3 novembre 2018 au 5 novembre 2018. Deux immeubles s’effondrent à Marseille, révélant l’incurie de la ville. 17984
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Publié par (l.peltier) le 16 août 2008 En savoir plus

3 11 2018 

Face au nombreux et parfois très anciennes accusations de son attitude vis à vis des comportements sexuels condamnables pouvant aller jusqu’au viol, la conférence des évêques de France invite les victimes à exposer leur traumatisme. Il est certes évident que l’Église a une pratique multiséculaire d’une présentation biaisée de ses torts, ce que n’ont pas a priori les victimes de curés touche à tout sans gêne ni génie. Mais, en 2018, cette inversion totale de l’ordre des choses est d’une tartuferie sans nom, car enfin, ce sont les ecclésiastiques qui sont les accusés ; depuis quand les accusés invitent-ils les victimes à venir s’exprimer devant eux ? Comment les évêques justifient-ils cette inversion des rôles ? Ces gens sont accusés, et ce sont eux qui continuent à diriger les débats… c’est un comble ! Au procès de Nuremberg, ce ne sont pas les responsables nazis qui ont invité les Alliés vainqueurs à venir les écouter. Dans cette affaire, c’est aux victimes de créer une personne morale qui traduira devant la justice civile les accusés et il n’y a pas à sortir de là, et tout le reste n’est que mascarade et manipulation ; on ne peut que regretter que des victimes se soient prêtées à ce sinistre jeu. Pour finir, les évêques prendront la décision que prend tout gouvernement quand il ne veut pas régler un problème : botter en touche en créant une commission qui rendra un rapport dans moins de 2 ans … promis, juré ! Occuper le terrain, promettre, baratiner : tout faire pour éviter de se retrouver en position d’accusé devant la justice civile. Cette manipulation des victimes par une Église en l’occurrence coupable n’est rien de moins qu’une escroquerie.

Mais il faut aussi dire clairement que tous les clochers ne donnent pas le même son, et loin d’y avoir symphonie il y aurait plutôt grande discordance entre les cloches de Lyon et celles de Rome : ainsi de cette démission du cardinalat en juillet 2018, puis réduction sèche et sans appel à l’état laïque  le 14 février 2019 de Theodore McCarrick, 88 ans, ex-archevêque de Washington et surtout ex cardinal pour des attouchements vieux d’un demi-siècle : du jamais vu à Rome depuis 1927, lorsque le pape Pie XI avait accepté la démission du cardinal français Louis Billot, qui avait renoncé de lui-même à sa toque pourpre pour son désaccord sur la condamnation par le pape de l’Action Française de Charles Maurras. Et encore la condamnation du cardinal australien George Pell par la justice civile, pour les mêmes motifs, en février 2019.

Pour la France il faudra attendre le 7 mars 2019 pour voir le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et donc primat des Gaules condamné à six mois de prison avec sursis  pour non dénonciation de pédophilie imputés au père Preynat, un prêtre de son diocèse. Dans la foulée, il remettra sa démission de l’archevêché de Lyon, sa pourpre – un cardinal ne rend pas son tablier, puisque, ne se salissant jamais, il n’en porte pas – au pape François, démission que le pape refusera le 18 mars. Il fera appel de ce procès en première instance. Quand l’affaire du père Preynat avait commencé à l’éclabousser, lors de la conférence des évêques à Lourdes en mars 2016, il s’était fendu d’un des plus beaux lapsus qui fut : La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits. En mars 2019, François Ozon en fera le titre de son film, dont la justice refusera de retarder la sortie. Ce lapsus vient rejoindre au hit-parade celui de Raymond Barre qui le 3 octobre 1982 avait parlé de l’attentat contre la synagogue de la rue des Rosiers en parlant des Français innocents qui en avaient été les victimes.

Neuf mois plus tard, lors du procès en appel du cardinal Barbarin, Joël Solier, l’avocat général, plaidera magnifiquement pour que le droit cesse de se mettre à la remorque de l’émotion : le droit, enfin ! rien que le droit, mais tout le droit !

Le premier procès Barbarin aura été un grand procès pour les victimes du père Preynat. Celui en appel pourrait être un grand procès pour le droit. Fidèle à la position qu’il soutient depuis le début de l’affaire, le ministère public a requis, vendredi 29 novembre, la relaxe de Philippe Barbarin du délit de non-dénonciation d’agressions sexuelles. Mais son représentant, Joël Sollier, l’a fait au terme d’une nécessaire et charpentée démonstration juridique.

Cette affaire a été portée par un cri, qui était l’expression d’une douleur trop longtemps contenue, celle des victimes venues témoigner de leurs souffrances toujours vives, imprescriptibles. Ce cri, il faut l’entendre, d’autant plus, et c’est le drame de ce dossier, que ne lui a répondu qu’un immense silence. Silence des familles, silence des communautés paroissiales, silence de l’Eglise, a observé l’avocat général. Mais la justice, a-t-il souligné, ne se prononce pas sur un phénomène dans son ensemble mais sur des cas individuels. Elle doit dire si un homme est coupable des actes dont on l’accuse conformément au droit existant, à un moment donné, dans une société donnée.

Et le droit existant ne permet pas de condamner Philippe Barbarin, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal correctionnel de Lyon. A l’adresse des juges de première instance, Joël Sollier se montre sévère, dénonçant la tentation à laquelle ils ont selon lui cédé d’enfermer la décision judiciaire dans la sphère symbolique, en faisant porter sur le seul cardinal l’impératif de dénonciation d’agressions sexuelles. La justice ne peut faire du symbolique son principe d’action ni son but ultime, même si un effet symbolique s’attache à ses décisions.

Exhortant la cour à revenir au droit, l’avocat général a évoqué les trois obstacles juridiques majeurs qui, selon lui, rendent impossible la condamnation de Philippe Barbarin : prescription, état de minorité ou de vulnérabilité, intentionnalité. Il soutient d’abord que le délit de non-dénonciation est indissociable des faits principaux à dénoncer. Si ces faits sont prescrits, le délit de non-dénonciation l’est aussi puisqu’il ne constitue plus une entrave à la justice. C’est le cas pour les agressions sexuelles subies par Alexandre Hezez et portées à la connaissance de Philippe Barbarin en 2014.

L’avocat général relève ensuite que l’une des raisons d’être de l’infraction de non-dénonciation est l’état de minorité ou de vulnérabilité de la victime. C’est parce que les victimes sont dans un état de faiblesse que les tiers, informés de maltraitances, doivent pallier leur incapacité à saisir la justice, observe-t-il. Cette obligation faite aux tiers tombe donc dès lors que la victime a atteint l’âge de la majorité et ne présente pas un état de vulnérabilité. Dans l’affaire Barbarin, toutes les victimes de l’ancien aumônier sont majeures et parfaitement en capacité de porter plainte quand le cardinal est alerté. L’obligation de dénonciation est donc éteinte, constate l’avocat général.

Ces deux arguments suffisent déjà, selon lui, à écarter une condamnation. Mais Joël Sollier conteste un dernier élément retenu par les juges de première instance, celui de l’intentionnalité. Le tribunal a en effet considéré que Philippe Barbarin avait fait en conscience le choix de ne pas saisir la justice pour préserver l’institution à laquelle il appartient et éviter le scandale public. Faux, dit le parquet, qui soutient qu’en 2014 le cardinal ne pouvait pas avoir conscience qu’il entravait la justice lorsqu’il omettait de dénoncer des faits survenus trente ans plus tôt.

Le réquisitoire prononcé vendredi 29 novembre ne vaut pas pour la seule affaire Barbarin. Il est aussi une mise en garde contre la tentation des juges de céder à la pression des victimes au profit d’une notion extensive du délit de non-dénonciation.

La position des parties civiles, a-t-il observé, revient à rendre ce délit quasi imprescriptible. On pourrait donc poursuivre les familles, mais aussi les conjoints des victimes, ou encore des proches, ou de simples relations à qui les faits auraient été révélésUne logique inconditionnelle et absolutiste qui, en poussant son raisonnement jusqu’à l’absurde, pourrait même conduire à poursuivre les victimes devenues adultes et qui n’ont pas dénoncé les faits, ne serait-ce que pour protéger autrui des tourments et de l’auteur dont elles connaissent la réalité !

Qui peut souscrire à un tel système ? Qui peut vouloir créer une telle chimère dont le comportement n’obéirait à aucune limite et ne répondrait qu’à un impératif idéologique dont les conséquences dévastatrices n’ont, à l’évidence, pas été suffisamment pensées ? a conclu l’avocat général. Décision le 30 janvier 2020. [Il sera finalement relaxé]

Pascale Robert-Diard. Le Monde du 1°décembre 2019

Reste maintenant à obtenir des réponses à quelques questions : pourquoi des plaintes sont-elles déposées contre des ecclésiastiques, et non contre d’autres prédateurs sexuels comme Daniel Cohn Bendit, Gabriel Matzneff, le philosophe qui s’était abonné à la sortie des lycées de filles [cf, entre autres, Apostrophes du 12 septembre 1975]. On pourra parler de mode : les années post soixante huitardes étaient tout autres que les année 2010… il est plus plaisant et facile de s’en prendre à une vénérable institution millénaire qu’à un milieu littéraire, journalistique, puissant et complaisant. Bernard Pivot remettra le couvert en invitant le 2 juillet 1990 encore Gabriel Matzneff, – il l’invitera cinq fois : Gabriel Matzneff est le Picasso de la pédophilie, maestro reconnu urbi et orbi  – mais aussi la canadienne Denise Bombardier dont il savait qu’elle ne garderait pas sa langue dans la poche, et effectivement elle prit à parti Gabriel Matzneff de front et se mit à dos l’assistance parisienne, au premier rang de laquelle Philippe Sollers qui la traitera avec la plus grande élégance de connasse ; Dieu merci elle a le cuir plutôt épais et observera plus tard qu’Il y avait ce silence et cette fascination. Et ça dit quelque chose du milieu littéraire français et parisien. Ces gens-là se renvoient l’ascenseur, se coéditent et justifient en ne se mettant jamais en cause dans leurs actions. Pivot taquinera gentiment Matzneff en lui lançant : Vous vous êtes spécialisé dans les minettes. Au-dessus de 18 ans, les femmes ne vous intéresseraient-elles plus ? ce dernier biaisera en évitant de répondre sur le fond, car, en fait si les femmes majeures ne l’intéressent pas, c’est que ce monsieur ne peut supporter un rapport à égalité de maturité, c’est que les femme sentent très vite le bonhomme et s’en détournent : ce type-là est en fait un parfait immature, un prédateur obnubilé par ses proies, seuls l’intéressent des rapports de dominant à dominé, de mature à immature… merci, très peu pour moi. Quarante cinq ans plus tard, Alexandre Jardin, invité lui aussi à l’émission se dira épouvanté de son silence d’alors – qui ne dit mot consent -, illustrant très bien ainsi le consentement de l’intelligentsia parisienne. Bernard Pivot aurait-il invité une canadienne faute d’avoir trouvé dans l’intelligentsia française une femme à même de contrer Matzneff ? On verra des brochettes d’intellectuels parisiens signer des pétitions pour soutenir Gabriel Matzneff. Fin 2019, quand Vanessa Springora, une des victimes de Matzneff s’apprêtera à sortir un livre pour dire son aventure, Pivot lâchera : Que voulez-vous, le littérature avait alors le pas sur la morale ! Mais ce n’est pas exactement de cela qu’il s’agit, car la question est bien, la littérature peut-elle avoir le pas sur la loi ? 

Dans les année 1970 Gabriel Matzneff milite pour que la pédophilie soit décriminalisée. En 1977, il rédige un teste que le Tout Paris cosigne, mais il n’est écrit nulle part dans la tribune qu’il en est l’auteur. Parmi les 69 signataires, on trouve Louis Aragon, le sémiologue Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, le cinéaste Patrice Chéreau, le philosophe Gilles Deleuze, André Glucksmann, l’écrivaine Catherine Millet, l’écrivain Julien Gracq. Quelques personnalités refusent de le signer à l’instar de Marguerite Duras et de Michel Foucault. Le Monde accepte de le publier le 26 janvier, la veille de l’ouverture d’un procès mettant en cause trois hommes accusés d’avoir eu des relations sexuelles avec des filles et des garçons de 13 et 14 ans. 

Ce n’est qu’en 2013 que Gabriel Matzneff dévoilera être l’auteur de cette lettre ouverte sur son blog, agacé de voir les signataires encore en vie s’excuser de l’avoir signée ou bien oublier qu’ils l’ont signée.

Apeurés, craignant pour leur carrière, écrit-il, trop de signataires de la pétition renient aujourd’hui leur signature, se cachent derrière une mémoire prétendue défaillante. C’est dommage, mais pour ma part, je demeure fidèle à mes engagements. Je suis heureux d’avoir, avec mon article du Monde, puis avec la pétition, contribué à la libération des prisonniers. Je revendique tout ce que j’ai écrit. Je persiste et je signe.

Si son réseau s’est largement étiolé au fil des ans, on peut voir que dans les années 1970, il était extrêmement dense. En effet, quatre mois plus tard, en mai 1977, une nouvelle tribune est publiée dans Le Monde encore, signée par 80 intellectuels et personnalités françaises comme la pédiatre et psychanalyste Françoise Dolto. Cette fois-ci, Michel Foucault est signataire. On retrouve à peu près les mêmes noms que dans la première tribune. Et bien sûr, Gabriel Matzneff. Ce texte-ci demande à ce que les lois régissant les relations sexuelles entre adultes et mineurs soient abrogées au même titre que celles qui réprimaient l’adultère, l’IVG, et les pratiques anticonceptionnelles.

On voit bien ici la logique de ces demandes qui s’inscrit dans une libération sexuelle totale, faisant des enfants des êtres qui devraient bénéficier des mêmes droits que les adultes, comme celui de faire l’amour. À l’époque, l’idée de leur non-consentement évident est écartée. Dans les années 1970, le droit définissait strictement la pédophilie, et les mœurs post-68 voulaient qu’interdire le sexe avec les enfants soit une énième interdiction à abattre.   

Deux ans plus tard, Libération publie une lettre de soutien à un homme accusé de pédophilie pour avoir vécu avec des jeunes filles de 6 à 12 ans chez lui. 63 personnes ont signé ce texte, dans lequel on peut lire, au sujet des petites filles concernées : leur air épanoui montre aux yeux de tous, y compris de leurs parents, le bonheur qu’elles trouvent avec lui.

Mais le vent tourne pour Matzneff qui, au tout début des années 1990, commence à faire tache. Sa confrontation télévisée avec la Canadienne Denise Bombardier dont la vidéo tourne sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours a lieu précisément en 1990. Elle marque le début de la fin pour Matzneff. Son prix Renaudot tout comme sa décoration d’officier des arts et des lettres remise en 1995 ne changeront rien à son destin, il vend de moins en moins, il est définitivement rangé dans le rayon des impunis.

