Publié par (l.peltier) le 6 septembre 2008 | En savoir plus |
7 12 1941
À 7 h 53′, l’aviation kamikaze japonaise, décollant de leur escadre – dont 6 porte-avions – à 200 milles de là, attaque la flotte américaine à Pearl Harbor, île d’Ohau, Hawaï : 188 avions et 5 cuirassés sont détruits – dont l’Oklahoma et le West Virginia, 3 cuirassés, 3 croiseurs et 4 destroyers sont touchés – l’Arizona, le Maryland, le Tennessee, le Vestal. On comptera 2 304 morts, 1 178 blessés du coté américain.
Un raid aéronaval butait sur un problème majeur. Les fonds, de 12 à 14 mètres, empêchaient, pensait-on, de larguer des torpilles, qui nécessitaient 30 mètres de profondeur. Le 12 novembre 1940 les Britanniques avaient apporté la réponse en détruisant, grâce à des torpilles adaptées, la moitié de la flotte italienne qui mouillait à Tarente, où les fonds étaient de 12 mètres. Les stratèges se remirent donc au travail. En septembre 1941, Genda fut chargé de transformer le projet en plan opérationnel. L’attaque serait menée à l’aube, par l’aviation nippone, acheminée sur des porte-avions. Elle anéantirait les avions et les défenses aériennes de Pearl Harbor puis détruirait les bâtiments de l’US Navy à l’aide de bombes et de torpilles. Cinq sous-marins de poche s’infiltreraient dans la rade pour compléter le tableau de chasse.
Olivier Wieviorka. L’Histoire n° 490 décembre 2021
À moyen terme, le contexte économique était le suivant : sur l’Extrême Orient, on retiendra les mots du diplomate américain William Bullit : Nous avons de grands intérêts émotionnels en Chine, de petits intérêts économiques et aucun intérêt vital. L’US Navy louait le site de Pearl Harbor depuis 1887, mais la création officielle de la base navale de Pearl Harbor datait de 1899, après l’annexion de l’archipel d’Hawaï entre 1893 et 1898. Roosevelt avait mis en place une politique de sanctions, pour punir tout en évitant la guerre : abolition en janvier 1940 du traité commercial de 1911, embargo sur la limaille de fer, l’acier et le pétrole le 26 juillet 1940, suivi un peu plus tard par l’embargo sur le minerai de fer, la fonte, le cuivre et le laiton : de quoi étrangler le Japon. Cependant, des pourparlers de paix s’étaient engagés le 8 mars 1941 à Washington ; en vain, Hull, secrétaire d’État, présentant finalement un mémorandum le 26 novembre 1941, défendant une ligne dure : le Japon devait se retirer de Chine et d’Indochine, renoncer à sa Grande Asie orientale et garantir l’intégrité territoriale de la Chine, pour obtenir en retour la levée des sanctions : inacceptable pour le Japon.
À court terme , les indices d’une attaque n’avaient pas manqué :
Il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. L’alerte sera donnée à 7 h 58′, sans efficacité immédiate : il y avait sur l’île une importante population de souche nippone, dont se méfiaient les Américains, ce qui leur avait fait mettre les munitions sous clef, quand elles n’étaient pas stockées dans des dépôts éloignés.
Une deuxième frappa arrivera sur site vers 8 h 50′, – 167 appareils, qui s’en prirent aux aérodromes de Kaneohe, puis de Hickam et aux bâtiments mais cette fois-ci ne pourra pas bénéficier de l’effet de surprise. Le destroyer Shaw explosa.
En apparence, les États-Unis avaient subi un désastre. La flotte du Pacifique ainsi qu’une partie de ses avions, semblait anéantie. En fait, sur 82 navires mouillés à Pearl Harbor le 7 décembre 1941, seuls trois furent irrémédiablement perdus. Mais ces cuirassés, lancés entre 1909 et 1916, étaient anciens et n’auraient joué, dans la guerre, qu’un rôle mineur. Seize autres bâtiments avaient été touchés ; 9, rapidement réparés, naviguaient dès 1942. Aucun porte-avions n’avait été détruit : deux étaient allé livrer des avions sur Wake et Midway ; le troisième reposait en cale sèche sur la côte ouest. En outre, les Japonais n’avaient atteint ni les réservoirs d’essence ni les ateliers.
Olivier Wieviorka. L’Histoire n° 490 décembre 2021
Trois-quarts d’heure avant l’attaque sur Pearl Harbor, ils se lançaient en Malaisie britannique, et débarquaient au sud de la Thaïlande. Aux États-Unis, c’est Eleanor Roosevelt, la first lady qui sera la première à annoncer la nouvelle. Hong Kong sera pris le 25 décembre, Guam, Wake, les Gilbert avant la fin du mois, Manille le 2 janvier 1942, Singapour le 15 février, Java le 9 mars, puis toute l’Indonésie en quelques semaines. Et tout cela n’a coûté au Japon que 15 000 hommes, 400 avions, 5 torpilleurs et une douzaine de sous-marins ; ils ont fait 300 000 prisonniers. D’abord accueillis en libérateurs dans les colonies anglaises, hollandaises, françaises et américaines, les illusions des pays occupés ne vont pas durer face à la brutalité de l’occupant. Ceci étant, le Japon ne créait pas un empire, il ne faisait qu’en poursuivre la conquête, commencée dès 1895, avec Formose, puis la Corée en 1910 et surtout la Chine en 1931 et plus encore en 1937.
Tokyo annonça le déclenchement de la guerre à 17 heures. Le 8 décembre à 12 h 30′, Roosevelt fit un discours au Capitole pour flétrir ce jour d’infamie, les parlementaires votant dans la foulée la déclaration de la guerre à l’unanimité moins une voix, celle de la pacifiste Jeannette Rankin
La guerre s’étend pratiquement au monde entier.
Quatre ans plus tard, on trouvera dans les poches des Boys un opuscule de l’armée américaine : Nous ne sommes pas venus en Europe pour sauver les Français. Nous sommes venus parce que nous, les Américains, nous étions menacés par une puissance hostile, agressive et très dangereuse. Avant juin 1944, nous n’envisagions même pas de venir sauver les Français. Mais il y a eu Pearl Harbor.
Le maréchal Joukov, à la tête de l’armée russe qui défend Moscou contre-attaque la Wehrmacht, depuis une semaine aux portes sud-ouest de la capitale : les Allemands découvrent que la réserve d’hommes de l’adversaire est inépuisable, que leurs armements ont beaucoup évolué depuis le début de l’offensive : les chars russes T 34 surclassent leurs Panzers, les avions Yakovlev 3 et Illiouchine 2 Sturmovik valent largement ceux de la Luftwaffe.
8 12 1941
Les États-Unis, l’Angleterre, les Pays Bas déclarent le guerre au Japon.
Franklin D. Roosevelt, président des Etats-Unis d’Amérique, s’adresse au Congrès : Hier, 7 décembre 1941 – date qui restera marquée d’une honte éternelle – les États-Unis d’Amérique ont été l’objet d’une attaque soudaine et préméditée de la part des forces aériennes et navales de l’Empire du Japon.
Les États-Unis étaient en paix avec cette nation et, à la demande du Japon, menaient encore avec son gouvernement et son empereur, des pourparlers en vue du maintien de la paix dans le Pacifique. En fait, une heure après que les escadrilles japonaises eurent commencé à bombarder Oahu, l’ambassadeur du Japon près les États-Unis, et son collègue, transmettaient au Secrétaire d’État une réponse officielle à un récent message américain. Bien que cette réponse affirmât qu’il semblait inutile de poursuivre les négociations diplomatiques en cours, elle ne contenait ni menaces, ni allusions à la guerre ou à une attaque armée.
On se souviendra que la distance entre Hawaï et le Japon montre clairement que cette attaque a été préméditée il y a bien des jours ou même bien des semaines. Pendant ce temps, le gouvernement japonais a délibérément cherché à tromper les États-Unis en faisant de fausses déclarations et en exprimant l’espoir que la paix serait maintenue.
L’attaque d’hier sur les îles Hawaï a infligé de graves dommages aux forces militaires et navales américaines. Un grand nombre d’Américains ont perdu la vie. En outre, on annonce que des bateaux américains ont été torpillés en haute mer entre San Francisco et Honolulu.
Hier, le gouvernement japonais a également déclenché une attaque contre la Malaisie.
La nuit dernière, les forces japonaises ont attaqué Hong-Kong.
La nuit dernière, les forces japonaises ont attaqué Guam.
La nuit dernière, les forces japonaises ont attaqué les îles Philippines.
La nuit dernière, les forces japonaises ont attaqué l’île de Wake.
Ce matin les Japonais ont attaqué l’île de Midway.
Le Japon a donc déclenché par surprise une offensive qui s’étend à toute la région du Pacifique. Après ce qui s’est passé hier, tout commentaire serait superflu. Le peuple américain s’est déjà fait une opinion et comprend bien la portée du danger qui menace la vie même et la sécurité de notre nation.
En ma qualité de commandant en chef de l’armée et de la marine, j’ai donné l’ordre de prendre toutes les mesures nécessaires à notre défense. Nous nous souviendrons toujours de la nature de l’agression qui a été commise contre nous.
Peu importe le temps qu’il nous faudra pour refouler cette invasion préméditée ; le peuple américain, fort de son droit, se fraiera un chemin jusqu’à la victoire totale.
Je crois être l’interprète de la volonté du Congrès et du peuple en déclarant que non seulement nous nous défendrons jusqu’à l’extrême limite de nos forces mais que nous agirons de façon à être bien sûrs que la menace d’une attaque brusquée de ce genre ne pèsera plus jamais sur nous.
Les hostilités ont commencé. Il n’y a pas à se dissimuler que notre peuple, notre territoire et nos intérêts, sont en péril.
Confiants en nos forces armées, nous remporterons l’inévitable triomphe grâce à la résolution inébranlable de notre peuple. Et que Dieu nous aide !
Je demande au Congrès de déclarer que depuis l’attentat commis par le Japon le 7 décembre, attentat que rien ne justifie, les États-Unis se trouvent en guerre avec l’Empire du Japon.
10 12 1941
Quatre jours après avoir attaqué la flotte US à Pearl Harbour, l’aviation japonaise s’en prend à la Force Z anglaise, composée du cuirassé HMS Prince of Wales, du croiseur de bataille HMS Repulse et de quatre destroyers : ils avaient pour mission d’intercepter la flotte d’invasion japonaise au nord de la Malaisie. Faute de l’avoir trouvée, ils revenaient vers Singapour quand l’aviation japonaise coula les deux premiers navires – le HMS Prince of Wales et le HMS Repulse, près de Kuantan, dans l’État de Pahang. 840 marins tués. Les Japonais perdirent 5 avions. Prenant conscience de la fragilité d’une flotte sans couverture aérienne, Anglais et Américains développeront plus les porte-avions que les cuirassés, croiseurs et destroyers.
François Mitterrand en est à sa troisième tentative d’évasion… et c’est la bonne qui le mènera, six jours plus tard, via Nancy, Besançon, près de Chamblay, dans le Jura en zone libre, puis Lons-le-Saunier. Du car, il voit un nom de village : Mantry… là où habite sa cousine Marie-Claire Sarrazin… qu’il retrouve avec joie, pour ensuite aller se refaire une santé chez des amis de son frère, à Saint Tropez. En stalag, il pouvait recevoir des colis et lors de sa deuxième tentative, un colis avait été retourné à l’expéditeur avec la mention : parti sans laisser d’adresse.
Avouerai-je l’orgueil qui m’habitait, entretenu par mes vêtements de captif ? J’ambitionnais de réveiller la France non pas de l’extérieur, et d’échapper aux factions naissantes. Cela paraîtra singulier à beaucoup. Je n’avais ni l’âge ni l’autorité qui l’eussent permis et je n’avais pas d’autre passé que l’avenir qu’inventait mon ambition. De tout cela je discerne moi-même l’insolite. Mais j’obéissais à une règle que je m’étais imposé, je ne comptais sur personne ni sur rien qui ne fût l’œuvre de mon propre effort.
Mémoires interrompus. p.77-78
11 12 1941
La Chine déclare la guerre au Japon, à l’Allemagne et à l’Italie.
