21 février 1947 à fin 1947 L’affaire Kravchenko. Plan Marshall. Indépendance de l’Inde et partition – le Pakistan -. 17313
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Publié par (l.peltier) le 2 septembre 2008 En savoir plus

21 02 1947                 

L’Angleterre, qui a encore 40 000 hommes en Grèce, décide de les rapatrier pour le 1° avril.

28 02 1947                 

La loi dit que la propriété d’un journal doit rester dans les mains de ceux qui en assurent la parution.

Une vendeuse à la sauvette est interpellée par la police sur l’île de Taïwan, sous contrôle de Pékin depuis 1945, après cinq ans de colonisation japonaise. Une rixe éclate, un homme est tué. Cet accident dégénère en véritable soulèvement, écrasé dans les semaines suivantes par des renforts militaires venus du continent. Des milliers de personnes périront, dans un prélude sanglant aux 38 ans de loi martiale et de terreur blanche de 1949 à 1987.

11 03 1947                 

Harry Truman expose devant le congrès la politique du containment, qui vise à l’arrêt de l’expansion du communisme. C’en est fini de la politique isolationniste de Monroe :

Chaque nation se trouve désormais placée devant le choix entre deux modes de vie opposés : celui qui repose sur la volonté de la majorité, et est caractérisé par des institutions libres […] et celui qui repose sur la volonté d’une minorité imposée par la force à la majorité […] appuyée sur la terreur et sur l’oppression. Dans ces conditions, le devoir des États-Unis est de soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d’asservissement par des minorités armées ou à des pressions venues de l’extérieur.

Dans la foulée, il demande le vote d’un crédit d’assistance de 250 millions $ à la Grèce et de 150 millions $ à la Turquie et envoie sa flotte méditerranéenne vers les ports de Grèce. Staline laissera tomber les andartes de Grèce dès le début 1948.

Nous avions livré une guerre longue et coûteuse pour écraser le totalitarisme d’Hitler, l’insolence de Mussolini et l’arrogance des seigneurs de la guerre japonais. Pourtant la nouvelle menace qui se dressait devant nous paraissait tout aussi grave que l’avait été celle de l’Allemagne nazie et de ses amis… Après la seconde guerre mondiale, il était clair que sans la participation des États-Unis il n’existait aucune puissance capable d’affronter la Russie… L’inaction, une politique de repli, des concepts genre forteresse américaine ne pourraient avoir qu’un seul résultat : faire cadeau à la Russie de vastes régions du globe qui se refusaient encore à elle. Le moment était venu de ranger délibérément les États-Unis d’Amérique dans le camp et à la tête du monde libre.

Harry Truman. Mémoires

29 03 1947                   

À Madagascar, une révolte commence à Moramanga, initiée par une société secrète, Gina, qui regroupe la plupart des nationalistes durs dont ceux du MDRM, mouvement ayant pignon sur rue ; l’administration coloniale était devenue répressive depuis plusieurs mois. Les garnisons françaises sont attaquées, 150 colons tués, le tout en trois points du territoire ; l’armée française est alors très peu présente : on peut faire 800 km sur la côte est sans rencontrer un seul soldat français.

La répression sera très dure : 10 000 morts, jusqu’au 12 Avril : 2 000 Malgaches tués par les insurgés, 1 000 à 2 000 victimes de crimes de guerre et 5 000 à 6 000 tués par l’armée française, composée pour bon nombre de tirailleurs sénégalais. Il faut ajouter 20 000 à 30 000 morts de misère physiologique, dénutrition, en fuyant les zones de combat. La France y expérimentera quelques armes nouvelles, qu’elle reprendra plus tard, sur d’autres théâtres de guerre : torture, action psychologique, prisonniers jetés d’avion. Les derniers insurgés résisteront jusqu’à fin 1948.

Il se créera vite une légende noire sur cette répression, avançant des chiffres de 100 000 morts, légende crée de toutes pièces par les colons et l’armée : une armée a tendance à toujours surestimer le nombre des ennemis qu’elle a tués, et les colons renchérissaient en disant : vous voyez ce que cela donne quand des nègres se font la guerre !

Les tribunaux prononceront 173 condamnations à mort, dont 24 seront exécutées.

               03 1947                       

Par les accords de Linggardjati, la Hollande reconnaît la République indonésienne. Mais elle ne pourra s’empêcher d’intervenir à nouveau, et l’indépendance ne deviendra effective qu’en 1950.

L’amiral Thierry d’Argenlieu est relevé de ses fonctions ; mais il est trop tard : l’heure de la paix est passée ; le Viet Nam est en flammes : l’incendie va durer 30 ans.

2 04 1947                 

La loi Bichet impose au distributeurs de presse de proposer la totalité du spectre politique couvert par la presse quotidienne, hebdomadaire et mensuelle : le distributeur ne peut donc exprimer en aucune façon dans son achalandage ses préférences politiques, ni donc exercer aucune censure.

    9 04 1947                    

Dans un discours prononcé à Tanger, le sultan du Maroc Mohammed ben Youssef se déclare partisan de l’indépendance.

14 04 1947              

Charles de Gaulle fonde le RPF : Rassemblement du Peuple Français : il recueillera 40 % des voix aux municipales d’octobre.

  16 04 1947                

Un incendie s’est déclaré dans les cales du Grandcamp, un ancien liberty ship donné à la France, à quai à Texas City pour y charger du nitrate d’ammonium – il en a déjà 2 300 T à bord : cela commence par un incendie qui se propage aux entrepôts du port et de la zone industrielle, puis c’est une explosion. L’incendie sévira pendant six jours. On comptera 581 morts et plus de 3 000 blessés.

         1 05 1947                     

Salvatore Giuliano, bandit sicilien qui s’était créé une image de Robin des Bois,- je redonne aux pauvres ce que j’ai pris aux riches -, détruit à jamais cette image en tirant, lui et sa bande sur 2 000  ouvriers  rassemblés à Portella della Ginestra, au sud-ouest de Palerme, près de Piana, pour la fête du travail : 11 morts dont deux enfants, 24 blessés. Anticommuniste farouche, il aurait bien vu la Sicile devenir le énième État américain, mais son rêve avait pris fin un an plus tôt avec la proclamation de la République italienne.

Jean de Kerdeland a entendu parler de I choose freedom, le livre de Kravchenko, qui rencontre un énorme succès aux États-Unis. En novembre 1946, il y va pour le rencontrer ; après avoir traduit lui-même son livre, il parvient à le faire publier. Et c’est le déchaînement de l’intelligentsia communiste française, d’autant que le livre rencontre un succès considérable : 503 000 exemplaires de 1947 à 1955.

J’avoue que je n’aime pas la race des apostats et des renégats, écrit André Pierre dans Le Monde. Mais ce sont surtout Les Lettres Françaises dirigées par Aragon, et l’Humanité qui vont tirer les plus grosses salves : agent de la CIA, espion, traître etc… Depuis les États-Unis, Kravchenko commence par ne pas comprendre, mais il ne peut admettre et vient à Paris où il attaque Les Lettres Françaises et l’Humanité.

4 05 1947

Paul Ramadier, président du Conseil, retire aux ministres communistes leur délégation de pouvoir. Par ricochet, cela va entraîner la scission de la CGT, dont un certain nombre d’adhérents va former FO – Force Ouvrière.

           13 05 1947                

L’ONU désigne une commission d’enquête spéciale – UNSCOP – pour la Palestine où elle arrivera un mois plus tard. L’Agence juive, tactique, souple, défend sa cause. Le Haut Comité arabe – constitué en 1936, il rassemble les grandes familles palestiniennes, souvent divisées – drapé dans son intransigeance hautaine, la boycotte.

                  14 05 1947                       

Andreï Gromyko, vice-ministre des Affaires étrangères de Staline, devant l’Assemblée générale de l’ONU, apporte un soutien sans faille à la création d’un État d’Israël : Le peuple juif a enduré pendant la dernière guerre  des malheurs et des souffrances extraordinaires. Ces malheurs et ces souffrances peuvent, sans exagération, être qualifiées d’indescriptibles. Il est difficile de les exprimer dans des colonnes de chiffres abstraits indiquant le nombre de pertes en vies humaines infligées au peuple juif par les occupants fascistes. Dans les territoires occupés sur lesquels s’est étendue la domination hitlérienne, les Juifs ont été presque complètement exterminés. Le nombre total de Juifs tués par les bourreaux fascistes est d’environ 6 millions […]. Qu’aucun des pays d’Europe occidentale n’ai été en mesure d’assurer la défense des droits élémentaires du peuple juif ou de le protéger contre les violences déclenchées par les bourreaux fascistes, cela exprime l’aspiration des Juifs à la création d’un État à eux. Il serait injuste de ne pas tenir compte de ce fait et de refuser au peuple juif le droit de réaliser de semblables aspirations. On ne saurait justifier le refus de ce droit au peuple juif si l’on tient compte de tout ce qu’il a souffert au cours de la Seconde Guerre mondiale.

27 05 1947                 

La ration de pain, qui était au 1° mai de 250 gr/j est ramenée à 200 gr/j : les stocks disponibles ne sont pas suffisants. 

Dans un moment d’égarement, Staline abolit la peine de mort, moment qui durera tout de même 3 ans : elle sera rétablie le 12 janvier 1950.

4 06 1947                  

Le Mahatma Gandhi déclare devant ses fidèles : Le gouvernement britannique n’est pas responsable de la partition ; le vice-roi n’y est pour rien. […] Si nous tous – hindous et musulmans – sommes incapables de nous entendre sur une autre solution, alors le vice-roi n’a plus le choix.

Staline promulgue la loi scélérate sur le vol : sont sanctionnés d’une peine de cinq à dix ans de camp les chapardages et les vols les plus insignifiants commis même pour la première fois par des kolkhoziens affamés, des adolescents ou des veuves de guerre sans ressources : au cours du seul second semestre 1947, près d’un demi million de personnes furent condamnées au nom de cette loi.

             5 06 1947                            

George Marshall, ancien chef d’état major devenu Secrétaire d’État, annonce à  Harvard la mise en place de l’European Recovery Program : Je souhaite que les États-Unis fassent tout ce qu’ils peuvent pour aider à rétablir la santé économique du monde et remettent l’Europe sur le chemin de la guérison : c’est le Plan Marshall, qui se traduira par une aide massive à l’Europe de l’Ouest de treize milliards $, renforçant ainsi les liens économiques, diplomatiques, et militaires entre les deux rives de l’Atlantique ; les Russes n’en voudront pas, et ce plan fera passer aux oubliettes le pacte franco soviétique signé par de Gaulle en décembre 1944. Les Américains éviteront aussi d’en faire bénéficier l’Espagne de Franco. En France, Jean Monnet, à la tête du Plan Quinquennal, a la confiance du gouvernement comme celle des Américains : il va orienter les crédits en fonction des besoins réels du pays. Au départ, l’idée du président Truman était de fournir une aide à la Grèce et à la Turquie, particulièrement exposées à la mainmise soviétique. Puis, quand il se rendit compte que le danger communiste dépassait largement ces seul pays, il fût décidé d’en étendre le bénéfice à toute l’Europe démocratique.

         16 06 1947                   

Naissance de Lucky Luke dans Spirou :  I’m a poor lonesome cow-boy

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4 07 1947                     

En Espagne, Franco fait passer une loi qui rétablit la monarchie après son départ.

Aucune force au monde n’empêchera les nations d’Occident, à demi-détruites, affamées et ruinées, d’entendre l’appel que les États-Unis leur jettent – sont obligés de leur jeter – afin de ne pas mourir eux-mêmes  étouffés sous l’accumulation de leurs propres richesses.

François Mauriac, le 4 juillet 1947

12 07 1947                  

Mise en route au Quai d’Orsay, du Plan Marshall. Les lobbys américains du tabac se sont engouffrés dans la brèche : Il n’y avait aucune demande des Européens spécifique au tabac. Cela a été proposé et mis en avant par un sénateur de Virginie. Au total, pour deux dollars de nourriture, un dollar de tabac a été acheminé en Europe.

Robert Proctor. Golden Holocaust

Quelle était la nouveauté du tabac américain, le tabac blond – flue cured : facilement inhalable : le  flue-curing, technique de séchage des feuilles de tabac qui s’était répandue largement aux États-Unis à la fin du XIX° siècle, permet de rendre la fumée moins irritante, et donc plus profondément inhalable. Or, jusque dans la première moitié du XX° siècle, on fume encore, dans une bonne part de l’Europe continentale, du tabac brun, très âcre, beaucoup moins dangereux et addictif. Car plus la fumée peut pénétrer profondément dans les poumons, plus l’afflux de nicotine dans l’organisme est rapide, plus l’addiction qui se développe est forte. Et plus les dégâts occasionnés sur les tissus pulmonaires sont importants.

Stéphane Foucart. Le Monde du 25 février 2012

Les normes de sécurité sanitaire sont plus strictes pour la nourriture pour chiens que pour les cigarettes.

Un spécialiste du tabac qui veut garder son anonymat

Peu d’initiatives américaines auront eu autant de succès, à l’époque contemporaine, que le Programme de relèvement de l’Europe (European Recovery Program, ou ERP), proposé le 5 juin 1947, au cours de la cérémonie du Commencement – la remise des diplômes. – à l’université Harvard, par le secrétaire d’État George Marshall, dont il devait immortaliser le nom. Le plan Marshall disposait, à vrai dire, de trois atouts considérables. Tout d’abord, il était lancé par le pays le plus puissant de l’histoire, détenteur non seulement du monopole de l’arme nucléaire, mais d’un stock d’or et de devises et d’une capacité industrielle et agricole que la seconde guerre mondiale avait portés à des niveaux sans précédent. Il était, d’autre part, destiné à aider des gouvernements et des pays européens qui vivaient dans l’angoisse du lendemain et où la crise économique avait atteint des proportions comparables à celles de la dépression de 1929 : pour ne parler que de la France, les prix avaient monté, au cours de la seule année 1946, de 80 %. La menace d’une nouvelle guerre paraissait peser sur le Vieux Continent avant même qu’il eût fini de redresser les ruines de la précédente.

