1872 à 1875. La revanche. L’Opéra Garnier. Brazza. Payer. 27067
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Publié par (l.peltier) le 7 octobre 2008 En savoir plus

2 02 1872 

Henry Dupuy de Lôme effectue le premier vol d’un dirigeable français à hélice.

02 1872 

Émile Boutmy ouvre l’Ecole libre des Sciences politiques, alias Science Po. Il y a en France un enseignement organisé pour le médecin, pour l’avocat, pour l’ingénieur, pour le militaire, etc. Il n’y en a pas pour l’homme politique

Emile Boutmy, juillet  1871

En 1866, à Sadowa, Taine et Renan estimaient que c’était l’université prussienne qui avait vaincu l’Autriche. Pour Boutmy, c’était encore l’université prussienne qui a vaincu à Sedan. Les sciences dites camérales s’étaient développées en Allemagne, dans le but de former les conseillers des princes. L’inspiration de Boutmy vient de là. Il veut donner une culture générale désintéressée aux élites, leur apprendre à penser.

Emmanuel Dreyfus

Fort de ces appuis, Emile Boutmy lance une première campagne de levée de fonds et parvient à réunir, auprès de 183  actionnaires, la somme nécessaire pour faire fonctionner l’établissement pendant quatre ou cinq ans. Ce succès témoigne de la puissance de conviction du jeune homme, mais aussi d’un sens certain de l’œcuménisme. L’équilibre des donateurs est soigneusement dosé, qui mêle des orléanistes, des républicains modérés, des bourgeois protestants, des représentants de l’action sociale et des catholiques proches des idées de Frédéric Le Play ou Albert de Mun… En somme, des modérés de tous bords, parmi lesquels on trouve des négociants, des banquiers, des hauts fonctionnaires ou encore la Société de législation comparée, dont sont membres Léon Gambetta ou Jules Ferry.

Les premiers enseignements sont délivrés en face de l’église Saint-Germain-des-Prés, dans les locaux de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. Sciences Po propose des conférences plutôt que des cours magistraux comme à l’université, et met déjà l’accent sur le dialogue entre professeurs et élèves, sur le modèle du Seminär allemand de l’époque. Mais l’école peine à décoller : les étudiants hésitent à investir dans des enseignements complémentaires à leurs études en faculté, et qui semblent ne déboucher sur aucun métier précis. L’école des débuts tient plus du club. Elle en a d’ailleurs les attributs – un vestiaire pour poser son chapeau et son manteau, des salons où l’on se rend en habit de ville. C’est un lieu d’abord fréquenté par quelques dizaines d’intellectuels déjà formés.

Émile Boutmy, entrepreneur avisé sous ses airs de poète maudit, change son fusil d’épaule. Il faut une utilité à Sciences  Po ? Ce sera d’assurer la meilleure préparation aux grands corps de l’État, qui renoncent les uns après les autres à la cooptation pour adopter des modes de sélection méritocratiques : les concours se multiplient, pour rejoindre le Quai d’Orsay, l’inspection des finances, le Conseil d’État, la Cour des comptes… 

Emile Boutmy démarche les chefs des grands corps, qui désignent les jeunes lauréats des concours. Les conférences de méthode sont créées, avec un aîné qui incite les autres à travailler et qui les entraîne, leur apprend à faire des fiches… Ainsi, c’est le concours qui crée la révolution pédagogique.  

Emmanuel Dreyfus

Asile préféré des fils de notables, l’École des sciences politiques peuplait de ses élèves les ambassades, la Cour des comptes, le Conseil d’État, l’inspection des finances… Quel tollé quand, par l’établissement d’une École d’administration, un ministre du Front populaire prétendit battre en brèche le monopole de Sciences Po !

[…] Une démocratie tombe en faiblesse, pour le plus grand mal des intérêts communs, si ces hauts fonctionnaires formés à la mépriser et, par nécessité de fortune, issus des classes mêmes dont elle a prétendu abolir l’empire, ne la servent qu’à contrecœur.

Marc Bloch. L’Étrange Défaite. 1940.

À la Libération, Sciences Po est nationalisée, mais l’État lui concède une large autonomie. Elle reste la meilleure préparation à la toute nouvelle École nationale d’administration, créée en  1945. Et l’école par laquelle la majorité des présidents et premiers ministres de la V°  République sont passés : Emmanuel Macron, comme son prédécesseur, François Hollande, y ont à la fois étudié et enseigné.

Adrien de Tricornot. Le Monde août 2017

La culture technocratique parisienne est nourrie d’une dose inouïe de mépris pour le reste du pays.

Alexandre Jardin. Le Midi Libre du 12 03 2017

1 03 1872

Aux États-Unis, le président Ulysses Grant S. crée le parc de Yellowstone, sur 898 300 ha. – plus que la Corse -; c’est une première mondiale.

2 05 1872

Suède : Oscar II succède à Charles XV ; pendant la guerre de Crimée, il avait obtenu des Russes la démilitarisation des îles Åland. Premier pipe line de 40 km aux États-Unis.

3 05 1872 

Premier convoi de déportés de la Commune pour la Nouvelle Calédonie.

17 06 1872

À Boston, dans le quartier Back Bay début du World’s Peace Jubilee and International Musical Festival pour célébrer la fin du la guerre franco-prussienne et cela va durer 18 jours. On pourra y voir Johann Strauss diriger le Beau Danube Bleu devant 100 000 personnes !

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06 1872 

Une pétition en faveur de l’école laïque recueille 12 millions de signatures.

2 07 1872

Monseigneur Lavigerie consacre Notre Dame d’Afrique, la basilique d’Alger construite par Fromageau : sur le mur de l’abside on peut lire en arabe, en berbère et en français : Notre Dame d’Afrique, priez-pour nous et pour les musulmans. Il conseille fermement  les Jésuites qu’il envoie en Kabylie : Ce n’est pas le moment de convertir, c’est le moment de gagner le cœur et la confiance des Kabyles par la charité. Vous ne devez pas viser à autre chose. Tout ce que vous ferez en dehors perdra l’œuvre.

5 10 1872  

Bakounine a été torpillé par Marx qui est parvenu à le faire exclure des instances dirigeantes de l’Internationale. Bien évidemment la pilule a du mal à passer : Prétendre qu’un groupe d’individus, même les plus intelligents et les mieux intentionnés, sera capable de devenir la pensée, l’âme, la volonté dirigeante et unificatrice du mouvement révolutionnaire et de l’organisation économique du prolétariat de tous les pays, c’est une telle hérésie contre le sens commun et contre l’expérience historique qu’on se demande avec étonnement comment un homme aussi intelligent que Marx a pu la concevoir.

Bakounine. La Liberté de Bruxelles

15 10 1872

Au large d’Etah, le cap le plus occidental du Groenland, par 78°N, un peu au nord de Thulé, le Polaris, navire de la première expédition américaine au pôle est quasiment perdu pour la navigation. En juin 1872, une tentative a été faite pour atteindre le pôle, en vain. Ancré à la banquise, il est entraîné par une violente tempête vers le nord-est, laissant 19 personnes sur la glace dérivante. Le capitaine Budington parviendra à mener tant bien que mal son navire jusqu’à la baie du Life Boat Cove (Qeqertarac), le 20 octobre, près le l’île Littleton. Les seize hommes restés à bord hivernent à terre. Huit mois plus tard, ils seront sauvés par le baleinier Ravenscraig, à 25 milles au sud-ouest du cap York, 76°N où ils avaient pu se rendre par leurs propres moyens. Les 19 autres, Américains, Allemands et 4 Esquimaux, laissés sur un bout de banquise de 6 km de circonférence dériveront vers le sud pendant 5 mois, sur 1 300 milles, lequel bout de banquise ira en se fracturant en lambeaux : ils resteront en vie grâce à la grande connaissance de ce milieu hostile des quatre Esquimaux, – manger pendant cinq mois lorsqu’on a rien prévu au départ, c’est bien un fabuleux exploit  ! – et seront sauvés par le baleinier Tigress le 30 avril 1873 au large du Labrador et au nord de Terre Neuve, par 53°N.

Un an plus tôt, le 8 novembre 1871, la mort très brutale et donc suspecte – juste après avoir pris une tasse de café – du chef d’expédition Hall, par 83°05′ N, laisse planer le soupçon d’empoisonnement, par un – ou plusieurs – membre de l’équipage. Quand on mesure le poids de la qualité des relations humaines dans une expédition de ce genre, il n’est guère étonnant que tout cela ait mené à la catastrophe et les naufragés qui ont dérivé vers le sud ne doivent leur vie qu’aux Esquimaux.

3 12 1872  

George Smith, 32 ans, assistant du British Museum, parle devant les membres de la Société d’archéologie biblique, en présence du Premier ministre William E. Gladstone : il donne lecture d’une tablette, onzième d’une série de 12, exhumée quinze ans plus tôt des ruines d’un palais du nord irakien, où il est question d’un déluge, en tous points semblables à celui de la bible. Le héros en serait un roi du nom de Gilgamesh. Le grand orientaliste Henry Rawlison couvre le jeune homme de son autorité. L’affaire fait grand bruit : l’Ancien Testament devient ainsi, partiellement mais incontestablement, un remake de mythes plus anciens, dont les racines sont en Mésopotamie, entre le Tigre et l’Euphrate.

Jusqu’au XIX° siècle, la tentation est forte de voir dans la Bible un savoir d’autant plus total qu’il est présumé inspiré par Dieu lui-même. On pensait que l’histoire était inscrite dans la Bible ; il fallait désormais inscrire la Bible dans l’histoire.

Jean-Marie Durand, collège de France

5 12 1872      

Au large des côtes du Portugal le Dei Gratia, capitaine David Reed Morehouse, se détourne de son cap pour aller à la rencontre d’un autre navire dont la navigation paraît quelque peu erratique : une fois à portée de voix, il l’interroge : pas de réponse. C’est le Mary Celeste, un brick de 2 mâts, qui a pris un chargement d’alcool industriel dénaturé à New-York. Benjamin Spooner Briggs, le capitaine, est un sévère puritain anglais de 37 ans, copropriétaire du bateau ; il voyageait avec sa femme et sa petite fille et il y avait sept hommes d’équipage. Il n’y aucun homme à bord, les voiles sont carguées et on ne décèle aucun signe d’un accident majeur, juste quelques anomalies qui pourraient être les débuts d’une explication : un désordre certain dans la cabine du capitaine, une entaille dans la coque du navire au-dessus de la ligne de flottaison, des traces d’eau de mer dans quelques cabines, les instruments de navigation et l’unique canot disparus : c’est tout. Rien qui puisse guider sur une piste précise : le mystère ne sera jamais élucidé, malgré le nombre de Sherlock Holmes qui se penchèrent sur la question. En tant que découvreur d’épaves en mer, les sauveteurs du Dei Gratia toucheront 7 700 $ – à peu près 120 000 $ actuels -, un sixième de la valeur assurée. Il faut dire que, dès sa naissance le bateau avait eu la poisse : construit en 1860 en Nouvelle-Ecosse, sous le nom d’Amazon, dès les premiers milles, il semble maudit : son premier capitaine meurt immédiatement, puis il enchaîne les propriétaires qui font faillite les uns après les autres. Rapatrié à Boston par ses propriétaires, le Mary Celeste n’en a pas fini avec la poisse : le père de l’un des propriétaires se noie alors qu’il est à bord. Du coup, il est vendu. Au cours des treize années suivantes, il change dix-sept fois de mains. Le dernier propriétaire est un  capitaine Parker, escroc à l’assurance. Le 3 janvier 1885, il jette délibérément le navire sur des récifs près d’Haïti et tente de mettre le feu à l’épave, sans y parvenir. Quel fichu karma !

Et le phénomène n’avait rien d’exceptionnel : les commissions parlementaires d’enquêtes sur les naufrages avancent le chiffre de neuf cent épaves dérivant en Atlantique nord entre 1870 et 1900 ! Comme partout, certains passeront à la postérité, dont le Flying Dutchmann, les autres sombreront dans une seconde fosse, celle de l’oubli.

21 12 1872 

Les Écossais Charles Wyville Thompson, W. B. Carpenter, John Murray  et trois autres chercheurs entreprennent la première campagne d’océanographie, à bord du Challenger, une goélette de 69 mètres adaptée aux travaux prévus, commandée par George S Nares. L’expédition avait pu être financée par le gouvernement britannique dès avril 1872 car celui-ci mesurait l’importance d’une connaissance physique des fonds marins pour la pose des cables télégraphiques sous-marins, une des grandes affaires de l’époque. Challenger est à propulsion mixte : voile/vapeur, compte 23 officiers et 243 membres d’équipage. Ils vont parcourir 69 000 miles dans l’Atlantique, le Pacifique, l’océan austral, indien, pendant quatre ans, jusqu’en mai 1876. La mission poursuit deux objectifs principaux : recenser la distribution des animaux pélagiques (vivant sur le plateau continental et les fonds plats à l’exclusion des grandes fosses) et dresser la carte des courants dans les océans. Le consensus en vigueur à l’époque voulait que la vie soit impossible au-delà de 600 mètres, le naturaliste écossais Edward Forbes ayant constaté en mer Égée que les organismes s’y raréfiaient progressivement avant de disparaître totalement à cette profondeur. Les hommes du Challenger  parvinrent à sonder jusqu’à 8 000 mètres, au large des îles Mariannes, ne pouvant descendre plus bas car le fil vint à manquer : l’endroit – 11°24’N et 143°16’E – sera baptisé plus tard Challenger Deep, la fosse dont Jacques Piccard et Don Walsh atteindront quasiment le fond en 1960. Ils s’étaient fait accompagner de Robert, un perroquet dressé à répéter : Quoi, 2 000 brasses et pas de fond ! 

Thompson mourra six ans après le retour : ce n’était pas assez pour dépouiller l’ensemble des données et des végétaux/animaux rapportés : c’est John Murray qui assurera la fin de ce travail, en assurant la publication des cinquante volumes de compte rendu de la mission, 29 552 pages, plus de 3 000 illustrations, publiés de 1885 à 1895. Ils parviendront à ramener des poissons de 5 000 mètres de profondeur. Ce sont les pères de l’océanographie moderne. Murray se contentera toujours de dire de cette œuvre qu’elle était le procès verbal d’un travail continu et diligent, dans lequel il n’y avait aucune place pour des exploits éclatants.

Ils feront escale en 1873 sur les îles Tristan da Cunha, à mi-chemin entre la Terre de Feu et le Cap de Bonne Espérance : l’île principale était alors peuplée de 84 habitants. L’archipel avait été découvert au début du XVI° siècle par les Portugais. Des phoquiers y firent un séjour un peu prolongé en 1790. De 1812 à 1815, les États-Unis s’en servirent comme base pour harceler les navires anglais. En 1815, les Anglais se l’approprièrent, y installant une petite garnison à demeure… histoire d’empêcher des partisans de Napoléon de lancer un raid corsaire pour le libérer de Sainte Hélène, tout de même à plus de 2 500 km au nord-est ! La garnison s’en alla, quelques uns restèrent, faisant  venir en 1826 cinq femmes de Sainte Hélène et ce petit monde prospéra, ne jugeant pas utile de se doter d’institutions politiques écrites, vivant frugalement de leurs maigres ressources, sous la houlette d’un (forcément) bon pasteur. La goélette Henry B. Paul fit un jour débarquer malencontreusement ses rats, qui se mirent à tout dévorer et la population faillit mourir de faim.

J’en suis au fascicule n° 389 des Instructions nautiques, page 235, quand la volonté du rédacteur, semblable à ces courants extraordinairement doués de volonté surhumaine qu’on trouve chez Jules Verne, me fait remonter des solitudes de l’Atlantique Sud et, à trois mille kilomètres des côtes, à trois mille kilomètres de toute côte, devrais-je dire, me plante devant Tristan da Cunha. Ça, mes amis, chapeau bas : c’est de la pierre ! C’est de la pierre et c’est exactement de la pierre de cette sorte que rêverait le nageur perdu au large de tout s’il avait le loisir de rêver.

Des falaises tranchantes comme des couteaux, noires comme de la suie, émergent brusquement de fonds de 4 500 mètres et montent d’un seul élan jusqu’à 3 000 mètres dans le ciel. Imaginez la surprise ! Solitude totale sur plusieurs milliers de kilomètres, tout autour ; pas la plus petite parcelle de terre ferme ; pas gros comme l’ongle du petit doigt. Rien où l’homme puisse s’accrocher, sauf les bateaux. Des fonds à pic tout autour de l’île (sauf sur un point où se trouve une toute petite grève ; notre nageur pourrait aborder), à pic, et à pic sur plusieurs milliers de mètres, des abîmes grouillants de monstres extraordinaires. C’est dans cette profondeur que gîte le Squid, ce calmar géant dont les cachalots se nourrissent. On a trouvé dans l’estomac de certains cachalots des lambeaux de squid portant des ventouses larges comme des couvercles de barriques, ce qui laisse présumer que ce mignon céphalopode avait des tentacules de la grosseur d’un autobus et de plus de cent mètres de long. On juge des borborygmes nocturnes d’un océan hanté par de tels monstres, même quand le vent est tombé.

C’est donc à une île parfaite que nous avons affaire. Et la vigueur avec laquelle elle surgit des fonds de la mer en fait une manifestation précieuse de ce que peut être la pierre quand elle se mêle d’apparaître avec grandeur. À l’île de Pâques, il y avait évidemment les statues qui posaient des énigmes en rapport avec l’homme. Il y avait ces chemins pavés de grandes dalles et descendant sous la mer. Ici, la roche, d’une fierté sans égale, ne s’est laissée sculpter que par le vent. Selon que, de cinq à six milles en mer on la regarde du nord, du sud, de l’est, de l’ouest, par temps clair ou sous les rideaux de la pluie, elle a le visage de votre peine, de vos malheurs, de vos soucis, de vos espoirs, de vos rêves. Des corvettes anglaises y ont vu Napoléon. Sainte-Hélène est à quatre mille kilomètres nord-est.

On trouvera peut-être que je parle de pierres étranges, mais toutes les pierres sont étranges par leur inertie, et dès qu’on les imagine douées d’une volonté qui a besoin de siècles (ou de cataclysmes) pour s’exprimer. Il a bien fallu que Tristan da Cunha sorte de la mer et jaillisse puisque de simples Instructions nautiques (qui sont le livre le plus sérieux du monde) suffisent actuellement à nous mettre en présence de ce jaillissement. Il a bien fallu qu’à un moment donné un bourgeon s’ouvre au fond de la mer et que la pointe de Tristan da Cunha sorte de ce bourgeon.

L’île s’est-elle élevée peu à peu à travers les eaux, ou brusquement ? Et si c’est peu à peu, d’un mouvement qu’il faudrait des siècles de patience pour surprendre, peut-être est-elle toujours en train de surgir, peut-être dans cent milliards d’années y aura-t-il à cet endroit une colonne dantesque sur laquelle reposeront les jardins du ciel ? Et si c’est brusquement, imaginons alors la spectaculaire entrée de théâtre de la pierre au milieu des océans. Dans les deux cas, nous ne sommes pas très loin de notre nageur perdu au large de l’éternité.

Jean Giono. Le Déserteur. La Pierre  Gallimard 1973

On nous apportait de temps à autre d’étranges et merveilleuses choses vivantes, qui nous donnaient un aperçu d’un monde inconnu.

[…] J’éprouvai la conviction profonde que la terre promise du naturaliste, la seule région à receler encore des nouveautés infinies d’un intérêt extraordinaire, c’était le fond des océans, les abysses.

Sir Charles Wyville Thomson 1872

L’entre deux eaux, c’est vraiment, pour un primate, un peu inquiétant : tant d’eau, tant de nuit, et dans toutes les directions… Le fond, ça rassure, même s’il est à 4 000 mètres sous la surface.

Théodore Monod 1945

Celui qui a réellement vu cet univers en gardera une vision à jamais présente à sa mémoire, à cause de cet isolement, de ce froid cosmique, de cette obscurité éternelle – et surtout à cause de l’indescriptible beauté des habitants de ces lieux -.

William Beebe 1935

Ici la mer ne produit plus de nourriture par elle-même : la seule alimentation, ce sont les miettes qui tombent de la table du riche, le riche qui vit dans la zone de photosynthèse, où le soleil, source de toute  vie, pénètre encore.

Robert S. Dietz 1961

Cet environnement secret et lointain des profondeurs marines éclipse par la taille tous les autres habitats terrestres. C’est le réservoir ultime d’où toute vie tire sa subsistance.

Robert D. Ballard 2000

HMS Challenger: How a 150-year-old expedition still influences ...

Le Challenger était un ancien navire de guerre de la Navy

K07 HMS 'Challenger', Royal Navy, Portsmouth, Hampshire | Flickr

1872

Le Français André De Bisschop crée un moteur à gaz à combustion interne sans compression. 40 % de la population active est agricole, 26 % dans le secteur secondaire (49 % en Angleterre). Guerlain créé le tube de rouge à lèvres, amélioré par Maurice Levy en 1915, avec le système tournant et coulissant. C’est le contenant qui est nouveau, car pour ce qui est du contenu, pensez-bien que les femmes n’ont pas attendu Guerlain pour s’en occuper, à base de henné, de cochenilles écrasées, ceci pour l’Égypte, de pierres colorées broyées mélangées à de la cire d’abeille, cela pour la Mésopotamie. Chez nous, la base était souvent de la graisse de baleine, aujourd’hui de l’huile de foie de morue etc…

Il s’en est fallu d’une voix pour que la monarchie, parlementaire ou constitutionnelle, ne soit restaurée. L’Internationale, en congrès à La Haye, se rallie à la politique : Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes.

