22 06 1815 au 4 05 1816. Seconde restauration. Talleyrand. 8385
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Publié par (l.peltier) le 21 octobre 2008 En savoir plus

22 06 1815, matin.          

Puisque l’on veut me violenter, je n’abdiquerai point. Je veux qu’on me laisse y songer en paix. Dites-leur d’attendre.

4 heures, après-midi. Lucien, écrivez.

En commençant la guerre pour soutenir l’indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et sur le concours de toutes les autorités nationales. J’étais fondé à en espérer le succès. Les circonstances me paraissent changées.

Je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France.

Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations et n’en avoir voulu réellement qu’à ma personne. Unissez-vous tous pour le salut public et pour rester une nation indépendante. Je proclame mon fils sous le nom de Napoléon II, empereur des Français.

Ils l’ont voulu !

Il a tant fait pour moi ! Saura-t-il jamais, ce peuple, tout ce que m’a coûté cette nuit des incertitudes et des angoisses ! J’ai dû céder, et une fois fait, cela a été fait : je ne suis pas pour les demi-mesures.

Pour moi je ne pouvais ni ne voulais être un roi de la Jacquerie !

Napoléon. Vie de Napoléon par lui-même. Compilation d’André Malraux. Gallimard 1930

Deuxième Restauration avec Louis XVIII.

20 11 1815

Le second traité de Paris que la France n’est pas autorisée à parapher, rétablit les frontières à ce qu’elles étaient au 1° janvier 1790 ; ce qui implique des restitutions territoriales aux confins de l’actuelle Belgique et le retour de la Savoie au royaume de Piémont Sardaigne ; Victor Emmanuel I° rétablit l’ancien régime : c’est le buon governo (ainsi nommé par les historiens français et républicains bon teint, en dérision de ce qualificatif donné par le Roi de Piémont Sardaigne), en donnant pleins pouvoirs à la police et aux carabiniers piémontais. La France doit encore payer plus de 700 millions de francs d’indemnités et entretenir une armée d’occupation de 150 000 hommes. Tout cela représente le revenu de trois années fiscales.

Le 6 juillet, à Saint Denis, Talleyrand présente Fouché au roi : Le soir, vers les neuf heures, j’allai faire ma cour au roi. Sa Majesté était logée dans les bâtiments de l’abbaye. […] Introduit dans une des chambres qui précédaient celles du Roi, je ne trouvai personne ; je m’assis dans un coin et j’attendis. Tout à coup une porte s’ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché ; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du Roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur ; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI  entre les mains du frère du roi martyr ; l’évêque apostat fut caution du serment.

Chateaubriand. Mémoires d’Outre-tombe. Livre XXIII. Chapitre 20.

Les départements sont supprimés. L’état civil est à nouveau tenu par les prêtres, le mariage civil supprimé. Napoléon est exilé à Sainte Hélène. Fouché s’est fait payer ses services rendus pour favoriser le retour du roi par le maroquin de l’Intérieur, sans bien mesurer la puissance de la haine qu’il pouvait susciter dans les rangs royalistes, au premier rang desquels figure la duchesse d’Angoulême, alors dans toute la force de ses 38 ans, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, qui refusera ostensiblement de le saluer en quelque occasion que ce fut :

Il est une chose que ce vieux condottiere, ce fin connaisseur de l’humanité n’a pas apprise et que personne ne peut apprendre : à savoir, lutter contre les spectres. Il a oublié cette seule chose qu’à la cour royale un spectre du passé subsiste, comme une Erinnye de la vengeance : la duchesse d’Angoulême, la propre fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, la seule de la famille qui ait échappé au grand massacre. Le roi Louis XVIII pouvait encore, après tout, pardonner à Fouché ; il devait son trône à ce Jacobin et un tel héritage peut adoucir parfois (l’histoire en témoignerait !), même dans les rangs les plus élevés, la douleur d’un frère. Pour lui, le pardon a été facile, car il n’a pas personnellement souffert de la Terreur ; au contraire, la duchesse d’Angoulême, la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, a dans le sang les atroces visions de son enfance. Elle a des souvenirs que l’on n’oublie pas et des sentiments de haine qui ne se laissent apaiser par rien : elle a trop souffert elle-même, physiquement et moralement, pour pouvoir pardonner jamais à un de ces Jacobins, de ces hommes abominables. Elle a, étant enfant, assisté en frissonnant à cette soirée atroce du château de Saint-Cloud où des masses de sans-culottes assassinèrent les huissiers, et se présentèrent, les chaussures dégoûtantes de sang, devant sa mère et devant son père. Elle a vécu cette soirée où, pressés tous les quatre dans une voiture, s’attendant à la mort à chaque instant, elle, son père, sa mère et son frère, le boulanger, la boulangère et les mitrons, furent amenés de force à Paris, aux Tuileries, au milieu d’une foule railleuse et hurlante. Elle a assisté au 10 août, lorsque la populace brisa à coups de hache les portes des appartements de sa mère et qu’on mit par moquerie le bonnet rouge sur la tête de son père, tandis qu’une pique menaçait sa poitrine ; elle a souffert les horribles journées de la prison du Temple et les affreuses minutes où leur fut présentée par la fenêtre, au bout d’une pique, la tête ensanglantée de l’amie de sa mère, la princesse de Lamballe, les cheveux dénoués et collés par le sang. Comment pourrait-elle oublier le soir où elle prit congé de son père que l’on traînait à la guillotine, le départ de son petit frère, qu’on laissa dévorer par les poux et dépérir dans une étroite chambre ? Comment ne pas se souvenir des camarades de Fouché portant le bonnet rouge, qui pendant des journées entières la questionnèrent et la tourmentèrent pour que, dans le procès de la reine, elle témoignât de la prétendue impudicité de sa mère Marie-Antoinette avec son petit garçon ? Et comment bannir de son sang le souvenir du moment où on l’arracha des bras de sa mère, où elle entendit sur le pavé le bruit de la charrette qui la menait à la guillotine ? Non, elle, la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, la prisonnière du Temple, n’a pas simplement, comme Louis XVIII, connu ces atrocités par la lecture des journaux ou par les récits de tiers ; elle les porte imprimées, de façon indélébile, en lettres de feu dans son âme d’enfant épouvantée, effarouchée, tourmentée et martyrisée. Et il s’en faut de beaucoup que soit satisfaite sa haine pour les meurtriers de son père, pour les bourreaux de sa mère, pour les terribles images de son enfance, pour tous les Jacobins et révolutionnaires : elle n’a pas encore vu venir l’heure de la vengeance.