Annabel Benhaiem. Huffpost 28 12 2019

La signature de Françoise Dolto sur une pétition de soutien à Gabriel Matzneff nous oblige à constater que l’affaire n’est pas aussi simple qu’on aurait pu le croire de prime abord. Françoise Dolto a une fâcheuse tendance en la matière à régler le débat d’un revers de la main en disant : dès lors que le plus jeune est consentant, c’est que l’acte répond à son désir, et il n’y a dès lors plus rien à en dire – attitude qui vaut aussi bien pour la pédophilie que pour l’inceste -. On est tenté de parler de simplisme, car, au nom de quoi considérer le discernement d’un jeune aussi élaboré que celui d’un adulte, c’est à dire, pour l’essentiel, la capacité à dire non. Cette position ne tient pas la route. Non, Madame Dolto, un adolescent, une adolescente ne sont pas des adultes, quoi que vous en pensiez. Et, à la veille de l’arrivée en librairie du Consentement de Vanessa Springora, Christine Ango et Sylvie Brunel se livreront à un réquisitoire impitoyable contre Gabriel Matzneff, dont il n’est pas sûr du tout que celui-ci parvienne à se relever : On verra aussi Gallimard retirer certains titres de Matzneff, tel un marchand de fruits et légumes qui retire de son étalage fruits et légumes pourris ; c’est tout de même bien embêtant que Gallimard, au départ, ait estimé normal de mettre des fruits pourris sur ses étalages…

Trois ans plus tard, en octobre 2021 le rapport Sauvé chiffrera le nombre de victimes de la pédophilie au sein de l’Église catholique entre 230 000 et 330 000 selon les modes de calcul. Le 18 octobre 2021, le premier ministre français Jean Castex sera au Vatican où il dira – cela va sans le dire, mais cela va mieux en le disant – qu’en France la séparation de l’Église et de l’État ne signifie en aucun cas séparation de l’Église et de la loi.

Un séisme. Mais sur l’Église protestante, pas un mot. Qu’est-ce que cela signifie ? Il existe certes une différence de taille entre les deux : d’une part, les Protestants sont, en chiffres absolus, beaucoup moins nombreux en France que les Catholiques, d’autre part l’organigramme de l’Église protestante, même en valeur relative, est beaucoup plus léger que celui de l’Église catholique. Par ailleurs, réduire cet écart à la différence entre pasteur(e)s protestant(e)s mariés et prêtres catholiques tenus au célibat  semble bien réducteur, même s’il parait évident que la place de la femme chez les Protestants leur confère une sorte d’équilibre naturel qui manque aux catholiques. Mais il doit y avoir autre chose, de beaucoup plus fondamental, qui a trait à l’honnêteté, à un goût pour la clarté, à une transparence de l’atmosphère due à la légèreté de la hiérarchie.

5 11 2018     

Deux immeubles pourris s’effondrent rue d’Aubagne à Marseille causant la mort de huit personnes. Pour poursuivre les recherches les pompiers devront en abattre un troisième. Et Jean-Claude Gaudin, 79 ans, maire de la ville qui ne trouve rien de mieux que de tweeter : Je suis effondré… Le gâtisme n’est pas loin. Pour financer les travaux, la ville avait du recourir à l’emprunt sur le marché privé ; et, au moment de l’effondrement, il y avait 6 millions € dans les caisses de Marseille Habitat. De l’argent, il y en avait assez pour faire tourner les 2 000 véhicules de service/fonction de la ville ! Et encore assez pour s’offrir en mars 2013 une Ombrière sur le Vieux Port de 1 056 m² par Norman Forster pour 45 millions € hors taxes, ce qui fait l’ombre la plus chère du monde… près de 43 000 € le m² !  Passe à l’ombre, certes, mais pas à n’importe quel prix ! Il y a pourtant belle lurette que l’on sait qu’un miroir devrait toujours bien réfléchir avant de renvoyer une image. Marseille où, pendant plusieurs mois de 2011, des voyous ont fait fuir Vinci de la gestion d’un parking de surface à la Porte d’Aix pour se l’approprier et racketter les automobilistes à 5 € le stationnement hors de tout accord avec la mairie ! Marseille qui trouve normal de polluer la calanque de Cortiou de ses déchets ultimes, Marseille qui a mis fin au légendaire ferryboite cher à Pagnol, faute de personnel pour le faire fonctionner ! [1]. Marseille où il faudra attendre novembre 2023 pour voir le procès du plus grand marchand de sommeil, Gérard Gallas, un ancien policier devenu propriétaire de quelques 120 logements insalubres crées en rachetant des immeubles qu’il transformait en multipliant par deux le nombre de logements mis à la location – des familles logés dans 9 m² -! 

Les débris des immeubles effondrés rue d'Aubagne, à Marseille.

Les mises en examen débuteront en  avec celles de Marseille Habitat (propriétaire du n° 63, l’immeuble vide), de Julien Ruas (proche de Jean-Claude Gaudin et son adjoint chargé du service de gestion et prévention des risques), de Richard Carta (l’expert qui a visité le n°65 quelques jours avant le drame), et de la SAEL cabinet Liautard (syndic de copropriété chargé du n° 65, habité par les victimes), mais aucun des propriétaires. L’enquête est bouclée en . Dans le réquisitoire définitif, les mis en examen sont tous soupçonnés d’avoir commis des fautes caractérisées (…) qui ont exposé autrui à un risque d’une particulière gravité. Le directeur général de Marseille Habitat (propriétaire du n° 63) et un de ses cadres, le gestionnaire du cabinet Liautard, et 4 propriétaires du n° 65 (dont le conseiller régional LR Xavier Cachard) sont cités par les parties civiles, qui sont au nombre de quatre-vingt sept.

Au total, seize prévenus sont jugés à partir du  et pendant 6 semaines, douze personnes physiques et quatre sociétés, des copropriétaires à un ancien adjoint de l’ex-maire LR Jean-Claude Gaudin.

En parallèle, à la suite de la création début 2019 par le parquet d’un groupe local de traitement de la délinquance dédié à la lutte contre l’habitat indigne qui mène des dizaines d’enquêtes, plusieurs marchands de sommeil marseillais sont condamnés pour des faits relevant de l’insalubrité, certains d’entre eux à des peines de prison.

L’accident témoigne de la vétusté de l’habitat marseillais en 2018. (cette année-là 100 000 Marseillais vivaient dans des taudis d’après la fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés, et 13 % de l’habitat marseillais était indigne) et de l’inaction de la mairie.

Déjà en 2015, un rapport de l’inspecteur général honoraire de l’administration du développement durable intitulé Parc immobilier privé à Marseille commandé et rendu public par la ministre du logement, Sylvia Pinel accablait la Municipalité. Il concluait que 100 000 personnes vivent dans des logements insalubres à Marseille.

Après la catastrophe, le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) rend public le 21 novembre 2019 un rapport remis au président de la République Emmanuel Macron et au Premier ministre Édouard Philippe au titre évocateur de Marseille : de la crise du logement à la crise humanitaire. Il y est constaté que les effondrements rue d’Aubagne ne relèvent pas de faits divers accidentels et imprévisibles. [Ils] résulte[nt] d’une continuité de dysfonctionnements […] des acteurs publics, pointant ainsi du doigt la responsabilité de la mairie et de l’État, et rappelant que le préfet aurait pu mettre en demeure la ville afin qu’elle instruise les dossiers d’insalubrité. Au même moment, en novembre 2019, Marsactu, le Ravi, la Marseillaise et Médiapart décrivent à quel point une partie du parc immobilier municipal a été mal entretenue : la ville possède dans les plus anciens quartiers de la ville 51 bâtiments dans un état particulièrement vétuste. La municipalité explique que ces immeubles avaient été acquis par la ville à bas prix et pour en faire des logements sociaux. Toutefois, selon la chambre régionale des comptes, la municipalité n’aurait pas eu une connaissance adéquate du mauvais état de ces bâtiments. Les bâtiments publics ne sont pas épargnés. En 2013, la préfecture de police est sous le coup d’un arrêté de péril imminent, les travaux sont prévus pour 2019.

En septembre 2018, une note confidentielle de l’ Agence régionale de santé dévoilée par Le Monde le 9 novembre, étrillait les services de la mairie : les dix agents du service communal d’hygiène et de santé (SCHS) de la ville ne possèdent pas de qualification particulière les rendant aptes à apprécier les aspects techniques et juridiques nécessaires à la mise en œuvre des procédures complexes en matière d’insalubrité : ils soutiennent souvent que les dégradations constatées sont dues essentiellement aux modes d’occupation, ont tendance à sous-évaluer la gravité des dysfonctionnements qu’ils relèvent, et lorsque des travaux sont exigés il suffit que le bailleur écrive que le locataire refuse les travaux et le dossier est classésans vérification préalable. Les arrêtés préfectoraux d’insalubrité sont très rares, aucun arrêté préfectoral d’insalubrité n’a été pris en 2016, six dossiers auraient été transmis au CoDERST en 2017, et neuf jusqu’en novembre 2018, alors le nombre de logements potentiellement indignes est évalué à 40 000. D’après Marsactu, les travaux demandés dans ces arrêtés d’insalubrité pris en 2017 n’avaient pas encore été entrepris début 2019. Un ancien cadre de la Soleam témoigne pour Marsactu du manque réel de formation du personnel communal [des services de lutte contre l’insalubrité], des moyens techniques et humains très insuffisants, malgré quelques bonnes volontés particulièreset d’un service communal chargé de la sécurité du bâti totalement dysfonctionnel [avec] un vrai problème de compétences, de formation et de volonté [qui] pose un problème d’ordre politique ; d’après lui, le quartier de Noailles était la dernière priorité des interventions de la ville en matière d’urbanisme. L’étude Quelle cohésion sociale métropolitaine aujourd’hui et demain ?, commandée par l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) et remise en 2017 aux collectivités décrivait le marché de l’habitat indigne dans le quartier de Noailles, et les raisons pour lesquelles de nombreux immeubles dégradés sont abandonnés.

Or, les arrêtés de péril, et plus généralement les politiques urbaines, relèvent de la compétence de la mairie, qui doit ordonner au propriétaire de faire des travaux d’urgence ou procéder à l’exécution d’office des travaux prescrits. Le magazine Capital relève que quelques semaines avant l’accident, le tribunal administratif de Marseille avait rappelé à la municipalité ses obligations de procéder à l’exécution d’office de travaux dans le cas d’un arrêté de péril imminent datant de 2011. La ville avait débloqué en 2014 pour une durée de 4 ans 2 millions d’euros pour des opérations liées à la rénovation de l’habitat insalubre (avec pour objectif d’aider à l’application de procédures coercitives en accompagnant les services de la ville de Marseille dans le suivi des dossiers), mais n’en a consommé qu’une toute petite partie ; cette information contredit les affirmations de la municipalité selon lesquelles [ces travaux d’office] sont des dossiers très compliqués à monter juridiquement. [Mais] avant le drame de la rue d’Aubagne, on n’avait pas de juriste dédié à ça. D’autres immeubles que ceux de la rue d’Aubagne sont évacués avant le  : rue Saint-Pierre le , rue Rodolphe-Pollak le1°, rue Tapis-vert du 13 juin ; leurs habitants étaient encore logés à l’hôtel début mars 2019.

Les bâtiments effondrés avaient été construits au XVIII° siècle sans fondations, avec des murs directement déposés sur le sol. Cette affirmation concernant l’absence de fondation est contredite par Olivier Barancy dans le prologue à son essai, Plaidoyer contre l’urbanisme hors-sol et pour une architecture raisonnée. II écrit notamment ceci : Ces murs en moellons calcaires sont évidemment fondés, contrairement à ce qu’on a pu lire, sinon ils ne seraient pas stables ; les caves (quand elles existent) en sont la preuve tangible.

L’état des deux immeubles aux n° 63 et 65 rue d’Aubagne était bien connu de la mairie et de la justice. Un expert désigné par la justice décrivait en 2015 l’état de délabrement des immeubles aux n° 63, 65 et 67, de la rue d’Aubagne, la présence de fissures, dont certaines très ouvertes, et le fait que les immeubles s’appuient les uns sur les autres. Benoît Gilles avait publié en 2016 dans Marsactu une série d’articles sur l’habitat de ce quartier écrivant déjà à l’époque : Au 63 rue d’Aubagne et au 13 rue de l’Arc, des oriflammes sales jadis bleus flottent au vent. La société d’économie mixte de la ville, Marseille Habitat, y annonçait fièrement que ces immeubles allaient faire l’objet de rénovation dans le cadre d’un plan d’éradication d’habitat indigne [entre 2002 et 2016]. Dans le premier, des travaux de consolidation ont été entrepris mais semblent arrêtés. (…) Une forte odeur de moisi ne rassure pas le visiteur sur l’état du bâti. Un rapport 2018 de la Soleam (société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire marseillaise) évaluait à 48 % des immeubles l’habitat indécent ou dégradé dans le quartier de Noailles, 20,5 % d’entre eux (dont les 63 et 67 rue d’Aubagne), présentaient des présomptions de péril ou d’insalubrité ; le 65 était épinglé pour l’indécence du logement.

L’expert Reynald Filipputti alerte la mairie le TGI et le syndic le 19 décembre 2014, puis le 20 octobre 2017, sans jamais recevoir de réponse ; il analyse dans un rapport rendu le 28 septembre 2018 que les désordres pourraient avoir été causés au cours des dix dernières années par la présence permanente d’eau dans les caves de cet îlot d’immeubles. Cette hypothèse sera confirmée le 29 novembre par les experts mandatés par l’État, sans qu’ils puisent identifier l’origine de l’eau stagnante. La municipalité est à nouveau alertée par une note intitulée Constat de faiblesse structurelle représentant un risque pour les biens et les personnes à court terme au 65 et 67 rue d’Aubagne en 2017, et encore une fois quelques semaines avant le drame, selon les informations révélées le 13 décembre 2018 par les journalistes d’Envoyé spécial. Le rapport de l’expert judiciaire Bernard Bart remis aux juges d’instruction en janvier 2019 évoque à propos des trois immeubles 63/65/67 une situation d’extrême gravité connue depuis des années.

Selon le réquisitoire définitif du procureur en 2024, Julien Ruas, l’ancien adjoint de Jean-Claude Gaudin et délégué depuis 2014 à la prévention et à la gestion des risques a délibérément délaissé sa mission d’organisation et de gestion des services de la ville en charge des périls, alors même que cela entrait pleinement dans sa mission. Il met en avant pour justifier les dysfonctionnements graves le manque de moyens dont il a pu être l’artisan.