9 01 1873 

Mort de Napoléon III à Chislehurst, dans le Kent.

7 02 1873  

Espagne : dissolution de l’armée de Catalogne. Amédée abdique quatre jours plus tard, cède la place à la république, dont les partisans retrouvent la majorité aux Cortes.

20 05 1873

Jacob Davis, américain originaire de Lettonie, installé à Reno, dans le Nevada, obtient, en association avec le marchand de tissus Levi-Strauss, installé à San Francisco le brevet n° 139 121 pour les jeans avec rivet. À l’époque des croisades, une toile faite de coton et de lin est tissée en Italie du Nord, près de Turin. Très résistante, elle sert à la fois à fabriquer les voiles des bateaux et les vêtements des marins. Les Génois l’adoptent et bientôt l’exportent jusque dans le nord de l’Europe : à Londres on la surnomme Jean ou Jeanne …. qui vient de Gênes. L’invention fait fureur chez les coupeurs de bois et chercheurs d’or : au rebut les vielles et inconfortables salopettes. Et vive ces nouveautés qui fleurent bien l’international : cette toile de bâche va se nommer denime, fabriqué à Manchester pour la texture et Gênes d’où était exporté ce coton sergé [1], devenu jean. Dans un premier temps le bleu provient de la fleur de guède, ou pastel des teinturiers. Plus tard, il viendra de l’indigo : l’indigotier est un arbuste des pays chauds. La success story se poursuivra pendant un bon siècle, après quoi la concurrence élargira le créneau en se diversifiant ; le goût du confort fera adopter les pantalons de jogging ou de yoga, et autres tissus incluant élasthanne… mais dernier avatar de la mode : on se mettra à vendre des jean avec des trous, situés de préférence aux environs du genou … gros succès

05 1873

Quand une grande plume se met à entretenir le souvenir de la patrie perdue [2] ;

La Dernière classe. Récit d’un petit alsacien

Ce matin-là, j’étais très en retard pour aller à l’école, et j’avais grand’peur d’être grondé, d’autant que M. Hamel nous avait dit qu’il nous interrogerait sur les participes, et je n’en savais pas le premier mot. Un moment, l’idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs.

Le temps était si chaud, si clair !

On entendait les merles siffler à la lisière du bois, et dans le pré Rippert, derrière la scierie, les Prussiens qui faisaient l’exercice. Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes ; mais j’eus la force de résister, et je courus bien vite vers l’école.

En passant devant la mairie, je vis qu’il y avait du monde arrêté près du petit grillage aux affiches. Depuis deux ans, c’est de là que nous sont venues toutes les mauvaises nouvelles, les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de la commandature ; et je pensai sans m’arrêter :

Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Alors comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter, qui était là avec son apprenti en train de lire l’affiche, me cria :

Ne te dépêche pas tant, petit ; tu y arriveras toujours assez tôt à ton école !

Je crus qu’il se moquait de moi, et j’entrai tout essoufflé dans la petite cour de M. Hamel.

D’ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu’on entendait jusque dans la rue, les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu’on répétait très haut tous ensemble en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables :

Un peu de silence !

Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu ; mais justement, ce jour-là tout était tranquille, comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places, et M. Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras. Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez, si j’étais rouge et si j’avais peur !

Eh bien, non. M. Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement :

Va vite à ta place, mon petit Franz ; nous allions commencer sans toi

J’enjambai le banc et je m’assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu’il ne mettait que les jours d’inspection ou de distribution de prix. Du reste, toute la classe avait quelque chose d’extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d’habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous, le vieux Hauser avec son tricorne, l’ancien maire, l’ancien facteur, et puis d’autres personnes encore. Tout ce monde-là paraissait triste ; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords qu’il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.

Pendant que je m’étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m’avait reçu, il nous dit :

Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine… Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. Je vous prie d’être bien attentifs.

Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah ! les misérables, voilà ce qu’ils avaient affiché à la mairie.

Ma dernière leçon de français !…

Et moi qui savais à peine écrire ! Je n’apprendrais donc jamais ! Il faudrait donc en rester là !… Comme je m’en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur la Saar ! Mes livres que tout à l’heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter. C’est comme M. Hamel. L’idée qu’il allait partir, que je ne le verrais plus, me faisait oublier les punitions, les coups de règle.

Pauvre homme !

C’est en l’honneur de cette dernière classe qu’il avait mis ses beaux habits de dimanche, et maintenant je comprenais pourquoi ces vieux du village étaient venus s’asseoir au bout de la salle. Cela semblait dire qu’ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école. C’était aussi comme une façon de remercier notre maître de ses quarante ans de bons services, et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s’en allait…

J’en étais là de mes réflexions, quand j’entendis appeler mon nom. C’était mon tour de réciter. Que n’aurais-je pas donné pour pouvoir dire tout au long cette fameuse règle des participes, bien haut, bien clair, sans une faute ; mais je m’embrouillai aux premiers mots, et je restai debout à me balancer dans mon banc, le cœur gros, sans oser lever la tête. J’entendais M. Hamel me parlait :

Je ne te gronderai pas, mon petit Franz, tu dois être assez puni… voilà ce que c’est. Tous les jours on se dit : Bah ! J’ai bien le temps. J’apprendrai demain. Et puis tu vois ce qui arrive… Ah! Ç’a été le grand malheur de notre Alsace de toujours remettre son instruction à demain. Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire : Comment ! Vous prétendiez être Français, et vous ne savez ni parler ni écrire votre langue !… Dans tout ça, mon pauvre Franz, ce n’est pas encore toi le plus coupable. Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire.

Vos parents n’ont pas assez tenu à vous voir instruits. Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la terre ou aux filatures pour avoir quelques sous de plus. Moi-même n’ai-je rien à me reprocher ? Est-ce que je ne vous ai pas souvent fait arroser mon jardin au lieu de travailler ? Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me gênais pour vous donner congé ?

Alors d’une chose à l’autre, M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c’était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu’il fallait la garder entre nous et ne jamais l’oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu’il tient bien sa langue, c’est comme s’il tenait la clef de sa prison… Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J’étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu’il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n’avais jamais si bien écouté, et que lui non plus n’avait jamais mis autant de patience à ses explications. On aurait dit qu’avant de s’en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d’un seul coup.

La leçon finie, on passa à l’écriture. Pour ce jour-là, M. Hamel nous avait préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde : France, Alsace, France, Alsace. Cela faisait comme des petits drapeaux qui flottaient tout autour de la classe pendus à la tringle de nos pupitres. Il fallait voir comme chacun s’appliquait, et quel silence ! On n’entendait rien que le grincement des plumes sur le papier. Un moment des hannetons entrèrent ; mais personne n’y fit attention, pas même les tout petits qui s’appliquaient à tracer leurs bâtons, avec un cœur, une conscience, comme si cela encore était du français… Sur la toiture de l’école, des pigeons roucoulaient tout bas, et je me disais en les écoutant :

Est-ce qu’on ne va pas les obliger à chanter en allemand, eux aussi ?

De temps en temps, quand je levais les yeux de dessus ma page, je voyais M. Hamel immobile dans sa chaire et fixant les objets autour de lui, comme s’il avait voulu emporter dans son regard toute sa petite maison d’école… Pensez ! depuis quarante ans, il était là à la même place, avec sa cour en face de lui et sa classe toute pareille. Seulement les bancs, les pupitres s’étaient polis, frottés par l’usage ; les noyers de la cour avaient grandi, et le houblon qu’il avait planté lui-même enguirlandait maintenant les fenêtres jusqu’au toit. Quel crève-cœur ça devait être pour ce pauvre homme de quitter toutes ces choses, et d’entendre sa sœur qui allait, venait, dans la chambre au-dessus, en train de fermer leurs malles ! car ils devaient partir le lendemain, s’en aller du pays pour toujours.

Tout de même il eut le courage de nous faire la classe jusqu’au bout. Après l’écriture, nous eûmes la leçon d’histoire ; ensuite les petits chantèrent tous ensemble le BA BE BI BO BU. Là-bas au fond de la salle, le vieux Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu’il s’appliquait lui aussi ; sa voix tremblait d’émotion, et c’était si drôle de l’entendre, que nous avions envie de rire et de pleurer. Ah! je m’en souviendrai de cette dernière classe…

Tout à coup l’horloge de l’église sonna midi, puis l’Angelus. Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l’exercice éclatèrent sous nos fenêtres… M. Hamel se leva, tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m’avait paru si grand.

Mes amis, dit-il, mes amis, je… je…

Mais quelque chose l’étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase.

Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu’il put : VIVE LA FRANCE !

Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main il nous faisait signe :

C’est fini… allez-vous-en.

Alphonse Daudet. Contes du Lundi 1874

vers 1880. Photographié par Eugène Pirou (1841-1909). Musée Carnavalet

8 06 1873 

République fédérale espagnole : premier président : Pi Y Margall.

10 07 1873  

À Bruxelles, Paul Verlaine, 29 ans, passablement éméché, tire sur Arthur Rimbaud, son jeune amant de 19 ans, qui n’est que légèrement blessé. Mais Verlaine en prend quand même pour deux ans. Ils s’étaient rencontré en septembre 1871 : deux mois plus tard, ils n’avaient pu s’empêcher de scandaliser le public de l’Odéon et s’affichant aux bras l’un de l’autre… Oh my God !

20 07 1873 

Première pierre de l’observatoire météorologique du Pic du Midi de Bigorre. Suivront celles du Puy de Dôme en 1876, du Ventoux en 1892 et de l’Aigoual en 1894.

18 09 1873   

Little Wolf, grand chef des Cheyennes, accompagné d’une délégation a traversé les grandes plaines pour rencontrer le président Ulysses S. Grant à Washington et lui soumettre son plan pour installer la paix dans les relations entre les Cheyennes et les W.C. – White Causasian, ainsi se nommaient alors officiellement les Blancs  -, et ce, par l’échange de mille femmes blanches contre mille chevaux ! Oh my God ! Mais comment pourrait-on accepter pareille proposition : des femmes contre des chevaux ! Donc, Little Wolf repartira bredouille officiellement.

Néanmoins, dans les années à venir, on verra quelques femme blanches s’en aller vivre chez les Cheyennes : nombre d’entre elles étaient en prison ou en hôpital psychiatrique, placées là grâce aux bons soins de leur famille – quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage – et avaient vu là la possibilité de quitter l’enfer pour l’inconnu, puisque l’administration acceptait de les libérer si elles acceptaient de vivre chez les Cheyennes. Jim Fergus en fera un livre à succès – Mille femmes blanches – Le Cherche Midi 1997, où le roman prendra largement le pas sur l’histoire.

20 10 1873 

À Saint Julien, Léon Gambetta annonce les tempêtes à venir : L’ennemi de la société moderne, c’est le cléricalisme.

21 12 1873

Francis Garnier est tué à Hanoï par les Pavillons Noirs, mercenaires chinois, décapité, émasculé et le cœur arraché. L’exploration du Mékong avait commencé à Saigon en juin 1866, sous le patronage du vice-amiral Pierre-Paul de La Grandière. Garnier avait alors gagné la vallée du Yang Tsé Kiang qu’il avait descendu jusqu’à Shanghai, puis rallié Saïgon deux années après en être parti, en juin 1868.

La province de Hanoï est en ce moment ci complètement pacifiée. Toute l’administration est entre nos mains et commence à fonctionner régulièrement […] [Quoique les chrétiens aient été les premiers à m’offrir leur concours, j’ai évité avec soin de me servir exclusivement d’eux et de donner à la révolution qui venait de s’accomplir le caractère d’une réaction religieuse. J’ai invité par une proclamation les lettrés à venir me trouver pour qu’ils ne croient pas à un parti pris contre eux ; j’ai maintenu en fonction toutes les autorités municipales et cantonales ; j’ai reçu la soumission et conservé le grade de toutes les autorités qui sont venues à moi. J’ai pris enfin les mesures les plus énergiques pour la répression du brigandage que la désorganisation du pays a fait naître de tous côtés. En même temps je remettais aux populations la moitié de l’impôt en riz d’une année. Elles n’ont pas tardé à avoir confiance dans un régime qui leur assurait une protection efficace et se préoccupait de leurs intérêts […] Le pays se calme à vue d’œil.

Francis Garnier, 1873

1873   

Fondation des concerts Colonne. Inauguration des tramways du Havre tandis qu’à San Francisco, c’est un tramway à câbles que l’on construit. Amélioration du télégraphe par Baudot : 60 mots/minute. Inauguration du premier chemin de fer à crémaillère, à vocation touristique : le Vitznau Righi, sur Suisse. Née en Autriche , la carte postale arrive en France.

Les Hollandais déclarent la guerre au sultan d’Aceh, dans le nord-ouest de Sumatra : ils mettront plus de trente ans pour venir à bout de ces Batak farouchement indépendantistes, le wahhabisme venant aiguiser les antagonismes. Quelques années plus tôt, un missionnaire notait déjà : ils ne mangent point de la chair humaine pour assouvir leur faim… mais… comme par une espèce de cérémonie, comme pour montrer par un châtiment ignominieux l’horreur qu’ils ont pour les crimes… les victimes sont les prisonniers de guerre et les criminels condamnés pour des crimes capitaux… la vie paraît être un état de guerre perpétuel.

Eugène Schuyler est diplomate, membre de la légation américaine à Saint Pétersbourg ; il fait connaissance avec l’Asie centrale, en cours de conquête par la Russie. C’est un bon observateur des techniques locales  : Le feutre est la spécialité des femmes kirghiz. Voici comment elles procèdent : elles disposent une natte par terre qu’elles recouvrent d’une fine couche de laine, qui est battue jusqu’à ce qu’elle soit bien aplatie. On arrose le tout d’eau, ou mieux encore d’une eau huilée, puis l’ensemble est roulé et lié aux extrémités et au milieu, roulé par terre, arrosé d’eau de temps à autre, et resserré. Lorsque que ceci est terminé, elles le déroulent, et le réenroulent en enlevant la natte, pour une durée de plusieurs heures, l’arrosant toujours de temps à autre. Puis on le fait sécher au soleil. Certains feutres sont remarquablement fins et légers. Le feutre blanc est un des meilleurs, c’est celui qui vient de Kashgar, sur lequel trônent les dignitaires locaux quand ils accèdent à leurs fonctions.

[…] L’une des principales curiosités de Khokand est la fabrique de papier, située aux abords du Minyatchu-vorak. La majeure partie, si ce n’est la totalité du papier utilisé en Asie centrale est fabriqué soit ici, soit dans le petit village de Tcharku, situé lui aussi dans le Khokand. Les chiffons sont tout à tour pilonnés et macérés jusqu’à ce qu’ils forment une pâte épaisse dont on fait une boule. Ensuite des portions de cette pâte sont mélangées à de l’eau dans une bassine. Le fabricant de papier prend un tamis oblong fait d’herbes fines tendues sur une armature de bois, et y dispose une certaine quantité de pulpe, la secouant et l’inclinant jusqu’à ce qu’elle soit également distribuée sur toute la surface. Après l’avoir laissé reposer quelques instants, il la retourne sur une planche. Un homme seul peut faire de la sorte environ trois cents feuilles par jour ; celle-ci sont empilées l’une sur l’autre avec des couches de feutre intercalées entre elles et soumises ensuite à une forte pression pour en extraire l’eau. Le matin, on les sort et on les accroche pour les faire sécher à un mur qui est exposé au sud. On leur applique un apprêt et elles sont polies par d’autres artisans au bazar. L’apprêt le plus souvent employé est une sorte de dextrine que l’on trouve à l’état presque pur dans les racines du shirash, une plante appartenant à la famille des lys, et le polissage est fait en le frottant avec une grosse pierre lisse. Ce procédé fait presque doubler la valeur du papier, passant de quinze à vingt ou trente kopeks la feuille . On ne jette pas le papier défectueux, car lord du passage à l’apprêt, les trous et les interstices sont bouchés au moyen d‘étroits rubans de papier. La surface est si unie qu’il faut les regarder en transparence pour en découvrir les défauts. Ce papier, qui est le plus souvent de couleur grise, mais aussi parfois rose et bleu, est très dur et résistant, et convient parfaitement à l’encre gluante dont se servent les autochtones. Il ne peut servir aux Européens, et les Russes sont obligé d’en importer.

Eugène Schuyler. Turkistan : Notes of a Journey in Russian Turkistan, Khokand, Bukhara and Kuldja, 1877 Traduction de Wendy Parramore

Francis Garnier, en prenant Hanoï, à l’embouchure du fleuve Rouge, élargit les privilèges politiques et commerciaux de la France. Gustave Boissonnade, juriste français, se voit offrir par le gouvernement japonais un poste de conseiller juridique ; l’influence française est alors très forte au Japon : le Code civil français est traduit intégralement en japonais… les années passant, les affinités prendront le dessus sur les séductions intellectuelles et l’influence française fera place à celle de la Prusse, dont le despotisme éclairé était plus proche du Japon que les institutions françaises. Vingt ans plus tard, un code civil, nommé code Boissonnade, très inspiré du code Napoléon, sera retiré juste avant d’être mis en vigueur, sous la pression des partisans d’un code civil allemand qui venait d’être terminé.

Dans le même temps, sur fond de contentieux larvé entre Chine et Japon quant aux îles Ryukyu et au statut de la Corée, des négociations s’engagent entre les deux pays : le premier est encore dans l’empire de la tradition, le second a fait sa mue voilà 5 ans avec l’ère Meiji : Le rétablissement des relations diplomatiques entre le nouveau régime meijien du Japon et l’empire de Chine pose concrètement la question du positionnement métagéographique réciproque. Car, rappelons-le, depuis l’instauration du shôgunat Tokugawa [à partir de 1 600. ndlr] et même avant, depuis les tentatives japonaises d’invasions continentales à la fin du XVI° siècle, les relations officielles sont réduites à presque rien entre les deux États. Bien que neutralisée, la situation s’est durcie au cours du XVIII° siècle. L’empereur Kangxi interdit tout voyage outre-mer en 1684. Le shôgunat institue en 1715 un système de licences officielles (j. shinpai ; ch. xinpai) pour réduire le trafic maritime clandestin. Au cours des années 1720, Li Wei, le gouverneur de la province du Zhejiang, envoie à Nagasaki, avec l’accord de l’empereur Yongzheng, des émissaires pour explorer la possibilité de superviser ensemble la navigation commerciale. En 1728, il renforce le cantonnement des marchands chinois dans leur quartier de Nagasaki. Le shôgunat répond en 1729 par une lettre qui rappelle sa politique de repli. Le commerce entre le Japon et le continent reste toléré par les deux parties. Puis, plus rien, plus aucun échange diplomatique pendant un siècle et demi, jusqu’en 1870.

C’est le nouveau gouvernement japonais de Meiji qui souhaite d’abord le rétablissement des relations. Et c’est la situation en Corée – premier épisode d’une histoire qui sera de plus en plus douloureuse – qui l’y pousse. Pays voisin le plus proche, ayant déjà avec le Japon des relations officielles, abritant même dans le port de Pusan un quartier japonais, le waegwan, qui est un équivalent de l’enclave de Dejima, la Corée constitue l’une des premières préoccupations diplomatiques du nouveau régime japonais. En outre, avec l’abolition du système féodal, la famille des Sô sur Tsushima n’est plus là pour gérer les échanges nippo-coréens, au demeurant déclinants depuis la fin du XVIII° siècle. Aucune ambassade coréenne ne s’est en effet rendue à Edo après celle de 1764, et la dernière, celle de 1811, ne dépasse pas Tsushima.

Mais la royauté coréenne oppose une fin de non-recevoir aux premiers contacts japonais. Elle refuse de reconnaître les documents prouvant le changement de régime japonais, car elle les considère comme non conformes à la tradition selon le principe des rites et du bien-nommer. Elle affirme, en substance, qu’elle est vassale de la Chine, puisqu’elle lui assure le tribut, et qu’une affaire de ce type doit être traitée avec la Cour chinoise. L’ambiguïté du statut diplomatique du shogun vis-à-vis du roi de Corée, soigneusement entretenue par le clan des Sô qui avait un intérêt matériel à le faire, éclate au grand jour. Elle prend de court les dirigeants japonais.

C’est l’impasse, porteuse de nombreux drames. La situation provoque une tension au sein de l’oligarchie meijienne sur l’attitude à adopter, débat dit sei-kanron (de la rectification de la Corée). Les uns, jugeant qu’il s’agit d’une offense, désireux d’en découdre et préférant saisir l’occasion plutôt que la laisser aux Occidentaux, veulent une expédition militaire immédiate en Corée. Les autres, qui ne sont pas systématiquement hostiles sur le principe d’un coup de force, estiment que l’opération est prématurée. L’historiographie japonaise récente montre cependant que le bellicisme n’est pas forcément du côté de ceux que l’on croyait, et que la question a été instrumentalisée à des fins de règlements de comptes politiques internes.