De tels souvenirs ne s’effacent pas. Aussi a-t-elle juré de ne jamais, au grand jamais, tendre la main au ministre de son oncle, au meurtrier de son père, à Fouché, et de ne jamais respirer l’air de l’endroit où il se trouve. Ouvertement et d’un air provocant, elle montre au ministre, et devant toute la cour, son mépris et sa haine. Elle n’assiste à aucune fête ou manifestation où paraît ce régicide, ce renégat de ses propres opinions, et le mépris ironique et fanatique qu’elle a pour le transfuge stimule peu à peu chez tous les autres le sentiment de l’honneur. Finalement tous les membres de la famille royale sont unanimes à demander à Louis XVIII de chasser des Tuileries, maintenant que son pouvoir est assuré, avec opprobre et ignominie, le meurtrier de son frère.

On se rappelle que c’est seulement à contrecœur et parce qu’il en avait absolument besoin que Louis XVIII s’était laissé imposer Fouché comme ministre. À présent qu’il ne lui est plus utile, il lui donne son congé volontiers et avec joie. Dieu soit loué ! la pauvre duchesse ne sera plus exposée à rencontrer cette odieuse figure, dit-il, le sourire aux lèvres, en parlant de l’homme qui, sans se douter de rien, continue dans ses écrits à se donner pour son plus fidèle serviteur. Et Talleyrand, cet autre transfuge, reçoit du roi la mission de faire entendre à son camarade de la Convention et de l’époque napoléonienne que sa présence aux Tuileries est devenue indésirable.

Talleyrand se charge aisément de cette mission. Du reste, il a déjà de la peine à orienter ses voiles au souffle d’un royalisme violent. Il espère pouvoir plus facilement maintenir à flot son navire, en jetant du lest. Et le lest le plus lourd qu’il y ait dans son ministère, c’est ce régicide, son ancien complice Fouché : le faire passer par-dessus bord, cette besogne, en apparence pénible, il l’accomplit avec une adresse d’homme du monde vraiment admirable. Il ne lui annonce pas brutalement ou solennellement son renvoi ; non, en sa qualité de maître éprouvé de la forme, de gentilhomme d’une noblesse souveraine, il choisit une façon charmante de faire comprendre à Fouché que pour lui enfin la cloche a sonné midi. Ce dernier aristocrate du XVIII° siècle place toujours ses scènes de comédie et ses intrigues dans les coulisses d’un salon et cette fois encore, il revêt un brutal congédiement des formes les plus fines.

Le 14 décembre, Talleyrand et Fouché se rencontrent dans une soirée. On dîne, on parle, on cause nonchalamment et Talleyrand particulièrement paraît être d’excellente humeur. Un grand cercle se forme autour de lui ; belles dames, dignitaires, jeunes gens, tout le monde se presse avec curiosité à ses côtés pour écouter ce maître de la conversation qui, en vérité, raconte d’une façon plus charmante que jamais. Il parle des jours depuis longtemps révolus où il fut obligé de s’enfuir en Amérique pour échapper à l’ordre d’arrestation décerné contre lui par la Convention et il célèbre avec enthousiasme ce pays grandiose. Ah ! quelle magnificence il y a là-bas : des forêts impénétrables habitées par la race primitive des Peaux-Rouges, des fleuves puissants et inexplorés, le majestueux Potomac, le gigantesque lac Erié et, au milieu de ce monde héroïque et romantique, une race nouvelle, d’acier, capable et forte, éprouvée dans les combats, éprise de liberté, exemplaire par ses lois, possédant d’immenses possibilités. Oui, dans ce pays, il y a beaucoup à apprendre ; on y sent un avenir nouveau et meilleur, mille fois plus vivant que dans notre Europe épuisée. C’est là qu’il faudrait habiter, c’est là qu’il faudrait agir, dit-il, avec enthousiasme. Et aucun poste ne lui paraît plus séduisant que celui d’ambassadeur aux États-Unis…

Et soudain il s’interrompt dans son enthousiasme, qui ne semble cacher aucune arrière-pensée, et il dit en se tournant vers Fouché :

Duc d’Otrante, cette situation est belle, comme vous le voyez ; eh bien, je peux vous la donner, si vous la désirez.

Fouché pâlit, il a compris. En lui-même il tremble de fureur, songeant avec quelle astuce et avec quelle adresse le vieux renard lui a, devant tout le monde, devant toute la cour, ôté son fauteuil ministériel. Il ne répond rien. Mais quelques minutes après, il se retire, il rentre chez lui et rédige sa lettre de démission. Talleyrand, lui, reste tout joyeux, et, en s’en allant, il confie à ses amis avec un sourire oblique : Cette fois-ci, je lui ai définitivement tordu le cou.

Stefan Zweig. Fouché. Insel  Verlag. 1929

Louis XVIII lui proposera l’ambassade de France à Dresde, qu’il  acceptera, mais, les tapisseries à peine posées, le Parlement se dressera contre lui et il faudra le destituer… il ne lui restera plus qu’à mener la vie des proscrits, là où on voulait bien l’accepter… dans des petites villes, pour finalement mourir à Trieste un 26 décembre 1820. Sa jeune veuve, la très belle comtesse de Castellane, au pedigree bien garni mais à la bourse bien plate jusqu’à trouver Fouché sur sa route, héritera d’un fort joli magot.

Il y a un million deux cent mille soldats étrangers en France et le pays doit verser une indemnité de 700 millions de francs, ce qui porte la dette, qui avait pratiquement disparu, à l’équivalent de 25 % du produit intérieur brut. Les recettes budgétaires, de 1,180 milliard en 1813, ne sont plus que de 620 millions en 1815. Il faut réduire drastiquement les dépenses, notamment militaires, faisant du personnage du demi-solde (officier mis en retraite anticipée et payé 50 % de son traitement précédent) un des personnages emblématiques de la Restauration.

Toulon devient le centre de la puissance navale française. Le désenchantement se nourrit du paysage général : À droite et à gauche du chemin se montraient des châteaux abattus ; de leurs futaies rasées, il ne restait plus que quelques troncs équarris sur lesquels jouaient des enfants.
On voyait des églises abandonnées dont les morts avaient été chassés, des clochers sans cloches, des cimetières sans croix, des saints sans tête, lapidés dans leur niches.
Saint Denis était découvert, les fenêtres brisées : la pluie pénétrait dans ses nefs verdies et il n’y avait plus de tombeaux.
Je visitais les lieux où j’avais promené les rêveries de mes premières années. En errant derrière le Luxembourg, je fus conduit à la Chartreuse : on achevait de la démolir. Aux Cordeliers je demandais en vain la nef gothique où j’avais aperçu Marat et Danton.
La place des Victoires et celle de Vendôme pleuraient les effigies absentes du Grand Roi.
La place Louis XV était nue : elle avait l’air mélancolique et abandonné d’un vieil amphithéâtre. Je craignais de mettre le pied dans un sang dont il ne restait aucune trace.

