Publié par (l.peltier) le 26 septembre 2008 | En savoir plus |
22 01 1901
Au bout de 64 ans de règne, la reine Victoria meurt. Impératrice de la pudibonderie, il ne faut pas croire pour autant que cela signifiait l’acceptation de la souffrance de gaieté de cœur : et quand elle pût l’éviter, elle ne s’en priva pas, ainsi de l’usage du chloroforme pour mettre au monde ses 9 enfants, au grand dam de tous les bien-pensants. Elle aura été quasiment la reine du monde pendant cet interminable règne, celui de la suprématie mondiale de l’Angleterre, maîtresse des mers et des océans, à la tête d’un empire colonial sans pareil, – 33 millions de km², 450 millions d’habitants – au faîte de sa puissance industrielle.
Stephen Frears lui consacrera un film en 2017 : Le Confident, où il prend ses distances avec la réalité historique à un point tel qu’il met en question sa crédibilité : s’il est capable, se dit-on, de raconter pareilles salades, il est capable de le faire pour tout ; ainsi de cette ignorance qu’il lui prête de la révolte des Cipayes…
En 1837, lorsqu’elle était montée sur le trône… les carrosses circulaient encore, les hommes portaient de hautes et larges cravates, rasaient leurs lèvres supérieures et mangeaient des huîtres à la sortie des barils ; des grooms bariolés ornaient l’arrière des cabriolets. Il y avait des manières polies dans le pays et pour les pauvres de misérables huttes ; de pauvres diables étaient pendus pour des fautes mesquines et Dickens commençait juste à écrire…
Galsworthy. In chancery
Elle avait fait de l’Angleterre le haut lieu mondial de la pudibonderie : il était donc très inconvenant de montrer ses jambes… et, bêtise aidant, on allait souvent jusqu’à étendre le précepte aux pianos : oui ! oui ! on mettait des jupes aux jambes des pianos ! Mais, ma foi, même la pudibonderie peut avoir de bons cotés : ne faites pas les délicats. Souvenez-vous avec quels matériaux Gargantua reconstruit les murs de Paris, et dites-vous bien que jusqu’au XIX° siècle, l’Europe pétait sans souci de Stockholm à Madrid, de la ferme à la Cour, de la cave au grenier. Relisez Saint-Simon, Restif de la Bretonne, Sade, Chamfort, Rousseau : c’est à se demander comment, dans cette canonnade, Haydn et Mozart ont pu se faire entendre. C’est, je crois, la jeune reine Victoria qui a proscrit cette bruyante pratique de sa Cour. Puis de l’Angleterre, ce silence a gagné l’Europe, ce dont je me félicite.
Nicolas Bouvier. Journal d’Aran et d’autres lieux 1990
Le deuil ne pouvait qu’être universel : à telle enseigne que l’on verra les bouchers de Smithfield voiler leurs viandes de crêpe…
Première manifestation de cette puissance, la Tamise : Par son estuaire en forme de corne d’abondance, la Tamise déverse sur l’univers les richesses produites ou entreposée chez elles. Les premiers marchands aventuriers (quel beau nom, où le commerce est ennobli par l’aventure !) dès le XV° siècle, partaient vers des marchés inconnus sur des caravelles frétées par les négociants de la Cité ; après cette hasardeuse époque, ce fût l’âge des grandes expéditions encouragées par l’État ; les navires des Drake, des Raleigh, des Hawkins, des Frobisher, s’élançaient de l’estuaire, voiles ouvertes comme des éventails, fraises au vent, vers la haute mer, et portaient jusqu’au Japon, au détroit de Magellan, au Cap, la gloire et les marchandises britanniques. Revenus de pays inouïs où les habitants n’avaient qu’un œil derrière la tête, ils jetaient l’ancre à Limehouse devant les murs de la Tour, sous la protection de la flotte d’Élisabeth aux cordages quadrillés et aux oriflammes pourpres.
Six cents ans de blocus, d’embargos, de police, de rançons, de visites, d’abordages, de captures sur tous les océans du globe ; des milliers de débarquement et de rembarquement, de rivières remontées, de forts réduits au silence, de passages forcés à la couleuvrine, d’arraisonnements à coups de canon, de victoires et de défaites navales, depuis l’Armada coulée avec ses instruments de torture, sous l’abhorré pavillon du pape, depuis les combats où Français et Anglais se coupaient la gorge avec des hurlements de joie, depuis l’insolent exploit des Hollandais, faisant brûler comme des pièces d’artifice les poudrières de Tilbury jusqu’aux triomphantes clameurs des Némésis et des Vengeance envoyant par le fond des Ça ira et les Bonne citoyenne, jusqu’aux mornes nuits de garde, pendant la Grande Guerre, derrière les filets d’acier. Six siècles de scorbut, de fièvre, de presse, de pendaisons, de coups d’étrivières, de navigations incertaines dans des mers sans sondages, de naufrages et de périls sans nom que les vieilles cloches marines, aujourd’hui muettes au fond de Greenwich, signalaient de leur faible voix, pour que soit vengée la triple insulte faite à la marine britannique : Tilbury, le camp de Boulogne, le Jutland ; et pour que Londres devienne le premier port du monde.
Paul Morand. Londres 1933
Londres était toujours la plus grande et la plus puissante cité du monde : quatre millions et demi d’habitants, huit mille rues (dont de nombreuses mesuraient moins de cent mètres), sept mille cinq cents pubs et onze mille taxis tirés par vingt mille chevaux (qui se répartissaient entre les calèches et les cabriolets, dont le nom anglais hansom pourrait signifier beau et élégant, mais renvoie en fait à leur inventeur Joseph Hansom). […] Londres demeurait à la tête d’un empire qui contrôlait un quart de la population du globe et un quart de ses terres.
On sifflait pour appeler les taxis, un coup pour les calèches, deux pour les cabriolets. Les omnibus tirés par des chevaux embouteillaient les rues. Ils avaient deux niveaux, avec une impériale à ciel ouvert, qu’on atteignait par un escalier en spirale qui permettait aux dames de descendre sans souci. Les automobiles à moteur ajoutaient depuis peu une couche de bruit, de mauvaises odeurs et de danger. En 1896, leur nombre croissant avait forcé à abroger une loi qui militait la vitesse à trois kilomètres à l’heure, et exigeait qu’un laquais marche devant en brandissant un drapeau rouge. La nouvelle loi concernant la locomotion sur les grandes routes autorisa une vitesse de vingt-cinq kilomètres à l’heure, et renonça avec raison aux laquais. Sous les pavés de la ville, l’enfer grondait. Les passagers qui s’aventuraient dans le métro souterrain devaient affronter un rugissement sismique accompagné d’une surabondance de fumée et de vapeur dans l’espace restreint du Tube, ce tunnel dans lequel les trains glissaient avec l’aisance de pistons dans un cylindre.
Erik Larson. Les passagers de la foudre. Le cherche midi 2006
27 01 1901
Giuseppe Verdi s’éteint. Quelques jours plus tôt, il écrivait : Je ne suis pas malade, mais je sens que tout me fatigue. Je ne peux plus lire, je ne peux plus écrire. Je vois peu, ressens encore moins et, surtout, mes jambes ne me soutiennent plus. Je ne vis pas, je végète… Je n’ai plus rien à faire en ce monde. Son épouse Giuseppina, partie deux ans plus tôt, avait demandé des funérailles les plus simples possible : Pas de fleurs, pas de cérémonies, pas de discours. Je suis venue au monde pauvre, sans pompe. C’est sans pompe que je veux descendre dans la tombe. Les vœux de Verdi seront identiques : J’ordonne que mes funérailles soient très modestes […] sans chant, ni musique. Deux prêtres suffiront deux cierges et une croix. Les Italiens respecteront scrupuleusement ses ordres, mais ils seront plus de 300 000 derrière le cercueil et c’est toute l’Italie qui pleurera.
L’Italie est respectée partout dans le monde grâce au génie de ses grands artistes, Michel-Ange, Dante, Raphael, Verdi etc… Si tout cet héritage disparaît, les Italiens n’auront plus de mémoire. Quand on oublie ses racines, on est mort. Je lutte pour une nouvelle organisation de la musique en Italie, pas seulement dans les théâtres, mais aussi, et avant tout, à l’école.
Riccardo Muti
À la même époque, le brigadier Antonio Mattei, grand-père d’Enrico Mattei, arrête Giuseppe Muselino, le Robin des Bois italien.
28 01 1901
À l’initiative du Comité des Forges, création de l’UIMM : Union des Industries des Métiers de la Métallurgie.