12 12 1941
L’armée allemande et la police française arrêtent 734 notables Juifs, qui seront rejoints par 300 autres internés à Drancy : ils vont être détenus à Compiègne puis déportés à Auschwitz le 27 mars 1942
17 12 1941
Les Allemands sont arrêtés à 70 km de Moscou… il fait froid, très froid et, à -30°, l’essence gèle dans les réservoirs : ils décideront alors d’aller faire main basse sur les gisements du Caucase, puis du Moyen Orient. Le tzar avait mis de son coté le général Hiver pour faire plier Napoléon, Staline fera de même avec les Allemands patientant jusqu’à l’hiver qui les glacera devant Stalingrad et Moscou : L’ennemi ne doit pas trouver une seule locomotive, pas un seul wagon, pas une livre de pain ni un verre de pétrole. Staline, le 3 juillet 1941. Il enverra par milliers ses soldats sacrifiés porteurs de bombes sous les chars allemands, et finira par avoir raison et de la Bundeswehr et de la Luftwaffe, avec des chars et des avions plus performants que ceux des Allemands.
12 1941
À Chelmno, les nazis expérimentent des camions à gaz pour exterminer les juifs. Il s’agira dans les premiers temps de monoxyde de carbone, qui sera remplacé par la suite par de l’acide cyanhydrique : le zyklon B. Mais les exterminations à grande échelle ont déjà commencé : de 1941 à 1944, on estime à près d’un million et demi de nombre de Juifs d’Ukraine abattus par balles pour la majorité d’entre eux.
Les Allemands s’arrêtent aux portes de Leningrad, encerclant la ville, coupée dès lors du reste du pays. Les mesures défensives prises par l’incompétent maréchal Vorochilov, ami de Staline, ne servent à rien. Son remplacement par le maréchal Joukov va changer la donne : un ravitaillement se mettra en place par le lac Ladoga gelé. La XX° armée d’Andreï Vlassov, constituée 6 mois plus tôt d’ouvriers, de cadets, de fantassins sibériens et de prisonniers de droit commun, parvient à percer le front et à faire reculer la Wehrmacht de 130 km. Les deux millions et demi d’habitants piégés tiendront jusqu’en janvier 1943, quand des forces soviétiques commenceront à percer l’encerclement allemand. On mangera du pain fait avec de la farine édulcorée de cellulose, on mangera aussi le mastic des fenêtres, le cuir des chaussures, des ceintures. Le cannibalisme va apparaître. Certains jours de janvier et février 1942 verront mourir plus de 20 000 personnes.
3 janvier 1942. Il ne nous reste rien d’autre à faire qu’à nous coucher et à mourir. Jour après jour, c’est de pire en pire. Ces derniers temps, le pain a été notre seul moyen de subsistance. […] Mais aujourd’hui, il est déjà onze heures du matin, et il n’y en a plus dans aucune boulangerie et on ne sait pas quand il y en aura. Les gens sont affamés, ils ont couru d’une boulangerie à l’autre dès sept heures du matin, en trébuchant et en vacillant, mais, hélas, partout ils n’ont trouvé que des rayons vides et rien d’autre. […] Les gens sont si épuisés que je me demande […] si beaucoup de monde va rester en vie à Leningrad. Beaucoup ne survivront pas dans ces conditions. Je ne sais pas si moi aussi, je vais survivre. Je ne sais pas pourquoi, mais aujourd’hui, je ressens au fond de moi comme une faiblesse. Vraiment, je tiens à peine sur mes jambes, mes genoux ploient, j’ai la tête qui tourne. […] Peut-être la mort d’Aka [la grand-mère de Léna] produit-elle son effet sur moi […] Elle repose dans la cuisine. Impossible de trouver ce Iakovlev, sans lequel on ne peut rien faire. Il doit rédiger l’acte de décès. Ensuite, maman devra se rendre encore quelques part et alors on transportera Aka sur un traîneau jusqu’à l’hippodrome.
Léna Moukhina, 18 ans. Journal de Léna (elle mourra en 1991) Robert Laffont 2014.
Je vous parle de Leningrad, où nous vivions alors. Du blocus de Leningrad. On nous faisait mourir de faim. Une longue agonie… Neuf cents jours de blocus… Neuf cents… Alors qu’un seul semblait une éternité ! Vous n’imaginez pas comme c’est interminable, une journée, pour quelqu’un qui a faim. Une heure, une minute… Le déjeuner est long à venir… Puis le dîner… La ration de blocus était de cent vingt-cinq grammes de pain par jour. Du moins pour ceux qui ne travaillaient pas. La ration des parasites de la société… Ce pain, il dégoulinait d’eau… Il fallait le couper en trois : petit-déjeuner, déjeuner, dîner. À boire, on n’avait que de l’eau chaude… Sans rien.
Il fait nuit… Dès six heures du matin, je suis dans la queue à la boulangerie (je ne sais pas pourquoi, je me rappelle surtout l’hiver). Des heures debout !… Des heures qui n’en finissent pas… Quand arrive mon tour, la nuit est de nouveau tombée. À la lueur d’une bougie, le vendeur coupe des morceaux de pain. Les gens restent plantés, à le surveiller. À suivre le moindre de ses gestes… Les yeux brûlants… fous… Et tout ça, sans un mot…
Les tramways ne marchaient pas… On n’avait ni eau, ni chauffage, ni électricité. Mais le pire, c’était la faim. J’ai vu un homme manger ses boutons. Les petits, les gros… Les gens, la faim les rendait fous.
Il y a eu un moment où je suis devenue sourde. C’est là qu’on a mangé le chat… J’y reviendrai. Ensuite, je suis devenue aveugle… C’est là, justement, qu’on nous a amené le chien. Ça m’a sauvée.
Je ne me rappelle pas… Je ne sais plus à partir de quand l’idée de manger son chat ou son chien est devenue normale. Ordinaire. Quotidienne. Je n’y ai pas prêté attention… Après les pigeons et les hirondelles, les chats et les chiens ont commencé à disparaître. Nous, on n’avait pas d’animaux : maman trouvait que c’était une grosse responsabilité, surtout de prendre un gros chien. Une amie de maman n’avait pas pu manger elle-même son chat. Elle nous l’a apporté. On l’a mangé. Et je n’ai plus été sourde… Ça s’était fait brusquement : le matin, j’entendais encore, le soir, maman me dit quelque chose et je ne réponds pas…
Le temps a passé… On a recommencé à mourir de faim… L’amie de maman nous a amené son chien. On l’a mangé, lui aussi. Et, sans lui, on n’aurait pas survécu, c’est certain ! La faim nous faisait déjà enfler. Le matin, ma sœur refusait de se lever… C’était un gros chien affectueux. Pendant deux jours, maman n’a pas pu… Elle n’y arrivait pas. Le troisième jour, elle l’a attaché au radiateur de la cuisine et nous a envoyées nous promener dehors…
Je me rappelle ces boulettes… Je les revois parfaitement…
On avait très envie de vivre…
On restait souvent toutes les trois à regarder la photographie de papa. Il était au front. Ses lettres ne nous parvenaient que rarement. Mes petites filles, écrivait-il. On répondait en faisant en sorte de ne pas trop l’inquiéter.
Maman gardait quelques morceaux de sucre. Dans un petit sac en papier. C’était notre trésor de guerre. Une fois… je n’ai pas résisté. Je savais où était le sucre, et j’en ai pris un morceau. Quelques jours plus tard, un autre… Et… au bout de quelque temps, encore un… Bientôt, il n’y a plus rien eu dans le petit sac de maman. Un sachet vide…
Maman est tombée malade… Elle manquait de glucose. De sucre… Elle ne pouvait plus se lever… Le conseil de famille a décidé de puiser dans le précieux petit sac. Maman guérirait forcément. Ma grande sœur a commencé à le chercher. Il n’était nulle part. On a fouillé toute la maison. Je cherchais avec les autres.
Et, le soir, j’ai avoué…
Ma sœur m’a battue. Mordue. Griffée. Moi, je la suppliais : Tue-moi ! Tue-moi ! Comment je pourrais vivre, après ça ? ! Je voulais mourir…
Là, je ne vous parle que de quelques jours… Mais il y en a eu neuf cents…
Neuf cents jours comme ça…
J’ai vu de mes yeux une fillette voler à une femme un petit pain, au marché. Une petite fille… On l’a attrapée, on l’a jetée par terre et on s’est mis à la frapper… Atrocement… À mort. Elle, elle se dépêchait de manger, d’avaler le petit pain. De le dévorer, avant qu’on la tue…
Neuf cents jours comme ça…
Mon grand-père était si faible qu’une fois, il est tombé dans la rue… II se voyait déjà mort. Un ouvrier est passé à ce moment-là. Les ouvriers avaient des rations un peu meilleures, pas beaucoup, mais tout de même. Eh bien, cet homme s’est arrêté et il a versé de l’huile de tournesol dans la bouche de grand-père. Sa ration ! Grand-père a pu rentrer à la maison. Il nous a tout raconté, en pleurant : Dire que je ne connais pas son nom ! Neuf cents jours…
Les gens étaient comme des ombres, ils se déplaçaient lentement dans la ville. Des somnambules… plongés dans un sommeil profond. On voyait tout mais on avait l’impression que c’était un rêve. Ces mouvements tellement lents… flottants… À croire que les gens se déplaçaient sur l’eau, pas sur la terre…
La faim transformait les voix… Ou bien rendait les gens aphones. On ne pouvait pas décider à la voix si c’était un homme ou une femme. Aux habits non plus, d’ailleurs, tout le monde s’entortillait dans des chiffons. Notre petit-déjeuner… c’était un morceau de papiers peints, de vieux papiers peints, mais il restait de la colle… Une colle de farine… Des papiers peints et de l’eau chaude…
Neuf cents jours…
Je rentre de la boulangerie… J’ai touché la ration du jour. Ces pauvres miettes, ces misérables grammes… Un chien court à ma rencontre. Il arrive à ma hauteur, renifle… et sent l’odeur du pain.
Je me suis dit que c’était notre chance. Notre salut ! J’allais le ramener à la maison…
Je lui ai donné un bout de pain et il m’a suivie. Près de chez nous, encore un petit bout et il m’a léché la main. On est entrés… Mais il rechignait à monter l’escalier, il s’arrêtait à chaque palier. Je lui ai donné tout notre pain… Bout par bout… Et, comme ça, on est arrivés au troisième. Nous, on habitait au quatrième. Là, le chien a renâclé, il refusait d’aller plus loin. Il me regardait… Il devait sentir quelque chose. Il comprenait. Je l’ai serré dans mes bras : Petit chien chéri, m’en veux pas !… Petit chien chéri... Je l’ai supplié, imploré… Et il est venu…
J’avais très envie de vivre…
Et la nouvelle s’est répandue… On l’a apprise par la radio : Le blocus est rompu ! Le blocus est rompu ! Plus heureux que nous, ça n’existait pas. Ça n’était pas possible. On avait tenu bon ! Le blocus avait été forcé…
Nos soldats étaient dans les rues. J’ai couru vers eux… Mais je n’avais pas la force de les serrer dans mes bras…
Il y a beaucoup de monuments à Leningrad. N’empêche qu’il en manque un qui devrait y être. On l’a oublié: le monument au chien du blocus.
Petit chien chéri, m’en veux pas…
Galina Firsova, alors âgée de 10 ans, rapporté par Svetlana Alexievitch Œuvres Derniers témoins. Actes Sud 2015
Le succès littéraire des Raisins de la Colère, et son revers de médaille : la haine et l’hystérie qu’il a ainsi déclenchées, lui valant des torrents d’insultes, ont incité John Steinbeck à prendre la mer à bord du Western Flyer en 1940 accompagné de son ami biologiste Ed Ricketts pour caboter le long des côtes de Basse Californie, encore nommée mer de Cortez. Son livre – Dans la mer de Cortez -, réécriture du journal de bord à visée scientifique, va connaître le succès, devenant une petite bible écologique avant l’heure ; parlant d’une flotte japonaise de chasseurs de crevettes : Six bateaux faisaient le dragage et un grand bâtiment mère d’au moins dix mille tonnes était à l’ancre… Ils avançaient lentement en échelon, avec leurs dragues chevauchantes, faisant littéralement place nette sur le fond. Il parvient à visiter les navires avec Ed Ricketts…vision des tonnes de poisson que l’équipage rejette, morts et mutilés pour ne conserver que les crevettes. Les hommes qui étaient à bord de ce bateau nous étaient très sympathiques. Ces hommes étaient bons, mais ils étaient pris dans une grande machine destructrice, des hommes bons faisant des choses mauvaises.