Et surtout l’offre américaine avait pour elle la force incomparable des idées simples. Depuis la capitulation du Reich, les États-Unis avaient déjà mis beaucoup d’argent à la disposition des pays européens, notamment de la France et de la Grande-Bretagne ; 15 milliards $ en deux ans. Ils fournissaient au peuple allemand les moyens de survivre aux énormes prélèvements opérés par les Soviétiques au nom des réparations. Mais ces sommes semblaient s’engloutir dans un gouffre sans fond. Désormais, on allait rationaliser cette assistance, lui donner un but à long terme : la reconstitution d’une substance économique et financière mettant à même les Européens de reprendre leur place dans le système mondial d’échanges. À eux donc de chiffrer, pays par pays, leurs besoins, les États-Unis répartissant les crédits disponibles en fonction des pourcentages sur lesquels leurs partenaires se seraient entendus. On éviterait ainsi toutes les rancœurs et les surenchères que n’auraient pas manqué d’engendrer des négociations bilatérales en série.

On a souvent célébré, à cette occasion, la générosité des Américains. Et il est vrai qu’il faut toujours de la générosité à une collectivité pour investir dans de grands projets à long terme au lieu de tirer le meilleur profit dans l’immédiat des ressources à sa disposition. Mais la générosité ne pouvait mieux coïncider, en l’occurrence, avec l’intérêt bien compris.

Car il était grand temps, pour les États-Unis, s’ils voulaient éviter non seulement l’effondrement des régimes démocratiques d’Europe occidentale mais la poursuite d’une charité pratiquement à fonds perdus, de procéder à une vaste redistribution des billes, de donner à leurs partenaires les moyens d’acquérir le minimum de puissance économique sans lequel ceux-ci n’avaient aucune chance d’échapper à leur condition d’assistés.

La guerre froide battait son plein : la doctrine Truman, au nom de laquelle les États-Unis s’engagèrent aux côtés de la Turquie soumise aux pressions soviétiques et de la monarchie grecque aux prises avec la guérilla des communistes andartes, remonte au 11 mars de la même année. Six semaines plus tard, la conférence des ministres des affaires étrangères des quatre pays vainqueurs du Reich se séparait à Moscou, après d’épuisantes discussions, sans avoir pu réaliser le moindre accord sur le problème allemand.

Faute d’avoir obtenu le soutien de Staline à ses revendications sur la Sarre, Georges Bidault, alors ministre des affaires étrangères, rejoignait le camp occidental en formation. En France, en Italie, dans tous les pays d’Europe de l’Ouest où les communistes participaient au gouvernement, ils allaient s’en retirer dans les jours suivants. Conclusion de Truman lui-même, consignée dans ses Mémoires : Il n’y avait pas une minute à perdre pour trouver le moyen de relever l’Europe.

Il y fallait une idée neuve : ce plan de sauvetage collectif, qui imposait aux Européens de s’entendre entre eux et dont l’ampleur frappait les imaginations, ouvrait enfin un espoir. Mais il y fallait aussi un homme neuf : Marshall, ni un diplomate traditionnel ou un politicien mais un personnage de grand prestige, un de ces grands diables d’Américains austères et désintéressés, au regard direct et impavide, qui ne déparerait pas la galerie des Pères fondateurs. Chef d’état-major des armées pendant la guerre, il lui revenait de diriger les opérations en Europe. Mais Roosevelt, qui lui avait dit un jour qu’il ne pouvait pas dormir tranquille quand il ne le savait pas sur le sol américain, lui demanda, à la dernière minute, de renoncer à la gloire qui l’attendait. Marshall n’esquissa pas un geste pour la retenir.

Il venait de prendre sa retraite quand Truman lui confia, en 1945-1946, une mission de conciliation entre Mao et Tchiang Kaï-chek qui aurait sans doute pu réussir si le Kouomintang, croyant qu’on pouvait venir à bout des communistes par une bataille rangée, n’avait délibérément saboté ses efforts. Le président jugea que le général avait suffisamment bien rempli sa mission pour pouvoir lui confier la direction du département d’État, laissée vacante par le départ de James Byrnes. Marshall, reprenant en l’élargissant une idée de son prédécesseur, proposa à Molotov de conclure un traité démilitarisant et neutralisant l’Allemagne pour quarante ans. Le Soviétique refusa tout net : ce qu’il voulait c’était avant tout une augmentation des réparations à payer par l’ancien Reich. Nous rejetons, rétorqua Marshall, une politique qui continuerait à faire de l’Allemagne un taudis surpeuplé ou un asile de pauvres au centre de l’Europe.

La rupture était au bout, et aussi le partage de l’Allemagne et de l’Europe, que les Quatre jusqu’alors, contrairement à tout ce que l’on a pu dire et écrire des accords de Yalta, avaient tout fait pour éviter, il était désormais évident, devait noter le général Bedell Smith, ambassadeur des États-Unis à Moscou, qu’aucun effort au monde ne nous permettrait de trouver une base d’accord avec les Russes sur la question allemande. L’Allemagne devait soit être divisée, soit tombé sous la domination économique des Russes. Aussi bien les deux zones d’occupation américaine et britannique vont-elles bientôt fusionner en une bizone à laquelle s’ajoutera par la suite la zone française et l’ensemble ainsi constitué, amorce de la future République fédérale, sera-t-il admis à bénéficier du plan Marshall.

Celui-ci fut pourtant présenté comme ouvert à toute l’Europe, U.R.S.S. comprise. Le Kremlin commença par faire la fine bouche. Mais, le 22 juin, à la surprise générale, Molotov accepta de venir discuter avec Bevin, alors secrétaire au Foreign Office, et avec Georges Bidault l’ordre du jour de la conférence internationale chargée d’examiner la proposition américaine. Du coup, Maurice Thorez nia, contre l’évidence, avoir parlé, quelques jours plus tôt, d’un piège occidental.

L’espoir cependant fut de courte durée. Alors que Bidault et Bevin préconisaient l’établissement d’un document aussi précis et complet que possible… sur la base duquel les autorités américaines pourraient prendre leur décision, le ministre soviétique voulait limiter la tâche de la conférence à dresser la liste des besoins des pays intéressés, la priorité étant donnée à ceux qui avaient souffert de l’occupation nazie et contribué à la victoire commune. Pour le reste, elle devrait se contenter d’établir si les États-Unis étaient à même d’accorder cette aide et de faciliter son obtention, les problèmes économiques intérieurs restant de la seule compétence des États souverains. De toute évidence, l’envoyé de Staline ne voulait pas d’une entreprise collective susceptible de remettre en cause l’influence exclusive de l’U.R.S.S. sur l’Europe de l’Est et d’accroître la capacité de résistance de celle de l’Ouest.

Bidault multiplia les tentatives de compromis. Mais Bevin ne le soutint que du bout des lèvres : il redoutait, à juste titre, que si les Soviétiques acceptaient le plan Marshall, le Congrès américain, dominé comme il l’était par l’esprit de guerre froide, n’en limite considérablement la portée. Le ministre français voulait croire cependant que certaines démocraties populaires, qui avaient d’énormes besoins dans tous les domaines, adopteraient une attitude positive.

Effectivement, le 4 juillet 1947, le cabinet tchécoslovaque réuni sous la présidence de son chef, le communiste Klement Gottwald, acceptait à l’unanimité la proposition américaine. Les dirigeants polonais donnaient à entendre qu’ils en feraient autant lorsque, sans attendre la fin de leurs délibérations, Radio-Moscou annonça qu’ils avaient refusé. Les dirigeants de Varsovie, ainsi éclairés sur leur devoir, dirent évidemment non. Quant à Gottwald, dûment sermonné par Staline, il fit savoir le 10 juillet qu’il revenait sur sa décision, celle-ci risquant d’être interprétée comme un acte dirigé contre l’U.R.S.S. et ses autres alliés. La Yougoslavie et la Bulgarie avaient déjà signifié leur refus. Il ne restait à la Roumanie, à la Hongrie, à l’Albanie et aussi à la Finlande qu’à en faire autant.

La coupure de l’Europe était ainsi scellée, et il n’y eut que seize pays à se faire représenter à la conférence qui s’ouvrit le 12 juillet 1947 au Quai d’Orsay l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, la Grande-Bretagne, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la Suède, la Suisse [!] et la Turquie. La conférence s’entendit en quelques semaines sur la liste des requêtes à présenter à la Maison Blanche et les participants formulèrent des requêtes dont le montant total se chiffrait à 22 milliards $. Le président Truman demanda au Congrès de retenir la somme de 17 milliards, étalée sur quatre ans et demi. Mais les parlementaires voulaient à tout prix respecter la procédure des appropriations annuelles : au total, c’est à 13 milliards $ que se chiffre le montant des crédits effectivement versés au titre du plan Marshall. Ce fut assez pour faire décoller les économies occidentales, leur rendre un minimum de stabilité et les engager sur la voie de la croissance et de la compétition.

Parallèlement, la conférence décidait la création d’une organisation européenne de coopération économique, l’OECE, qui devait survivre à la fin de l’aide Marshall et s’étendre à d’autres puissances comme l’Allemagne fédérale, l’Espagne ou le Japon, pour devenir l’Organisation pour la coopération et le développement économiques, l’OCDE, dont on sait le rôle joué dans la libéralisation du commerce mondial.

Dans les années de guerre froide, le plan Marshall devient pour les uns le symbole même de la générosité américaine, et l’on vit l’Espagne, qui n’en avait pourtant pas bénéficié, baptiser un de ses films les plus réussis Bienvenido Mr Marshall Pour les autres, il fut le symbole – avec le Coca-Cola – de l’asservissement à la tyrannie du dollar, que le néologisme de marshallisation était censé résumer.

C’est un fait que le plan et le refus de l’U.R.S.S. de l’accepter pour elle ou pour ses protégés ont sonné le glas des efforts tentés pour construire une Europe acceptable à la fois par l’Est et par l’Ouest. Le coup de Prague, le blocus de Berlin, les grands procès des démocraties populaires, la conclusion du pacte atlantique, la guerre de Corée, la querelle du réarmement allemand, allaient désormais jalonner les étapes d’une tension qui ira croissant jusqu’à la mort, le 5 mars 1953, de Joseph Vissarianovitch Staline.

Sans le plan Marshall, le monde occidental n’aurait certainement pas accédé à la prospérité dont il conserve aujourd’hui, malgré la crise économique et morale, tant de signes extérieurs. Et c’est pourquoi l’idée d’un autre plan Marshall vient facilement à l’esprit quand il s’agit d’imaginer une grande entreprise de sauvetage collectif, par exemple à propos du tiers-monde. Mais, outre qu’il a scellé la cassure de l’Europe, le plan Marshall a, par son succès même, contribué à répandre l’idée qu’il n’y a pas de limite à la prospérité et que la croissance de la production et de la consommation, en se poursuivant indéfiniment, suffira à assurer chaque année le bonheur de davantage d’humains. Le monde d’aujourd’hui n’a pas fini de payer le prix de cette illusion.

André Fontaine. Le Monde 4 juin 1977

Quand on a pris connaissance des très âpres négociations qui se sont tenues à Washington quelque quatorze mois plus tôt entre la Suisse et les Américains, on risque de s’étrangler à lire André Fontaine quand il cite la Suisse comme l’un des seize pays ayant répondu favorablement aux propositions du Plan Marshall. Il est donc indispensable de préciser que c’est au titre de co-créancier, aux cotés des Américains que la Suisse avait accepté cette participation au plan Marshall. La Suisse était donc donateur et non bénéficiaire. « Donateur », … sans doute vaut-il mieux mettre le mot entre guillemets, car cette démarche n’est que l’aboutissement des négociations de Washington. Les affaires suisses révélées par Jean Ziegler en 1997, n’étaient, bien sur, pas analysées sous le même angle cinquante ans plus tôt dans la presse suisse, toute pétrie d’une inoxydable bonne conscience : Les Chambres fédérales ont ratifié la convention de coopération économique européenne, c’est-à-dire accepté les conditions mises par le  Conseil fédéral  à la participation de la Suisse au plan Marshall. Il n’est pas facile de définir exactement l’attitude de notre pays vis-à-vis de l’ERP : tentons pourtant de le faire en tenant compte des divers éléments de ce problème. Le plan Marshall et, d’ une manière plus générale, toute la politique économique des États-Unis envers le continent européen , implique des sacrifices pour la Suisse. Sacrifices d’ordre financier d’abord. Depuis 1945, la Confédération ne les a pas ménagés. Bien avant qu’il soit question d’un plan Marshall, la Confédération n ‘a pas manqué de contribuer de son propre chef à la reconstruction européenne. Elle a conclu des accords économiques avec la plupart des pays qui nous entourent. Adoptant une méthode semblable à celle de M. Marshall, elle a facilité le paiement des marchandises qui lui étaient achetées. Par le Don Suisse, et tant d’autres actions humanitaires, elle a largement aidé au relèvement de l’Europe. On estime que le total de ses prestations s’élève à 2,5 milliards de francs suisses, soit à Fr. 532.- par habitant, chiffres qui indiquent l’ampleur de ses sacrifices et qui prouvent, de manière irréfutable, qu’elle ne s’est pas dérobée à son devoir de solidarité. Mais la politique économique américaine impliquera à l’avenir de nouveaux sacrifices pour la Suisse. Cette politique tend en effet – le plan Marshall le prouve , comme le projet d’organisation internationale du commerce discuté à La Havane – à abaisser les barrières douanières, à intensifier les échanges internationaux et, aussi, à rationaliser la production des divers pays, chacun se spécialisant peu à peu dans telles ou telles branches. Nous touchons ici au cœur du problème qui se pose pour nous. La Suisse demeure plus que jamais un îlot de vie chère.

Sa main-d’œuvre se paie à prix d’or. Ses produits aussi, ceux de son sol comme ceux de ses industries. Que deviendrait l’agriculture suisse le jour où nous pourrions recevoir des produits agricoles à bas prix et en abondance ? Que deviendraient tant d’entreprises qui se sont créées récemment, le jour où elles seraient livrées, sans protection suffisante, à la concurrence étrangère ? Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que toutes les grandes organisations centrales se soient opposées – l’unanimité s’est faite entre elles avec une facilité exceptionnelle – aux projets de l’Organisation internationale du commerce.

Il n’est pas étonnant non plus que le ministre Stucki ait reçu du Conseil fédéral la mission de se battre avec énergie – et cette lutte est loin d’être terminée – pour amener la communauté internationale à reconnaître la situation particulière de la Suisse.

