1° mai 1993 au 7 avril 1994. Suicide de Pierre Bérégovoy. Alassane Ouattara, le second plus grand voleur de l’Afrique. Génocide au Rwanda. 17420
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Publié par (l.peltier) le 23 août 2008 En savoir plus

1 05 1993  

Pierre Bérégovoy, successeur d’Édith Cresson au poste de 1° ministre depuis le 2 04 92, se suicide, alors que vient de commencer la 2° cohabitation, avec Balladur comme 1° ministre, en poste depuis quelques  semaines seulement, après la victoire de la droite aux dernières législatives, le 28 mars. L’affaire de son emprunt auprès de Roger Patrice Pelat – 1 million de francs sans intérêt en 1986 -,  au vu de la personnalité douteuse du prêteur avait déjà fait l’objet d’une instruction du juge Jean-Pierre qui avait découvert des malversations en veux-tu en voilà dans les comptes de Roger Patrice Pelat. Au Monde, c’est Edwy Plenel qui s’était chargé de l’affaire, mais surtout, le Canard enchaîné qui, en février 1993 avait ressorti cette affaire, marquant le début de la hantise d’un procès, s’ancrant dans l’affectif du ministre jusqu’à en devenir inguérissable, obsessionnel, jusqu’à son suicide. On entendra tout en guise d’éloges funèbres, du dérapage non contrôlé ou pour le moins d’un parfait mauvais goût, chez Régis Debray, aux blablas de Mitterrand, faux-cul as usual :

Quand vous êtes Laurent Fabius ou Édouard Balladur, vous avez tout un tas d’étais, comme les études, le milieu social ou les amis, pour vous protéger et vous aider à avoir de la distance. Pierre Bérégovoy s’est construit par sa seule force. Sans diplôme et sans appui. Le seul élément de certitude, dans ce cas, c’est la réussite. L’échec se révèle dévastateur.

Denis Olivennes. Directeur de la FNAC

Contrairement à ce que laisse entendre Guy Olivennes, Pierre Bérégovoy n’était pas vraiment issu d’un milieu populaire acculturé : son père avait été un officier russe, ukrainien pour être plus précis ; qu’il ait servi le tzar ou la révolution ou l’une après l’autre, peu importe car, de toutes façons, cela suppose un niveau culturel certain à la maison, à défaut de standing social, certes beaucoup plus incertain… en témoignent les nombreux russes blancs, souvent aristocrates, devenus chauffeurs de taxi à Paris.

Comment deviner, sous ses faux airs de bourgeois gentilhomme, la guerre de Pierre et de Bérégovoy ? Peut-être ce dernier n’avait-il plus la force de regarder dans les yeux le cheminot, lorsqu’ils se sont retrouvés entre chair et cuir. On porte tous en nous le cadavre d’un petit maquisard maigre dont la décomposition finit par nous asphyxier. FFI à 17 ans, cela doit faire chez un nouveau Pinay, une drôle de puanteur. Pire que d’être trahi : se trahir et rester seul, en tête à tête avec celui qui a réussi – et trop grossi. Celui qui festoie Chez Edgar avec les milliardaires, prend des mines graves pour débiter les dernières idées reçues et fait le beau devant les chiens du  Wall Street Journal. Seul à Nevers, entre les bistrots et les clubs de canoë-kayak, plus de faux-fuyants, fini le si commode quel agenda épouvantable, si vous saviez ! La minute de vérité ?

Régis Debray

Je serai juge ou journaliste, je ne dormirais pas bien ce soir. Il a été accablé par une injustice personnelle insupportable. Je pense que cet événement devrait permettre à certains, qui participent à la vie publique, de faire leur examen de conscience.

Michel Charasse, sénateur du Puy de Dôme

Mercredi, Charasse m’avait averti : s’il trouve une arme, il se tuera. Quand on est dans l’état où était Bérégovoy, il n’y a plus rien à faire. C’était obsessionnel. J’ai bien essayé de le joindre, de le voir. Il ne pouvait pas samedi. […] Je n’ai rien pu faire. On ne peut rien faire quand un homme est dans cet état. Il faut bien mourir un jour, mon cher Pasqua.

[…] Pierre Bérégovoy était miné. Obsédé. Et quand j’entends dire qu’il a été seul cela me révolte. On ne lui remontait le moral qu’un quart d’heure. Je lui ai souvent parlé et je me suis aperçu que l’effet de ces mots rassurants était bref… Dites vous bien que c’est un assassinat politique ! Ce sont des mots qui l’ont tué, et pas autre chose ! Les mots ! Lorsqu’ils mettent en cause l’honneur, la dignité, l’intégrité d’un homme politique, ce sont comme des poignards qui s’enfoncent dans son cœur. Cela le touche profondément, moralement. D’une défaite électorale, on se relève. D’une mise en cause de son honneur, lorsqu’elle est publique et répétée, on peut en mourir !

[Place de la République de Nevers, où lui sont rendus les honneurs] Je parle au nom de la France lorsque j’exprime ici le chagrin que nous cause la mort d’un homme dont chacun savait ou percevait la qualité, qualité rare faite de courage, de désintéressement, de dévouement au bien public. […] Toutes les explications du monde ne justifient pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous.

L’émotion, la tristesse, la douleur qui vont loin dans la conscience populaire depuis l’annonce de ce qui s’est passé samedi en fin de journée près de Nevers, sa ville, notre ville, au bord du canal où il était souvent venu goûter la paix et la beauté des choses, lanceront-elles le signal à partir duquel de nouvelles façons de s’affronter tout en se respectant donneront un autre sens à la vie politique ? Je le souhaite, je le demande et je rends juges les Français du grave avertissement que porte en elle la mort voulue de Pierre Bérégovoy.

François Mitterrand

Quelque semaines plus tard se tiendra le procès Péchiney, mettant en cause des collaborateurs de Pierre Bérégovoy : L’ancien Premier ministre Pierre Bérégovoy n’aurait peut-être pas été appelé à témoigner, mais son nom eut été fréquemment cité puisque son ancien directeur de cabinet Alain Boublil est au banc des accusés. L’ami de guerre du président de la République eut été assis au même banc si la mort ne lui avait évité cette épreuve. Comment expliquer des liens entre des personnages aussi dissemblables que ceux qui se sont illustrés dans cette véritable affaire du Collier de la Reine de la décennie 90, avec Samir Traboulsi dans le rôle de Cagliostro, Roger Patrice Pelat en émule masculin de la comtesse de la Motte, Pierre Bérégovoy étant aussi innocent et dupe que le cardinal de Rohan ? Beaucoup de contemporains de la Révolution française eurent des soupçons sur l’attitude de la reine Marie-Antoinette. Pourra-t-on à l’issue de ce procès évacuer tous les mystères qui subsistent, à commencer par celui-ci : qui était le destinataire réel des opérations de Roger Patrice Pelat en Suisse ?