Toujours est-il que l’impasse coréenne impose à l’État meijien de se tourner vers la Chine. En outre, une autre question le tracasse, celle des Ryûkyû [archipel au sud de la Corée, entre le sud du Japon et Taïwan. ndlr] et de leur appartenance territoriale. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Soejima Taneomi (1828-1905), est donc envoyé en Chine au printemps 1873 comme ambassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire. Il a pour mission de régler les deux questions, ryûkyûane et coréenne, et, dans la foulée, d’ouvrir de nouvelles relations diplomatiques avec l’empire Qing. Le haut rang qui lui est donné montre combien le régime japonais attache d’importance à l’affaire. Ainsi, comme le résume l’historien McWilliams, l’Orient va rencontrer l’Orient.

Le ministre ambassadeur japonais Soejima dispose de plusieurs atouts. Il possède une excellente formation dans les textes classiques chinois et le confucianisme. Ayant déjà une expérience diplomatique, il s’entoure d’experts, dont un traducteur d’origine chinoise et vivant au Japon. Il choisit un conseiller américain, très bon connaisseur de la Chine et rompu à l’exercice diplomatique, le général de brigade d’origine française Charles Le Gendre (1830-1899), démissionnaire des services diplomatiques états-uniens. L’ambassade japonaise part sur un cuirassé, acheté en 1867 aux États-Unis, dans l’espoir d’impressionner les Chinois, mais, pour des raisons de navigation, elle débarque finalement à Tianjin sur un vapeur américain, à son grand désappointement.

L’hébergement de la délégation japonaise pose d’emblée les données du problème. Les Chinois proposent une maison traditionnelle, les Japonais préfèrent une maison à l’occidentale. Les Chinois sont habillés classiquement, les Japonais s’évertuent à porter le costume cravate à l’occidentale. Soejima lui-même arbore une moustache et une impériale à la Napoléon III. Li Hongzhang (1823-1901), haut dignitaire chinois, s’étonne de la présence d’un étranger au sein de la délégation japonaise – Le Gendre -, ajoutant : Nous avons toujours passé des traités avant celui-ci, et nous n’avons jamais eu besoin d’étrangers pour nous conseiller ; pourquoi maintenant ? Ce à quoi Soejima rétorque : Nous avons peut-être changé de vêtements, mais ils nous vont bien, très bien même, et sur notre cuirassé que nous avons amené jusqu’en Chine il n’y a pas un seul étranger. En deux répliques, l’ambiance est tracée : le vieil ordre rituel qui tente de perdurer en Chine face à l’adaptation moderniste, résolue et voulue du Japon.

Li Hongzhang est néanmoins conscient de l’évolution du contexte international. Il profite du lourd cérémonial traditionnel pour louvoyer, soit pour retarder les échéances, soit pour faire avancer son point de vue au sein des traditionalistes chinois.

Car Soejima demande, au nom de l’empereur japonais, une entrevue auprès de l’empereur de Chine. Or il n’y a – n’est-ce pas – qu’un empereur au monde selon la Chine, le sien. Et le dernier entretien accordé par l’empereur de Chine à un représentant remonte à plus de quatre-vingts ans. C’était avec le Britannique Macartney, poliment éconduit on s’en souvient, au motif que la Chine n’a besoin de rien, surtout pas de ces choses venant de l’étranger, belles, certes, mais inutiles. En outre, depuis une vingtaine d’années, les ambassadeurs étrangers – de Russie, de Grande-Bretagne, des États-Unis, de France et des Pays-Bas – attendent également une entrevue, en vain. Selon le rituel diplomatique traditionnel chinois, c’est le premier ambassadeur arrivé à Pékin qui doit passer en premier. Recevoir d’abord l’ambassadeur japonais aurait donc le double inconvénient de contrevenir à l’étiquette et de mécontenter les puissances occidentales. Cela fait beaucoup.

C’est un casse-tête. Soejima s’en sort avec une habileté consommée, et une forte dose de patience puisqu’il attend plus de trois mois, après avoir essuyé moult déconvenues, atermoiements et subterfuges. Quand le prince émissaire de l’empereur chinois accepte enfin une rencontre préalable, il tombe subitement malade. Soejima montre sa tristesse, mais rompt les discussions. Le prince recouvre aussitôt la santé. En fait, Soejima bluffe les Chinois en jouant sur leur terrain. Quand les Chinois lui signifient qu’ils ne reconnaissent pas les méthodes diplomatiques internationales élaborées au congrès de Vienne (1815), que le Japon accepte, il déploie devant son visage un éventail où sont inscrits les cinq principes confucéens. Il demande alors distraitement si la façon dont il est reçu correspond à deux d’entre eux, la sincérité et le respect mutuel. Abasourdis puis retrouvant leurs esprits, deux ministres chinois lui demandent : Au bout de combien de temps le souverain japonais a-t-il reçu un ambassadeur étranger ? Soejima répond au bout de six ans, et, ajoute-t-il, des officiels âgés, qui y étaient opposés, se sont d’ailleurs suicidés. Le ministre chinois Wen de s’exclamer : Ah, voilà de vrais patriotes, et leur perte est regrettable ! Probablement, précise Soejima, mais ce qui est plus regrettable, c’est que ces hommes aient manqué d’intelligence et de jugement pour montrer leur courage et leur loyauté. Il enchaîne ensuite sur la menace que font peser les Occidentaux sur les pays d’Asie. Il conclut en faisant appel à une coopération entre la Chine et le Japon pour les contrer.

Convaincus, les Chinois acceptent d’organiser une entrevue japonaise avec l’empereur de Chine, mais Soejima n’est pas au bout de ses peines. Reste en effet à régler le rituel. Les Chinois réclament le cérémonial traditionnel d’obéissance : face à l’empereur, l’hôte doit se courber trois fois et s’agenouiller neuf fois (rite du kou tou ou kow tow). Les Japonais proposent trois courbettes, conformes à l’étiquette internationale. Les Chinois refusent. Soejima joue alors son va-tout et annonce qu’il rentre au Japon. Les Chinois renoncent, l’entrevue avec l’empereur chinois a lieu, Soejima passe en premier, vêtu à l’occidentale et gardant son sabre. Suivent ensuite les ambassadeurs occidentaux. La victoire diplomatique japonaise est totale.

Mais elle cache autre chose. Pendant les négociations sur le rituel de l’entrevue, des conseillers japonais discutent avec leurs homologues chinois des deux sujets qui tiennent vraiment à cœur au gouvernement meijien : la Corée et les Ryûkyû. Sur le premier point, les Chinois répondent qu’ils n’ont pas à se mêler des affaires coréennes. Sur le second, ils laissent entendre que les Japonais peuvent punir les aborigènes de Taïwan qui ont tué cinquante-quatre Ryûkyûans débarqués sur l’île, parce que ces aborigènes ne sont pas considérés comme étant sous le contrôle de la loi chinoise. Les Japonais interprètent aussitôt cette position comme la reconnaissance du fait que ni Taïwan ni les Ryûkyû ne sont considérés comme chinois par la Chine.

En réalité, l’interprétation japonaise entre déjà dans l’ordre spatial moderne occidental, où le contrôle d’un territoire implique le contrôle de tous ses habitants. Inversement, les diplomates chinois gardent leur conception habituelle, où sont sujets de l’empire les populations civilisées, c’est-à-dire sinisées ou reconnaissant l’ordre chinois. Pour eux, ce n’est pas le cas des aborigènes de Taïwan. Cette conception est celle qui leur a fait autrefois céder Macao aux Portugais, ce que leur reproche d’ailleurs vivement la délégation Soejima.

On devine les conséquences des interprétations respectives. Les Japonais sont prêts à s’emparer des Ryûkyû, ce qu’ils font six ans plus tard, en 1879, et à envahir Taïwan à la suite d’une expédition punitive, ce qu’ils font dès 1874, mais en se retirant après un échec militaire. En revanche, ils diffèrent toute attaque armée envers la Corée, ce qui provoque la colère des partisans du seikanron et la démission de certains d’entre eux, comme Soejima lui-même. La politique japonaise de la canonnière en Corée aboutit cependant en 1876 par la conclusion du traité de Kanghwa avec le royaume de Corée. Le problème dans cette affaire, c’est que les diplomates chinois, forts du tribut qui est encore échangé en 1876 entre le roi des Ryûkyû et l’empereur chinois, n’ont gardé aucune trace écrite des discussions sur les points abordés, contrairement à leurs homologues japonais qui ont donc beau jeu de faire valoir leur version des choses. La polémique qui en résulte n’est pas encore vraiment cicatrisée de nos jours. Or elle constitue le point de départ de l’affrontement militaire progressif entre le Japon et la Chine, et d’une incompréhension croissante.

L’issue de l’ambassade Soejima ne tombe pas du ciel côté chinois. Elle résulte de près de trois ans de débats internes, depuis la lettre que l’ambassadeur japonais Yanagihara Sakimitsu (1850-1894) apporte en septembre 1870, soulignant que de récents changements dans la Civilisation se sont déployés en grande mesure et que le Japon souhaite passer un traité avec la Chine comme il l’a fait avec les pays occidentaux.

Au sein de la Cour chinoise, trois positions coexistent, en gros. La première rejette comme hérétique tout alignement sur l’Occident, et par conséquent tout accord avec le Japon qui a de facto rejoint celui-ci. La deuxième, incarnée par Zuo Zongtang (1812-1885), alors gouverneur général des provinces du Fujian et du Zhejiang, considère que le Japon est un pays étranger, non tributaire, mais que son occidentalisation est à prendre en compte. La troisième, véhiculée par Li Hongzhang, Feng Guifen (1809-1874), lettré réformateur, ou Wang Tao (1828-1897), écrivain moderniste, considère que le Japon relève du monde sinisé, même s’il ne pratique plus le tribut, et qu’un processus d’occidentalisation peut être mené ensemble. On peut dire que c’est celle-là qui l’emporte. L’un des arguments qui pèsent dans la balance est le fait que le Japon ne s’est pas immiscé dans les problèmes intérieurs de la Chine pendant la révolte des Taiping (1850-1864), ce qui rompt avec la vision chinoise alors dominante d’un Japon constitué de nains pirates, belliqueux et agressifs.

L’ambassade Soejima bouleverse donc l’antique métagéographie chinoise. Elle annonce les futures recompositions géographiques et géopolitiques en Asie orientale. Les Chinois n’en ont pas vraiment conscience puisqu’ils ont été séduits par la culture sinisée des Japonais, leur connaissance de la Chine, leurs bonnes manières, leur sens de l’étiquette – meilleur que ce que leur ont montré les Européens jusque-là. Ils l’ont d’ailleurs signifié à la délégation japonaise. Quelque part, ils se sentent encore du même monde. Ils croient que les Japonais leur paient une sorte de tribut culturel. La différence leur semble évidente en comparaison des Occidentaux, ou, plus simplement, des aborigènes de Taïwan, dont le statut de minorité barbare renvoie en fait à la question de la définition des Asiatiques. Mais, symboliquement, et concrètement, le vieil ordre planétaire chinois du huayi s’est brisé, ouvrant la route au nouvel ordre international dicté par le Japon, et par l’Occident. L’universalisme chinois n’est plus, les nationalismes adviennent.

Philippe Pelletier. L’Extrême Orient. Gallimard Folio Histoire 2011

23 02 1874   

Retraité de l’armée des Indes, le major Walter Clopton Wingfield fait breveter à la chambre des métiers de Londres, un nouveau jeu de Court Paume – le jeu de Paume étant l’ancêtre de tous ces jeux de balle au filet – vendu d’abord sous le nom de Sphairistiké [l’art de la balle en grec] puis, en 1877, sous le nom de Lawn-Tennis [Jeu de Paume sur gazon] plus facile à retenir. En mai 1874, il fait publier les règles du Lawn-tennis. Confuses, incomplètes, elles laissent libre cours à toutes les fantaisies possibles. Néanmoins, le Lawn-tennis va connaître un énorme succès. Les règles seront clarifiées, simplifiées le 24 mai 1875. La même année, J.H Walsh, directeur du The Field, un journal de loisir, et Henry Jones, son rédacteur en chef, louent à Wimbledon une prairie. Ils y fondent le All England Club et organisent dès juillet 1877 le premier tournoi de Wimbledon. L’internationalisation du jeu, entraînera la diversification des surfaces : le lawn sera abandonné, ne restera que le tennis.

12 04 1874

Le lieutenant autrichien Jules Payer, Antoine Zaninovich, matelot et Edouard Orel, enseigne de vaisseau, atteignent la latitude record de 82°5’N : ils laissent dans une anfractuosité de rocher une bouteille qui contient ce message : Nous, membres de l’expédition austro-hongroise au pôle nord, avons atteint ici, (le cap Fligely, sur l’archipel François Joseph, au nord de la Nouvelle Zemble) au 82°5′, notre point de latitude le plus extrême, à dix-sept jours de marche de notre navire (le Tegetthoff) enfermé dans les glaces au 79°51′.

Sous la côte, nous constatons l’existence d’un bassin d’eau libre peu étendu. Tout alentour règne le pack, qui rejoint au nord et au nord-ouest, à une distance de soixante ou soixante dix-mille environ, de nouvelles terres dont nous ne pouvons déterminer exactement la configuration ni le développement. Notre intention est de regagner immédiatement notre navire, que l’équipage tout entier abandonnera bientôt pour retourner en Europe ; nous sommes réduits à cette nécessité par l’impossibilité absolue de dégager ledit navire des glaces qui l’enserrent et par le mauvais état sanitaire des hommes.

Le Tegetthoff avait appareillé le 13 juin 1872 de Bremerhafen, à l’embouchure du Weser sous les ordres du lieutenant de Vaisseau Charles Weyprecht et du lieutenant Jules Payer, avec un équipage très cosmopolite et huit chiens. Bloqué par les glaces dès le 21 août 1872, au nord de la Nouvelle Zemble, il ne retrouvera jamais les eaux libres. Porté par la dérive, il finira par arriver le long d’îles que le lieutenant Payer nommera Archipel François Joseph. Jusqu’à son abandon, le Tegetthof ne sera pas fracassé, abritant les vingt deux hommes et neuf chiens pendant deux ans. Après être parvenu au 82°5′, et avoir regagné le navire, tout le monde l’abandonnera le 20 mai, pour retrouver des eaux libres, en tirant jusque là trois grosses chaloupes : l’aventure, douloureuse jusque là, devint un calvaire : la progression était tellement lente que, 8 jours après le départ du bateau, quelques hommes pouvaient encore y retourner pour reprendre des provisions abandonnées, sans autre chargement, en faisant en trois heures le trajet qu’ils avaient mis huit jours à parcourir en traînant les chaloupes !

[…] Encaqués comme des harengs dans nos chaloupes, sans autre abri qu’une tente pavillon, sans autres meubles que nos avirons, consumés par un de ces ennuis noirs qui vous corrodent un homme jour par jour, heure par heure, minute par minute, nous menons certainement l’existence la plus mélancolique qu’il soit possible d’imaginer.

Dans le creux du canot qui, la nuit, nous sert de dortoir, il fait une chaleur presque intolérable : étalés les uns près des autres, nous nous efforçons pourtant de dormir, et nous prolongeons notre nuitée aussi longtemps que nous le pouvons, jusqu’à ce que les jappements de Torossy ou l’appel du cuisinier apportant la soupe nous déterminent à reprendre la verticale.

Cette soupe est le mélange le plus ineffable d’éléments disparates ou ennemis : farine, pemmican, saucisson, pain broyé, chair de phoque, poumon d’ours, tout s’y marie dans une fabuleuse promiscuité ; il n’y manque plus que cette gélatine d’un genre particulier que mangèrent en 1821, sous le nom significatif de tripe de roche, sir Franklin et ses compagnons, ou les parties hors d’usage de nos bas et de nos culottes.

Nous l’absorbons néanmoins, cette soupe invraisemblable, et en silence, de peur de dire involontairement ce que nous pensons, ou de répéter ce que nous avons dit cent mille fois déjà.

Nous n’avons pas même la ressource de nous raconter mutuellement notre vie ; nous connaissons par cœur nos aventures respectives depuis la première de toutes, oui, depuis la naissance, jusqu’à la dernière, à savoir l’infructueuse chasse au phoque de la veille…

Le repas terminé, on se groupe d’une manière un peu différente dans les chaloupes ; celui dont c’est le tour d’affût va guetter un chimérique veau marin au bord de la flaque la plus proche ; et quiconque possède un reste de tabac s’empresse de bourrer silencieusement sa pipe.

Heureux ceux qui découvrent tout à coup une déchirure à leurs vêtements. Ils prennent du fil, une aiguille, et les voilà occupés pour un bout de temps ! Plus heureux encore ceux qui se sentent capables de dormir pendant le jour après avoir dormi pendant la nuit ! Ces privilégiés s’étendent sans fracas, les uns sous les bancs des rameurs, les autres dessus, et des uns et des autres on n’aperçoit bientôt plus que les semelles.

Alors arrivent les mouettes, qui papillonnent en essaims pressés autour des canots muets, guignant de l’œil les rognures de lard qu’elles se disputent férocement, comme tout là-bas, en Europe, on se dispute des provinces. Encore ce peuple de volatiles ne tarde-t-il pas à nous délaisser, de même que l’ours polaire et le veau marin. Un jour en effet, quelques-uns des nôtres ayant eu la malencontreuse idée de tendre des rets près des chaloupes, ces oiseaux disparurent, et l’on n’en revit plus qu’à bonne distance de nous.

Où il faut aller pour retrouver un peu d’animation, sinon de sociabilité, c’est sous la tente enfumée où se fait la cuisine. Pour peu qu’un dissentiment s’y élève sur la question de savoir qui doit à son tour récurer la marmite, pour peu qu’il y ait une ombre de passe-droit ou de privilège, ou qu’on ait indûment coupé une corde du bagage au lieu d’en défaire le nœud, vite les apostrophes éclatent et se croisent avec une volubilité qui fait grand honneur à la faconde de nos bouillants Méridionaux. Presque toujours, heureusement, le don d’une pipe de tabac fait à propos assoupit jusqu’au soir ou jusqu’au lendemain la querelle commencée.

Nous atteignons ainsi le 15 juillet, sans autre événement que le transfert de notre campement à trois cents pas environ de là, à seule fin de choisir un meilleur endroit, pour chasser le phoque, et aussi peut-être pour nous laisser croire à nous-mêmes que nous avons continué d’avancer. Au fond nous ne sommes pas assez innocents pour prendre le change ; nous savons parfaitement ce qu’il en est ; nous suivons d’un regard oblique la décroissance rapide de nos provisions, et la marche vertigineuse de l’aiguille fatale sur le cadran où est écrite notre destinée.

Jusqu’alors nous avons fait à mauvaise fortune bon visage ; nous nous sommes résignés tant bien que mal au dur labeur de la traction et du débardage ; la moindre rigole franchie après une semaine de patience, à la lisière d’une plaine de glace, nous a remplis de joie et de reconnaissance.

L’espérance chevillée au cœur, nous avons attendu, de jour en jour, qu’il plût aux canaux fermés d’ouvrir leurs écluses ; mais, à présent, nos âmes mollissent décidément ; l’opiniâtre vent du sud a détruit le résultat de nos efforts les plus laborieux ; après une course de deux mois, nous ne sommes encore qu’à deux lieues allemandes [3] du navire.

Les hauteurs de l’île Wilczek pyramident toujours à notre horizon ; leurs lignes rocheuses étincellent avec une netteté désespérante dans l’inextinguible lumière du jour.

Que faire ? Rétrograder au point de départ, retourner nous enclore pour un troisième hivernage, sans espoir, dans les flancs dévastés de notre bâtiment, ou, qui sait ? ne plus retrouver peut-être notre bâtiment et périr alors dans le sein glacé de l’Océan ! Telle était la double perspective qui semblait s’offrir à nous.

Sans doute des symptômes d’une prochaine débâcle se montraient de toutes parts ; des milliers de gouttelettes, glissant des récifs aigus et des blocs tabulaires, trahissaient la lente usure de la glace sous les influences estivales. Une pluie chaude qui se mit à tomber accrut encore ce vaste suintement, prodrome assuré d’une dislocation générale du pack. Mais quel secours efficace ces promesses de fonte nous apportaient-elles ? En étions-nous donc réduits à attendre que toutes ces humides constructions de l’hiver arctique eussent achevé de se liquéfier ? Cette attente seule eût été notre perte inévitable.

Sans doute aussi nous nous disions, en repassant au dedans de nous les diverses péripéties de notre existence depuis deux années, qu’il n’était pas vraisemblable, ni même conforme à la logique et au sens commun, que le destin nous eût fait échapper aux épouvantables cataclysmes que l’on a vus, pour nous laisser, après coup, mourir lentement, misérablement, d’inanition pure.

Néanmoins, en dépit de ce raisonnement laborieux, en rébellion évidente contre la réalité des choses, une sinistre nuit envahissait nos esprits, et il était fort heureux, ma foi, que la rotondité de la terre nous empêchât de mesurer de l’œil la quantité de glaces qui nous séparait encore de la mer vivante.

Nos rations de vivres subirent une nouvelle diminution ; Pekel, notre bon et fidèle Pekel, auquel on avait accordé jusqu’alors un sursis, fut enfin sacrifié à la terrible nécessité.

Les veaux marins devenaient de plus en plus notre unique ressource ; encore nous fallait-il bien employer les quatre cents coups environ qui nous restaient à tirer.

Nous n’avions pas eu tort cependant de nous confier toujours, si timidement que ce fût, à notre fortune. Au moment même où toute espérance de salut paraissait irrévocablement évanouie pour nous, un rayon libérateur jaillit au milieu de nos ténèbres.