21 03 1901
Ekai Kawaguchi entre à Lhassa ; c’est un moine japonais, et même supérieur de monastère. Chi va piano va sano, chi va sano va lontano : il avait mis quatre ans pour y arriver, quatre ans de monastère en monastère, à apprendre les langues, à découvrir… Sept ans plus tôt, le Japon avait emporté une mémorable victoire sur la Chine qui s’en était trouvée fragilisée jusque sur ses frontières occidentales ; on voyait des manifestations antichinoises au Tibet, et, chose plus inquiétante pour le Japon, les Russes en profitaient pour pousser leurs pions sur leurs marches orientales. Kawaguchi n’était cependant pas un sous-marin du pouvoir japonais, il agissait pour son propre compte, même si son réseau personnel le mettait en contact avec le Survey of India à Dehra Dûn. Il parviendra à rester plus d’un an à Lhassa où ses talents de thérapeute lui donneront une bonne notoriété, jusqu’à se voir reçu en audience par le Dalaï Lama ; alors qu’il lui parlait de la rotondité de la terre, le Dalaï Lama lui répondra : Vous avez de bien mauvaises lectures !
Il ne se montrera pas du tout enthousiasmé par le Tibet : sa piété sera choquée par la paillardise, la gourmandise, la paresse et malhonnêteté de nombre de moines ; au cours d’un congrès qui rassemblait nombre de religieux, il observe que des vingt mille qui étaient présents, très peu étaient de véritables prêtres ; la plupart étaient prêtres guerriers, ou bien de simples oisifs qui venaient là uniquement pour se remplir la panse. Au lieu de réciter les saintes écritures, ils s’amusaient en séance, ouvertement, à chanter des chants profanes ou à courir l’un après l’autre […] Ils faisaient des plaisanteries obscènes et se querellaient abondamment.
Son déguisement en pèlerin chinois ayant été percé à jour, il quittera précipitamment Lhassa et le Tibet le 15 juin 1902.
1 04 1901
Lugard, gouverneur du Protectorat anglais du Nigeria du nord abolit le statut légal de l’esclavage ; il interdit la vente d’esclaves et déclare libre tous les enfants nés après cette date. La proclamation ne rendait pas illégale la possession d’esclaves : l’abolition du statut légal empêchait simplement un maître de reprendre un esclave échappé par l’intermédiaire des tribunaux.
Baba de Karo est musulmane et haoussa : elle est née dans le nord ouest du Nigeria, avant la colonisation. Elle a alors 24 ans et, sur la fin de sa vie, – elle est morte le 3 juin 1951 – elle racontera son quotidien à Mary Smith, une anglaise qui a épousé un sociologue américain en mission au Nigeria dans ces années. Cela va donner un livre Baba de Karo, [chez Terre Humaine – Plon, édité en France en 1969]. On y découvre que l’esclavage à la fin du XIX° siècle, au moins dans cette région de l’Afrique, loin d’être cantonné à la classe dominante et riche, était un élément omniprésent du quotidien des gens. Le principal effet de la colonisation a été alors de pouvoir se rendre d’un village à l’autre, d’une ville à l’autre sans courir le danger d’être rançonné par des pillards. La venue des Britanniques fut intégrée à l’ordre traditionnel des choses, annoncée par les savants coraniques dont la science gardait ainsi son prestige. Baba de Karo était d’une famille de paysans, comme l’immense majorité des africains à cette époque, bénéficiant d’une certaine aisance car possédant des esclaves, mais c’était bien le cas d’une grande part de la population.
Quand j’étais jeune, à Karo, le rinji où vivaient les esclaves était à l’ouest de notre maison et nos concessions à l’est ; les esclaves vivaient d’un côté, nous de l’autre. Ils venaient nous saluer et nous apporter des bottes de sorgho, des arachides, des ignames, du colon et des patates douces. Ils étaient plus de deux cent cinquante, et nous, nous étions très nombreux. Dans notre famille, chacun avait sa part du rinji. Aujourd’hui encore, nous y sommes toujours : l’année dernière, j’y suis allée leur rendre visite, à tous.
Ibrahim Dara avait amassé de l’argent ; il est allé au marché de Zaria acheter quelques-uns de ses esclaves. Ensuite, les esclaves ont eu des enfants. Quand il est mort, certains se sont enfuis ; ceux qui sont restés ont été répartis entre ses enfants. II avait un grand rinji, le seul de notre famille, Anguwan Karo. Il a affranchi Sarkin Gandu ; Sharo, le père de Kado (des pillards ont pris la femme de Kado, bien après), il l’a aussi affranchi. II a affranchi Hajera et lui a donné une dot ; il l’a mariée, parce qu’elle se conduisait bien : à tout ce qu’on lui disait, elle répondait : Oui, très bien. Dangwari et Mada étaient son père et sa mère, mais eux, ils n’ont pas été affranchis. Quand Dara est mort à Karo, il a laissé cent trente esclaves. II y en a quatre-vingts qui se sont enfuis : au matin, nous avons vu qu’ils étaient partis. Ils ne voulaient pas rester avec les enfants de Dara. La famille se lamentait parce qu’il était mort et les esclaves en ont profité pour se sauver.
Les héritiers d’Ibrahim Dara ont reçu environ cinquante esclaves chacun. Ils les ont emmenés chez eux, pour travailler leurs terres. Les hommes recevaient deux parts d’héritage, les femmes une seule.
Du vivant de Dara, tous ses fils vivaient ensemble et travaillaient dans son gandu à Karo ; les esclaves étaient aux ordres du père. Quand il est mort, chaque fils a pris sa part d’esclaves et s’est construit une concession séparée, à Karo même et dans les hameaux alentour. Les fils se sont partagé les terres de leur père et chacun a travaillé sa terre à lui. Après la mort de Dara, il y avait beaucoup de fils, mais pas de disputes. Comme leur père était riche, ils se partagèrent sa richesse ; si un homme ne laisse rien, les enfants restent ensemble en gandu et continuent à travailler – il faut bien qu’ils mangent. Mais à la mort de Dara, puisqu’il y avait abondance, chaque fils a pris sa part de l’héritage.
Mallem Buhari, fils aîné d’Ibrahim Dara, est resté à Karo avec une vingtaine d’esclaves. Son frère cadet Audu, sa famille, et Tsoho, notre père, vivaient avec lui à Karo, mais chacun avait sa maison personnelle et son domaine. Saidu et Ubangida étaient à Wawaye, Alfa à Ruwabango ; Balarabe était à Dankusuba, Audu dan Kunza à Guga, Audu dan Ayashe à Maicibi, et Audu dan Ayashe (un autre, qui portait le même nom), à Kuriareji. Ils vivaient tous dans les hameaux ; si la guerre venait, ils se réfugiaient dans la ville de Zarewa.
Quand les enfants des esclaves devenaient adultes, on les mariait ; on les unissait à quelqu’un de la même famille. Lorsqu’un enfant naissait dans le rinji, on faisait un baptême, on tuait un bélier et on préparait de la bouillie. L’enfant qui entrait dans notre famille était affranchi .
Nous participions à leurs cérémonies, eux aux nôtres c’était la parenté. Quand les mallems [1] étaient venus le malin donner son nom au bébé, les grandes personnes rassemblaient les enfants, nous autres, et le chef de famille se levait. Il nous disait: Vous voyez votre frère untel. C’est votre plus jeune frère. Ils devenaient nos parents ; on ne les appelait pas dimajai, fils d’esclaves, on les appelait frères. Le soir du baptême [2], on préparait la bouillie, on faisait rôtir les béliers et tout le monde se régalait,
Quand ils sont devenus grands, certains de ces enfants d’esclaves se sont mariés avec des gens de chez nous, d’autres se sont mariés en dehors.
Les esclaves de notre rinji étaient ceux qui avaient été achetés au marché ; tous leurs enfants ont été affranchis. Sarkin Gandu (affranchi par Ibrahim Dara) a eu quatre femmes. Ses enfants se sont mariés en ville : une de ses filles a épousé un forgeron, l’autre un chanteur de louanges.
Pourquoi Dara a-t-il affranchi ses esclaves ? C’est parce qu’il voulait être récompensé à sa mort, à cause de la religion. Comme lorsqu’on donne l’aumône. Mais si les maîtres d’esclaves méprisaient la religion, ils n’affranchissaient personne.