La guerre a beaucoup modifié les conditions de vie jusque dans les contrées fort éloignées des zones de combat : au Congo belge, il y a pénurie d’étoffes, de médicaments, d’outils ; tout ce que l’on pouvait trouver avait dramatiquement augmenté et le pouvoir d’achat des ouvriers s’était effondré : les ouvriers blancs de l’Union minière, au Katanga, à Elisabethville, s’étaient révoltés et leur mouvement avait gagné les camps ouvriers noirs. Ils se mettent en grève, en ne demandant qu’une augmentation de salaire : la Force publique intervient, tire : 60 morts, 100 blessés. C’est la première grève dans une colonie.
1941
L’Allemagne nazie est alors au sommet de sa puissance, tenant, par occupation ou alliance – avec l’Espagne et l’Italie – les territoires qui s’étendent du cap Nord au golfe de Tarente, de la Bretagne aux rivages baltes et à l’Ukraine, auxquels il faut ajouter les États satellites ou dotés de régimes autoritaires ou fascisants : la Hongrie de l’amiral Horthy, la Bulgarie du roi Boris III, la Roumanie du conducator Antonescu, la Croatie du poglavnic Ante Pavelitch et la Slovaquie de Mgr Tiso. La marge de manœuvre était encore plus étroite pour le Danemark du pronazi Erik Scavenius et l’État Français du maréchal Pétain. Et il y avait encore les États tenus directement par des nazis, allemands ou nationaux : la Bohême-Moravie du Reichsprotektor Heydrich, la Norvège du collaborateur pro-nazi Vidkun Quisling, aidé du Reichskommissär Terboven, les Pays-Bas, administrés par le nazi autrichien Arthur Seys Inquart, le gouvernement général de Pologne, tenu par le nazi Hans Frank, l’Ostland, regroupant les pays Baltes, la Biélorussie et l’Ukraine.
Les statuts juridiques sont assez variables, mais la seule règle importante et qui leur soit appliquée à tous est celle du pillage : pillage des matières premières, pillage des produits alimentaires, pillage des œuvres d’art, indemnités de guerre exorbitantes. La machine de guerre allemande dévorait tout ce qui avait une valeur.
Bernard Beaudoin était aspirant à Antibes en mai 1940, après en avoir bien bavé pendant les mois de la drôle de guerre dans les camps de jeunesse à Val les Bains. Il est envoyé à St Cyr pour y organiser le flot des réfugiés. Démobilisé il revient sur Paris pour y poursuivre ses études d’architecte. La vie y est difficile, l’ambiance morose et courant 1941, il décide de s’engager dans les troupes d’Afrique du Nord. Il traverse la France, et se retrouve en gare de Pau, muni d’un foulard qu’il porte sans aucune idée préconçue… manque de pot, les mêmes foulards sont le signe de ralliement d’un groupe recherché par les Allemands… Ces derniers l’arrêtent et il se retrouve en prison à Fresnes, où il passe un carême qui lui fera négliger tous ceux à venir : on s’y nourrissait d’épluchures de pomme de terre. Cependant les petits marchés internes permettaient de se constituer un pécule. Il parvient presque à mener à bien une tentative d’évasion en creusant un tunnel… mais il est dénoncé au dernier moment et c’est la déportation pour Dachau, en train. Il cherche à persuader ses collègues de tenter une évasion, sans succès ; il reconnaît la gare de Metz (que son style tout germanique ne permet pas de confondre avec une autre. ndlr) et saute du train, se foulant un genou.
Il lui faut rejoindre Belfort en évitant les villes ; s’arrêtant dans une ferme, il demande un bol de lait… que la fermière lui fait payer. Puis il parvient à monter à bord d’un train aux cotés du conducteur de la locomotive. Et c’est Belfort où il se soigne dans sa famille. Reparti à Paris pour y poursuivre ses études, il les interrompt à nouveau pour s’engager à Albertville après le débarquement allié en août 44 en Provence : et c’est au sein de la 1° armée, avec les goumiers du 15° Tabor marocain, qu’il participera à la libération de la France, et à l’occupation de l’Allemagne, où il restera pendant un an, en Bavière. Mettant à profit ce séjour en Allemagne, il cherchera à identifier le corps de son frère François en se rendant à Marienberg, alors en zone russe : l’officier russe qui l’accompagnait ne parlait pas plus le français que Bernard le russe… mais il parvint tout de même à se rendre sur les lieux de l’exécution, sans pouvoir identifier le corps de François, parmi 54 autres.
La débâcle de 1940 a facilité l’évasion de nombreux truands… dont certains sont parvenus à se refaire une santé sur le dos des Français : Henri Chamberlin, dit Lafont, qui va devenir capitaine de la SS, l’ex-inspecteur de police Pierre Bondy, renvoyé pour corruption… qui prirent mèche avec la Gestapo allemande pour en faire une Française, – La Carlingue – dont le siège sera 93, Rue Lauriston ; on l’affublera lui-même d’un Gestapette, finalement plutôt gentil – ; ils y organisent la chasse aux juifs et aux résistants ; on y pratique la torture souvent, l’assassinat parfois, on remet nombre de détenus à la Gestapo allemande, seul et unique pouvoir auxquels ils aient à rendre des comptes… ces voyous devenus les assassins de l’État amassent des fortunes en un temps record… d’avril à décembre 1941, la bande saisit 142 millions de francs, 17 lingots d’or, 502 pièces en or etc… – ils ont pognon sur rue – et arrête 247 Israélites et 54 quatre terroristes. En 1944, après avoir mis sur pied une brigade nord-africaine, composée de nord-africains prisonniers des Allemands, ils vont sévir dans le sud-ouest, par le rançonnage et la terreur : : le 26 mars 1944, 25 otages seront exécutés à Brantôme, le 11 juin 1944, 52 otages seront fusillés à Mussidan, le 27 juillet 1944, il tueront 34 personnes à Saint Germain de Salimbres… Arrêtés fin 1944 ils seront rapidement, très rapidement, trop rapidement jugés et exécutés : bien des personnages en place avaient intérêt à ce qu’ils ne se mettent pas à parler : ils en savaient trop. Ces procès bâclés auront été une faute politique majeure.
En Syrie, les combats entre forces de la France Libre et armée de Vichy font 1 200 morts.
Roger de Rorthays a été démobilisé de l’armée de Syrie ; avant la guerre il a créé et dirigé pendant cinq ans le rayon sport-camping de La Samaritaine. Il crée le Vieux Campeur dans la rue des Écoles, face au Collège de France. Il occupera une situation de quasi monopole sur tout ce secteur de loisirs parmi les moins chers jusqu’à l’arrivée sur un créneau à peu près identique de Michel Leclercq, qui créera Décathlon en 1976
Vichy supprime le diplôme et le métier d’herboriste… si bien que dans les années 2010, le plus jeune diplômé herboriste aura 91 ans. Mais, la législation ayant tout de même évolué, sera autorisée la commercialisation en vente libre de 148 plantes.
Le généticien et biologiste russe mondialement connu, Nikolaï Vavilov, qui défendait la théorie du gêne, est arrêté pour ses idées opposées en tous points à celle de Lyssenko, et condamné à la prison où il mourra deux ans plus tard. Il faudra attendre 1952 pour qu’il soit possible aux biologistes soviétiques de répudier Lyssenko, quand le grand plan de transformation de la nature décidé par Staline sur la base du lyssenkisme ira dans le mur.
En Chine, Chang Kai-shek et Tcheou En-lai fêtent à Tch’ong-k’ing [1], la capitale du premier, dans le Sseu-tch’ouan, le réveillon de Noël, buvant la coupe de la paix et de l’amitié… et dans le même temps, une partie de leurs troupes se massacrent, chacune accusant l’autre d’être l’agresseur. Chang Kai-shek a pour chef d’état major le général américain Stilwell, surnommé Vinegar Joe. Les alliés nourriront encore quelques temps le rêve d’associer l’armée nationaliste chinoise à la guerre contre le Japon et la ravitailleront en conséquence depuis la Birmanie. Il y aura désormais une double guerre menée contre le Japon : l’une active, celle des Rouges, l’autre passive, celle des nationalistes. À ces deux guerres, s’en ajoutera une troisième, entre frères ennemis, Kouo-min contre communistes.
Churchill crée la LCS – London Controlling Section – dirigée par le colonel John Henry Bevan : c’est l’opération Fortitude, dont la mission est d’élaborer des leurres pour tromper les Allemands : faux chars, faux avions, faux terminaux pétroliers, fausses villes, faux parachutistes etc. Presque tout cela avec un usage immodéré du caoutchouc, dont les Américains faisaient un usage industriel : un homme un peu solide pouvait ainsi renverser à lui seul un char en caoutchouc ! Les succès à venir seront nombreux : En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle doit toujours être protégée par un rempart de mensonges.
Le gouvernement de Vichy a fait venir en nombre des indochinois pour la culture du riz en Camargue. Ce n’était pas une nouveauté : outre l’épisode du riz de Sully, relativement court, sa culture avait repris au XIX° dès 1840 et après les travaux d’endiguement du Rhône sous le second empire : sa culture permettait d’absorber partiellement les débordements du Rhône et de dessaler les terres, autorisant alors la vigne. Mais ce riz ne nourrissait alors que les cochons. Les Indochinois sauront en faire un riz comestible par l’homme en ces temps de restrictions. Pour la plupart, ils rentreront chez eux mais le riz continuera à être cultivé, avec parfois le plus qu’apporte un agriculteur lorsque qu’il se refuse à avoir le nez continuellement sur le guidon : Longtemps acteur de l’agriculture conventionnelle, Bernard Poujol a décidé de rejeter la chimie à 55 ans. Depuis une dizaine d’années, ce grand barbu au verbe agile s’active avec sa femme, Catherine, dans sa ferme en bois du Mas Neuf de la Motte et ses 40 hectares de rizières biologiques (certifiées Ecocert) au cœur des marais de Saint-Gilles, dans le Gard. Le plus difficile est la gestion des mauvaises herbes qui ont le même cycle que le riz. On contourne le problème en faisant pousser l’herbe au préalable, pour la détruire avant d’assécher le champ et de semer le riz à sec, fin avril début mai, puis d’inonder à nouveau la rizière quand le plant est à sa troisième feuille.
Bernard Poujol a repris un savoir-faire japonais, qui reprenait une tradition chinoise : Une fois la parcelle inondée, je mets à l’intérieur un millier de canetons de race mulard qui, en batifolant toute la journée entre les rangées de riz, détruisent les mauvaises herbes et stimulent le système racinaire en fouissant le sol de leurs pattes et de leur bec. Les canards accompagnent tout le cycle de croissance, jusqu’à la récolte, en septembre.
Stephane Davet. Le Monde 28 10 2016
André Montagard est revenu de captivité avec une bien belle chanson toute à la gloire du Maréchal : Maréchal, Nous voilà. Il en est le parolier. Pour la musique, il a fait appel à Charles Courtioux. Quant aux interprètes, ils vont se bousculer, avec, au premier plan, André Dassary, né Deyherassary. La Marseillaise était restée l’hymne national, mais Maréchal nous voilà sera chantée en parallèle dans la plupart des manifestations officielles. Il semble que Charles Courtioux ne se soit pas cassé le bonnet pour la musique, pour laquelle on trouve de nombreux emprunts à d’autres morceaux, surtout à La Margoton du bataillon, une opérette de Casimir Oberfeld. Très rapidement circuleront des parodies, générées par l’enflure urticante, la flagornerie de l’original : Maréchal, nous voilà ! Sans chaussettes, sans chaussures, sans nourriture ! etc …
Une flamme sacrée
Monte du sol natal
Et la France enivrée
Te salue Maréchal !
Tous tes enfants qui t’aiment
Et vénèrent tes ans
À ton appel suprême
Ont répondu Présent
Refrain : Maréchal nous voilà !
Devant toi, le sauveur de la France
Nous jurons, nous, tes gars
De servir et de suivre tes pas
Maréchal nous voilà !
Tu nous as redonné l’espérance
La Patrie renaîtra !
Maréchal, Maréchal, nous voilà !
Tu as lutté sans cesse
Pour le salut commun
On parle avec tendresse
Du héros de Verdun
En nous donnant ta vie
Ton génie et ta foi
Tu sauves la Patrie
Une seconde fois
Quand ta voix nous répète
Afin de nous unir :
Français levons la tête, Regardons l’avenir !
Nous, brandissant la toile
Du drapeau immortel,
Dans l’or de tes étoiles,
Nous voyons luire un ciel :
La guerre est inhumaine
Quel triste épouvantail !