Le 15 juillet au soir, comme nous venions de prendre notre maigre repas, une série de minces canaux s’entrouvrit au sud-ouest, sous la double action des vents et du courant.

En peu d’instants nous avançâmes d’un bon mille.

Le lendemain, ayant rencontré un autre chenal plus considérable, nous reconquîmes notre latitude précédente de 79°39′, et l’île Wilczek s’effaça derrière nous en sombres linéaments, estompés d’une vapeur jaunâtre pareille à la dorure pâlie de la tranche d’un vieux livre.

Notre façon d’aller s’était, de plus, tout à coup modifiée. Au lieu d’être assujettis, comme auparavant, à de continuels transbordements, pénibles pour nous et toujours dangereux pour les membrures de nos chaloupes, nous pouvions maintenant, à l’aide de longues perches, écarter ou disjoindre la plupart des blocs ou des barrières qui encombraient notre route ; il suffisait d’un peu de prudence pour éviter les chocs trop forts et les pressions.

S’il arrivait que les plaines de glace eussent un pourtour trop considérable, nous en étions quittes pour reprendre transitoirement nos procédés primitifs, c’est-à-dire pour remorquer successivement au moyen de traînoirs chacune des embarcations et les différentes pièces du bagage.

Un progrès de quatre milles suffisait alors pour nous satisfaire.

Tous les mouvements préliminaires avaient du reste acquis une telle précision qu’il ne nous fallait pas plus de trois heures pour les exécuter. Si, pendant la marche, les chaloupes se heurtaient à quelque obstacle provenant des glaces, les crampons et les pelles des pionniers avaient vite fait d’aplanir la voie. Les flaques d’eau qui pouvaient se rencontrer au milieu de ces plaines accidentées comptaient à peine dans notre labeur machinal ; nous les passions à gué sans souci, et ce n’était pas non plus une affaire lorsque un des nôtres, en déblayant le conduit d’un canal, prenait un bain inattendu…

Ils retrouvèrent les eaux libres le 15 août, durent sacrifier les deux derniers chiens… et le 25 août 1874 au soir, en longeant les côtes de la Nouvelle Zemble :

… Il était sept heures. Tout à coup un cri, un seul cri d’allégresse s’éleva des quatre chaloupes. Une cinquième embarcation, toute petite, était devant nous, montée par deux hommes qui semblaient en train de faire la chasse aux oiseaux du cap.

Non moins surpris que nous-mêmes, ces hommes vinrent à nous.

C’étaient des Russes. Avant que nous eussions eu le temps de nous entendre, nos chaloupes et les leurs tournèrent une pointe de rocher, et nous nous trouvâmes en présence de deux navires.

Avec quelle palpitation de cœur le naufragé s’avance à la rencontre du bâtiment sauveur qui se dresse sous ses yeux, tout gréé, dans son élégante et fière cambrure, et qui tout à l’heure va le recevoir dans ses flancs, à l’abri des colères capricieuses des éléments ! Ce n’est pas pour lui une carcasse inanimée, c’est un ami, un être supérieur et tout puissant, devant lequel s’incline humblement sa faiblesse. Tels furent aussi les sentiments avec lesquels nous ramâmes vers ces deux schooners, qui étaient à l’ancre, à quelques centaines de pas, dans l’intérieur d’une baie entourée d’un rempart de roches.

N’étaient-ils pas pour nous le résumé du reste du monde ? Tout en suivant la barque étrangère, nous hissâmes notre pavillon. Bientôt nous accostâmes le plus rapproché des deux navires, dont le pont s’emplit immédiatement de matelots barbus. C’était le Nicolas, capitaine Féodor Voronin. Hélas ! huit jours plus tôt, nos pauvres chiens auraient pu, eux aussi, toucher les planches du navire libérateur…

Jamais têtes couronnées ne reçurent un accueil pareil à celui dont furent honorés ce jour-là ces échappés de la banquise que l’Europe avait crus perdus à jamais.

À la vue des deux oukases qui nous avaient été envoyés de Petersbourg, au début de notre voyage, et qui enjoignaient à tous les nationaux de nous prêter aide et assistance le cas échéant, ces pauvres pêcheurs russes découvrirent leurs têtes et s’inclinèrent jusqu’à terre. À des centaines de lieues de son point de départ, l’ordre d’en haut n’avait rien perdu de sa vertu suprême !

Mais ce ne furent pas seulement la discipline et l’obéissance qui nous valurent cette réception empressée ; le cœur y était aussi. Tout ce que l’office et le cellier du navire renfermaient de plus précieux nous fut servi aussitôt et spontanément. Le second navire s’approcha à son tour pour nous saluer et nous inviter à son bord.

C’était le commencement d’une longue série d’invitations cordiales, à laquelle nous allions avoir à faire honneur !

Il se trouva précisément que l’autre goélette avait un malade parmi son équipage ; notre compagnon, le docteur Kepes, lui donna immédiatement ses soins et nous rapporta, comme honoraires de sa visite, un respectable paquet de tabac.

Ces excellents et simples matelots russes dévalisèrent pour nous toute leur garde-robe. L’un d’eux, après m’avoir considéré un instant, crut remarquer que je n’avais pas la joie très bruyante pour un homme échappé du naufrage : il s’imagina qu’il me manquait quelque chose ; il s’en alla ouvrir ses coffres et m’apporta tout ce qu’il possédait en fait de pain blanc et de tabac. Sans nul doute, en son idiome moscovite, il me disait les choses les plus aimables et les plus affectueuses ; malheureusement je n’en comprenais pas un traître mot.

Il y avait quatre-vingt-seize jours que notre retraite avait commencé ; en comptant les précédentes excursions en traîneau, c’étaient cinq mois pleins que j’avais vécu sans abri, exposé à toutes les intempéries du ciel boréal. Aussi étais-je comme étourdi de ce changement subit d’existence. Mes compagnons regardaient comme moi, avec une sorte d’attendrissement ahuri, les objets les plus futiles ou les plus infimes ; notre retour à la vie ordinaire ne se faisait que péniblement et par gradation…

Lieutenant Jules Payer

15 04 1874   

En marge du salon officiel, dans un atelier de Nadar, sont exposées 165 œuvres de 30 artistes, dont Monet, Renoir, Pissarro, Sisley, Bazille, Degas, Cézanne, Morisot, Guillaumin, Caillebotte, que Gustave Leroy va nommer Impressionnistes dans Le Charivari. Ils en ont tous assez de la peinture académique, des petits anges fessus, de la mythologie grecque sur fonds de nature grandiose et dominatrice. Mais ils vont en mettre du temps avant que d’être reconnus et que leurs toiles ne gagnent les salons officiels de la République ! Ils ne sont pas les premiers à ruer dans les brancards : on avait déjà eu le Salon des Refusés en 1865, et ils ne sont pas les derniers : il y aura en 1884 le Salon des artistes indépendants, le Salon d’Automne en 1903 etc…

3 05 1874

La concession française de Shangaï, occupe une soixantaine d’hectares qu’il a fallu viabiliser en urgence pour faire face à l’afflux de réfugiés chinois fuyant la guerre civile. On n’a tenu aucun compte de la tradition chinoise qui, par le biais de la puissante guilde des Chinois originaires de Ning-po, veille sur les très nombreux champs funéraires : le quartier ouest de la concession s’embrase, le consul général Godeaux fait appel aux canonnières à l’ancre sur le Yang Tsé : sept morts, tous Chinois.

19 05 1874

Le travail de jour est interdit aux enfants de moins de 12 ans ; de nuit, aux filles de moins de 21 ans et aux garçons de moins de 16 ans.

06 1874     

Verlaine est en prison à Mons. Fin avril, ayant pris connaissance du jugement de séparation de corps et de biens avec sa femme Mathilde, il demande l’aumônier, qui lui apporte les huit volumes du Catéchisme de persévérance de Mgr Jean-Joseph Gaume. Et, un matin de juin, une  lumière divine inonde sa cellule. Verlaine se prosterne au pied de l’image lithographique du Sacré-Cœur, qu’il qualifie pourtant lui-même, dans le recueil Mes prisons, d’assez affreuse. Le 15 août, fête de l’Assomption, il écrit le poème Je ne veux plus aimer que ma mère Marie, puis, en septembre, Final : Jésus qui sus bénir ma folle indignité.

Mon Dieu m’a dit

Mon Dieu m’a dit : Mon fils, il faut m’aimer. Tu vois
Mon flanc percé, mon cœur qui rayonne et qui saigne,
Et mes pieds offensés que Madeleine baigne
De larmes, et mes bras douloureux sous le poids

De tes péchés, et mes Mains ! Et tu vois la croix,
Tu vois les clous, le fiel, l’éponge, et tout t’enseigne
À n’aimer, en ce monde amer où la chair règne,
Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.

Ne t’ai-je pas aimé jusqu’à la mort moi-même,
Ô mon frère en mon Père, ô mon fils en l’Esprit,
Et n’ai-je pas souffert, comme c’était écrit ?

N’ai-je pas sangloté ton angoisse suprême
Et n’ai-je pas sué la sueur de tes nuits,
Lamentable ami qui me cherches où je suis ? […]

Sagesse

Verlaine restera écartelé entre l’appel de la grâce et celui de l’enfer. Cet homo duplex retournera vers sa chère absinthe et ses lupanars mais demeurera chrétien. Un an après sa sortie de prison, il écrit à Rimbaud :

Londres, le dimanche 12 décembre 1875.

Mon cher ami,

Je ne t’ai pas écrit, contrairement à ma promesse (si j’ai bonne mémoire), parce que j’attendais, je te l’avouerai, lettre de toi, enfin satisfaisante. Rien reçu, rien répondu. Aujourd’hui je romps ce long silence pour te confirmer tout ce que je t’écrivais il y a environ deux mois.

Le même, toujours. Religieux strictement, parce que c’est la seule chose intelligente et bonne. Tout le reste est duperie, méchanceté, sottise. L’Église a fait la civilisation moderne, la science, la littérature : elle a fait la France, particulièrement, et la France meurt d’avoir rompu avec elle. C’est assez clair. Et l’Église aussi fait les hommes, elle les crée : Je m’étonne que tu ne voies pas ça, c’est frappant. J’ai eu le temps en dix-huit mois d’y penser et d’y repenser, et je t’assure que j’y tiens comme à la seule planche.

Et sept mois passés chez des protestants m’ont confirmé dans mon catholicisme, dans mon légitimisme, dans mon courage résigné.

Résigné par l’excellente raison que je me sens, que je me vois puni, humilié justement et que plus sévère est la leçon, plus grande est la grâce et l’obligation d’y répondre.

Il est impossible que tu puisses témoigner que c’est de ma part pose ou prétexte. Et quant à ce que tu m’écrivais, – je ne me rappelle plus bien les termes, modifications du même individu sensitif, rubbish, potarada, blague et fatras digne de Pelletan et autres sous-Vacquerie.

Donc le même toujours. La même affection (modifiée) pour toi. Je te voudrais tant éclairé, réfléchissant. Ce m’est un si grand chagrin de te voir en des voies idiotes, toi si intelligent, si prêt (bien que ça puisse t’étonner !) J’en appelle à ton dégoût lui-même de tout et de tous, à ta perpétuelle colère contre chaque chose, juste au fond cette colère, bien qu’inconsciente du pourquoi.

Quant à la question d’argent, tu ne peux pas sérieusement ne pas reconnaître que je suis l’homme généreux en personne : c’est une de mes très rares qualités, – ou une de mes très nombreuses fautes, comme tu voudras. Mais, étant donné, et d’abord mon besoin de réparer un tant soit peu, à force de petites économies, les brèches énormes faites à mon menu avoir par notre vie absurde et honteuse d’il y a trois ans, et la pensée de mon fils, et enfin mes nouvelles, mes fermes idées, tu dois comprendre à merveille que je ne puis t’entretenir. Où irait mon argent ? À des filles, à des cabaretiers ! Leçons de piano ? Quelle colle ! Est-ce que ta mère ne consentirait pas à t’en payer, voyons donc !

Tu m’as écrit en avril des lettres trop significatives de vils, de méchants desseins, pour que je me risque à te donner mon adresse (bien qu’au fond, toutes tentatives de me nuire soient ridicules et d’avance impuissantes, et qu’en outre il y serait, je t’en préviens, répliqué légalement, pièces en mains). Mais j’écarte cette odieuse hypothèse. C’est, j’en suis sûr, quelque caprice fugitif de toi, quelque malheureux accident cérébral qu’un peu de réflexion aura dissipé. Encore prudence est mère de la sûreté et tu n’auras mon adresse que quand je serai sûr de toi.

C’est pourquoi j’ai prié Delahaye de ne te pas donner mon adresse et le charge, s’il veut bien, d’être assez bon pour me faire parvenir toutes lettres tiennes. Allons, un bon mouvement, un peu de cœur, que diable ! de considération et d’affection pour un qui restera toujours – et tu le sais,

Ton bien cordial P. V.

Je m’expliquerai sur mes plans – ô si simples, – et sur les conseils que je te voudrais voir suivre, religion même à part, bien que ce soit mon grand, grand, grand conseil, quand tu m’auras, via Delahaye, répondu properly.

P.-S. – Inutile d’écrire ici till called for. Je pars demain pour de gros voyages, très loin…

L'Ardenne de Paul Verlaine Blog - Traces et Mémoire en Luxembourg belge

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Paris ! Là où la vie brûle, où l’art est vivant et où l’absinthe coule à flot ! Maurice Maeterlinck ne serait pas en manque de héros auxquels se mesurer : Baudelaire, pour lequel il fallait être en permanence ivre, sinon de vin, du moins de poésie. Rimbaud, qui s’était détourné à vingt ans de la poésie pour se livrer au trafic d’armes en Abyssinie. Verlaine, qui avait tiré sur Rimbaud à Bruxelles, geste artistique s’il en est. Mallarmé, qui écrivait des vers incompréhensibles, donc excellents. Et surtout Villiers de l’Isle-Adam, une figure aujourd’hui oubliée mais qui était, à l’époque, une légende vivante. C’était un individu usé, aux paupières grises et aux poèmes obscurs. Le fait qu’il descendît d’une très vieille famille française tombée dans le ruisseau fit une très forte impression sur les jeunes Gantois. L’éternelle histoire du poète maudit ! Maeterlinck et Le Roy passaient toutes leurs soirées avec lui dans les cafés. Ils étaient jeunes et avaient un peu d’argent, lui était vieux et pauvre comme Job. En échange de quelques bières, il leur chuchotait quelques conseils littéraires, tout comme, chez les termites, larves et ouvriers échangent des substances alimentaires. Quatre ans plus tard, il mourut dans la misère.

Villiers conseilla à Maeterlinck d’écrire de manière un peu plus féerique, un peu plus irréelle aussi. Tout ce qui pouvait rappeler le réalisme était banni. Les descriptions, la réalité, terminé ! Maeterlinck avait quitté son jardin d’Oostakker pour le grand monde, et à peine arrivé, voilà qu’il devait se réorienter vers un autre, loin du réel ! La nature vivante semblait sombrer plus profond que jamais. Pourquoi se soucier encore du grouillement de ce bas monde, alors qu’il y avait une réalité plus haute, plus belle, plus authentique à découvrir ? Sur ses vieux jours, Maeterlinck confia que sa vie était comme les deux versants d’une même montagne : l’avant-Villiers et l’après-Villiers, d’un côté l’ombre, de l’autre la lumière : Lorsque j’ai fait la connaissance de Villiers, écrit-il, j’ai compris ce que les apôtres ont dû ressentir. Et Maeterlinck se fit apôtre.

C’est à cette époque que se produisit en France une révolution culturelle que Moréas, en 1886, désigna dans Le Figaro sous le nom de mouvement symboliste. Cet événement devint l’un des courants les plus vagues, et peut-être pour cela l’un des plus populaires depuis le romantisme. Plus c’est informe, plus c’est malléable. Ne dites jamais à un peintre qu’il appartient à un courant qui ne sait faire que des points ; à la cinquième toile pointilliste, la plaisanterie est éculée. Si l’on ne sait pas très bien à quoi adhéraient les partisans du symbolisme, ce à quoi ils s’opposaient, en revanche, était tout à fait clair : le matérialisme de la société, le positivisme dans les sciences et la philosophie, et le naturalisme en littérature. Ils ne voulaient plus entendre parler ni de Comte, ni de Darwin, ni de Zola. À bas la recherche de l’argent et l’industrie, à bas les explications sans âme et mécaniques de l’homme, de la société et de la nature, à bas les descriptions crues de métallurgistes hurlants et d’enfants de prolétaires larmoyants ! Il fallait désormais, comme disait Maeterlinck, redonner l’attention à la bonté invisible et à la beauté intérieure. Ainsi, tandis que les trains à vapeur sillonnaient le continent avec fracas, que les gueules noires faméliques dégringolaient dans les puits de mine et que les épidémies de choléra jouaient à saute-mouton dans les quartiers ouvriers, émergeait une jeune génération d’artistes qui ne juraient que par les contes de fées, les beautés frêles, les eaux calmes et les profondeurs.

Dans le registre de ces lamentations à la mode, la Belgique et la France donnaient le ton, mais, dans toute l’Europe, la jeune bourgeoisie ne tarda pas à leur emboîter le pas. De Paris à Barcelone et de Dublin à Moscou l’on se prit soudain à douter de tout ce qui jusque-là avait été perçu comme la marque du progrès : la technologie, l’industrialisation, l’exploitation et le commerce. Le monde du dix-neuvième siècle était en plein bouleversement, mais ce que les jeunes des grandes villes d’Europe déploraient le plus, ce n’était pas tant les situations sociales intolérables, les inégalités économiques ou l’inertie politique, que leur propre infortune. Il faut dire qu’ils avaient toutes les raisons du monde d’être malheureux : trop riches, trop instruits et trop choyés, ils étaient condamnés à l’ennui. Et à l’envie de posséder toujours plus. Plus de quoi ? Personne n’en savait rien. Ils cherchaient des réponses dans l’ésotérisme, l’occultisme et le spiritisme, le passé, la mystique et la Femme. Tout cela avait à voir avec l’Ame, le Mystère, le Beau, l’Indicible, l’Inconnu, la Mort et le Néant absolu. On n’était pas avare de majuscules en ce temps-là.

Certes, comparaison n’est pas raison, mais une chose est sûre : on a parfois l’impression que les années 1880 ne sont que le prélude aux années 1980. À la fin du vingtième siècle aussi, l’on assiste à une sorte de renouveau du gothique qui s’inspire des punks de la Décadence. Non que Rimbaud ou Baudelaire eussent quelque ressemblance avec Johnny Rotten ou Sid Vicious, mais les symbolistes font parfois un peu penser à ces jeunes déprimés de la new wave, garçons et filles, qui apprenaient le latin et le grec et se faisaient accompagner en voiture pour se rendre à des soirées tout en se plaignant de la dureté de la vie et en contemplant le vide insondable qui béait devant eux.

Cela ne signifie pas, loin de là, l’absence de toute création artistique de valeur. Un courant qui avait jeté ses filets aussi loin ne pouvait qu’attraper du poisson. Et cet attrait vers l’au-delà, quelque théâtral qu’il puisse paraître après coup, était pour certains angoissant et sincère. On le sent dans les tableaux préraphaélites de Burne-Jones et de Rossetti, dans les subtils dessins à la plume d’Aubrey Beardsley, dans les vues de ville de Fernand Khnopff, les tableaux pleins de pudeur de Georges Minne, les timides jeunes filles de Gustav Klimt et les hommes apeurés d’Edvard Munch. Le dix-neuvième siècle était une époque de profondes mutations sociales et économiques et l’art se cherchait fiévreusement un miel céleste. Oscar Wilde, dandy suprême et poseur sublime, le trouva dans l’absolutisation de l’art lui-même. D’autres, moins légers, comme le poète Yeats et le peintre Alma-Tadema, se tournèrent vers le passé : la préhistoire celte, l’Antiquité classique, le Moyen Age fantomatique, on faisait feu de tout bois. C’était l’époque où les contes de fées des frères Grimm connaissaient un succès littéraire phénoménal, tandis que des villes à moitié en ruines comme Bruges formaient un décor idéal pour la prose mélancolique d’un Rodenbach. Dans le vacarme et le bruit permanent du monde moderne, l’on aspirait à retrouver un calme perdu, le fond de notre vie sous-entendue comme disait Maeterlinck. De sévères processions défilaient dans les vers sombres de Verhaeren tandis qu’en peinture les intérieurs vides, les villes désolées et les plages désertes devenaient l’un des thèmes favoris du jeune Léon Spilliaert et du trop méconnu Vilhelm Hammershoi. D’aucuns, souvent admirateurs d’Edgar Poe, allèrent plus loin encore et développèrent une véritable fascination pour le morbide, manifeste dans les toiles macabres d’un Gustave Moreau, le sarcasme d’un Félicien Rops, la sinistre palette d’un James Ensor et les faunes baroques d’un Franz von Stuck. Debussy a écrit la bande-son de cet ensemble fin de siècle fait de douleurs, de rêves et de frissons.