Gérard Carreyrou. Profession politique du 4 juin 1993

Pierre Bérégovoy | Gouvernement.fr

6 05 1993   

Georgina Dufoix, déjà impliquée dans l’affaire du sang contaminé, est menacée de Haute Cour dans l’affaire Trager (fourniture d’équipements hospitaliers selon des procédures plus que douteuses) : elle démissionne de ses dernières fonctions officielles, notamment la présidence de la Croix Rouge Française, laissant à la postérité une formule désormais célèbre, illustrant bien l’ambiance de l’époque : je me sens responsable mais  non coupable : la formule avait en fait été empruntée à Albert Camus qui , dans le mythe de Sisyphe, prête ces mots à l’esprit pénétré d’absurde : Toutes les morales sont fondées sur l’idée qu’un acte a des conséquences qui le légitiment ou l’oblitèrent. Un  esprit pénétré d’absurde juge seulement que ces suites doivent être considérées avec sérénité. Il est prêt à payer. Autrement dit, si, pour lui, il peut  y avoir des responsables, il n’y a pas de coupables.

28 05 1993   

Le scrutin organisé au Cambodge par l’APRONUC, (opération de l’ONU au Cambodge) donne 45,3 % des voix au parti royaliste de Norodom Sihanouk.

Rwanda : nouveaux accords à Arusha, prévoyant la constitution d’une armée nationale unifiée rassemblant les forces armées rwandaises et les combattants du FPR. Assassinat d’Emmanuel Gapyisi, dirigeant hutu du Mouvement démocratique républicain (MDR), principal parti d’opposition. Accord FPR-gouvernement sur le retour des déplacés de guerre.

4 06 1993   

La résolution 836 du Conseil de Sécurité de l’ONU prévoit qu’un million de musulmans de Bosnie seront protégés dans les six zones de sécurité.

16 06 1993  

Milosevic, président de la Serbie de Belgrade, et Tujman, président de la Croatie, s’entendent sur le découpage  sur une base ethnique de la Bosnie dans un cadre confédéral.

06 1993

Au Burundi, élection pour la première fois d’un président Hutu, Melchior Ndadaye.

1 07 1993    

Le norvégien Erling Kagge termine sa traversée de l’Antarctique en solitaire à skis ; il est parti de Berkner Islands 52 jours plus tôt et a fait 1 340 kilomètres.

Erling Kagge - Kagge

13 07 1993  

Dans le procès du sang contaminé, la 13° chambre de la cour d’appel de Paris confirme le jugement d’octobre 92 : Les docteurs Garetta et Allain sont condamnés à 4 ans de prison dont 2 fermes, le docteur Roux, à 3 ans avec sursis, et le Docteur Netter à un an avec sursis. L’indemnisation des familles des victimes passe de 9 à 15 M. F.

4 08 1993     

Le Rwanda Hutu et le Rwanda Tutsi signent les accords d’Arusha, en Tanzanie, qui doivent parvenir à la fusion des armées de chaque peuple. La fonction présidentielle est vidée de sa substance, ses pouvoirs revenant à un gouvernement de transition nommé par les partis politiques destinés à en être les membres. Mais les partis vont vite se scinder en deux : les pro Arusha et les anti-Arusha.

21 08 1993 

Arrivé en vue de Mars, la sonde Observer devient muette.

28 08 1993

La durée des cotisations pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein passe de 150 à 160 trimestres. Le calcul de la pension portera désormais sur les 25 meilleures années de salaire annuel au lieu des 10, antérieurement.

30 08 1993 

Hassan II inaugure à Casablanca la 2° plus grande mosquée du monde, construite par Bouygues.

Mosquée Hassan II - Casablanca (Maroc) | Mini Pin's ...

08 1993

Sur le territoire du Rwanda, début des émissions incendiaires de la Radio-Télévision libre des Mille Collines (RTLM).

5 09 1993    

Face à la levée de boucliers de gauche, François Bayrou, ministre de l’Éducation Nationale, retire sine die son projet de révision de la loi Falloux, qui aurait permis de libérer des financements pour l’enseignement privé par des collectivités locales.

15 09 1993  

Padre Giuseppe Puglisi – Pino – curé de la paroisse de San Gaetano dans le quartier palermitain de Brancaccio, osait depuis longtemps exhorter ses paroissiens à  résister à la mafia ; peu nombreux étaient alors les prêtres qui osaient cela : il est assassiné sur le devant de sa porte par  Salvatore Grigoli, accompagné de trois autres mafieux. Ils ne sont pas entrés par effraction, mais ont tout simplement sonné à la porte ; quand padre Pino leur a ouvert et a réalisé la suite, il a leur dit : Je m’y attendais. Ce furent ses derniers mots : il avait 56 ans. Giuseppe et Filippo Graviano, du Brancaccio, les commanditaires du crime, seront condamnés à la prison à perpétuité, en 1999 et 2001. Les jours suivants virent les Palermitains dans la rue, nombreux, manifester aux cris de Palerme est aux Palermitains, pas à la mafia.

La sfida di Don Pino Puglisi "alla luce del sole" | L'Ettore

13 09 1993   

Rabin et Arafat scellent les accords de paix par une poignée de main  sur le parvis de la Maison Blanche, sous les yeux ravis de Bill Clinton.

21 09 1993     

Boris Eltsine rend public le décret qui suspend les activités du Soviet suprême et les déclare illégales. L’assemblée réplique en ordonnant la destitution du Président  et son remplacement par le général Routskoï. Il rappelle Iégor Gaïdar, qu’il nomme au poste de vice-premier ministre et ministre de l’économie jusqu’à sa démission en janvier 1994.

24 09 1993 

Norodom Sihanouk rétablit la monarchie au Cambodge, et l’APRONUC (opération de l’ONU au Cambodge) s’en va.

3 et 4 10 1993

L’armée russe tire au canon sur la Maison Blanche, le Parlement russe, pour contraindre les rebelles à en sortir. Les principaux leaders de la rébellion, Routskoï et Khasboulatov, sont emprisonnés. Ils seront libérés quatre mois plus tard. Les combats ont fait officiellement 187 morts, 327 blessés dans la capitale ; les communistes avancent le chiffre de 2000 morts.

14 10 1993 

Nobel de la paix à Nelson Mandela et Frédérik de Klerk.

19 10 1993  

Choix du site de Saint Denis pour la construction du Grand Stade pour la coupe du monde de 1998. Le 5 10 1994, l’opération sera confiée aux architectes Macary Zubléma associés aux groupes Bouygues – Dumez – SGE .  Jean Nouvel ne sera pas du tout content d’avoir été éliminé de ce concours et le fera savoir à la cour européenne de justice. Le chantier sera achevé en novembre 1997. Propriété de l’État à hauteur de 49 % , il fait l’objet d’une concession jusqu’en 2025 au consortium du stade ; il aura coûté 2,7 milliards de F, et offre 80 000 places pour le foot et le rugby ; on peut enlever pour 400 000 à 600 000 F les 20 000 places les plus proches pour des compétitions d’athlétisme, si elles durent au moins 3 semaines. 36 enceintes suspendues à la toiture permettront d’accueillir 105 000 spectateurs de concerts, la star se trouvant filmée sur deux écrans de 120 m². La toiture pèse  13 000 tonnes (1,5 fois celui de la Tour Eiffel) et devrait résister à 5 m de neige et à des vents de 180 km / h. Il vaudra mieux venir en RER car il n’y a que 6 000 places de parking.

Les abords du Stade de France en pleine mue | Les Echos

21 10 1993 

Les Tutsi du Burundi assassinent le premier président hutu démocratiquement élu, Melchior Ndadaye, développant ainsi chez les Hutus du Rwanda le sentiment que les Tutsis n’accepteront jamais le vote démocratique : les deux forces démocratiques du Rwanda – FPR tutsi et MRND hutu ne croient plus à une solution politique et développent des stratégies de tension.