N’écoutons plus la haine
Exaltons le travail
Et gardons confiance
Dans un nouveau destin
Car Pétain, c’est la France,
La France, c’est Pétain !
15 01 1942
Les statues de bronze sont envoyées à la fonte.
20 01 1942
Les modalités de l’extermination des Juifs sont entérinées à la conférence de Wansee, dans la banlieue de Berlin : la mise à mort des juifs inaptes au travail, y est clairement décrite. Pour les autres, les tâches auxquelles ils seront affectés seront suffisamment épuisantes pour permettre une diminution naturelle substantielle de leur nombre, dixit Heydrich.
30 01 1942
Le métro a transporté 3,56 M. de voyageurs/jour en 1941.
2 01 1942
À Londres depuis le 20 octobre, Jean Moulin est parachuté en France. Il va commencer par avoir une chambre au 72 de la rue de la Charité à Lyon.
28 01 1942
Dino Buzzati, envoyé du Corriere della sera, a eu en main un courrier de remontrances d’un supérieur à un subordonné quant à une mission effectuée par un Cant Z.506 lors de laquelle il s’est livré à un combat aérien contre un Short Sunderland anglais :
À sept heures quarante du matin, en pleine Méditerranée, l’hydravion repéra, à quatre mille mètres environ, un collègue ennemi, beaucoup plus gros, qui volait à quatre cents mètres d’altitude. L’observateur regarda dans ses jumelles : c’était un Short Sunderland, un géant équipé de huit moteurs, quatre canons et deux mitrailleuses, de grenades anti-sous-marines, et cœtera, une petite forteresse volante. De notre côté, l’infériorité était donc très nette (exception faite du courage des hommes).
En accord avec le premier pilote, l’observateur décide de suivre le colossal ennemi pour calculer son cap. Il vire donc à droite pour se placer devant l’Anglais, à une altitude légèrement plus élevée. Il est sept heures quarante. À sept heures quarante-cinq, tandis que l’on rédige le message de repérage pour les commandements terrestres, le Sunderland vire à gauche et pique jusqu’au niveau de l’eau. Comme on ne pouvait le suivre, dit par la suite l’observateur, j’ai décidé de l’attaquer.
Le duel commence. Le géant anglais possède ses armes les plus dangereuses à l’arrière, tandis que sur ses flancs se répartissent les armes de moindre calibre, c’est-à-dire les deux mitrailleuses, une de chaque côté. Pour avoir une tout petite chance, le Cant Z.506 n’a qu’une solution : venir contre le flanc de l’ennemi, lequel n’aura de cesse qu’il ne se place devant lui, pour lui envoyer le plus de coups possible avec le petit canon arrière. Vu d’ici, le problème est simple. En haut, semble-t-il, il l’est un peu moins.
Les Italiens se préparent à faire feu. Le mitrailleur se tient dans la tourelle derrière son arme, le mécanicien à la mitrailleuse arrière. Le Cant Z vire à gauche, et vient se placer lui aussi à fleur d’eau. Il est sept heures cinquante. Les deux avions volent côte à côte à deux cents mètres. Les nôtres tirent les premiers avec la mitrailleuse de la tourelle, mais on est encore trop loin ; ils interrompent donc aussitôt le tir. L’ennemi répond avec la mitrailleuse latérale ; on voit crépiter les étincelles, mais aucun coup ne fait mouche. À une si courte distance, le Sunderland semble encore plus gros ; on dirait un vaisseau avec sa double ligne de hublots ; combien sont-ils là-dedans, et à quoi pensent-ils ? Mais au travers des hublots on ne distingue rien. On ne voit que ces étincelles, qui grésillent sur son flanc.
L’ennemi manœuvre. Il vire tout à coup à droite, réussit à se placer à l’avant du Cant Z, comme il le souhaitait, et à tirer avec son canon. Il ne s’agit plus d’étincelles à présent, mais de flammes menaçantes. On n’a pas intérêt à rester dessous.
À huit heures, l’hydravion italien vire à droite, augmente sa vitesse au maximum, tente de se replacer sur le flanc du Sunderland et de raccourcir les distances. Par une très belle manœuvre, il y parvient, mais le Sunderland vire aussitôt, et se repositionne devant son nez. Cinq minutes passent. Les Italiens pourraient s’en aller, et même ils devraient le faire. Il est évident que le pachyderme britannique n’a aucune envie de prendre des risques et que nos moyens sont nettement inférieurs. Pourtant les nôtres essaient à nouveau, répètent leur audacieuse manœuvre. Voilà qu’enfin le phalanstère volant expose son profil, monumental, à moins de cent mètres de distance. Le duel est devenu plus équitable. Le Cant Z tire depuis sa tourelle, le Sunderland ne peut riposter qu’avec sa mitrailleuse latérale. Et le Cant Z tire beaucoup mieux.
Huit heures et quart. L’ennemi rompt le contact, vire à droite, réussit encore à faire feu avec son canon arrière. On voit les balles traçantes et leurs foudroyantes trajectoires de fumée. Elles passent toutes au-dessus. De notre côté, nous engageons une contre-manœuvre. Un virage à droite, un autre à gauche et le géant est à nouveau contourné. Il est maintenant perpendiculaire au Cant Z, la distance n’est pas supérieure à huit cents mètres. Parallèles, à fleur d’eau, les deux avions se mitraillent réciproquement avec rage. À huit heures trente-cinq, une rafale tirée par les nôtres touche l’ennemi en plein cœur ; on voit un coup exploser sous la coque, juste à côté de la mitrailleuse. Une déchirure apparaît aussitôt, entourée d’une tache noirâtre.
Le Sunderland en a assez. C’est une honte pour lui, mais il semble vraiment décidé à s’en aller ; il vire à gauche, augmente sa vitesse au maximum, les nôtres ne réussissent plus à le talonner, la différence de vitesse est trop grande. Le géant devient de plus en plus petit, il est désormais hors de portée, toute autre tentative serait vaine.
Le combat a duré exactement soixante minutes, une heure continue de duel, les nôtres attaquant, les Anglais se défendant toujours. Toute une heure main dans la main avec la mort, c’est très long, mais pour l’équipage elle ne dura que le temps d’un souffle, tant la lutte fut tendue. À huit heures quarante-cinq, l’observateur, aux commandes de l’appareil, fait transmettre le télégramme suivant : Ennemi attaqué, touché, mis en fuite.
Dino Buzzati. 28 janvier 1942. (Inédit) Chronique de la guerre sur mer. Les belles lettres 2014
Le SOE charge André Wendelen de former un groupe de sabotage en Belgique. Il sera vite surnommé l’Archange. Le groupe sera opérationnel au printemps et se livrera à des attaques de voies ferrées et de sites industriels.
01 1942
Colette Pons, 27 ans, ancienne élève de la Légion d’honneur d’Ecouen, fille de médecin militaire, récemment divorcée, fait la connaissance à Megève de Jean Moulin : celui-ci cherche une couverture pour couvrir son activité dans la Résistance, couverture qui lui permette de voyager sans être inquiété. Il est lui-même artiste peintre amateur, fin connaisseur d’art moderne, signant ses croquis et dessins du nom de Romanin, le nom d’un château en ruines dans les Alpilles, but de promenade quand il passait des vacances dans la maison familiale de Saint Andiol. Quand il affichera des convictions politiques franchement à gauche, on lui collera l’étiquette de Moulin Rouge. Il va se faire marchand d’art et Colette Pons va devenir la cheville ouvrière de l’entreprise en inaugurant en grande pompe le 9 février 1943 au 22, rue de France, proche de la promenade des Anglais à Cannes la galerie Romanin, qui va devenir un haut lieu du commerce d’art sur la Côte d’Azur. On y achète des Matisse, des Dufy, des Utrillo, des Renoir ou des Marie Laurencin. En juillet 1943, la jeune femme reçoit un télégramme laconique de Laure Moulin, sœur de Jean : vendez comme convenu. Quelques jours plus tôt, Jean Moulin avait été arrêté à Caluire.
Albert Camus, 29 ans doit s’aliter à la suite d’une rechute de la tuberculose qu’il avait contracté en 1930, à 17 ans : il doit quitter Oran pour reprendre des forces en altitude : ce sera à à Panelier, un hameau proche du Chambon-sur-Lignon, dans le Vivarais – c’est un beau pays, un peu grave ; je m’y prépare de longs jours et d’ennui et de travail -; Il y restera quatorze mois. Sa femme Francine le quittera rapidement pour retrouver du travail en Algérie. Il y écrit Le Malentendu, y trouvant des éléments d’inspiration pour son roman La Peste dont il écrit la deuxième mouture, qui sera publié en 1947.
9 02 1942
Le Normandie brûle dans le port de New York : immobilisé depuis août 1939, il avait été réquisitionné par le Congrès, rebaptisé La Fayette, et transformé pour pouvoir transporter 10 000 hommes ; parmi les matériaux employés pour ces aménagements, le kapok, une espèce de faux coton particulièrement inflammable… Les pompiers américains ne faisaient pas dans la dentelle : ce sont les tonnes d’eau déversées sur le navire qui provoqueront son chavirage. Les luxueux décors, enlevés pour sa transformation seront dispersés dans différents musées, fondations. On peut en voir quelques restes à l’Escale à St Nazaire, dans l’ancienne base sous-marine allemande, très bonne reconstitution de l’épopée des grands paquebots de la CGT : Compagnie Générale Transatlantique.
15 02 1942
L’assaut japonais – ils sont 20 000 – contre les îles de Johore et de Singapour a commencé le 8 février. Le général britannique Perceval dépose les armes : les Japonais font 130 000 prisonniers, dont 16 000 mourront, ainsi que 100 000 travailleurs asiatiques à la construction de la voie ferrée du Siam à la Birmanie, avec le pont devenu fameux par le roman de Pierre Boule, en 1952, puis le film de David Lean en 1957 : Le Pont de la rivière Kwaï, où la fiction, dans le film comme dans le roman, ne laisse guère de place aux faits réels. Singapour devient Syonan-To – Lumière du Sud -.
16 02 1942
À Londres, l’ambassadeur soviétique annonce la couleur :
1) En ce moment, dans la coalition, la Russie est seule à faire la guerre. Elle doit être aidée par ses alliés. Seuls ceux qui l’aideront auront le droit de prendre place parmi les vainqueurs ;
2) La Grande-Bretagne doit créer un nouveau front au printemps à l’ouest de l’Europe. La France doit l’aider. En 1812, c’est grâce aux guérillas espagnoles que les Russes ont battu Napoléon ;
3) Dans la campagne décisive de 1942, la France doit jouer le rôle joué par l’Espagne en 1812. La Yougoslavie déjà lui donne l’exemple. Si elle ne le fait pas, elle sera rayée de la carte des grandes puissances.
Bogomolov, ambassadeur de l’URSS auprès des gouvernements alliés à Londres
Ces grandes manœuvres diplomatiques ont pour but de contrer les orientations stratégiques anglaises, à savoir l’ouverture d’un deuxième front dans les Balkans, de façon à s’assurer la maîtrise des pays de l’Europe de l’Est qui ainsi ne risqueraient pas de tomber dans l’escarcelle de Staline. De Gaulle s’alignera derrière la stratégie soviétique.
22 02 1942
Stefan Zweig et sa femme Lotte se sont exilés au Brésil, à Petropólis, une agréable station de montagne au-dessus de Rio. Rien ne les menace, sinon le désespoir de cette tuerie sans fin ; de plus eux-mêmes sont à l’abri du péril comme du besoin. Tristes à en mourir, ils se suicident d’une grosse dose de Veronal. Stefan Zweig travaillait sur une biographie de Montaigne : Il est difficile de juger à quel moment nous sommes exactement au bout de notre espérance.
*****
Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec lucidité, j’éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m’a procuré, ainsi qu’à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j’ai appris à l’aimer davantage et nulle part ailleurs, je n’aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l’Europe, s’est détruite elle-même.
Mais à soixante ans passés, il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d’errance. Aussi, je pense qu’il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde.
Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit ! Moi, je suis trop impatient, je pars avant eux.
23 02 1942
Un sous-marin japonais tire plusieurs obus sur le champ pétrolifère d’Elwood, près de Santa Barbara, sur la côte ouest américaine, sans causer de dégâts majeurs.