La nature joue dans l’univers symboliste un rôle ambivalent. Plus question désormais de partir aux champs comme le faisaient les peintres romantiques et impressionnistes. Le paysage en tant que genre n’excitait plus ces citadins, sans parler de la vie de bohème en plein air et de toutes ces colonies d’artistes, que ce soit Barbizon en France, Katwijk aux Pays-Bas ou Tervuren en Belgique. Non que la nature fût tombée dans l’oubli ; simplement, les symbolistes avaient une autre conception de la nature. L’important n’était plus l’éclat d’un champ de coquelicots mais la symbolique supérieure d’une unique rose baccarat, l’arôme sensuel d’un lis et l’érotisme suggestif d’un arum. La nature devint objet d’intérieur : jamais les fleurs coupées n’ont été si populaires dans la littérature, des Fleurs du mal de Baudelaire aux multiples poèmes de Yeats et Wilde sur la rosa mystica, en passant par les somptueux bouquets des intérieurs de Huysmans. La nature vivante fut stylisée, ramenée à un jeu de lignes graciles et de boucles élégantes, comme dans les motifs floraux de Horta et Guimard. Le voyageur qui pénétrait dans le métro parisien, alors le summum du progrès technologique, passait sous une porte luxuriante en fer forgé.

Un phénomène semblable se produisit avec l’iconographie zoologique. Alors que vaches et moutons étaient les animaux favoris des peintres paysagistes romantiques, la ménagerie des symbolistes était remplie de cygnes, de paons et de colombes, animaux qui évoquaient la pureté, la beauté, l’innocence et quelques autres vertus tout aussi nobles. Les faunes et les sphinx, eux aussi, étaient présents – il fallait se garder de suivre la création trop à la lettre. Pour les symbolistes, la nature n’était pertinente que dans la mesure où elle renvoyait l’image d’une réalité supérieure à laquelle ils aspiraient. La nature comme symbole : le nom de ce courant artistique n’est pas fortuit.

David Van Reybrouck. Le Fléau. Actes Sud 2008

7 11 1874 

Stanley, financé par le Daily Telegraph et le New York Herald quitte Zanzibar à la tête d’une expédition de plus de 230 porteurs et soldats, emmenant aussi un bateau de 13 mètres en pièces détachées, le Lady Alice. Il gagne le lac Victoria par l’itinéraire de John Hanning Speke, visite le Buganda, passe par le lac Albert découvert dix ans plus tôt  par Samuel White Baker et explore la totalité des rives du lac Tanganika du 11 juin au 31 juillet.

Il rencontre Tippo Tipp, le grand marchand d’esclaves de la côte  est de l’Afrique à Kasongo pour monter une expédition forte de 400 hommes pour explorer l’Ouest. Ils quittent Nyangwe le 5 novembre et pénètrent dans la forêt équatoriale. Après cinquante jours, Tippo Tip renonce, mais Stanley continue vers l’ouest. Pour traverser ces régions, comme le bassin du Congo, Stanley doit forcer le passage à plusieurs reprises. Le 20 décembre, 150 personnes réparties sur 23 bateaux entament la descente du fleuve. Le 6 janvier 1877, l’expédition est bloquée par les chutes Boyoma, qu’ils mettent vingt jours à contourner. Le 1° février, au confluent avec l’Aruwimi, ils combattent les Basoko, puis, deux semaines plus tard, les Bangala. Le 9 mars, ils atteignent le confluent avec le Kasaï, et Ntamo le  12 mars, future implantation de Léopoldville (Kinshasa).

Les chutes Livingstone constitueront le plus redoutable des obstacles : il leur faudra cinq mois – quelques centaines de kilomètres –  pour les contourner et retrouver la rive droite du fleuve à Boma, en aval des chutes, à 120 km de l’estuaire du Congo, où Alexandre Delcommune recueille une expédition décimée. Stanley est le dernier des quatre Européens encore vivants, et des 356 porteurs et soldats africains seulement 115 parviennent à la côte atlantique en août  1877. L’exploit est fantastique : Stanley en fera le récit dans À travers le continent mystérieux (Through the Dark Continent), publié en 1878.

À partir de 1850, d’imposantes caravanes partirent de Zanzibar et du site côtier de Bagamoyo en direction de l’ouest, pour aller jusqu’aux rives du lac Tanganyika, huit cents kilomètres plus loin. La petite ville d’Ujiji, où Stanley trouvera Livingstone en 1871, devint un important comptoir commercial. De l’autre côté du lac, on pénétrait encore plus loin dans les terres, dans la région qui s’appelle aujourd’hui le Congo. Et tout comme pour le royaume d’Al-Zubayr, des sphères d’influence économique devinrent là aussi des entités politiques. Dans le sud-est du Katanga, Msiri, un négociant originaire de la côte est de l’Afrique, allait absorber un royaume existant : l’ancien royaume de Lunda, qui s’était fragilisé. De 1856 à 1891, il domina en souverain cette région riche en cuivre et contrôla les voies commerciales vers l’est. C’est ainsi qu’un intérêt à l’origine purement mercantile se compléta par une facette politique.

Un peu plus au nord opérait le tristement célèbre marchand d’esclaves Tippo Tip. Descendant d’une famille afro-arabe de Zanzibar, il dépendait directement du sultan, mais devint rapidement l’homme le plus puissant de tout l’est du Congo. Son autorité s’exerçait sur une zone s’étendant entre les Grands Lacs à l’est et le cours supérieur du Congo (que l’on appelle aussi Lualaba dans la région), à trois cents kilomètres à l’ouest. Le pouvoir de Tippo Tip ne reposait pas seulement sur son sens exceptionnel des affaires, mais aussi sur la force. Au début, il obtint ses marchandises de luxe – esclaves et ivoire – en tissant des liens d’amitié : comme les autres Zanzibarais, il concluait des alliances avec des chefs locaux pour pratiquer le troc. Un certain nombre de ces chefs devinrent les vassaux des négociants afro-arabes. À partir de 1870, la situation changea. À mesure que les tonnes d’ivoire affluaient vers l’est, les trafiquants d’esclaves comme Tippo Tip devenaient plus puissants et plus riches. En définitive, il s’avéra bien plus rentable de piller des villages entiers que d’acheter quelques défenses et quelques adolescents. Pourquoi discuter pendant des journées entières avec le chef de village local et ingurgiter des quantités de vin de palme tiède que vous interdisait votre religion alors que vous pouviez tout aussi facilement réduire en cendres son village ? Cela permettait d’obtenir, en plus de l’ivoire, des esclaves supplémentaires pour transporter l’ivoire. Le raiding prit le pas sur le trading, le pillage sur la négociation, les armes à feu avaient le dernier mot. Le nom de Tippo Tip faisait frémir une région aussi grande que la moitié de l’Europe. Ce n’était d’ailleurs pas son vrai nom (il s’appelait Hamed ben Mohammed el-Murjebi), mais sans doute une onomatopée reproduisant le bruit de son fusil.

David Van Reybrouck. Congo. Actes sud 2012

24 11 1874

L’Américain Joseph F. Glidden, de Dekalb, dans l’Illinois, dépose le brevet du fil de fer barbelé, dont le succès tient essentiellement au conditionnement qui le rend facile à mettre en place : vu le nombre de vaches qu’il y a à enfermer, ça va faire un tabac, plus que celui inventé en 1859 par le français Eugène Grassin-Baledans, puis, en 1865 par Louis Janin.

Cette nouvelle technique consistait en deux fils de fer torsadés et ponctués tous les quinze centimètres de barbes. On cria sur tous les toits que c’était une véritable aubaine pour l’Ouest et ce, pour une raison : elle permettait la reproduction de vaches racées. Elle annonçait la fin d’une ère, celle du pâturage libre, et donnait à l’homme la certitude que ses vaches seraient inséminées par le taureau de son choix. À mon avis, il n’y a jamais rien eu de pire sur les Grandes Plaines. Cela nous a menés à la déportation de la plupart des espèces sauvages, au développement de troupeaux totalement inadaptés au climat, à un déséquilibre flagrant – dans les exploitations agricoles – entre les dépenses et les recettes, au surpâturage, à la séquestration des animaux en enclos d’engraissement, aux thérapies hormonales et à l’utilisation massive d’antibiotiques. C’est l’avènement du barbelé qui a détruit l’équilibre des Grandes Plaines et mis la région sous tutelle gouvernementale.

Dan O’Brien. Les bisons de Broken Heart. Folio 2001

1874 

Le travail de jour est interdit aux enfants de moins de 12 ans ; de nuit, aux filles de moins de 21 ans et aux garçons de moins de 16 ans. La mortalité infantile est catastrophique : pour les tout petits, il y a encore plus de souci à se faire : L’illustration a rapporté qu’un bébé sur deux décèderait avant l’âge d’un an : même s’il n’a pas les moyens de donner des chiffres précis, on se dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Première cause de ces décès trop nombreux : la gastro-entérite, due au lait cru imparfaitement stérilisé, et trop facilement donné par les nourrices qui en ont assez de donner le sein. Les modèles de biberon ne permettent pas un bon nettoyage. Il faudra attendre 1910 pour que le Parlement interdise l’usage des biberons à tube et à soupape qualifiés par le presse de biberons tueurs. En 1920 pour deux enfants malades admis à l’hôpital, un seul en ressortira vivant. Création du corps des inspecteurs du travail. Création du Club Alpin Français à Grenoble : dès ses débuts, il accepte les femmes : c’était encore loin d’être habituel. L’Allemand G. Cantor crée la théorie des Ensembles.

Ces gens [Manet, 42 ans, Monet, 34 ans, Pissaro, 44 ans,  Renoir, 33 ans, Degas, 40 ans,  Sisley, 35 ans] sont fous mais il y a plus fou qu’eux, c’est un marchand qui les achète.

Un journaliste, dont il est préférable, par charité, de taire le nom

Plus fou qu’eux se nomme Paul Durand-Ruel 43 ans, galeriste. Depuis deux ans, ce dernier se débat pour faire connaître les premiers ; il expose aussi les académiciens Bouguereau, Cabanel ou Chassériau, dont les toiles se vendent bien et maintiennent à flot la galerie en période de vaches maigres. Il sort de sa galerie, il fait de la publicité, il entretient des relations avec les publications spécialisées, il prend l’exclusivité du travail des artistes moyennant salaire, il achète des lots entiers – 23 tableaux en un lot à Manet en 1872 -, il crée des galeries à Berlin, Londres, Bruxelles. Un silence de mort règne sur l’art, écrira alors Pissaro. Il lui faudra effectivement attendre  l’ouverture de celle de New York en 1886 pour que les Impressionnistes connaissent le succès : les magnats du pétrole, de l’acier, des chemins de fer, se les arracheront. L’impressionnisme sera alors définitivement lancé. 12 ans à frapper à des portes qui restent fermées, 12 ans avant que de riches Américains dépourvus d’idées préconçues, reconnaissent un talent que les vieux Européens s’étaient évertués à ignorer. Probablement les mêmes gens qui, quinze ans plus tard, tireront à boulets rouges sur la Tour Eiffel.

Ignorez-vous ce qu’il en coûte à ceux qui osent changer la masse des idées reçues ?

Claude Nicolas Ledoux

Les Alsaciens dotés d’un confortable porte-monnaie et allergiques à la nationalité allemande sous la main de fer de Bismarck se sont réfugiés à Paris où ils fondent pour éduquer leur progéniture l’École Alsacienne, rue Notre Dame des Champs, qui va prospérer tant et plus, adoptant la pédagogie  Montessori, ouverte donc à un milieu fortuné, plus tourné vers les arts et épanouissement personnel que vers les sciences. École non confessionnelle, mais privée. Près de 40 % des élèves qui en sortent vont poursuivre leurs études supérieures à l’étranger, essentiellement États-Unis et Angleterre. Gabriel Attal, nommé ministre de l’Éducation Nationale à 34 ans en juillet 2023 est passé par là.

En remerciement pour services rendus l’Italie met à la disposition de la France pour y installer son ambassade l’un des plus beaux édifices de Rome, le palais Farnèse [4], construit essentiellement par Antonio da Sangallo, Michelangelo, à la Renaissance.

Il en va des maisons, des palais comme des humains : nombre connaissent le malheur, la maladie, la ruine, la destruction. Mais il en est qui ont la chance, comme le demandait Napoléon quand on lui proposait un nom pour un poste, surtout un poste aux armées, on peut dire aussi la baraka, comme disent les légionnaires, ou encore qu’il est né sous de bonnes fées, comme disent ceux qui croient à la force de l’esprit. Bref, le palais Farnèse est né sous de bonnes auspices.

Si Rome présente une concentration exceptionnelle de chefs d’œuvre chargés d’histoire, le palais Farnèse offre à son tour un condensé de Rome. Sa monumentalité, tout comme sa position entre le Tibre et la piazza Navona, en font l’un des édifices les plus admirés des touristes et des historiens. Son importance se donne à lire de bas en haut, depuis les mosaïques antiques de ses fondations (dauphins signalant des thermes romains et jeux équestres des premiers siècles de notre ère renvoyant aux écoles dans lesquelles s’entraînaient des cavaliers, probablement dans les parages du futur palais) jusqu’aux quatre coins de sa corniche signée par Michel-Ange.

Aujourd’hui des travaux sont en cours en vue de la réfection de la toiture, de la restauration de la corniche et des façades. Commencés en septembre 2021, ils donnent l’occasion de faire le point sur l’histoire de ce palais, depuis la splendeur des Farnèse jusqu’à l’activité des deux institutions qui l’occupent aujourd’hui : l’Ambassade de France et l’École de Rome.

Ce palais gigantesque, où la plupart des pièces ont plus de huit mètres de hauteur sous plafond, est le miroir des travaux entrepris partout dans Rome au début de la Renaissance, moment crucial dans l’histoire de la ville. En effet, de 1309 à 1417, date de la fin du grand schisme d’Occident, les papes étaient établis en Avignon. Et lorsque Martin V reprend ses quartiers en 1420, les contemporains ignorent si ce retour sera vraiment pérenne. Pour les en convaincre, donc pour assurer leur ancrage dans les États pontificaux, les papes et les cardinaux entreprennent une série de travaux de réaménagement qui restructurent en profondeur l’ancienne capitale de l’empire. Entre les pontificats de Sixte IV (1471-1484) puis de Jules II (1503-1513) et jusqu’à la fin du XVI° siècle, ce que l’on considère aujourd’hui comme le centre historique de la ville voit s’élever les unes après les autres de nouvelles constructions.

Parmi elles, le ponte Sisto, construit entre 1473 et 1479, le plus symbolique car il s’agit du premier pont de pierre jeté au-dessus du Tibre depuis l’Antiquité. La rue qui le relie à la piazza dell’Oro, nommée la via Giulia, est la première ligne véritablement droite (via recta). Initiées en 1508, elle permet une meilleure évacuation des eaux et des déchets, se superposant au dédale de ruelles de la Rome médiévale. Ces gestes urbanistiques montrent que la ville retrouve une ambition politique et architecturale.

Il aurait pu ainsi  y avoir dans Rome beaucoup de palais aussi beaux que le Farnèse. Pourtant, la plupart des projets comparables rencontrèrent des obstacles matériels auxquels ils furent contraints de s’adapter : tantôt ils manquèrent de place, tantôt de financement. La palais Farnèse, lui, bénéficia d’une conjonction de facteurs favorables qui s’échelonnèrent en plusieurs étapes, rythmant la construction, par autant de coups de chance.

Le premier d’entre eux est la naissance d’une femme d’exception au sein de la famille Farnèse, une maison de seigneurs et de chefs militaires au service des papes dont les possessions se répartissent aux alentours de Viterbe et du lac de Bolsena : il s’agit de Giulia Farnèse (1474-1524), femme lettrée d’une grande beauté et d’une intelligence exceptionnelle. Par ses qualités, Giulia la Bella comme l’appellent les Romains, devint très tôt l’une des maitresses du pape Alexandre VI Borgia. Son action lui permit d’accumuler sur la tête de son frère Alexandre les honneurs et les privilèges, au point qu’il s’enrichit considérablement et devient cardinal en 1493. Il n’ a alors que 25 ans.

Lorsqu’il achète en 1495 ce qui s’appelait jusqu’alors le palais Albergati-Ferriz, Alexandre Farnèse est donc un tout jeune homme ; il prévoit d’agrandir le palais existant et de l’embellir pour ériger à son emplacement un bâtiment qui exprimera mieux les ambitions de la famille. Avec l’avènement du pape Léon X en 1513, issu de la famille des Médicis dont les intérêts se trouvent à Florence, Alexandre obtient toutes les autorisations nécessaires à la restructuration. Les travaux commencent l’année suivante.

Mais à partir du 6 mai 1527, et jusqu’en février 1528, la ville est secouée par une série de violences et de destructions connues comme le sac de Rome. Faute d’avoir été payées, les troupes de Charles Quint, principalement composées de lansquenets allemands luthériens, se révoltent et pillent la ville : pendant de long mois, ils font régner  une atmosphère de terreur. Cet événement marque dans la vie du palais un point de rupture. Car lorsque ce long cauchemar prend fin, un nouvel élan de reconstruction vient s’ajouter aux stratégies pontificales.

Au cœur de cet élan collectif, Alexandre Farnèse est lui-même élu pape le 13 octobre 1534 sous le nom de Paul III. Désormais, le projet de reconstruction de son propre palais revêt une dimension nouvelle. Alors que l’accroissement des savoirs s’accompagne d’un soutien très important aux arts, les ecclésiastiques, qui concentrent entre leurs mains les pouvoirs spirituel, politique et financier, sont les commanditaires de ce qui se fait de plus beau. Paul III se doit donc d’avoir un palais véritablement pontifical, qui affirme sa prépondérance parmi les petites cités-États italiennes. Par ailleurs il se trouve qu’il peut aussi mobiliser ses propres ressources car à la même époque la famille Farnèse étend ses terres dans la région de Viterbe et au-delà. En 1545, quatre ans avant sa mort, il crée le duché de Parme à l’attention de son fils Pier Luigi Farnèse.

Telle est la conjonction très particulière de facteurs qui, en faisant de son propriétaire un commanditaire de première importance, engendre le célèbre colosse dont les proportions, déjà monumentales, deviennent le manifeste architectural et artistique d’une puissance hors du commun, à la fois celle des Farnèse et celle des États pontificaux.

Opération à la fois artistique et urbanistique, le palais Farnèse est le fruit d’un chantier presque séculaire, qui commence vers 1514 et se termine en 1589 (cette dernière date se trouve inscrite sur le fronton de la façade arrière), à une époque où Alexandre dit le grand cardinal, petit-fils de Paul III, y vit ses dernières années.

Le chantier implique le dégagement de la piazza Farnèse, indispensable pour laisser respirer le nouvel édifice. Ce réaménagement urbain doit permettre à la fois aux passants de l’admirer de l’extérieur et à ses occupants de dominer la ville de l’intérieur. Quant à l’élévation, elle fait l’objet d’un concours dont on connait le détail grâce à Vasari. L’auteur des Vies des meilleures peintres, sculpteurs et architectes a été fasciné par l’ampleur du projet. Dès 1514, dans un palais déjà occupé par son propriétaire, Antonio da Sangallo lance les travaux de maçonnerie sur la façade principale.

À sa mort en 1546, trente ans plus tard, Michel-Ange prend la suite du chantier. Il réalise le deuxième étage de la cour intérieure, modifie la grande fenêtre de la façade principale (celle qui domine majestueusement la place), et dote le palais d’une corniche monumentale, au risque de la faire pencher : lorsqu’on regarde l’édifice de profil, on peut voir que la corniche a ondulé sous son propre poids avant de se stabiliser. À partir de 1552, Jacopo Barozzi da Vignola (que les Français nomment Vignole) participe à l’édification d’une parie de la façade de la via del Mascherone. Enfin, à partir de 1573, la construction de l’aile arrière est confiée à Giacomo Della Porta, et c’est lui qui achève en 1589 la façade donnant sur le Tibre.

Ce n’était pas assez d’avoir pour architectes Sangallo, Michel-Ange et Vignole. Les fresques réalisées  dans la deuxième moitié du XVI° siècle ajoutent encore à ces noms ceux des plus grands peintres : Francesco Salviati, l’un des meilleurs maniéristes romains, puis les frères Carrache assistés de Guido Reni, de Giovanni Lanfranco et du Dominiquin, se chargent de décorer partiellement l’immense bâti. Comment de si grands noms se retrouvent-ils au même endroit ? La réponse tient d’abord à la mobilité des artistes italiens, qui voyagent d’un chantier à l’autre et qu’on retrouve dans de nombreux palais : les Carrache naviguent ainsi entre Bologne, Florence et Rome. Il ne faut donc pas s’étonner de les voir au palais Farnèse, d’autant qu’ils réalisent aux alentours de Rome des fresques moins connues et pourtant comparables.

L’originalité du Farnèse, résume l’historien Bertrand Marceau, qui prépare une monographie sur le palais, vient du fait qu’on y trouve des chefs d’œuvre de la peinture et de la sculpture, dans un bâtiment qui est lui-même un chef d’œuvre d’architecture, inscrit dans un plan qui est un petit miracle d’urbanisme : Pris un par un, tous ces éléments sont comparables aux palais voisins. La monumentalité ? Voyez le palais de la Chancellerie ou le Palais Borghèse. La perspective ? On en trouve une très belle au palais Spada. C’est leur combinaison qui, en créant un effet d’empilement, rend le Farnèse exceptionnel.