Chateaubriand. Mémoires d’outre-tombe

Il y avait après les Cent Jours, deux peuples différents par leurs souvenirs, par leurs idées, par leurs habitudes et qui ne pouvaient plus se comprendre ; deux armées qui avaient combattu l’une contre l’autre et dont l’une célébrait comme des victoires ce que l’autre déplorait comme des défaites. Enfin deux propriétaires pour la même maison, pour le même champ.

Duvergier de Hauranne

De ce moment date la séparation de la nation française en deux camps excités l’un contre l’autre par une hostilité permanente et qui est restée le fondement caché de la vie politique de la France.

Charles Seignebos

Le russe Ivan Iakouchkine, sera l’un des principaux insurgés des décembristes de 1825. Il passera trente ans au bagne en Sibérie, puis dictera ses mémoires à son fils : La guerre de 1812 avait éveillé le peuple russe à la vie et fut une période importante dans son existence politique. Toutes les ordonnances, tous les efforts du gouvernement eussent été insuffisants pour expulser les Gaulois et avec eux les douze nations qui avaient envahi la Russie si le peuple était resté comme devant dans un état d’hébétude. Ce n’est point sur ordre du gouvernement que les habitants se retiraient dans les forêts et les marais et laissaient brûler leurs logis à l’approche des Français. Ce n’est point sur ordre du gouvernement que toute la population de Moscou sortit de la capitale en même temps que l’armée. […]

Même les rangs des soldats ne comptaient plus parmi eux d’instruments aveugles ; chacun sentait qu’il était appelé à concourir à une grande cause. […]

En 1813, l’empereur Alexandre cessa d’être le tsar russe pour devenir l’empereur de l’Europe. Il fut magnifique en Allemagne lorsqu’il avançait, les armes à la main, appelant chacun à la liberté ; mais il fut encore plus beau lorsque nous entrâmes en 1814 à Paris. Là, les Alliés, tels des loups voraces, étaient prêts à se jeter sur la France tombée. L’empereur Alexandre la sauva ; il lui donna même à choisir le mode de gouvernement qui lui serait le plus convenable, à la seule condition que Napoléon ni quiconque de sa famille ne règne plus en France. Lorsqu’on l’assura que les Français voulaient les Bourbons, il posa à Louis XVIII la condition absolue de donner à son peuple des droits garantissant jusqu’à un certain point son indépendance. La charte de Louis XVIII offrit la possibilité aux Français de poursuivre l’œuvre qu’ils avaient commencé en 1789 ; à ce moment, le républicain La Harpe [l’ancien précepteur d’Alexandre] ne pouvait que se réjouir des actions de son pupille royal. En 1814, nous rentâmes de France en Russie par mer. La 1° division de la Garde fut débarquée à Oranienbaum et écouta l’office de grâce qui fut dit par le prêtre Derjavine. Pendant la messe, la police battit sans pitié le peuple qui tentait de s’approcher de nos formations. Ce fut notre première impression désagréable depuis notre retour dans la patrie. Je reçus l’autorisation de partir à Saint Petersburg et d’y attendre mon régiment. Je m’arrêtai chez mon camarade Tolstoï [il est maintenant sénateur] et nous partîmes en habits civils pour regarder comment la 1° division de la Garde entrait dans la capitale. […] Enfin parut l’empereur, qui venait en tête de la division, sur un beau cheval roux, l’épée au clair, qu’il s’apprêtait déjà à baisser devant l’impératrice. Nous l’admirions ; mais au même instant un moujik traversa la rue juste devant son cheval. L’empereur éperonna son cheval et se jeta, l’épée levée, à la poursuite du fuyard. La police accueillit le paysan à coup de bâton. Nous n’en croyions pas nos yeux et nous détournâmes, car nous avions honte du tsar que nous aimions. Ce fut ma première déception le concernant ; je me rappelai involontairement cette histoire du chat qui fut changé en belle jeune fille, laquelle ne pouvait voir passer une souris sans se jeter sur elle.

En Espagne, Ferdinand VII abolit le régime constitutionnel : les tenants de l’absolutisme se déchaînent contre les libéraux. Jusqu’à l’arrivée de Franco, la politique espagnole sera très marquée par les divisions, au sein des monarchistes, entre carlistes – partisans de Don Carlos, frère de Ferdinand VII – et partisans d’Isabelle II, fille et héritière de Ferdinand VII. La guerre contre la France a suscité des mouvements de soutien dans les colonies d’Amérique du sud… lesquels vont évoluer en mouvement d’émancipation : les créoles catholiques, descendants des conquistadores, tout à leur anglophobie, prirent assez vite le contre pied de la junte de Séville contre le pouvoir napoléonien. Dix ans plus tard, il ne restait pratiquement plus rien de l’empire espagnol.

L’intransigeance des souverains espagnols vis à vis de leurs minorités – juifs et maures – avait privé le pays de nombreux bras et favorisé le dépeuplement.

Les idées nouvelles se propagent et ne veulent plus entendre parler du vent qui souffle à travers la montagne et qui m’a rendu fou : Cet accablement est l’effet du vent d’ouest qui affecte l’oreille interne. Après quelques jours, le tonus diminue, la déprime s’installe, les voix tombent, et, comme Synge l’avait déjà remarqué voilà quatre-vingt ans, tout n’est plus que murmure. Je connais le fœhn (vent du sud qui traverse les Alpes suisses) dont l’effet, tout aussi pernicieux, rend splénétique les natures les plus joviales, avec cortège de violences et suicides. Jusqu’à la Restauration, les tribunaux de Suisse centrale, n’avaient, par temps de fœhn, pas le droit de siéger [1].  Depuis, grâce à une succession de positivistes – savants ou juristes qui désapprenaient la nature – cette sage disposition n’est plus en vigueur.

Nicolas Bouvier. Journal d’Aran, et d’autres lieux. 1989

25 06 1815  

Une centaine de mamelouks de l’ancienne garde impériale sont massacrés à Marseille.

2 08 1815  

Le maréchal Brune, qui avait commandé Toulon pendant les Cent jours, s’est  mis en route pour Paris : reconnu en Avignon, il est assailli par la foule, tué par un portefaix ; son corps est traîné dans les rues et jeté au Rhône.

08 1815

La Longue Diète de la Confédération helvétique admet dans la confédération trois nouveaux cantons, français jusqu’alors : Neuchâtel le Valais, et Genève.

4 09 1815  

Vendémiaire et même Montenotte ne me portèrent pas encore à me croire un homme supérieur ; ce n’est qu’après Lodi qu’il me vint dans l’idée que je pourrais bien devenir, après tout, un acteur décisif sur notre scène politique. Alors naquit la première étincelle de la haute ambition.

6 09 1815             

Je revins de la campagne d’Italie n’ayant pas trois cent mille francs en propre ; j’eusse pu facilement en rapporter dix ou douze millions, ils eussent bien été les miens ; je n’ai jamais rendu de comptes, on ne m’en demanda jamais. Je m’attendais, au retour, à quelque grande récompense nationale : mais le Directoire fit écarter la chose.