24 02 1942
Alerte dans le ciel de Los Angeles à la suite de la détection par les radars d’un objet volant non identifié. Plus de 1 400 obus seront tirés par la DCA sans qu’aucun n’atteigne quelque avion que ce soit. Le mystère restera entier, et cependant les Américains nommeront l’affaire bataille de Los Angeles.
02 1942
Hitler réorganise son économie de guerre : le pillage systématique des pays conquis ne suffit plus à répondre aux besoins des multiples fronts de guerre. Fritz Todt, jusqu’alors à la tête d’un service du génie annexe de la Wehrmacht, se voit confier l’édification du mur de l’Atlantique, ligne de fortifications allant des Pays-Bas à l’Espagne. Albert Speer, l’architecte du régime est nommé ministre de l’Équipement et des Munitions : il va mettre en place une gestion rationnelle, aux résultats remarquables : en deux ans, le volume de la production de matériel militaire sera triplé, malgré les oppositions contre productives de Goering, Himmler et Sauckel.
Le gouvernement de Vichy passe commande d’un film à la gloire de l’archange Mermoz, dont les exploits font vibrer tous les écoliers de France : le tournage se fera au Col de Voza, entre les vallées de Chamonix et de Saint Gervais, au milieu de nombreuses difficultés et intrigues. Le film sortit en 1943, sans que personne ne sache que Robert Hugues Lambert, l’acteur principal, homosexuel, avait été interné à Drancy, huit jours avant la fin du tournage, sans que ses proches en connaissent le motif ; il sera ensuite interné à Compiègne, puis déporté à Flossenburg où il mourra le 3 mars 1945. En 1999 sortira un film : Le plus beau pays du monde, qui reprend l’histoire de ce tournage pendant l’occupation, ne cherchant à être fidèle aux faits que sur le sort réservé à Robert Hugues Lambert.
Les premiers convois de Juifs de Pologne et Slovaquie arrivent à Birkenau où ils vont être gazés : ce sont 70 à 75 % des Juifs déportés qui sont immédiatement gazés à leur arrivée dans les camps d’extermination. Les camps de concentrations des autres déportés deviennent aussi camps de travail, au service de l’industrie de guerre allemande
3 03 1942
La RAF bombarde les usines Renault de Billancourt, sous contrôle allemand depuis 1940. Les dégâts collatéraux sont importants : 371 morts, dont 66 enfants, plus de 1 500 blessés, sur la commune voisine du Vesinet. Début 1943, la même usine sera de nouveau prise pour cible : 300 morts, dont 80 autour de la station de métro Pont-de-Sèvres.
7 03 1942
Pierre Semard, dirigeant syndicaliste CGT au sein de la SNCF, ancien premier secrétaire du Parti communiste français de 1924 à 1928, est livré par le régime de Vichy aux Allemands qui le fusillent. Il avait déjà été emprisonné à plusieurs reprises durant l’entre deux guerres au titre de ses activités politiques au sein du Parti communiste, puis à nouveau condamné à 3 ans de prison le 9 mai 1940. À la fin, il avait été incarcéré au sein des droits communs et non des politiques.
12 03 1942
Les Américains débarquent à Nouméa.
Dès janvier 1942, décision est prise à Washington d’installer une force militaire sur le Caillou. La Nouvelle-Calédonie s’étant ralliée dès septembre 1940 au général de Gaulle, sous la pression des colons qui ont renvoyé en Indochine les fonctionnaires coloniaux et officiers restés fidèles à Vichy, le représentant de la France libre dans la capitale américaine signe, le 15 janvier 1942, un accord autorisant les États-Unis à utiliser les possessions françaises dans le Pacifique aussi longtemps qu’ils respecteront la souveraineté de la France sur ces territoires, [et plus concrètement qu’ils reconnaîtront de Gaulle comme seul représentant de la France libre ndlr]. Huit jours plus tard, une flottille américaine, la Task Force 6184 (du nom de code : force Coquelicot), quitte le port de Charleston (Caroline du Sud) et cingle vers le Pacifique sud.
À l’horizon du lagon aux eaux turquoise, se déploie une armada de dizaines de navires de guerre et de cargos. Dans la capitale calédonienne, alors colonie française, on s’interroge : est-ce l’invasion japonaise tant redoutée ? Il faut attendre que la flotte se rapproche de la rade pour identifier la bannière étoilée. Les Américains ! Enfin !
Le secret a été bien gardé. Seul l’amiral Georges Thierry d’Argenlieu, représentant sur place du général de Gaulle, a été informé de l’arrivée prochaine de l’US Navy. Mais même lui est effaré par l’ampleur du corps expéditionnaire qui débarque ce jour-là. Dans une logistique parfaite, les navires déversent sur les quais et les plages des flots d’hommes, de Jeep, de camions bourrés de matériel.
Le territoire bascule dans le monde moderne. Les Calédoniens découvrent le bulldozer, la Jeep, les conserves de corned-beef, le beurre de cacahuète, et les demi-lunes, ces hangars de tôle en pièces détachées…
Les ingénieurs militaires américains tracent des routes, assèchent des marécages, agrandissent les terrains d’aviation dans les plaines de la côte ouest de la Grande Terre, bâtissent des ponts, ouvrent des hôpitaux (l’un d’entre eux restera en service). De nouveaux quartiers surgissent de terre et portent encore aujourd’hui des noms révélateurs de leur origine : Motor Pool (le parking des engins motorisés), Receiving (de Receiving Station, la station radio).
Les MP de la police militaire assurent l’ordre à Nouméa. Les quais, considérablement étendus, se couvrent de grues. Pendant quelques mois, la ville deviendra le deuxième port le plus actif du Pacifique après San Francisco.
La population bénéficie vite des dollars dépensés sur place : on ouvre des blanchisseries, des bars, des dancings, des cinémas pour les soldats. Des centaines de Kanaks sont nourris, vêtus, logés et engagés comme manutentionnaires à des salaires deux fois supérieurs à ceux proposés par l’administration française. La production locale est stimulée. L’état-major du général MacArthur, commandant suprême des forces alliées dans le sud-ouest du Pacifique, implanté à Brisbane (Australie), puis en Nouvelle-Guinée, à 2 500 kilomètres, se fait livrer croissants et baguettes par la boulangerie Mercier de Nouméa.
Pour son approvisionnement en produits frais, l’armée américaine aide les colons à labourer de nouvelles terres et offre des semences. En brousse, les dollars récoltés sont empilés dans des barils de kérosène vides, les touques, et enterrés, à l’abri.
[…] L’Amérique a-t-elle vraiment voulu supplanter la France sur ce territoire ? À la conférence de Téhéran, en novembre 1943, le président Roosevelt évoquera avec Winston Churchill et Staline la possibilité de transformer, au lendemain de la guerre, Dakar et Nouméa en bases sous mandat des futures Nations unies. En janvier 1944, Roosevelt soumettra de nouveau ce projet devant l’ambassadeur australien. En mars 1945 encore, quelques jours avant sa mort, il insiste lors d’une réunion de son cabinet sur l’importance pour l’Amérique de conserver une base à Nouméa dans le système de sécurité mondial d’après-guerre.
Son successeur, Harry Truman, désireux de ménager de Gaulle face à la menace soviétique montante, mettra un terme à ces visées. Le départ des troupes américaines de Nouvelle-Calédonie se fera très vite, dès la reddition japonaise, le 15 août 1945. Sur ordre du gouvernement français, une partie de l’immense matériel roulant laissé sur place sera jetée dans le lagon afin de dissiper toute nostalgie du temps des Américains.
Jean-Michel Demetz Valeurs actuelles 8 novembre 2021
La machine de guerre américaine tourne à fond. Et elle est marquée par la culture du pays : on raconte qu’il y aurait eu plus de pianos que de baignoires dans les logements de l’époque : il constitue un puissant lien social, un trait d’union entre riches et pauvres, entre loisirs et religion. Première marque à bénéficier de ce contexte favorable : la maison Steinway, avec à sa tête le père fondateur Théodore Steinway que la crise de 1929 a bien malmené. Une commande de pièces pour l’avion WacoCG-4A l’a renflouée un temps, mais l’avion se fera une réputation de cercueil volant. Et voilà que Roosevelt lance son Victory Program dans lequel s’intègre la maison Steinway avec le lancement du Victory Vertical, vertical parce que c’est ainsi que l’on nomme les pianos droits outre-Atlantique. L’armée les achète 486 $ pîèce, et ils en produiront 3 000 ; 5 000 en tout en prenant en compte ceux fabriqués pour la guerre de Corée : robuste, vert armée, un celluloïd blanc remplace l’ivoire des touches, un mètre de haut seulement, fait d’un bois exotique très dur, propre à encaisser de gros écarts de température, un poids de 200 kilos.
28 03 1942
Les services secrets britanniques ont appris que le cuirassé allemand Tirpitz, frère jumeau du Bismarck, allait prochainement appareiller d’un fjord de Norvège du Nord pour s’attaquer aux convois alliés dans l’Atlantique. Mais auparavant, il devrait se faire faire une grande toilette et le seul bassin de radoub qui soit à sa taille est la Forme Joubert à Saint-Nazaire. Dickie Mounbatten, cousin du roi d’Angleterre et responsable du DCO – Directorate of Combined Operations – monte alors une opération de sabotage de la Forme Joubert : un vieux destroyer américain rebaptisé Campbelltown, camouflé en bâtiment allemand et bourré d’explosifs parvient à forcer la porte du bassin de radoub, dont il bloque l’accès pendant que des commandos débarqués à terre font sauter divers objectifs, puis se retirent avec l’équipage du Campbelltown lequel contient des bombes à retardement qui explosent le lendemain, tuant quelques 400 Allemands et obstruant définitivement l’accès à la Forme Joubert. Le Tirpitz n’ira pas couler les convois de l’Atlantique ; la RAF l’enverra par le fond près de Tromsö le 12 novembre 1944
03 1942
Le professeur Bernard Halpern fabrique le premier antihistaminique de synthèse, qui permet de traiter l’allergie.
Danielle Darrieux, Albert Préjean, Suzy Delair, René Dary, Junie Astor et Viviane Romance, tous acteurs connus sur la scène française s’en vont faire un tour à Berlin pour la première allemande de Premier Rendez-vous, film produit par Alfred Greven, patron pour la France de la Continental, une société de production de cinéma allemande dépendant du ministère de la propagande de Goebbels. C’est le voyage à Berlin qui ne passera pas inaperçu. Les trois premiers sont sous contrat avec la Continental, les autres non. L’événement a pour but de montrer les bons rapports du cinéma français avec l’Allemagne nazie. L’entreprise a tout de la propagande, destinée à imposer l’idée d’une collaboration culturelle tout à fait banale qui renoue avec les échanges d’avant-guerre entre les deux puissances cinématographiques européennes. À sa décharge Danielle Darrieux n’a accepté cette invitation que pour revoir brièvement son nouvel époux, Porfirio Rubirosa, play-boy au demeurant ambassadeur de la République Dominicaine en France, pour l’heure interné en Allemagne. En cas de refus, Alfred Greven l’aurait menacé de représailles sur son mari. Toujours est-il qu’à la suite de ce voyage, pour avoir refusé de continuer à Vienne après trois jours à Berlin, Danielle Darrieux passe quinze mois en résidence surveillée à Megève, en compagnie de son époux, loin du cinéma et de toute publicité. Fort nombreux sont les lieux de résidence surveillée plus déplaisants que Megève où, pour celui ou celle qui avait de l’argent, on pouvait trouver en matière alimentaire, tout ce que l’on voulait : le marché noir y était particulièrement bien approvisionné.
Très lié à Hermann Göring, Alfred Greven haïssait Joseph Goebbels. Il rêvait de construire au Mesnil-le-Roi, une cité du cinéma à même de tenir la dragée haute à Hollywood : le sort des armes en décidera autrement et les studios de Mesnil-le-Roi resteront à l’état de projet.
9 04 1942
Sur ordre de Roosevelt, le général Douglas Mac Arthur attaqué dans la presqu’île de Baatan où il s’était replié après avoir dû quitter Manille le 25 décembre 1941, a été contraint à se replier encore : 76 000 défenseurs sont prisonniers des Japonais ;
Je suis parti de Bataan mais je reviendrai
La marche de la mort de Bataan – 97 km, Bataan Death March, Batān shi no kōshin -, de Cabcaben, dans la péninsule de Bataan vers le camp d’internement O’Donnell va faire près de 11 000 morts sur douze jours, du 9 avril au 1°mai. Marche quasi permanente, sans nourriture, très peu d’eau. Un prisonnier se plaignait-il ? Abattu ou gorge tranchée. Les camions roulaient sur toute personne à terre etc etc. Un sommet dans la barbarie.