Entre la salle dite des Fastes  farnésiens et la galerie des Carrache, on peut suivre la rapide évolution des styles picturaux. La première, commandée en 1552 par le cardinal Ranuccio Farnèse, petit-fils de Paul III, exalte la gloire à la fois militaire et pontificale des Farnèse. Ces fresques sont des chefs d’œuvre du maniérisme finissant : les figures allongées dans des postures d’une extraordinaire élégance donnent à lire un projet iconographique stylisé, héroïque.

Par contraste, les frères Annibal et Augustin Carrache, appelés à Rome par le cardinal Odoardo Farnèse, arrière-arrière-petit-fils de Paul III, confèrent à la voûte de la galerie, commencée en 1598, un charme plus naturel. Leurs variations sur des sujets mythologiques présentent des visages singularisés, des postures spontanées. Leurs fresques introduisent une beauté discrètement populaire dans une imagerie savante.

À bien y regarder, il ne se passe qu’une génération une fois terminée tous les travaux d’architecture et de peinture avant que le palais Farnèse ne cesse d’être occupé par la famille qui l’a construit. Entre les année 1635 et 1688, il commence à être utilisé par les ambassadeurs des rois de France qui y résident à plusieurs reprises en tant qu’invités des Farnèse. Parmi ces hôtes de marque, le cardinal Alphonse-Louis de Richelieu, principal ministre de Louis XIII. À bien des égards, leurs visites marquent le début de l’histoire franco-italienne du palais.

Une histoire cependant interrompue pendant un siècle et demi lorsque le palais, à la mort d’Antoine Farnèse en 1731, change de dynastie. En effet, la dernière héritière des Farnèse, épouse de Philippe V d’Espagne, lègue les biens de la famille à son fils Charles, premier roi de Naples de la dynastie des Bourbons, futur Charles III d’Espagne. La fabuleuse collection d’antiques qui ornait le Farnèse – dont le célèbre Hercule Farnèse, découvert dans les thermes de Caracalla, qui cache derrière son dos musculeux les pommes des Hespérides – fut transféré à Naples au XVIII° siècle, où elle finit par rejoindre le Musée archéologique. Laissé un temps à l’abandon, le palais subit quelques restructurations en 1818, avant d’être réhabilité à partir de 1860 par l’architecte Antonio Cipolla ; la décoration des salles et des camerini de l’étage noble est alors commandée aux frères Grassi, juste à temps pour accueillir en 1863 François II de Bourbon, roi des Deux-Siciles, qui s’y installe après l’occupation de Naples par les troupes de Garibaldi.

Mais une plus grande histoire vient alors percuter celle du palais : avec l’instauration du royaume d’Italie, la proclamation de Rome comme capitale en 1871 et l’installation de la famille royale sur la colline du Quirinal, une nouvelle séquence s’ouvre. Elle signifie d’abord un réinvestissement symbolique et urbanistique de la ville de Rome, comparable à ce qui s’est passé pendant la Renaissance. Surtout, en prenant la suite de l’État pontifical, le jeune État italien doit prendre en charge une quantité considérable de bâtiments dont l’entretien coûte extrêmement cher.

Lorsque la Chambre apostolique, qui gérait jusqu’alors ce patrimoine, passe la main à l’État italien, cela ouvre aux étrangers beaucoup d’opportunités. Les accords les plus réussis se fondent sur un échange de bons procédé: les puissances étrangères occupent des bâtiments à des fins politiques ou scientifiques et s’engagent en retour à en assurer l’entretien. Or les Français, après leur défaite de 1870 contre la Prusse, sont résolus à retrouver  leur influence par le biais d’actions culturelles fortes, une manière de soft power théorisé, entre autres, par Ernest Renan dans la Réforme intellectuelle et morale (1871). Selon Renan, les intellectuels et les universités doivent être le socle sur lequel la France doit s’appuyer pour assurer son renouveau.

Partout dans le monde, diverses institutions françaises investissent des lieux afin de développer et de rendre visibles les savoirs. À Rome, une antenne de l’École française d’Athènes, elle-même fondée en 1846, est ouverte en 1873. Deux ans plus tard, l’Ecole française de Rome (EFR), désormais autonome, s’installe au plais Farnèse en même temps que l’ambassade, qui signe un bail de location avec les Bourbons des Deux-Siciles. L’historien Auguste Geffroy contribue alors à définir les missions de l’EFR en mettant l’histoire à égalité avec l’archéologie. C’est indispensable, car, à cette époque, les Italiens, soucieux d’affirmer leur capacité à entretenir les pages glorieuses de leur passé, n’accordent pas de concessions de fouilles aux États étrangers.

Aujourd’hui, les chantiers sont nombreux et la bibliothèque de l’EFR n’est plus seulement française : elle participe au plan de conservation des périodiques italiens. Au cours du temps, plusieurs ambassadeurs se sont signalée par leur fascination pour le palais. Les uns partagent l’émotion que leur inspirent les lieux par des souvenirs enchantés (Armand Bérard, Cinq années au Palais Farnèse, 1982), d’autres par des récits (Jean-Marc de la Sablière, La saga des Farnèse, 2020), d’autres par leurs efforts pour faire connaître la palais au public, comme Christian Masset (ambassadeur depuis 2017) et son épouse Hélène, attachés à en ouvrir les espaces à toutes les occasions, notamment lors des Journées européennes du patrimoine ou à l’occasion des travaux actuels, en incitant les artistes à porter un regard original sur le palais et son histoire.

Reste à honorer les engagements d’entretien. Lors du Jubilé de l’an 2000, sous le pontificat de Jean-Paul II, les Français ont restauré la façade principale ainsi que le cortile (cour intérieure, généralement à arcades) et la façade donnant sur le jardin. Si les travaux durent en rester là faute de financements, ils reprennent aujourd’hui pour affirmer l’attachement de la France au palais.

En effet, par le bail de 99 ans signé entre la France et l’Italie en 1936, le gouvernement français s’est engagé à entretenir l’édifice et, par réciprocité, l’ambassade d’Italie a été installée à Paris dans l’Hôtel de La Rochefoucauld-Doudeauville. Cet accord sera-t-il renouvelé à l’échéance du bail ? C’est probable, malgré les limitations que cela implique pour l’accès du public à la Galerie des Carrache et à la salle des Fastes farnésiens, qui n’est autre que le bureau de l’ambassadeur. Comment faire pour que l’un des monuments les plus emblématiques de la Renaissance romaine devienne l’objet d’une jouissance populaire et partagée ? Cette question cruciale n’est pourtant que l’aspect le plus visible des enjeux liés à la collaboration à la fois diplomatique, scientifique et patrimoniale entre Français et Italiens au palais Farnèse. Le devenir de cette réalisation sans égale est donc loin d’être terminé : surgi d’une carrière ecclésiastique foudroyante ayant atteint les sommets, le palais poursuit désormais sa trajectoire dans les incertitudes du temps long.

Maxime Rovere. L’Histoire n° 493 Mars 2022

Giulia Farnese, par Raphael.

Carl Hagenbeck est importateur d’animaux à Hambourg : ses affaires vont mal : il lui faut du nouveau à proposer à ses clients, zoos et cirques d’Europe. Et le nouveau, eh bien, cela va être six authentiques Lapons, qui vont accompagner les rennes qu’il importe de Scandinavie. Ils font une tournée dans les zoos et l’opération est un succès. L’année suivante, ce seront quelques Nubiens, vivant entre Égypte et Soudan, qui accompagneront girafes, éléphants et autruches. Et la mode est lancée, et va se généraliser, permettant d’engranger de substantiels bénéfices avant que des voix ne s’élèvent pour mettre fin au scandale.

Les projets de construction d’un tunnel sous la Manche remontent au début du siècle. Mais cette fois-ci, on passe à l’exécution, tant du coté anglais que français : Les ingénieurs anglais William Low et français Aimé Thomé de Gamond dirigent les opérations. Sur le terrain, l’ingénieur des mines, Ludovic Breton, dirige la construction d’une véritable usine du tunnel à Sangatte. Après des travaux préliminaires, le percement des galeries peut commencer avec l’aide d’une machine inventée par H. Brunton, puis une machine rotative, l’ancêtre du tunnelier, mise au point par un militaire britannique, le Colonel Beaumont qui permet de forer 90 mètres par semaine. Mais politiques et militaires britanniques ne l’entendent pas de cette oreille : tout cette affaire menace trop directement le bel isolationnisme britannique, tant et si bien que les travaux seront arrêtés en 1883. De chaque côté, près de 1 800 mètres avaient été creusés.

Martha Jane Canary, 18 ans s’est travestie en homme pour s’engager dans l’armée américaine sous les ordres du général Crook. Née à Princeton, Missouri, d’un père paysan, joueur et d’une mère alcoolique, elle a été brinquebalée sur les routes de l’ouest dès l’âge de 8 ans : 3 000 km en convoi pendant 5 mois sur les pistes de l’Oregon. Quatre ans plus tard elle est placée dans une famille d’accueil dans le Wyoming. En 1878, elle va s’occuper de malades atteints de la variole avec un grand courage à Deadwood, dans le Dakota du Sud : lui en restera à jamais son surnom de Calamity Jane : en prenant le statut d’homme, elle avait aussi goûté à la liberté qui s’y attachait, payée bien cher : prison, alcoolisme, prostitution. Elle mourra à Terry, près de Deadwood, en 1903.

Calamity Jane était apparemment une femme aux multiples facettes et talents

L’Égypte est un immense pays, dont la population est principalement répartie de part et d’autre du Nil. Dans le sud, c’est le Soudan, avec une opposition de toujours avec le nord. Ziber Pacha est gouverneur d’une partie de ce sud, le Bahr al-Ghazal – la région où le Nil Blanc fait une boucle vers l’ouest, composée pour le principal de marais – ; il vient de plus de conquérir le Darfour, au nord-ouest : tout ce dynamisme inquiète le khédive qui craint voir naître dans le sud un sultanat rival : il rappelle le gouverneur au Caire et, pour garder l’esprit tranquille nomme des blancs comme gouverneurs dans ce sud : l’anglais Samuel Baker à l’Equatoria, au sud de Fachoda, puis Charles Gordon, qui deviendra gouverneur général du Soudan. On y verra des figures hautes en couleur, tel l’autrichien Rudolf Carl von Slatin qui sera un temps bey dans le sud-ouest du Darfour, emprisonné des années durant à Omdurman, à côté de l’actuelle Khartoum, puis s’en évadant pour une virée de 1 000 km qui l’emmène au Caire, décoré de l’ordre du Bain par la reine Victoria, repartant guerroyer en Égypte aux côtés de lord Kitchener…

Paul Leroy Beaulieu fait partie de l’élite intellectuelle de la France, et va se révéler le grand théoricien de l’œuvre coloniale de la France, en publiant De la colonisation chez les peuples modernes qui allait connaître un immense succès : L’ouvrage fit l’objet de sept rééditions jusqu’en 1906, à chaque fois augmentées pour atteindre finalement plus de  1 400 pages en deux tomes. Il y rappelait les colonisations antérieures au XIX° siècle : espagnole, portugaise, hollandaise, anglaise, danoise, suédoise et française. Puis il abordait le XIX° siècle avec les mêmes acteurs auxquels s’ajoutait désormais la Belgique, l’Italie, l’Allemagne. Il analysait ensuite l’influence des colonies sur les métropoles en ce qui concernait l’émigration humaine, celle des capitaux et le commerce colonial. Enfin il faisait des propositions sur le meilleur système applicable aux établissements coloniaux. Le régime des terres, la main d’œuvre nécessaire, le système fiscal, les travaux publics, les missions le respect des coutumes indigènes, le recours aux compagnies à charte ou avec concession, tout était analysé dans le détail, en comparant les différentes expériences de par le monde.

La première édition de De la colonisation chez les peuples modernes suivait de quatre années à peine le drame de Sedan : l’effondrement de la France devant la Prusse, la perte de l’Alsace-Lorraine, la proclamation de la création de l’Allemagne dans la Galerie des Glaces du Palais de Versailles occupé par l’ennemi, suivie par le soulèvement de la Commune de Paris, révolution écrasée par une répression impitoyable, au prix de dizaines de milliers de morts et de centaines de milliers de dures condamnations. Comment ne pas faire le lien entre ces événements terribles et la première formulation théorique de relance d’une nouvelle colonisation ? Comment ne pas songer que ce trauma expliquait peut-être que c’était un économiste libéral qui allait porter cette théorie, alors que jusque là les penseur libéraux y étaient hostiles.

Philippe San Marco. Sortir de l’impasse coloniale. Mon petit éditeur 2016

5 01 1875   

Inauguration de l’Opéra Garnier. Les travaux ont duré 15 ans. La scène fait 60 m. de haut, dont 45 m. de cintres et 15 m. de dessous, 27 m. de profondeur et 48.5 m. de largeur. La salle dispose de 1 900 sièges de velours, le grand foyer (restauré en 2004), fait 54 m. de long pour 13 m. de large et 18 m. de haut. Un journal écrira : indéfinissable cocktail de styles, original à force d’être bâtard. Charles Garnier avait déjà répondu à l’impératrice Eugénie qui s’étonnait que ce ne soit ni du classique, ni du grec, ni du romain : c’est du Napoléon III. Le président de la République est le maréchal de Mac Mahon ; on a invité 2 500 personnes, parmi elles, pas mal de têtes couronnées mais, dysfonctionnement des services de la com ou crasse délibérée ? l’architecte Charles Garnier, 35 ans quand il avait emporté le concours en 1858, n’a pas été invité : il lui faudra payer son billet d’entrée ! On comprend le bien-fondé de l’illustration la même année d’une photo de Mac Mahon à cheval : la monture à l’air intelligente ! [ce qui avait valu une amende de 5 000 francs à son auteur.]

On s’est aperçu que l’on ne pouvait pas laisser le chef de l’État arriver à l’Opéra au milieu de la foule. Il fallait construire du définitif et un des points principaux de la construction a été la sécurité, l’accueil du chef de l’État. (…) Pour la première fois […] dans l’édification des monuments importants de Paris, on a organisé un concours. On murmure que Viollet-le-Duc avait inspiré cette idée pour éliminer celui qui était un peu prédésigné : l’architecte ordinaire de l’Opéra Le Peletier, Charles Rohault de Fleury. Toujours est-il qu’ils ont concouru tous les deux et qu’ils ont été éliminés au premier tour tous les deux. Cinq présélectionnés sont restés pour le deuxième tour et Garnier l’a emporté alors que l’on ne savait pas qui il était. 

                                                                                                               Gérard Fontaine

Fichier:Charles Garnier by Ernest Ladrey, c1870.jpg — Wikipédia

Charles Garnier

Opéra Garnier — Wikipédia

Opéra Garnier : billet d'entrée et visite en autonomie - Paris, France | GetYourGuide

Rotonde des abonnés du Palais Garnier à Paris | Opéra garnier, Opéra, Garnier

La Rotonde des abonnés.

14 01 1875    

Espagne : Alphonse XII entre à Madrid et rétablit la monarchie.

30 01 1875

La III° République est solennellement proclamée dans l’Opéra du château de Versailles. Les lois constitutionnelles instaurent assez vite le bicamérisme : les sénateurs siégeront à l’opéra, mais où va-t-on mettre les députés ? l’architecte Edmond Joly est alors chargé d’édifier le plus vite possible un nouvel hémicycle, à même de recevoir 1 500 personnes, public compris. La première séance s’y déroulera le 8 mars 1876, mais dès le 19 juin 1879, les parlementaires voteront le retour à Paris, Palais Bourbon pour les députés, Luxembourg pour les sénateurs. Versailles ne sera plus utilisé que pour les congrès, réunion des deux chambres, lors par exemple de l’élection d’un président de la République : en 1953, René Coty sera le dernier président élu à Versailles, après quoi l’élection au suffrage universel changera la donne.

L’Assemblée nationale adopte l’amendement proposé par Henri Wallon ayant pour objet d’insérer un article additionnel après l’article premier du projet de loi constitutionnelle sur l’organisation des pouvoirs publics, et aux termes duquel le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible. L’amendement est adopté par 353 voix contre 352 : le mot République entre donc dans la loi constitutionnelle, et vient ainsi rendre impossible une restauration monarchique légale.

L’histoire dira que la III° République a été fondée à une seule voix de majorité. Ce qui n’est pas tout à fait exact, car l’ensemble de la loi où figure le texte proposé par Wallon sera adopté beaucoup plus largement : or c’est là le vote juridiquement décisif.

François Goguel

21 02 1875  

Jeanne Calment voit le jour. Elle en aura marre bien plus tard que tous ses contemporains, et attendra 122 ans pour s’en aller au paradis, le 4 Août 1997 [5]. Elle choisit d’entrer dans une maison de retraite à l’âge de 110 ans : elle y arriva en vélo. On peut dire d’elle qu’elle détient un record imbattable dans la catégorie amateur, qui aura été la seule jusqu’à sa vieillesse [parmi ceux bien sûr dont les âges sont connus]. Mais à la fin du XX° siècle, l’affaire s’est sacrément professionnalisée : tous les vieux des catégories sociales les plus aisées dans les pays riches pratiquent la gym, une alimentation adaptée, une hygiène de vie bien étudiée, des médicaments sans cesse améliorés… autant de facteurs d’une longévité accrue : il faut bien s’attendre à ce que ses 122 ans soient rapidement dépassés. Pour la France, on prévoit qu’en 2020, les plus de 60 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans.

15 03 1875  

Mise en service du phare de Tévennec, construit sur un îlot qui culmine à 14 mètres au-dessus du niveau de la mer à marée haute, au sommet d’un triangle isocèle dont les deux autres sommets sont l’île de Sein et la Pointe du Raz – raz : un courant très fort en breton -. L’architecte est le même que celui d’Ar Men : Paul Joly. Les travaux ont commencé en 1869. Une maison est accolée au phare qui permet à la femme du gardien de vivre avec son homme. Cela n’empêchera pas une légende de phare maudit de prendre corps : 23 gardiens successifs en 30 ans ! Des plongeurs découvriront une grotte sous-marine traversant l’îlot de part en part qui produit des sons sinistres quand les vagues s’y engouffrent et que l’air s’en échappe par des failles : des esprits gourmands de fantastique pouvaient rapidement assimiler ces sons à des cris de défunts ou de revenants (l’île n’avait été longtemps qu’un lieu de sépulture). En refusant de considérer Tévennec comme un phare de pleine mer, l’administration des Ponts et Chaussées fera une erreur qui pèse lourd dans la naissance de la malédiction attachée à ce phare. Il a été classé en tant que fanal de quatrième catégorie, et un seul gardien y a été affecté à l’origine, avec pour mission d’assurer son service à l’année longue, comme ses confrères installés dans les maisons-phares du littoral – les paradis -. Or, la vie sur le rocher de Tévennec est probablement aussi difficile que dans bien des phares en mer. C’est le couple Quéméré qui tiendra le plus longtemps, de 1878 à 1883 : il était parvenu à se doter d’un confort minimum : un four à pain, quelques poules… une vache, importée avec son fourrage, – pas assez d’herbe pour elle sur Tévennec -. Ils engraissaient également un cochon. Madame Quéméré, qui a donné naissance à trois enfants au cours de cette période, dira, à la fin de ses jours, qu’elle a passé sur cet îlot inhospitalier quelques-uns des meilleurs moments de sa vie… Aujourd’hui, il a fini d’être opérationnel depuis de nombreuses années et un projet de résidence d’artistes est en train de voir le jour : trouvera-ton suffisamment d’artistes avec le cœur suffisamment bien accroché pour vivre sur ce caillou ?

                05 1875                       

Les Grenoblois supportent mal le parisianisme du Club Alpin, et fondent la Société des touristes du Dauphiné. Plusieurs autres associations d’alpinistes verront le jour dans les années suivantes : les Grimpeurs des Alpes en 1889, les Alpinistes dauphinois en 1892, le Club ascensionniste grenoblois en 1899, les Jarrets d’acier en 1912 : dans ce dernier nom, on pressent déjà la grande guerre. Malgré tout, s’il est un domaine où les fossés culturels sont restés tout à fait franchissables à plus de 120 ans d’écart, c’est bien dans celui de la randonnée : vus aujourd’hui sur le livre d’or d’un gîte d’étape : Randopattes, le Mille Pattes, les Chamois Verts, la Joyeuse Grole, lou Cami, les Amis des Faux Plats, la Semelle fumante, le Pied curieux, Sac à dos et godillots….

2 06 1875

Quatre cent sept Kwahadis, les Comanches de Quanah se rendent aux autorités militaires des États-Unis à Fort Sill, avec leurs 1 500 chevaux et leurs armes : Ils avancèrent lentement. Leurs chevaux, affaiblis par le manque de nourriture et la rudesse de l’hiver, ne pouvaient aller plus vite. La lenteur du voyage le para d’une sorte de mélancolie. Ils eurent le sentiment d’accomplir en quelque sorte les derniers rites de la liberté. Ils chassèrent tous les jours ; ils tuèrent des bisons, des antilopes et des chevaux sauvages, et se régalèrent de nourriture cuite dans des trous entourés de pierres. Ils s’arrêtèrent de temps à autres pour permettre aux femmes de sécher et d’empaqueter la viande, aux hommes d’organiser des courses de chevaux et aux enfants de pourchasser des tétras des prairies. Ils burent le café de l’homme blanc, saturé de sucre. Ils exécutèrent les vieilles danses. Ils considèrent qu’il s’agit de la dernière danse-médecine à laquelle ils prennent part dans ces vastes plaines, expliqua Sturm. Ils disent qu’ils abandonneront leur vie itinérante et qu’ils essaieront d’apprendre à vivre comme les Blancs.  Étrangement, Sturm ne perçut aucune amertume, aucune tristesse. Peut-être simplement par manque d’imagination. Peut-être Le Peuple ignorait-il réellement tout de la vie de producteurs de haricots ou d’éleveurs de moutons qui les attendait, peut-être n’avaient-ils aucune idée de ce que signifiait vivre au même endroit, dans une même habitation, sans suivre les troupeaux au printemps, ou de ce que feraient les hommes lorsqu’il n’y aurait plus de chasse, ni combat, ni rien d’autre pour prouver leur valeur.