J’avais le goût de la fondation, et non celui de la propriété. Ma propriété à moi était dans la gloire et la célébrité : le Simplon, pour les peuples ; le Louvre, pour les étrangers, m’étaient plus à moi une propriété que des domaines privés. J’achetais des diamants à la couronne ; je réparais les palais du souverain, je les encombrais de mobilier ; et je me surprenais parfois à trouver que les dépenses de Joséphine, dans ses serres ou sa galerie étaient un véritable tort pour mon Jardin des Plantes ou mon Musée de Paris.

Napoléon. Vie de Napoléon par lui-même. Compilation d’André Malraux. Gallimard 1930

Simon Bolivar, réfugié à Kingston, en Jamaïque, livre son manifeste : […] On nie aujourd’hui les cruautés des Espagnols, tant elles sont fabuleuses et semblent dépasser la perversité humaine. Et jamais les historiens modernes n’y croiraient, si de nombreux documents ne témoignaient tous de la triste vérité. Le très humain évêque de Chiapas, l’apôtre de l’Amérique, Las Casas, a laissé à la postérité un bref exposé de cas tirés des dossiers sévillans sur les conquistadors. Ces documents contiennent le témoignage de toutes les personnes respectables qui résidaient alors dans le Nouveau Monde, ainsi que les procès entre tyrans, mentionnés d’ailleurs par les plus grands historiens de l’époque. Les hommes impartiaux ont tous rendu justice au zèle, à la véracité et aux vertus de cet ami de l’humanité qui sut, avec une telle ferveur et une telle fermeté, dénoncer devant son gouvernement et l’opinion contemporaine les cas les plus horribles de cette sanguinaire frénésie […].

Le succès couronnera nos efforts. Le destin de l’Amérique est à tout jamais fixé. Les liens qui l’unissaient à l’Espagne sont désormais brisés : ils ne valaient que du consentement de toutes les parties de l’immense monarchie qui se prêtaient à leur rapprochement mutuel. Or ce qui rapprochait naguère la métropole et l’Amérique maintenant les divise. La haine que nous inspire la Péninsule est plus grande encore que la mer qui nous en sépare. Il est moins difficile de joindre les deux continents que de réconcilier les deux nations. L’habitude de l’obéissance, une communauté d’intérêts, d’éducation, de foi religieuse, une bienveillance réciproque, une tendre affection pour le berceau de nos ancêtres et pour leur gloire, bref, tous nos espoirs nous venaient d’Espagne. De là, ce principe d’adhésion qui paraissait éternel, bien que la conduite de nos maîtres diminuât cette sympathie, ou, pour mieux dire, cet attachement obligé à l’autorité de leur empire. Or c’est tout le contraire, à présent. On nous menace de la mort, du déshonneur, de tous les maux que nous craignons. Cette mère dénaturée nous inflige toutes les souffrances. Le voile s’est déchiré. Nous voyons clair maintenant. Et l’on voudrait nous plonger à nouveau dans les ténèbres ! Les chaînes ont été brisées. Nous avons été libres. Et nos ennemis prétendent nous réduire encore à l’esclavage ! Voilà pourquoi l’Amérique combat avec rage; et il est bien rare que l’énergie du désespoir ne force pas la fortune […].

Quant à l’héroïque et malheureux Venezuela, les événements s’y sont déroulés si vite, et la dévastation y fut telle, qu’il se voit maintenant réduit à une indigence absolue et à une désolation épouvantable. Et pourtant ce beau pays faisait naguère l’orgueil de l’Amérique ! Ses tyrans gouvernent un désert et n’oppriment que les tristes habitants ayant échappé à la mort, qui y mènent une existence précaire. Quelques femmes, quelques enfants, et quelques vieillards, voilà tout ce qui reste. La plupart des hommes ont péri plutôt que d’être esclaves, et ceux qui sont encore en vie se battent avec fureur dans les campagnes et dans les villes de l’intérieur jusqu’à la mort ou jusqu’à l’expulsion des ennemis, de ces Espagnols, insatiables de sang et de crimes, émules des premiers monstres qui anéantirent la race primitive de l’Amérique. Le Venezuela comptait près d’un million d’habitants. Or on peut affirmer sans exagération que le quart de la population a été victime du tremblement de terre [mars 1812], des combats, de la famine, de la peste, de l’exode. Hormis la catastrophe naturelle, tout est l’effet de la guerre […].

Ce tableau d’ensemble représente un théâtre d’hostilités de 2 000 lieues de long sur 900 de large dans ses plus grandes dimensions, et sur lequel 16 millions d’Américains défendent leurs droits, ou restent opprimés par l’Espagne. Et, bien que cette nation possédât à une certaine époque le plus vaste empire du monde, ce qu’il en reste maintenant demeure impuissant à maîtriser le nouvel hémisphère, et même à se maintenir dans l’ancien. Et l’Europe civilisée, commerçante et libérale permet que cette vieille vipère, pour satisfaire sa rage venimeuse, détruise la plus belle partie de notre globe ? L’Europe demeurerait-elle sourde à la clameur de ses propres intérêts ? N’aurait-elle plus d’yeux pour la justice ? Serait-elle tant endurcie, à ce point insensible ? Plus je médite là-dessus, plus je me sens confus. J’en arrive à penser qu’on désire voir disparaître l’Amérique. Mais c’est impossible, toute l’Europe n’est pas l’Espagne. Et quelle n’est pas la folie de notre ennemie qui prétend reconquérir l’Amérique sans flotte, sans trésor, et presque sans soldats ! Car ceux dont elle dispose suffisent à peine pour maintenir par la violence son propre peuple dans la sujétion, et pour la défendre des voisins. D’ailleurs, comment cette nation pourrait-elle se réserver le commerce exclusif de la moitié du monde, sans manufactures, sans productions nationales, sans arts, sans sciences, sans politique ?  Et même si elle parvenait à ses fins, plus encore, si elle parvenait à pacifier vraiment ce pays, les fils des Américains d’aujourd’hui, s’unissant à ceux des Européens conquérants, ne concevraient-ils pas à nouveau dans vingt ans les mêmes patriotiques desseins qu’elle combat maintenant ? […]