Un arrêté de péril imminent existait pour l’immeuble au n°63 depuis 2008, mais les premiers arrêtés de péril remontent à 2005. Marseille Habitat avait réalisé à la place des copropriétaires des travaux d’office de traitement d’urgence en 2008. L’expert désigné en 2009 par le tribunal de grande instance (TGI) n’a rendu son rapport qu’en 2013, apparemment faute de coopération du syndic. En 2012, Arlette Fructus, adjointe au maire et déléguée au logement avait alerté le président du TGI. Marseille Habitat possédait 80% de la copropriété au n°63 dès 2013. L’immeuble est acquis par la ville en 2017 par voie d’expropriation, la copropriété ayant été jugée en état de carence, puis abandonné par la ville. À l’état de ruine, le n°63 était dans la liste des 500 immeubles visés par le plan d’éradication de l’habitat indigne (EHI), mais seule la sécurisation de la façade a été réalisée. Selon le syndic de l’immeuble voisin, Il manquait une partie de la toiture à l’arrière, et cet immeuble n’avait plus d’ossature. Le sol était en terre battue et l’eau ruisselait vers le n°65.Le rapport de Bernard Bart confirme l’absence de toiture à l’arrière du n°63 (et la responsabilité de Marseille Habitat), contredisant Arlette Fructus qui affirmait que le bâtiment était couvert pendant la conférence de presse municipale du 8 novembre. D’après Libération, une demande de travaux avait été refusée en 2017 par l’architecte des bâtiments de France pour des raisons esthétiques, mais La Marseillaise dément, en expliquant que les protections d’immeubles ne sont pas un obstacle aux réhabilitations structurelles et que l’ AVAP n’a jamais protégé la façade du n°63. Des images prises pendant une visite d’expertise le 25 octobre 2018 témoignent de l’état de délabrement de l’immeuble. Le procureur estime dans son réquisitoire final que Marseille Habitat a fait preuve d’attentisme, en ignorant les très nombreuses alertes et en repoussant constamment des travaux : il y a eu indiscutablement un refus délibéré d’engager des travaux coûteux pour préserver des vies potentiellement exposées, en privilégiant la préservation des deniers.

L’immeuble au n°65, un trois fenêtres marseillais, avait fait l’objet de plusieurs arrêtés de péril, le dernier trois semaines avant l’accident. Il avait été évacué temporairement le 18 octobre. L’expert Richard Carta, missionné par le tribunal administratif, n’examine alors ni le sous-sol ni les appartements, et pose un diagnostic erronéen recommandant des travaux d’urgence sur une cloison qui vont aggraver la situation. Selon le réquisitoire définitif du procureur en 2024, M. Carta s’était accoutumé à visiter des immeubles vétustes et des 65, il en voyait régulièrement, pensant comme tout un chacun non expert qu’un immeuble, ça ne s’effondre pas. La mairie expliquera après l’effondrement que l’immeuble avait fait l’objet ce jour-là d’une expertise des services compétents qui avait donné lieu à la réalisation de travaux de confortement permettant la réintégration des occupants. La cage d’escalier du n°65 s’affaisse en partie quinze jours avant l’accident. Dix jours avant l’effondrement (le ), plusieurs experts, dont Reynald Filipputti, visitent à nouveau la cave du n°65, sans relever l’état de délabrement du poteau qui supporte le rez-de-chaussée, et dont la rupture causera l’effondrement. D’après une habitante du n°65, des vitres avaient explosé le vendredi , et sa porte d’entrée avait bougé et ne fermait plus ; averti, le cabinet Liautard n’aurait pas réagi. Un autre miraculé du même immeuble était en route vers le syndic, alerté par les fissures de l’immeubles qu’il venait de filmer, au moment où celui-ci s’est effondré. Valérie Marcos, gérante de Liautard, le syndic de l’immeuble, déclare au Monde que le bâtiment était en bon état et entretenu. Ce n’était pas un immeuble insalubre, et que c’est l’immeuble au n°63 qui est à l’origine de la catastrophe ; les rapports des experts mandatés par la justice lui donneront tort. Selon le réquisitoire définitif du procureur en 2024, l’immeuble au n°65 aurait dû être évacué définitivement en 2017, et son effondrement était inéluctable à compter de mi-octobre 2018, mais le syndic s’est contenté d’effectuer des réparations d’urgences cosmétiques, mais n’a pas cherché à mobiliser des fonds pour engager de gros travaux.

Une subvention de plus de 180 000 € pour la rénovation complète du n°67 avait été accordée par la métropole en 2013 au cabinet Berthoz, dans le cadre des aides de l’Agence nationale de l’habitat pour l’habitat ancien, puis retirée parce que les travaux n’ont pas commencé dans le délai d’un an. Depuis 2014, l’agent immobilier Jacques Berthoz, propriétaire du n°67, s’adressait à la justice, accusant l’état de l’immeuble en copropriété du n°65 d’être à l’origine de la dangereuse fragilisation de son propre immeuble. L’expert Reynald Filipputti, inquiet de la statique du bâtiment, avait alors prévenu le service municipal de prévention et de gestion des risques. Il dut renouveler son alerte en octobre 2017. Une expertise recommanda des travaux immédiats d’étayage qui ne seront jamais réalisés.

La désagrégation d’un jambage en pierre de la porte d’entrée du n°67 est signalée par une passante le  ; elle fait des photos d’une énorme fissure et des débris de pierre tombés au sol, qui sont transmises à l’élu Julien Ruas.

Au moment de l’accident, 9 appartements sur 10 de l’immeuble en copropriété au n°65 étaient habités. L’immeuble du n°63 était muré, et squatté d’après un voisin, mais aucune victime n’a été retrouvée sous ses décombres.

Le bilan définitivement arrêté le 10 novembre est de huit morts retrouvés ensevelis dans les décombres du n° 65, rue d’Aubagne :

  • Au deuxième étage : Julien Lalonde-Flores , un jeune homme franco-péruvien qui venait de fêter ses 30 ans; Taher Hedfi, 58 ans, d’origine tunisienne, et Chérif Zemar, un Algérien de 36 ans, marié et père d’un enfant ; ils étaient invités chez Rachid, absent au moment du drame ;
  • Au troisième étage : Fabien Lavieille, un artiste-peintre de cinquante deux ans ; Simona Carpignano, une étudiante italienne de 30 ans originaire de Tarente, dans les Pouilles ; Pape Magatte Niassé, un italien d’origine sénégalaise de 26 ans, il était chez Simona le jour de l’accident ;
  • Ouloume Saïd Hassani, 55 ans, originaire des Comores et mère de six enfants ;
  • Marie-Emmanuelle Blanc, une artiste verrière grenobloise âgée de 55 ans, qui vivait au cinquième étage.

Fin janvier 2019, les frais d’obsèques et de rapatriement de plusieurs victimes n’avaient pas encore été remboursés, contrairement à ce que prévoyaient les délibérations de la municipalité en janvier 2018, selon laquelle les ultimes remboursements devaient avoir lieu incessamment.

Une centaine de personnes sont évacuées le jour de l’accident, elles sont plus d’un millier 10 jours plus tard, après l’application soudaine d’un principe de précaution qui fait se multiplier les évacuations, dans une atmosphère de psychose. La Marseillaise publie une carte des logements évacués et Marsactu une chronologie des mises en péril. Élisabeth Dorier, une géographe du  Laboratoire Population-Environnement-Développement, s’est associée aux militants pour cartographier le parcours des délogés.

La prise en charge par la mairie est laborieuse, sa communication envers les sinistrés est critiquée, et la détresse de ceux-ci est très grande. Flavie Derynck, responsable de la cellule d’urgence médicopsychologique mise en place pour les délogées, décrit dans Libération les effets d’une vie dans une chambre d’hôtel et conclut: Il y a toujours un problème de compréhension de la part des autorités. Elles n’ont pas encore percuté que 2 000 personnes à la rue, sans compter ceux qui ne se sont pas encore manifestés, c’est un problème de santé publique. […]

À la veille de Noël 2018, près de 1 600 Marseillais n’ont toujours pas de domicile200 immeubles sont évacués dont 100 frappés de péril imminent. Certains relogés doivent faire face à des invasions de punaises de lit. Les personnes évacuées se disent abandonnées par la mairie, qui, dépassée par les évènements, transmet à deux syndics les données confidentielles concernant les signalements. La ville cesse de communiquer les chiffres des évacuations à partir de début février 2019, mais la conseillère régionale [LR] Isabelle Savon a mentionné en public le 15 mars le nombre de 3 000 personnes. En avril 2019, le service municipal chargé des périls est en crise et ne peut plus faire face aux nouveaux signalements. Au printemps, 700 personnes sont encore logées à l’hôtel, cela pose problème aux hôteliers réquisitionnés, dont les chambres sont réservées pendant la saison estivale, et aux familles musulmanes hébergées, qui ne peuvent pas suivre correctement les rites du Ramadan. Dix mois après le drame, la municipalité peine à mettre à jour les listes électorales dans le cas des délogés, dont certains sont menacés de radiation. Un an après le drame, des centaines de ménages sont encore relogés à l’hôtel. La situation de beaucoup de familles se dégrade encore au moment de la pandémie de covid-19, même si la solidarité se met en place pour aider les familles démunies confinées à l’hôtel ou dans des logements insalubres.

Sur les 144 immeubles évacués le 20 novembre, seulement 12 arrêtés de péril imminent ont été pris immédiatement, faute d’experts en nombre suffisant. Sans arrêtés de péril, les délogés ne peuvent pas faire valoir leurs droits et doivent continuer à payer leurs loyers. La plupart des évacuations est probablement illégale et une habitante évacuée saisit la justice mais elle est déboutée. D’autres habitants cherchent à résister aux évacuations. Sans arrêtés de périls, la ville ne peut pas non plus réclamer aux propriétaires les sommes engagées pour le relogement temporaire, ce qui devrait lui coûter des centaines de milliers d’euros. Certains propriétaires qui ont perdu leurs loyers du fait des expulsions présentent la facture à la mairie. Le tribunal administratif rejette la faute de ces délais sur la mairie. Autre difficulté: certains propriétaires n’ont pas les moyens de faire les travaux qui conditionnent la réintégration, ou sont empêchés de les faire par un arrêté de péril. Le promoteur immobilier Alliance 52 propose le rachat de certains immeubles évacués, et certains marchands de biens font des offres de 30 % inférieures au marché, participant à ce qu’un observateur décrit comme une stratégie [de la municipalité] pour réoccuper le centre-ville, en dégager les indésirables, gentrifier.

Suite la demande de la procureure de la République et de rapports d’expertise alarmants, la ville ordonne la démolition de deux immeubles supplémentaires de la rue d’Aubagne en avril 2020, en urgence et en raison du risque aggravé d’effondrement du fait des mouvements constants des structures. Les propriétaires, prévenus par voie de presse contestent sans succès la décision en justice. Mais le risque d’un effet cascade bloque le projet de démolition pourtant arrêté en extrême urgence. La nouvelle municipalité de Michèle Rubirola évite l’application de l’arrêté.

Trois ans après le drame, 1 500 personnes évacuées sont toujours relogées dans des habitations provisoires, selon l’adjoint au maire chargé de la lutte contre l’habitat indigne, Patrick Amico. Il estime que 800 immeubles sont toujours en péril dont 200 en péril grave et imminent et le nombre continue d’augmenter d’une trentaine de nouveaux arrêtés par mois. Un quart des immeubles on fait l’objet de travaux, 600 restent interdits d’accès.

Juste après l’accident, 105 personnes sont évacuées et relogées dans 60 chambres d’hôtels du centre-ville. Tout en secourant les victimes, les pompiers décident, pour leur propre sécurité, de démolir un troisième immeuble, situé au 67, et qui menaçait de s’effondrer. Les immeubles aux numéros 61 et 69 de rue d’Aubagne inquiètent aussi les autorités. Les travaux doivent s’interrompre le 7 au soir, le temps de détruire les premiers étages du 69. Les secours constatent alors que le 69 est solide et pourrait même servir d’appui aux immeubles situés plus haut dans la rue. Ils ne touchent pas au 71 qui devait lui aussi être déconstruit. Les évacués du 69 sont relogés rue de Ruffi sans avoir pu récupérer aucune affaire personnelle. Les trois lots (65, 67, 69) seront rachetés par la ville. Le 1 rue Lafon, qui illustre toutes les problématiques du bâti du centre-ville, est évacué le 8 novembre. Par ailleurs, 21 arrêtés de péril ont été pris en urgence entre le lundi 5 et le vendredi 9, portant le total à 200 bâtiments marseillais. Le vendredi 9, une centaine d’autres logements adjacents sont évacués : il s’agit des immeubles aux 1, 3, 5, 7 et 2, 4, 6, 8 de la rue Jean Roque, et du numéro 61 au 97 de la rue d’Aubagne ; à cette date, 359 personnes (de 176 familles) sont relogées. Le samedi 10 novembre, l’évacuation du 24 cours Lieutaud et du 18 rue Jean Roque porte à 404 personnes de 187 familles le nombre de personnes relogées. Les personnes évacuées sont au nombre de 452 selon les chiffres du 12 novembre, plus de 700 le 14 novembre (après des évacuations 91 boulevard de Strasbourg, 34, 36, 38, 40 rue Jean-Roque, 389 rue de Lyon, 7 boulevard de Briançon, 24 et 29 cours Lieutaud, 4 rue Pythéas – l’immeuble est toujours en péril 3 ans plus tard, 3 rue Hoche, 24 rue Pierre Dupré), 834 (de 83 immeubles, dont 46 près du site de l’accident) le 15 novembre, 1010 (dont 446 dans le périmètre de la rue d’Aubagne) le samedi 16, 1105 le 19 (après des évacuations sur le cours de la Libération), 1134 le 20, 1282 le 23, 1339 le 24, 1352 le 25, 1437 le 27. Début janvier, soit deux mois après le drame, plus de 1 800 personnes ont été évacuées, dont 431 auraient retrouvé un logement; 113 arrêtés de péril grave et imminent ont été signés. Le 21 janvier, le maire annonce le chiffre de 1 973 personnes évacuées.

Début février 2019, l’inquiétude gagne le Domaine Vendre, au sein de Noailles, dont certains immeubles sont évacués. Fin janvier 2019, la mairie ordonne la démolition d’au moins deux immeubles rue de La Palud à Noailles, et de trois autres, acquis par la mairie par expropriation entre 2010 et 2013, dans le quartier voisin de Belsunce.

Un arrêté de péril décrit comme fantaisiste est utilisé pour déloger des familles roms accueillies sur un terrain marseillais depuis cinq ans.