Ceci dit, on ne saurait faire abstraction des autres éléments du problème qui se pose pour nous. La Suisse connaît actuellement une prospérité extraordinaire. Ses usines tournent à plein rendement. Ses produits sont recherchés et acquis à n’importe quel prix. Son aide financière est sollicitée.

Mais la Confédération ne saurait demeurer prospère longtemps au cœur d’une Europe affaiblie, inguérissable. La Suisse est, la première, intéressée au relèvement de notre continent, que le plan Marshall peut assurer comme le prouvent déjà les résultats qu’il a obtenus. Moralement, politiquement, elle ne saurait demeurer passive envers ses voisins. Elle représente une puissance économique largement supérieure à ses forces apparentes et elle se trouve évidemment dans l’obligation de persévérer dans la voie de la solidarité où elle s’est engagée elle-même en 1945. La Suisse, qui n’a ni colonies, ni matières premières, commettrait une erreur fatale si, aujourd’hui, elle s’isolait économiquement.

En résumé, on peut dire que, dans un avenir immédiat, la Suisse ne paraît pas avoir un grand intérêt à participer au plan Marshall, elle qui n’a besoin d’aucune aide. En revanche, et pour l’avenir, elle a sans doute un intérêt majeur à pratiquer, dans tous les domaines, la politique de présence définie et affirmée si souvent par M. Max Petitpierre. Ses actes doivent correspondre à ses paroles ; c’est la raison pour laquelle on doit se féliciter que les Chambres aient approuvé la ratification qui leur était proposée.

 H. L. D. Le Rhône Journal Valaisan 22 octobre 1948

14 07 1947                  

Antonio Pallante, étudiant sicilien, tire quatre coup de revolver sur le leader du Parti Communiste Italien, Palmiro Togliatti, qui est gravement blessé. Aussitôt est proclamée la grève générale, des usines sont occupées à Turin, des batailles rangées contre les forces de l’ordre ont lieu à Milan, Bologne, Gênes où il y aura quelques morts autour des barricades ; constitutions de milices ouvrières armées. L’Italie est au bord de la guerre civile, dont Moscou ne veut pas.

18 07 1947                

La communauté juive cherche à renforcer le phénomène d’immigration sur la terre d’Israël, fortement contingentée par les Anglais. En secret, la Haganah met sur pied la première immigration massive : ayant transformé un bac de plaisance fluviale en cargo, ce dernier, baptisé Président Warfield, quitta officiellement Port de Bouc pour Istanbul, mais en fait passa par Sète. Les routiers Marseillais étaient en grève : moyennant 1 million de francs, la CGT ferma les yeux sur la circulation des camions de réfugiés, venus d’Europe de l’Est et d’Allemagne et rassemblés dans des camps répartis entre Bandol et Salon ; ce sont plus de 1 000 réfugiés qui embarquèrent à Sète, le 11 juillet, dont 650 orphelins venus de Viols le Fort, à coté de Montpellier, où De Lattre avait passé quelques temps avec son armée de libération, en 1944. Un caméraman, présent sur le port de Sète pour le passage du Tour de France, filma quelques scènes… ce que n’avait pas prévu la Haganah. Rebaptisé Exodus, le cargo se présenta devant les côtes de Palestine avec à son bord 4 530 émigrants, fût arraisonné par les Anglais qui refusèrent leur débarquement ; le navire revint à Marseille, où, cette fois-ci, ce sont les émigrés qui refusèrent de débarquer… il repartit alors à Hambourg, où l’affaire se régla, après tout de même un nouvel internement en camp sous autorité anglaise : pour tous ceux qui en étaient sortis vivants, deux ans plus tôt, la pilule était plus qu’amère… même si l’ordinaire avait été amélioré.

De Janvier à juillet 1947, les prix de gros ont augmenté de 90 %.

28 07 1947      

L’Ocean Liberty, un ancien Liberty Ship (les navires qui ont mis en œuvre le plan Marshall) vendu par les Américains à une compagnie norvégienne, est à quai à Brest pour y décharger plusieurs marchandises, dont 3 133 tonnes de nitrate d’ammonium, produit presqu’aussi dangereux que la dynamite. Ce jour-là, il fait très chaud : 27° à l’ombre à midi et demi ; une épaisse fumée est signalée sortant de la cale 3, là où est stocké le nitrate d’ammonium ; 3 explosions à 13 h 30’ ; le navire a été évacué une demi-heure plus tôt. Deux remorqueurs l’éloignent du port par la sortie est  pour l’échouer au sud de l’usine à gaz ; à partir de 15 h 30’ et pendant une heure 19 tirs de la cannonnière Goumier ne provoquent pas d’explosion ; Yves Bignon, directeur de la compagnie des Abeilles et François Quéré prennent le relais et à 17 h 24’ l’Ocean Liberty explose : les deux hommes y laissent leur vie. L’onde de choc est perçue jusqu’à Landerneau. L’usine à gaz va prendre feu. 26 morts, plus de 500 blessés dont des dizaines gravement.

07 1947                      

Le gouvernement tchèque annonce l’adhésion de son pays au plan Marshall : Moscou y met son veto : dix mois plus tard, la Tchécoslovaquie devenait une démocratie populaire, alignée sur Moscou. À Prague, on sent la liberté, à Paris, on sent le dollar. Aragon, de retour de Prague

7 08 1947                     

Partis 101 jours plus tôt du Pérou avec 5 compagnons, Thor Heyerdhal arrive avec son Kon-Tiki, un radeau intégralement végétal 7 000 kilomètres plus à l’ouest, sur une île des Tuamotu, un archipel du Pacifique. Plus de 50 ans plus tard, des recherches sur l’ADN local viendront  confirmer partiellement son intuition initiale : le peuplement initial de la Polynésie du Pacifique serait d’origine sud-américaine.

Le 7 août 1947, le Kon-Tiki arrivait en Polynésie

7 août 1947 - Arrivée triomphale du Kon Tiki en Polynésie - Herodote.net

15 08 1947                 

Indépendance de l’Inde et partition entre Inde et Pakistan, le Pakistan étant lui-même partagé entre Pakistan occidental, le plus important, et Pakistan oriental, qui deviendra le Bangladesh en 1971. [La minorité Rohinga de la Birmanie voisine demandera alors à être rattachée au Pakistan oriental, ce qu’elle n’obtiendra pas]. L’affaire n’est pas simple : si le partage principal se fait entre musulmans et hindouistes, la structure politique du pays complique les choses : il y a d’une part des provinces, lesquelles votent leur rattachement soit au Pakistan soit à l’Inde et d’autre part des États princiers, lesquels sont en droit de ne souhaiter ni l’un ni l’autre et donc de rester indépendants, choix que vont faire trois d’entre eux : le Junadagh, Hyderabad et le Cachemire : on parviendra à contraindre les deux premiers à faire le choix entre l’Inde et le Pakistan, mais le Cachemire, avec une population aux trois quart musulmane et un maharajah hindou, restera en première ligne des frictions permanentes entre les deux pays.  On s’apercevra rapidement que cette possibilité de devenir indépendant était non seulement une erreur, mais une faute. Il n’y avait pas de place pour un petit pays indépendant entre deux grands pays pour le moins rivaux, voire ennemis.

L’Inde d’alors, c’est 4 300 000 km² de terres arides, 350 millions d’habitants misérables, 349 rajahs et maharajas fabuleusement riches, 11 provinces, 565 principautés, 23 langues, 847 dialectes, 320 religions, 5 600 castes et 303 000 divinités. L’Inde anglaise est un sous-continent ravagé par les famines, les épidémies, la sécheresse et les inondations, écrasé sous le poids de ses traditions, travaillé par un fort mouvement nationaliste et miné par la haine séculaire entre hindouistes et musulmans.

François Kersaudy. Lord Mountbatten. Biographie Payot 2006

Les émeutes, massacres de chaque bord et leur répression feront près de 200 000 morts, 10 à 15 millions de personnes déplacées de part et d’autre de la frontière ; l’Inde restant à majorité hindoue, le Pakistan à majorité musulmane. C’est l’échec du rêve de Gandhi : l’union entre hindous et musulmans. Le Penjab était coupé en deux, provoquant une émigration de 2.5 millions de Sikhs vers le Penjab indien. Lord Mountbatten, vice roi des Indes passé au statut de gouverneur d’un Dominion aux pouvoirs très réduits de pure représentation, avait donné un brutal coup d’accélérateur au processus lors de son discours d’annonce, le 4 juin, en donnant comme date le 15 août alors qu’avait été retenu au plus tôt le 1° octobre, la date ultime étant le 30 juin 1948. La dégradation de l’efficacité au sein du gouvernement sous son autorité était telle qu’il y avait urgence à y mettre fin. Le futur chef de l’État indien, Chakravarti Rajagopalachari dira : Si le vice-roi n’avait pas transféré le pouvoir au moment où il l’a fait, il n’y aurait probablement pas eu de pouvoir à transférer.

Le nom de Pakistan signifie Le Pays des purs, mais en même temps est formé des premières ou dernières lettres des ethnies qui le composent : Penjab, Kashmir, Sind, Balûchistân.

La longue citation qui suit d’Alain Daniélou – L’Histoire de l’Inde – apporte un éclairage pour le moins inhabituel sur cette période capitale de l’Inde. Très bon connaisseur des religions fondatrices de l’Inde, Alain Daniélou, à force de fuir systématiquement la nuance, n’attire pas forcément la sympathie : sa condamnation sans appel de l’islam est outrancière… son dénigrement systématique de Ganhdi sent la répulsion non contrôlée ; on a aussi du mal à accepter qu’il ne mentionne qu’une seule fois le Taj Mahal, sans lui accorder ne serait-ce que quelques lignes… tout de même !

Mais son analyse du processus d’indépendance de l’Inde est peut-être beaucoup plus proche de la réalité que les récits habituels : il est en effet tout à fait légitime de se demander pourquoi la partition a fini par s’imposer comme impérative quand, pendant des siècles hindous et musulmans avaient fini par trouver un modus vivendi ; la manipulation anglaise consistant à se couper des Musulmans aurait agi comme un gros soufflet de forge sur un feu quasiment éteint : rallumons la haine, nous avons tout à y gagner. Entreprise criminelle –  elle coûta des milliers de vies – elle est bien dans la ligne de gens qui, cent ans plus tôt, avaient osé déclencher une guerre de l’opium, pour l’imposer à la Chine.

Pour comprendre le personnage de Gandhi, il faut se rappeler qu’il est un Bania, un membre de la caste des marchands et que, dans l’Inde, à chaque caste correspondent des conceptions morales, intellectuelles, religieuses particulières qui en font une sorte de secte. En Occident, le groupe le plus proche par sa mentalité des commerçants indiens serait peut être les Quakers anglo-saxons. Les caractéristiques de la caste dont était issu Gandhi sont l’extrême puritanisme, le plus strict végétarianisme, l’absence totale de préoccupations métaphysiques comme de culture philosophique et, par contre, la sentimentalité religieuse la plus grossière s’exprimant dans un art de type saint-sulpicien dont les images coloriées se répandent partout aujourd’hui. La charité fait partie des vertus qui justifient l’âpreté du commerçant au gain mais non point la justice sociale. Un puritanisme glacial masque la malhonnêteté dans tout ce qui concerne les questions d’argent et les affaires. Où qu’ils se trouvent, les marchands indiens finissent par tout posséder.

Le fait de ses origines explique pourquoi ce personnage d’apparence ascétique eut toujours l’appui inconditionnel du grand capital indien (les Birla, les Tata) et d’autre part que les réformes sociales qu’il entreprit finirent toujours par profiter à la bourgeoisie commerçante et aux possédants agricoles. La solidarité de caste jouait en sa faveur, alors que le monde des Brahmanes et celui des princes regardaient ce Bania exalté avec méfiance et parfois un certain dégoût.

La politique du Congrès, guidé par cet étrange ascète, devait aboutir au triomphe de la caste commerçante, industrielle et capitaliste. Mohan Das Gandhi (1869-1948) était le fils d’un fonctionnaire au service d’un petit prince du Kathiawar. Il fit en Angleterre des études d’avocat et devint membre du barreau de Londres. C’est vêtu de la redingote noire et du col rigide de l’avocat anglais qu’il se rendit en Afrique du Sud pour diriger un mouvement qui réclamait l’égalité des droits pour les Indiens et les Européens. Après un bref séjour dans les prisons de Pretoria, il arriva en Inde en 1914 et commença aussitôt à jouer un rôle dans l’effervescence politique qui régnait durant la Première Guerre mondiale. Peu à peu Gandhi s’empara de la direction du Congrès et en éloigna les grands leaders modérés qu’avaient été Tilak, Lajpat Rai, S.N. Banerjee, Gokhale et Annie Besant.

L’empire turc fut démembré à la fin de la guerre 1914-1918, et le sultan déposé. Mais celui-ci était le calife des croyants musulmans et sa chute affecta profondément les Musulmans de l’Inde. La Grande-Bretagne était le principal bénéficiaire de ce démembrement. L’humiliation subie par le commandeur des croyants exaspéra le sentiment anti-britannique chez les Musulmans de l’Inde. Gandhi prit la tête d’un mouvement en faveur du sultan. La Conférence panindienne pour le caliphat (All-India Khilafat Conférence), présidée par Gandhi, menaça de lancer un mouvement de non-coopération si la Grande-Bretagne ne trouvait pas une solution au problème turc acceptable pour les Musulmans. Ceci permit à Gandhi de rallier à la cause nationaliste les masses musulmanes jusque-là très indifférentes. Le 20 août 1917, le secrétaire d’État pour l’Inde avait annoncé à la Chambre des communes : La politique du gouvernement de Sa Majesté, avec laquelle le gouvernement de l’Inde est en complet accord, est d’accroître l’association et le développement progressif d’institutions autonomes, en vue de l’établissement dans l’Inde d’un gouvernement représentatif, dans le cadre de l’Empire britannique. Toutefois, le gouverneur général conservait une autorité exclusive sur des sujets réservés, tels que la police, la justice et les prisons, l’irrigation, les forêts, les revenus agraires, l’inspection des industries, etc. Les Indiens furent déçus par les propositions anglaises et, sous la direction de Gandhi qui venait d’assumer la direction du Congrès, fut décrétée en 1919 une grève générale (hartal) dans tout le pays, qui paralysa complètement l’industrie, l’administration, les transports. À la suite d’une commission, présidée par Sir John Simon en 1928, qui recommandait l’établissement de gouvernements responsables dans les provinces, le gouvernement britannique convoqua une conférence à Londres, dans le but d’établir un projet de réforme constitutionnelle pour l’Inde. Gandhi participa à la seconde session, de septembre à novembre 1931. Le Parlement anglais adopta en 1935 un projet constitutionnel, qui ne fut réalisé que partiellement, et qui prévoyait une fédération des provinces et des états princiers. Toutefois, les gouverneurs conservaient des pouvoirs de veto absolus. Dès juillet 1937, le Congrès avait formé des gouvernements dans la plupart des provinces. Des garanties furent données aux princes, les assurant que les traités qui les liaient à la couronne ne seraient pas transférés sans leur accord à un nouveau gouvernement de l’Inde, responsable envers un parlement indien. Ces engagements ne devaient pas être tenus.