Voici ce qu’on nous racontait sur l’héritage des biens d’un esclave – nous l’avons entendu, mais jamais vu : si un esclave mourait, son maître prenait ses biens, ils devenaient sa propriété. Quand les enfants de l’esclave étaient adultes, c’est le maître qui les mariait et leur donnait des maisons et de la terre. Si un esclave épousait une femme libre, elle restait libre et ses enfants étaient libres ils ont sucé le lait d’une femme libre. Elle ne travaillait pas dans la maison du maître de son mari ; elle travaillait dans sa propre maison, sur sa propre terre.
Si un esclave demande à une femme de l’épouser, et qu’elle voit une concession, de l’argent, de bonnes terres, des bijoux, est-ce qu’elle va refuser ? Non. Si un esclave épousait une esclave qui appartenait à une autre famille, elle continuait à travailler le jour dans la maison de son maître à elle, et revenait chez son mari le soir. Ses enfants appartenaient à son maître, ils suivaient le côté du lait ; même si elle avait dix enfants, ou plus, ils ne pouvaient appartenir au maître de son mari. Ma famille admettait que ses esclaves épousent des femmes qui appartenaient à une autre famille ; quand les enfants étaient grands, le maître de leur mère les prenait.
Quand un homme libre achetait une esclave, il donnait deux esclaves hommes en échange ; elle devenait sa concubine, mais jamais son épouse. Quand elle avait des enfants de lui, elle devenait libre ; elle pouvait quitter sa maison et épouser quelqu’un d’autre. Nous appelions l’homme qui l’achetait et en faisait sa concubine son père : elle était son bien. Si elle se sauvait et épousait un autre homme, c’était lui son vrai mari ; mais si une concubine avait des enfants, elle partait rarement. Quand elle n’avait pas d’enfants, il arrivait qu’elle s’enfuie dans le monde.
Voici comment travaillaient les esclaves. Chacun avait sa propre terre à cultiver ; s’il avait une épouse, elle l’aidait, s’il n’en avait pas, il travaillait seul ; s’il avait des enfants, eux l’aidaient aussi. Le matin de bonne heure, les esclaves et leurs fils allaient cultiver leurs propres champs. À neuf heures et demie, ils revenaient travailler les terres du maître, les champs du gandu, jusqu’à Azahar (14 h 30), quand ils s’en retournaient. À midi, on leur portait à manger. À Azahar, ils rentraient se reposer ; l’après-midi, les hommes allaient cultiver leurs parcelles ; les femmes et les enfants allaient aussi cultiver les petites parcelles qui leur étaient attribuées. Tout le monde faisait pousser du sorgho, du coton, du mil, des niébé, des patates douces, des citrouilles, des arachides, des piments, des tomates-cerises, de la canne à sucre, du riz, de l’iburu, des gombos, des tomates, des poivrons.
Le matin, les esclaves mangeaient dans leurs concessions. À midi, on leur portait aux champs une bouillie de grain du gandu, tandis que les femmes mangeaient chez elles du grain de leurs provisions. Le soir, ils venaient tous devant notre maison, manger la nourriture de gandu de la maison du maître ; chacun prenait sa part et la mangeait, là, devant notre concession. Le grain était réparti entre les femmes d’esclaves ; elles le pilaient et rapportaient la farine dans notre concession. Elles en faisaient une bouillie. Tout le monde en mangeait, hommes, femmes et enfants. Ils ne faisaient rien cuire chez eux, sauf le matin de bonne heure. À midi et le soir, ils mangeaient tous la bouillie du gandu .
Le matin, la première épouse du maître leur distribuait le grain, et les épouses des esclaves préparaient la farine pour le repas de midi ; lorsqu’elle était toute mangée, la première épouse leur donnait encore du grain qu’elles pilaient pour le repas du soir. On le faisait cuire dans une marmite géante, dans notre concession.
Tout ce qui poussait dans les parcelles des esclaves leur appartenait ; ils pouvaient vendre leurs produits au marché et s’acheter des boubous ; leurs femmes achetaient des pagnes et faisaient des cadeaux de fête. Les esclaves ne donnaient rien à leur maître de ce qu’ils cultivaient ; ils travaillaient pour lui, et c’était tout. Quand il y avait une fête chez nous, ils nous apportaient tous des cadeaux ; s’il y avait une fête chez eux, c’est nous qui leur portions des choses.
Quand je me suis mariée, ils ont recueilli un sac de riz et un sac de grain ; les sacs étaient remplis à ras bord. Ils les ont donnés au maître comme provisions de renfort. Si la femme du maître accouchait, les esclaves pilaient du grain et faisaient de la bouillie et des boulettes de mil. Le jour du baptême, ils venaient tous manger dans notre case d’entrée.
L’après-midi, lorsqu’ils avaient fini de travailler aux champs du gandu, certains esclaves faisaient d’autres travaux. Ils tissaient sur le métier étroit des hommes, ils allaient vendre au marché : du sel, des noix de kola, de la canne à sucre, des patates douces, du coton, ou d’autres choses. D’autres étaient teinturiers ; d’autres cultivaient les oignons ou la canne à sucre dans les parcelles des marais. Certains s’occupaient simplement de leurs propres parcelles. Ceux qui faisaient ces travaux étaient nés dans le rinji ; les esclaves achetés au marché n’avaient pas le droit de faire autre chose que le travail des champs.
L’enfant d’un esclave regardait travailler les artisans ; c’est comme ça qu’il apprenait. Les esclaves achetés parlaient gwari, mais leurs enfants parlaient haoussa.
Je me souviens du jour où un esclave qu’on appelait le Chef d’Adamawa est venu en tournée. Il est venu au marché à cheval ; il s’est rempli la main de tabac et il a tout mis dans sa bouche. Il avait amené ses chanteurs de louanges ; il est descendu de son cheval et s’est mis à danser. Nous riions tous. Le roi de Kano l’avait acheté et nommé Chef d’Adamawa ; il parcourait le pays et chaque esclave capturé en territoire Adamawa accourait vers lui, s’accroupissait à ses pieds et lui donnait de l’argent. Il ne parlait pas bien (haoussa) ; ses chanteurs de louanges non plus. Tout ce qu’il désirait, disait un de ses chants, c’était des arachides. Le Chef d’Adamawa, le mangeur d’arachides ! C’est le roi de Kano qui l’avait envoyé faire cette tournée ridicule – ça ne lui rapportait pas un sou, au roi, mais ça l’amusait. Si vous achetez un homme d’Adamawa, quand il entendra leur tam-tam, vous verrez sa tête s’agiter, comme ça, comme ça, jusqu’à ce qu’il aille danser avec eux.
Nos esclaves provenaient de toutes sortes de tribus ; dans notre rinji, toutes les espèces d’esclaves étaient représentées. Quand ils avaient des enfants, on leur faisait nos scarifications traditionnelles à nous, la marque Barebare le long du nez. Tous les maîtres ne le faisaient pas.
Quand les garçons avaient sept ans, on leur apprenait à dire leurs prières ; on les envoyait à l’école coranique où ils apprenaient à réciter des passages du Coran. Certaines des filles y allaient aussi. Il y avait plusieurs maîtres, Mallem Yusufu et Mallem Tanko et Mallem Audu Bawan Allah.
Personne ne dansait les danses bori dans notre hameau, sauf l’un de nos esclaves, Mada, un Gwari, qui était parfois possédé. Nous allions à Zarewa la ville, dans les concessions de prostituées, les voir faire les danses bori.
Quelquefois, des esclaves s’enfuyaient ; notre Tagwayi s’est enfui, et Hasada aussi. Hasada s’est sauvé une nuit. On cherchait, on cherchait, et puis un jour on apprenait qu’ils avaient été aperçus dans quelque ville lointaine. Si quelqu’un l’interrogeait, l’esclave disait que c’était son maître qui l’avait envoyé faire une course. On ne les reprenait jamais.
Baba de Karo. Terre Humaine – Plon, 1969
6 05 1901
Après 107 jours de grève, les mineurs de Montceau les Mines reprennent le travail : ils n’ont rien obtenu.
1 07 1901
La loi Waldeck-Rousseau réglemente les associations à but non lucratif ; elle contraint les congrégations religieuses à demander une autorisation au parlement, ce qui n’est pas le cas des associations laïques qui ont juste à se déclarer.
Les bénédictins de l’abbaye de Ligugé, au sud de Poitiers, iront à Chèvetogne, en Belgique, au nord-est de Sarreguemines ; ils acquièrent le bâtiment jusque là château, et occuperont les lieux jusqu’en 1923.
8 07 1901
La vitesse des automobiles est limitée à 10 km/h en ville.