À l’écart du centre-ville, les résidents de la cité de Maison-Blanche (14°) dénoncent la détérioration de leurs habitations dans l’indifférence de leurs propriétaires. L’évacuation de deux cents personnes dans une centaine de logements de la cité du parc Corot, précédemment décrite dans Le Monde comme une honte pour la ville, une indignité pour la République, est annoncée ; elle a lieu le 30 novembre pour les 30 locataires et propriétaires occupants et le 17 décembre pour les squatteurs ; la municipalité parle de procédure d’évacuation concertée, accompagn[ant] le déménagement volontaire et propos[ant] des solutions de relogement, alors que selon la députée LREM Alexandra Louis, cette évacuation est menée n’importe comment, la mairie s’en fiche complètement. Une habitante confirme: On nous a jetés comme du bétail. Le tribunal de Marseille prononce l’état de carence des bâtiments A et C du Parc Corot en novembre 2021, ce qui permet l’expropriation de l’ensemble des propriétaires des deux bâtiments.

Pour des raisons de sécurité, certains bâtiments publics sont aussi fermés : c’est le cas des étages de la cité des associations sur la Canebière le 15 novembre, et du Comité d’action sociale du personnel de la ville de Marseille le 10 décembre. À 150 mètres des bâtiments effondrés, l’école du Cours Julien inquiète aussi. En attendant les expertises, la directrice interdit aux enfants de jouer dans la cour, située sur le toit-terrasse d’un bâtiment municipal insalubre. Les parents d’élèves sont mobilisés et l’école ferme à partir du lundi 19, mais les experts ne découvrent aucun défaut structurel. La vétusté des écoles du 3° Arr et de l’école Olivier-Gillibert est aussi dénoncée. Une partie du collège Monticelli est évacuée juste avant Noël. De sa propre initiative, Laurent Sabatier, le proviseur du lycée Colbert (situé à plus de 2 km de la rue d’Aubagne), fait détruire à la masse une fresque en céramiques de Philippe Sourdive de 1954, classée architecture contemporaine remarquable, qu’il décrit comme un truc qui tombait et qu’on ne pouvait pas garder.

Groupama décide de retirer l’assurance effondrement d’un immeuble situé rue d’Aubagne et de résilier l’assurance d’un immeuble rue Jean Roque, et Allainz de rompre le contrat d’un immeuble évacué, mais les deux compagnies d’assurance font partiellement marche arrière. Autres situations ubuesques : un propriétaire est poursuivi pour avoir commencé des travaux, à la suite d’une mise en péril, dans une partie commune de son immeuble sur laquelle la mairie devait intervenir depuis deux ans ; une locataire relogée à l’hôtel est expulsée par la mairie après qu’elle résilie son bail rue d’Aubagne.

Pendant l’été 2019, plusieurs immeubles convoités par Euroméditerranée rue de la Butte, et considérés comme étant en péril sont évacués, puis promis à la démolition contre l’avis d’un des propriétaires dont l’action devant le juge des référés échoue. La station de métro adjacente Jules Guesde fermée de juin 2019 à septembre 2020, et deux immeubles du quartier de La Plaine, dont un commerce, sont évacués.

Une dizaine d’immeubles de la rue Curiol sont évacués, sans respect de la charte du relogement nouvellement adoptée, et dans la plus grande confusion: une expulsion a lieu sans décision de justice, sans relogement des personnes délogées, et l’immeuble est saccagé par le bailleur Marseille Habitat pour décourager les retours. En réaction, les membres du collectif 5 novembre occupent les locaux de Marseille Habitat. Kevin Vacher, un membre très actif du collectif, est placé en garde à vue après que Marseille Habitat l’accuse d’avoir blessé une de ses employées au doigt pendant l’action. Il est poursuivi pour violences volontaires aggravées en réunion avec préméditation, et placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’approcher du siège de Marseille Habitat jusqu’à sa comparution devant le tribunal correctionnel prévue le 30 janvier 2020. Il conteste les faits qui lui sont reprochés et dénonce le caractère politique d’un traitement qu’il considère destiné à ouvrir un contre-feu alors que nous dénonçons le caractère illégal des agissements de Marseille Habitat. Le collectif s’indigne que leur porte parole soit inquiété alors qu’aucun marchand de sommeil marseillais ne l’a été. Reportée deux fois, l’audience a lieu le 21 juillet 2020. Au cours de l’audience, les faits sont requalifiés en violence (un simple délit contraventionnel), et le militant est condamné à 1 500 € d’amende. Le , il est relaxé par la Cour d’Appel d’Aix en Provence qui conclut qu’aucun coup n’a été porté et que l’employée était intervenue brusquement pour fermer la porte au nez des manifestants.

Le collectif du 5 novembre est créé deux jours après le drame et s’organise en commissions pour parer à l’urgence (actions solidaires), aider juridiquement les sinistrés et clarifier les revendications. Il s’associe à Emmaüs pour recueillir des dons. Les commerçants de la rue d’Aubagne tentent de poursuivre leur activité en étant hébergés chez des confrères. Le gérant de l’alimentation générale annonce une perte de 30 000 € au bout d’un mois de fermeture. L’association des sinistrés de la rue d’Aubagne fédère les riverains. Le nouvel espace d’accueil des personnes évacuées (EAPE) ouvre ses portes au 2 rue Beauvau (1° arrondissement). Un numéro spécial d’information du public – 04 91 14 55 61 – est joignable 24h/24. Des repas sont offerts par Sodexo, le prestataire de restauration du service public des cantines scolaires de Marseille. Des avocats marseillais mettent en place une aide bénévole et gratuite aux personnes évacuées. Des concerts de soutien aux victimes et aux sinistrés sont organisés au café-concert Le Molotov et à l’Espace Julien, à proximité du lieu du drame, et au Dock des Suds.

L’information circule que soixante-dix personnes habitant 18 immeubles de la rue d’Aubagne et de la rue Jean Roque réintègrent leurs logements le 4 décembre, mais il apparaît qu’au moins certains de ces immeubles n’ont jamais été évacués. Le 6 décembre, le calendrier de réintégration est encore inconnu. Quatre immeubles de la rue d’Aubagne et du cours Lieutaud sont réinvestis par leurs habitants le 7 décembre. La ville demande aux syndics d’expertiser les parties communes et privatives de certains immeubles rues d’Aubagne et Jean-Roque, après que ses experts ont réalisé le diagnostic complet des parties extérieures. Deux mois après le drame, seulement une trentaine de familles sont définitivement relogées et plus de 1 000 personnes sont encore à l’hôtel. Le 21 janvier, d’après la municipalité, 500 des 2 000 personnes évacuées ont retrouvé un logement. Certains locataires refusent de réintégrer des logements dont les travaux ne sont pas terminés. Six mois après le drame, 76 % des délogés ont réintégré leur logement ou ont été relogés, mais plus de 600 sont encore à l’hôtel, sans compter les personnes relogées chez des proches et les étrangers en situation irrégulière. Rue des feuillants et rue Saint-Basile, des habitants sont sommés de réintégrer des immeubles toujours insalubres ; un des locataires porte plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui. Rue Puits Baussenque en mars 2020, les habitants doivent aussi réintégrer un immeuble alors que l’accès à la rue est barricadé et le chantier pas terminé.

En mars 2019, Fabrice Mazaud et Henri de Lépinay, les deux experts près la cour d’appel de Paris qui interviennent dans l’information judiciaire avertissent le juge du risque élevé de nouveaux effondrements rue d’Aubagne. Le signalement est transmis à la ville par le parquet de Marseille le 18 mars, le maire y répond le 29 mai en se voulant rassurant.

La rue d’Aubagne est rouverte à la circulation piétonne 2 ans après la catastrophe.

Deux mois après le drame, de nombreux collectifs sont mobilisés pour mettre la ville devant ses responsabilités en ce qui concerne la gestion de l’habitat et tenter d’aider les personnes délogées. Les cérémonies de vœux des élus sont perturbées. À l’issue de l’Assemblée des délogé·e·s réunie par le Collectif du 5 novembre le 12 janvier, une liste de 10 revendications est publiée, parmi lesquelles figurent : un audit des services de l’État et des collectivités pour faire la lumière sur les conditions du drame du 5 novembre ; l’adoption d’une charte du relogement pour tous les évacués encadrant le travail de la MOUS ; la réquisition des logements vides ; la plafonnement des loyers et l’instauration de permis de louer et de vendre. Le collectif propose à la ville de signer sa charte du relogement digne le 4 avril 2019, qui énonce les droits de réintégrer un logement décent, de choisir son quartier et de bénéficier d’un habitat adapté à la taille de la famille ; une version négociée de ce document sera votée par le conseil municipal en juin, mais les négociations, qui se déroulent en préfecture et sans les représentants de la Métropole, sont laborieuses. Peu avant le conseil municipal du 17 juin, la préfecture revient sur la quasi-totalité des points clés de la charte, et le collectif interpelle le ministre du logement. Le texte initial est finalement rétabli et adopté le 17 juin avec une large majorité (tous les groupes sauf RN). La charte n’est pas appliquée à l’occasion des évacuations qui ont lieu pendant l’été 2019. Arlette Fructus démissionne de sa délégation d’adjointe au Logement à la mairie de Marseille en janvier 2020, en déplorant que les moyens attendus pour la mise en œuvre de la charte ne sont pas mobilisés par la ville ; elle était la seule interlocutrice des associations à la mairie. Une nouvelle version de la charte est signée avec la nouvelle municipalité en novembre 2021.

Jean-Claude Gaudin, maire Les Républicains de Marseille, twitte qu’il est effondré par ce qui vient de se passer, et propose d’abord que ce dramatique accident pourrait être dû aux fortes pluies qui se sont abattues sur Marseille ces derniers jours, ce que réfute Florent Houdmon, directeur de la Fondation Abbé Pierre dans la région Paca : un immeuble bien entretenu ne s’effondre pas quand il pleut. Gaudin reconnaît le 7 novembre que l’effort municipal n’est pas suffisant, annonce un audit pour procéder à une vérification totale de tout ce qui peut paraître aujourd’hui comme de l’habitat insalubre, et met en cause les propriétaires du n° 65, il s’agit d’une copropriété privée. L’éradication doit aussi atteindre les marchands de sommeil, il n’y a pas que la ville qui peut les atteindre. (…) C’est à ces gens-là aussi qu’il faudrait s’adresser, avec un peu plus de violence qu’aujourd’hui. Jean-Claude Gaudin s’exprime dans une conférence de presse le 8 novembre. Il y rend hommage aux personnes décédées, félicite les secours, affirme que sa collectivité a fait depuis plus de vingt ans (…) tout ce qui était en [son] possible [pour régler le] problème de l’habitat indigne. Interrogé par un journaliste au sujet de la différence entre les budgets alloués à la patinoire (56 millions) et à l’habitat indigne (15 millions par an, seulement 3 millions par an d’après Marsactu), Jean-Claude Gaudin dit ne rien regretter. Il écarte l’idée de démissionner, mais les Marseillais défilant le 10 novembre le lui demandent, et plusieurs observateurs ( Jean-Michel Apathie, Thomas Legrand) doutent que ce soit évitable. La note de l’ARS révélée par Le Monde  le 9 novembre révèle les graves manquements des services de la mairie ; J.-C. Gaudin admettra le surlendemain que ses services n’en ont pas assez fait tout en refusant de devenir un bouc émissaire : nous n’avons pas de faute particulière à nous reprocher (…) la mairie a fait largement ce qu’elle devait faire. L’insalubrité existe encore, il faut faire des efforts sérieux et nous allons nous efforcer d’en faire plus [mais] la mise en accusation globale de la mairie est épouvantable. Michel Peraldi estime que J.-C. Gaudin a tardé à prendre la mesure du drame et de la mobilisation organisée après l’évènement. Le 28 novembre, devant les employés municipaux du SAMU social mobilisés depuis la tragédie, il se dit hanté par la mort de ces Marseillais juste avant de proposer une séance de selfies. Deux mois après le drame, il persiste à défendre son bilan et revient sur le rôle de la pluie dans l’effondrement des immeubles en affirmant que dans ces immeubles très anciens, l’automne que nous avons eu, où il avait plu abondamment, a peut-être aussi contribué. C’est pas la raison majeure bien entendu, [la raison majeure] c’est que ces immeubles étaient dans un tel état.

Dominique Tian, 1° adjoint au maire, n’a fait aucune déclaration dans les semaines suivant l’accident, et n’a participé à aucune réunion publique avec les journalistes ou les sinistrés. Il se justifie à La Provence en expliquant que cela ne concerne pas [sa] délégation.

Martine Vassal, présidente de la métropole d’Aix-Marseille-Provence, qui partage la compétence de la lutte contre l’habitat indigne avec la ville, n’assiste pas à la conférence de presse de la municipalité ; elle se manifeste par un post unique sur les réseaux sociaux. Les journalistes de Marsactu se demandent s’il s’agit de déni assumé [ou d’]indifférence, ou si elle est laissée en réserve. Elle réagit pour la première fois le 13 novembre. En mai 2019, elle est piégée au cours d’une de ses allocutions publiques sur le thème du tourisme : une membre du Collectif du 5 novembre, se faisant passer pour une journaliste américaine, l’interroge sur le sort des délogés : l’habitat indigne ne figure pas parmi les six points prioritaires de sa campagne municipale.

Marc Poggiale, du Parti Communiste Français, charge la métropole : Des dizaines de milliers de personnes n’habiteraient pas en situation d’insalubrité et de danger potentiel, si l’offre de logements locatifs sociaux était suffisante et convenablement répartie sur tous les arrondissements de Marseille.

Jean-Luc Mélenchon, député la France insoumise charge le gouvernement plutôt que le Maire.

Alexandra Louis, députée La République en marche explique que dans la lutte contre l’habitat indigne à Marseille, le maillon faible, c’est la mairie. Aucun dispositif ne fonctionne. Avec trois autres députés marseillais de La République en Marche (Cathy Racon, Claire Pitollat et Saïd Ahamada), elle met en cause le maire dans une lettre ouverte : Nous pouvons tous d’ores et déjà constater l’échec patent de la lutte contre l’habitat indigne et le traitement des immeubles en péril à Marseille. Ils envisagent une mise sous tutelle de la ville en matière d’habitat, comme cela s’était produit six mois après l’incendie des Nouvelle Galeries marseillaises, non loin de Noailles, en 1938.