Condamné à mort le 11 janvier 1946, le général Masaharu Homma sera fusillé le 3 avril à la prison de Los Banos avec son collègue Tomoyuki Yamashita. Le chef d’état-major de l’armée, Hajime Sugiyama et son envoyé spécial, le colonel Masanobu Tsuji seront aussi inquiétés. Sugiyama se suicidera en 1945. Tsuji ne sera jamais jugé, retournera au Japon en 1952, se présentera à la députation et sera élu !
15 04 1942
Ouvert depuis le 19 février 1941, le procès de Riom, qui jugeait Blum, Daladier, Mandel et Gamelin, est suspendu à la demande des Allemands. À 70 ans, Blum avait plaidé tant et si bien sa cause qu’à la fin, policiers et gendarmes s’étaient mis au garde à vous sur son passage. Il n’est pas impossible que ce soit les mêmes qui se mettront aussi au garde à vous devant Pétain lors de son procès ! Logés jusqu’alors au château de Chazeron puis de Bourrassol, proches de Riom, Blum va être transféré au fort de Portalet, dans les Pyrénées avant d’être déporté à Buchenwald, où il connaîtra hors enceinte du camp, des conditions de détention plus confortables que celles du déporté de base. L’y rejoindra, tout à fait réglementairement, c’est à dire avec l’autorisation de Pierre Laval Jeanne Levylier, épouse Reichenbach, sa maîtresse, amoureuse depuis l’âge de seize ans, à peu près 30 ans de moins que lui, que tout le monde pensait être sa femme, qui restera à ses cotés jusqu’à la libération des camps ; devenue veuve après le suicide de son dernier mari, elle l’épousera à Buchenwald en 1943 ; ils erreront alors, comme la plupart des détenus pour finalement rencontrer vraiment la liberté en la personne d’un militaire français dans les Dolomites.
17 04 1942
Le général Giraud s’évade de la forteresse de Koenigstein, près de Dresde, après avoir méticuleusement préparé son affaire, bien aidé en cela par d’autres militaires français et sa femme. Son principal atout : il parle couramment allemand. Il se laisse descendre le long d’un câble accroché au mur d’enceinte de la forteresse, parvient à faire 800 km en train qui l’emmène à la frontière suisse pour se retrouver finalement en zone libre. Il va voir Pétain qui dans un premier temps le félicite, puis Laval qui ne le félicite pas du tout et lui demande même de se constituer prisonnier pour retourner en Allemagne ! Otto Abetz confirme. Giraud est furieux. Mis finalement en résidence surveillée, il partira en Afrique du Nord quand les Américains, soucieux d’avoir un interlocuteur autre que de Gaulle, viendront le chercher.
22 04 1942
François Mitterrand écrit à Marie-Claire Sarrazin sa chérie d’alors : […] Comment arriverons-nous à mettre la France sur pied ? Pour moi, je ne crois qu’à ceci : la réunion d’hommes unis par la même foi. C’est l’erreur de la Légion que d’avoir reçu des masses dont le seul lien était le hasard : le fait d’avoir combattu ne créé pas une solidarité. Je comprends davantage les SOL [Service d’Ordre Légionnaire, créé en 1941 par Joseph Darnand. ndlr], soigneusement choisis et qu’un serment fondé sur les mêmes convictions lie. Il faudrait qu’en France on puisse organiser des milices qui nous permettraient d’attendre la fin de la lutte germano-russe sans crainte de ses conséquences – que l’Allemagne ou la Russie l’emporte, si nous sommes forts de notre volonté, on nous ménagera. C’est pourquoi je ne participe pas à cette inquiétude née du changement de gouvernement. Laval est sûrement décidé à nous tirer d’affaire. Sa méthode nous paraît mauvaise ? Savons-nous vraiment ce qu’elle est ? Si elle nous permet de durer, elle sera bonne.
27 04 1942
Au Canada, le gouvernement organise un référendum sur la conscription. Comme lors de la première guerre mondiale, la province du Québec vote contre. Néanmoins un million d’hommes partiront en Europe, et l’aide du Canada à l’Angleterre sera de l’ordre d’un milliard $.
04 1942
Les soviétiques ont renoué avec la tradition des congrès slaves ; cela se passe à Moscou et on vote cet appel, qui va être diffusé comme il convient ; les batailles se gagnent aussi avec la propagande, qui peut s’habiller d’une ample rhétorique : Frères slaves opprimés, en avant pour la guerre nationale, la guerre de libération. Cet appel résonnera comme le tocsin dans Belgrade détruite par les barbares allemands, dans Varsovie déchirée, dans Prague ruisselant du sang de ses meilleurs fils, dans les vallées des Carpates et des Balkans, dans les steppes de l’Ukraine, dans les forêts de Biélorussie et de Pologne, sur les rives du Dniepr et de l’Adriatique, sur les collines de la Vistule et sur le Danube bleu.
Tikhonov
02 à 05 1942
Les Japonais se sont emparés de Djakarta, Rangoon, des Philippines, et encore de la Nouvelle Irlande et de la Nouvelle Bretagne, à l’est de la Nouvelle Guinée, où ils mettront en place une énorme base à Rabaul, qui venait compléter celle de l’atoll de Truk. (latitude de Colombo, longitude de Brisbane), surnommé le porte avion incoulable.
6 au 8 05 1942
Le général Mac Arthur, commandant la défense du Pacifique sud-est, gagne contre les Japonais, la bataille aéronavale de la mer de Corail, au nord-est de l’Australie. Mais la forteresse de l’île de Corregidor, à l’entrée de la baie de Manille, réputée imprenable, tombe aux mains des Japonais le 6 mai.
26 05 1942
Le gouvernement tchèque de Beneš, en exil à Londres souhaite donner des gages de sa volonté de résistance à Churchill : décision est prise d’un attentat contre le Reichsprotektor de Tchécoslovaquie, Reinhard Heydrich. C’est l’Opération Anthropoïde : 2 hommes, Gabcik et Kubis ont été parachutés et parviennent non sans mal, à remplir leur mission : la mitrailleuse Sten, de fabrication anglaise s’enraye au moment crucial et c’est une bombe jetée sous la Mercedes d’Heydrich qui lui vaudra des blessures qui finiront par le faire mourir, faute de pénicilline pour contrer une infection. Heydrich était le créateur des services secrets et de sécurité – les SD -, et le principal artisan de la solution finale. La répression sera terrible : les deux exécutants de l’attentat, avec d’autres opposants ; la petite ville de Lidice, près de Prague va subir le même sort qu’Oradour. En 2010, Laurent Binet rapportera l’affaire dans HHhH, – Himmler Hirn heisst Heydrich : le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich – chez Grasset.
05 1942
À Londres, de Gaulle remet à Pierre de Chevigny, l’un de ses aides de camp, son ordre de mission pour mettre en place une antenne de la France Libre aux États-Unis : Je vous demande de faire beaucoup, avec peu, et en partant de presque rien. Ainsi , les choses sont claires.
La Wehrmacht a repris son offensive sur le front est : le 12 mai, elle s’empare de Kharkov, la grande ville industrielle de l’Ukraine orientale, avec le général Timochenko, puis de la Crimée, du bassin du Donetz, progresse vers la boucle du Don, atteint le Caucase et prend le Mont Elbrouz en août, mais s’arrêtera devant Stalingrad en septembre. Ce sont ses dernières victoires.
Dans La Guerre n’a pas un visage de femme, – 1985 – Svetlana Alexievitch rapporte des épisodes à vous glacer d’effroi, c’est le cas de la plupart, mais qui, parfois vous font rire, dans les pas de la narratrice : Quelqu’un nous a trahis…. Les Allemands ont su où stationnait le groupe de partisans. Ils ont encerclé la forêt et ses abords. Nous nous sommes cachés dans les marais. Nous avons été sauvées par les marais où les SS ne s’aventuraient pas. Le marécage, il engloutissait tout, et les machines et les hommes. Durant plusieurs semaines, nous avons passé des journées entières debout dans la vase, de l’eau jusqu’au cou. Il y avait avec nous une radiotélégraphiste. Elle relevait de couches. L’enfant était tout petit, il fallait le nourrir au sein. Mais la mère ne mangeait pas à sa faim, elle manquait de lait, et le gosse pleurait. Les SS étaient tout près… avec des chiens… Si jamais ils nous entendaient, nous étions tous perdus. Le groupe entier. Une trentaine de personnes… Vous comprenez ?
Nous prenons une décision.
Personne n’ose transmettre l’ordre du commandant, mais la mère devine toute seule. Elle plonge l’enfant emmailloté dans l’eau et l’y maintient longtemps… Le gosse ne braille plus. Il est mort. Et nous nous ne pouvons plus lever les yeux. Ni sur la mère ni sur personne d’entre nous.
*****
Le colonel Borodkine, commandant la 62° division d’infanterie à Orcha, avait piqué une grosse colère en découvrant que ses dernières recrues étaient des filles. Le lendemain, il nous a forcées à montrer ce dont nous étions capables : tir, camouflage. Pour ce qui est de la première épreuve, nous nous en sommes très bien tirées, mieux même que les hommes tireurs d’élite qui avaient été rappelés des avant-lignes pour un stage de deux jours. Puis est venu le camouflage sur le terrain…. Le colonel est arrivé, a déambulé un moment dans la clairière, l’a soigneusement inspecté, puis a grimpé sur un monticule de terre pour mieux voir. Toujours rien. Et là, le monticule sous ses pieds s’est mis à geindre : Oh camarade colonel, je n’en peux plus, vous êtes trop lourd ! Ce qu’on a ri !
*****
Une fois, en plein hiver, on convoyait des soldats allemands prisonniers. Ils marchaient, transis de froid. Vêtus trop légèrement. Des couvertures en lambeaux sur la tête. Or, il gelait si fort que les oiseaux crevaient en plein vol. Ils tombaient. Dans cette colonne, il y avait un soldat, tout jeune… Il était bleu de froid… Des larmes avaient gelé sur son visage… Moi, j’étais en train de pousser une brouette remplie de pain en direction de la cantine. Le gars ne pouvait détacher les yeux de cette brouette, il ne me voyait pas, il ne voyait qu’elle. J’ai attrapé une miche, je l’ai cassée en deux et lui en ai donné une moitié. Il l’a prise. Avec précaution, lentement… Il n’y croyait pas…
J’étais heureuse… J’étais heureuse de voir que je ne pouvais pas haïr. J’étais étonnée de moi-même.
Natalia Ivanovna Sergueïevna, aide soignante.
Notre régiment, entièrement féminin… a pris son envol pour le front en mai 1942…
On nous a donné des avions Po-2. Un petit appareil, très peu rapide. Il ne volait qu’à basse altitude, souvent même en rase-mottes. À deux doigts du sol ! Avant la guerre, il servait à l’entraînement de la jeunesse dans les clubs d’aviation, mais personne n’aurait pu même imaginer qu’on l’utiliserait un jour à des fins militaires. L’avion était fait d’une structure en bois, entièrement en contreplaqué, sur laquelle était tendue de la percale. Une sorte de gaze, si vous voulez. Il suffisait d’un coup au but pour qu’il s’enflamme, et alors il brûlait en l’air avant d’avoir touché le sol. Comme une allumette. Le seul élément métallique un peu solide, c’était le moteur lui-même, un M-II. Ce n’est que bien plus tard, vers la fin de la guerre, qu’on nous a fourni des parachutes et qu’on a installé une mitrailleuse auprès du navigateur. Auparavant, il n’y avait aucune arme embarquée à bord. Quatre porte-bombes sous les ailes, un point, c’est tout. Aujourd’hui, on nous traiterait de kamikazes, et peut-être en effet étions-nous des kamikazes. Oui ! c’est bien ce qu’on était ! Mais la victoire était estimée valoir plus que nos vies. La victoire !