Dans le système espagnol en vigueur, plus en vigueur aujourd’hui peut-être que jamais, les Américains n’occupent d’autre place dans la société que celle de serfs propres au travail, et, tout au plus, de simples consommateurs. Et encore dans ce rôle se voient-ils imposer des restrictions choquantes : telles, la défense de cultiver les fruits d’Europe, le monopole royal de certaines productions, l’interdiction d’établir des manufactures, que l’Espagne ne possède pourtant pas, les privilèges commerciaux l’exclusivité accordés même pour les objets de première nécessité, les entraves apportées aux relations entre les provinces américaines pour les empêcher de traiter, de s’entendre, de trafiquer entre elles. Voulez-vous savoir à quoi, en somme, nous étions destinés ? Aux campagnes, pour y cultiver l’indigo, le chiendent, le café, la canne à sucre, le cacao et le coton ; aux plaines solitaires, pour y élever les troupeaux ; aux déserts, pour y chasser les fauves ; aux entrailles de la terre, pour en tirer l’or dont ne peut se rassasier cette nation cupide. Nous vivions dans une passivité telle que je n’en trouve d’exemple dans aucune société civilisée, autant que je parcoure l’histoire et la politique de toutes les nations. N’est-ce pas un outrage et une violation des droits de l’humanité que de vouloir forcer un pays si heureusement constitué, vaste, riche et peuplé, à demeurer purement passif ? […]

C’est une idée grandiose que de prétendre faire de tout le Nouveau Monde une seule nation dont toutes les parties seraient liées. Puisque ses populations ont une même origine, une seule langue, une seule religion, de mêmes coutumes, elles devraient par suite n’avoir qu’un gouvernement qui fédérât les divers États constitués. Mais la chose n’est pas possible, car des cieux différents, des situations distinctes, des intérêts contraires, des caractères dissemblables divisent l’Amérique. Certes il serait heureux que l’isthme de Panama devînt pour nous ce que fut celui de Corinthe pour les Grecs. Plaise à Dieu que quelque jour nous ayons la fortune d’y tenir un auguste Congrès des représentants de nos républiques, royaumes et empires, pour traiter et discuter des hauts intérêts de la paix et de la guerre avec les nations des trois autres parties du monde. Et pourquoi cet organisme ne tiendrait-il pas ses assises au temps heureux de notre génération ? […]

Je dis, moi aussi, que ce qui peut nous mettre à même de chasser les Espagnols et de fonder un état libre, c’est l’union, sûrement l’union. Mais cette union ne nous tombera pas du ciel par un prodige ; elle ne peut être que le fruit d’une action efficace et d’efforts bien dirigés. L’Amérique est divisée parce qu’elle est isolée au milieu de l’univers, abandonnée par toutes les nations, sans relations diplomatiques, sans soutien militaire, en lutte contre l’Espagne qui possède un matériel de guerre plus important que celui que nous avons pu acquérir furtivement […]

Simon Bolivar. extraits de Lettre à un habitant de la Jamaïque.

Simón José Antonio de la Santíssima Trinidad Bolívar y Palacios, dit Simon Bolivar

14 09 1815  

 Je n’ai point usurpé de couronne, je l’ai relevée dans le ruisseau ; le peuple l’a mise sur ma tête : qu’on respecte ses actes !

23 09 1815

Pour ce qui est des œuvres d’art, butin de guerre amplement fourni, il est temps de mettre les pendules à l’heureLes mêmes sentiments qui font désirer au peuple français de garder les tableaux et les statues des autres nations, doivent faire désirer aux autres nations, maintenant que la victoire est de leur côté, de voir restituer ces objets à leurs légitimes propriétaires […] Il est de plus à désirer, pour le bonheur de la France et pour celui du Monde, qu’il lui fasse sentir que quelques grands qu’aient pu être ses avantages partiels et temporaires sur une ou plusieurs des puissances de l’Europe, le jour de la restitution doit arriver à la fin.

Duc de Wellington à Lord Castlereagh, secrétaire d’État aux Affaires Etrangère de Grande Bretagne.

Et l’on se chargea vite de passer des paroles aux actes, l’opération sera menée tambour battant : 2 600 tableaux avaient été pris à l’étranger par la Révolution et l’Empire. 1 100 tableaux, 600 statues et bustes, 2 000 vases, camée et émaux reprendront le chemin du retour à la maison. Plus de la moitié à l’Italie, 40 % au monde germanique et flamand, moins de 10 % au monde français et hispanique.

28 09 1815  

En révolution, on ne peut affirmer que ce qu’on fait : il ne serait pas sage d’affirmer qu’on n’aurait pas pu faire autre chose.

3 10 1815 

Une météorite tombe dans un champ de Chassigny, une bourgade de Haute-Marne. Le 3 octobre dernier, environ à huit heures et demie du matin, le temps étant légèrement clair et serein, le vent d’est soufflant très légèrement, on entendit dans la commune de Chassigny et les villages environnants, à une distance de trois et quatre lieues, un bruit qui paraissait être dû à de nombreuses décharges de mousqueterie, entremêlées de gros coups de canon. Ce bruit (…) durait déjà depuis quelques minutes lorsqu’un homme travaillant dans une vigne (…), entendant un sifflement semblable à celui d’un boulet, vit tomber à environ 400 mètres de lui un corps opaque dont s’échappa une épaisse fumée.

Le paysan découvre dans un champ un trou d’un demi-mètre de diamètre ainsi que des morceaux d’une roche qui lui semble curieuse. Ayant ramassé un de ces fragments, il le trouva chaud comme s’il eut été exposé à un fort soleil. Il le rapporta au village, où bientôt, ce fait s’étant répandu, d’autres habitants allèrent ramasser ces pierres. Arrivé dans ce village le surlendemain, et m’étant fait représenter une de ces pierres, j’eus bientôt reconnu un aérolithe.

Le docteur Pistollet rassemble tous les morceaux et les pèse : il y en a pour près de 4 kilos. Lui-même conserve un bon bout de presque 1 kilo. Aujourd’hui, l’essentiel de cette matière a… disparu. Le caillou manipulé avec soin par Matthieu Gounelle, référencé mondialement comme la masse principale de la météorite de Chassigny, pèse à peine plus de 200 grammes. Le MNHN en possède une autre centaine de grammes. Il y a environ 300 grammes dispersés dans les autres musées avec en particulier 100 grammes à Vienne et 70 grammes à Londres, précise Matthieu Gounelle. Quatorze musées ont des masses supérieures à 1 gramme. Au total se sont volatilisés plus de 3 kilos de cette météorite, dont, au moment de la découverte, on ignore le caractère hors du commun.

On sait au moins où sont passés 10 grammes de la roche. Le grand chimiste et pharmacien français Louis-Nicolas Vauquelin (1763-1829) les dissout dans de l’acide sulfurique lors de son étude de la météorite, ainsi qu’il le relate dans le même numéro des Annales de chimie et de physique. Celui qui est, à l’époque, le titulaire de la chaire Arts chimiques du Muséum note, au cours de ce que l’on appellerait aujourd’hui une analyse destructrice, que la pierre de Langres présente de curieuses propriétés. En sont notamment absents le nickel et le fer à l’état métallique, tandis que tous les autres aérolithes renferment ces deux substances.