Patrick Menucci, conseiller municipal socialiste juge indécente l’attitude des élus de la majorité municipale, Yves Moraine (maire de secteur) et Laure-Agnès Caradec (adjointe à l’urbanisme), qui participaient le lendemain soir de l’accident à une soirée festive sur le thème du chocolat. Yves Moraine s’en est excusé. Laure-Agnès Caradec fuit la presse ; elle s’absente pour un congrès à Lille, avec le président de la Soleam Gérard Chenoz, deux jours après la catastrophe. Samia Ghali s’oppose aux collectifs d’habitants pendant la campagne des municipales  : Certains aiment que la misère perdure parce qu’elle leur permet d’exister. Moi, je veux voir la misère disparaître. Vous croyez vraiment que des collectifs vont diriger la ville ?

  • Christian Nicol, l’auteur du rapport 2015 sur la requalification du parc immobilier privé à Marseille, explique à Marsactu après l’accident que Le problème principal tient à la question du relogement. Dans un immeuble en situation de péril imminent, les habitants doivent être relogés immédiatement et souvent de manière durable. [Pour cela] il faut pouvoir mobiliser des logements du parc HLM. [Mais] les HLM [sont] la chasse gardée des élus qui [font] du clientélisme avec les attributions. Du coup, ils préfèrent bricoler avec le logement social de fait que constitue cet habitat indigne. Jean-Claude Gaudin réplique : Le travail de Monsieur Nicol était très partisan, il est venu une journée et s’est basé uniquement sur les documents que nous lui avons fournis (…) Nous [ne l’avons] pas attendu pour agir
  • Le journal La Marseillaise, Emmaüs, Droit au Logement et le Donut Infolab lancent une enquête sur les conditions de mal-logement à Marseille, et invitent à témoigner sur les réseaux sociaux avec le hashtag #BalanceTonTaudis, avec un premier bilan fait en réunion publique le 21 novembre. Le Donut Infolab demande à la municipalité de rendre publiques les données sur les arrêtés de péril.
  • Patrick Lacoste, urbaniste à Marseille et membre de l’association Un centre-ville pour tous dénonce le cynisme de la mairie à l’antenne de France Inter ; il insiste sur la nécessité de lutter contre les marchands de sommeil, d’encadrer les loyers, de délivrer des permis de louer (la Maire des 1° et 7° Arr. de Marseille Sabine Bernasconi a dit en conférence de presse qu’elle ne savait pas ce que c’est), et du rachat par la municipalité de 200 immeubles extrêmement dangereux en centre-ville pour y faire du logement social. Selon Noureddine Abouakil, cofondateur de l’association Un centre-ville pour tous, la ville a laissé se délabrer son patrimoine à cause de sa tentative de gentrification des quartiers Belsunce, Noailles et Panier. Jean-Claude Gaudin  déclarait en 2001 Le centre a été envahi par la population étrangère, les Marseillais sont partis. Moi je rénove, je lutte contre les marchands de sommeil, et je fais revenir les habitants qui paient des impôts, et son adjoint à l’urbanisme Claude Valette ajoutait Il faut nous débarrasser de la moitié des habitants de la ville. Le cœur de la ville mérite autre chose. Mais d’après Noureddine Abouakil, la stratégie de la municipalité a consisté à rendre des immeubles vacants pour écarter les immigrés, sans réussir à attirer des locataires plus riches : les logements libérés, rendus inutiles, ont été abandonnés. Trois des quarante arrêtés de péril imminent publiés par la mairie entre le 5 novembre et le 1° décembre concernent en effet des bâtiments municipaux vacants depuis des années. Le président d’Un Centre-ville pour tous, Jean-François Ceruti, critique le projet de plan local d’urbanisme intercommunal, qui selon lui traduit une volonté politique latente d’embourgeoiser le centre-ville.
  • L’analyse de l’association Un centre-ville pour tous est partagée par le professeur à Sciences Po Bordeaux Gilles Pinson, qui dénonce dans Le Monde l’incurie orchestrée de la ville de Marseille et sa politique urbaine caricaturalequi a consisté à laisser délibérément se dégrader le parc de logements anciens dans les quartiers centraux dans l’espoir que les populations pauvres et ethniques qui l’occupent laissent la place à une population plus conforme aux stratégies de peuplement des élus marseillais.
  • Selon Fathi Bouaroua, ex directeur régional Paca de la Fondation Abbé Pierre, qui cite les drames précédents à Maison-Blanche, ou rue des Trois-Rois qui ne furent pas suivi de mobilisation : C’est un cataclysme politique qui est en train de se jouer (…) pour une fois, sur des catastrophes liées au logement, il y a une véritable mobilisation des Marseillais. La nouveauté, selon lui, est qu’on retrouve sous les décombres la diversité marseillaise. C’est un quartier qui s’était mis à vivre et dans lequel des forces nouvelles étaient présentes et faisaient en sorte que la mixité sociale, il n’y avait pas besoin de la décréter, elle se fabriquait toute seule, et c’est de ça dont les collectivités ont raison d’avoir peur, c’est vraiment le signe qu’ils ont touché le cœur de Marseille et non pas la marge.
  • Un collectif de personnalités demande au ministre du logement et au préfet des Bouches-du-Rhône l’organisation d’une conférence citoyenne pour répondre à l’urgence du mal-logement et la mise en œuvre d’une opération d’intérêt national pour éradiquer le mal-logement à Marseille. Noureddine Abouakil, cofondateur de l’association Un centre-ville pour tous, explique qu’il est en effet nécessaire de donner la maîtrise de la politique d’urbanisme à l’État plutôt qu’à la ville : celle-ci se trouve en conflit d’intérêts, ayant comme seul objectif la gentrification du centre-ville. Un autre collectif de personnalités civiles et politiques demande à l’état de placer la ville sous tutelle préfectorale.
  • Fin janvier 2019, plusieurs personnalités (parmi lesquelles Keny Arkana, Sophie Calle, Barbara Cassin, Dominique Cabrera, André Donzel, Robert Guediguian, IAM, Valérie Manteau, Michel Peraldi, Philippe Pujel, Soprano) dénoncent dans une tribune publiée dans Le Monde la gestion lamentable de la crise, de même que Nicole Ferroni  dans sa chronique sur France-Inter.
  • En juillet 2020, le Collectif du 5 novembre défend dans une tribune publiée dans Libération cinq mesures d’urgence pour assurer le droit au logement digne et au relogement, face aux signalements de nombreux immeubles insalubres et demande aux conseiller·e·s nouvellement élu·e·s et Ministre, de répondre désormais de façon circonstanciée, précise et opérationnelle.

La nouvelle des effondrements retentit à l’étranger, dont la presse décrit une ville frappée de pauvreté chronique et gangrenée par le trafic de drogue et la corruption.

Les habitants du quartier rassemblés le mercredi 7 et le collectif du 5 novembre Noailles en colère organisent une marche blanche le samedi 10 novembre. Elle rassemble 8 000 personnes d’après la police ; un balcon s’effondre aux abords du défilé, blessant trois personnes. Jean-Claude Gaudin s’abstient de participer par peur que [sa] présence provoque des tensions. Le soir du mercredi 14 novembre, à l’initiative du même collectif du 5 novembre, une marche de la colère rassemble des milliers de manifestants (plus nombreux que pour la marche blanche d’après Marsactu, 8 000 d’après la police) qui crient Gaudin assassin, Gaudin démission et mairie, métropole, région : tous coupables en se dirigeant vers l’hôtel de ville protégé par des barrières, où ils sont reçus par des gaz lacrymogènes. Six personnes sont placées en garde à vue, trois d’entre elles sont jugées le vendredi 16 en comparution immédiate et écopent de 4 mois de prison (ferme pour deux d’entre elles, avec sursis pour la troisième). Le Club de la Presse Marseille Provence Alpes du Sud rapporte que pendant la manifestation, un journaliste de 20 Minutes et un photographe de presse, clairement identifiables, ont été matraqués par les policiers. Un manifestant blessé à l’œil par un éclat de grenade de désencerclement porte plainte.

Le collectif du 5 novembre s’organise et annonce la poursuite de la mobilisation avec une Marche de la dignité,  rebaptisée Marche pour le droit à un logement digne pour tou·te·s, le samedi 1° décembre 2018. Celle-ci témoigne d’une amplification de la mobilisation citoyenne. La foule (12 000 personnes d’après La Provence, 20 000 d’après les organisateurs, plus nombreuse que les deux premières fois d’après Marsactu) rejoint sur le vieux port les manifestants de la CGT et les gilets jaunes mobilisés pour l’acte III, avant d’être dispersée par des bombes lacrymogènes ; la manifestation dégénère. Les socialistes Benoît Payan et Samia Ghali dénoncent l’utilisation excessive et injustifiée de la force publique: gaz lacrymogènes, charge de CRS contre des poussettes et des sinistrés. Six manifestants ont été jugés en comparution immédiate à la suite des violences commises en marge des manifestations à Marseille ce jour-là. Une marseillaise, Zineb Redouane, décède à l’hôpital après avoir été atteinte dans son appartement par des éclats d’une grenade tirée lors des incidents (voir l’article Affaire Zineb Redouane pour plus de détails). Le mercredi 5 décembre, journée de deuil citoyen, environ deux cent marseillais font 9 minutes de silence à partir de 9h05, heure du drame un mois exactement auparavant ; personne ne vient représenter la mairie. Un rassemblement est organisé le lundi 10 décembre, jour prévu du premier conseil municipal depuis le drame. Des centaines de personnes (500 d’après Libération ) déposent dans un grand silence 8 cercueils en carton marqués du nom des victimes devant un hôtel de ville vide ce jour-là, barricadé et protégé par la police : le maire a ajourné le conseil, qui devait notamment entériner une série de mesures d’urgence comme la prise en charge des frais d’obsèques des victimes et la gratuité de l’accueil en crèche pour les personnes évacuées en raison de la tension que connaît le pays. Cette annulation reporte le débat demandé par l’opposition et les citoyens sur l’habitat indigne marseillais. Le conseil et le rassemblement devant la mairie sont reprogrammés le 20 décembre. Le 20 décembre, en marge du conseil municipal, environ 300 personnes se rassemblent devant la mairie. Le public est apparemment interdit d’entrée, ce qui conduit l’association Anticor à saisir le préfet sur la validité des délibérations. Un rassemblement en hommage aux victimes a lieu le 5 janvier.

Le 2 février 2019, une manifestation contre le mal logement, organisée par les collectifs de délogés, d’habitants du quartier Noailles et d’autres arrondissements, par des syndicats et des associations, rassemble plusieurs milliers de personnes d’après La Marseillaise. Le Monde évoque près de 5 000 personnes – et 10 000 selon les organisateurs. Des délogés prennent la parole pour décrire des situations personnelles très douloureuses. Les manifestants appellent à la réquisition d’une partie des 33 000 appartements vacants à Marseille et à la démission de Jean-Claude Gaudin. Marsactu compte 4 000 personnes environ, soit trois fois moins qu’en décembre et note que la contestation contre la politique municipale du logement devient plus globale : le combat dépasse désormais le centre-ville. Diverses associations et collectifs organisent un banquet des voisins dans la rue d’Aubagne le 13 avril 2019, et une commémoration le 5 mai, 6 mois exactement après le drame.

En 2019, le premier anniversaire du drame donne lieu à une série de manifestations à partir du soir du 4 novembre, dans un contexte de début de campagne électorale pour les municipales. Une commémoration et huit minutes de silence rue d’Aubagne marque le jour de l’anniversaire ; Samia Ghali  (PS) est huée pas les manifestants (et ne participera pas à la marche du 9 novembre), pendant qu’à la mairie, Jean-Claude Gaudin (LR) a préféré le huis clos pour remercier les agents municipaux de leur gestion de la crise. La marche de soutien aux victimes et pour un logement digne du samedi 9 novembre rassemble 20 000 personnes selon les organisateurs et 6 700 selon la police derrière une banderole Ni oubli, ni pardon. Dix personnes sont arrêtées, un policier blessé et quelques éléments de mobilier urbain dégradés. Une semaine d’hommage aux victimes est organisée par les collectifs d’habitants du quartier. Elle débute avec le baptême de place située à l’intersection des rues d’Aubagne, de l’Arc et Jean-Pierre-Moustier, dite place Homère, qui reçoit le nom de place du 5 novembre officiellement en 2021.

En 2020, des commémorations rassemblent plusieurs centaines de personnes. Michelle Rubirola annonce l’officialisation de la dénomination de la place du 5-novembre. Le conseil municipal du approuve. Mais la place n’étant pas répertoriée au cadastre l’officialisation du vote municipal dépend de l’action de la Métropole. A l’occasion d’un mouvement européen contre le mal-logement, plus d’un millier de personnes défilent à Marseille le samedi 27 mars 2021, derrière une banderole 2018- 2021 : Marseille métropole du mal logement en référence au drame de la rue d’Aubagne.

En 2021, des hommages sont organisés pour le  anniversaire de l’accident. Le4° anniversaire en 2022 rassemble plus de 200 personnes.

Le 5° anniversaire en 2023 fait l’objet d’une manifestation dont le thème est élargi à la lutte contre Airbnb et la spéculation immobilière. L’appel résume : 6000 personnes ont été délogées. 800 bâtiments ont été fermés par arrêtés de péril. Certains rouvrent, entièrement rénovés, mais seulement pour les touristes. Les promesses de relogement ont été rangées aux oubliettes. Beaucoup continuent de croupir dans l’insalubrité. Les loyers flambent. Les conditions imposées par les agences sont de plus en plus délirantes. Tout le monde trinque. Se loger est un enfer.

La manifestation du 6° anniversaire en 2024 précède de quelques jours le début du procès et rassemble 3 000 personnes selon le collectif du 5 novembre, 800 d’après la police.

L’État décide de procéder à une expertise d’une ampleur inédite des bâtiments à risque à Marseille, celle-ci durera plusieurs semaines. Le ministre du logement rencontre les experts du Centre scientifique et technique du bâtiment chargés de réaliser l’audit à Marseille le 29 novembre. Il propose 240 millions € sur 10 ans de la part de l’État (un an après l’accident, 17 millions € ont été versés); de lutter plus fermement contre les marchands de sommeil; en ce qui concerne le relogement, de contrôler l’action de la municipalité, qui est qualifiée de défaillante ; de prendre des engagements pour conserver la mixité sociale de la ville ; et de mettre en place un plan Initiatives Copropriétés. Dans leur rapport le 29 novembre, les experts confirment l’analyse faite dix ans plus tôt selon laquelle la faiblesse des bâtiments est due à l’accumulation d’eau dans le sous-sol, mais ne s’engagent ni sur une date de retour des habitants chez eux, ni sur l’éventualité de démolir d’autres immeubles de la rue d’Aubagne dans le futur. Mi-janvier 2019, le ministre du logement Julien Denormandie annonce l’utilisation de dizaines de logements rue de la République pour abriter des délogés. Pour les associations, l’action de Julien Denormandie relève de la simple communication..

