deuxième femme qu’il a sauvée, une jeune et belle infirmière. Elle est saisie de tremblements, elle claque des dents, elle répète, quand elle réussit à parler, qu’elle allait mourir, qu’elle est morte, ou presque. Tout l’équipage est persuadé que le second capitaine l’a consolée en se consolant lui-même, abusant quelque peu de la situation.

Non. Je l’ai rassurée, je lui ai tenu la main. Elle disait qu’elle me devait la vie. Franchement, c’est aussi fort que si nous avions fait l’amour.

L’Abeille reste auprès de l’épave, qui donne un peu plus de la bande à chaque lame. Les naufragés se réchauffent, parlent. Le père a retrouvé sa fille. Le commandant du cargo explique comment il a choisi le plus jeune et le plus vigoureux des matelots, au moment où Carlos les conjurait de se jeter à l’eau. Il lui a dit qu’il fallait y aller, qu’il fallait qu’il survive, lui qui était fort, pour que les autres l’imitent et survivent aussi. Vers 5 heures, le Sopot disparaît, à 14 milles du phare de Créac’h, dans une fosse profonde. Il coule à pic, en quelques secondes. Le chef mécanicien polonais descend au salon de l’équipage, empoigne une bouteille de whisky et la vide cul sec. Le remorqueur se dirige sur Brest.

Pendant ce temps, Goulven Perhirin est à la barre du Jean Charcot. Les familles des bénévoles de la SNSM ont rejoint Louis Lacaze au sémaphore et suivent, sur la VHF, la progression du canot. A l’entrée du Fromveur, on respire mieux. Ce n’est pas encore chez nous, mais c’est déjà chez nous. En fait, le grand torrent, fût-il familier, n’a rien de rassurant. L’étrave, le pont, l’arrière du canot semblent le plus souvent sous l’eau. La vedette embarde, part au surf, se couche trois fois complètement sur tribord. Le gouvernail réagit lentement, le barreur peine. Quand le port de Molène est proche, quand la barrière de récifs brise la houle et permet aux sept marins d’inspecter la coque, ces derniers s’aperçoivent que la proue est quasiment immergée. Première surprise. Le jour venu, ils tirent le canot au sec : là, ils découvrent que le pic avant est complètement défoncé. Même la double paroi a cédé, et 10 tonnes d’eau ont pénétré à l’intérieur. Ils reviennent de loin, d’aussi loin que les naufragés du Sopot. Si les cloisons étanches n’avaient résisté quelques heures, ils seraient morts.

Voilà l’histoire, me dit M. Lacaze au pub d’Erwan. Cette nuit-là, nous n’avons remporté aucune médaille, gagné aucun championnat. L’ambassadeur de Pologne a eu la courtoisie de nous adresser une lettre de remerciements et le préfet maritime nous a complimentés

[…] Pourquoi des hommes acceptent-ils de mettre leur vie en jeu afin que d’autres hommes échappent à la mort ?

Est-ce un métier ? Carlos, là-dessus, est catégorique. Non, cette partie-là du métier n’est plus un métier. Ce n’est pas un dû, cela n’a pas de prix, ni de salaire équivalent, ce n’est pas un fragment de culture d’entreprise. À un certain stade, celui où l’on engage sa peau, voire, plus simplement, celui où l’on craint de l’engager, une démarche volontaire et singulière est requise. On ne peut pas expliquer ce choix par la seule recherche de l’exploit, par le narcissisme héroïque, ni par l’émulation. Même si ces éléments jouent, ils pèsent infiniment moins qu’autre chose : l’articulation nécessaire entre le caractère très individuel de la résolution qui a été prise et le caractère éminemment collectif du travail effectué. Un bateau chargé d’assister les autres, c’est et cela doit être l’absolue liberté confondue avec l’absolue solidarité.