25 10 1993    

L’équipe de chercheurs américains du Docteur Jerry Hall réussit à fabriquer un clone d’embryon humain (reproduction à l’identique).

10 1993 

Au Burundi, assassinat de M. Ndadaye, le premier président hutu du Burundi. La résolution n° 872 du Conseil de sécurité crée la MINUAR (Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda) composée de 2 500 Casques bleus et observateurs militaires.

1 11 1993 

Entrée en vigueur du Traité sur l’Union Européenne.

12 11 1993 

Luc Montagnier, de l’Institut Pasteur, s’oppose à Robert Gallo, américain, sur la paternité de la découverte du virus du Sida.

18 11 1993 

François Mitterrand inaugure l’aile Richelieu du Grand Louvre.

2 12 1993    

Pablo Escobar, un des patrons de la drogue du Cartel de Medellin, est abattu : sa tête était mise à prix pour 10 M. $.

7 12 1993   

Mort de Félix Houphouët Boigny, président de la Côte d’Ivoire. Son immense fortune, on parle de plus de 10 milliards $, venue de ses plantations de cacao est gérée par Dominique Ouattara, née Nouvian, PDG de AICI international, un groupe de gestion immobilière qui emploie plus de 250 personnes. Son premier mari, Jean-Marie Folloroux est mort en 1984 et elle a épousé Alassane Ouattara, le futur président de la Côte d’Ivoire, en 1991. Haut-fonctionnaire international ayant occupé des postes de direction à la BCEAO puis au FMI, il a été premier ministre d’Houphouët Boigny de 1990 à 1993, période pendant laquelle il a mis en place un processus de siphonnage des droits d’importation et d’exportation de la Côte d’Ivoire, dont une part allait sur des comptes personnels. Quand la veuve d’Houphouët Boigny s’enquerra de la fortune de feu son mari, elle ne trouvera plus rien : mais où est passé l’argent ? Élu à la présidence de la République en 2011, Alassane Ouattara aura amassé une fortune de près de 27 milliards $ en quatre ans de pouvoir. Si l’on cherche le rang qu’il occupe dans les grandes fortunes africaines, on ne le voit nulle part, et pourtant, il dépasse la plus grande fortune africaine, le nigérian Aliko Dangote, d’à peu près 10 milliard $ ! Ici comme ailleurs, les femmes sont toujours loin derrière : Isabel dos Santos, fille de l’ancien président de l’Angola serait en 2017 à 3.7 milliard $, là encore de l’argent détourné. On ne trouve pas non plus Alassane Ouattara dans le classement des fortunes mondiales où il devrait occuper entre la 20° et la 25° place. Si sa fortune avait été le fruit normal d’une entreprise successfull dont il aurait été le père, très bien, on n’aurait pu qu’applaudir, mais il ne s’agit en l’occurrence que de pillage régulier dans les deniers de son pays et ceux de l’ancien président ! Tout de même loin derrière Kadhafi, dont la fortune est estimée à 150 milliards $ [1].–  Alassane Ouattara est le second plus grand voleur d’aujourd’hui et personne ne dit rien !

Titrologie 26 mars 2020 : revue de la presse ivoirienne ...

12 12 1993 

Une nouvelle Douma russe est élue, à majorité conservatrice ; la Constitution est adoptée.

13 12 1993  

À 102 ans, Antoine Pinay tire sa révérence. Ministre des finances en 1952, il parvint à ramener l’inflation de 23 à 3 %. Ces mesures entraînèrent inévitablement un ralentissement de la croissance industrielle, et donc des rentrées fiscales ; le déficit du budget fut multiplié par 4, ce qui l’incita à lancer le fameux Emprunt Pinay – fameux  parce qu’indexé sur l’or, ce qui lui valut un rendement plus qu’intéressant. La légende Pinay  voulut oublier les revers de la médaille et ne se souvint que de l’endroit : Edouard Herriot, ancien maire de Lyon, disait de lui : il est imbattable : il a la tête d’un électeur.

15 12 1993   

La France fait prévaloir l’exception culturelle dans les négociations du GATT.

12 1993 

Au Rwanda, les combats entre les FPR des Tutsis et les forces régulières Hutu entraînent le départ du Nord Est du Pays de 600 000 Hutus, en violation des accords d’Arusha, signés au mois d’août, qui auraient dû mettre fin aux oppositions entre Tutsi et Hutu au Rwanda. Ils prévoyaient que de nouveaux représentants Hutu et Tutsi seraient incorporés dans le régime, que le FPR aurait une représentation de 40 % dans l’armée – ce qui impliquait de licencier plus de 20 000 militaires Hutu et qui ne pouvait que mécontenter les partisans les plus extrémistes du régime. Après plus de trois ans de présence, les troupes françaises de l’opération Noroît (600 militaires) quittent le Rwanda et laissent la place à la MINUAR. En visite en Ouganda, particulièrement touché par le fléau du sida, Jean-Paul II déclare : la chasteté est l’unique manière sûre et vertueuse pour mettre fin à cette plaie tragique qu’est le sida.

1993   

La création artistique, dernier refuge de l’homme, auquel ne pourra jamais accéder l’informatique et ses algorithmes ? Vraiment ? On peut en douter : David Cope est professeur de musicologie à l’Université de Californie, à Santa Cruz. Il est aussi l’un des personnages les plus controversés du monde de la musique classique. Cope a écrit des programmes informatiques qui composent des concertos, des chorals, des symphonies et des opéras. Il baptisa sa première création EMI (Experiments in Musical Intelligence – Expérimentations en intelligence musicale), dédiée notamment à l’imitation du style de Jean-Sébastien Bach. Il lui fallut sept ans pour créer le programme, mais une fois que ce fut fait EMI composa cinq mille chorals à la Bach en une seule journée. À l’initiative de Cope, quelques-uns furent joués au festival de musique de Santa Cruz. Des auditeurs enthousiastes se dirent émus et expliquèrent tout excités que la musique les avait touchés au plus profond de leur être. Ils ne savaient pas que c’était une création d’EMI, et non de Bach ; quand la vérité leur fut révélée, d’aucuns réagirent par un silence morose, d’autres se mirent en colère.

EMI continua de se perfectionner et apprit à imiter Beethoven, Chopin, Rachmaninov et Stravinsky. Cope obtint un contrat pour EMI, dont le premier album – Classical Music Composée by Computer – se vendit étonnamment bien. Cette publicité lui valut l’hostilité croissante des amateurs de musique classique. Le professeur Steve Larson, de l’Université d’Oregon, mit Cope au défi d’accepter une confrontation musicale. Larson suggéra que des pianistes professionnels jouent trois pièces, l’une après l’autre : chacun une de Bach, une d’EMI et une de Larson. Le public serait ensuite invité à voter pour dire qui avait composé quelle pièce. Larson était persuadé que les gens distingueraient aisément les compositions humaines émouvantes de l’artefact sans vie d’une machine. Cope accepta. Le jour dit, des centaines d’enseignants, d’étudiants et d’amateurs de musique se réunirent dans la salle de concert de l’Université d’Oregon. Un vote eu lieu à la fin du concert. Résultat ? L’auditoire crut que le morceau d’EMI était du Bach authentique, que la pièce de Bach était de Larson, et que celle de Larson était l’œuvre d’un ordinateur.