Le gouvernement voudrait créer avant fin 2019 une Société publique locale d’aménagement d’intérêt national (Splain), sur le modèle de la Soreqa en Ile-de-France, avec pour objectif à Marseille de traiter les 1 000 immeubles les plus dangereux en dix ans. Le drame marseillais pousse le gouvernement à revoir les méthodes de lutte contre les marchands de sommeil.

Cet évènement dramatique a également précipité la prise de mesures radicales de modifications législatives, visant à mieux lutter contre les immeubles menaçant la sécurité des occupants et des tiers.

Le vendredi 14 décembre, le conseil régional Sud-Paca vote son budget 2019 en prévoyant 100 000 € d’aide aux sinistrés.

Martine Vassale  annonce le 28 novembre 2018 un plan contre l’habitat indigne, dans lequel elle présente une stratégie de lutte contre l’habitat indigne, sur 10 ou 15 ans, évaluée à 600 millions €, participation de l’état comprise. Pour  Marsactu, qui analyse sa proposition, elle ne tire aucun bilan des politiques jusque-là mises en œuvre alors qu’elle est élue locale depuis 2001 ; elle renvoie à Jean-Claude Gaudin et Renaud Muselier les éventuels dysfonctionnements passés et évoque à nouveau une interdiction de construire des HLM en centre-ville qui n’existe pourtant pas. Jean-Claude Gaudin apporte tout son soutien à ce projet.

Le 28 février 2019, la métropole vote de nouvelles mesures concernant 147 immeubles dégradés, dont les numéros 6, 10, 16, 37, 38, 40, 42, 44, 62, 60A et 94 de la rue d’Aubagne, qui doivent être traités en priorité. Les opérations sont confiées à Marseille Habitat, Urbanis et à la Soleam. La métropole expérimente un permis de louer sur le quartier Noailles, où les marchands de sommeil prospèrent.

Les assises du logement, promises par Martine Vassal au lendemain du drame se résument d’après Marsactu à quatre petites heures de débat pour clôturer une phase de concertation menée en toute discrétion. 117 participants ont contribué sur une plateforme numérique très confidentielle. Le collectif du 5 novembre a refusé de participer, faisant de la mise en place d’une charte du relogement un prérequis. Les contributions des assises doivent permettre d’amender le programme local de l’habitat (PLH) qui sera adopté fin 2019. Le document indigne le délégué régional de la fondation Abbé Pierre : [la métropole] se donne jusqu’en 2025 pour atteindre 80 % des objectifs de laloi SRU d’au moins 25 % de logements sociaux. Mais à cette date, on devrait être à 100 %. Arlette Fructus revendique elle l’approche pragmatique. Elle regrette que le système administratif et juridique soit trop complexe pour réagir en temps et en heure, en s’appuyant sur le rapport Vuilletet dont la partie concernant Marseille a été édulcorée. Elle démissionne de sa délégation d’adjointe au Logement en janvier 2020 en chargeant le Maire.

Après avoir considéré une installation dans un ancien couvent rue Breteuil, la métropole choisit les anciens bâtiments du collège Giono dans le quartier de La Rose pour ouvrir un centre d’hébergement temporaire pour les personnes délogées, avec une capacité d’accueil de 124 personnes, et des hébergements prévus pour durer jusqu’à un mois.

Le conseil municipal du 1° avril décide de la mise en place rapide d’un service mutualisé chapeauté par la métropole, mais la fusion est soumise à l’adoption d’une convention de mutualisation qui ne vient pas, et l’évacuation reste l’outil principal de gestion de la crise.

Le 20 décembre, le premier conseil municipal après le drame est officieusement fermé au public. Gaudin demande à l’État la reconnaissance d’une catastrophe, ce qui permettrait aux évacués de bénéficier de garanties et indemnisations (c’est aussi une demande du collectif du 5 novembre). La ville vote enfin la prise en charge des frais d’obsèques et les frais de transport des victimes et de leurs proches (descendants, ascendants, collatéraux, conjoints), et les engagements liés à la gestion de l’urgence ; mais la majorité rejette les propositions PS, PCF, EELV concernant le permis de louer et les réquisitions de logements vacants et l’essentiel de l’ordre du jour n’a rien à voir avec le drame. En avril 2019, la ville met fin à la gratuité des repas pour les délogés, le collectif 5 novembre demande une indemnisation des délogés.

Sur la base du rapport de synthèse du collège d’experts mandaté à la suite du drame, rendu le 1° mars 2019, la ville demande la réquisition de 7 immeubles du périmètre notifiés d’un arrêté de péril grave et imminent, mais sans urgence: en réalisant des procédures à l’amiable et, si nécessaire, des expropriations dans le cadre d’une Déclaration d’Utilité Publique. Il s’agit des immeubles situés du 71 au 83 rue d’Aubagne, qui seront rénovés ou démolis ; le n°75 avait fait l’objet d’un arrêté de péril non imminent, temporaire, en 2011.

Début 2019, le gouvernement lance l’idée d’un nouvel audit des 444 écoles primaires à la charge de la municipalité, mais l’amendement à la loi sur l’école de la confiance est retoqué par le Sénat, puis supprimé en commission mixte paritaire le 4 juillet, sous la pression du maire de Marseille et des sénateurs Les Républicains. Les résultats d’un audit précédent, réalisé par la ville de Marseille en 2016 étaient restés secrets. Mais Libération diffuse en mars 2019 ce document (un simple tableau), qui fait la liste de 114 écoles nécessitant des travaux variés, 20 étant délabrés, 65 avec des problèmes de chauffage, 38 envahis par les rats etc. La mairie de Marseille réagit à la proposition du gouvernement en mettant au vote le1° avril 2019 un troisième audit.

Le collectif du 5 novembre demande la réquisition d’appartements vides pour reloger les personnes évacuées (Marseille compte plus de 30 000 logements vacants, dont plusieurs centaines sur la rue de la République ), mais la majorité municipale s’y oppose.

En mars 2019, le haut comité pour le logement des personnes défavorisées étrille dans un communiqué la gestion de la crise par la mairie : le sentiment ressenti par la délégation est que les délogé.e.s, les citoyen.ne.s et les collectifs accompagnants les sinistré.e.s sont abandonnés. Pour les collectifs et associations reçus, l’effondrement du 5 novembre a créé un avant et un après, mais l’après n’est calibré ni sur le court terme face à l’urgence sociale ni sur le long terme sur la lutte contre l’habitat indigne. Après sa visite à Marseille, Leilani Farha, la rapporteure spéciale de l’ONU sur le logement se déclare en avril 2019 très inquiète de la réaction de la municipalité, ne voyant pas de plan suffisant, de la part des institutions locales et nationales, pour s’occuper de cette situation alarmante.

Le ton change après l’élection de Michelle Rubirola, et la mairie amorce un dialogue avec les habitants sans pour autant apporter de solutions rapides.

Au moment où le projet de loi relatif à l’accélération et la simplification de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement arrive au Sénat, une coalition d’associations et collectifs marseillais interpelle les parlementaires dans une tribune parue dans Libération, avec vingt propositions pour améliorer le projet de loi.

La Métropole annonce en 2019 un projet partenarial d’aménagement (PPA), qui ambitionne de rénover 10 000 logements en 10 ans. En 2021, rien ne s’est encore passé. Agacé par cette lenteur, l’État met en place en 2021 un projet partenarial d’aménagement visant à la requalification d’un périmètre de 1 000 hectares du centre-ville, il devrait permettre des premières opérations de réhabilitation mi-2022 dans quatre îlots prioritaires, dont Noailles. En 2023, le projet de PPA est toujours officiellement en cours d’élaboration, et la concertation avec les habitants est au point mort.

En février 2021, une enquête préalable à une Déclaration d’Utilité Publique est lancée par la métropole, dans le but de racheter l’îlot d’immeubles allant du 65 au 83 rue d’Aubagne, mais sans préciser la nature du projet, ce qui inquiète les riverains et associations. Cette déclaration d’utilité publique est annoncée le 24 juin 2021 par la préfecture des Bouches-du-Rhône. Il s’agit de d’acquérir les logements aux numéros no 65 à 83 de la rue d’Aubagne à Marseille, et à terme de réaménager le haut de la rue. Mais une partie des propriétaires concernés refuse l’offre d’achat de l’établissement public foncier et risque l’expropriation. Les propriétaires du 69 (qui fait l’objet d’un arrêté de démolition), 75, 79, 81 et 83 attaquent la déclaration d’utilité publique dans un référé qui est rejeté en novembre 2021 et examiné à nouveau en 2023.

Au printemps 2022, une centaine d’habitants de Noailles participent à une concertation citoyenne sur le devenir de la rue d’Aubagne, organisée par la mairie, qui explique qu’une nouvelle page est en train de se tourner. Les no 69 et 75 sont expropriés.

À l’automne 2022, la quasi totalité des immeubles du haut de la rue d’Aubagne ont été rachetés, par vente amiable dans 80 % des cas ou expropriation. Selon la mairie, seuls un ou deux dossiers contentieux bloquent encore. La ville promet une requalification respectueuse du bâti, et de ne pas céder à la gentrification. Le théâtre Mazenod devrait devenir un programme d’équipement public, et une maison pour tous (MPT) devrait voir le jour sur le 44, rue d’Aubagne et le domaine Ventre. Une modification du plan local d’urbanisme intercommunal a fait de la dent creuse un pré-emplacement réservé pour un équipement public.

Les immeubles du parc municipal dégradé, en majorité situés à Noailles, Belsunce et au Panier et issus d’achats et d’expropriations menées dans les années 2000 et 2010 par la société publique Marseille aménagement, sont confiés à la société publique SPLA-IN, créée conjointement par l’État, la métropole et la ville et financée par l’agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). Les biens isolés ont été vendus aux enchères.

En 2024 la ville annonce l’acquisition des parcelles au n° 63, 65 et 67 et un projet de réaménagement d’un lieu ressources dont l’ouverture est prévue à l’automne 2025.

Les critiques de la gestion de la ville et des suites de l’accident mettent en difficulté Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille depuis 1995. Le 13 novembre, le gouvernement d’Emmanuel Macron presse Jean-Claude Gaudin de faire sans délais le diagnostic du risque que présente l’habitat marseillais, si nécessaire avec l’accompagnement de l’État, et de mettre rapidement en œuvre le protocole de lutte contre le logement indigne conclu en décembre 2017, qui ne conseille pourtant pas directement l’habitat dégradé du centre-ville : selon plusieurs observateurs, c’est le signe que l’État et les collectivités territoriales se renvoient la balle.

Cinq élus Les Républicains Xavier Cachard, Bernard Jacquier, Thierry Santelli, André Malrait et Frédérick Bousquet, sont pointés du doigt pour être propriétaires de logements effondrés, en péril ou insalubres , mais aucun n’a abandonné son mandat.

Le vice-président du conseil régional Xavier Cachard, propriétaire d’un appartement au 65 rue d’Aubagne, présente sa démission qui est initialement refusée par Renaud Muselier ; mais le 15 novembre celui-ci le suspend de ses responsabilités à la Région. Cette histoire lui vaut d’être écarté du nouveau conseil d’administration de l’Université d’Aix-Marseille.

Bernard Jacquier, vice-président LR de la métropole Aix-Marseille-Provence chargé de la commande publique et des appels d’offres, conseiller d’arrondissements du 6-8, avocat en droit immobilier, propriétaire d’un appartement dans le 3° arrondissement dont il dit ignorer l’état d’insalubrité, démissionne le 17 novembre de ses fonctions à la métropole mais il garde, tout comme Xavier Cachard, ses mandats électifs et indemnités. Il gagne l’élection de mister élu indigne pendant le carnaval de la Plaine. Il est jugé en 2023.

Thierry Santelli (conseiller municipal, vice-président LR du département et administrateur de Marseille habitat) est aussi propriétaire d’un appartement au nord de la Belle-de-Mai frappé d’un arrêté de péril imminent et évacué le 13 novembre. Il se dit surpris (alors qu’il avait été prévenu par la CAF) et n’ayant rien à [se] reprocher dans cette histoire mais démissionne de la vice-présidence du département, et rend ses délégations municipales, conservant son mandat de conseiller.

André Malrait (adjoint au maire LR délégué au patrimoine et aux monuments historiques) loue 520 € par mois à une jeune femme un studio insalubre. Il s’agit en fait d’un local de 17 m² déclaré comme garage à deux roues. André Malrait s’estime irréprochable, mais le service communal d’hygiène de la ville confirme le caractère insalubre du logement et des élus de gauche réclament sa démission. Il assigne sa locataire en justice, mais ne se présente pas à l’audience. Le juge des référés le condamne à verser 800 € de provision à sa locataire pour la réalisation de travaux de mise en conformité, en attendant que l’affaire soit jugée sur le fond. La locataire obtient en novembre 2019 2 000 € de dommages et intérêts. En juillet 2021, après le décès d’André Malrait, la justice confirme l’état d’insalubrité de l’appartement.

Le nageur Frédéric Bousquet, élu sur la liste de Jean-Claude Gaudin, est pointé par Marsactu, Médiapart, La Marseillaise et le Ravi pour avoir réalisé 114 500 € de plus-value en achetant et revendant un immeuble en péril à une société liée à la ville de Marseille. Cette affaire empêche sa nomination à la tête de la société d’aménagement publique censée rénover l’habitat dégradé à Marseille.

Jacques Ansquer, le coordonnateur des assises citoyennes de l’Habitat voulues par Martine Vassal, fait l’objet d’une enquête préliminaire après que Maractu révèle qu’il loue des logements indécents, et quitte le centre communal d’action sociale. Arlette Fructus, adjointe chargée du logement jusqu’à sa démission en janvier 2020, possède trois chambres dans cette copropriété. Renaud Muselier suspend aussi à partir du 15 novembre Arlette Fructus. Élue centriste, adjointe au maire de Marseille, vice-présidente déléguée à l’habitat, au logement et à la politique de la ville à la métropole, et présidente de la SEM Marseille Habitat, elle avait accusé Muselier de laisser les bailleurs sociaux en manque de financements. Arlette Fructus refuse de jouer le rôle de fusible et annonce le 26 novembre qu’elle quitte la majorité LR pour reprendre sa liberté de parole. (Un an plus tard elle est toujours décrite comme adjointe au maire de Marseille au Logement, à la Politique de la ville et la Rénovation Urbaine, par ailleurs vice-présidente de la Métropole déléguée à l’Habitat.)