Tu comprends, explique Carlos (sa cigarette pianote sur la table, il cherche ses mots attentivement), une opération, c’est une multiplication, ce n’est pas une addition, et c’est la multiplication d’éléments particuliers. Cette ambiance de fête que nous partageons, après un remorquage, c’est le plaisir de l’acte accompli, pas de l’acte réussi : de l’acte accompli. Il ne s’agit pas de gueuler que nous sommes les plus forts, il s’agit de parvenir à donner ensemble ce que nous sommes capables de donner ensemble. Un échec, quand on a tout essayé, et quand on a tout essayé en commun, c’est aussi un acte accompli dont nous continuons de supporter ensemble le poids. Ce qui serait le plus grave, ce serait que la solidarité n’ait pas joué, ou pas à plein, que les volontés singulières n’aient pas fonctionné de manière concourante.

Il me sort tout ce discours d’un jet, ça vient du fond. Nous sommes seuls à la passerelle, sous le babillage croisé des radios. Le printemps est arrivé d’un coup, sans transition, la rade brille.

Et commander un navire pareil, est-ce commander différemment ?

C’est reparti, la cigarette tremble. Carlos me raconte ses débuts, jeune officier, aux Abeilles. Le commandant sur lequel il était tombé exigeait que chacun, à bord, même s’il n’était pas de quart, même s’il restait disponible dans les délais convenus, montât toutes les quarante minutes à la passerelle pour signer un registre. Quarante minutes, pas quarante et une. Et Carlos, réputé forte tête, on se demande pourquoi, était surveillé de très près. Les soirs où il n’était pas de service, il s’installait ostensiblement à la terrasse du café voisin, se présentait à h + 39, ressortait à h + 40, retrouvait ses amis au café, revenait à h + 39, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un des deux se lasse.

Voilà, tranche-t-il, ce qu’il ne faut pas faire. Il ne faut pas traiter comme un suspect, un enfant ou un larbin quelqu’un à qui on demandera, peut-être cette nuit, peut-être la nuit prochaine, de risquer sa vie librement. Le soldat s’est engagé, ou bien est appelé sur ordre d’en haut, et il obéit. Mais le marin de l’Abeille, lui, est embauché comme cuisinier ou mécano. Le reste, les promenades nocturnes en Zodiac dans des creux de 8 mètres, le reste suppose un acquiescement, et cet acquiescement, on le sollicite, on l’obtient, on ne l’ordonne pas. Il m’est arrivé, confesse mon interlocuteur, de céder moi-même à cette tentation, de viser la perfection au mépris des hommes, cassant et lointain. Le résultat n’a pas traîné : une atmosphère détestable, un équipage agressif, des rumeurs désobligeantes, un commandant irrité, fragilisé, sur la défensive, incapable de se ménager lui-même par obsession d’en remontrer aux autres, jusqu’à la crise et à l’épuisement, jusqu’au malaise vagal.

  • Qu’as-tu fait?
  • Dès l’embarquement suivant, j’ai réuni les gars et je leur ai dit que nous devions nous y prendre et que je devais m’y prendre autrement. C’a été une libération pour tout le monde, moi le premier…

Mais quelle est la fonction véritable d’un commandant, par-delà l’impératif technique, quel ciment parvient-il ou ne parvient-il pas à glisser entre les pierres de l’édifice ? À force d’en débattre avec les marins de l’Abeille, débat éminemment informel, au fil des quarts, des nuits, des repas, et des verres chez Martine, la gentille hôtesse de L’Abri des flots, je suis parvenu à une conviction : l’image paternelle ou paternaliste du Vieux est désuète. Le commandant n’est pas le père du régiment. Sur le remorqueur, c’est un marin parmi d’autres marins, assurément plus expérimenté, plus apte à déplacer en souplesse tant de tonnes assemblées, mais un marin auquel échoit toute la peur du bord, la peur dernière, et qui doit la porter, l’entendre, la partager, la canaliser. Cet homme-là est payé pour avoir peur, ou, plus exactement, pour tirer de la peur latente un profit dynamique. Non que la peur, en temps ordinaire, menace ou rôde. Il n’empêche : si elle pointe, on sait où, chez qui, sur qui la déverser. Semblable destin exige des qualités propres, apparemment contradictoires. Un commandant qui cède à la peur ne commande pas. Mais un commandant qui ignore la peur, ou, pire, qui feint de l’ignorer, ne commande pas non plus.