Avec l’œil aguerri de celui qui va régulièrement dans le désert de l’Atacama, au Chili, pour chasser les météorites, Matthieu Gounelle pointe d’autres particularités de Chassigny : Par rapport à une météorite ordinaire, la croûte est différente, la couleur est différente, la texture est différente. Elle est moins mate, un peu comme si elle avait un vernis. Quand on la découvre, ces différences ne peuvent pas encore être interprétées. Cela ne fait d’ailleurs que quelques années que la science a reconnu la nature extraterrestre des météorites. Un demi-siècle plus tôt, d’éminents chimistes français, dont le célèbre Antoine Lavoisier (1743-1794), ont en effet conclu, après analyse de l’une d’entre elles, qu’il s’agissait d’un caillou bien terrestre dont l’aspect étrange était dû à un impact de foudre.

Mais, en 1794, le physicien allemand Ernst Chladni (1756-1827) émet, dans un essai, l’idée que ces pierres proviennent de l’espace et d’autres corps que notre planète. Il s’appuie notamment sur une météorite riche en fer, découverte en Sibérie, dans une région sans la moindre sidérurgie. Ce livre va créer un gigantesque débat, raconte Matthieu Gounelle. La majorité des savants n’adhèrent pas à cette thèse pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’idée qu’une pierre puisse tomber du ciel n’a rien d’évident. Ensuite, on a les analyses chimiques de Lavoisier. Et, enfin, il faut garder à l’esprit que la plupart des témoins de chutes de météorites étaient des paysans. Dans quelle mesure des scientifiques pouvaient-ils croire les récits de personnes qui n’étaient pas scientifiques et n’avaient pas la même éducation ? C’était un obstacle épistémologique important à surmonter…

Tout bascule le 6 floréal an XI, c’est-à-dire le mardi 26 avril 1803, avec la chute de milliers de pierres à L’Aigle, dans l’Orne. L’événement a un tel retentissement que Jean-Antoine Chaptal (1756-1832), ministre de l’intérieur mais avant tout savant, mandate sur place Jean-Baptiste Biot (1774-1862). Ce jeune physicien va conduire une véritable enquête policière, recueillir tous les témoignages possibles sans aucun a priori sur l’origine sociale des personnes interrogées, dessiner la carte de répartition des pierres dispersées au sol et, bien sûr, s’intéresser aux cailloux eux-mêmes. Les fonderies, les usines, les mines des environs que j’ai visitées, écrit-il, n’ont rien dans leurs produits, ni dans leurs scories qui ait avec ces substances le moindre rapport. Il faut bien s’y résoudre : tout concorde pour affirmer sans ambiguïté que les pierres dites du ciel viennent bien du firmament.

Quand la météorite de Chassigny déboule, les esprits sont donc préparés à l’identifier comme le témoin d’un corps extraterrestre, mais il est difficile d’aller plus loin : À l’époque, il y a assez peu d’études scientifiques sur les météorites, car les outils analytiques n’étaient pas prêts, explique Matthieu Gounelle. Au XIX° siècle, on commence à en faire une classification et Chassigny est tellement différente des autres que l’on crée une classe pour elle : les chassignites. Une classe dont elle sera longtemps la seule représentante, avant la découverte de deux autres pierres dans le Sahara, en 2000 et en 2014. De plus, les chercheurs se sont aperçus que les chassignites présentaient des caractéristiques analogues à deux autres groupes de météorites, les shergottites et les nakhlites, ce qui les incitera à former la famille des SNC, dont on suppose qu’elles proviennent du même corps-parent.

Mais lequel ? L’absence de nickel et de fer métallique, mise en évidence par Vauquelin, prouve que Chassigny est issue non pas d’un petit astéroïde vestige de la formation du Système solaire, mais de ce que les astronomes appellent un corps différencié. Un objet assez imposant et chaud lors de sa naissance pour que les métaux y fondent et plongent dans ses entrailles. Très gros astéroïde ou planète ? Le mystère est résolu en 1982. Six ans auparavant, les États-Unis ont posé sur Mars leurs deux sondes Viking, qui ont procédé à de nombreuses analyses. En 1982, un Américain de la NASA, Don Bogard, étudie une SNC et réussit à isoler du gaz qu’elle contient, relate Matthieu Gounelle. Il a l’idée de le comparer à l’atmosphère martienne, connue grâce aux données Viking. Et ça s’aligne parfaitement.

Mars est donc le corps-parent de la météorite de Chassigny. Mais comment diable un caillou martien a-t-il pu voyager jusqu’en Haute-Marne ? Il a été expulsé à la suite d’une collision avec un astéroïde, répond Matthieu Gounelle. Il a spiralé dans l’espace pendant une dizaine de millions d’années, dérivant vers le Soleil. À un moment, il a croisé l’orbite de la Terre. Celle-ci aurait pu se trouver sur un autre point de sa trajectoire, mais, le 3 octobre 1815, elle était au rendez-vous.

Au nombre de 304, les météorites martiennes sont particulièrement rares et intéressantes, car, même si plusieurs engins scientifiques ont travaillé et travaillent encore sur Mars, leurs instruments miniaturisés ne peuvent avoir la puissance ni la précision des laboratoires terrestres. L’étude des météorites constitue donc un complément indispensable pour ceux qui veulent comprendre l’évolution géologique de Mars. Beaucoup de gens demandent à mener des analyses sur Chassigny, assure Matthieu Gounelle. C’est un comité auquel je participe qui rend les arbitrages. Nous voulons que la science avance, mais nous avons aussi un rôle de conservateurs. 

Au cours des cinq dernières années, seulement 650 milligrammes ont été donnés. À ceux qui lui disent que cette extrême parcimonie n’a pas grand sens puisque, dans dix ans, des échantillons seront rapportés de Mars, Matthieu Gounelle reste prudent, rappelant que cette mission, extrêmement chère et complexe, n’est pas faite : Pour l’instant, les seules choses qui ont redécollé de Mars, ce sont les météorites ! Le chercheur du Muséum, en nous présentant Chassigny, avait affirmé qu’elle n’avait pas de prix … tout en sachant parfaitement qu’il existe un marché pour les météorites martiennes. Cinq cents euros le gramme, soit dix fois le prix de l’or.

Pierre Barthélémy. Le Monde du 28 07 2021

Météorite de Chassigny | MNHN

205 gr. MNHN : Musée National d’Histoire Naturelle

8 10 1815   

Les hommes de 1815 n’étaient pas les mêmes que ceux de 1792. Les généraux craignaient tout. J’aurais eu besoin d’un commandant de la garde ; si j’avais eu à sa tête Bessières ou Lannes, je n’aurais pas été vaincu. Soult n’avait pas un bon état-major.