11 08 1901
La foudre met le feu aux usines Pernod, qui produisent de l’absinthe, à Pontarlier : Les derniers venus racontent l’incendie de l’usine Pernod à Pontarlier en 1901, l’employé zélé qui vide une à une les barriques d’absinthe dans le Doubs pour éviter qu’elles explosent et la grosse rivière qui illico s’alcoolise, les soldats en garnison sur les berges qui en remplissent leur casque et la boivent, qui s’esclaffent, s’abreuvent en faisant gicler la flotte, en la faisant dégouliner sur leur menton, éclabousser leur barbe, leur manteau déboutonné, un miracle, le petit Jésus est descendu dans la vallée, et le lendemain, à une quinzaine de kilomètres, une autre rivière est contaminée, ses eaux très vertes à présent, les pêcheurs font la gueule, faudrait pas que ça nous foute en l’air les truites, et on découvre ainsi que la Loue que l’on croyait autonome, originelle, n’est finalement qu’une résurgence du Doubs : ébahissement de la profession et première coloration de l’hydrologie.
Maylis de Kérandal. Naissance d’un pont. Verticales 2010
Pontarlier connut un feu d’artifice de brèves de comptoir comme jamais :
09 1901
Le président Loubet accueille à Paris le tzar Nicolas II.
16 10 1901
Niels Otto Gustaf Nordenskiöld, neveu d’Adolf Erik, [qui a franchi le passage du nord-est en 1879], appareille de Göteborg à bord de l’Antarctic commandé par Carl Anton Larsen, qui emmène 7 scientifiques et 16 hommes d’équipage suédois et norvégiens. Larsen connaît déjà les eaux des mers de Wedell et de Bellingshausen pour y avoir fait des campagnes de pêche. En Argentine, ils embarquent deux hommes : un lieutenant argentin et un artiste américain. Le programme : passer un an sur Snow Hill Island, une île de l’Antarctique, 59° O, 64° S ; après les avoir déposé fin janvier 1902 sur l’île où ils ont amené des chiens, de quoi se construire une cabane de 26 m² et un observatoire magnétique, l’Antarctic était reparti sur les Shetland. En septembre 1902, au retour de la belle saison, Nordenskjöld et deux de ses compagnons partent explorer la côte sur 300 kms. Ils reviennent au camp de base après un pénible voyage de 33 jours ayant effectué un périple de 611 km. Nordenskjöld effectue une expédition vers l’île Seymour, où il découvre des ossements fossilisés.
28 11 1901
Aux États-Unis, King Camp Gillette crée le rasoir mécanique à lames interchangeables.
12 12 1901
Marconi établit par radiodiffusion la première liaison transatlantique sans fil, entre Signal Hill, à Saint Jean de Terre Neuve et Poldhu, en Cornouailles : c’est la TSF : Télégraphie Sans Fil. Il lui en avait fallu de l’obstination pour en arriver là : il avait d’une part des concurrents directs, en Angleterre comme en Allemagne avec Telefunken, mais il y avait aussi le stade techniquement antérieur et donc moins performant mais qui présentait l’avantage d’exister : le câble sous-marin, couteux mais rapide et efficace. : en 1898, il y en avait 14 à travers l’Atlantique, dont 12 étaient en fonction 24 h/24, transmettant 25 à 30 millions de mots par an, ce qui représentait à peu près la moitié de leur capacité. Commercialement Marconi voulait se trouver en situation de monopole et demandait à ses clients de ne faire appel qu’à lui pour ce type de service. Il avait connu bien des déboires dans la construction de ses stations d’émission, en Cornouailles, près du village de Poldhu, comme à South Wellfleet, proche de Cape Cod, en Nouvelle Angleterre, et Glace Bay, au Canada, nécessitant, pensait-il plusieurs mâts de grande hauteur, pour lesquels il avait dressé un haubanage qui, plutôt que d’être indépendant pour chaque mât, les reliait tous ensemble, si bien qu’en cas de violent coup de vent, le bris d’un mât entraînait celui des autres. Et il s’était mis en tête que seule les grandes ondes, qui nécessitaient ces installations démesurées, étaient à même de traverser l’Atlantique. Il s’apercevra plus tard que cela marche beaucoup mieux avec les ondes courtes. Sa reconnaissance internationale sera reconnue par le Nobel de Physique en 1909, partagé avec l’allemand Ferdinand Braun.
23 12 1901
Première coopérative viticole à Maraussan, à l’initiative des socialistes. En fait, Le Reich allemand en avait déjà crée une à Ribeauvillé en Alsace.
On recense 500 000 bistrots en France. Au début des années 60, il n’en restera plus que 220 000, pour 46 M. d’habitants ; en 1996, on en est à 55 000, pour 58 M. d’habitants. En 1956, il fallait compter une consommation de 60 l d’alcool pur par personne et par an ; en 1996, elle a baissé à 18 l. Le terme bistrot serait du russe : vite, utilisé par les cosaques pour se faire servir à Paris en 1815. Dans un journal du Midi, Gaston Doumergue déclare : On a planté beaucoup de vignes, on a négligé de planter en même temps assez de consommateurs.
Les vendanges de l’automne 1900 ont été exceptionnelles. La production moyenne annuelle des quatre départements méridionaux passe de 16 à 21 millions d’hectolitres. De 1899 à 1909, la production nationale suit cette courbe avec des pointes de 68 millions d’hectolitres en 1900, pour une consommation annuelle nationale de 56,7 millions d’hectolitres. L’augmentation de la consommation avait provoqué une fuite en avant de la production, et un enrichissement plutôt facile des grands propriétaires : en sont encore témoins aujourd’hui ce que l’on nomme les châteaux pinardiers du Biterrois. Dans leur tête, les propriétaires d’alors étaient beaucoup plus près de l’état d’esprit du chercheur d’or, que de celui d’un responsable de la bonne gestion d’un secteur économique. Et il est vrai que tous les paramètres mesurables concouraient à cette fièvre pinardière : les prix montaient, les consommations par individu augmentaient, les rendements augmentaient. Les têtes n’étaient pas assez froides pour résister à pareil emballement.
1902 et surtout 1903 avaient connu des gelées : la production avait alors chuté à 35, 40 millions d’hectolitres, maintenant ainsi des prix élevés, mais 1904 avait été sec et chaud : la production avait alors quasiment doublé, repassant à 69 millions d’hectolitres. 1905, avec 58 millions et 1906, avec 52 millions marqueront le pas mais on repartira vers les records en 1907 avec 66 millions d’hectolitres. L’hectolitre qui se vendait de 16 à 24 francs en 1902 et 1903, ne vaudra plus que 7 francs lors des années suivantes. Cette inévitable chute des prix sera telle qu’à Carcassonne, on éteindra un incendie avec du vin ! On envisage de le distiller pour en faire du carburant pour les premières voitures et une course automobile à alcool de vin sera organisée dans l’Hérault en 1902.
31 12 1901
Les rats ont envahi Paris. C’est que le rat de Paris est un animal très particulier, pas bête du tout, qui n’a rien de commun avec le grossier rat des campagnes ou le rat naïf de province. […] Il a su arranger son existence parasitaire et mystérieuse de manière à se procurer le maximum des jouissances de la vie avec le minimum de danger.
Le Figaro du 31 décembre 1901
Ainsi est née l’initiative osée – mais audacieuse – des municipaux parisiens : organiser un grand concours de dératisation. Alors on s’est adressé aux spécialistes du poison. Et on a ouvert un véritable concours. […] Un certain nombre d’entre eux se sont présentés. On leur a donné à chacun un lot à purger de ces rongeurs malins et sournois, le privilège de détruire les rats de Paris devant être accordé à celui qui aurait obtenu les meilleurs résultats.
Toutefois les dessous grouillants de la capitale vont rapidement décourager les dératiseurs, qui baissent les bras devant l’ampleur de la tâche. Les concurrents commencèrent par étudier le terrain. Puis, quand arriva le moment d’entamer la campagne, ils disparurent tous comme par enchantement. Les difficultés les avaient effrayés. D’après le récit du journaliste, au terme du concours, seul un ratier est resté en lice. Qu’importe : sa dextérité et son efficacité sont telles qu’on lui propose un poste au sein des services municipaux ! Nous aurons un fonctionnaire de plus, s’amuse Louis Rouvray. Celui-là du moins sera utile, et, à une époque où tout se rapetisse, on ne sera pas surpris de voir un capitaine de raterie remplacer les capitaines de louveterie à peu près disparus. En effet, chassés par les grandes battues des années 1880, les loups se sont évanouis des forêts tricolores…
[…] À Paris, où les rats sont plus gênants et plus nombreux, on en tue chaque année 80 000 aux Halles centrales, 25 000 dans les autres marchés, 120 000 aux Abattoirs, 50 000 dans les boucheries, 300 000 dans les épiceries, 100 000 dans les tanneries, 500 000 dans les maisons particulières, 100 000 dans les égouts, les caves et les rues, 200 000 avec divers poisons. Mais ce ne sont là que les épisodes d’une petite guerre qui, hélas ! n’exterminera point la gent ratière.