J’expose à Carlos mon hypothèse. Elle ne le séduit qu’à moitié, toute cette peur sur le dos, ma foi, ça lui paraît beaucoup (aurait-il peur de la regarder en face, cette peur dans le dos ?). Non, ce qui le tracasse plus, c’est la manière dont le commandant doit assumer l’ensemble de ce qu’il advient, sans exception aucune, sans rejeter sur autrui la responsabilité de l’erreur ou de la bavure. Et ce, d’autant plus que la marge d’initiative des uns et des autres est élevée. Ce serait trop facile de botter en touche, trop tentant, trop lâche. Si Denis, le matelot accidenté sur le Rosa M, s’est blessé en tombant, ce n’est pas par maladresse, dit Carlos, c’est parce que toutes les précautions n’étaient pas réunies, c’est parce que nous, les patrons du chantier, n’avions pas pensé assez loin, suffisamment anticipé.

Récemment, lors d’une prise de coffre, à Ouessant, un marin est tombé à l’eau, depuis la lisse, au-dessus des tuyères. Il a eu le réflexe de se cramponner au bout fixé à la tonne, mais, dans le tourbillon, ce geste l’a, quelques instants, dissimulé aux yeux de ses collègues qui le voyaient disparaître sous l’eau. On a eu très peur. Carlos a débrayé les moteurs, près des cailloux. En un rien de temps, tout était rentré dans l’ordre – petite glissade à l’occasion d’une manœuvre répétée mille fois. Le commandant ne l’a pas entendu ainsi. Assemblée générale, analyse de l’incident, décision, placardée à la passerelle et dans les coursives, que l’amarrage, désormais, se ferait à l’aide du Zodiac. Même si, durant des années, on a procédé autrement sans la moindre complication.

  • C’est moi qui avais manqué de vigilance. Je me suis dit souvent que la manœuvre était délicate, mais on savait faire, on l’avait prouvé…

Après cela, Carlos me jurera que non, sans façon, il n’est pas payé pour avoir peur. Sa philosophie du commandement, au fond, est exactement contraire à celle de beaucoup d’hommes politiques : inscrire la victoire au compte de l’effort mutuel, et l’échec ou la faille à son propre compte. Ne jamais se décharger sur un subordonné de l’erreur ou de l’accident. Il répète souvent qu’un remorquage bien mené, c’est à 98 % le fruit du savoir-faire de l’équipage. Nadine est agacée par ce qu’elle considère comme une modestie outrée, comme une incapacité à revendiquer sa juste part.

  • Absolument pas, répond Carlos. Le jour où les gars seront attaqués, je serai devant, je me mettrai en avant.

Il n’en démordra pas. Le printemps s’installe, le ciel s’adoucit, nous sortons par épisodes et revenons à quai, je profite des escales pour affiner mon enquête. Cette solidarité avec les gars est-elle affective ? A priori, non, dit Carlos, c’est un vrai lien professionnel, tissé par la mission elle-même. Une fois débarqués, les marins de l’Abeille se rencontrent peu. Les amitiés peuvent évidemment naître, mais elles s’ajoutent, se superposent à la relation de travail. Non que le commandant soit tenu à une quelconque obligation de réserve. Cependant il est bon, il est sain qu’il s’entraîne à se détacher d’un rapport électif à ses collègues. Je réclame de plus amples précisions. Ne serait-il pas souhaitable, et même rentable, qu’un équipage soit coopté, qu’un leader choisisse lui-même ceux dont il se sent le plus proche, en qui sa confiance est la plus vive ? Le clan ne serait que plus soudé. C’est une vieille lune, objecte Carlos. C’est une illusion : il n’existe pas d’équipage idéal, et la quête de ce dernier pèche par arrogance ou par naïveté. Le regard de celui qui choisit est incertain. Les qualités de celui qui est choisi sont sujettes à variations. Vouloir s’enfermer dans une caste aristocratique n’est pas gagner en performance mais perdre en richesse et en mobilité. Tout homme, à un moment ou un autre de sa vie, a le droit d’être perturbé par une maladie, un problème d’alcoolisme, un deuil, un désespoir d’amour. Si ton équipe est refermée sur elle-même, la défaillance provisoire d’un élément tourne au drame, et pour l’élément concerné, et pour la collectivité.