Le Congrès national indien

Le Congrès était un mouvement politique non religieux, formé essentiellement d’Indiens d’éducation et d’idéologie anglo-saxonne. Pour obtenir l’assentiment des masses indiennes, il lui fallait une couverture d’apparence religieuse. Ce sont les mouvements réformés arya-samaj, brahma-samaj, etc. qui lui fournirent un alibi, leur permettant de s’attaquer aux institutions ancestrales, non sur des bases purement politiques et sociales, mais sous le couvert d’une divergence d’opinions religieuses, ce qui était parfaitement acceptable pour les Hindous.

Peu à peu, Gandhi changea sa personnalité et son apparence. Le jeune avocat révolutionnaire anglicisé, venu d’Afrique du Sud, se mua en moine indien, demi-nu et vêtu de bure. On prétendit que cette transformation lui avait été suggérée par le leader musulman, membre du Congrès, Mohammed Ali Jinnah. L’aspect de prophète biblique de Gandhi inspirait confiance aux masses populaires indiennes et impressionna les Occidentaux. Ses compagnons lui donnèrent le titre de Mahatma (grande âme). Toutefois il ne convainquit jamais les élites du monde traditionnel hindou qui le considéraient comme un imposteur et comme un dangereux politicien. Le petit bonnet blanc adopté par les membres du Congrès était la copie du calot des prisonniers qu’avait porté Gandhi dans les prisons d’Afrique du Sud. Le Congrès encouragea les organisations culturelles qui s’inspiraient de l’idéalisme anglo-saxon, pittoresquement déguisé sous des oripeaux indiens. La principale de ces organisations fut le Visva-Bharati, une école créée par Rabindranath Tagore à Santiniketan (Bengale).

Tagore était un disciple de Tolstoï, un ami de Romain Rolland, un poète d’une étonnante versatilité. Son idéalisme, son internationalisme en faisaient une personnalité très attachante. Fils d’un réformateur religieux, il était profondément hostile à tout ce que représentait traditionnellement l’hindouisme. Mais il se méfiait de Gandhi et se retira du Congrès lorsque celui-ci en assuma la direction. Une autre de ces organisations pseudo traditionnelles était l’ashram de Shri Aurobindo à Pondichéry. Le syncrétisme religieux d’Aurobindo était un alibi commode pour s’opposer aux organisations traditionnelles des Hindous.

Les gouvernements du Congrès encouragèrent partout le développement de l’éducation, sur le plan d’une anglophilie déguisée à l’indienne. L’enseignement de la philosophie, des arts, des sciences, qui constituait la prestigieuse tradition culturelle de l’Inde, ne put survivre que grâce aux Brahmanes qui, sans aucune aide de l’État, continuèrent de leur mieux à maintenir le patrimoine culturel de l’Inde. Les institutions officielles enseignant la culture sanskritique et les sciences traditionnelles, telle que l’université hindoue de Bénarès, organisèrent l’enseignement selon des méthodes occidentales, avec des résultats très médiocres.

Peu à peu se formèrent des mouvements culturels et politiques pour défendre la culture traditionnelle, la religion et la structure de la société hindoue. Le premier fut l’Hindou Mahasabha, qui avait pour fin de contrebalancer l’influence de la Ligue musulmane. Puis, vers 1939, prit naissance, sous l’inspiration d’un moine hindou d’une extraordinaire culture et intelligence, Svami Karpatri, d’abord un mouvement culturel, le Dharma Sangh, puis, en 1947, un mouvement politique, le Jana Sangh, qui constitue encore aujourd’hui la principale opposition à la politique d’occidentalisation culturelle du gouvernement indien.

Reprenant la technique britannique, le Congrès attaqua ces mouvements en cherchant à les ridiculiser, en exagérant énormément les histoires d’intouchabilité, de culte des vaches, etc., et en feignant d’ignorer l’existence et l’importance de ces mouvements. C’est ainsi que la presse du Congrès consacrait une page à la visite d’un membre quelconque du parti dans une ville et ne mentionnait même pas une réunion où le Dharma Sangh avait rassemblé cinquante mille personnes. Cette politique fut très efficace par rapport à l’opinion étrangère. La presse du Congrès étant en grande partie en langue anglaise, alors que les partis traditionalistes employaient toujours des langues indiennes, il fut facile au Congrès de présenter sur le plan international les partis hindous comme rétrogrades, fanatiques et ridicules, et d’obtenir, lors de l’indépendance, que le pouvoir lui soit transféré, bien qu’il ne représentât qu’une faible minorité anglicisée. Comme prix de cette prise de pouvoir, Gandhi accepta la partition de l’Inde, qui était aussi inutile que néfaste et à laquelle tous les modérés hindous et musulmans étaient opposés. Ceux-ci considéraient que les Anglais devraient de toute façon quitter l’Inde et qu’il était inutile de se hâter et de payer un tel prix.

Lorsque l’Angleterre déclara la guerre à l’Allemagne, le 3 septembre 1939, l’Inde se trouvait automatiquement impliquée dans le conflit. Le Congrès et la Ligue musulmane refusèrent leur coopération. Les états princiers, en revanche, soutenaient fidèlement l’Angleterre. Les ressources de l’Inde et les troupes indiennes jouèrent un rôle important en Égypte contre l’armée de Rommel et, en Birmanie, contre les Japonais. Les pertes de l’Inde furent d’environ cent quatre-vingt mille hommes, sur une armée d’environ deux millions. Le Congrès mettait comme condition, pour soutenir l’effort de guerre, la formation d’un gouvernement national, mais il n’obtint pas satisfaction. Entre-temps, Mohammed Ali Jinnah, président de la Ligue musulmane, récusa en 1940 la notion  de parlement démocratique, fondé sur le nombre de têtes, et déclara que les Musulmans formaient une nation séparée. Il réclama officiellement la division de l’Inde en deux états indépendants.

En août 1942, le Congrès adopta une résolution recommandant un mouvement de non-coopération aussi large que possible et proclama la désobéissance civile. Dans un discours adressé aux Américains, pour leur exposer la question des Indes, Sir Stafford Cripps, lord du Sceau privé et leader de la Chambre des communes, déclarait : Gandhi a demandé que nous quittions les Indes, ce qui laisserait le pays aux prises avec les divisions religieuses, sans gouvernement reposant sur des bases constitutionnelles solides et sans administration organisée. Aucun gouvernement ayant conscience de ses responsabilités ne pourrait prendre une telle mesure, surtout au milieu d’une guerre. Il est certain que la menace actuelle de Gandhi – la désobéissance civile – a pour but de mettre en danger votre effort de guerre et le nôtre, et d’apporter l’aide la plus importante à nos ennemis communs. Il est possible qu’il obtienne une désobéissance civile en masse ; mais il est de notre devoir d’insister pour que l’Inde demeure une base où règnent l’ordre et la sécurité. Quelles que soient les mesures que nous jugerons nécessaires de prendre, nous devons les prendre sans peur. Nous avons offert à l’Inde de lui accorder un gouvernement autonome lorsque la guerre serait gagnée. Mais, pour cela, il faut que les Indiens ne nous mettent pas de bâtons dans les roues. Churchill envoya Sir Stafford Cripps proposer un statut de dominion à la fin des hostilités si les leaders de l’Inde coopéraient à la défense du pays. Gandhi compara cette offre à un chèque en blanc sur une banque en faillite. Les Japonais étaient entrés dans la guerre et les sympathies des Indiens étaient désormais du côté de l’Axe. Le refus de Gandhi obligea les Anglais à la répression. Le 8 août 1942, le Congrès vota une motion quit India et annonça un mouvement de désobéissance civile.

Beaucoup d’Indiens modérés étaient, comme les Anglais, choqués de ce coup de poignard dans le dos d’une Angleterre qui se défendait vaillamment. Ce geste aussi peu chevaleresque qu’inutile était typique de la mentalité de Gandhi. Tagore, qui s’était dissocié du Congrès depuis que Gandhi en avait assumé la direction, y était très opposé. Le gouvernement déclara le Congrès illégal, emprisonna tous ses chefs et adopta de sévères mesures de contrôle. Neuf cent quarante personnes furent tuées au cours des émeutes, seize cent trente blessées, soixante mille arrêtées, dix-huit mille détenues sans jugement. L’un des plus brillants chefs du Congrès, Subhas Chan-dra Bose, était parvenu à s’échapper de l’Inde en 1941. Il prit contact avec les Allemands et fut reçu par Hitler. Il s’établit ensuite au Japon et, à la suite d’un accord avec les Japonais, prit en charge les prisonniers indiens tombés aux mains de l’armée japonaise. Il organisa avec eux l’armée de l’Inde libre (Azad Hind Fauj). Il créa un gouvernement de l’Inde libre à Singapour, en 1942, et son armée s’avança avec celles des Japonais jusqu’aux frontières de l’Inde. Cette armée se rendit aux Anglais après la défaite du Japon. Subhas Chandra Bose était mort dans un accident d’avion.

L’Inde et le Pakistan

L’hindouisme n’est pas une religion, dans le sens que l’on donne généralement à ce mot. Il n’y a pas, dans l’hindouisme, de prophètes qui aient établi une fois pour toutes des vérités qu’il faut croire ou des règles de conduite inaltérables et communes pour tous. L’hindouisme est une philosophie, un mode de pensée, qui pénètre et coordonne tous les aspects de la vie et cherche à l’harmoniser avec un monde infiniment diversifié, dont les causes profondes sont hors de portée de l’esprit humain.

Même dans les classes sociales les moins évoluées, la tolérance apparaît comme une vertu fondamentale. Chacun cherche à faire de son mieux, selon ses capacités, mais nul ne peut savoir quel est le chemin qu’un autre doit suivre pour se rapprocher du divin, pour réaliser ce qu’il est ; car tous les êtres sont différents et nul ne peut juger des intentions mystérieuses des dieux qui font naître l’un riche, beau, intelligent, robuste, l’autre pauvre, laid, stupide ou malade. La violence, l’assurance excessive, le dogmatisme irréfléchi, le prosélytisme des Musulmans et des Chrétiens, semblent aux Hindous des attitudes naïves et impies. Quel fou peut se prétendre informé des intentions secrètes des dieux ?

C’est pourquoi les conversions des Hindous à l’islam et au christianisme ont été rares et n’ont eu lieu que dans les classes sociales inférieures ; et cela par la force, par intérêt, ou par nécessité de survivre. Ces conversions restent le plus souvent superficielles. Il existe de très nombreux Musulmans dans l’Inde qui sont végétariens, observent les règles de purification hindoues, vénèrent Kali la déesse de la mort et chantent les amours de Krishna. La plupart sont des Shiites, comme les Persans, inclinés vers le mysticisme, et leur conception de l’islam est très différente de celle des Sunnites puritains et agressifs. Les Sunnites, dans l’Inde, sont surtout des étrangers, venus avec les armées des envahisseurs arabes, turcs et mongols. Ils formaient la classe dirigeante autour des empereurs, mais leur nombre ne fut jamais très important. Le commerce et l’industrie restèrent toujours entre les mains des Hindous. Les conquérants n’étaient que des soldats formant une sorte d’aristocratie guerrière, tandis que les Indiens convertis appartenaient aux classes artisanales et restèrent de petits artisans et des paysans. Un très grand nombre de gens faisant partie des classes les plus défavorisées avaient été convertis de force à l’islam et formaient un prolétariat artisanal musulman très nombreux. Ces petits artisans et paysans représentaient la main-d’œuvre servile qui, lors de la division de l’Inde, massacrèrent les Hindous qui constituaient la classe commerçante, possédante et intellectuelle. Pour eux, il s’agissait d’un mouvement de revendications sociales et économiques plutôt que religieuses, qui n’est pas sans analogie avec l’antisémitisme.

Pour les Hindous, les Musulmans appartenaient simplement à une caste à part et pouvaient vivre comme bon leur semblait, à condition de ne pas intervenir dans les habitudes des autres castes. Beaucoup d’Hindous appréciaient l’extrême courtoisie persane, qui s’était conservée dans les milieux musulmans cultivés. Un grand nombre de poètes, de musiciens de l’Inde, au XIX° et au XX° siècle, étaient des Musulmans reçus et honorés par toute la population.

Les manœuvres politiques qui permirent de soulever l’une contre l’autre ces deux communautés, très imbriquées, avaient été préparées de longue date dans le but de conduire à une division éventuelle de l’Inde, avec l’idée de permettre à l’Angleterre de maintenir son contrôle sur le continent indien, lorsque l’indépendance paraîtrait inévitable. Un bon nombre d’administrateurs anglais opposés à ce plan machiavélique furent déplacés au cours des années. Mohammed Ali Jinnah fut donc encouragé à créer une Ligue musulmane, formée des éléments sunnites les plus agressifs. L’ensemble de la population musulmane se laissa faire, tout comme les Hindous laissèrent agir le Congrès. Après des émeutes savamment organisées, les deux communautés se trouvèrent également troublées, et l’inquiétude monta parmi des populations qui vivaient côte à côte depuis des générations, dans les mêmes villages, les mêmes villes, les mêmes quartiers.

Prenant prétexte des émeutes qu’il avait lui-même organisées, le gouvernement britannique proposa une division de l’Inde, entre un Pakistan musulman et une Inde hindoue (Bharat). Ce qui fut accepté par la Ligue musulmane, et aussi par le Congrès, malgré l’opposition de tous les éléments modérés, hindous et musulmans.