27 11 1815  

Mon seul code, par sa simplicité, a fait plus de bien en France  que la masse de toutes les lois qui l’ont précédé. Mes écoles préparent des générations inconnues. Aussi, sous mon règne, les crimes allèrent-ils en décroissant avec rapidité, tandis que chez nos voisins, en Angleterre, ils allaient, au contraire, croissant d’une manière effrayante. Et c’en est assez, il me semble, pour pouvoir prononcer hardiment sur les deux administrations respectives.

Napoléon. Vie de Napoléon par lui-même. Compilation d’André Malraux. Gallimard 1930

12 1815   

L’Angleterre propose aux États-Unis de reconnaître leurs frontières de 1783, c’est-à-dire antérieures à l’achat de la Louisiane à la France. Les États-Unis, qui n’ont plus d’argent en caisse, acceptent, mais sortent surtout renforcées sur le plan international, comme étant le pays qui a résisté aux vainqueurs de Napoléon.

1815  

Deuxième siège de Belfort, qui ne se rend toujours pas.

Les guerres de la République et de l’Empire auront tué 1 300 000 soldats, 500 000 pendant la période révolutionnaire et 800 000 sous Bonaparte/Napoléon. Et pourtant la population française sera passée de 1789 à 1815 de 25 à 30 millions d’habitants.

J’eus un jour le malheur de confier mon projet de voyage sur les traces de la Grande Armée à une journaliste un tiers-mondiste, deux-tiers mondaine qui ne trouva rien de mieux que de commenter : Napoléon ? La Berezina ? Tout cela n’est pas très glorieux : Vraiment ? Pas de gloire chez les pontonniers de la Berezina qui acceptèrent la mort pour que passent leurs camarades ; chez Éblé, le général aux cheveux gris, qui, sous la canonnade, traversa plusieurs fois le pont pour rendre compte à l’Empereur de l’avancée du sauvetage et mourut d’épuisement quelques jours plus tard ? Pas de gloire chez Larrey, le chirurgien en chef qui fit d’innombrables allers-retours d’une rive à l’autre pour sauver son matériel opératoire, chez Bourgogne qui donna sa peau d’ours à un soldat grelottant, chez ces hommes du Génie qui jetaient des cordes aux malheureux tombés à l’eau, chez ces femmes dont Bourgogne écrit qu‘elles faisaient honte à certains hommes, supportant avec un courage admirable toutes les peines et les privations auxquelles elles étaient assujetties ? Et chez cet Empereur qui sauva quarante mille de ses hommes et dont les Russes juraient trois jours auparavant qu’il n’avait pas une chance sur un million de leur échapper ? Qu’est-ce que la gloire pour vous, madame, sinon la conjuration de l’horreur par les hauts faits ?

[…] Je pensais à ces corps humains dont la masse indistincte constituait un corps d’armée. Ces garçons bien vivants, ces chevaux écumants étaient immolés par poignées sur le geste d’un général qui commandait un mouvement à ses troupes. D’un point de vue tactique, les soldats étaient les pièces anonymes d’un dispositif. Ils n’avaient pas de valeur individuelle. Ils n’étaient pas considérés comme des êtres différenciés. Pas plus qu’une goutte d’eau n’est prise en compte lorsqu’on évoque un bras de rivière. Une troupe est une catégorie abstraite dans l’esprit de celui qui l’envoie au feu. Elle ne correspond pas à l’addition de soldats aux noms et aux visages distincts. Elle est une masse sans visage de laquelle sont soustraits quelques milliers d’éléments au soir de la bataille, à l’heure des comptes.

Vue de la colline ou de l’éminence sur laquelle se tenait l’état-major, à quoi ressemblait une bataille ? Les tableaux du XIX° siècle nous en donnaient une idée : à une mêlée, à la fusion de coulées de lave dont on ne distingue pas les particules, c’est-à-dire les hommes. Une bataille napoléonienne avait quelque chose de fluide. Les troupes étaient des langues visqueuses qui rampaient les unes vers les autres, se mêlaient ou se repoussaient à la manière du mascaret.

Napoléon cessa-t-il une fois, dans son existence, de considérer les pertes humaines du seul point de vue de la statistique ? Daigna-t-il une fois abandonner la lorgnette du stratège pour concevoir que les morts sur le terrain ne se réduisaient pas à une expression ? Sut-il que, derrière ces mots, se tramaient des événements particuliers, des faits humains ? Se plaça-t-il un jour du côté de la tragédie ? Ses nuits furent-elles troublées par la vision d’un seul de ces cadavres ? Souffrit-il, dans le silence de la nuit, d’avoir ouvert les portes de la guerre et précipité des nations entières dans le gouffre ? Fut-il tourmenté par les fantômes ?

[…] L’Empereur avait réussi une entreprise de propagande exceptionnelle. Il avait imposé son rêve par le verbe. Sa vision s’était incarnée. La France, l’Empire et lui-même étaient devenus l’objet d’un désir, d’un fantasme. Il avait réussi à étourdir les hommes, à les enthousiasmer, puis à les associer tous à son projet : du plus modeste des conscrits au mieux né des aristocrates.

Il avait raconté quelque chose aux hommes et les hommes avaient eu envie d’entendre une fable, de la croire réalisable. Les hommes sont prêts à tout pour peu qu’on les exalte et que le conteur ait du talent.

Le petit Corse avait utilisé toutes les techniques de la publicité. Il avait mis en scène son sacre, embrassé un héritage sans procéder à l’inventaire, imaginé une nouvelle esthétique. Il avait distribué de nouveaux titres, réécrit les pedigrees, inventé des récompenses. Sous ses mains de marionnettiste, une nouvelle cour s’était mise en place. Le système reposait sur le mérite : tout le monde pouvait décrocher la timbale et postuler aux charges suprêmes. Vous étiez commis charcutier ? Vous pouviez finir maréchal ! Il n’était plus nécessaire d’être bien né, il suffisait d’être ardent ! Il avait produit des slogans. Ses répliques s’étaient imprimées dans l’inconscient collectif. Sa correspondance et ses bulletins avaient fait office de communiqués pour les affaires immédiates et d’archives pour la postérité. À la bataille, il avait bousculé les vieilles règles. Il avait érigé l’opportunisme en art de la guerre. Ses faits d’armes étaient des coups de théâtre. Il avait affolé les polémologues, se fiant à son étoile, en malmenant les théories. Nimbé de ses victoires, il avait composé une géographie de la gloire. Austerlitz, Wagram, Iéna réchauffaient les cœurs, enflammaient les esprits. Dans l’architecture de la légende, il n’avait rien négligé : avec son Code, il avait même doté l’Empire d’un petit livre rouge !

Sylvain Tesson. Berezina. Éditions Guérin. Chamonix 2016

Début de la fabrication industrielle de la faux.