Il raconte, en forme d’autocritique : Au début, quand je suis devenu officier, j’ai rêvé de rassembler autour de moi une bande de premier choix, les meilleurs des meilleurs. Aujourd’hui, je pense qu’il n’y a pas de mauvais équipage et qu’un bon commandant est celui qui se démerde avec ce qu’il a. Je m’arrange des gens que la compagnie m’envoie. Eh bien, je l’ai, ma bande de premier choix. Et puis j’ai appris que le plus caractériel des marins, celui qui peut devenir mauvais, à l’escale, quand il a un coup dans le nez, est aussi, à bord, le plus calme dans l’action. Ce n’est pas de normes et de chasseurs de têtes que nous avons besoin. C’est de gens qualifiés, bien sûr, mais volontaires pour cette mission-là.

Un souvenir illustre l’option, presque une fable ou un conte philosophique. En 1978, à vingt-quatre ans, Carlos, muni de son diplôme d’officier de la marine marchande, se demande où et comment il accomplira ses obligations militaires. Familier du monde des voileux, il rencontre le père Jaouen, jésuite et bourlingueur basé à l’Aber Wrac’h, qui a eu l’idée d’embarquer sur deux vieux gréements des jeunes gens confrontés à diverses épreuves, notamment à la drogue. Fort en gueule, bon marin, Jaouen, devant l’adversité financière et technologique, pense que Dieu y pourvoira. Il recrute Carlos qui est illico propulsé commandant du Bel Espoir – le navire amiral -, fonction qu’il remplira, par dérogation, en guise de service national.

C’est un fameux trois-mâts, le Bel Espoir. Il prend l’eau, la pompe fonctionne en permanence, le calfatage ne tient guère. Dieu y pourvoira. On pourrait creuser la coque avec une petite cuillère. Dieu y pourvoira. Séduit par le bon père, le nouveau commandant n’en pense pas moins qu’il n’a jamais rencontré, dans sa courte existence, un homme d’aussi mauvaise foi. Ses prédécesseurs lui enseignent quelques tours propres à sauver le navire. Tu profites d’une sortie pour mettre le cap sur Cowes. Là-bas, dans le Soient, tu trouveras une vasière de toute beauté, la boue y est grasse à merveille : tu t’échoues là-dedans, tu laisses les Anglais perplexes, en fin de marée les interstices entre les bordés sont colmatés par la nature, et tu es tranquille jusqu’à la prochaine tempête. Dieu y a pourvu.

Le Bel Espoir flotte. Mieux : il sauve plus riche que lui. Lors de la première route du Rhum, Carlos – en liaison avec Éric Tabarly dans un Bréguet Atlantique – porte assistance à Marc Pajot, blessé et en difficulté au milieu du golfe de Gascogne, et dépanne deux autres concurrents (l’un d’entre eux appelle sa maman à la radio mais, une fois ramené sur terre, se croit Magellan et oublie instantanément ceux qui l’ont épaulé). Il flotte, le Bel Espoir, mais à la grâce de Dieu. Rentrant sur les Açores, il ramasse une queue de typhon, l’eau monte, et Carlos prend le pari d’amarrer la barre, de débrayer le moteur, et de laisser bouchonner le bateau. Lequel tient jusqu’au port, manquant couler à quai. Dieu y a pourvu.

L’art de naviguer, sur un bâtiment pareil, ne suffit pas. Il faut apprendre à négocier, à diriger, à consoler, à sanctionner. Le jeune commandant, outre les voies d’eau, doit se débrouiller, sans formation aucune, avec des toxicos qui ont le même âge que lui et qui continuent à se défoncer sous ses yeux tandis qu’il se défonce pour eux. Il improvise, il suit son instinct. De temps à autre, pour remplir les caisses, le trois-mâts est loué à un comité d’entreprise. Entre Saint-Barth et Porto Rico, changement de décor : on promène des hôtesses d’Air France, et la promenade est si jolie que le commandant célèbre des mariages d’une semaine dont certains, foudre divine, ont duré beaucoup plus.