[…] Dès l’arrivée de Quanah, le colonel Mackenzie [commandant de Fort Sill] s’intéressa vivement à lui. Malgré les déboires qu’ils lui avaient causés, Mackenzie admirait les Kwahadis. Lorsqu’il apprit qu’ils arrivaient, il écrivit à Sheridan : J’estime davantage cette bande que n’importe quelle autre sur la réserve… Je leur laisserai le plus de liberté possible. Et c’est ce qu’il fit. Les Kwahadis furent autorisés à conserver un grand nombre de leurs chevaux et il s’assura qu’aucun membre de la bande de Quanah ne fût confiné dans l’entrepôt de glace ou au poste de garde de Fort Sill. Il n’existe aucune trace de la première rencontre entre les deux hommes, ni des paroles qu’ils échangèrent. Ce qu’on sait, c’est qu’avant même que Quanah n’arrive, Mackenzie avait découvert l’identité de sa mère et qu’il avait écrit une lettre, datée du 19 mai 1875, à l’intendant militaire à Dennison (Texas) pour savoir ce qu’étaient devenues Cynthia Ann et Prairie Flower. Le courrier fut également publié dans un journal de Dallas et permit de découvrir que la sœur et la mère de Quanah étaient mortes. Il n’avait pas encore rencontré Quanah, mais cette lettre marqua le début de ce qui fut qualifié de remarquable amitié.

S.C.Gwynne. L’empire de la lune d’été. Terre indienne Albin Michel 2012

Jusqu’alors ennemis, les deux hommes apprirent à vivre ensemble, même si le vaincu était soumis au vainqueur. Ils étaient tous deux intelligents ; Mackenzie n’était pas Jules César, et Quanah n’était pas Vercingétorix. Il ne succomba donc pas à sa captivité. Les Comanches avaient dompté le mustang, Mackenzie avait dompté le Comanche, qui devint le parfait exemple de l’Indien intégré, ayant accepté les valeurs du capitalisme américain. Et c’est bien à partir de ce moment qu’il fut reconnu par ses frères comme il ne l’avait jamais été ; son sens des affaires avait fait de lui un très prospère marchand de chevaux et de vaches, prospérité qui lui avait permis de se faire construire une bien belle maison Star House, à l’ombre des Wichita Mountains. [encore visible derrière le comptoir indien de Cache dans l’Oklahoma] où il recevait parfois des hommes illustres, comme le président Théodore Roosevelt, mais aussi ses frères y compris et surtout ceux qui étaient dans le besoin : la propriété privée n’avait pas tué la solidarité communautaire, mais celle-ci assécha son compte en banque et il mourut le 23 février 1909 sans laisser d’héritage conséquent à ses très nombreux enfants. On lit sur sa tombe, dans le même cimetière que celle de Geronimo :

Ici repose, jusqu’au lever du jour,
La tombée des ombres,
Et la disparition des ténèbres,
Quanah Parker, le dernier Chef des Comanches.

Following the Trail of Quanah Parker - True West Magazine

3 06 1875  

Un infarctus a raison de la vie de Georges Bizet ; il avait 36 ans. Trois mois plus tôt, c’était, à l’Opéra Comique, sous la direction d’Adolphe Deloffre, la première de Carmen qui avait essuyé un retentissant échec : le livret était de Henri Meilhac et de Ludovic Halevy d’après la nouvelle Carmen de Prosper Mérimée ; pour le fond cet opéra comique avait été jugé indécent, immoral, la musique critiquée pour son absence de mélodies ; pour la forme, les musiciens et les choristes avaient été médiocres, les changements de décor beaucoup trop longs, favorisant l’éclaircissement des rangs tout au long du spectacle. Georges Bizet en avait été bouleversé. Le 30 mai il était atteint d’une crise aigüe de rhumatismes articulaire, consécutive à une baignade dans la Seine la veille. Il est bien dommage que Georges Bizet n’ait pas été en meilleurs termes avec la patience, car la revanche posthume sera éclatante : Carmen est aujourd’hui l’un des opéras les plus joués au monde. Et que dire des adaptations au cinéma : vingt-quatre films !

Amazon.fr - Carmen - Clément, Murielle Lucie - Livres

Murielle Lucie Clément a écrit un essai sur Carmen, la nouvelle de Mérimée

LITERATURA UNIVERSAL: PROSPER MÉRIMÉE, CARMEN

Carmen (opéra) - Vikidia, l'encyclopédie des 8-13 ans

1908

Benjamin Lacombe : "Je vois « Carmen » de Prosper Mérimée comme une nouvelle romantique et purement gothique"

par Benjamin Lacombe, en illustration de la nouvelle de Prosper Mérimée

dessin pour costume 1907

Fichier:Henri-Lucien Doucet - Carmen.jpg

Célestine Galli-Marié dans le rôle-titre de « Carmen de Bizet », par Henri-Lucien Doucet, 1856-1895

Carmen - choeurs et orchestre de paris avec livret de Bizet / Pierre Michel Le Conte / Rubio / Simoneau, 33T x 3 chez maziksound - Ref:115773744

Chœur et orchestre des Concerts de Paris, sous la direction de Pierre Michel le Conte, Consuelo Rubio dans le rôle titre, Leopold Simoneau

La nouvelle fin de Carmen et les libertés du domaine public – – S.I.Lex –

Carmen Callas : Georges Bizet, Georges Prêtre: Amazon.fr: Musique

Carmen - illustration by Luc for Journal Amusant 1875 Stock Photo - Alamy

Avec toutes leurs musiques viennoises, napolitaines et moscovites, il n’y aura, caramba ! bientôt plus que moi de française. Illustration parue suite 1875 dans Le Journal amusant

L’air de La Habanera (acte I) est un des plus célèbres airs de Carmen. C’est aussi le seul thème de cet opéra directement pris du répertoire espagnol – et son histoire vaut le détour. La cantatrice Célestine Galli-Marié – que Bizet avait choisi pour créer le rôle de Carmen en raison de la chaleur de son timbre et de son jeu naturel – s’est avérée très exigeante, au point qu’elle aurait demandé à Bizet de réécrire treize fois son grand air d’entrée en scène. Au bout de douze versions, Bizet est en panne d’inspiration. Il tombe alors sur un recueil de chansons espagnoles de 1864, où se trouve El Arriglito. Enchanté, il reprend l’air, qu’il a déjà entendu au Théâtre Impérial Italien de Paris.

Persuadé qu’il s’agit d’une chanson populaire (et donc anonyme), il ne modifie qu’assez peu la musique et le rythme, et ne cite bien sûr pas l’auteur original, Sebastián Iradier, un compositeur basque espagnol. Ce rythme c’est la habanera, qui donne son nom à l’air de Bizet. Là encore, il y a un malentendu : habanera signifie en espagnol havanaise, or à Cuba il n’y ni Bohémienne, ni Gitane comme la belle Carmen.

Le texte subit quant à lui de grands changements, les librettistes ne se contentant pas d’une simple traduction de la version espagnole : alors que dans la version originale une femme raconte sa méfiance envers les séducteurs qui lui promettent le mariage et l’invitent à danser la habanera, dans la traduction française il s’agit de l’histoire d’un homme séduit et victime de son amour pour une étrangère…

Madeleine Brès, 33 ans, née à Bouillargues, aux portes de Nîmes, devient la première femme médecin de France : les obstacles n’auront pas manqué, mais, avec des patrons qui n’hésitent pas à combattre le poids des conformismes, on peut y parvenir. Le courrier qui suit est une excellente illustration de l’argumentation alors en vigueur, bien représentative de ce conformisme :

L’inaptitude médicale des femmes.

La femme doctoresse est une de ces herbes folles qui ont envahi la flore de la société moderne ; très innocemment elle s’est imaginée qu’ouvrir des livres et disséquer des cadavres allait lui créer un cerveau nouveau. Vous serez une érudite. Madame, je n’en disconviens pas ; pour médecin, souffrez que j’apporte mes réserves. Je ne parle pas de votre excès de sensibilité incapable de maîtriser le jugement qui sort de votre lèvre ; le sang-froid dans les circonstances imprévues, la décision, l’audace en face d’un danger pressant, par crainte que vous ne puissiez apporter dans la balance de telles preuves de vigueur morale, je ne demande même pas que vous vous en chargiez. Négligeons, si vous le voulez bien, les traits de votre caractère qui sont particuliers à votre sexe et se tournant en qualité de dévouement, d’abnégation, de sacrifice dans le cercle de famille, deviennent au contraire défaut, et des plus grands dans une carrière où ils ne seraient pas soutenus par cette fermeté et cette initiative qui vous manquent et sans lesquels la pratique médicale où vous vous adonnez, apparaît comme une fonction à ressorts amollis et dont le sentiment au lieu de la raison réglerait le mécanisme et le jeu, au détriment bien entendu des malades. Le tempérament de sensibilité imparfaitement pondéré qui est vôtre vous interdit le calme indispensable à la pratique médicale. […] La femme, par la force des choses, en vertu de son infirmité naturelle, ne peut être qu’un thérapeute médiocre. […] Beaucoup de gens estiment que bornée à certains soins spéciaux, une doctoresse peut rendre des services. Elle est douce, compatissante, aimante ; les femmes n’ont pas à alarmer leur pudeur devant elles, les enfants ne s’effraient pas à son approche. Ce sont là certes des qualités. Il ne s’agit que de s’entendre : à quel rôle ces qualités d’adaptent-elles le plus heureusement ?  À celui de médecin ou de garde malade ? Étant donné la pente connue du cerveau féminin, la réponse n’est pas douteuse. Une doctoresse dans la clientèle, ne sera jamais qu’une excellente garde-malade. […] J’ai été assez aimable pour les femmes, celles qui contentent à se tenir dans la sphère aimante et douce qui leur est attribuée par leur sexe, pour qu’il me soit permis, à celles qui s’égarent dans des études où elles sont inaptes, de leur montrer qu’elles font fausse voie et qu’il ne dépend pas de leur volonté de se créer un cerveau de praticien.

Charles Fiessinger. La médecine moderne n° 11. 1900

15 06 1875  

Pour laver l’affront de la Commune, mais aussi, la prise de Rome par l’armée italienne le 20 septembre 1870, signifiant la perte de l’autorité temporelle du pape, l’Église de France pose la première pierre de la Basilique du Sacré Cœur à Montmartre, dite du Vœu National. Sur les plans de Paul Abadie, elle reprend le style romano-byzantin de Saint Front de Périgueux ; elle sera achevée en 1910. Le Sacré Cœur, c’est une dévotion dont l’origine remonte à Marguerite Marie Alacoque, religieuse à Paray le Monial à qui le Christ serait apparu 2 fois, en 1673 et 1675. Cette fête sera étendue à toute l’Eglise par Pie IX en 1856. Marguerite Marie sera béatifiée en 1864. À l’origine du projet, Alexandre Legentil, propriétaire du Petit Saint Thomas, un des premiers grand magasins de Paris, membre très actif de la Société de Saint Vincent de Paul et fondateur du Vœu national : En présence des malheurs qui désolent la France et des malheurs plus grands peut-être qui la menacent encore. En présence des attentats sacrilèges commis à Rome contre les droits de l’Église et du Saint-Siège, et contre la personne sacrée du Vicaire de Jésus-Christ nous nous humilions devant Dieu et réunissant dans notre amour l’Église et notre Patrie, nous reconnaissons que nous avons été coupables et justement châtiés. Et pour faire amende honorable de nos péchés et obtenir de l’infinie miséricorde du Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ le pardon de nos fautes ainsi que les secours extraordinaires, qui peuvent seuls délivrer le Souverain Pontife de sa captivité et faire cesser les malheurs de la France. Nous promettons de contribuer à l’érection à Paris d’un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus.

Ce vœu va devenir le socle sur lequel se bâtira le Sacré Cœur de Montmartre via la confrérie éponyme, patriotique et spirituelle. La première pierre sera posée le 16 juin 1875, et le chantier achevé, pour l’essentiel, en 1919. Résultat : un gros gâteau avec beaucoup de chantilly. Les oppositions vont être rudes.

Qu’il me permette de prendre acte de ce que le gouvernement reconnaît qu’on a voulu imposer à la France le culte du Sacré Cœur comme un acte de pénitence et de contrition: Gallia poenitens et devota ; qu’on a prétendu nous signifier d’avoir à demander pardon d’avoir combattu, comme nous combattons encore, pour les droits de l’homme, d’avoir à nous repentir d’avoir fait la Révolution française. […] Nous ne demandons pour aujourd’hui à la Chambre qu’une seule chose, c’est de répudier l’œuvre de réaction cléricale de l’Assemblée nationale, de la désavouer publiquement en émettant un vote politique.

Georges Clemenceau, député. Discours à la Chambre 30 juin 1882

Dans cette bataille de la Libre-Pensée contre toutes les forces de la réaction, la basilique colossale est à la statue philosophique ce qu’est, dans les guerres fratricides, le gros cuirassier et le petit torpilleur : c’est pour quoi il faut ériger la statue du chevalier de la Barre [voir à 1766] en face du Sacré-Cœur, le dôme orgueilleux en tremblera sur sa base, car les libre-penseurs allant à Montmartre en pèlerinage, ce sera la désaffection de la butte. Celle de la basilique ne tardera pas, et nous applaudirons à cette revanche de la vérité sur la grossière superstition et sur l’ignorance.

H. Godet. L’Action 7 août 1904

Statue du Chevalier de la Barre | Vieux paris, Ville france, Montmartre

… une procession à Abbeville.

La basilique du Sacré-Cœur de Montmartre bientôt inscrite aux monuments historiques

10 millions de visiteurs par an

La basilique du Sacré-Cœur de Montmartre

25 06 1875   

Il a beaucoup plu dans le sud-ouest : la Garonne en crue détruit environ 1 400 maisons à Toulouse. Agen et Marmande sont gravement touchées. Dans les jours qui suivront, Émile Zola écrira une nouvelle L’inondation, se limitant à l’histoire d’une famille de paysans prospères noyée en quelques heures.

1 08 1875

Le polytechnicien et lieutenant de vaisseau Louis Brault fait une communication sur la météorologie marine au Congrès de Géographie qui s’ouvre à Paris.

S’il se dit le disciple de Maury et reconnaît volontiers la valeur de sa méthode, il conteste les conclusions de sa Géographie des mers, citant le mot de Laplace sur Bernardin de Saint-Pierre : Comme démonstration, c’est peut-être suffisant… pour un littérateur. Brault entreprend notamment de revoir les cartes de l’Atlantique nord établies par Maury, qu’il trouve mal servies par les journaux de bord américains, qui donnent beaucoup d’informations pour la zone des alizés, mais fort peu dans la zone des vents de direction et d’intensité variables. 

Pour ce faire, il se sert de 20 000 journaux de navigation pris parmi les plus complets des années 1800-1870, entreposés dans divers ports français. Le dépouillement de cette masse considérable de documents occupe 20 v000 journées d’adjudants, de quartiers-maîtres et de timoniers brevetés, douze hommes rassemblent en trois ans 236 986 observations de directions, autant d’intensité et environ 200 000 successions de vents. Commencé en 1869, annoncé en 1870, ce travail est exposé en 1875 au cours d’une communication faite au Congrès de géographie.

À la différence de Maury, Brault regroupe ses données par saison (elles sont trimestrielles comme dans les cartes anglaises et ajoute aux directives des vents des indications graphiques de forces, en regroupant frais et grands frais, forte brise et bonne brise, légère brise et calmes. ses seize cartes générales des vents, publiées par le Dépôt des cartes et plans de la Marine, usent d’un style de figuration plus graphique que celui des cartes de Maury, qui étaient encore proches du tableau. Dan son Traité de météorologie maritime il améliore également la formule de Lambert, qui donne la route en fonction de la direction moyenne des vents en y introduisant la notion d’intensité moyenne.

Ainsi, si Maury a provoqué la première rencontre météorologique internationale, c’est bien Brault le véritable météorologue, celui qui nuance les vents selon leur forces, qui les classe en fonction des saisons et qui met en place les éléments d’une véritable géographie climatique des océans pour laquelle il cherche des lois. J’entreprenais  d’étudier non seulement la loi de direction mais encore la loi de l’intensité et la loi de la succession des vents.

La météorologie, qui est une science qui commence, en est à la forme de probabilité ; c’est sous cette forme qu’elle existe et qu’elle affirme en quelque sorte sa valeur. Comme Maury, Brault désire avant tout fournir un outil fiable pour la navigation ; il sait que les lois météorologiques ne pourront être déterminées avec précision avant longtemps. Mais dès cette époque, il entrevoit le rôle de l’équilibre dynamique dans l’instabilité de l’atmosphère et pressent que ses cartes, pour être plus complètes que celles de Maury, ne sauraient en aucun cas être définitives.

Quelle st donc la nature exacte de son apport scientifique ? Avec Maury, Brault a rassemblé et ordonné assez d’observations pour fournir une aide appréciable aux navigants. Mais s’agit-il vraiment de navigation assistée ? Maury s’est servi de la somme d’expériences accumulées dans les pages des journaux de navigation pour conseiller des routes avec de meilleurs vents en fonction de ses connaissances des moyennes météorologiques. Indéniablement, son œuvre est scientifique : elle a sa méthode (la méthode statistique) et ses conclusions (la route maritime). elle a permis d’inventer la navigation appuyée sur la connaissance des probabilités d’un agent météorologique, le vent. Mais la part d’interprétation dans le choix des itinéraires y demeurait très importante et les résultats trop exclusivement tournés vers les gains de temps pour qu’il soit possible de parler d’assistance à la navigation.

Il en est de même pour Brault qui sut affirmer les données de Maury pour les grandes routes de l’Atlantique nord, et surtout dans les saisons contrastée d’hiver et d’été. Précis et méthodique, Brault se refusa à la prédiction, mais sa recherche des routes probables, par la carte et par le calcul, devint plus sûre, grâce à la multiplication des paramètres (direction, intensité, succession des vents).

Charles Daney. Les cartes routières de la mer. La mer 5 000 ans d’Histoire. Les Arènes – L’Histoire 2022

Autre communication faite à ce même congrès, concernant le projet soutenu par François-Élie Roudaire, du Service géodésique de l’armée : la création d’une mer saharienne ! une idée que Jules Verne reprendra dans son dernier roman : L’invasion de la mer 1905.

À l’intérieur des terres du sud tunisien, à quelque 16 km seulement du fond du golfe de Gabès, apparaît un élément du paysage naturel caractéristique des régions semi-arides du bas Sahara algéro-tunisien : les grands chotts, qui s’étendent d’est en ouest, sur plus de 350 km, jusqu’au pied du massif de l’Aurès et des Nememcha, dans le sud constantinois. Ces chotts, ou sebkha en arabe, sont improprement représentées sur les atlas comme des lacs aux contours imprécis. En réalité, ce sont des dépressions fermées, dont l’aspect naturel est changeant suivant la saison : recouvertes d’une pellicule d’eau plus ou moins étendue pendant la saison froide, elle s’assèchent en été et leur surface, tapissée d’efflorescences salines, prend alors cette apparence que l’on a comparée à une nappe de métal et fusion ou plus poétiquement à un tapis de camphre et de cristal.

R. Paskoff et P. Trousset. L’extravagante histoire de la mer saharienne. La mer, 5 000 ans d’Histoire. Les Arènes 2022

En 1872-1873, le commandant Roudaire a été chargé d’entreprendre la triangulation et le nivellement de la méridienne de Biskra, ce qui lui a permis d’affirmer que le Chott Melrhir est à 27 mètres au-dessous du niveau de la mer. D’où l’idée qu’il suffisait de creuser un canal depuis ces chotts jusqu’à la Méditerranée pour que celle-ci, par simple gravité, vienne créer cette mer intérieure, d’une surface estimée, à 15 000 km², avec une profondeur allant jusqu’à 27 mètres. La mer intérieure serait pour l’Algérie, ce qu’était la Méditerranée pour la France, écrit Georges Lavigne dans la Revue des deux Mondes le 25 novembre 1869. En mai 1874, un article retentissant de la même Revue avait alerté le monde scientifique sur la question, ce qui avait conduit au vote par la Chambre des Députés d’un crédit de 10 000 francs pour les travaux préliminaires. Une mission basée à Chegga, à l’ouest du choot Melrhir, nivelera 650 km en 134 jours : seuls trois petites oasis du Melrhir seraient noyées. Le congrès de géographie émet un avis favorable. Des missions ultérieures situeront le chott el-Rharsa à 23 mètres en-dessous du niveau de la mer, mais le chott el-Jérid se révèlera être lui, à 16 mètres au-dessus de la mer et cela compliquait bigrement le projet, réduisant la dimension de la mer intérieure à 8 000 km², et exigent le creusement d’un canal de plus de 200 km ainsi que le percement des trois seuils d’Oudref, de Kriz, entre les chotts el-Jérid et Rharsa, et d’Asloudj, entre Rharsa et Melrhir.