Vous vous demandez comment nous tenions le coup ? Je vais vous répondre…
Avant de prendre ma retraite, je suis tombée malade, rien qu’à l’idée de ne plus travailler. C’est pour cela d’ailleurs que, la cinquantaine passée, je suis retournée à la fac. Je suis devenue historienne. Alors que toute ma vie, j’avais été géologue. Seulement, un bon géologue est toujours sur le terrain, et moi je n’avais plus la force pour ça. Un médecin est arrivé, on m’a fait un électrocardiogramme, puis on m’a demandé :
Mais ces cicatrices sont probablement un souvenir de guerre. Quand tu survoles l’objectif, tu trembles de la tête aux pieds. Tout ton corps est secoué de frissons, parce que, en bas, c’est l’enfer : les avions de chasse te tirent dessus, la DCA te tire dessus… Plusieurs filles ont été obligées de quitter le régiment, elles n’ont pas supporté ça. Nous volions surtout de nuit. Pendant quelque temps, on a tenté de nous envoyer en mission en plein jour, mais l’idée a été presque aussitôt abandonnée. Nos Po-2 pouvaient être descendus d’un simple coup de fusil…
On faisait jusqu’à douze sorties par nuit. J’ai vu le célèbre as Pokrychkine, à son retour d’un vol de combat. C’était un homme solide, il n’avait pas vingt ou vingt-trois ans, comme nous. Le temps qu’on remplisse le réservoir de son avion, un technicien lui ôtait sa chemise et l’essorait. Ça dégoulinait, comme s’il avait pris la pluie. Alors vous pouvez imaginer ce qui se passait pour nous. Quand on atterrissait, on était incapables de descendre de la carlingue, il fallait nous en extraire. Nous n’avions même pas la force de tenir notre porte-cartes, nous le laissions traîner par terre.
Et le travail de nos filles armuriers ! Elles devaient accrocher, manuellement, quatre bombes sous l’engin – autant dire trimbaler chaque fois près de quatre cents kilos. Et ainsi toute la nuit : un avion décollait, un autre atterrissait. Notre organisme subissait de telles contraintes que pendant toute la guerre, nous n’avons plus été des femmes. Nous n’avions plus de choses… Plus de règles..; bon, vous comprenez… Et après la guerre, certaines se sont trouvées incapables d’avoir des enfants…
Nous fumions toutes. Et moi aussi, je fumais, cela me donnait comme la sensation de m’apaiser un peu. On atterrit, on tremble de tous ses membres, et puis on allume une cigarette et l’on se calme. Nous portions blouson de cuir, pantalon, vareuse, et en hiver une veste de fourrure par-dessus le tout. Bon gré mal gré, quelque chose de masculin apparaissait dans notre démarche, dans nos mouvements. Lorsque la guerre a été terminée, on nous a confectionné des robes kaki. Et nous avons subitement redécouvert que nous étions des filles.
Alexandra Semionovna Popova, lieutenant de la garde, navigateur.
On était en train de libérer la Lettonie… Nous étions cantonnés près de Daugavpils. C’était la nuit, et j’avais l’intention de faire juste un petit somme. Soudain, j’entends la sentinelle interpeller quelqu’un : Halte ! Qui vive ? Dix minutes plus tard, exactement, on m’appelle chez le commandant. J’entre dans son gourbi, j’y trouve nos camarades rassemblés et un homme en civil. Je me souviens très bien de cet homme. Car, pendant des années, je n’avais vu que des hommes en tenue militaire, en kaki, et celui-là portait un manteau noir avec un col de velours.
J’ai besoin de votre aide, me dit cet homme. Ma femme est en train d’accoucher à deux kilomètres d’ici. Elle est toute seule, il n’y a personne d’autre à la maison.
Le commandant me dit :
On m’a fourni une escorte de cinq soldats armés de mitraillettes. J’ai préparé un sac de matériel de soins, auquel j’ai ajouté des portiankis [bandes de tissus remplaçant les chaussettes, toujours en usage dans l’armée russe] toutes neuves en flanelle qu’on m’avait données peu de temps auparavant. Nous voilà partis. Sans cesse, nous essuyons des coups de feu ; heureusement, le tir est tantôt trop court, tantôt trop long. La forêt est si sombre qu’on ne voit même pas la lune. On finit par distinguer les contours d’une sorte de bâtiment. C’était une petite ferme isolée. Quand nous sommes entrés dans la maison, j’ai tout de suite vu la femme. Elle était étendue par terre, enveloppée dans de vieilles nippes. Son mari a aussitôt tiré les rideaux aux fenêtres. Deux soldats sont allés se poster dans la cour, deux autres devant la porte, tandis que le dernier restait auprès de moi pour m’éclairer avec la torche. La femme avait peine à retenir ses plaintes, elle souffrait beaucoup.
Je lui répétais tout le temps : Courage, ma jolie. Il ne faut pas crier. Allez, tenez bon.
On était en zone neutre, vous comprenez. Si jamais l’adversaire remarquait quelque chose, nous étions bons pour une pluie d’obus. Mais quand mes soldats ont entendu que l’enfant était né… Hourra! Hourra ! Tout bas, comme ça, presque en chuchotant. Un bébé venait de naître en première ligne ! On m’a apporté de l’eau. Il n’y avait rien pour la faire bouillir, alors j’ai nettoyé le bébé à l’eau froide. Je l’ai enveloppé dans mes portiankis. Impossible de trouver autre chose dans la maison, il n’y avait que les vieux chiffons sur lesquels était couchée la mère.
Je suis retournée voir cette femme plusieurs nuits de suite. La dernière fois, c’était juste avant l’offensive. Je leur ai fait mes adieux : Je ne pourrai plus venir vous voir. Je pars. La femme a posé une question en letton à son mari. Il m’a traduit : Ma femme demande comment vous vous appelez. Anna.
La femme a prononcé quelques mots encore, que son mari à nouveau a traduits : Elle dit que c’est un très joli nom. En votre honneur, nous appellerons notre fille Anna.
La femme s’est redressée – elle ne pouvait pas encore se lever – et m’a tendu un joli poudrier de nacre. C’était visiblement ce qu’elle possédait de plus précieux. J’ai ouvert le poudrier, et cette odeur de poudre dans la nuit, quand les tirs se succèdent sans relâche autour de vous, que des obus éclatent… Il y avait là quelque chose… Même aujourd’hui, ça me donne encore envie de pleurer… L’odeur de la poudre, ce couvercle de nacre… Un petit bébé… une petite fille… Il y avait là quelque chose de si familier, quelque chose de la vraie vie des femmes…
Anna Nikolaïevna Khrolovitch, lieutenant de la garde, feldscher.
Alors que les femmes n’étaient pas acceptées sur les théâtres d’opérations de l’Armée Rouge, le 8 octobre 1941, Joseph Staline avait ordonné la création de trois régiments de pilotes féminins, dont l’un devient le 588° NBAP qui deviendra 46° régiment de bombardiers de nuit en février 1943 et le Gv 46 NBAP Taman en octobre 1943. […] Leur mission était le harcèlement et le bombardement de l’Armée allemande entre 1942 et la fin de la guerre. Le régiment accomplira plus de 23 000 sorties, larguant plus de 3 000 tonnes de bombes, 26 000 obus incendiaires. Trente-trois de ses membres seront décorées du titre de Héros de l’Union soviétique dont 5 à titre posthume.
Le régiment volait sur des biplans obsolètes Polikarpov Po-2, conçus en 1928 et destinés à être utilisés comme avions d’entraînement et non de combat réel. À cause du poids des bombes, les pilotes ne pouvaient emporter de parachutes avec elles jusqu’en 1944. Elles ne possédaient pas de radar, s’orientant dans la nuit avec une carte et une boussole. Bien que les avions fussent obsolètes et lents, les pilotes firent un usage audacieux de leur manœuvrabilité exceptionnelle, ils avaient l’avantage d’avoir une vitesse maximale inférieure à la vitesse de décrochage des Messerschmitt Bf 109 et Focke-Wulf 190, en conséquence, les pilotes allemands les trouvaient très difficiles à abattre. Une de leurs techniques de furtivité était de passer leur moteur au ralenti à l’approche de la cible et de planer jusqu’au point de largage, portées par le vent. Les Allemands les surnommèrent les Nachthexen (sorcières de la nuit, en anglais : Night Witches et en russe : Ночные ведьмы) en comparant le faible bruit émis par leurs avions à celui que ferait un balai de sorcière.
Wikipedia
3 au 6 06 1942
Navy américaine – c’est l’amiral Chester W. Nimitz qui est à la manœuvre – contre marine japonaise : les deux jours de bataille aéronavale au large de Midway tournent à la défaite des japonais, qui perdent quatre porte-avions, deux croiseurs, trois destroyers, 261 avions. C’est encore lui qui remportera les batailles de la mer de Corail et de la mer des Philippines.
11 06 1942
À Bir Hakeim, les 3 723 hommes de la 1° brigade du général Koenig ont contenu depuis le 27 mai les 32 000 Allemands et Italiens commandés par Rommel pour permettre aux forces de Montgomery de s’organiser. Le 27 mai, ils ont repoussé 70 chars italiens et en ont détruit 33. Quand ils parviennent à briser l’encerclement, – au prix de 1 123 morts – les troupes anglaises fraîches ont eu le temps de renforcer celles d’El Alamein, ce qui permettra la victoire. Une Anglaise, Suzanne Travers a bien contribué au succès, le jour, chauffeur sans peur de Koenig et la nuit, sa maitresse, jusqu’à ce que les Allemands mettent l’affaire sur la place publique. La liaison deviendra alors intermittente, à partager par ailleurs avec la Suissesse Monique Barbey, épouse de l’un de ses adjoints. Suzanne Travers se consolera en se couvrant de médailles, à rendre jaloux un maréchal russe.
Il fallut qu’un grain de sable enrayât l’avance italo-allemande, qui n’atteignit El-Alamein qu’après l’arrivée des divisions britanniques fraîches : le grain de sable s’appelait Bir Hakeim.
Général Saint Hillier
16 06 1942
Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy, accepte le principe de la relève : les prisonniers de guerre seront libérés si une main d’œuvre est envoyée en Allemagne.
21 06 1942
Rommel s’empare de Tobrouk, faisant 35 000 prisonniers, s’emparant de 70 chars, 2 000 véhicules, 2 000 tonnes d’essence, 5 000 tonnes de vivres. Soldats ! La grande bataille de Marmarique a eu pour couronnement votre conquête de la forteresse de Tobrouk. Nous avons fait plus de 45 000 prisonniers et détruit ou capturé 1 000 véhicules blindés et environ 400 canons depuis le début de notre offensive du 26 mai. Au cours de l’âpre lutte des dernières semaines, votre vaillance et votre endurance nous ont alors permis de porter de terribles coups aux forces alliées. Grâce à vous, l’adversaire a perdu le noyau de son armée, qui s’apprêtait à passer à l’offensive, et, surtout, ses forces blindées ont été détruites. Au cours des prochains jours, je vous demanderai le grand effort final.
Général Erwin Rommel
22 06 1942
Laval s’engage résolument dans la collaboration : Je souhaite la victoire de l’Allemagne… parce que, sans elle, le bolchevisme s’installerait partout.
27 06 1942
Roosevelt s’adresse au pays, lui signifiant les conséquences de son entrée en guerre : c’est la mobilisation de tous pour récupérer tout ce qui peut l’être en matière de caoutchouc, matière vitale pour mener une guerre : un navire de guerre contient 80 tonnes de caoutchouc, un avion 1 tonne, un char 0.5 T etc : tuyaux, durites, câbles électriques, courroies de transmission, joints, vêtements de pluie, masques à gaz, bateaux gonflables et surtout, surtout, pneumatiques. Or 95 % du caoutchouc mondial venait jusqu’alors des plantations d’Asie désormais contrôlées par les Japonais. Les 400 000 stations service d’Amérique vont collecter la récupération… le président montre l’exemple en donnant l’os de son chien Fala. Parallèlement on développera la fabrication de caoutchouc synthétique mais on ne fera jamais aucun article en 100 % synthétique, celui-ci n’ayant pas la qualité du naturel : il faudra donc trouver des forêts d’hévéa, c’est-à-dire recommencer à exploiter l’Amazonie.
06 1942
Lioudmila Pavlitchenko, 26 ans, est blessée au ventre par un éclat d’obus allemand en Crimée : après sa convalescence, elle sera retirée du front : pareille héroïne est plus utile vivante que morte : tireuse d’élite, elle affiche alors à son tableau 309 Allemands, dont 36 tireurs d’élite. Elle part faire une tournée triomphale aux États-Unis, reçue par Roosevelt, le Canada, puis l’Angleterre.
1 07 1942
Pendant un mois, à El Alamein Montgomery contient l’avancée des troupes de l’Axe sur l’Égypte. C’est la première bataille d’El Alamein.