Entre le père Jaouen et le Ciel, la partie de poker se poursuit, version poker menteur. Un beau jour, l’équipage du Bel Espoir (ils sont trois ou quatre permanents) accueille, à Saint-Malo, des passagers inattendus : dix-huit hommes – le plus âgé a cinquante-trois ans – internés dans un hôpital psychiatrique du nord de la France. Un psychiatre, son épouse et deux infirmiers encadrent le groupe. Les malades sont pour la plupart issus du milieu rural, la mer leur est inconnue. Ça commence mal. Un silence épais rompu par des hurlements d’allégresse lorsque, la marée ayant descendu, le sabord laisse entrevoir la culotte d’une dame à la courte jupette s’avançant au bord du quai. Les coursives blanches, blanches comme un couloir d’établissement spécialisé, provoquent, elles, un mouvement d’effroi (on les repeint en bleu sans traîner). Et, dès l’appareillage, il s’avère que les malades, gavés de neuroleptiques, résistent parfaitement au mal de mer tandis que leurs accompagnateurs, eux, sont prostrés.

Carlos met le cap sur l’Irlande, optant pour un pays catholique où le fou est jugé respectable. Lors d’une première halte aux Scilly, il décide que les touristes dont il a hérité seront bel et bien traités comme tels, et non point consignés à bord. Jamais, sans doute, le Mermaid, pub sublime de l’île Sainte-Marie, dont les poutres sont des fragments de mâts ou de beauprés issus de vaisseaux naufragés, n’a connu pareille clientèle. L’un, Gros Bébé, suce son pouce, l’autre garde constamment les mains en l’air. Reste qu’ils voient du pays, et qu’ils apprécient l’expérience, par signes, par le truchement des mots abondants ou rares, voire, tout simplement, en suivant le mouvement.

Sur la route de Kinsale, les marins du Bel Espoir instaurent des quarts, comme si leurs visiteurs étaient ordinaires. Un radariste, un veilleur de chaque bord, un timonier, un chef de quart, et vogue le trois-mâts. Dans la nuit, Carlos se cache à l’orée de la passerelle et observe l’attitude de ses pensionnaires. Le timonier part plein nord, puis plein ouest, annonçant chaque fois Je suis au cap, message que Gros Bébé, suçant toujours son pouce, reçoit avec flegme. L’homme aux avant-bras éternellement levés est planté devant le radar et discerne un écho. C’est le feu du Fastnet, mais les deux veilleurs, le voyant s’éteindre et s’allumer, jugent qu’il s’agit d’un navire à l’allure erratique. L’attelage est un brin désordonné, la trajectoire est sinusoïdale, mais la démonstration est faite : la nef des fous progresse.

D’ailleurs, on arrive à Kinsale. Et les Irlandais sont tant émus par l’audacieuse croisière qu’ils organisent une réception à l’église. L’émotion est vive, la presse locale lui donne de l’ampleur, et une collecte réunit assez d’argent pour conduire les dix-huit apprentis navigateurs jusqu’à un château où une pierre miraculeuse, la chose est avérée, guérit les fous. Enfin presque. Au retour, les miraculés demeurent, grosso modo, semblables à eux-mêmes, quoique heureux de l’excursion. Et reprennent le large.

La partie n’est pas toujours facile. Certains malades continuent à se taire obstinément. Un d’entre eux menace, en toute occasion, de se jeter par-dessus bord, Carlos le devance, non sans avoir préparé l’affaire avec son second : il enjambe la lisse et plonge, banalisant l’événement, et c’en est fini du chantage. La pire complication ne surgit pas dans le camp des soignés. Tandis que le Bel Espoir rebrousse chemin vers Saint-Malo, c’est le psychiatre qui craque. Il pleure, il veut abrutir de médicaments sa bande de fous, il ne supporte plus que ces derniers changent d’attitude (plusieurs, qui n’avaient pas émis un son depuis des années, commencent à s’expri­mer), et il supporte moins encore de partager leur vie sans le secours et le filtre de l’institution psychiatrique. On soigne, donc, le psychiatre, on le remonte, on le drogue et on l’empêche de droguer autrui. Les fous le traitent de fou, les fous se traitent de fous entre eux. La situation est un peu confuse mais tout le monde rentre au pays, sauf et relativement sain.