Lord Wavell, vice-roi des Indes à partir d’octobre 1943, était un homme ferme et modéré. Il réussit à rétablir l’ordre et à créer des conditions favorables pour le transfert éventuel du pouvoir. À partir de 1946, les Anglais envoyèrent une série de missions dans l’Inde pour préparer une Constitution. Le 2 septembre 1946, Jawaharlal Nehru et ses collègues, à peine sortis de prison, acceptèrent de faire partie du Conseil exécutif du vice-roi.

Entre-temps, le parti travailliste avait pris le pouvoir en Angleterre et le gouvernement Attlee, avec l’impatience irréfléchie qui caractérise souvent les idéologues socialistes, annonça en février 1947 la volonté des Anglais de quitter l’Inde en juin 1948. Cette précipitation devait rendre les négociations particulièrement difficiles et avantager les chantages. L’intelligentsia musulmane qui avait dominé l’Inde sous l’empire moghol se trouvait désormais en minorité. Elle réclamait un statut spécial et des garanties que le Congrès lui refusait au nom de ses principes démocratiques. Cette intransigeance permit à Jinnah d’exiger la division de l’Inde en états séparés, à domination hindoue ou musulmane. Lord Mountbatten fut dépêché en Inde pour organiser le transfert des pouvoirs. Il assuma l’office de vice-roi le 24 mars 1947.

Pressé d’aboutir, Mountbatten ne discuta qu’avec les chefs du Congrès et de la Ligue musulmane, donnant ainsi une importance démesurée aux deux partis que les Anglais avaient contribué à créer. Il ignora complètement les autres mouvements politiques, les partis hindous, les Mahrattes, les grands ministres des états princiers hindous ou musulmans, les Dravidiens, les tribus.

Mountbatten ne voulut négocier qu’avec ces trois avocats du barreau de Londres qu’étaient Gandhi, Nehru et Jinnah. Le destin de l’Inde fut décidé entre gens comme il faut dans des conversations de salon dans lesquelles Lady Mountbatten eut une part active. Mountbatten, pressé par le temps qui favorisait les revendications de Jinnah, imposa la partition de l’Inde et organisa le transfert du pouvoir au Congrès et à la Ligue musulmane qui ne représentaient en rien l’ensemble de la population. Leur seule légitimité était celle que leur conférait le pouvoir britannique en les choisissant comme interlocuteurs. En fait, la Ligue musulmane était un parti artificiel, créé de toutes pièces par Mohammed Ali Jinnah après sa rupture avec le Congrès, et n’avait ni structures ni adhérents. Le Congrès lui-même était un parti révolutionnaire non confessionnel anti traditionaliste. Il était monstrueux de le considérer comme représentant les Hindous, alors que les partis hindous très bien organisés tels que le Hindou Mahasabha, le Jana Sangh, le Rash-triya Swayam Sevak Sangh, étaient totalement ignorés.

La division de l’Inde fut décidée dans l’abstrait, sur le papier, sans préparation suffisante. Le 3 juin 1947, moins de trois mois après son arrivée dans l’Inde dont il ignorait les problèmes, Lord Mountbatten lança une proclamation, sur la manière dont le pouvoir serait transféré aux Indiens. Cette proclamation indiquait que, non seulement les provinces, mais les districts de majorité musulmane pourraient, s’ils le désiraient, former un dominion séparé. Ce qui devait conduire à la partition du Bengale et du Panjab.

Malgré de sérieuses dissensions, le Congrès et la Ligue musulmane finirent par accepter ce marché, contre la volonté de tous les autres partis. Le 16 août 1947, l’Inde et le Pakistan furent déclarés indépendants, dans le cadre du Commonwealth britannique [1] Lord Mountbatten fut nommé gouverneur général de l’Inde, Mohammed Ali Jinnah, gouverneur général du Pakistan.

Excepté pour quelques régions sur la frontière afghane, il n’existait aucune région dans l’Inde où les deux communautés ne fussent représentées. On divisa le pays sur une base de pourcentage de population. Les régions comprenant plus de 50 % de Musulmans furent déclarées musulmanes et données au Pakistan. Tout dépendait, naturellement, de la façon dont les régions étaient délimitées. Au Bengale, où les deux populations étaient à peu près en nombre égal, il eût suffi de prendre la province dans son ensemble pour qu’elle restât dans l’Inde. En la divisant par districts, et en laissant de côté l’énorme ville de Calcutta, en grande majorité hindoue, on parvint, avec les régions rurales, à créer un Pakistan de l’est, qui était une absurdité, et devait proclamer son indépendance en 1971 sous le nom de Bangladesh.

De plus, en mettant sur le même plan l’Inde et le Pakistan, l’Angleterre divisait le continent entre un état laïc multireligieux, où les droits des citoyens étaient définis par des lois modernes, et un état théocratique, le Pakistan, où seule était admise la loi coranique, qui ne reconnaît aucun droit aux non-Musulmans et fait de leur meurtre une vertu. Les partis hindous ne furent jamais consultés car Nehru, un agnostique, et Gandhi, un illuminé réformiste, ne représentaient en rien la population hindoue. Le déguisement de Gandhi en saint homme était un masque habilement utilisé pour faire croire au monde extérieur qu’il représentait les Hindous.

Plus de la moitié des Musulmans restèrent dans l’Inde ; en revanche, les Hindous du Pakistan furent spoliés, massacrés, privés de droits civiques et de protection. Les survivants quittèrent en masse leurs maisons, leurs terres, leurs villages, dans un exode qui fut l’un des plus effarants des temps modernes, et n’est pas encore terminé. Des millions de malheureux prirent refuge dans une Inde déjà surpeuplée. Beaucoup moururent de faim et de misère dans des camps improvisés ou dans les rues de Calcutta, transformées en cour des miracles. Les massacres et les transferts de population qui suivirent la partition furent effrayants. Une estimation modérée du juge G.D. Khosla (Stem Reckon-ing, p. 299) fait état de cinq cent mille morts et de dix millions et demi de personnes déplacées.

Quand la tension créée par les réfugiés menaça de provoquer un massacre des Musulmans restés en Inde, Gandhi, qui n’avait signé qu’à contrecœur les accords de partition et était parti pour essayer de calmer l’agitation du Bengale, revint à Delhi pour défendre les Musulmans menacés de représailles et pour exiger le paiement au Pakistan d’une partie des réserves monétaires. Le 20 janvier 1948, il fut assassiné alors qu’il assistait à une réunion de prières à la Nouvelle-Delhi. La raison principale de cet assassinat, par un jeune Brahmane appartenant au parti orthodoxe, était l’inquiétude causée par l’hostilité de Gandhi envers les institutions traditionnelles des Hindous considérée comme beaucoup plus pernicieuse que l’indifférence anglaise. Une autre raison était l’attitude trop conciliante de Gandhi envers les Musulmans, malgré les massacres terribles qui avaient précédé et suivi la partition de l’Inde. Gandhi recommandait de gagner la coopération par l’amour et le désintéressement, alors que les Musulmans de l’Inde et du Pakistan chantaient partout : Nous avons eu le Pakistan pour une chanson, Delhi nous coûtera une bataille. Toute publication du plaidoyer que prononça le meurtrier pour expliquer son geste a été interdite dans l’Inde. La mort de Gandhi fut célébrée par des cérémonies d’action de grâces dans beaucoup de villes hindoues. Il est difficile de dire ce que serait devenue l’Inde si Gandhi avait vécu. Son prestige était grand. Il s’opposait également aux structures politiques de l’Inde traditionnelle et à l’industrialisation du pays. Tous ses disciples devaient filer eux-mêmes et tisser leurs vêtements. Son égalitarisme, dans un pays aux races et aux cultures si diverses, était impraticable. Il semble que, malgré leurs déclarations, certains chefs du Congrès furent plutôt soulagés d’être libérés de ce vieux rêveur.

La division de l’Inde fut, sur le plan humain, comme sur le plan politique, une erreur des derniers colonialistes anglais. Elle a ajouté au Moyen-Orient un état instable, le Pakistan, privé de ses superstructures économiques, industrielles et culturelles. Par ailleurs, elle a alourdi d’un poids énorme les problèmes, déjà graves, qui accablent l’Inde. Et le bilan de l’opération devra être payé par les pays d’Occident.

L’Inde, dont les anciennes frontières se développaient au-delà de l’Afghanistan, a perdu, avec le pays des Sept-Rivières (la vallée de l’Indus), le centre historique de sa civilisation. Au moment même où les envahisseurs musulmans semblaient avoir abandonné leur virulence et s’assimiler peu à peu aux autres populations de l’Inde, le conquérant européen, avant de retourner chez lui, a livré à leur fanatisme le berceau même du monde hindou.

Les états princiers se trouvaient dans une situation difficile. La couronne britannique ne pouvait maintenir sa suzeraineté, et celle-ci ne pouvait être transférée aux gouvernements de l’Inde et du Pakistan. Certains états acceptèrent le principe d’une union indienne, où l’administration intérieure des états resterait indépendante. D’autres états voulurent proclamer leur indépendance. Cela n’était pas acceptable pour le gouvernement du Congrès. La plupart furent groupés en union et les maharajas dépossédés. Deux problèmes subsistaient : celui d’Hyderabad, au centre de l’Inde, avec une population en majorité hindoue et un souverain musulman, et celui du Kashmir, avec un souverain hindou et une majorité musulmane. Après que le nizam d’Hyderabad eut menacé d’agréger ses états au Pakistan, Sardar Patel, devenu ministre de l’Intérieur, dépêcha l’armée indienne qui envahit l’état et emprisonna le Premier ministre. Le nizam fut forcé de signer l’acte d’annexion, le 26 janvier 1950 et ses états furent divisés.

État frontière entre l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan et le Tibet, le Kashmir posait un problème plus délicat. Des bandes armées venant du Pakistan occupèrent une partie du Kashmir. Le maharaja signa immédiatement l’acte d’union à l’Inde, le 26 octobre 1947, et les troupes indiennes aéroportées commencèrent d’arriver le 27 octobre. La question n’est pas encore résolue. Les troupes indiennes et pakistanaises s’affrontèrent et sont restées depuis sur leurs positions. Le Pakistan continue d’occuper une partie du Kashmir. Le problème est pendant devant le Conseil de sécurité des Nations unies depuis 1948. Le pays reste divisé entre les deux armées d’occupation. Après la mort de Gandhi, le pouvoir se trouva aux mains d’un diumvirat, d’une part le Premier ministre Nehru, socialiste d’origine aristocratique et de l’autre Sardar Vallabhai Patel, vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, un homme d’origine plébéienne, énergique et conservateur, qui avait la confiance de la classe industrielle et possédante aussi bien que des Hindous traditionalistes. Il avait réussi l’intégration des états princiers, annexé Hyderabad et avait pris une influence grandissante. Il était la seule personne qui aurait pu trouver un compromis entre les valeurs de la société traditionnelle et le modernisme. Il devait malheureusement mourir en 1950 laissant Nehru seul maître de l’Inde. [2]

Alain Daniélou. Histoire de l’Inde. Fayard 1985

Et, pour enfoncer le clou sur Gandhi, on peut énoncer quelques faits pour le moins gênants, à nos yeux d’Occidentaux évidemment : le vœu à 37 ans de brahmacharya – abstinence sexuelle – sans demander à Kasturbai, son épouse, ce qu’elle en pensait, soit qu’une épouse n’ait pas à être consultée, soit qu’elle soit censée ne pas avoir de vie sexuelle, ou pire, les deux en même temps ! Et cela pouvait être pimenté par une bonne dose de perversité masochiste : coucher nu à coté de jeunes femmes, comme sa petite nièce Manu. On peut encore citer une lettre à Hitler en 1939, se terminant ainsi : I remain, Your sincere friend ! Quand on ne veut pas avoir d’ennemis, on n’a que des amis : le cher homme avait une bonne poignée de décennies d’avance sur Facebook ! Et en plus, tenez-vous bien, il restait complètement indifférent à la musique de Beethoven, mais cela Romain Rolland est bien le seul à en avoir été désolé.

Les travaillistes arrivés au gouvernement à Londres en 1945 ne sont pas, comme Churchill, viscéralement attachés à l’empire. Ils jugent plus important de mener à bien les grandes réformes sociales promises que d’épuiser des finances déjà à plat avec de coûteuses opérations outre-mer. Lord Mountbatten, un membre prestigieux de la famille royale, est envoyé en Inde avec pour mission de mettre un terme à deux siècles de présence britannique et d’accorder l’indépendance au pays. Mais quel pays ? Le camp nationaliste est éclaté en deux tendances. Au parti du Congrès, le mouvement de Gandhi, qui rêve d’une Inde unie dépassant les clivages religieux, s’oppose à la Ligue musulmane (fondée en 1906), dirigée par Ali Jinnah. Elle entend faire valoir les droits d’une population minoritaire mais qui a, pendant des siècles, dominé politiquement le sous-continent. Au nom de la vieille méthode du divide for rule, diviser pour régner, les Britanniques ont longtemps savamment entretenu la rivalité entre les deux. Désormais, elle les embarrasse. L’espoir de Londres serait de transformer le Raj en une puissante fédération unie et alliée à son ancienne métropole. Jinnah n’en veut pas. Il veut une confédération, un regroupement plus souple d’États autonomes, dont certains exclusivement musulmans, ce qui donnerait un poids considérable à sa communauté. La querelle des partis tourne à la haine, les émeutes interconfessionnelles tournent à la guerre civile. Durant les derniers mois de l’Inde anglaise, dans une ambiance apocalyptique, des foules de musulmans fuyant les viols, les meurtres commis par des hindous croisent des hordes d’hindous fuyant ceux dont les musulmans se rendent coupables. Lord Mountbatten, dépassé, abaisse l’Union Jack et rembarque les dernières troupes anglaises à la mi-août 1947, laissant derrière lui non pas un pays, mais deux. C’est ce qu’on appelle la partition de l’Inde. Au Nord, le Pakistan, le pays des purs, en ourdou, devient la patrie des musulmans. Il est composé de deux parties, l’une située au-delà de l’Indus, l’autre, à l’est du Bengale. Le reste du Raj est l’Union indienne, un pays majoritairement hindou où demeurent néanmoins de nombreux musulmans et d’autres minorités. La haine ne diminue pas après le divorce. Le bilan des événements tragiques qui précèdent l’indépendance et lui succèdent fait état de 10 millions de déplacés et de 1 million de morts, assassinés, oubliés sur les routes de l’exil, affamés dans des camps où l’on ne peut les secourir. La plus célèbre victime du fanatisme qui a embrasé le sous-continent est l’homme qui a tout fait pour le contenir. En janvier 1948, Gandhi tombe alors qu’il allait à la prière, victime de trois coups de revolver tirés par un hindou qui le voyait comme un traître. Il était l’homme de la paix. Elle devient introuvable.