Les critiques continuèrent de soutenir que la musique d’EMI était techniquement excellente, mais qu’il lui manquait quelque chose. Elle était trop précise, dénuée de profondeur, sans âme. Mais quand les gens entendaient les compositions d’EMI sans en connaître la provenance, ils les louaient souvent précisément pour leur expressivité et leur puissance émotionnelle.

Après le succès d’EMI, Cope créa de nouveaux programmes toujours plus sophistiqués. Le couronnement de son œuvre fut Annie. Tandis qu’EMI composait suivant des règles prédéterminées, Annie se fonde sur l’apprentissage de la machine. Son style musical ne cesse de changer et se développe en réponse aux nouveaux apports du monde extérieur. Cope n’a aucune idée de ce qu’Annie va composer ensuite. En fait, Annie ne se limite pas à la composition mais explore également des formes d’art comme les haïku. En 2011, Cope publia Cornes the Fiery night : 2,000 Haiku by Man and Machine (Vient la nuit ardente : 2 000 haïku de l’homme et de la machine). Les uns étaient d’Annie, les autres de poètes de chair et de sang. Le livre ne révèle pas qui a écrit quoi. Si vous pensez pouvoir faire la différence entre le produit de la créativité humaine et celui de la machine, libre à vous de faire le test : http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/The_future_of_Employment.pdf.

Yuval Noah Harari. Homo deus. Une brève histoire de l’avenir Albin Michel 2017

David Cope, s’il avait un tant soit peu douté que l’Amérique soit le nombril du monde, aurait exporté ses tests de musique EMI par delà les frontières américaines, en commençant par l’Autriche, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne, la Hongrie, Norvège, Suède, Finlande, Estonie, Lituanie, Lettonie, Russie… de Moscou à Vladivostok, Espagne, France, Angleterre, sans se cantonner à son pays qui, dans la plupart des manifestations artistiques à caractère officiel, montre qu’il raffole des imitations de classique, néo-classique, de l’ornementation et qui a fâcheusement tendance à préférer la copie à l’original. Il y a fort à parier que les résultats auraient été beaucoup moins complaisants pour la musique algorithmique…

Bof ! Un ersatz, rien de plus, sans vie, sans étincelle, sans génie. Autrefois, on disait à la manière de… C’est tout juste bon à évacuer le stress dans un ascenseur.

Au début de 1994, au Rwanda, il devient de plus en plus clair que l’accord d’Arusha ne sera pas mis à exécution. Alors que la MINUAR est déployée depuis début novembre 1993 et qu’un contingent du FPR est cantonné à Kigali depuis fin décembre, d’incessants blocages érigés par les deux camps empêchent la mise en place des institutions de la transition. La logique de ces blocages relève surtout de l’arithmétique consociationnelle relevée plus haut : le camp FPR veut à tout prix s’assurer une majorité de plus de deux tiers, le camp MRND essaye de l’en empêcher en s’assurant une minorité de blocage d’un tiers. Chaque bloc étant très proche de son objectif, l’enjeu se réduit finalement à un porte feuille ministériel et à un ou deux sièges de député. Les deux partis se préparent à la reprise de la guerre, notamment en se renforçant d’une façon manifestement contraire à l’accord de paix. L’étincelle adviendra le 6 avril.

Filip Reyntjens. Le génocide des Tutsis au Rwanda. Que sais-je ? 2017

11 01 1994 

Dévaluation du Franc CFA (Communauté Financière Africaine) : 2 Francs valent désormais 200 CFA, contre 100 CFA auparavant.

01 1994   

Au Rwanda, blocage des accords d’Arusha, en raison du refus opposé par la faction présidentielle hutu power de mettre en place un gouvernement de transition élargi au FPR.

3 02 1994   

Le Japon inaugure sa base spatiale de Tanegashima avec la fusée H2 qui peut mettre sur orbite des satellites de 12 390 kg : techniquement, elle concurrence directement la version la moins puissante d’Ariane IV mais à un coût beaucoup plus élevé. Mise en service du Pont de Normandie, le plus grand pont à haubans du monde : 2 pylônes de 215 m, 184 haubans, un tablier central de 815 m pour une longueur  totale de 2 141 m ; le coût est de 2,752 milliards F. Michel Virlogeux a conçu  l’ouvrage : par grand vent, le tablier, profilé comme une aile d’avion inversé est tiré vers le bas. Le développement  des ponts à haubans est à mettre à l’actif du développement simultané de l’informatique.

Et tout cela a l’élégance de la haute couture…  à couper le souffle. Et si l’on veut continuer à avoir le souffle coupé, on peut aller fouiner dans les procédures d’établissement des devis : les appels d’offre ont été pipés et le coût global a été de 80 % supérieur à ce qu’il aurait été dans des conditions légales.

L'installation du mois : Système d'affichage dynamique ...

4 02 1994  

La visite d’Édouard Balladur à Rennes provoque une manifestation de pêcheurs bretons qui protestent contre la baisse des prix du poisson ; bloqués par les CRS devant la préfecture, la manifestation semble être terminée en fin d’après-midi, après quelques jets de pavés qui ont brisé des vitrines. Une fusée de détresse est tirée, qui profite d’une tuile cassée du Palais du Parlement de Bretagne pour atterrir au milieu de la charpente. L’alarme incendie fonctionne correctement, mais le gardien attribue son déclenchement au vent et l’arrête, et ce, à plusieurs reprises. Il faudra le téléphone de témoins de l’extérieur pour que les pompiers interviennent … trop tard pour empêcher le désastre. Le chantier de restauration, d’un coût de 60 millions €, mobilisera pendant dix ans une centaine de restaurateurs, autant de menuisiers et de maçons, tous engagés dans une restauration à l’identique, à l’exception notoire de la charpente qui sera métallique.

L'incendie du palais du Parlement de Bretagne a partiellement détruit ce monument classé de Rennes dans la nuit du 4 au 5 février 1994… | Rennes, Bretagne, Monument

File:Vue sud de la place du parlement de Bretagne, Rennes ...

Rennes - visite du Parlement de Bretagne. - Photos Côte d ...

22 02 1994 

Redémarrage du surgénérateur Superphénix de Creys Malville, arrêté en Juillet 1990. Il avait été inauguré en janvier 1986.

24 02 1994   

Mise en place de CIP (Contrat Initiative Emploi), baptisé par de nombreux opposants  Smic au rabais : il sera retiré le 30 03 1994.

Maire de Paris, Jacques Chirac à répondu à l’invitation au Petit Palais de son ami Jacques Kerchache commissaire d’une exposition sur le peuple Taïno, des indiens des Antilles proches des Arawaks, décimés par les colonisateurs. Petit ennui : Jacques Kerchache, atteint d’un cancer de la gorge, ce jour-là n’a plus de voix, et c’est Jacques Chirac qui le remplace au pied levé pour guider et très abondamment commenter l’exposition pour tous les journalistes présents : et ça dure deux heures ! Sidérés, les journalistes n’en reviennent pas de la maîtrise du sujet de celui qui, en public, dit volontiers que passer pour un inculte me convient très bien.