Carlos et ses coéquipiers n’ont pas retiré de l’expérience un article pour Nature ou Lancet. Ils ne savent toujours pas, aujourd’hui, si l’entreprise était folle ou non, si la démarche thérapeutique était fondée. Ils s’en sont tirés grâce à l’humour, grâce, également, au respect qu’ils éprouvaient pour ces voyageurs encombrés d’un très lourd bagage. Ils les ont revus, par la suite, et les retrouvailles ont été joyeuses – huit patients avaient quitté l’hôpital pour une structure plus légère.

Médicalement, ils se sont gardés de conclure. Mais, concernant la navigation, ils ont formulé un axiome : aucun équipage n’est assez fou pour ne point former un équipage.

[…] Au fil du printemps, des escortes, des escales, je  collectionne  les  récits comme d’autres chinent et fouinent. Ce n’est pas le seul morceau de bravoure qui est mon Graal. Mais une question plus élémentaire continue de m’obséder, toujours la même : quel est donc le moteur de cette bravoure, pourquoi des êtres qui ne cessent de proclamer leur banalité, et que la fausse modestie n’étouffe pas, oublient-ils, soudain, leurs petites médiocrités, celles de tous les hommes ? J’évolue, de par ma profession d’écrivain et d’éditeur, dans un univers courtois, érudit, instructif, agréable à fréquenter. Mais on y tuerait quelquefois pour une misère, pour un prix de saison. On oublie, en chemin, la promesse trop solennelle de ne jamais accepter la moindre médaille courtisane, et de juger vaine la compétition. On rêve d’une épée. A l’usure, on s’imagine créditeur. On s’abîme en futilités. On est bouleversé parce que le président vous a honoré d’un petit déjeuner tactique et machinal. On glose Balzac, sans voir qu’on est dedans. La culture et la vanité sont toujours allées de pair, pour de mauvaises raisons et pour une autre, qui est bonne : les sanctions symboliques sont, en bien ou en mal, les plus justes et les plus injustes, les plus gratifiantes et les plus douloureuses. Mes compagnons de l’Abeille, eux, ne boudent pas les médailles, ne courent pas après non plus : ce qui est fait est fait, ce qui était remarquable est distingué. Normal. Autant en apporte et en emporte la marée. Ça repose.

Carlos ne se rappelle pas avoir été submergé par la frayeur rétrospective quand il a regagné le navire, son travail accompli. La jubilation d’être vivant parmi les vivants était un excellent antidote. C’est la nuit suivante, me raconte-t-il, pas avant, que la sueur froide est venue. Un film humide sur la peau, un film en boucle dans la tête, chaque scène ranimant l’autre scène, tu essaies d’arrêter l’image mais le ralenti est pire : quand elle se fige, loin de te détacher, tu bascules dans l’analyse pointue, dans le scrupule, et la préciosité sourcilleuse des Cahiers du cinéma n’est rien à côté de cette névrose critique, ce n’est pas seulement la peau qui se hérisse, c’est le cortex aussi, il est trop simple de soutenir que la machine proteste, la machine a bon dos, tout proteste, la machine et le pilote, comme quoi il est possible de trembler et de penser en même temps.

J’essaie de le pousser dans ses derniers retranchements. Tu aimes jouir, tu aimes à la fois la rigueur et l’indiscipline, tu as horreur des trompe-la-mort affichés et des robots prêts à mourir après l’entraînement, tu n’attends pas de tes hauts faits une reconnaissance éternelle, et le paradis, hélas !, ne te semble accessible ni sur terre ni au ciel : pourquoi ce sens aigu de la mission, si tu n’es missionnaire ? C’est la faute de mon grand-père, dit Carlos, mon grand-père catalan et républicain dont j’ai appris la mort quand j’étais embarqué, loin de lui, dans une sacrée tempête. Cet homme-là, une fois finie – et mal finie – la guerre d’Espagne, était un médecin établi et un dignitaire politique. On lui a proposé une fictive présidence de la République en exil. Il a refusé. On lui a suggéré d’ouvrir, dans une grande ville européenne, un cabinet médical à succès. Il a refusé, il est parti soigner des mineurs dans le désert. J’ai hérité de cette forme singulière d’optimisme.