Les pouvoirs publics finiront par réaliser – un peu tardivement – qu’à défaut d’éliminer le rongeur, mieux vaut s’attaquer aux causes qui favorisent sa prolifération : vétusté des habitations, dépôts sauvages d’ordures, présence de carcasses deviennent les nouveaux chevaux de bataille des municipaux. Aujourd’hui, on estime à trois ou quatre millions le nombre de rats grouillant dans la capitale… soit environ 1,5 par Parisien.
Nicolas Mera Géo du 14 09 2024
1901
À Lyon Montplaisir, mise en service de l’usine de véhicules automobiles Marius Berliet. Début de l’éclairage électrique public à Rennes. Les terroristes bulgares, dirigés par Jan Sandanski, enlèvent Ellen Stone, missionnaire protestante américaine ; ils la gardent dans les montagnes de Bitola [Monastir] jusqu’à ce que les Turcs versent une rançon de 25 000 livres turques.
Le second système d’immatriculation prévoit des plaques noires à lettres blanches. Il impose des chiffres de série suivis d’une lettre symbolisant l’une des 16 villes de rattachement prévues en France, sélectionnées par le service des Mines. Dans le Sud, on trouvait A pour Alès, M ou V pour Marseille, T pour Toulouse, F pour Clermont-Ferrand, H pour Chambéry. La lettre pourra être suivie d’un autre chiffre de série (exemple: 9999 A2).
Création des prix Nobel : en littérature il va à Sully Prudhomme. David Kenney, plombier dans le New Jersey, dépose le premier brevet d’aspirateur électrique. Il faudra attendre 1908 pour que sorte le premier modèle efficace, crée par Murray Spengler qui s’associera à son cousin William Hoover pour lancer le Hoover Modèle O. La société américaine Bendix fabrique la première machine à laver électrique : elle lave par un mouvement de balancier, elle essore par rotation, elle vidange grâce à une pompe… et elle est très chère. Pour la première fois, les femmes votent : c’est en Norvège. À Saint Louis, dans le Missouri, John Francis Queeny (1859-1933) et Olga Monsanto Queeny (1871-1938), son épouse créent la Monsanto Chemical Works. Avec 5 000 $ en poche, Queeny se lance dans la production de saccharine. On n’en est pas encore au glyphosate, (Roundup), et aux OGM, mais cela viendra, générant en 2017 un chiffre d’affaire de 12.2 milliards d’€.
Le train arrive à Chamonix, par traction électrique et sur voie étroite. En Allemagne, à Wuppertal, les Allemands inaugurent le premier monorail suspendu :
Le Wuppertaler Schwebebahn (en français : train suspendu de Wuppertal) est un monorail suspendu situé dans la ville de Wuppertal. Son nom complet est Einschienige Hängebahn System Eugen Langen (littéralement en français chemin de fer à suspension monorail du système d’Eugen Langen [et de Wilhelm Feldmann]). Ouvert en 1901, il est toujours en activité comme système de transport local. C’est le plus vieux système de monorail au monde.
Le monorail comprend une ligne aérienne composée de 20 stations sur un parcours de 13,3 km, empruntée chaque jour par 82 000 passagers. Il se tient suspendu à une hauteur de douze mètres de la surface de la rivière Wupper entre Oberbarmen et Sonnborner Straße et approximativement huit mètres au-dessus de la ville, entre Sonnborner Straße et Vohwinkel (3,3 km). Le tracé traverse l’autoroute A46. Le trajet prend environ une demi-heure.
[…] Il transporte 25 millions de passagers par an.
Création de la Légion Étrangère. L’Aigrette est le premier sous-marin à moteur diesel – un moteur électrique prend le relais en plongée -. Il fallait auparavant 20 minutes pour plonger, le temps de masquer la cheminée télescopique.
D’Atuona, sur l’île de Nuku-Hiva, dans les Marquises, Paul Gauguin écrit à son ami George Daniel de Monfreid [père de Henry], peintre lui aussi. À l’en croire, sa vie est idyllique quand en fait, il est vérolé de furoncles, abruti par la morphine, le tabac et l’alcool et qu’il passe le temps non consacré à la peinture à baiser les jeunettes du coin, mis au ban de toutes les sociétés, coloniales comme indigènes, ces dernières de façon plus discrète : juste une géniale épave. Il mourra deux ans plus tard, le 8 mai 1903. L’évêque du lieu lui trouvera une place au cimetière : Mieux vaut l’avoir mort avec nous que vivant contre nous.
J’ai tout ce qu’un artiste modeste peut rêver : un vaste atelier avec un petit coin pour coucher. Tout sous la main, rangés sur des étagères. Le tout surélevé à deux mètres du sol… Un hamac pour faire la sieste, à l’abri du soleil, et rafraîchi par la brise de mer qui arrive de trois cents mètres plus loin, tamisée par les cocotiers… On ne devinerait pas ma maison, tellement elle est bien entourée d’arbres. J’ai pour voisin un Américain, un charmant garçon, qui a un magasin très bien fourni et je pense avoir tout ce qui m’est nécessaire. Je suis de plus en plus heureux de ma détermination, et je vous assure qu’au point de vue de la peinture, c’est admirable. Des modèles ! une merveille !!
La police tzariste lance un faux document antisémite : Les Protocoles des Sages de Sion, qui mettrait à jour le complot juif ourdi pour s’assurer la domination du monde. L’auteur est un ressortissant russe établi en France : Matthieu Golovinski, avocat marron, agent de l’Okhrana, la police politique du tzar dirigée en France par Ratchkovski. Il s’est contenté de plagier un livre de Maurice Joly paru à Bruxelles en 1864 : Le Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, pamphlet sur Napoléon III : près de la moitié des Protocoles est copié quasiment mot pour mot sur l’ouvrage de Joly, Napoléon III étant simplement remplacé par Juifs et France par Monde. L’ouvrage attisera longtemps l’antisémitisme russe, puis celui de Hitler : éliminons les avant qu’ils ne nous éliminent, et encore des milieux d’extrême droite française. Le tzar Nicolas II aura beaucoup de mal à se laisser convaincre par son premier ministre Stolypine que ce faux est inutilisable : son antisémitisme était bien ancré.
L’imposture sera rapidement dénoncée : procès retentissant en Suisse, dénonciation par une commission du Sénat américain, regrets officiels de Henry Ford pour s’être laissé abuser en en publiant les bonnes pages dans sa presse… rien n’y fera… Les Protocoles des Sages de Sion continueront d’être publiés, essentiellement dans les pays arabes, car, ce ne sont pas les Protocoles qui produisent l’antisémitisme : c’est le besoin profond de désigner un Ennemi qui mène les gens à y croire.
Umberto Eco, 2005
Comment l’opinion publique a-t-elle pu se faire l’alliée d’un policier russe anonyme, calomniant sur ordre et de la façon la plus sordide l’immonde juif […] Voudrait-on peut-être revenir aux excellentes coutumes d’autrefois et rétablir, avec la rouelle jaune et les grilles ghetto, la persécution chronique et la colaphisation du Vendredi Saint ? Car tout ceci est de l’histoire, et la foule jadis en était fière et célébrait ces violences comme des exploits […] On se sent un peu humilié de constater qu’un faux, qu’un plagiat aussi grotesque, aussi baroque, aussi ridicule que les Protocoles, que l’œuvre hâtive, méchante et sotte d’un vulgaire argousin de l’Okhrana […] ait pu passer, aux yeux d’Occidentaux sérieux et d’hommes de lettres, pour une conspiration savante, un plan satanique et génial de destruction des sociétés […] Il y a là matière à réflexions moroses.