25 02 1994     

Assassinat de Yann Piat, députée UDF après un premier engagement au Front National. Elle connaissait très bien, trop bien la porosité entre la classe politique locale et le système mafieux  ; elle connaissait toutes les ficelles de financement occulte des partis politiques , vice-présidente de la commission d’urbanisme du Conseil Général du Var, elle connaissait les malversations entourant un projet de vente de la base militaire avec accès à la mer sur Fréjus et Hyères, et cela dérangeait trop de monde. Les exécuteurs du coup seront arrêtés, jugés et condamnés : Gérard Finale, patron du Macama à Hyères, Lucien Ferri, le tueur de Yann Piat, seront condamnés à perpette, Marco Di Carro, le chauffeur de la moto en prendra pour vingt ans, mais les noms des vrais commanditaires seront à jamais tus… il se dit que bien des personnes plutôt proches des condamnés sont proches aussi de Charles Pasqua… de ce moment-là date le début de la fin de la carrière prometteuse de François Léotard… mais…pas de preuves. Quelques uns des témoins les plus importants, comme Delphine Capel, qui connaissait très bien le Macama, disparaîtront rapidement… Les journalistes Jean-Michel Verne et Antoine Rougeot écriront L’affaire Yann Piat, des assassins au cœur du pouvoir,  qui se vendra comme des petits pains jusqu’à ce que les personnes nommément visées, François Léotard, Jean-Claude Gaudin, et Georges Arnaud, chauffeur de Yann Piat, les envoient devant la justice où ils seront condamnés pour dénonciations sans preuves. Ce qui reste du livre chez Flammarion partira au pilon et Antoine Rougeot sera remercié du Canard enchaîné.

Massacre d’Hébron par le Juif intégriste Barusch Goldstein : 29 morts.

02 1994

Les Serbes retirent leurs armes lourdes des environs de Sarajevo, dont le siège aura duré 1 000 jours. Au Rwanda, le leader hutu PSD (Parti social démocrate) Félicien Gatabazi et le dirigeant de la CDR Martin Bucyana sont assassinés. Des violences font plusieurs dizaines de morts.

         1 03 1994             

Accord pour l’entrée de la Suède, Finlande, Autriche, dans la CEE au 1 01 1995.

12 03 1994  

L’Église Anglicane ordonne prêtres 32 femmes.

19 03 1994       7 h 20′

Don Peppino Diana, curé de Casa di Principe, à mi-chemin entre Caserte et la mer, au nord de Naples, est assassiné de cinq balles de revolver par Giuseppe Quadrano, un mafieux commandité par Nunzio de Falco, alors qu’il s’apprêtait à célébrer la messe en son église San Nicola di Bari.

Nous assistons impuissants à la douleur de nombreuses familles qui voient leurs enfants finir misérablement victimes ou commanditaires des organisations de la Camorra. En tant que baptisés dans le Christ, en tant que bergers de la Forania di Casal di Principe, nous nous sentons pleinement investis de notre responsabilité d’être un signe de contradiction. Conscient qu’en tant qu’Église nous devons éduquer avec la parole et le témoignage de vie à la première béatitude de l’Évangile qui est la pauvreté, comme un détachement de la recherche du superflu, de tout compromis ambigu ou privilège injuste, comme service au don de soi, comme expérience généreusement vécu dans la solidarité.

[…] La Camorra est aujourd’hui une forme de terrorisme qui inspire la peur, impose ses lois et tente de devenir une composante à part entière de la société campanienne. Les membres de la Camorra mettent en place par la violence, armes au poing, des règles inacceptables : des extorsions qui ont vu nos territoires devenir de plus en plus des zones subventionnées, aidées sans aucune capacité propre de développement ; des dessous de table de 20% voire plus sur des travaux de construction, ce qui découragerait l’entrepreneur le plus téméraire ; trafic illégal de stupéfiants dont la consommation produit une jeunesse marginalisée et de la main-d’œuvre à la disposition des organisations criminelles ; des affrontements entre différentes factions qui s’abattent sur nos terres comme de véritables fléaux dévastateurs ; de mauvais exemples pour tous les adolescents, véritables laboratoires de violence et de crime organisé.

Il est désormais clair que l’effondrement des institutions civiles a permis l’infiltration du pouvoir de la Camorra à tous les niveaux. La Camorra comble un vide du pouvoir étatique qui, dans les administrations périphériques, se caractérise par la corruption, la lenteur et le favoritisme. La Camorra représente un Etat déviant parallèle à l’Etat officiel, mais sans bureaucratie et intermédiaires qui sont le fléau de l’Etat légal. L’inefficacité des politiques de l’emploi, des soins de santé, etc… ne peuvent que créer la méfiance chez les habitants de nos pays ; un sentiment d’inquiétude qui se renforce de jour en jour, la protection insuffisante des intérêts et des droits légitimes des citoyens libres ; les lacunes aussi de notre action pastorale doivent nous convaincre que l’action de toute l’Église doit devenir plus claire et moins neutre pour permettre aux paroisses de redécouvrir ces espaces pour une mission de libération, de promotion humaine et de service. Peut-être que nos communautés auront besoin de nouveaux modèles de comportement : certainement des réalités, des témoignages, des exemples, pour être crédibles.

Notre engagement prophétique de dénoncer ne doit pas et ne peut pas échouer. Dieu nous appelle à être des prophètes.

  • Le Prophète agit comme une sentinelle : il voit l’injustice, la dénonce et rappelle le plan originel de Dieu (Ezéchiel 3,16-18);
  • Le Prophète se souvient du passé et s’en sert pour voir ce qu’il y a de nouveau dans le présent (Esaïe 43);
  • Le Prophète nous invite à vivre et vit lui aussi la solidarité dans la souffrance (Genèse 8,18-23);
  • Le Prophète indique la voie de la justice comme une priorité (Jérémie 22: 3 – Isaïe 5)

Conscients que notre aide au nom du Seigneur en tant que croyants en Jésus-Christ qui à la fin de la nuit, il s’est retiré sur la montagne pour prier, nous réaffirmons la valeur d’anticipation de la prière qui est la source de notre espérance.

Aujourd’hui, nos Eglises ont un besoin urgent de visions articulées pour mettre en place des plans pastoraux courageux, adhérant à la nouvelle réalité ; en particulier, ils devront promouvoir des analyses sérieuses sur le plan culturel, politique et économique, impliquant des intellectuels trop absents de ces blessures. Nous demandons à nos prêtres, pasteurs et confrères de parler clairement dans leurs homélies et à toutes les occasions où un témoignage courageux est requis. A l’Église qu’elle ne renonce pas à son rôle prophétique afin que les instruments de dénonciation et de révélations soient en mesure de produire une nouvelle conscience habitée par la justice, et par des valeurs éthiques et civiles (Lam. 3,17-26) . Dans quelques années, nous ne voudrions pas nous battre la coulpe et dire avec Jérémie Nous sommes restés loin de la paix … nous avons oublié le bien-être … L’expérience continue de notre errance incertaine, de haut en bas, … de notre désorientation douloureuse sur ce qu’il faut décider et faire … comme l’absinthe et le poison.

[…] La méfiance et l’hostilité des gens du Sud à l’égard des institutions, dues à l’incapacité séculaire d’agir pour résoudre les graves problèmes du Mezzogiorno dont a fait preuve la politique, en particulier ceux qui concernent le travail, le logement, la santé et l’instruction. 