Est-ce donc l’élan charitable de cet aïeul qui t’emporte, et qui continue de t’entraîner ? Pas exactement, répond Carlos, cela m’est sympathique mais je ne pense pas être plus charitable qu’un autre. Ce qui est impressionnant, c’est d’avoir en soi l’image d’un homme capable de tout quitter, qui a tout quitté jeune, et – c’est plus rare – qui a recommencé plus âgé.

Je suis son raisonnement. Les marins sont gens du départ et de l’abandon. Le trait n’est pas chez eux une inclination esthétique ou métaphysique, mais le B. A.- BA du métier. Savoir qu’on va perdre cet horizon solide, et qu’il en est d’autres, non moins fragiles, qu’on perdra de nouveau, et que l’horizon du retour est lui-même fugitif. Sur le Rosa M, le plaisir que prenait Carlos, avant d’être un plaisir sportif, le plaisir de l’épreuve et de la victoire, était d’abord celui-là : s’installer dans un monde seulement défini par ce qu’on a résolu d’y entreprendre, et savourer, quelque temps, cette cohérence provisoire. Au moment du sauvetage (un combattant soutiendrait peut-être qu’une guerre procure la même sensation, et suscite le même choix, mais un sauvetage n’est pas une guerre, la vie et la liberté ne s’y achètent pas au prix du sang, sinon par accident, par malheur) , il est un instant où tout bascule, où rien ne t’entrave, où tu es conduit par ta volonté nue.

Souviens-toi, ajoute Carlos, de l’histoire du chien, ce chien que mon grand-père tenait au bout de son fusil et qu’il avait, en principe, consigne d’abattre. Peut-être était-ce un chien enragé. Mon grand-père a jugé que non. Ce n’était pas faiblesse, ni sentimentalisme, c’est un homme qui s’était battu, il n’était pas non violent, il ne professait pas que les animaux étaient sacrés. Il regardait le regard de cet animal précis et tenait à m’enseigner que la loi est respectable, mais que certaines lois ne sont pas écrites, que chaque homme porte en lui un certain droit à l’interprétation du bien et du juste, et même un certain devoir de s’y aventurer.

Je saisis où il veut en venir, Carlos. Me convaincre que sa morale est étrangère à la subordination. Sauver n’est pas obéir. Plus qu’un impératif catégorique, le sauvetage est une culture. La fameuse solidarité des gens de mer n’est pas légende. Elle est propre à ceux qui partagent le secret de l’horizon insaisissable, à ceux qui connaissent le mystère de l’estran, la zone indécise entre la terre et l’eau, la frange des écueils et des remous d’où jaillissent le monstre et l’étranger – le comble de l’étranger, n’est-ce pas l’homme dont le navire est perdu, tellement vulnérable, tellement dépouillé, privé de mots, de vêtements, d’argent, de carte, que tu ne saurais l’abandonner ? Lionel est fils d’un patron de canot SNSM. Dominique, qui n’était pas encore lieutenant, s’est jeté à l’eau, adolescent, et a ramené un enfant qui se noyait – les témoins ne manquaient guère, mais personne n’y allait. Carlos, bon nageur, un jour où il se promenait sur la grève avec Nadine, a cru percevoir la dernière syllabe d’un au secours confus. Un homme était en train de couler. Il l’a repêché. Coïncidence ?

Non, dit-il, ce n’est pas complètement une coïncidence. Un autre n’aurait sans doute pas identifié le message, le SOS.

Le fin mot de ma quête, c’est un patron de la SNSM qui me le fournit. Nous bavardons auprès de l’eau un après-midi tiède, la mer siffle doucement, l’air est tendre, toute la sauvagerie de ce monde est entre parenthèses. Je sais que mon interlocuteur, dans le réseau vigilant des bénévoles du sauvetage, a la réputation d’un homme intrépide exerçant son art sur une zone folle et assassine. Il me raconte, très technicien, quelques opérations remarquables, toujours au ras des cailloux, la nuit, là où nul être raisonnable, sauf les membres de son équipage, ne hasarderait un aileron de quille. Et je lui sors ma batterie de questions. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Il commence par me donner les réponses que chacun m’a données dans les coursives de l’Abeille.