François Reynaert. La Grande Histoire du Monde. Fayard 2016

28 08 1947              

Manuel Laureano Sanchez, alias Manolete, est au sommet de son art de toréador. Islero, le taureau auquel il va donner l’estocade dans les arènes de Linares, l’encorne à la cuisse : l’artère fémorale est touchée, le taureau le reprend encore… Manolete mourra des suites de l’hémorragie le lendemain. Il venait d’avoir trente ans. La légende s’emparera de cette mort tragique et fera du taureau un brave parmi les braves puisqu’il avait tué le plus grand des toréros… et, comme toute légende, elle affabulera ; en fait Islero n’était pas un grand taureau costaud, mais un petit taureau à qui on avait limé les cornes, et qui de plus était presbyte ; et, dès lors qu’un taureau voit mal, il devient imprévisible. Manolete s’est présenté pour cette estocade comme si le taureau était prévisible, et il ne l’était pas … Le taureau sera tué à l’issu de la corrida.

L'art de la tauromachie - Philippe Sollers/Pileface

Le jeu n’implique pas d’avoir toujours les pieds sur terre

La corrida avait acquis frauduleusement ses lettres de noblesse depuis peu, par des tours de passe-passe d’écrivains comme Montherlant, Bataille, d’un peintre comme Picasso, qui, au vu des origines trop populaires – un amusement d’équarisseurs ! [se reporter au 29 janvier 1853]- s’étaient lancé dans une recherche en paternité plus prestigieuse, ne reculant pas devant la récupération des peintures pariétales et des mythes comme celui de Mithra pour en faire les témoins de l’origine ancestrale de la corrida…. Ce n’était là que grossier trucage, mais cette soupe mythologique avait bien meilleur goût que celle des équarisseurs espagnols ! aussi connaîtra-t-elle le succès.

31 08 1947                 

Inauguration des vingt-huit premiers kilomètres de sentiers de Grande Randonnée – le GR3 – : Orléans, Meung, Beaugency, Travers, le long de la Loire. Suivra, moins d’un an plus tard, le 24 avril 1948, le GR1 : 28 km d’Ermenonville à Senlis : Jean Loiseau, celui sans lequel rien de tout cela n’aurait vu le jour, en sera. Soixante ans plus tard, on en comptera plus de 40 000 km !

août 1947                  

À Qumrân, 12 km au sud de Jéricho, tout près des rives nord-ouest de la Mer Morte [3], Joum’a Mohammed, surnommé Ed-Dhib, bédouin de la tribu des Ta’amré, et très probablement contrebandier en quête d’une cache, découvre dans une grotte des manuscrits qui s’avèreront vite être les documents les plus anciens relatifs à l’époque contemporaine du Christ. Le site est tout proche de ruines, au sud desquelles se trouve l’une des plus importantes sources d’eau douce de la région : Aïn Feshka, aux abords de laquelle les bédouins font paître leurs troupeaux.  D’autres grottes seront découvertes, – onze au total –  dont deux salles construites par l’homme, riches surtout en fragments difficilement exploitables.  La plupart ont été écrits entre 250 ans avant la naissance du Christ, et 68 après, année de la destruction du site par l’armée romaine, avant la prise de Jérusalem. 20 à 25 % des documents sont des textes bibliques, les autres sont très divers. En février 1955, on découvrira dans la grotte 7 un petit fragment de papyrus – nommé 7 Q 5 -, grand comme un timbre poste sur lequel figurent 20 lettres grecques, qui se révéleront être les versets 52-53 du ch. 6 de l’évangile de Marc. Un autre fragment de la même grotte appartiendrait à l’épître de Paul à Timothée. (1 Tm 3, 16 à 4, 3)

Ce sont environ 500 manuscrits distincts qui ont été répertoriés dans la première grotte ; le nombre des fragments est beaucoup plus élevé, entre 10 000 et 100 000, qui constituent environ 500 puzzles différents, dont manquent 90 % des morceaux.

Les fouilles du site furent entreprises sous la direction du père Roland de Vaux, dominicain de l’école biblique de Jérusalem de 1951 à 1956 (implantée dans le secteur de Jérusalem relevant de la Jordanie) : il estimait que ce site avait été un monastère, d’autres historiens penchent pour une forteresse, d’autres encore pour une ville de villégiature ou de potiers [4]. On y trouva un grand cimetière, de nombreuses réserves d’eau.  Sept fragments non bibliques laissent à penser qu’ils auraient été rédigés par les membres d’une des sectes juives de l’époque, les Esséniens. On compte trois historiens de l’époque à avoir mentionné l’existence des Esséniens : Pline l’Ancien, Flavius Josèphe et Philon d’Alexandrie. Mais rien, dans les manuscrits de Qumrân ne mentionne spécifiquement les Esséniens, et aujourd’hui, on penche beaucoup plus pour des écrits d’une gnose juive, marqués par un eugénisme alors très répandu, énumérant des normes que l’on verra resurgir dans les fichiers anthropométriques au XIX° siècle.

L’histoire du cheminement des manuscrits depuis leur découverte tient du roman policier, sur toile de fond de la naissance du conflit entre Juifs et Palestiniens, des changements pour le site de Qumran de tutelle politique (anglais, puis jordanien de la création de l’État d’Israël à la guerre des Six Jours, puis israélien) de la rivalité entre toutes les autorités religieuses représentées à Jérusalem, avides de s’accaparer une telle découverte : le quasi secret qui entoure une bonne partie de leur contenu tient beaucoup plus au goût du pouvoir qu’à la nature même du contenu. De cette première découverte, 7 rouleaux furent finalement vendus en 2 lots, à l’université hébraïque et à l’État d’Israël. 50 ans plus tard, la dispersion reconnue est la suivante :

  • Sanctuaire du Livre, Jérusalem.
  • Musée Rockefeller, Jérusalem.
  • Studium Biblicum Franciscanum, Jérusalem : un texte de Sagesse et un texte du psaume de Josué.
  • Musée d’Amman : une partie du matériel de la grotte 1 et le Rouleau de Cuivre.
  • Bibliothèque Nationale de France, Paris : documents de la grotte 1.
  • Musée Bible et Terre Sainte, Institut catholique Paris : un fragment du Psautier
  • Bibliothèque de l’Université de Heidelberg : le Pesher de Nahum, grotte 4
  • Université de Chicago : le manuscrit de la femme folle.

Les grottes de Qumrân

Le "Commentaire d'Habacuc"

Le Commentaire d’Habacuc

6 09 1947                  

En Inde, les massacres ont débuté dans l’ouest essentiellement au Penjab dès l’annonce de l’indépendance et de la partition. Ils ne cessent de prendre de l’ampleur et Nehru ne parvient pas à faire face. Delhi est menacé. Nehru et Patel, haut fonctionnaire hindou devenu ministre de l’intérieur, rappellent Mountbatten, en vacances dans la station très prisée de Shimla, à 2 200 mètres, face aux Himalayas, au nord de Delhi, pour reprendre le pays en mains et rétablir l’ordre. Il va le faire, pendant plus d’un mois, de façon tout à fait officieuse, déployant toute son énergie à la tête d’un comité de crise pour mettre en place une logistique de contrôle de tous les organes sensibles : aéroports, voies ferrées, hôpitaux etc…

Ces monuments historiques en construction

D’une hauteur de 182 mètres de haut, la statue du chef indépendantiste indien Sardar Vallabhbhai Patel, érigée en 2018 sur les rives du fleuve Narmada, dans l’état du Gujarat, en Inde, a nécessité plus de 2 000 travailleurs et 12 000 panneaux de bronze. Nommé Statue de l’Unité, le monument, ancré par deux tiges de béton dissimulées à l’intérieur de sa structure d’acier, résiste ainsi aux vents et aux tremblements de terre.

Force est d’admettre que l’homme avait les idées larges et n’était pas porté sur la rancune : il avait épousé une très riche héritière, Edwina Ashley, dont les revenus lui avaient permis un train de vie que le gouvernement anglais était bien incapable d’assurer. Elle était d’un tempérament très généreux, se donnant sans compter, sans racisme aucun, même lorsqu’il s’agissait de ses charmes : elle avait ainsi inscrit à son tableau de chasse  le chanteur noir américain et communiste Paul Robeson, et le dernier en date n’était autre que Nehru lui-même, séduit à Shimla : le grand air des montagnes, cela requinque !  Le coup de foudre avait un an, pratiquement jour pour jour, lorsque le vice-roi avait nommé Nehru premier ministre : c’était alors leur première rencontre et l’enthousiasme de la foule était tel qu’une bousculade avait mis à terre Edwina : Nehru s’était précipité pour la relever en la prenant dans ses bras … qui deviendront sa résidence secondaire de printemps, d’été, d’automne et d’hiver.

Tout de même, aurait pu se dire son époux, j’accorde l’indépendance de l’Inde qui a pour premier ministre Nehru ; ensuite j’accours dès qu’il m’appelle en urgence pour éteindre  le feu qui a pris à la maison et pour me remercier, que fait-il ? il me pique ma femme ! Eh bien, non : il n’en fit rien, resta dans les meilleurs termes avec Nehru et continua bien sur à jouir de la fortune de sa femme. Si Philippe le Bel avait été là, les choses ne se seraient pas passées ainsi, c’est sûr.

20 09 1947                 

L’Algérie devient un département français, doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière, avec une Assemblée algérienne, chargée de gérer, en accord avec le gouverneur général, les intérêts propres de l’Algérie. Elle aura désormais deux collèges électoraux, l’un pour les européens comptant 60 membres, l’autre pour les Algériens musulmans, comptant aussi 60 membres, quand ceux-ci étaient huit fois plus nombreux que les Européens ! Pour passer d’un collège à l’autre et devenir citoyen français, il faut renoncer à la loi coranique, ainsi qu’à la polygamie. Et l’on pensait que pareille escroquerie électorale serait génératrice de paix !

09 1947                       

Jean Vilar organise le premier festival d’Avignon.

Dans mon monde, dans ce petit village où j’ai grandi [Cruseilles, entre Annecy et Genève], il fallait répondre à l’attente des adultes, dire ce qu’ils avaient envie d’entendre, c’était étouffant. Donc j’ai appris à mentir. On ne traitait pas les enfants comme des personnes. Chez les acteurs, la vérité est comme un paradis perdu. Le théâtre était idéal pour vivre de façon intense, comme si j’avais été privé de cette capacité-là auparavant.

André Dussollier, 2017

À la suite d’un article élogieux d’Henri Jeanson sur Le Corbeau (1943), film d’Henri-Georges Clouzot, inspiré d’une histoire de lettres anonymes inondant la ville de Tulle entre 1917 et 1922, dont la nouvelle sortie, en 1947, provoque une vive polémique, Joseph Kessel, présenté par L’Intransigeant comme le glorieux combattant volontaire des deux guerres, répond dans les colonnes de ce journal par une tribune où s’expriment ses sentiments sur la période de l’Occupation. Si Jean-Paul Le Chanois, Jacques Prévert, René Clair et le couple Sartre-Beauvoir défendent Clouzot, Kessel, reprenant l’argument formulé par L’Écran français, en 1943, partage le sentiment des communistes :

Le Corbeau est un film remarquable – d’accord ! Il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas le reconnaître. Cela n’empêche pas qu’il ait été fait pour le compte de la Continental et en pleine guerre et en pleine Occupation. Et cela veut dire : que M. Clouzot a été payé par les Allemands, dans le même temps que ces Allemands massacraient à Oradour, entretenaient de milliers de cadavres français leurs fours crématoires, fusillaient les otages français, déchiraient les corps des Français dans les caveaux sanglants. Que M. Clouzot menait, grâce à l’argent allemand, une vie agréable tandis que la misère, la honte et la terreur pesaient sur la France par le fait des Allemands. Et que, pour et avec cet argent, M. Clouzot composait un film remarquable – assurément – mais qui se trouvait peindre une petite ville française sous les couleurs les plus hideuses et offrant – par le truchement d’un auteur metteur en scène français – l’illustration la plus parfaite à la thèse allemande sur la pourriture de la France. On m’accordera, je l’espère, la grâce de croire qu’il n’est pas dans mes intentions d’exiger qu’une œuvre d’art soit morale. Mais dans une guerre à la vie et à la mort, il ne s’agit plus de moralité, ni d’impartialité artistique et il n’y a pas de tour d’ivoire. Dans chaque nation, comme dans chaque individu, on rencontre le meilleur et le pire. En temps normal, tout auteur a le droit d’employer les éléments qu’il veut. En temps de combat, choisir de montrer, de son pays, le pire et avec la subvention de l’ennemi, c’est réjouir et servir les desseins de l’ennemi dans le domaine de la lutte psychologique. J’aurais aimé voir la figure de ses patrons de la Continental si M. Clouzot avait placé l’action de son film – exactement la même – dans une petite ville allemande. Voilà où est, pour moi, la moralité de cette affaire. Et je ne peux pas m’empêcher de songer à d’autres metteurs en scène, plus âgés que M. Clouzot et en pleine gloire, comme William Wyler ou Anatole Litvak, qui ont risqué leur vie en avion et sur les champs de bataille et qui en ont conservé de durables meurtrissures. Et à des acteurs comme Claude Dauphin ou René Lefebvre qui ont échappé par miracle à la Gestapo – et Robert Lynen mort torturé par elle… Tandis que M. Clouzot tournait Le Corbeau pour le compte de l’Allemagne. Depuis la Libération, je n’ai pas écrit une ligne pour demander un châtiment. Au gouvernement de faire les lois. Aux juges de les appliquer. Ce n’est pas mon affaire. Et je ne m’en mêlerai pas davantage aujourd’hui. Mais, pour rassurer les bonnes âmes, je me permettrai de dire que, vraiment, M. Clouzot n’est pas un martyr ni une victime, ni même un bon prétexte à indignation. M. Clouzot à qui sont rendues toutes les facilités de travail, de gain et de gloire, après un temps plus court que celui où il fut employé par les Allemands et par un pays que ces Allemands ont voulu asservir à jamais. Il est vrai que, s’ils y avaient réussi, cela n’aurait pas fait tant de différence – pour M. Clouzot.