Pierre Charles S.J. 1883-1954. La Terre wallonne
D’autres sources diffèrent quelque peu : L’antisémitisme des futurs nazis proviendra en grande partie des Allemands baltes, qui avaient participé activement à la formation du groupe antisémite des centuries noires en Russie avant 1914. Les émigrés de cette région, en effet, joueront un rôle décisif dans l’inspiration du national-socialisme. Le nazi Rosenberg, l’idéologue du racisme, était né à Riga, tout comme les professionnels tsaristes de l’antisémitisme. Des anciens officiers tsaristes joueront un rôle décisif dans la propagation des Protocoles des Sages de Sion. Ce document provenait d’un roman intitulé Biarritz, publié en 1868 et écrit par Herman Goedsche sous le pseudonyme de Sir John Retcliffe. On y voyait le diable apparaître dans le cimetière juif de Prague et demander aux représentants des douze tribus ce qu’ils avaient fait pendant les cent années précédentes. Ces derniers expliquent comment ils ont commencé par dominer la Bourse, l’Église, l’armée, et comment sous peu, ils allaient s’emparer du monde entier. [Les jésuites, en particulier, associaient les juifs à l’idée de conspiration maçonnique, surtout dans les pays à faible population juive]. Les protocoles, qui prétendaient démontrer comment se déroulerait la domination du monde, seront publiés pour la première fois, dans le Znamlya (à Saint Petersburg) en 1903. La notoriété de ce livre s’établira à partir de 1917 ; et même le Times le prit alors au sérieux (8 mai 1921) avant de reconnaître son erreur. Ce faux document sera apporté à Paris vers 1897 au plus fort de l’affaire Dreyfus par Pyotr Ratchovsky, alors chef de la police secrète russe (l’Okhrana) à l’étranger, peut-être dans l’intention, à court terme, de discréditer le chef du gouvernement russe, Witte.
Hugh Thomas. Histoire inachevée du monde Robert Laffont 1986
Un échantillonnage de textes des deux ouvrages mérite d’être lu :
DIALOGUE AUX ENFERS ENTRE MACHIAVEL ET MONTESQUIEU Maurice JOLY 1864 [ Classement par Dialogue] |
PROTOCOLES DES SAGES DE SION Mathieu GOLOVINSKI 1905 [ Classement par Numéro ]
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PREMIER DIALOGUE Machiavel : L’instinct mauvais chez l’homme est plus puissant que le bon. L’homme a plus d’entraînement vers le mal que vers le bien ; la crainte et la force ont sur lui plus d’empire que la raison… Les hommes aspirent tous à la domination, et il n’en est point qui ne fût oppresseur, s’il le pouvait ; tous ou presque tous sont prêts à sacrifier les droits d’autrui à leurs intérêts. Qui contient entre eux ces animaux dévorants qu’on appelle les hommes ? À l’origine des sociétés, c’est la force brutale et sans frein ; plus tard, c’est la loi, c’est-à-dire encore la force, réglée par des formes. Vous avez consulté toutes les sources de l’histoire ; partout la force apparaît avant le droit. La liberté politique n’est qu’une idée relative. |
NUMÉRO 1, para. 3, 6 Il faut remarquer que les hommes qui ont de mauvais instincts sont plus nombreux que ceux qui en ont de bons. C’est pourquoi on atteint les meilleurs résultats en gouvernant les hommes par la violence et la terreur, non par les discussions académiques. Chaque homme aspire au pouvoir, chacun voudrait devenir dictateur, s’il le pouvait; en même temps, il en est peu qui ne soient prêts à sacrifier les biens de tous pour atteindre leur propre bien. Qu’est-ce qui a contenu les bêtes féroces qu’on appelle des hommes ? Qu’est-ce qui les a guidés jusqu’à présent ? Au début de l’ordre social, ils se sont soumis à la force brutale et aveugle, plus tard à la loi, qui n’est que la même force, mais masquée. J’en conclus que, d’après la loi naturelle, le droit est dans la force. La liberté politique est une idée, non un fait. |
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PREMIER DIALOGUE Les États une fois constitués ont deux sortes d’ennemis : les ennemis du dedans et les ennemis du dehors. Quelles armes emploieront-ils en guerre contre les étrangers ? Les deux généraux ennemis se communiqueront-ils réciproquement leurs plans de campagne pour se mettre mutuellement en état de se défendre ? S’interdiront-ils les attaques nocturnes, les pièges, les embuscades, les batailles en nombre de troupes inégal ? Non, sans doute, n’est-ce pas ? et de pareils combattants prêteraient à rire. Et ces pièges, ces artifices, toute cette stratégie indispensable à la guerre, vous ne voulez pas qu’on l’emploie contre les ennemis du dedans, contre les factieux ?… Est-il possible de conduire par la raison pure des masses violentes qui ne se meuvent que par des sentiments, des passions et des préjugés ? |
NUMÉRO 1,para, 9, 10 Si tout État a deux ennemis, et s’il lui est permis d’employer contre l’ennemi extérieur, sans que cela soit considéré comme immoral, tous les moyens de lutte, par exemple de ne pas lui faire connaître ses plans d’attaque ou de défense, de le surprendre de nuit ou avec des forces supérieures, pourquoi ces mêmes mesures employées contre un ennemi pire, qui ruinerait l’ordre social et la propriété, seraient-elles dites illicites et immorales ? Un esprit bien fait peut-il espérer mener avec succès les foules par, des exhortations sensées ou par la persuasion, quand la voie est ouverte à la contradiction, même déraisonnable, pourvu qu’elle paraisse séduisante au peuple qui comprend tout superficiellement ? |
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PREMIER DIALOGUE Machiavel : Est-ce que la politique a rien à démêler avec la morale ? Ce mot de droit lui-même… ne voyez-vous pas qu’il est d’un vague infini ? Où commence-t-il, où finit-il ? Quand le droit existera-t-il, et quand n’existera-t-il pas ? Je prends des exemples. Voici un État : la mauvaise organisation des pouvoirs publics, la turbulence de la démocratie, l’impuissance des lois contre les factieux, le désordre qui règne partout, vont le précipiter dans la ruine. Un homme hardi s’élance des rangs de l’aristocratie ou du sein du peuple ; il brise tous les pouvoirs constitués ; il met la main sur les lois, il remanie toutes les institutions, et il donne vingt ans de paix à son pays. Avait-il le droit de faire ce qu’il a fait ? |
NUMÉRO 1, para. 11, 12, 13, 14 La politique n’a rien de commun avec la morale. Le mot de droit est une idée abstraite que rien ne justifie. Dans un État, où le pouvoir est mal organisé, où les lois et le gouvernement sont devenus impersonnels du fait des droits sans nombre que le libéralisme a créés, je vois un nouveau droit de me jeter, de par la loi du plus fort, sur tous les ordres et tous les règlements établis et de les renverser ; de mettre la main sur les lois, de reconstruire toutes les institutions et de devenir le maître de ceux qui nous ont abandonné les droits que leur force leur donnait, qui y ont renoncé volontairement, libéralement… |
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PREMIER DIALOGUE Machiavel… Je me suis moins préoccupé de ce qui est bon et moral que de ce qui est utile et nécessaire. Je vous dirai que, témoin dans ma patrie de l’inconstance et de la lâcheté de la populace, de son goût inné pour la servitude, de son incapacité à concevoir et à respecter les conditions de la vie libre, c’est à mes yeux une force aveugle qui se dissout tôt ou tard, si elle n’est dans la main d’un seul homme ; je réponds que le peuple, livré à lui-même, ne saura que se détruire ; qu’il ne saura jamais administrer, ni juger, ni faire la guerre. |
NUMÉRO 1, para. 16, 18 et 20 Portons notre attention dans nos projets, moins sur le bon et le moral, que sur le nécessaire et l’utile. Pour trouver les moyens qui mènent à ce but, il faut tenir compte de la lâcheté, de l’instabilité, de l’inconstance de la foule, de son incapacité à comprendre et à estimer les conditions de sa propre vie et de sa prospérité. Il faut comprendre que la puissance de la foule est aveugle, insensée, ne raisonne pas, écoute à droite et à gauche… Un peuple livré à lui-même, c’est-à-dire aux parvenus de son milieu, se ruine par les discordes de partis, qu’excite la soif du pouvoir, et par les désordres qui en proviennent. Est-il possible aux masses de raisonner tranquillement, sans rivalités intestines, de diriger les affaires du pays qui ne peuvent être confondues avec les intérêts personnels ? Peuvent-elles se défendre contre les ennemis extérieurs ? |