L’ex-ministre socialiste Marie-Arlette Carlotti demande que soit fait un bilan de la politique de la métropole. Les candidats de la majorité LR à la succession de J.-C. Gaudin, Bruno Gilles et Martine Vassal, initialement silencieux, prennent leur distances avec le Maire. Bruno Gilles, dans une conférence de presse qu’il donne depuis le Sénat, propose de coordonner la future opération conjointe entre État et collectivités et affirme qu’il est temps de changer de méthode, de montrer que cette lutte contre l’habitat indigne est une priorité. Cela n’a pas été le cas jusque-là. La Marseillaise note que Bruno Gilles a passé plus de vingt ans dans la vie politique locale. En juin 2019, il fait voter au Sénat en première lecture un texte prévoyant la création d’une police spéciale du logement.

Une enquête est ouverte par le procureur de la République de Marseille et confiée à la police judiciaire, pour blessures et homicides involontaires. La procédure pourrait cibler la ville, les experts et toute autre personne impliquée, et s’annonce longue. Un avocat marseillais présent à la réunion publique du 7 novembre évoque la possibilité d’une action de groupe la probabilité des poursuites pénales.

Une centaine d’enquêteurs de la police judiciaire et 12 magistrats du parquet travaillent dans le cadre d’une enquête de flagrance, en attendant la désignation de juges d’instruction et l’ouverture éventuelle d’une information judiciaire . Ils procèdent à des dizaines d’auditions de locataires survivants, de propriétaires, du syndic de copropriété et de membres des services de la mairie et de Marseille Habitat, le bailleur social dépendant de la ville de Marseille, et perquisitionnent les services municipaux et le siège de Marseille Habitat le 13 novembre, les propriétaires du no 65 rue d’Aubagne, notamment Xavier Cachard, le 15 novembre, et huit experts le 16 novembre. De nouvelles auditions sont prévues en mai 2019. Le vendredi 18 octobre, la justice convoque l’ensemble des parties civiles ; les familles des victimes louent la bienveillance des juges d’instruction.

Le 27 novembre 2018, le parquet de Marseille ouvre une information judiciaire contre X, pour homicides involontaires aggravés par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité ; elle est confiée à un pôle de trois juges d’instruction piloté par Matthieu Grand. Les parties civiles sont au nombre de 19, dont des parents de victimes, la fondation Abbé-Pierre et la dération nationale des victimes d’attentats et accidents collectifs (Fenvac). Deux experts marseillais sont placés sous le statut de témoins assistés, en juin et fin septembre 2019. Il s’agit de Reynald Filipputti qui avait lancé de nombreuses alertes entre 2014 et 2017 et visité le no 65 10 jours avant l’accident, et de Richard Carta, qui avait ordonné la réintégration du no 65 après une brève évacuation de ses habitants en octobre 2018, malgré les indications de la fragilité du bâtiment.

En octobre 2019, une locataire rescapée d’un des deux immeubles qui se sont effondrés obtient de la propriétaire de l’appartement une indemnisation prévisionnelle. En juin 2020, des réfugiés syriens assignent en justice le propriétaire d’un taudis qui avait cherché à éviter de supporter le coût de leur relogement à l’hôtel ; ils obtiennent gain de cause. Le collectif du 5 novembre attaque la ville devant le tribunal administratif pour atteinte aux libertés fondamentales dans sa gestion de l’habitat indigne en péril grave et imminent, en s’appuyant notamment sur un courrier interne resté sans réponse, dans lequel des agents de la direction de prévention et gestion des risques (DPGR) décrivent à leur hiérarchie les dysfonctionnements de leur service ; leur requête est rejetée, les juges estimant que les injonctions sollicitées portent sur des mesures d’ordre structurel reposant sur des choix de politique publique insusceptibles d’être mises en œuvre.

Les experts Fabrice Mazaud et Henri de Lépinay, chargés par les juges d’instruction d’étudier la structure et l’architecture des immeubles qui se sont effondrés, devaient rendre leur rapport le 31 mars 2020, mais l’étude prend du retard, en particulier en raison des difficultés techniques à sonder le soubassement des immeubles effondrés, compte tenu de la fragilité des immeubles voisins. Dans leur rapport communiqué mi-juin, les experts expliquent que l’effondrement est la conséquence d’un grand nombre de manquements majeurs, tels que l’absence de réaction de la municipalité après les alertes reçues en 2014 et 2017, mais aussi l’absence de réaction appropriée de tous les experts et spécialistes informés de l’état des immeubles. Selon eux, c’est la rupture d’un poteau supportant le plancher du rez-de-chaussée du no 65 qui a déclenché l’effondrement; les charges se sont ensuite reportées sur les murs mitoyens déjà très fragilisés, celui des no 65 et no 63 cédant en premier.

Jean-Claude Gaudin est convoqué par les juges en novembre 2021. Devant eux, il minimise son rôle dans la gestion de la ville, se défausse sur ses adjoints successifs Arlette Fructus, Patrick Padovani et Julien Ruas, et minimise ainsi sa propre responsabilité politique et pénale. Il nie avoir été destinataire des courriers envoyés en mars 2017 et 2018 par l’adjointe au logement, Arlette Fructus, l’adjoint à la santé Patrick Padovani et l’adjoint à la sécurité Julien Ruas, qui demandaient plus de moyens pour la lutte contre l’insalubrité. Il explique qu’il ne sait rien de l’organisation des services ni de leurs objectifs chiffrés, qu’il a pourtant fait voter en conseil municipal, et vante son bilan : si j’avais écouté la chambre régionale des comptes [qui a consacré un rapport à la gestion du patrimoine municipal], je n’aurais pas fait le stade.

La ville de Marseille a demandé à se constituer partie civile, mais sa demande a été rejetée, le juge estimant que l’organisation et le fonctionnement des services de la ville sont au cœur de la procédure d’information. Elle renouvelle cette demande en juin 2024.

Le juge Matthieu Grand reçoit une deuxième fois les familles des victimes le 10 octobre 2020, avant le début des mises en examen. Dans l’attente des conclusions d’un procès qui pourrait n’avoir lieu que vers 2026 selon un avocat des victimes, les assurances ont procédé à une indemnisation provisoire des parties civiles.

Marseille Habitat, propriétaire du no 63 et mis en cause par des rapports d’expertise pour ne pas avoir mis hors d’eau la partie arrière de l’immeuble, est mis en examen le , de même que le cabinet Liautard, syndic de copropriété chargé du n° 65 le , et Richard Carta, l’expert qui a inspecté le n° 65 quelques jours avant le drame. Julien Ruas, conseiller d’arrondissement et ancien adjoint chargé du service de gestion et prévention des risques, et qui signait les arrêtés de péril pour le compte du maire, est mis en examen pour homicides et blessures involontaires par violation délibérée et mise en danger délibérée d’autrui, et perd sa délégation aux écoles ; il fait appel de sa mise en examen, ses avocats contestant la validité de son interrogatoire, mais celle-ci est confirmée le .

Le juge reçoit à nouveau les familles des victimes le . Un point de frustration concerne l’absence de mise en examen des propriétaires du n° 65 qui pourraient pourtant, selon les familles des victimes, être incriminés pour un délit de soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes. Mais chercher à élargir les mises en examen à d’autres personnes aurait pu retarder de plusieurs années la fin de l’instruction. (Certains propriétaires seront cependant finalement citées par les parties civiles.)

Les magistrats annoncent la clôture de l’enquête en octobre 2023.

Le parquet de Marseille requiert le 14 mars 2024, le renvoi devant le tribunal correctionnel pour homicides  involontaires et blessures involontaires des quatre mis en examen :

  • l’expert et architecte Richard Carta, qui avait réalisé une expertise de l’immeuble dix-neuf jours avant son effondrement
  • l’ancien adjoint au maire (et toujours élu municipal) Julien Ruas, délégué à la prévention et à la gestion des risques depuis 2014, dont le service, incompétent et victime de coupes claires, a ignoré plusieurs signalements concernant ces immeubles
  • la société d’économie mixte municipale Marseille Habitat, propriétaire du n° 63, soupçonnée d’avoir laissé se dégrader sa propriété
  • la SARL Cabinet Liautard, le syndic du n° 65, en liquidation judiciaire

Les juges d’instruction Nathalie Roche et Matthieu Grand ordonnent le 17 avril 2024 le renvoi devant le tribunal correctionnel des quatre mis en examen. Le procès est annoncé du 7 novembre au 18 décembre 2024. Quatre-vingt deux parties civiles sont constituées. Le procureur déplore que de nombreux intervenants ont été alertés de fragilité structurelle [de ces immeubles] sans en tirer les conséquences qui s’imposaient. Cela illustre selon lui une accoutumance [des professionnels] à la vétusté des bâtiments dans lesquels ils exerçaient leurs métiers, qui a occulté leur vigilance car un simple examen visuel des façades est édifiant, même pour un profane du bâtiment.

Les parties civiles demandent que soient aussi citées douze autres prévenus,  qui avaient été entendus comme témoins par les juges d’instruction, et sont poursuivis pour soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes (qui suppose que les personnes poursuivies soient pleinement conscientes de l’état de vulnérabilité de leurs locataires mais aussi de l’indignité des logements qu’elles louaient) :

  • deux cadres de Marseille Habitat (propriétaire du n° 63), son directeur général Christian Gil et Christian Coulange,
  • le gestionnaire du n° 65 pour le compte du cabinet Liautard, Jean-François Valentinin,
  • certains des 10 propriétaires du n° 65 ; parmi ceux-ci, le conseiller régional LR Xavier Cachard, qui était aussi l’avocat du syndic.

Le procès se déroule à Marseille à partir du  dans la salle PHN, celle des procès hors norme, inaugurée en 2022 avec le procès du dentiste Guedj, située à la caserne du Muy dans le quartier de la Belle de Mai.

Le jour de l’ouverture du procès, le président Pascal Gand explique les modalités des débats, notamment la considération pour les victimes et l’exigence de neutralité.

Le deuxième jour, le tribunal examine les requêtes en nullité déposées par les avocats des propriétaires du n° 65, qui regrettent notamment de ne pas avoir assez d’informations sur ce qui leur est reproché pour organiser leur défense ; le président joint ces points au fond : ils seront tranchés dans le jugement. Les 16 prévenus ont contesté en bloc les faits reprochés ; Julien Ruas se décrit comme le bouc émissaire idéal, Xavier Cachard explique qu’ un propriétaire n’est pas le gardien des parties communes Richard Carta estime que l’effondrement ne se serait pas produit si les travaux qu’il avait préconisés avaient été faits correctement.

La directrice d’enquête est auditionnée mardi 12 novembre. La deuxième semaine est consacrée au descriptif des immeubles et au scénario des effondrements avec les auditions d’experts (l’architecte Fabrice Mazaud et l’ingénieur Henri de Lépinay) qui expliquent que le n° 65 s’est effondré sur lui-même en premier après la rupture d’un poteau en sous-sol, sans lien direct avec les pluies des jours précédents. L’état structurel très abimé de l’immeuble avait fait l’objet d’alertes depuis 2014 avec une accélération quelques jours avant l’effondrement. Les experts estiment que l’effondrement de l’immeuble était inéluctable dès le 22 octobre, lorsque une cloison bouffée est remplacée ; un cliché pris fin octobre 2018 par l’expert Richard Carta montre que le poteau du sous-sol est déjà plié ; et les alertes des occupants, à partir du 2 novembre, qui constataient que les portes de palier étaient bloquées, indiquaient clairement que l’immeuble était en train de s’affaisser.

L’étude des parcours de vie des parties civiles et occupants du n° 65 débute le vendredi 15. Les propriétaires se défendent d’avoir été alertés de la gravité de la situation mais sont contredits par le président : Xavier Cachard explique que jamais on ne [lui] a demandé de faire des travaux structurels. Il estime que l’immeuble n’était pas si dangereux que cela, sinon il n’y aurait pas autant de gens qui seraient restés y vivre

Début 2019, le parquet créé un Groupe local de traitement de la délinquance dédié à la lutte contre l’habitat indigne. Cinquante enquêtes concernant le non-respect d’un arrêté de péril et 25 enquêtes significatives pour des faits relevant de l’insalubrité sont ouvertes. De 2020 à 2024, 28 dossiers ont été jugés, 25 condamnations prononcées, dont six peines de prison ferme à l’encontre de marchands de sommeil.

Après une audience le 15 juin 2021, plusieurs peines sont prononcées à l’encontre de loueurs d’immeubles insalubres. Douze personnes et six personnes morales soupçonnées d’être des marchands de sommeil ou d’avoir loué des logements insalubres ou dangereux sont jugées le  par le tribunal correctionnel de Marseille. Le 7 juillet, Chadi Younes, un propriétaire de logement insalubre, est condamné à deux ans de prison dont un an ferme pour mise en danger de la vie d’autrui, à 50 000 € d’amende et à l’interdiction d’acquérir un bien immobilier ; sa SCI Celiam est condamnée à 100 000 € d’amende ; la peine est réduite en appel. Le même jour, une autre marchande de sommeil récidiviste écope d’une peine de prison ferme, 18 mois au total et 10 000 € d’amendes. Cinq autres affaires sont renvoyées à 2022. En février 2022, Pierre-Yves Loiseau, un ex notaire âgé de 42 ans est jugé pour mise en danger d’autrui et refus d’exécuter des travaux dans l’un de ses nombreux biens ; sept de ses immeubles étaient frappés d’un arrêté de mise en sécurité ou d’insalubrité ; il est condamné à un an de prison.

En avril 2022, les deux copropriétaires d’un immeuble sur le boulevard de la Libération évacué en 2018 puis mis en péril en février 2019 sont condamnés en première instance à quatre mois de prison ferme pour mise en danger de la vie d’autrui ; ils plaident la relaxe en appel en avril 2023, et l’obtiennent. À cette date, l’immeuble a été rénové grâce à une importante subvention de l’agence nationale d’amélioration de l’habitat (ANAH) attribuée selon le magazine Marsactu en conflit d’intérêts.

Les propriétaires occupants et le syndic du 234 avenue Salengro, évacués depuis novembre 2018 et attaqués pour mise en danger de la vie d’autrui sont finalement relaxés.

Après plusieurs signalements par la municipalité, une enquête est ouverte sur le cas de Maurice Olivieri, dont Marsactu dit qu’il est présenté comme l’un des pires marchands de sommeil de la ville, tandis que Gérard Gallas, un ancien policier qui louait 122 appartements exigus et insalubres, est jugé pour les délits de mise en danger et de soumission à des conditions de logement indignes ; la ville de Marseille se constitue partie civile.

L’ancien vice-président de la Métropole Bernard Jacquier comparaît en avril 2023 avec ses anciens copropriétaires et le syndic devant le tribunal correctionnel pour avoir laissé pourrir un immeuble au n° 25 rue de la Crimée dans le quartier de la Belle de Mai. Le procureur requiert trois mois de prison avec sursis et 5000 euros d’amende. Bernard Jacquier et les neuf autres copropriétaires sont relaxés, et le syndic condamné.