  • Pour le plaisir, parce que c’est excitant d’aller au bout de ce qu’on sait faire.

Sans doute. Je l’ai déjà entendu.

  • Parce que je suis un homme contestable, plein de vices et de défauts, et que je suis heureux d’avoir, quelquefois, réalisé quelque chose d’assez incontestable.

Oui. J’ai entendu cela aussi. Tous les mortels sont plus ou moins des naufragés, et les sauveteurs, par le geste qu’ils accomplissent, sauvent une part d’eux-mêmes, renaissent en rendant la vie.

J’insiste. L’autre, alors, plante ses yeux dans les miens, plisse le front où les rides sont très creuses, et me dit :

  • Je pose un postulat. Je postule que ce que je fais, n’importe qui le ferait pour moi.
  • Es-tu sûr qu’il le ferait?
  • Je viens de te le dire. C’est ma décision, mon hypothèse. Je ne suis pas dupe de la méchanceté ni de la lâcheté de mes semblables. Je pose un postulat.

Je n’ai plus de questions. J’ai achevé mon voyage, et compris pourquoi j’en reviens consolé.

Hervé Hamon      L’Abeille d’Ouessant        Seuil 1999

L'Abeille Bourbon, sauveteur des mers - Penn Ar bed

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[1] … qui sera à bord du sous-marin américain Titan, d’Ocean Gate Expedition implosé dans les eaux proches du Titanic le 18 juin 2023, probablement moins de deux heures après le début de sa plongée, en compagnie de Stockton Rush, patron d’Ocean Gate et en l’occurrence pilote du sous-marin, Shahzada Dawood et son fils Suleman, pakistanais et Hamish Harding, anglais, tous les quatre à 250 000$ la plongée. Les spécialistes émettent des doutes sérieux sur la qualité de l’ensemble et principalement du gros hublot, qui n’aurait résisté qu’à des pressions correspondant à une profondeur de 1 300 mètres. Hélène Sy, femme d’Omar, dénoncera la débauche de moyens logistiques, sous-marins, bateaux de surface, avions mis en œuvre pour rechercher les naufragés par rapport au sort réservé aux milliers de migrants en Méditerranée, mais elle sera bien seule dans cette indignation.

Le submersible Titan, de l'entreprise OceanGate, est porté disparu depuis dimanche matin au large du Canada.

6.7 mètres de long

Un sous-marin appartenant à l’entreprise OceanGate, qui organisait des plongées pour observer l’épave du « Titanic ».

 

[2] Il existe bien une radioactivité naturelle, particulièrement élevée en zone granitique : l’équipe de Michel Pourchet, du laboratoire de géophysique environnementale et glaciologie de Grenoble, a mesuré sur des échantillons de neige prélevés au sommet du Mont Blanc une teneur en plomb 210 de 8400 becquerels par m², contre une moyenne de 110 dans les Alpes. Or ce plomb est un produit de dégradation du radon, gaz radioactif naturel qui s’échappe du granit. L’ancienne unité de mesure de la radioactivité était le curie : 1 curie = 3.7 x 1010 becquerels. L’estimation de la dose mortelle est de 50 röntgens. Il y a principalement trois formes de radioactivité : les éléments émettant des particules alpha, qui sont des noyaux d’hélium ; les rayons bêta, constitués d’électrons ; enfin les rayons gamma, constitués de photons.

[3]  En 1957, un accident nucléaire (une explosion chimique dans une cuve contenant des déchets radioactifs) s’était produit dans la ville secrète de TcheIiabinsk-40, près de la localité de Kychtym, dans l’Oural, contaminant une zone de plus de mille kilomètres carrés. C’est notamment à Semipalatinsk, au Kazakhstan, qu’étaient testées les bombes nucléaires et thermonucléaires soviétiques. (N.d.T )