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QUATRIÈME DIALOGUE Il y a des populations gigantesques rivées au travail par la pauvreté, comme elles l’étaient autrefois par l’esclavage. Qu’importent, je vous le demande, à leur bonheur toutes vos fictions parlementaires ? Votre grand mouvement politique n’a abouti, en définitive, qu’au triomphe d’une minorité privilégiée par le hasard comme l’ancienne noblesse l’était par la naissance. Qu’importe au prolétaire courbé sur son labeur, accablé sous le poids de sa destinée, que quelques orateurs aient le droit de parler, que quelques journalistes aient le droit d’écrire ? Vous avez créé des droits qui resteront éternellement pour la masse du peuple à l’état de pure faculté, puisqu’il ne saurait s’en servir. Ces droits, dont la loi lui reconnaît la jouissance idéale et dont la nécessité lui refuse l’exercice réel, ne sont pour lui qu’une ironie amère de sa destinée. |
NUMÉRO 3, para. 5 Les peuples sont enchaînés au lourd travail plus fortement que ne les enchaînaient l’esclavage et le servage. On pouvait se libérer de l’esclavage et du servage d’une manière ou de l’autre. On pouvait traiter avec eux, mais on ne peut se libérer de sa misère. Les droits que nous avons inscrits dans les constitutions sont fictifs pour les masses, et non réels. Tous ces prétendus droits du peuple ne peuvent exister que dans l’esprit, ils ne sont jamais réalisables. Qu’est-ce pour le travailleur prolétaire, courbé sur son travail, écrasé par son sort, que le droit donné au bavard de bavarder, le droit donné aux journalistes d’écrire toutes sortes d’absurdités, en même temps que des choses sérieuses, du moment que le prolétariat ne tire pas d’autres avantages de la constitution que les misérables miettes que nous lui jetons de notre table, en échange d’un suffrage favorable à nos prescriptions, à nos suppôts, à nos agents ?… Les droits républicains sont une ironie amère pour le pauvre… |
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QUATRIÈME DIALOGUE Machiavel : Vous ne connaissez pas l’inépuisable lâcheté des peuples (…) : rampants devant la force, sans pitié devant la faiblesse, implacables pour des fautes, indulgents pour des crimes, incapables de supporter les contrariétés d’un régime libre, et patients jusqu’au martyre pour toutes les violences du despotisme audacieux, brisant les trônes dans les moments de colère, et se donnant des maîtres à qui ils pardonnent des attentats pour le moindre desquels ils auraient décapité vingt rois constitutionnels. |
NUMÉRO 3, para. 6 La lâcheté infinie des Goyim qui rampent devant la force, qui sont impitoyables pour la faiblesse et pour les fautes, mais indulgents pour les crimes, qui ne veulent pas supporter les contradictions de la liberté, qui sont patients jusqu’au martyre devant la violence d’un hardi despotisme, voilà ce qui favorise notre indépendance. Ils souffrent et supportent des premiers ministres-dictateurs actuels des abus pour le moindre desquels ils auraient décapité vingt rois. |
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NEUVIÈME DIALOGUE Machiavel : Et où avez-vous vu qu’une constitution vraiment digne de ce nom, vraiment durable, ait jamais été le résultat d’une délibération populaire ? Une constitution doit sortir tout armée de la tête d’un seul homme ou ce n’est qu’une œuvre condamnée au néant. Sans homogénéité, sans liaison dans ses parties, sans force pratique, elle portera nécessairement l’empreinte de toutes les faiblesses de vues qui ont présidé à sa rédaction. Montesquieu : On dirait, à vous entendre, que vous allez tirer un peuple du chaos ou de la nuit profonde de ses premières origines. Machiavel : Je ne dis pas non ; aussi vous allez voir que je n’ai pas besoin de détruire de fond en comble vos institutions pour arriver à mon but. Il me suffira d’en modifier l’économie et d’en changer les combinaisons. |
NUMÉRO 10, para. 6, 7 Un plan de gouvernement doit sortir tout prêt d’une seule tête parce qu’il serait incohérent, si plusieurs esprits se partageaient la tâche de l’établir. C’est pourquoi nous pouvons connaître un plan d’action, mais nous ne devons pas le discuter, afin de ne pas briser son caractère génial, la liaison de ses parties, la force pratique et la signification secrète de chacun de ses points. Que le suffrage universel le discute et le remanie, il gardera la trace de toutes les fausses conceptions des esprits qui n’auront pas pénétré la profondeur et la liaison des desseins. Ces plans ne renverseront pas pour le moment les institutions modernes. Ils changeront seulement leur économie et par conséquent, tout leur développement qui s’orientera ainsi selon nos projets. |
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DIXIÈME DIALOGUE Machiavel : Or, encore une fois, qu’est-ce que le Conseil d’État ?… Ce n’est qu’un Comité de Rédaction. Quand le Conseil d’État fait un règlement, c’est le souverain qui le fait ; quand il rend un jugement, c’est le souverain qui le rend. Montesquieu : Il est vrai que si nous évaluons la somme des pouvoirs qui sont entre vos mains, vous devez commencer à être satisfait. Récapitulons : Vous faites la loi : 1. sous la forme de propositions au Corps législatif ; 2. sous forme de décrets ; 3. sous forme de sénatus-consultes ; 4. sous forme de règlements généraux ; 5. sous forme d’arrêtés au Conseil d’État ; 6. sous forme de règlements ministériels ; 7. enfin sous forme de coups d’État. |
NUMÉRO 11, para. 1, 2 Le Conseil d’État sera là pour souligner le pouvoir du gouvernement : sous l’apparence d’un corps législatif, il sera en réalité un comité de rédaction des lois et des décrets du gouvernant. Voici donc le programme de la nouvelle constitution que nous préparons. Nous créerons la loi, le droit et le tribunal : 1) sous forme de propositions au corps législatif ; 2) par des décrets du président sous forme d’ordres généraux, par des actes du Sénat et par des décisions du Conseil d’État, sous forme d’ordres ministériels ; 3) au cas où cela serait jugé opportun, sous la forme d’une révolution dans l’État. |
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TREIZIÈME DIALOGUE Machiavel : C’est que vous ne connaissez pas, ô Montesquieu, ce qu’il y a d’impuissance et même de niaiserie chez la plupart des hommes de la démagogie européenne. Ces tigres ont des âmes de mouton, des têtes pleines de vent… Leur rêve est l’absorption des individus, dans une unité symbolique. Ils demandent la réalisation complète de l’égalité. |
NUMÉRO 15, para. 6 Vous ne vous doutez pas combien il est facile d’amener le plus intelligent des Gentils à un degré ridicule de naïveté, en flattant sa vanité, et, d’autre part, combien il est facile de le décourager… Ceux qui paraissent être des tigres sont aussi stupides que des moutons et le vent souffle librement à travers leurs têtes. Nous les laisserons donc chevaucher sur le coursier des vains espoirs de détruire l’individualité humaine par l’unité symbolique du collectivisme. |
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DIX-SEPTIÈME DIALOGUE Montesquieu : Je comprends maintenant l’apologue du dieu Vishnou ; vous avez cent bras comme l’idole indienne, et chacun de vos doigts touche un ressort. De même que vous touchez tout, pourrez-vous aussi tout voir ? Machiavel : Oui, car je ferai de la police une institution si vaste, qu’au cœur de mon royaume la moitié des hommes verra l’autre… Si, comme je n’en doute guère, je parvenais à atteindre ce résultat, voici quelques-unes des formes sous lesquelles se produirait ma police à l’extérieur : hommes de plaisirs et de bonne compagnie dans les cours étrangères, pour avoir l’œil sur les intrigues des princes et des prétendants exilés… établissement de journaux politiques dans les grandes capitales, imprimeurs et libraires placés dans les mêmes conditions et secrètement subventionnés. |
NUMÉRO 17, para. 7, 8 Notre régime sera l’apologie du règne de Vishnou, qui en est le symbole, nos cent mains tiendront chacune un ressort de la machine sociale. Nous verrons tout sans l’aide de la police officielle… Dans notre programme un tiers des sujets surveillera les autres… Nos agents seront pris dans la haute société aussi bien que dans les basses classes, dans le milieu de la classe administrative qui s’amuse, parmi les éditeurs, les imprimeurs, les libraires, les commis, les ouvriers, les cochers, les laquais, etc. |