Le soupçon, pas toujours infondé, qu’il existe une forme de complicité avec la camora chez les hommes politiques qui, en échange d’un soutien électoral ou même dans un but commun, offrent protection et faveurs. 

Le sentiment d’insécurité diffus, de risque permanent, qui dérive d’une protection juridique insuffisante des biens et des personnes, de la lenteur de l’appareil judiciaire, de l’ambiguïté des lois […] ce qui entraîne dans de nombreux cas les recours aux solutions que proposent les clans et à la protection qu’ils offrent. 

Le fonctionnement opaque du marché du travail, en raison duquel la recherche d’un emploi fait appel à une logique de clientélisme et n’est pas la simple revendication d’un droit au travail ; le manque, ou l’insuffisance, y compris dans l’action pastorale, d’une véritable éducation sociale, comme si l’on pouvait former un chrétien sans former un homme et un citoyen mûrs.

Nous, pasteurs des églises de Campanie, n’entendons cependant pas nous contenter de dénoncer ces situations. Dans la mesure de nos compétences et de nos capacités, nous voulons contribuer à leur résolution, le cas échéant en revoyant les contenus et les moyens de l’action pastorale.

[…] La camora appelle famille un clan organisé à des fins criminelles, dans lequel la fidélité absolue est la loi, dont est exclue toute forme d’autonomie et où sont considérés comme une trahison passible de mort non seulement la défection, mais aussi la conversion à l’honnêteté. La camora a recours a tous les moyens possibles pour étendre et consolider cette forme de famille instrumentalisant même les sacrements. Pour le chrétien, formé à la parole de Dieu, la famille est uniquement un ensemble de personnes unies par une communion d’amour, dans lequel l’amour est un soutien désintéressé. La camora prétend posséder une forme à elle de religiosité et réussit parfois à tromper les fidèles et même certains pasteurs, des âmes démunies et ingénues.

[…] Ne pas permettre que la fonction de parrain soit exercée, lors des sacrements qui l’exigent par des personnes dont l’honnêteté en matière publique et privée n’est pas notoirement connue, et qui ne sont pas de bons chrétiens. Ne pas admette dans de telles circonstances quiconque tenterait d’exercer des pressions injustifiées et serait dépourvu de la nécessaire initiation sacramentelle.

Don Peppino Diana. Au nom de mon peuple Noël 1991

Il Coraggio di avere paura”, lo spettacolo dedicato a Don Peppino Diana Lab TV

30 03 1994 

En plongée au large de Toulon, le sous marin nucléaire lanceur d’attaque Émeraude est accidenté : dans le compartiment turbo-alternateur où est fabriquée l’électricité, l’explosion d’une tape sur une conduite de vapeur, entraîne l’envahissement du local par de la vapeur brûlante qui tue dix hommes dont le pacha – le capitaine de corvette Jean-Luc Alvar, 35 ans – sur les onze présents. En temps normal, il n’y a que deux ou trois hommes dans ce compartiment, mais c’était jour d’inspection, et cela explique la présence de onze personnes. En moins d’un an, c’est le troisième sous-marin de classe Rubis basé à Toulon victime d’un sérieux incident. Le 2 mars 1994, l’Améthyste, en mission d’entraînement, avait été endommagé en heurtant un haut fond à vitesse lente. Le 17 août 1993, le Rubis était entré en collision avec le pétrolier Lyria lors de sa remontée, provoquant une marée noire de 2 000 tonnes de pétrole. Ces pépins avaient désorganisé le programme de révision des sous-marins ; mais l‘Emeraude aurait du être depuis plusieurs mois en IPER – Indisponibilité Périodique pour Entretien et Réparation -. Le Canard Enchaîné titrera : le sous-marin n’était plus vraiment d’attaque…

6 04 1994             20 h 22′

Le Falcon 50 des présidents Juvénal Habyarimana (Rwandais) et Cyprien Ntaryamira (Burundais), de retour d’un sommet à Dar es-Salaam, atterrit à Kigali : deux missiles tirés du sol le détruisent : les deux présidents meurent. Selon l’instruction menée de 1998 à 2006 par le juge Bruguière, – qui ne s’est jamais rendu au Rwanda – l’attentat aurait été commandité par Paul Kagamé, un tutsi qui deviendra plus tard président : c’est l’un des exécutants, Abdul Ruzibiza,  qui le révélera dans Rwanda, L’histoire secrète, aux éditions Panama, Paris 2005. Les trois militaires français qui formaient l’équipage ont été tués, soit douze victimes au total. L’épouse de Juvénal Habyarimana, Agathe, sera évacuée en France le 9 avril, sans parvenir toutefois à obtenir un statut légal de réfugiée, les soupçons de très grande implication dans le génocide venant contrecarrer toutes ses demandes : elle avait crée l’Akazu, noyau dur d’extrémistes hutus.

Principal argument avancé : le lieu d’origine des tirs : pour le juge Bruguière, c’est une zone contrôlée par les Tutsis : le camp de Masaka, aux mains des FAR. Fin 2008, l’adjoint du juge Bruguière, Marc Trevidic, se plonge dans le dossier, reprend l’enquête, va au Rwanda accompagné de Nathalie Poux : le tir serait parti du cimetière militaire de Kanombé où il était impossible à des éléments tutsis de pénétrer.

En représailles, les miliciens de la garde présidentielle rwandaise s’en prendront aux FPR, forces armées Tutsis. Les parachutistes français et belges viennent évacuer leurs ressortissants, et nombre de hauts responsables hutus qui préféreront prendre de la distance. Les boites noires de l’appareil auront une drôle de vie : l’omniprésent capitaine Barril prétendra en avoir récupéré une ; quant à l’autre, une enquête du juge Bruguière amènera un article de presse en février 2004 assurant le transport d’une des 2 boites après l’accident au siège de l’ONU à New York : et, en 2004, on retrouvera effectivement la dite boite noire, oubliée dans un placard de l’ONU ! Les auteurs de l’attentat n’ont toujours pas été clairement identifiés, 10 ans plus tard.

En extrapolant les conclusions balistiques de Marc Trevidic, nombre de journalistes avanceront que l’attentat aurait été le fait d’extrémistes hutus, voulant se débarrasser de leur président, trop faible pour eux, car déterminé à appliquer les accords d’Arusha qui prévoient une transition politique.

Pour sa part, Marc Trévidic espèrera obtenir les témoignages de deux figures du FPR passées à l’opposition et exilées en Afrique du Sud. Il ne les aura jamais. Le premier, Patrick Karegeya, un ex-chef des services secrets, sera retrouvé assassiné le 1°  janvier 2014 à Johannesburg. Le second, le général Faustin Kayumba Nyamwasa, échappera à deux tentatives de meurtre après avoir accusé son ancien patron d’être le commanditaire de l’attentat. Alors que Kigali pressait pour qu’un non-lieu soit prononcé, le successeur de M. Trévidic, Jean-Marc Herbaut, a finalement relancé l’enquête après la déclaration faite en juin 2016 par ce témoin devant un notaire de Pretoria.