L’UNSCOP [la mission de l’ONU en Palestine], après trois mois de consultations en Palestine et dans les camps de personnes déplacées en Europe, recommande à l’unanimité l’annulation du mandat de la Grande Bretagne et, à la majorité, le partage de la Palestine.

5 10 1947                    

De Gaulle, au chômage, (non rémunéré puisqu’il a démissionné !) s’ennuie et brocarde les petits partis qui cuisent leur petite soupe au petit coin de leur feu…

14 10 1947                   

L’Américain Charles, Chuck,  Yeager est le premier homme officiellement à franchir le mur du son, sur un Bell X-1. Trente ans plus tard Tom Wolf écrira L’étoffe des héros, (The right stuff, 1979), son histoire, qui sera aussi reprise au cinéma par Philip Kaufman avec Sam Shepard dans le rôle de Charles Yeager.

Today in History, October 14, 1947: Test pilot Chuck Yeager broke the sound  barrier

22 10 1947                  

Jinnah, président du Pakistan, décide d’utiliser la force pour régler la question du Cachemire : il y envoie 5 000 guerriers pathans venus de la frontière du nord ouest.

27 10 1947                  

L’Inde envoie par avion 329 hommes du I° régiment de sikhs à Shrinagar, capitale du Cachemire. Jinnah va se calmer mais l’affaire ne sera pas pour autant réglée et empoisonnera les relations entre les deux pays pour les décennies à venir.

2 11 1947                   

Sur les eaux de Cabrillo Beach à Los Angeles, Howard Hughes tente de faire décoller le plus gros hydravion du monde… un hydravion, car personne n’est parvenu à concevoir un train d’atterrissage à même de supporter les 200 tonnes du monstre. Il a presque quatre ans de retard : c’est Henry Kaiser, constructeur de Liberty Ships qui, cinq ans plus tôt, avait soufflé l’idée d’un avion géant à Roosevelt : ainsi mes Liberty Ships et les hommes qu’ils transportent ne seront plus envoyés par le fond par les sous-marins  allemands. Le gouvernement américain avait suivi et passé commande à Howard Hughes, n’ayant trouvé parmi les constructeurs raisonnables personne à même de relever un tel défi : transporter 750 hommes ou 2 chars Sherman. Le Hughes H-4 Hercules a 97.5 m d’envergure, plus que l’Airbus A-380, ou encore l’Antonov A 225. Avec 24 mètres de haut, il les domine, ne le cédant que sur la longueur : 66.6 m de long contre 84 à l’Antonov. Il l’a baptisé Spruce goose – l’oie en épicéa – … épicéa, car cette essence constituait une partie  de l’avion, la structure principale étant en hêtre stratifié, le tout entoilé : ainsi l’avait demandé le cahier des charges, dans le souci d’économiser le métal, denrée rare au plus fort de la guerre.

Et les huit moteurs parviennent à arracher le géant, pendant une bonne minute, à 20 mètres au-dessus de l’eau. Puis il amerrit : le gouvernement avait mis dans l’affaire 22 millions $, Hughes 18 : en 1947, le gouvernement n’a plus du tout l’utilité d’un géant pareil : il jette l’éponge : Spruce Goose ne redécollera plus jamais et finira sa vie dans un musée d’Oregon, l’Evergreen Aviation Educational Center. Ses détracteurs diront que sur cette distance, et à cette hauteur, il ne s’agissait probablement que d’un effet de sol, une force qui n’agit, comme son nom l’indique, qu’à proximité du sol, et qu’en aucun cas, il n’aurait été en mesure de prendre de l’altitude.

13 11 1947                  

Les Lettres françaises publient un article de Sim Thomas, intitulé Comment fut fabriqué Kravtchenko. Ce dernier n’aurait pas écrit son livre, qui aurait en fait été rédigé par des mencheviks. Deux ans plus tard, quand s’ouvrira le procès, le tribunal s’enquérera de Sim Thomas, lequel restera introuvable : le personnage avait été tout bonnement inventé par Claude Morgan, rédacteur en chef des Lettres françaises, et donc auteur de l’article Comment fut fabriqué Kravtchenko.

15 11 1947                  

Grève générale des mineurs.

20 11 1947                 

La princesse Elisabeth épouse Philip Mountbatten, duc de Windsor.

28 11 1947                 

Nommé depuis le 12 avril inspecteur des forces terrestres, maritimes et aériennes en Afrique du Nord, Leclerc décolle d’Oran dans son B 25 Mitchell, baptisé Tailly 2 – du nom de son château -, pour Colomb-Béchar, dans l’ouest de l’Algérie : la météo n’était pas bonne, le lieutenant Deluc, pilote, conseillait de remettre le vol à plus tard ; Leclerc passa outre… Dans la tempête de sable, le pilote se guide sur la ligne de chemin de fer Méditerranée-Niger ; il percute le remblai. On glosera longtemps sur la présence d’un treizième corps non identifié pour parler d’attentat. Ce sont des légionnaires qui arriveront les premiers sur les lieux de l’accident – 60 km au nord de Colomb Béchar – : tous les corps avaient été décapités… [probablement par la projection vers l’avant des bagages entassés à l’arrière] ils seront formels : il y avait treize troncs, avant même d’avoir pris connaissance de la liste des passagers et équipage : le treizième ne sera jamais identifié ni réclamé par qui que ce soit. Aucun élément ne viendra confirmer l’hypothèse d’un attentat. Il est fréquent dans ce milieu, hors secteur commercial, de n’être pas trop à cheval sur la rigueur administrative : tu veux venir avec nous ? allez, grouille-toi et monte ! Immense était alors sa popularité : cinq jours plus tôt, il avait participé au 3° anniversaire de la libération de Strasbourg, qui, comme l’année précédente, lui avait fait un triomphe.

Philippe Leclerc de Hautecloque – Biographie – D-Day Overlord

 

Se trouvaient avec lui :

  1. Colonel Fouchet, chef d’Etat-major de la 10° RM.
  2. Colonel du Garreau de la Ménéchie
  3. Colonel Clémentin
  4. Colonel Fieschi
  5. Capitaine de Vaisseau Frichement
  6. Commandant Meyran
  7. Sous-Lieutenant Miron de l’Espinay
  8. Lieutenant Deluc, pilote remplaçant Legoc, malade
  9. Lieutenant Pilleboue, navigateur
  10. Adjudant Guillou, mécanicien
  11. Sergent-chef Lamotte, radio.

29 11 1947                  

Sous la coupole de l’ancienne patinoire de Flushing Meadows, par 33 oui, 13 non, 10 abstentions, l’ONU décide que la Palestine sera partagée en trois : un Etat arabe, un Etat juif de 12 000 km², et une zone internationale constituée à Jérusalem qui lui reviendra directement.

David Ben Gourion [5], [né David Grün, à Plonsk, en Pologne], président de l’Agence Juive, s’est isolé dans un hôtel au bord de la Mer Morte, note dans son Journal : Je ne peux être de ceux qui dansent. Je me sens comme un individu en deuil au milieu d’un mariage. Car je suis rempli d’une terrible crainte devant le sacrifice qui attend notre peuple. Je n’ai pas le moindre doute : nous sommes à la veille d’une guerre à la vie, à la mort, non pas avec les forces britanniques, mais avec les peuples arabes. Et nous allons y perdre la fleur de notre jeunesse.

Le jour même étaient tués sept juifs passagers d’un bus.

8 12 1947

Accompagnée de l’ange Gabriel, la Vierge serait apparue à quatre enfants de l’Île Bouchard, commune d’Indre et Loire, sur la Vienne près de son embouchure avec la Loire, à l’est-sud-est de Chinon. Cela tombe juste au moment où prennent fin les grandes grèves qui ont  secoué la France, de Marseille au nord du pays. Les apparitions se seraient renouvelées, jusqu’au 14 décembre, avec un contenu particulièrement insignifiant collant un peu trop à la religiosité niaise du temps pour être vraisemblable. Mais l’évêque du lieu, André Vingt-Trois autorisera néanmoins les pèlerinages.

10 12 1947                  

André Gide reçoit le prix Nobel de littérature. Peu après sa mort en 1951 il enverra un télégramme à François Mauriac : Enfer n’existe pas. Vous pouvez vous dissiper.

15 12 1947                 

Jacques Canetti, juif d’origine bulgare, a passé la guerre à Alger où il a tenu le cabaret Les deux ânes. Revenu à Paris, il crée Les deux baudets, où il va galérer plusieurs mois : les portemonnaies sont encore bien plats, et son petit théâtre reste souvent vide. C’est Robert Lamoureux, jusque là pratiquement inconnu lui-même, qui va lui apporter la célébrité. Découvreur de talents, patient, c’est au sein de son théâtre que se lanceront Georges Brassens, Jacques Brel, Raymond Devos et une kyrielle d’autres futures célébrités.

19 12 1947                 

Scission CGT/FO. CGT, c’est la Confédération Générale du Travail, FO : Force Ouvrière.

1947                           

23 millions de journées de travail ont été perdues du fait des grèves.

Renault sort sa 4 CV, et la première et importante école de voile s’installe aux Glénan. Dans un petit atelier de Clichy, le baron Marcel Bich, associé à Edouard Buffard, après avoir racheté le brevet du Hongrois Laslo Biró, lance la pointe Bic, inspirée techniquement du stylo Reynolds, mais beaucoup moins cher. Sur le Bic Cristal, l’acier de la bille – 1 mm ∅ – sera remplacé en 1961 par du carbure de tungstène, perforé de petites cavités microscopiques qui se remplissent d’encre. La capacité de la cartouche permet de tracer un trait de 0.4 mm de large sur 2 km de long. La pointe qui enserre la bille est en laiton, sauf dans les pays très humides où un alliage zinc-cuivre-nickel remplace le laiton, qui se corrode.

Commercialisation du four à micro-ondes : c’est un bide  [pour ne pas dire un four], car il mesure près de 2 mètres, pèse plus de 300 kg et coûte plusieurs milliers de $. Il maigrira beaucoup et finira par faire partie de l’électro-ménager d’une cuisine moderne. L’affaire avait commencé 2 ans plus tôt, quand Percy Spencer supervisait aux États-Unis la fabrication de magnétrons, un émetteur utilisé dans les radars de rayonnement de courte longueur d’onde appelé micro-ondes ; un jour, une barre de chocolat qu’il avait en poche avait fondu, sans qu’il en devine la raison. Il soupçonne le magnétron et dépose des grains de maïs à côté de l’appareil… qui deviennent du pop-corn. Le principe du four à micro-ondes était établi.

Première édition chez un petit éditeur, Le Portulan, – sans grand succès –  de Paris et le désert français de Jean François Gravier, géographe ; une seconde édition, en 1953, chez Flammarion, obtiendra en revanche une notoriété importante et durable qui va marquer le début de prise de conscience de l’excès de centralisation et donc de la nécessité d’une décentralisation. Réédité en 1958 puis, quelque peu expurgé, en 1972, le livre deviendra la bible de l’Aménagement. La politique de la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action régionale), depuis 1963, s’en inspirera. Les manuels et les cours de géographie le citeront favorablement pendant cinquante ans.

L’origine de la Datar remonte à un livre publié en 1947 : Paris et le Désert français. Son auteur, Jean-François Gravier (1915-2005), est alors un jeune géographe. Il y explique que la France est un être malade, au corps rachitique et à la tête énorme. Cette tête, c’est Paris, ville-vampire suçant le sang des provinces. La capitale concentre tout le pouvoir économique, universitaire et culturel, capte toutes les élites. Le moloch parisien coûte au pays bien plus qu’il ne rapporte, et tout cela pour entretenir une poignée de bourgeois voltairiens épanouis dans le culte du Veau d’or. Gravier réclame donc que l’on bloque la croissance de la région parisienne pendant dix ans. Et que l’on engage une politique de déconcentration. Pas de décentralisation, attention : les décisions restent prises depuis la capitale. Un vigoureux Etat planiste transférera usines, emplois et universités en province pour y mener une colonisation intérieure. Etrange personnage que ce Jean-François Gravier, nommé en 1941 directeur d’un centre de formation à la propagande, l’Ecole nationale des cadres civiques du Mayet de-Montagne, près de Vichy. À partir de 1947, comme nombre d’anciens vichystes, il profite de la guerre froide et de sa croisade anticommuniste pour réapparaître.

Caricatural et raciste – Gravier veut interdire les grandes villes aux immigrés -, Paris et le Désert français fait pourtant son chemin. En 1958, ce livre devient la doctrine quasi officielle du pouvoir gaulliste, qui décide d‘entraver l’expansion parisienne. Le gouvernement confie à Philippe Lamour (1903-1992) la mission d’élaborer un plan d’aménagement du territoire pour vingt ans. Étrange personnage, lui aussi. Influent et méconnu, cet ancien avocat a adhéré en 1928 au Parti fasciste révolutionnaire et lancé en 1930 la revue Plans, où il exprimait déjà son goût pour les grands projets et le dirigisme. Cet exalté a ensuite viré à gauche et s’est rallié au Front populaire. Après 1945 il a fait du Languedoc un laboratoire du développement : il creuse un canal d’irrigation, remplace les vignes par des pommiers golden et développe le tourisme. En présentant son plan d’aménagement du territoire en 1961, Lamour déclare que la France n’est pas une nation moderne. Pour rattraper l’Allemagne, il faut tout entreprendre à la fois installer le téléphone, construire des hôpitaux, des écoles et des aéroports, préparer le passage au nucléaire, tracer des autoroutes, moderniser le Nord et la Lorraine, arrêter l’hémorragie humaine du Massif central, éviter l’effondrement du Sud-Ouest.