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VINGTIÈME DIALOGUE Montesquieu : Il faut bien, en définitive, que les dépenses soient en équilibre avec les recettes… Machiavel : Or, voici comment les choses se passent : le budget général, celui qui est voté au commencement de l’année, porte au total, je suppose, un crédit de 800 millions. Quand on est arrivé à la moitié de l’année, les faits financiers ne répondent déjà plus aux premières prévisions ; alors on présente aux Chambres ce que l’on appelle un budget rectificatif, et ce budget ajoute 100 millions, 150 millions au chiffre primitif. Arrive ensuite le budget supplémentaire : il y ajoute 50 ou 60 millions ; vient enfin la liquidation qui ajoute 15, 20 ou 30 millions. Bref, à la balance générale des comptes, l’écart total est d’un tiers de la dépense prévue. C’est sur ce dernier chiffre que survient, en forme d’homologation, le vote législatif des Chambres. De cette manière, au bout de dix ans, on peut doubler et même tripler le budget. Montesquieu : Il est certain qu’il est peu de gouvernements qui ne soient dans la nécessité de recourir à l’emprunt ; mais il est certain aussi qu’ils sont obligés d’en user avec ménagement ; ils ne sauraient, sans immoralité et sans danger, grever les générations à venir de charges exorbitantes et disproportionnées avec les ressources probables. Comment se font les emprunts ? Par des émissions de titres contenant obligation de la part du gouvernement de servir des rentes proportionnées au capital qui lui est versé. Si l’emprunt est de 5 %, par exemple, l’État, au bout de vingt ans, a payé une somme égale au capital emprunté ; au bout de quarante ans une somme double ; au bout de soixante ans une somme triple, et, néanmoins, il reste toujours débiteur de la totalité du même capital… Aussi les États modernes ont-ils voulu apporter une limitation nécessaire à l’accroissement des impôts. Ils ont imaginé, à cet effet, ce que l’on a appelé le système de l’amortissement, combinaison vraiment admirable… On a créé un fonds spécial, dont les ressources capitalisées sont destinées à un rachat permanent de la dette publique, par fractions successives ; en sorte que toutes les fois que l’État emprunte, il doit doter le fonds d’amortissement d’un certain capital destiné à éteindre, dans un temps donné, la nouvelle créance. Notre système de comptabilité, fruit d’une longue expérience, se distingue par la clarté et la certitude de ses procédés. Il met obstacle aux abus et ne donne à personne, depuis le dernier des fonctionnaires jusqu’au chef de l’État lui-même, le moyen de détourner la somme la plus minime de sa destination, ou d’en faire un emploi irrégulier. |
NUMÉRO 20, para. 26-32 Les comptes des revenus et des dépenses seront tenus ensemble, qu’aucune distance ne puisse les voiler d’obscurité. Le premier désordre, dirons-nous, consiste en cela qu’ils commencent par arrêter un simple budget, qui s’accroît d’année en année pour la raison que voici : on traîne ce budget jusqu’à la moitié de l’année ; puis on demande un budget rectifié que l’on gaspille en trois mois, puis on demande un budget supplémentaire, et tout cela finit par un budget de liquidation. Et comme le budget de l’année suivante est arrêté d’après le total du budget général, l’écart annuel normal est de 50 %, le budget annuel triple tous les dix ans. Chaque emprunt prouve la faiblesse du gouvernement et son incapacité de comprendre ses propres droits. Tout emprunt, comme l’épée de Damoclès, est suspendu sur la tête des gouvernants, qui, au lieu de lever directement l’argent dont ils ont besoin en établissant des impôts spéciaux, s’en vont, chapeau bas, chez nos banquiers… les gouvernements des Gentils n’ont aucun désir de secouer ces sangsues ; bien au contraire, ils en accroissent le nombre, se condamnant ainsi à mort par la perte de sang qu’ils s’infligent. Qu’est-ce, au fond, qu’un emprunt, en particulier un emprunt à l’étranger ? L’emprunt c’est l’émission de lettres de change du gouvernement, contenant une obligation à un certain taux, proportionnel à la somme du capital emprunté. Si l’emprunt est taxé à 5 % en vingt ans, l’État a payé sans aucune utilité un intérêt égal à l’emprunt, en quarante ans une somme double, en soixante ans une somme triple, et la dette reste toujours une dette non acquittée. D’après ces calculs, il est évident que, par toute forme d’imposition par tête, l’État écope les derniers sous des pauvres contribuables pour solder les comptes au lieu de recueillir ces sous pour ses besoins propres sans surcroît d’intérêt. Tant que les emprunts étaient nationaux, les Goyim faisaient tout simplement passer l’argent des pauvres dans la poche des riches ; mais, lorsque nous eûmes acheté les agents nécessaires pour transférer les emprunts à l’extérieur, toute la richesse des États a afflué dans nos coffres. Nous établirons si bien notre système de compte que ni le gouvernement, ni le plus petit fonctionnaire ne pourront détourner la moindre somme de sa destination sans que cela se remarque, non plus que la diriger sur une destination autre que celle qui aura été indiquée une fois pour toutes dans notre plan d’action.
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VINGT ET UNIÈME DIALOGUE Machiavel : Je crains que vous n’ayez quelque préjugé à l’égard des emprunts… les économistes modernes reconnaissent formellement aujourd’hui que, loin d’appauvrir les États, les dettes publiques les enrichissent. Voulez-vous me permettre de vous expliquer comment ? Montesquieu : Je voudrais savoir d’abord à qui vous demanderez tant de capitaux, et à propos de quoi vous les demanderez. Machiavel : Les guerres extérieures sont, pour cela, d’un grand secours. Dans les grands États, elles permettent d’emprunter 5 ou 600 millions ; on fait en sorte de n’en dépenser que la moitié ou les deux tiers, et le reste trouve sa place dans le Trésor, pour les dépenses de l’intérieur. |
NUMÉRO 21, para. 1, 11 Je n’ajouterai rien à ce que je vous ai déclaré lors de notre dernière rencontre, parce qu’ils ont rempli nos coffres de l’argent des Goyim… Nous avons tiré avantage de la vénalité des fonctionnaires et de l’incurie des dirigeants pour multiplier par deux, trois ou plus notre argent, en prêtant aux gouvernements étrangers des sommes qui n’étaient pas…
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DU VINGT-TROISIÈME AU VINGT-CINQUIÈME DIALOGUE Machiavel : Le culte du prince est une sorte de religion, et, comme toutes les religions possibles, ce culte impose des contradictions et des mystères au-dessus de la raison. Je veux que mes desseins soient impénétrables même pour ceux qui m’approcheront le plus près… Je ne communiquerais mes projets que pour en ordonner l’exécution. Ses conseillers se demandent tout bas ce qui sortira de sa tête… il personnifie… la Providence dont les voies sont inconnues… Ils ne savent jamais si quelque entreprise toute prête ne fondra pas sur eux du jour au lendemain. Un prince dont le pouvoir est fondé sur une base démocratique doit avoir un langage soigné, mais cependant populaire. Au besoin, il ne doit pas craindre de parler en démagogue, car après tout il est le peuple, et il en doit avoir les passions. Vous m’avez demandé tout à l’heure si j’avais de l’abnégation, si je saurais me sacrifier pour mes peuples, descendre du trône au besoin vous avez maintenant ma réponse, j’en puis descendre par le martyr. |
NUMERO 24, para.3-15 Des membres de la semence de David prépareront les rois et leurs héritiers, les initiant aux très secrets mystères du politique, aux intrigues du gouvernement, mais en veillant toujours que rien n’en filtre. Les plans d’action du roi, ses plans immédiats, à plus forte raison, ses plans éloignés, seront inconnus même à ceux que l’on appelle ses plus proches conseillers. Seuls le roi et ses trois initiateurs connaîtront l’avenir. Dans la personne du roi qui avec une volonté inflexible est maître de lui-même et de l’humanité tous croiront reconnaître le destin et ses voies mystérieuses. Nul ne saura ce que le roi désire atteindre par ses dispositions, et donc nul n’osera se mettre en travers d’un sentier inconnu… Pour que le peuple connaisse et aime son roi, il est indispensable qu’il s’entretienne avec lui sur les marchés. Cela garantit la nécessaire harmonie des deux forces que nous séparons aujourd’hui l’une de l’autre par la terreur. Le pilier de l’humanité, en la personne du maître suprême du monde issu de la sainte semence de David, doit sacrifier à son peuple toutes ses inclinations personnelles.
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Les juifs sont cinq millions en Russie, vivant principalement dans la zone de résidence qui leur est accordée : la Pologne russe, les pays Baltes, la Biélorussie et l’Ukraine.
Mais il ne faut pas pour cela croire que les Russes avaient alors le monopole de l’antisémitisme : c’est bien une mesure antisémite décrétée en Suisse à peu près à cette époque: – Quittez nos villes et nos plaines, et, si vous voulez rester chez nous, installez- vous à plus de mille mètres d’altitude – : c’est ainsi que les Juifs créèrent dans le Jura la ville de la Chaux de Fonds, qui devint vite la capitale de l’horlogerie.
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[1] Savants et maîtres coraniques.
[2] Les esclaves achetés au marché étaient en général des Gwaris captifs ou des païens. Leurs enfants devenaient musulmans lors de leur baptême, une semaine après la naissance.