Cet  attentat va marquer le début d’un génocide qui va faire environ un million de morts en 3 mois : 75 % des Tutsis – qui représentent 15 % de la population du Rwanda, vont être massacrés par une coalition d’extrémistes Hutus, au statut parfois officiel, parfois secret ; le génocide était programmé depuis longtemps, et c’est à peu près deux millions de Hutus qui y participeront activement. On peut essayer de chercher des explications à toute cette folie… il est indéniable que la haine distillée par la Radio des Mille Collines a pesé lourd dans la balance, mais et il ne sert à rien de se voiler la face, la bière a pesé elle aussi son poids : elle a coulé à flots pendant toute la durée de ce génocide et les assassins étaient souvent saouls comme des barriques ; rien de nouveau en cela : la plupart des soldats de la 1° guerre mondiale partaient au front saoulés au vin ou à l’eau de vie.

Le même jour, deux gendarmes français, l’épouse de l’un d’eux – Alain, 44 ans et Gilda Didot, René Maier et Jean Damascène Murasira, 24 ans, leur employé rwandais sont assassinés dans l’après-midi [ou bien l’après-midi du lendemain, le 7 avril) : on ne saura jamais par qui.

À part les tueries commises par l’armée à Masaka, une colline près de l’endroit d’où les missiles ont été tirés, Kigali reste remarquablement calme après l’attentat, mais c’est le calme avant la tempête. Deux parcours parallèles peuvent être observés pendant la nuit du 6 au 7 avril. Il y a d’abord un parcours public. Le sommet de l’armée se retrouve à l’état-major. Il procède au remplacement du chef d’état-major qui était à bord de l’avion. Il examine ensuite la façon dont il faudra combler le vide institutionnel crée par la mort du chef de l’État. Le secrétaire général du Ministère de la Défense, le colonel Théoneste Bagosora, et le commandant de la MINUAR, le général canadien Roméo Dallaire [2], se rendent chez le représentant spécial de l’Onu, Jacques-Roger Booh-Booh. Ce dernier insiste sur le respect de l’accord d’Arusha, demande que de MRND désigne un président intérimaire et suggère que le gouvernement soit chargé des affaires courantes. Si Bagosora semble être d’accord sur les deux premiers points, il s’oppose à tout contact avec le premier ministre Agathe Uwilingiyimana, qui fait partie de l’aile pro-FPR du MRND.

Le second parcours est invisible et court-circuitera ce que la structure visible a décidé. Le colonel Bagosora quitte l’état-major vers 2 heures du matin, après la rencontre avec Booh-Booh et on le retrouve à sept heures au ministère de la Défense. C’est pendant ces cinq heures que la machine à tuer est mise en marche, et elle commence à fonctionner vers 5 h 30′. Bagosora dispose d’un réseau radio parallèle à celui de l’armée et de la gendarmerie, qui le relie à la garde présidentielle, au bataillon par-commando et au bataillon de reconnaissance. Ce sont précisément ces unités, et plus particulièrement la garde présidentielle, qui tôt le matin, entament la chasse à l’homme.

Les tueries ciblées au cours de la matinée du 7 avril ne sont pas de nature ethnique mais politique. Des éléments de la garde présidentielle vont de maison en maison, afin d’éliminer les personnalités nécessaires à la sauvegarde du processus d’Arusha : le Premier ministre Agathe Uwilingiyimana chargé des affaires courantes, et les dix Casques bleus belges qui tentaient de la protéger, les deux candidats à la présidence de l’Assemblée nationale de transition, Félicien Ngango et Landoald Ndasingwa, devant laquelle les serments devaient être prêtés, et le président de la Cour constitutionnelle, Joseph Kavaruganda, chargés d’administrer les serments. Seul Ndasingwa est Tutsi mais tous sont considérés comme faisant parie du bloc-pro-FPR. Le vide humain et institutionnel ainsi crée permet au groupe de Bagosora de mettre en place un gouvernement intérimaire qui présidera au génocide. Des dizaines de supposés opposants sont tués de façon tout aussi ciblée. Parmi eux, des politiciens mais également des fonctionnaires, magistrats, journalistes et leaders de la société civile. Le sort réservé à l’opposition et à d’autres voix dissidentes permet d’éliminer d’éventuels obstacles au projet génocidaire et, par la terreur, de dissuader tous ceux qui seraient tentés d’y résister.

Parallèlement, au début des massacres, le FPR entame une offensive militaire qui débute tôt le matin du 7 avril à partir de la zone qu’il contrôle au nord du pays. En fin d’après-midi, son bataillon cantonné au Parlement engage le combat avec des éléments de la garde présidentielle, dont le camp se trouve à proximité. C’est le début d’affrontements qui vont permettre au FPR de contrôler de plus en plus de terrain à Kigali, et finalement, de gagner la guerre en juillet.

Filip Reyntjens. Le génocide des Tutsis au Rwanda. Que sais-je ? 2017

7 04 1994

François de Grossouvre se suicide au palais de l’Élysée. Outre la gestion des chasses présidentielles, il avait aussi celle du maintien du secret sur l’existence de Mazarine Pingeot, dont il était le parrain.

Les massacres commencent à Kigali. Assassinat notamment du Premier Ministre, Agathe Uwilingiyimana, et de dix Casques bleus belges qui tentaient de la protéger. Dans la soirée, le FPR sort de son cantonnement à Kigali et des unités font mouvement dans le Nord. Extension des massacres à l’extérieur de Kigali.

Les responsables des Casques Bleus de L’ONU savaient ce qui se tramait, et l’ONU, – Koffi Annan, devenu par la suite Secrétaire Général de l’ONU, était alors précisément  en charge de cette opération – n’a rien fait, sinon donner l’ordre de départ des Casques Bleus après le début du génocide.  Les Rwandais qui cultivent leur mémoire beaucoup mieux que bien  d’autres peuples, ne le ménageront pas lors de sa visite en tant que Secrétaire Général, en mai 1998 : On est également responsable de ce qu’on n’a pas fait, lui lancera le ministre de  l’Éducation et de la Jeunesse, Jacques Bihozagara.

Le 9 décembre 1998, Kofi Annan célébrera le 50° anniversaire de la Convention sur le  génocide, et le lendemain celui de la Déclaration universelle des droits de l’homme… et dans le même temps il s’oppose à une enquête au sein de l’ONU sur un des plus grands génocides de l’après-guerre… dans le genre tout et son contraire, il est difficile de faire mieux. Les militaires français, encadrant gendarmerie et armée du gouvernement rwandais savaient ce qui se tramait, et la France n’a rien fait : en quelques années, l’effectif de l’armée rwandaise était passé de 5 000 à 40 000 hommes.

8 04 2021 

Le général Bagosora est omniprésent, tenant et manipulant toutes les ficelles : Le général Bagosora préside au ministère de la Défense, une réunion décisive. Il convoque les leaders des ailes pro-MRND des partis d’opposition, dont les dirigeants des ailes pro-Arusha sont à ce moment soit morts, soit cachés. Dans la même logique, aucun Tutsi n’est associé aux négociations, auxquelles le FPR n’est évidemment pas convié. On est donc très loin d’Arusha. Il est décidé que le président du Parlement, Théodore Sindikubwabo, assurera l’intérim de la présidence. Un gouvernement intérimaire est nommé avec comme Premier ministre Jean Kambanda issu de l’aile Hutu Power du MDR. En rupture avec une pratique de longue date, le gouvernement ne compte aucun ministre tutsi.