Nommé Premier ministre en 1962, Georges Pompidou applique ce plan à sa manière : il crée en 1963 la Datar, gérée par Olivier Guichard. Ce fidèle gaulliste vient de passer trois ans à aménager le Sahara : le désert, il connaît… Mais le bouillonnant Lamour parvient à se hisser à la tête d’un nouvel organisme, la Commission nationale de l’aménagement du territoire (que rejoint Gravier), d’où il va alimenter Guichard en idées. Telle est l’ère gaullienne, inextricable sac de nœuds administratif. Selon le géographe Jean-Robert Pitte, les grandes orientations de la Datar doivent beaucoup à Lamour, père de l’aménagement du territoire : la création de métropoles d’équilibre (Bordeaux Lille, Lyon, Marseille, Nantes…), mais aussi le productivisme agricole dévastateur ou les loisirs de masse, incarnés par la station balnéaire de la Grande-Motte, au bord des plages languedociennes, construite par Jean Balladur, dans le cadre de la mission Racine.

Depuis ses bureaux au pied de la tour Eiffel, la Datar, commando d’experts pour les uns, État dans l’État pour les autres, contraint les ministères à établir des prévisions d’investissements région par région. Elle finance l’équipement des métropoles d’équilibre, la construction de routes en Corse, de lycées techniques en Bretagne ou remembrement agricole en Corrèze. Elle a un droit de regard sur toute création de zone industrielle. Mais un troisième personnage perturbe cette belle planification : Paul Delouvrier (1914-1995). En 1961, le général de Gaulle charge ce haut fonctionnaire, figure de la Résistance, de mettre de l’ordre dans le bordel de la banlieue. Voilà donc Delouvrier chef du district de la région parisienne, l’ancêtre du Grand Paris. Abasourdi, ce super-préfet découvre que Gravier a commis la grande erreur de sous-estimer la reprise démographique. À cause de son livre, le gouvernement s’est trompé : vouloir stabiliser l’agglomération parisienne à huit millions d’habitants est perdu d’avance. Quoi qu’il arrive, elle en aura douze à seize millions en 2000 (ce que les faits ont confirmé). Et sa croissance n’entravera pas celle des grandes métropoles françaises.

Soutenu par de Gaulle, Delouvrier crée alors en urgence, et presque en solitaire, des villes nouvelles autour de Paris. Pas des cités-dortoirs jetées au hasard, mais de véritables villes structurées et équipées : Evry, Marne-la-Vallée, Cergy… Il a contre lui la Datar, qui continue de délocaliser les entreprises. Elle verse des subventions à celles qui déménagent, et instaure une redevance pour celles qui veulent s’installer autour de Paris, même dans les villes nouvelles. Au début des années 1970, la situation vire à l’absurde : le chômage explose dans les banlieues ouvrières, à tel point que le Parti communiste réclame l’interdiction de la Datar. Même le gaulliste Georges Gorse, maire de Boulogne-Billancourt, accuse l’administration d’organiser le désert dans la région parisienne, que les industries abandonnent en vendant fort cher leurs terrains à des promoteurs. Il n’empêchera pas Renault de quitter l’île Seguin.

En vingt ans, la Datar aura déplacé un demi-million d’emplois. Elle a eu de bonnes idées, comme les parcs naturels, et d’autres moins brillantes, comme l’installation d’une aciérie à Fos-sur-Mer quand la sidérurgie entrait en surproduction. Elle a profité à la côte Atlantique, à un triangle Genève-Nice-Toulouse, mais n’a pas évité la déprime du Nord-Pas-de-Calais, de la Lorraine, et d’un gros quart central du pays. Si elle est à l’origine du TGV, elle n’a pas eu le pouvoir d’en tracer les lignes. À partir de la crise de 1974, elle joue les Canadairs en arrosant de subventions les régions économiquement sinistrées. Elle perd encore de son influence après 1981 et la décentralisation mitterrandienne, qui donne enfin une véritable autonomie aux régions. En 1985, elle finit par admettre que Paris ne vit pas aux dépens de l’Hexagone : chaque Parisien verse au pays beaucoup plus d’impôts qu’il n’en reçoit.

En 1993, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, tente de la relancer, suivi de Nicolas Sarkozy dans les années 2000 : deux obsédés du territoire et de l’identité nationale… La Datar a été dissoute en 2014.

Xavier de Jarcy. Télérama 3539 du 8 11 2017

Quelles que soient les objectifs de la Datar, l’EDF poursuit ses travaux de barrages hydrauliques : dès 1884, dans la Haute Vallée pyrénéenne d’Aure elle avait utilisé les eaux du lac glaciaire d’Orédon – 1856 m – puis, en 1901, celles du lac d’Aumar – 2203 m -, puis en 1908, les eaux du lac de Cap de Long – 2161 m – pour 7 millions de m³. Toutes ces eaux alimentaient le canal de la Neste, en vallée d’Aure. EDF commence alors les travaux d’un barrage-voûte de plus de 100 mètres de haut sur le lac de Cap de Long pour porter la contenance du lac de 7 à 67 millions de m³. Les travaux dureront jusqu’en 1954, allant jusqu’à employer 6 000 personnes ! Les eaux alimenteront la Centrale de Pragnères, 10 km à l’ouest, en aval de  Gèdres sur le Gave de Gavarnie, par une galerie souterraine de 10 km. 

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Juin 2011

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Dans un registre plus spécialisé, le chanoine Fernand Boulard 1898 -1977, fait paraître dans Les Cahiers du clergé rural une Carte de la pratique religieuse dans la France rurale où il apparaît que les régions les plus pratiquantes sont la Bretagne, le sud-est du Massif central jusqu’au Rhône, de la Bourgogne au pays Basque, à l’exception du Languedoc-Roussillon, et, sur des surfaces moindres, la Savoie, le Dauphiné, le Jura, l’Alsace-Lorraine et le Nord. La part la moins pratiquante, c’est donc le reste, à savoir, en gros, une très large bande des Ardennes à la côte atlantique de part et d’autre de Bordeaux. Quarante ans plus tard, l’américain Timothy Tackett établira une autre carte de France, établie sur des données de 1791 qui donne la répartition géographique des prêtres assermentés – ceux qui avaient prêté serment à la Constitution civile du clergé – et les autres : les réfractaires – ceux qui avaient refusé de prêter serment -. Et il se trouve que les deux cartes correspondent largement. Certes, on aurait pu s’en douter, mais les deux travaux en apportent confirmation.

Invention du transistor et des premiers semi-conducteurs par les Américains W. Schockley, John Bardeen et Walter Brattain, employés de la Bell Telephone Company : la miniaturisation ainsi permise va entraîner un accroissement considérable de la diffusion des postes radio.

Michael Kalachnikov, 28 ans, s’ennuie dans un hôpital où l’a envoyé une blessure de guerre : il fait les plans de l’A K 47, qui va rapidement dominer le marché des armes légères en inondant tous les pays du monde où des hommes ne savent faire autre chose que manier la gâchette. On en comptera 100 millions d’exemplaires en 2007, dont un bon nombre fabriqués par les 30 sociétés qui fabriquent de la contrefaçon ; mais qu’importe pour les utilisateurs, l’essentiel c’est que la contrefaçon tue aussi bien que l’authentique.

La Chine nationaliste revendique un territoire très étendu en mer de Chine méridionale, une démarcation connue sous le nom de ligne à neuf traits, en forme de langue de bœuf.

La diplomatie américaine a imposé le strict respect de la ligne de partage des eaux pour les rectifications de frontière en Europe : ainsi La Brigue et Tende, dans l’arrière pays niçois redeviennent elles françaises ; une exception à la règle : la Vallée Étroite, dont les eaux coulent vers l’Italie, au nord de la Névache, qui redevient française : la principe de réalité reprendra vite le pas sur la sottise : quelques vingt ans plus tard, toute l’économie de la Vallée étroite sera italienne, le Club Alpin Italien aura remplacé le Club Alpin Français etc…

Bien éloignés de ces querelle de frontières, les Américains lacent un programme secret de surveillance du territoire de l’URSS, nommé Mogul : des ballons sonde lâchés par grappe dans la stratosphère surtout pour surveiller leur avancement en matière nucléaire. Après son alliance durant la guerre avec le Bund – où se retrouvaient les américains d’origine allemande et de sympathie nazie – le Ku Klux Klan est mis en liquidation judiciaire, et il intègre la liste des organisations dites subversives ; mais ce qui lui fera le plus de mal sera le combat que mènera Superman contre une organisation qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau.

Il ne fait jamais bon arriver en avance et les éclaireurs restent le plus souvent des inconnus : ainsi de Willanny Harris pour le rock, qu’il chante fort bien… mais la mise et la gloire seront raflées sept ans plus tard par The King, Elvis Presley.

Maurice Genevoix, académicien,  tient un rôle officieux d’ambassadeur de la culture française. Après avoir longuement parcouru le Canada, anglais comme français, il fait une tournée de conférence en Afrique francophone, avec une incursion au Nigeria, anglophone. De son passage à Rufisque, au Sénégal, il rapporte la dissertation d’une élève de quatrième année d’École Normale, alors destinée à former des institutrices.

On est dans une école d’infirmières ; la dissertation avait pour titre Ma petite patrie et poursuivait avec deux vers de Châteaubriand, s’arrêtant avant que n’apparaisse le mot France.

Combien j’ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance…

Elle peut avoir 22, 24 ans ; les premières lignes indiquent qu’elle est Sénégalaise. Elle évoque un quartier de Dakar, bâti face à la mer, sur des collines brunes, des baraques rouges et grises, de hauts arbres qui se lèvent çà et là. Et tout de suite affluent les souvenirs : …ma petite enfance, plus pure que la farine de mil, plus ardente que les insectes des champs. La vie était belle, belle la lumière des sentiers où vibrait l’orchestre des métiers. Dans les cours, les femmes pilaient le mil. La chanson nourricière du pilon dans le mortier, la beauté noire et brillante des pileuses mettaient dans mon cœur de la joie. Je songeais au couscous mêlé de lait frais, le lait pur, le lait blanc des gourdes…

C’est ensuite l’école coranique, simple cour, vaste et pierreuse qu’ombrage un bentennier touffu, le maître, vieux marabout paralytique, borgne, édenté, que ses élèves appellent le Monstre. Je me revois, avec mon petit pagne bleu, l’ardoise battant sur mes cuisses demi-nues.  On court follement, à travers les filaoyers, pour boire au puits d’un vieux jardinier, importuné par l’essaim des fillettes, qu’il chasse sans cesse et qui sans cesse reviennent. On s’affronte  en des luttes terribles où les corps s’enlacent, se meurtrissent, où les plus habiles, les plus fortes jettent sans pitié leurs adversaires à terre. Mais je connaissais aussi les douceurs des hivernages premiers de la vie : la pluie… L’eau mouillait la terre. La terre sous mes pas s’enfonçait. Je courais, nue, sous les gouttes d’eau qui s’écrasaient contre mon dos. Quel enfant de ma race n’a senti cette joie, n’a point connu l’ivresse de boire l’eau qui tombe du ciel, de la sentir lui caresser la peau, glisser jusqu’à ses mollets ? Les arbres frissonnaient de froid, les oiseaux de peur. Mais moi, enfant terrible, je gambadais…

Douceur aussi des jours de fête, des fêtes de Tabaski. Que vînt le matin ! J’allais laver les moutons de mon grand-père. J’adorais la viande grillée, chaude et poivrée, avec un peu de sel… Le soir, j’étais parée comme une reine. Les médailles d’or dans mes cheveux tressés, les perles de corail brun à mon cou, mes pieds teints au henné dans des babouches dorées, me voilà dans les rues en quête de compliments flatteurs.

Vers trois heures, il y avait tam-tam. Sons retentissants des tabalas, non plus les tabalas des balles, mais les tabalas des fêtes, mêlés aux chants cadencés… Leste, souple, je m’élançais comme mes sœurs. Pouvoir étrange du tam-tam où la musique est mouvement, le mouvement musique. Le sang bouillonnait dans mes veines. Je sautais, je dansais. Je sentais mon ventre qui saillait ou qui s’enfonçait dans mes reins. J’avais huit ans et je criais : Tam-tam, emporte-moi !

Puis vint mon père, vint l’école et prit fin ma vie libre et simple. On a blanchi ma raison, mais ma tête est noire. Mais mon sang inattaquable est demeuré pur, comme le soleil, pur, vierge de tout contact. Mon sang est resté païen dans mes veines civilisées et se révolte et piaffe au son des tam-tams noirs. Toujours je veux danser, toujours danser, encore danser. Les souvenirs de ma petite patrie aujourd’hui cassée, façonnée, aplatie, transformée en une route qui mène à la boucherie de Dakar, les souvenirs de ma petite patrie font vibrer mon âme, plus que le doigt du diali la corde de son halem. Revivre les douceurs vécues ! Revivre la beauté ardente et forte qui n’est plus que souvenir !

Pour élogieuse qu’elle soit de la qualité grammaticale de la langue apprise, cette dissertation ne reflète pas vraiment la situation générale de l’enseignement dans les colonies d’Afrique : pendant de très longues années, dès le début du siècle, l’enseignement a souffert de l’anticléricalisme de l’administration qui n’a pas laissé aux missionnaires la possibilité de dispenser leur enseignement, situation que n’ont pas connu les colonies anglophones : En 1949-1950, 6% seulement des enfants de l’AOF en âge d’aller à l’école étaient scolarisés, contre 16 % au Nigeria, 26 % au Kenya, et 33 % au Congo belge.

John Iliffe. Les Africains. Flammarion 2016

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[1] En 2016, le Commonwealth comptera encore 53 pays : http://thecommonwealth.org/member-countries

[2] Alain Daniélou oublie, volontairement ou non et comme tant d’autres,  de mentionner un troisième homme de poids dans le gouvernement Nehru : Bim Rao Ambedkar, ministre de la Justice et président du comité en charge de la rédaction de la Constitution. Intouchable, il était parvenu à faire des études supérieures.

[3] Le lac puant, selon les géographes arabes, en raison de l’extraction du bitume

[4] Un village de potiers… c’est l’interprétation la plus récente (2005). La dissociation entre les origines de ce village et les manuscrits eux-mêmes va très loin, car elle banalise en quelques sorte ces manuscrits, dont l’existence dans ces grottes ne peut plus être alors attribuée aux seuls Esséniens, mais à nombre de synagogues proches du lieu et désireuses de mettre leurs documents les plus précieux à l’abri des Romains qui arrivent en 68.

[5] En référence à Veki dem Ben Gourion, un des dirigeants de Jérusalem, avant la révolte contre les Romains, en 66 ap. J.C.