06 1942
Le pape Pie XII fusionne plusieurs instituts du Vatican qui deviennent l’IOR – l’Institut des Œuvres de Religion – la banque du Vatican qui en aura la personnalité juridique, avec des statuts propres, entre autre une disposition qui destine les revenus dégagés au financement d’œuvres de religion. Ses dirigeants jouissent d’une immunité juridique totale.
6 07 1942
1 170 socialistes et communistes français, nommé convoi des 45 000 (la série de leur numéro matricule) sont déporté à Auschwitz : 11 survivront.
mi-juillet 1942
Le général russe Andreï Vlassov est fait prisonnier à Leningrad. Les Allemands, bien conscients de la valeur de leur prise le ménagent, pour finalement le retourner en leur faveur : il accepte de lever une armée russe formée de prisonniers pour combattre Staline, avec un leitmotiv : commençons par abattre Staline, après… on verra. C’est l’armée de libération russe : Rouskaïa Osvoboditielnaïa Armiïa. Hitler s’en méfiera jusqu’au bout. Le 11 mai 1945, Vlassov se rendra aux Américains … qui le livreront aux Russes… qui le mettront à mort après l’avoir torturé. George Fisher, un historien américain, estime que plus d’un million de Russes auront combattu aux cotés des Allemands, beaucoup par contrainte, les autres par volonté de renverser Staline.
Deux mois plus tard, il ne restera à Leningrad que 800 000 personnes, trois fois moins qu’au début du blocus, un an plus tôt. Plus d’un million de personnes auront été évacuées de l’automne 1941 à la mi-1942, très peu par avion, beaucoup par bateau, une fois le lac Ladoga redevenu navigable.
16 07 1942
Rafle du Vel d’hiv (Vélodrome d’hiver, aujourd’hui détruit, alors proche de l’actuel Pont de Grenelle) : l’opération, demandée par les Allemands qui l’ont baptisée Vent printanier, sera exécutée uniquement par les 4 500 policiers et gendarmes mobilisés par Vichy, qui arrêtent au petit matin 13 152 juifs, 3 331 hommes, 5 706 femmes et 4 115 enfants à partir de deux ans. 27 388 fiches de juifs qui n’ont pas la nationalité française et habitent Paris ou la banlieue avaient été extraites du fichier établi par la police française, au début de l’Occupation, mais des Juifs de nationalité française furent aussi raflés. 4 992 d’entre eux seront d’abord envoyés dans les camps de Pithiviers et Beaune la Rolande, dans le Loiret. Les 8 160 autres seront parqués pendant 5 jours avant d’être envoyés à Drancy puis Auschwitz, où ils arriveront le 21 juillet, aussitôt assassinés. Moins d’une centaine d’entre eux survivront. La solidarité parviendra à arracher quelques enfants aux griffes des forces de l’ordre françaises : ainsi Henriette Chautard, qui dirige un centre éducatif du Secours Français, au château des Basses Fontaines, sur la commune de Crouy sur Cosson, dans le Loir et Cher recevra une dizaine de fillettes juives, qui échapperont même à une perquisition de l’armée allemande en 1944.
Il y a aussi Lilli, la meilleure amie d’Arlette. Là un miracle se produit. À la mère de cette dernière, Pauline, un policier lance : Prenez votre fille et allez chercher du lait à la crémerie. Aucun magasin n’est encore ouvert et Pauline ne comprend pas. Le policier répète :Allez chercher de la crème avec votre fille ! Cet homme est en train de les sauver
[…] Il y a là des milliers de personnes. Des bébés, des femmes enceintes, des vieillards, des familles comme nous. Rien n’a été prévu. Pas d’eau, pas de nourriture, pas de toilettes. Toute cette foule est là entassée, déversée les uns sur les autres. On s’installe sur les gradins en béton, plutôt en bas. Personne ne comprend ce qui se passe, ni surtout ce qui nous attend.
[…] À un moment, je dis à ma mère : j’ai envie d’aller faire pipi. Elle me dit : Va avec Lazare, trouvez des toilettes. Accompagnée du fils de nos amis qui me prend par la main, nous montons des escaliers et aujourd’hui encore je m’en souviens parfaitement. Je sens cette odeur terrible, épouvantable, qui nous saisit de plus en plus tandis que mous montons les marches. Je demande à Lazare : Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Il ne sait quoi me répondre. Parvenus en haut de l’escalier, nous découvrons une scène d’horreur. L’urine ruisselle le long des marches. Il y a des excréments partout. Pas d’eau. Et je vois du sang, beaucoup de sang qui coule aussi le long des marches. C’est le sang des règles des femmes et des jeunes filles. Je me mets à hurler : Il y a du sang partout, ils sont en train de nous tuer. Ils vont tuer tout le monde.
Arlette Testyler, 9 ans quand elle a été raflée. Témoignage recueilli par La Tribune Dimanche du 12 mai 2004.
Pendant la guerre, j’étais à Nice en 1943. J’appréciais les Italiens car, dans cette période, ils n’ont livré aucun Juif, ni à la police de Vichy ni aux Allemands. Après le sacrifice de mon père, raflé par les nazis, je me suis retrouvé à Paris. Et c’est là, en 1946, que j’ai vu passer une fusée verte à la Porte de Saint Cloud, c’était Fausto Coppi qui triomphait dans le Grand Prix des Nations. Il est devenu mon héros. Plus tard, je suis allée l’attendre devant son hôtel, rue de la Tour. Il m’a pris sous son aile et m’a proposé de passer une soirée avec lui au vélodrome où il courait. J’étais gêné car je n’avais pas d’argent. Il m’a dit : Tu es mon invité. C’est comme ça qu’il m’a emmené au Vel d’Hiv. J’ignorais à l’époque ce qui s’était passé là en juillet 1942, la rafle de 13 152 Juifs, des hommes, des femmes, des enfants parmi lesquels j’aurais été si j’avais alors vécu à Paris. Il m’a fait entrer là. J’étais près de lui, près de Coppi. Le Vel d’Hiv pour moi, c’était lui. Je n’ai su que plus tard ce qui s’était passé dans ce lieu. Coppi, comme Vittorio de Sica au cinéma – avec notamment son film Le voleur de bicyclette -, était de ceux qui avaient réhabilité l’Italie après la guerre.
Serge Klarsfeld
On prétend qu’il n’y a personne là-haut. Regardez les cieux, vous y verrez plein de petites étoiles jaunes.
Pierre Dac
Jacques Chirac, président de la République, prononcera un discours qui fera date le 16 juillet 1995, reproduit intégralement dans la rubrique Discours, rédigé par Christine Albanel, à l’époque une des plumes de Chirac :
… Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été chacun le sait, secondée par des Français, par l’État français. […] La France, ce jour-là accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux…
18 07 1942
Premier vol du chasseur à réaction Messerschmitt Me 262 : 870 km/h, 4 canons de 30 mm et, à certains endroits, un blindage de 89 mm.
20 07 1942
Début de la déportation des Juifs du ghetto de Varsovie vers Treblinka où ils sont gazés sitôt arrivés. Le responsable juif du ghetto, à la tête de l’organisme voulu par les Allemands se suicide.
828 Juifs sont déportés depuis la gare Saint Laud d’Angers vers Auschwitz-Birkenau. Aucun n’en reviendra.
22 07 1942
Profondément émus par ce qu’on nous rapporte des arrestations massives d’israélites opérées la semaine dernière et des durs traitements qui leur ont été infligés, notamment au Vélodrome d’Hiver, nous ne pouvons étouffer le cri de notre conscience.
Cardinal Suhard, représentant l’assemblée des cardinaux et archevêques, message au Maréchal Pétain
26 07 1942
Daniel Cordier, jeune officier de la France Libre, venu de l’Action Française, est parachuté au-dessus de Montluçon pour être le secrétaire et le radio de Georges Bidault, qui dirige une agence de presse clandestine, le Bureau d’information et de presse. Le rendez-vous avec Schmidt est fixé sous la queue [du cheval de la statue de Louis XIV, place Bellecour] : Il fut présenté à Rex [Jean Moulin] qui, après l’avoir jaugé, le kidnappa pour son usage personnel. Je laisse parler Cordier : C’est le 18 ou le 20 juillet [en fait le 30] que je fus présenté à Jean Moulin, à Lyon sur la colline de Fourvière, dans un appartement sombre et spacieux. J’étais accompagné de Schmidt (Kim), du Service des opérations aériennes. Nous eûmes quelques minutes d’entretien, au cours duquel Rex me posa des questions sur moi-même. J’étais très intimidé en présence du grand chef. Son regard était très attentif, à la fois scrutateur et compréhensif. Il vous pénétrait et vous comprenait. Comme je m’efforçais de répondre à ses questions, il coupa court : Êtes-vous libre, ce soir, à dîner?
Je fus sidéré car, jusque-là, j’avais mené la vie militaire où une invitation de ce genre n’est guère de mise entre supérieur et sous-ordre.
Nous avons donc dîné ensemble et sommes restés jusqu’au couvre-feu. Rex m’a parlé de mon passé, de mes études. À la fin de la soirée, il m’a dit : J’ai décidé de vous garder comme mon secrétaire. Comme je m’inquiétais pour Bidault, il m’a dit : J’en fais mon affaire. Je vais écrire à Londres pour qu’on vous affecte à mon service.
Très vite le jeune homme fut séduit par la personnalité de son chef. Pourtant à ma première rencontre à Paris avec Cordier, peu de temps après la Libération, il m’avait dit : Votre frère était si simple, il se mettait tellement à la portée de ses jeunes collaborateurs que ce n’est que peu à peu que l’on découvrait la richesse et la profondeur de sa nature. Sa puissance de travail était inouïe. Nous tombions de sommeil alors que lui ne paraissait éprouver aucune fatigue en nous dictant son courrier des nuits entières ou en arpentant avec nous les bords de la Saône ou du Rhône.
Lorsque j’ai revu Cordier, en mars 1966, à Montpellier, il me dit encore : Chez Jean Moulin, on sentait la puissance de la pensée et la rigueur du jugement. Il y avait en lui deux côtés qui sont généralement incompatibles : le sens de l’humour et le sens de l’humain. Il donnait autant d’attention aux gens très modestes qu’aux gens importants.
Laure Moulin. Jean Moulin. Presses de la Cité. 1982
28 07 1942
L’État crée des services médicaux et sociaux du travail dans les entreprises de plus de 50 salariés. Leur principale occupation sera de signer les certificats d’aptitude au STO : Service du Travail Obligatoire, qui sera crée 6 mois plus tard.
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Des unités spéciales sont formées pour barrer toute retraite et fusiller sans pitié ceux qui reculeraient. On estime à près de 14 000 le nombre de soldats fusillées pour panique, lâcheté ou abandon du champ de bataille au cours des trois premiers mois d’application de cette directive.
Nicolas Werth. L’Histoire N° 384. Février 2013
30 07 1942
Ordre N° 00227 de Staline, lu dans toutes les unités : Plus un pas en arrière. Les hommes qui paniquent et les couards seront exterminés sans pitié. Il va avoir la visite de Churchill et d’Averell Harriman, l’ambassadeur américain en Angleterre qui l’assurent qu’ils sont de tout cœur avec son pays, mais que dans l’immédiat, ils ne peuvent rien faire de plus pour la Russie. Staline nomme deux responsables : le général Yeremenko, 50 ans, et Nikita Khrouchtchev pour le politique, celui-ci donnant 4 jours à celui-là pour faire de Stalingrad une forteresse.
07 1942
Claude et Georges Pompidou adoptent un bébé né le 5 avril : Alain, qui deviendra médecin universitaire. Georges Pompidou est alors professeur de lettres à l’hypokhâgne du lycée Henri IV.
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[1] laquelle Tch’ong-k’ing, réécrite Chongking, quelques 60 ans plus tard, au bord amont du lac du barrage des Trois Gorges, à la confluence du Yangzi et du Jialing, va devenir le cœur économique de la Chine intérieure, avec l’objectif de fixer des dizaines de millions de ruraux pour stopper le déséquilibre démographique entre la côte et l’intérieur. Bénéficiant, à l’instar de Pékin, Shangaï, Tianjin, du statut de municipalité autonome, son territoire grand comme le Benelux, compte en 2009 32 millions d’habitants. On y enregistrait en 2007 un taux de croissance de 15.3 %, un demi-million de population supplémentaire chaque année… Devenue rapidement le paradis de la mafia en même temps que la plus grande agglomération du monde.