Mais le rêve de Roudaire était trop beau pour qu’il y renonçât, et ce d’autant qu’il était soutenu par des personnages de renom : Ferdinand de Lesseps, Victor Hugo : Étonnez l’univers par de grandes choses qui ne sont pas des guerres, le 3 août 1879. Mais le rapport de forces jouera de plus en plus en faveur des détracteurs du projet, de plus en plus nombreux, passant même à l’international, tant et si bien que la commission constituée en avril 1882 par Charles de Freycinet (1828-1923), alors président du Conseil, tout en rendant hommage à Roudaire, refusera de demander des crédits supplémentaires, ce qui signifiera la mort du projet.

A suivre ....

24 08 1875  

Matthew Webb est le premier homme à traverser la Manche à la nage, en 21 h et 45’. La distance géographique minimale entre Douvres et Wissant est de 34 km. En fait, elle est toujours supérieure du fait de la dérive secondaire due aux marées. Il s’agit là d’un exploit homologué et tout et tout. Mais en réalité la traversée avait déjà été faite en 1810 quand trois détenus français sur les fameux pontons anglais s’étaient échappés à la nage : deux d’entre eux étaient morts, mais le troisième était arrivé en France.

9 10 1875

Amédée Bollée, à bord de l’Obéissante, la voiture à vapeur construite par ses soins, fait le trajet du Mans à Paris, ce qui lui vaut 75 contraventions ! Il ne se laissa pas arrêter pour si peu et poursuivit ses entreprises : il dépassera les 60 km/h avec La Rapide en 1881.

L_Obeissante

L’Obéissante 1875

Ernest Bollée, la Rapide une voiture à vapeur de 1881 ...

La Rapide 1881

25 11 1875 

Le khédive d’Égypte vend ses bijoux : Le khédive d’Égypte, Ismaïl, a consenti aujourd’hui à la cession des 177 000 actions de la Compagnie Universelle du Canal de Suez qui étaient sa propriété. Il en a obtenu 100 millions de francs. Les actions ont été acquises par le gouvernement britannique qui devient ainsi le principal actionnaire de la Compagnie, prenant de vitesse le gouvernement français qui s’intéressait également à l’affaire, mais dont les tergiversations ont permis aux Britanniques de se rendre maîtres du Canal. C’est la situation financière désespérée du khédive qui l’a contraint à recourir à ce moyen pour se procurer de l’argent.

[…] L’acquisition réalisée aujourd’hui par Lord Beaconsfield est une habile mesure de sécurité en vue de protéger ce point névralgique des communications impériales, et d’assurer la sécurité du commerce de l’Angleterre avec ses riches territoires asiatiques.

Le Journal du Monde, sous la direction de Gérard  Caillet. Denoël 1975

1875

Le phylloxera, – phylloxera vastatrix -, devient une catastrophe nationale : de 83 M. d’hectolitres en 1874, la production baissera à 25 M. en 1879 ; 1 500 000 hectares de vignes rayés de la carte. Jules Emile Planchon, professeur à l’École de Pharmacie de Montpellier, va l’identifier, puis sauvera le vignoble français en introduisant des variétés américaines résistantes, qui parfois serviront simplement de porte-greffe au cépage d’origine, garantissant ainsi la même qualité de raisin. Il était finalement bien normal que le remède vienne du même endroit que le mal. Les viticulteurs lui dresseront une statue, sur le petit square qui porte son nom, face à la gare : La vigne américaine a fait revivre la vigne française et triomphé du phylloxera. Mais les vignerons avaient aussi observé que les vignes plantées sur des terrains inondables ne souffraient pas du puceron, dont les larves étaient noyées : d’où la réalisation d’un important programme de canaux  de 1880 à 1890 pour inonder en hiver les basses plaines de l’Aude.

Des anciens cépages savoyards ne restent guère que la Mondeuse, la Jacquère et la Roussette qui aurait été rapportée de Chypre par Louis de Savoie, premier cépage savoyard à avoir été distingué par une AOC, dès 1942. Viennent s’y ajouter le Gamay, en provenance du Beaujolais, le Pinot noir, le Chasselas, le Bergeron, le Chardonnay, l’Aligoté.

Le port de Sète, – on l’écrivait alors Cette – qui s’était considérablement développé surtout depuis l’arrivée du train en 1839, va voir ses flux s’inverser, les importations l’emportant sur les exportations.

À peine élu, le Maréchal de Mac Mahon, s’était aventuré à déclarer sur la crise du phylloxera : Les populations du Midi, qui n’ont point de discipline et qui ont fait fortune trop rapidement, sont insupportables mais tout cela change et le phylloxera qui les ruine, va les mettre à la raison.

*****

En 1863, le vignoble est touché par une maladie inconnue. Celle-ci est repérée pour la première fois à Pujaut, dans le Gard. Deux ans plus tard, elle passe sur la vallée du Rhône, les ceps de vigne dépérissent et personne ne sait pourquoi. En 1869, la maladie est à Nîmes, en 1871, toute la vallée du Rhône est atteinte.

Déjà, en 1854, le vignoble français avait été touché par l’oïdium. La fleur de soufre avait prouvé son efficacité. […] En 1863, c’est donc un nouveau nuage noir qui atteint le vignoble français. […] Que faire ? Toutes les idées sont les bienvenues. Le gouvernement et l’Assemblée nationale décident l’octroi d’une forte récompense à celui qui trouvera un traitement efficace. Plus de sept cent expérimentations, dont certaines vraiment farfelues sont engagées, mais aucune n’apporte de solutions et le prix ne sera jamais décerné. Le 6 juillet 1868, la Société centrale d‘Agriculture de l’Hérault décide d’envoyer une commission d’experts dans le Vaucluse pour enquêter sur cette maladie. Celle-ci est composée de Messieurs Bazille [père du peintre], Planchon et Salut. Gaston Bazille, ancien avocat, est devenu agriculteur. Jean-Emile Planchon dirige l’École supérieure de pharmacie de Montpellier. Félix Sahut préside la société d’horticulture de l’Hérault. Les trois hommes commencent par une visite à Saint Martin de Crau. Là, sur les racines d’une souche malade, ils voient apparaître de minuscules insectes jaunâtres, des pucerons, semble-t-il. Sont-ils les coupables tant recherchés ? […] Partout où les vignes sont attaquées, nos trois expert retrouvent ce même puceron inconnu. Il faut se rendre à l’évidence, c’est bien lui le coupable, mais qui est-il ?

Un entomologiste parisien, le docteur Victor Signoret, a déjà vu quelque chose d’assez ressemblant. Pour lui, il pourrait s’agir du cousin d’un insecte qui vit sur les chênes et provoque le dessèchement des feuilles et que l’on nomme Phylloxera. Les scientifiques décident alors d’appeler Phylloxera vastatrix ce fameux cousin dévastateur. Nos trois chercheurs se déplacent sur les zones infectées et s’aperçoivent que seules les vignes qui, une fois par an, subissent une forte inondation résistent bien au puceron.

De la même manière, on observe que le pied de vigne qui couvre magnifiquement le lavabo des moines de l’abbaye de Valmagne tient tête à la terrible maladie. Or, ce pied de vigne, qui a ses racines dans l’eau, a survécu probablement pour cette raison.

Mais que faire ? On ne peut quand même pas inonder toutes les vignes, va pour celles qui sont implantées dans les sables de Camargue, mais le vignoble méditerranéen est principalement établi sur les coteaux.

Le docteur Signoret fait alors remarquer que ce puceron ressemble fort à celui déjà décrit en Amérique par l’entomologiste Asa Fitch. Ce ne peut être lui, rétorque la communauté scientifique, là-bas, ils est totalement inoffensif. À moins que les plants américains résistent au fameux puceron, rebondit Jules-Emile Planchon. Pour aller dans ce sens, Léo Laliman, un vigneron bordelais, présente en 1869 au Congrès de Beaune un rapport qui affirme que les plants de vigne américains qu’il possède sur son domaine sont résistants au terrible puceron.

Dès qu’il a connaissance de cette information, Jules Emile Planchon contacte l’entomologiste américain Charles Riley qui lui confirme que les vignes du Missouri portent bien ce puceron sans paraître en souffrir. On sait aujourd’hui que les ceps de vigne américains ont développé une écorce ligneuse épaisse que l’insecte a du mal à traverser.

Jules Emile Planchon décide alors de se rendre aux États-Unis. Arrivé à New-York le 29 août 1873, il est accueilli par Charles Riley et ensemble les deux hommes visitent sept états américains afin de reconstituer l’histoire du puceron ravageur. Dans leur rapport, il apparaît que le Phylloxera vastatrix est bien originaire d’Amérique, mais là-bas, avec le temps, un équilibre hôte-parasite s’est établi. Introduits en Europe pour lutter contre l’oïdium ou simplement pour essayer de trouver de nouvelles variétés, les plants de vigne américains ont amené avec eux le terrible puceron. Nos ceps de vigne français qui ne l’avaient jamais croisé ont été des proies sans défense.

Jules Emile Planchon réalise alors que la survie du vignoble français passe par l’emploi de plants américains, comme ceux qu’il a observés dans l’état du Missouri. Mais cela signifie qu’il faut arracher le vignoble français et le remplacer par des plants d’outre Atlantique ! Repartir de zéro. Les vignerons sont effondrés, incrédules et s’offusquent : Ce parasites vient des Amériques et on veut nous faire utiliser des plants américains, c’est bien une idée de savants.

Jules Emile Planchon sait aussi qu’il ne suffira pas de remplacer nos ceps par des plants américains, car ces derniers, bien que résistants au Phylloxera, sont très sensibles à la chlorose qui sévit sur nos sols calcaires. De plus, ils font un vin de médiocre qualité.

Pierre Viala […] agronome héraultais de 28 ans, prend alors le relais. Il se rend à son tour aux États-Unis en 1887 en espérant trouver un porte-greffe résistant au phylloxera et à la chlorose. Pour qu’il puisse faire ce voyage de l’espoir, les agriculteurs se sont cotisés.

Il est accueilli par Franck Scribner de l’Université de Knoxville, et les deux hommes se lancent à la recherche du plant miraculeux, traversant huit états, parcourent plus de dix mille kilomètres en train, en voiture, à pied, à cheval… Trois mois de voyage et de péripéties où, au Texas, Pierre Viala se fait voler la valise contenant toutes ses notes ! Puis, grâce au botaniste Thomas Volney Munson, l’agronome montpelliérain découvre enfin le plant résistant au phylloxera qui se développe sur les sols calcaires du Texas. Ce fameux porte-greffe magique, le botaniste suisse Jean Louis Berlandier l’a décrit quelques années auparavant et lui a donné son nom Vitis bernaldieri. Malheureusement, ce plant accepte difficilement les greffons. C’est Pierre Marie Alex Millardet, un botaniste de l’Université de Bordeaux, qui trouve la solution finale en croisant ce plant américain Vitis berlandieri avec le plant européen Vitis vinifera. Il obtient ainsi le fameux porte-greffe 41B qui sauve la vigne française.

[…] On imagine les drames que constituèrent l’arrachage des ceps de vigne et la replantation. D’autant plus que la crise du phylloxera passée, le mildiou et le black-rot, venus eux aussi des États-Unis, font leur apparition. Les agronomes Millardet, Planchon, Viala et Ravaz, s’illustrent en décrivant ces maladies et en suggérant des traitements efficaces.

Bernard Bourrié. Passeurs d’histoire(s) Mille ans en Languedoc et en Roussillon. Le Papillon rouge Editeur 2016

Le vélocipède, avec son pédalier au moyeu de la roue avant, pour augmenter la vitesse augmente la dimension de cette roue avant : on ira jusqu’à 3 mètres de diamètre : on était pas loin du numéro de cirque : c’était le grand bi. Le français Jules Truffault allège le tout en remplaçant jantes et fourches en acier par des fourreaux de sabre, et les rayons en bois par des rayons métalliques en tension.

Le capitaine américain Georges Nares hiverne à bord de son navire dans la baie de Lady Franklin, dans le nord-est de l’île Ellesmere et atteint Alert, par 82°27’N et 64°07′ O.

Le tennis a été inventé un an plus tôt. À Lyon, Pierre Babolat crée les premiers cordages, en boyaux naturels à la demande de l’anglais Bussey. Jusque là, l’entreprise était spécialisée dans la transformation de boyaux de moutons pour la charcuterie, les cordes à instruments musicaux et les ligatures chirurgicales. Le cordage VS sera créé en 1925, le cordage nylon en 1958, en collaboration avec les entreprises des familles Maillot et Witt, qui durera jusqu’au début des années 1980 : Babolat conserve le tennis et la chirurgie, abandonne la charcuterie et les cordes pour instruments de musique. En 2013, l’entreprise sortira une raquette dont le manche emballe une puce à même d’enregistrer qualité, puissance, centrage sur le tamis des coups. Numéro 2 dans le monde, derrière Wilson, devant Head.

Achille Cazin, professeur originaire de Perpignan, est tombé amoureux des gorges de la Diosaz, en aval de Chamonix, et a voulu faire partager au public son admiration pour le lieu ; il a fait appel à Pierre Berthoud, charpentier de son état pour construire une voie qui permette de remonter le cours de ce torrent furieux et grandiose, au fond de parois quasiment verticales. Pierre Berthoud et Achille Cazin ne le savaient pas, mais ils sont les pères des via ferrata. C’est par centaines qu’ont été scellées dans la roche les consoles de fer  qui soutiennent le plancher.

Félix Sébastien, baron Feuillet de Conches est en poste aux Affaires Étrangères, au protocole. Dans quatre ans, il en sera le chef. Il publie Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame Elisabeth. Lettres et documents inédits. Tome troisième chez Henri PLON, Imprimeur, Editeur. Rue Garancière 8. Quand on sait que Marie-Antoinette a peut-être commencé quelques livres, mais n’en a terminé aucun, quand on sait qu’elle n’écrivait pratiquement pas, et qu’elle a le plus souvent brûlé le peu qu’elle avait écrit, on est en droit de se demander comment ce monsieur a pu rassembler des courriers de Marie Antoinette. Il est vrai que, pour le collectionneur qu’il était, des lettres de Marie Antoinette, cela devait miroiter comme un panier de pièces d’or. On sait aujourd’hui que ce monsieur était un faussaire. D’où quelques anecdotes de la plus grande fantaisie, quand Mozart aurait par exemple embrassé Marie Antoinette le 13 octobre 1762 à Schönbrunn lui disant : quand je serai grand, je me marierais avec toi… Il est vrai que cela permet de faire rêver dans les chaumières.

Marcelino Sanz de Sautuola se promène sur les terres de son père, et découvre les grottes d’Altamira, au sud de Santander, près de Santillana del mar ; les 175 peintures de bisons qui ornent ses plafonds datent de ~ 22 000 à ~ 15 000. La grotte, – quatre salles d’une longueur totale de 270 mètres -, ouverte au public en 1917, lui sera fermée en 1977, lorsque les délais d’attente pour la visiter auront atteint… deux ans : pour limiter la dégradation due aux émanations de CO², on avait limité le nombre de visiteurs à 35 par jour. Une réplique sera construite à coté, qui recevra en dix ans plus de 2,5 millions de visiteurs, satisfaits à une très importante majorité, ce qui plaide en faveur des répliques et des copies.

Grotte d'Altamira

De 1875 à 1883  

Pierre Savorgnan de Brazza, aristocrate italien né à Castel Gondolfo, ne pouvait supporter le nouveau roi de la péninsule, Victor Emmanuel, qui entendait limiter les pouvoirs temporels du pape. Parti en France à 16 ans en 1868 avec l’appui de l’amiral de Montaignac, ami de la famille, il va faire l’École Navale en tant que stagiaire étranger ; il a été naturalisé en 1874. En 1875, officier de marine en poste à Port Gentil, son protecteur l’amiral Montaignac était devenu ministre de la Marine : il reçut mission de remonter l’Ogooué, dont on pensait alors qu’il pouvait être un émissaire du Congo. Pris par la passion de l’exploration, il quitte la marine et explore l’Afrique Équatoriale, amorçant ainsi le début de la colonisation française, avec le Congo Français. Cela commence avec trois autres Français, dont Marche qui avait déjà remonté l’Ogooué deux ans plus tôt, 12 laptots, soldats musulmans engagés au Sénégal, qui lui avaient juré fidélité sur le Coran. Il fonde Francheville, dans l’actuel Gabon, dédiée aux esclaves affranchis, qui sera rapidement rebaptisée en Franceville. Attaqué par les guerriers aphourous, maîtres du commerce sur le fleuve, il plie bagage, mais pour revenir deux ans plus tard, avec 400 hommes – 87 Blancs et 300 Noirs – : il explorera alors l’Alima et la Likouala, affluents du Congo : leurs sources sont à la frontière est du Gabon. Il étend jusqu’au Congo la colonie française du Gabon. Le 10 septembre 1880, Ilo, le makoko [roi] des Batékés cède tous ses droits héréditaires sur ses territoires et se place sous la protection des Français, offrant à Brazza le petit village de Ncouna, rive droite du fleuve, face à Stanley Pool, la future Léopoldville, puis Kinshasa : le village deviendra Brazzaville [6], qui confié au sergent Kemara recruté à Dakar, tiendra tête pendant des mois à Stanley et aux forces belges.

L’œuvre de Brazza n’avait été fondée sur aucun rapport de force et encore moins sur une quelconque victoire militaire. Qui me touche est libre était la simple devise inscrite sur le drapeau tricolore qu’il présentait aux populations. En signe d’allégeance celles-ci se voyaient désormais protégées des redoutables chasseurs d’esclaves qui écumaient ces régions au profit des sultans du nord, eux-mêmes grands fournisseurs des pays arabes et de l’Empire ottoman en général.

Philippe San Marco. Sortir de l’impasse post-coloniale. Mon Petit Éditeur 2016

Restez en contact avec les Noirs. Efforcez-vous à comprendre non seulement les mots qu’ils prononcent, mais aussi leur mentalité. Mêlez-vous à leur vie. Visitez leurs villages, interrogez femmes et enfants. Pas d’armes, pas d’escorte. N’oubliez pas que vous êtes l’intrus qu’on n’a pas appelé.

*****

Aucun des pionniers de l’Afrique ne fut plus humain que Brazza. Aucun ne sut conquérir une amitié plus sincère de la part des populations et utiliser ce sentiment pour faire progresser à la fois l’autorité de la France et la civilisation…

Charles de Gaulle, à Brazzaville le 24 janvier 1944.

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[1] Le tissu sergé est souvent un mélange de laine et de soie, mais plus tard le coton remplacera la laine. C’est aussi un mélange de fils bleus et de fils blancs. Le tissage particulier donne une trame en diagonale, facteur de résistance en même temps que de souplesse : c’est le Denim, qui contrairement à une idée répandue n’a rien à voir avec la ville de Nîmes, puisque fabriqué à Manchester.

[2] la parution sera pour l’année suivante.

[3] 4.828 km

[4] L’histoire officielle raconte que les Farnèse, durant la construction de leur palais, jetaient par la fenêtre l’argent dans le Tibre pour montrer combien ils étaient riches ; et la petite histoire poursuit en racontant que, certes, ils jetaient l’argent par les fenêtres, mais qu’auparavant ils avaient pris soin de disposer dans le Tibre des filets qui permettaient de le récupérer …

[5] En 2018 prendra un peu de poids : une hypothèse, venue de deux Russes, Nicolaï Zak, et Valeri Novosellov, qui voudrait que tout cela n’ait été qu’une imposture, de la part de sa fille Yvonne, qui, officiellement, serait morte d’une pleurésie en 1934 ; en fait Yvonne aurait pris l’identité de sa mère à sa mort, évitant ainsi de payer des droits de succession. Et c’est Yvonne qui serait morte de 4 août 1997, mais à 99 ans. Ces Russes ne sont pas les premiers à émettre cette hypothèse, des fonctionnaires français l’avaient fait avant lui. L’ennuyeux dans cette thèse c’est qu’elle suppose une vie commune dans une petite ville où tout se sait, où le ragot est roi entre un père et sa fille de 1934 à 1942, année de la mort du mari de Jeanne Calment. Et puis, tout d’abord, pourquoi des droits de succession ? Si elle était marié sans contrat, c’était à la mort du dernier vivant – le mari, en 1942 –  que se serait opérée la succession ?  S’il était aussi facile de ne pas payer de droits de succession, la pratique devrait être beaucoup plus répandue ! Et puis, pourquoi des droits de succession de mère à fille ? Ce qu’il y a de plus net, c’est le flou dans cette affaire, car selon d’autres sources on apprend que s’il y a eu substitution d’identité en 1934, c’est concernant la vente en viager de son appartement en 1965, avec pour but de toucher la rente le plus longtemps possible. On trouvera beaucoup de monde pour affirmer haut et fort que les deux Russes rouleurs de mécaniques avaient tout faux, mais malheureusement, personne n’aura recours au seul argument à même de mettre tout le monde d’accord, – l’ADN -.

[6]… Brazzaville est aujourd’hui la seule capitale  d’Afrique à porter encore le nom d’une figure de l’ère coloniale.