Zwangendaba Koumalo, de la tribu des Ndandwé, appartenant au peuple des Ngoni, ou encore Zoulou, du sud de l’Afrique, de son nom de chef Chaka, transforme complètement l’organisation sociale de son clan d’adoption et de son clan d’origine en les militarisant, assimilant de force les autres, avec massacres et transferts de population. Les Rozwi, peuple paisible du Zimbabwe, riche de son or, fut au nombre des razziés vers 1833 et ne s’en relèvera pas. Ces conquêtes à marche forcée cesseront en 1838, quand il sera assassiné par l’un des siens.

William Smith, géologue anglais, a arpenté la Grande Bretagne pendant une douzaine d’année, du sud au nord, d’est en ouest : il présente à Londres The Great Map, qui est la première carte géologique au monde ; un nuancier de couleurs y expose la diversité des richesses minières recensées. Elle va être, parmi d’autres raisons bien sur, à l’origine de la révolution industrielle de la Grande Bretagne en lui fournissant une très confortable avance sur les autres nations.

7 02 1816   

Nouvelle de la mort de Murat à Pizzo. Les Calabrais ont été plus humains, plus généreux que ceux qui m’ont envoyé ici !

8 02 1816  

Il était dans la destinée de Murat de nous faire du mal. Je l’eusse amené à Waterloo. Mais l’armée française était tellement patriotique, si morale, qu’il est douteux qu’elle eut voulu supporter le dégoût et l’horreur qu’avait inspiré celui qu’elle disait avoir trahi, perdu la France [cf. 8 01 1814]. Je ne me crus pas assez puissant pour l’y maintenir, et pourtant il nous eût valu peut-être la victoire ; car que nous fallut-il dans certains moments de la journée ? Enfoncer trois ou quatre carrés anglais : or Murat était admirable pour une telle besogne ; il était précisément l’homme de la chose ; jamais à la tête d’une cavalerie, on ne vit quelqu’un de plus déterminé, de plus brave, d’aussi brillant.

17 02 1816

René Laennec élève de Corvisart, traverse la cour du Louvre en travaux et donc encombrée de matériaux : il s’attarde à regarder deux enfants jouer, chacun à l’extrémité d’une poutre : l’un tapote une face tandis que l’autre colle son oreille sur l’autre face et entend distinctement les sons. Quelques jours plus tard … une jeune personne qui présentait des symptômes généraux de maladie du cœur, et chez laquelle l’application de la main et la percussion donnaient peu de résultat à raison de l’embonpoint, Laennec se souvient des deux enfants, prend un cahier, l’enroule et pose le cylindre ainsi formé sur la poitrine de la patiente… Je fus aussi surpris que satisfait d’entendre les battements du cœur d’une manière beaucoup plus nette et plus distincte que je ne l’avais fait par l’application immédiate de l’oreille. Le stéthoscope était né et avec lui la médecine anatomo-clinique.

3 03 1816 

Ont-ils eu bien peur de mon invasion d’Angleterre ? Quelle fut alors l’opinion générale à ce sujet ? Eh bien ! vous avez pu en rire à Paris, mais Pitt n’en riait pas dans Londres. Jamais l’oligarchie anglaise ne courut de plus grand péril.

Je m’étais ménagé la possibilité du débarquement, je possédais la meilleure armée qui fut jamais, celle d’Austerlitz. C’est tout dire. Quatre jours m’eussent suffi pour me trouver dans Londres ; je n’y serais point entré en conquérant, mais en libérateur. J’aurais renouvelé Guillaume III, mais avec plus de générosité et de désintéressement. La discipline de mon armée eût été parfaite, elle se fût conduite dans Londres comme si elle eût été encore dans Paris : et je serais parti de là pour opérer, du midi au nord, sous les couleurs républicaines, la régénération européenne, que plus tard j’ai été sur le point d’opérer du nord au midi, sous les formes monarchiques. Les obstacles qui m’ont fait échouer ne sont point venus des hommes, ils sont tous venus des éléments : dans le midi, c’est la mer qui m’a perdu ; et c’est l’incendie de Moscou, les glaces de l’hiver, qui m’ont perdu dans le nord ; ainsi l’eau, l’air et le feu, toute la nature et rien que la nature, voilà quels ont été les ennemis d’une régénération universelle, commandée par la nature même !… Les problèmes de la Providence sont insolubles ! ! !

Napoléon. Vie de Napoléon par lui-même. Compilation d’André Malraux. Gallimard 1930

29 03 1816                    

L’Élise, le premier bateau à roues à aube et à vapeur parade à Paris après avoir traversé par vilain temps la Manche de Newhaven au Havre. Pour le coup, notre gloire nationale, suivra exactement ses contemporains dans leur sottise : Une chose qui fumait et clapotait sur la Seine avec le bruit d’un chien qui nage allait et venait sous les fenêtres des Tuileries, du Pont Royal au pont Louis XV ; c’était une mécanique bonne à pas grand ’chose, une espèce de joujou, une rêverie d’inventeur songe-creux, une utopie : un bateau à vapeur.

Victor Hugo. Les Misérables. En l’année 1817

11 04 1816

Le visage de Talleyrand est tellement impassible qu’on ne saurait jamais y rien lire; aussi Lannes et Murât disaient-ils plaisamment de lui que si, en vous parlant, son derrière venait de recevoir un coup de pied, sa figure ne vous en dirait rien. L’intrigue était aussi nécessaire à Fouché que la nourriture : il intriguait en tout temps, en tous lieux, de toutes manières et avec tous. Toujours dans les souliers de tout le monde.

28 04 1816 

Je fis une grande faute après Wagram, celle de ne pas abattre l’Autriche davantage. Elle demeurait trop forte pour notre sûreté : c’est elle qui nous a perdus. L’Autriche était devenue ma famille ; et pourtant ce mariage m’a perdu. J’ai posé le pied sur un abîme recouvert de fleurs !

1 05 1816 

Après tout, ils auront beau retrancher, supprimer, mutiler, il leur sera difficile de me faire disparaître tout à fait. Un historien français sera pourtant bien obligé d’aborder l’empire ; et, s’il a du cœur, il faudra bien qu’il me restitue quelque chose.

J’ai refermé le gouffre anarchique et débrouillé le chaos. J’ai dessouillé la Révolution, ennobli les peuples et raffermi les Rois. J’ai excité toutes les émulations, récompensé tous les mérites, et reculé les limites de la gloire ! Tout cela est bien quelques chose !

Napoléon. Vie de Napoléon par lui-même. Compilation d’André Malraux. Gallimard 1930

4 05 1816

Tentative de soulèvement bonapartiste à Grenoble, à l’initiative du paysan Jean Paul Didier : trente conjurés seront exécutés.

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[1] À Rome, le sirocco était une circonstance atténuante dans les procès criminels. Il en allait de même en Avignon, avec le mistral, et encore dans le Valais suisse, avec le fœhn.