L’exposition de photographies Depuis Noailles en janvier 2019 est un hommage au quartier de Noailles. Les expositions 1 an avec les délogés d’Anthony Micallef et La dent creuse, cartographie de la colère de la photographe Agnès Mellon et de la journaliste Chrystèle Bazin commémorent l’anniversaire du drame.

En 2019, la documentariste Karine Bonjour compile des textes et des images pour constituer un véritable travail d’archive autour des réactions qu’on suscité les effondrements. Ce travail donne lieu à un ouvrage paru aux éditions Parenthèses, Rue d’Aubagne, récit d’une rupture.

Une mobilisation des cinéastes, à l’initiative de l’Association des auteurs réalisateurs du Sud-Est, aboutit à l’organisation de soirées de soutien mensuelles et à la mise en place de la Tribune Ouverte Noailles, recueil de témoignages filmés des habitants de Noailles et des autres quartiers de Marseille pour que se constituent une parole et une mémoire collectives autour du drame du 5 novembre et du mal logement. Les témoignages sont mis en ligne sur le site de Marsactu.

En 2020, à Marseille, la biennale d’art contemporain Manifesta 13 montre le travail sonore d’Annika Erichsen autour du drame de la rue d’Aubagne.

Le deuxième roman de Baptiste Théry-Guilbert paru en 2022 rend hommage aux victimes des effondrements, et évoque les raisons pour lesquelles Rachid était absent lors de cet évènement.

Le vingt-troisième film de Robert Guédiguian Et la fête continue ! prend pour point de départ le drame de la rue d’Aubagne.

Sharon Tulloch témoigne des conséquences de la crise de l’habitat insalubre et évoque les migrations dans sa performance scénique, Un voyage accidentel.

Un jeu de sensibilisation à la problématique du mal-logement sur Marseille, le Taudis-Poly, une variante du Monopoly , est créé par l’association Didac’Ressources.

En juin 2021, des immeubles rue de la Rousselle et rue Planterose, dans le centre historique de Bordeaux, s’effondrent sans faire de victimeEn novembre 2022, l’effondrement de deux immeubles de trois étages de la rue Pierre Mauroy dans le centre ville de Lille fait un mort.

Wikipedia

À la mairie, on me disait, l’habitat indigne à Marseille ça n’existe pas, racontera Arlette Fructus, adjointe au logement, vice-présidente de la métropole, qui démissionnera en janvier 2020. Et c’est simple, en 12 ans de mandat, elle n’a pu rencontrer Jean-Claude Gaudin, qui a régné un quart de siècle sur la deuxième ville de France, qu’à trois reprises sur ses sujets du logement.

Le maire LR, se souvient-elle, avait pris très mal, comme une mise en accusation politique le rapport Nicol commandé par le gouvernement, qui avait révélé au grand jour en 2015 l’ampleur du phénomène du mal-logement à Marseille, y recensant 40.000 logements indignes. Jean-Claude Gaudin l’avait publiquement qualifié à l’époque de fumisterie.

Huit personnes sont mortes dans ces effondrements en novembre 2018. Seize personnes sont jugées, dont un seul responsable de la mairie de l’époque, Julien Ruas, qui était notamment adjoint à la prévention et à la gestion des risques urbains.

Arlette Fructus a raconté une réunion hebdomadaire à laquelle elle est conviée où elle aborde le sujet de l’habitat indigne et quand j’ai utilisé ce terme ça a résonné de façon négative. La majorité municipale de l’époque faisait face à des situations d’insalubrité et de péril qui avait toutes les caractéristiques de l’indignité…, assure-t-elle aujourd’hui.

Assurant avoir été animée d’une volonté farouchement déterminée, elle rapporte l’étanchéité complète de fonctionnement des services malgré les alertes. C’est vrai, ça n’était pas possible que ces gens se coordonnent sur des actions, a reconnu aussi de son côté Julien Ruas.

À la question d’une assesseure lui demandant si les manquements de la mairie résultaient d’une volonté politique ou de l’inertie d’une administration, Arlette Fructus, qui a démissionné en 2020, répond : je me la suis souvent posée, cette question, je n’ai pas la réponse.

Entendu comme témoin pendant l’enquête, Jean-Claude Gaudin avait alors assuré qu’il n’existait aucune instance municipale chargée de coordonner la lutte contre l’habitat indigne parce qu’il n’y avait pas eu ce drame. Et les magistrats instructeurs de relever que chaque constat ou critique adressé à la ville était traitée comme une attaque de nature politique sans aucune remise en cause.

*****

[…] On était 80 quand j’ai pris le service en 2012 et 47 en 2018, résume Christophe Suanez, le responsable de Julien Ruas. Avec ces effectifs peau de chagrin, le cadre municipal explique l’impossibilité d’utiliser l’enveloppe de 6,5 millions d’euros votée en 2013 pour se substituer aux propriétaires défaillants et sortir durablement les immeubles du péril. A peine 350 000 euros vont être utilisés en quatre ans. Là encore, le tribunal ne comprend pas : Il y a 40 000 logements insalubres à Marseille et, en face, 6 millions restent dans les caisses de la mairie alors qu’ils sont destinés à cela !

Erreur ou incompétence ? Alors que, le 19 décembre 2014, un expert judiciaire alerte le SPGR sur l’état de l’immeuble du 65, rue d’Aubagne où il constate que la fondation et le soubassement entre les immeubles présentent des signes d’affaissement et que la majeure partie des poutres et bois du 65 est minée par la pourriture, l’ingénieur territorial de la ville ira, le 15 janvier 2015, visiter… le 67, rue d’Aubagne, se trompant de bâtiment. Son rapport de visite conclut que les désordres ne justifient pas un arrêté de péril, contribuant à étouffer une alarme pourtant rouge vif.

On peut se poser la question d’une faute professionnelle, glisse le président du tribunal. Car, en octobre 2017, alors que la mairie est à nouveau alertée par un bureau d’études, cette fois, sur un risque réel pour les biens et les personnes à court terme, le même fonctionnaire territorial va, une fois encore, n’entrer qu’au 67, rue d’Aubagne. En dépit du constat d’une déformation à la base du mur mitoyen aux deux immeubles, il va écarter la procédure de péril, comme en 2014. Les magistrats en sont pantois : Le bouffement – dégradation – d’un mur porteur, c’est pourtant extrêmement important.

– J’en vois tellement des immeubles…

A un avocat qui lui demande ce qu’il pense du travail de son subordonné, Christophe Suanez baisse les bras : Je suis atterré. (ce qui est un peu moins grave que le Je suis effondré, de Jean-Claude Gaudin. ndlr)

Luc Leroux Le Monde du 1 12 2024

La veille du drame, un architecte avait rendu une expertise sur le bâtiment, concluant qu’il ne présentait pas de risque à même de justifier une évacuation générale des habitants, avant de partir en vacances, ratant de ce fait de nouveaux éléments cruciaux.

Il était le dernier maillon à pouvoir stopper l’engrenage d’erreurs et de fautes qui ont inéluctablement conduit à l’effondrement de deux immeubles rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018, ensevelissant huit Marseillais. Cet ultime garde-fou, Richard Carta, 66 ans, architecte ayant pignon sur rue et expert judiciaire loué par les magistrats, avait été désigné en toute urgence, le 18 octobre 2018, par le tribunal administratif pour une procédure de péril grave et imminent sur le 65, rue d’Aubagne.
Au terme d’une visite d’une heure, Richard Carta conclut à la réintégration des occupants de l’immeuble, à l’exception de celui qui réside au 1°étage côté cour. L’ordre d’une évacuation générale aurait sauvé huit vies. Une journée d’interrogatoire, lundi 2 décembre devant le tribunal correctionnel de Marseille, a montré que Richard Carta a, ce jour-là, expédié son travail. Diagnostic imparfait, rédaction ambiguë du rapport et manque de curiosité lui sont reprochés, en lien avec huit homicides involontaires. Si on ne cherche pas, on ne trouve pas, le relance le président du tribunal, Pascal Gand, à deux reprises.

Le 19 octobre 2018, à 6 heures du matin – soit douze heures avant l’expiration du délai de vingt-quatre heures que lui octroie le code de la construction pour dresser un constat et faire des préconisations – il monte dans un avion pour trois semaines de congé au Danemark. Lorsqu’il rentre, le 8 novembre, tous les corps n’ont pas encore été sortis des décombres, rue d’Aubagne. En partant en vacances, Richard Carta s’est privé d’informations qui auraient radicalement changé son analyse.

Ce 19 octobre – son rapport sera déposé par un associé à 15 heures –, il est déjà à Copenhague quand, sur sa messagerie, arrive, à 10 h 43, le mail d’une cadre de Marseille Habitat, la société municipale d’économie mixte propriétaire de l’immeuble mitoyen, le 63, rue d’Aubagne. À toutes fins utiles, écrit-elle, une première expertise a été sollicitée par le propriétaire du 67, expertise qui a conclu à l’affaissement du numéro 65 qui tirait vers le bas les deux immeubles mitoyens (67 et 63).

Les rapports d’expertises judiciaires figurent en pièce jointe. Je n’ai pas ouvert ma boîte mail, répond-il au tribunal qui lui demande si ce contexte plus problématique ne [lui] fait pas revoir sa copie. Quelques heures plus tôt, interrogé par Céline Lendo, avocate des parents italiens d’une des huit victimes, sur son défaut de curiosité, Richard Carta s’était départi de son flegme : Si j’avais su, si j’avais su…

Son expertise expédiée est vraisemblablement la plus grande occasion manquée d’éviter le drame. Au rez-de-chaussée, le bombement et la fissuration d’une cloison ont alarmé le syndic auprès duquel les occupants se plaignent depuis plusieurs jours. Sur place, toutes affaires cessantes, le chef de la sécurité civile urbaine de la ville de Marseille appelle son supérieur pour un deuxième avis estimant que, potentiellement l’immeuble va s’effondrer.
Richard Carta analyse le bombement comme la conséquence d’une hotte d’une soixantaine de kilos qui, de l’autre côté de la cloison, se décroche. Il ne visite pas la cave et propose un étaiement local d’une partie d’un plafond qui s’effondre. Chez lui, il ajoutera, par intuition, une préconisation supplémentaire – ceinture et bretelle, comme il dit – à savoir l’étaiement total de tout le plancher haut du 1°étage, écrivant que les locataires ne pourront réintégrer leur appartement qu’une fois cette recommandation mise en place.

Mais, lorsqu’il a quitté les lieux, pour les services municipaux, pour la police et les pompiers, la consigne était claire : seul l’occupant du 1° étage côté cour était interdit de retourner dans son logement. Pour un s manquant à appartement, pour ne pas avoir clairement averti de l’interdiction de tout le premier étage – ce que les juges découvrent à l’audience, six ans plus tard – Ouloume Saïd Hassani sera, elle, autorisée à regagner le 1° étage côté rue. Le 5 novembre 2018, après avoir accompagné son fils à l’école, elle était remontée chez elle récupérer des documents. À 9 h 07, le 65, rue d’Aubagne s’est effondré sur elle.

Comme un contrepoint à la mission de Richard Carta, un jeune ingénieur a expliqué, mardi au tribunal, comment sa visite minutieuse des caves du 65 et 67 de la rue d’Aubagne, en octobre 2017, et l’analyse pertinente des bouffements du mur mitoyen l’avaient conduit, en deux jours, à rédiger une note sur un risque réel pour les biens et les personnes, à court terme. Une sonnette d’alarme mal prise en compte par les services municipaux. Dans ce dossier de 20 000 pages, relève le président Gand, vous êtes l’un des seuls, voire le seul, à avoir clairement signifié la gravité de la situation et vous être positionné sur des mesures adaptées.

Luc Leroux, correspondant du Monde à Marseille le 3 décembre 2024

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Marseille qui du 2 mars 1939 à la fin de la guerre n’aura pas eu de maire, lequel Henri Tusso, avait été démis de ses fonctions par Édouard Daladier, président du Conseil pour incurie lors de l’incendie des Nouvelles Galeries qui avait fait 75 morts le 20 octobre 1938 … etc.  Mais, Dieu merci, il y a eu aussi la rénovation de la Vieille Charité, le MUCEM de Rudy Riciotti  – l’architecture est un sport de combat – et la belle rénovation de tout le quartier du Fort Saint Jean à la Major, et cela, c’est de l’argent bien dépensé, ce qui n’est pas tout à fait le cas pour les 45 millions € de l’ombrière du Vieux Port [22 m x 48 m, 1 000 m²] de Norman Forster : certainement l’ombre la plus chère du monde. Ça en jette, c’est vrai, mais à quel prix !

Dans cette affaire qui met en lumière les incroyables carences de la Marie qui tiennent de la faute lourde, il n’est pas inutile de rappeler l’évolution des attitudes des pouvoirs publics, en l’occurrence le gouvernement. Quatre-vingts ans plus tôt, le 28 octobre 1938, les Nouvelle galeries de la Canebière avaient pris feu et il se trouve que le président du Conseil Édouard Daladier était présent à Marseille pour le Congrès du Parti Radical. Arrivé sur les lieux, il ne pourra que constater la vétusté et l’inefficacité des moyens alloués aux pompiers de Marseille qui seront relayés, mais un peu tard évidemment, par ceux de Toulon. Henri Tasso, maire de la Ville, sera destitué dès le 20 mars 1939. Et il faudra attendre 1945 pour que Marseille retrouve un maire élu. En 1952, le Conseil d’État en remettra une couche en qualifiant de faute lourde la gestion de Henri Tasso.

Les fautes de Jean-Claude Gaudin valent largement celle de Henri Tasso, même si le nombre de morts est beaucoup moins important. Pour autant a-t-on entendu parler un jour de la destitution de Jean-Claude Gaudin : jamais ! c’est resté juste une suggestion évidemment non suivie d’effet de trois députés de La République en Marche.

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Sur le Vieux Port, l’ombrière a été inaugurée le 2 mars 2013

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C’est ici que la mer a déposé des marins grecs venus d’Asie mineure. Mythe fondateur de Marseille. Au second plan, à gauche les immeubles de Fernand Pouillon, qui encadrent la mairie.

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[1] Il faudra attendre février 2016 pour en voir un nouveau, tout électrique, et gratuit pour les abonnés, sinon, c’est 0.50 € pour faire les 283 mètres de la traversée. Bien évidemment, il n’a plus rien de commun avec celui de Dubout. Le petit train de Palavas, lui, a sa locomotive exposée sur un rond-point de Montpellier… en arrivant de Palavas. Le petit fils d’Albert Dubout dit que son grand’père, à la mort de sa première épouse Renée Altier en 1960, brûla cinq malles pleines de ses dessins ! 

Le petit train de Palavas, à la sauce Dubout.

Le petit train de Palavas