Filip Reyntjens. Le génocide des Tutsis au Rwanda. Que sais-je ? 2017

Vingt ans plus tard, des accusations précises, tranchantes comme un scalpel, surgiront, à blêmir de honte : mais sur ce point, faisons confiance à la Grande Muette : jamais elle ne répondra à ces questions, tout au moins pour ce qui est des supérieurs ; les hommes de terrain, lorsqu’ils auront démissionné, se mettront parfois à parler.

Les déclarations récentes du président rwandais Paul Kagamé permettent aux dirigeants français qui ont eu à conduire ou à connaître la politique menée au Rwanda de 1990 à 1994 de reprendre la posture de l’indignation outragée : comment peut-on accuser la France de complicité dans le génocide des Tutsi ? Cette imposture a déjà été dénoncée par le journaliste Patrick de Saint-Exupéry : le noyau de responsables politiques et militaires qui, sous la houlette de François Mitterrand, a conduit une politique secrète à l’insu du Parlement tente, en s’abritant derrière la France, de rendre les citoyens français solidaires d’une politique menée en leur nom sans qu’ils en aient été informés.

Si l’on en croit les responsables français de l’époque, leur objectif aurait été d’obliger toutes les parties (le président Habyarimana, son opposition et le Front patriotique rwandais, FPR) à trouver un accord politique refusé, selon eux, aussi bien par les extrémistes hutu que par le FPR, désireux d’exercer un pouvoir sans partage. Puis, une fois le génocide enclenché, la France aurait été le seul pays à intervenir pour y mettre fin avec l’opération Turquoise. Ce récit édifiant n’est qu’une falsification des événements visant à dissimuler de lourdes responsabilités individuelles, dissimulation qui explique que, vingt ans après, aucune conséquence n’ait encore été tirée des choix politiques qui ont été faits, de 1990 à 1994, au plus haut niveau de l’Etat français. Et ce en dépit des travaux menés par de nombreux chercheurs et journalistes qui, depuis 1994, ont soulevé quantité de questions demeurées sans réponse. En voici quelques-unes.

Une politique de conciliation ou une guerre contre les Tutsi ? Pourquoi, en avril 1991, à Ruhengeri, dans le nord du Rwanda, des militaires français ont-ils participé avec leurs collègues rwandais à des contrôles d’identité lors desquels ils ont trié les Tutsi, qui étaient tués par les miliciens à quelques mètres d’eux ? Pourquoi, en septembre 1991, Paul Dijoud, directeur des affaires africaines et malgaches au Quai d’Orsay, a-t-il dit à Paul Kagamé que si les combattants du FPR s’emparaient du pays, ils retrouveraient leurs familles exterminées à leur arrivée à Kigali ?

Pourquoi l’armée française a-t-elle sauvé le régime Habyarimana en juin-juillet 1992 et en février-mars 1993, alors que des massacres de Tutsi avaient déjà lieu de manière récurrente depuis octobre 1990 ? Pourquoi, après l’assassinat, le 7 avril 1994, des responsables politiques rwandais partisans des accords de paix signés à Arusha, l’ambassadeur Marlaud a-t-il accueilli les responsables politiques extrémistes à l’ambassade de France et cautionné la formation du gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qui encadra le génocide ? Pourquoi le colonel Poncet ne s’est-il pas opposé, à Kigali, à l’arrestation et l’élimination des opposants et des Tutsi, mentionnées en ces termes dans l’ordre d’opération Amaryllis du 8 avril 1994 ?

Pourquoi, dans la nuit du 8 au 9 avril 1994, l’un des avions d’Amaryllis a-t-il débarqué à Goma des caisses de munitions de mortier qui ont ensuite été chargées sur des véhicules des Forces armées rwandaises (FAR) ? Pourquoi, les 14 et 16 juin 1994, des fonds en provenance de la BNP sont-ils venus créditer un compte suisse permettant au colonel Bagosora, directeur de cabinet du ministère de la défense du GIR, de régler deux livraisons d’armes en provenance des Seychelles ? Pourquoi, le 18 juillet 1994, une cargaison d’armes destinées aux FAR a-t-elle été débarquée sur l’aéroport de Goma où se trouvait le PC du général Lafourcade, commandant de la force Turquoise ?

Pourquoi le premier ministre, Edouard Balladur, le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, et le conseiller Afrique de François Mitterrand, Bruno Delaye, ont-ils reçu, le 27 avril 1994, en plein génocide, le ministre des affaires étrangères du GIR et son directeur des affaires politiques ?

Pourquoi, lors de sa rencontre du 9 mai 1994 avec le lieutenant-colonel Rwabalinda, conseiller du chef d’état-major des FAR, le général Huchon, chef de la mission militaire de coopération, a-t-il estimé : Il faut sans tarder fournir toutes les preuves de la légitimité de la guerre que mène le Rwanda de façon à retourner l’opinion internationale en faveur du Rwanda et pouvoir reprendre la coopération bilatérale, à un moment où des centaines de milliers de Tutsi avaient déjà été massacrés ?

Comment se fait-il que Bruno Delaye détenait, début mai 1994, une autorité suffisante sur les tueurs pour arrêter, d’un coup de téléphone, une attaque sur l’Hôtel des Mille Collines où étaient réfugiées des centaines de Tutsi ? Le contrat d’assistance militaire et de livraison d’armes signé par Paul Barril, ex-gendarme de l’Elysée, avec le premier ministre du GIR, le 28 mai 1994, faisait-il partie de la stratégie indirecte qu’évoque, dans une note du 6 mai 1994, le général Quesnot, chef d’état-major particulier de Mitterrand ? Pourquoi, le 18 mai 1994, à l’Assemblée, Alain Juppé a-t-il employé le mot génocide et précisé que les troupes gouvernementales rwandaises s’étaient livrées à l’extermination systématique de la population tutsi, avant, le 16 juin 1994, d’incriminer les milices et non plus les FAR, et d’évoquer les génocides commis au Rwanda, inaugurant ainsi le thème mensonger du double génocide ?

Mettre fin au génocide ou secourir les assassins ? Pourquoi l’ordre d’opération Turquoise du 22 juin 1994 dédouane-t-il les autorités rwandaises de leurs responsabilités dans le génocide en attribuant les massacres à des bandes formées de civils ou de militaires hutu incontrôlés (…) exhortés à la défense populaire par les chefs de milice ? Pourquoi le ministre de la défense, François Léotard, et l’amiral Lanxade, chef d’état-major des armées, n’ont-ils pas donné l’ordre de porter assistance aux survivants tutsi de Bisesero alors que, le 27 juin 1994, une patrouille française avait découvert qu’ils étaient attaqués quotidiennement par les tueurs ? [date qui sera confirmée par un document obtenu en novembre 2015 par Benoît Collombat, de France-Inter] Pourquoi n’ont-ils été secourus que trois jours plus tard, grâce à l’initiative de militaires du GIGN et du 13° RDP qui ont dû outrepasser les ordres, [quand la hiérarchie affirmera n’avoir eu connaissance de ces attaques que le 30 juin] ? Pourquoi des militaires français ont-ils entraîné des civils rwandais durant l’opération Turquoise ?

L’ex-secrétaire général de l’Elysée Hubert Védrine a-t-il quelque chose à nous apprendre sur ce qui a été dit chez le premier ministre sur le sort des responsables politiques du génocide ? Pourquoi, alors que le Quai d’Orsay avait affirmé, le 15 juillet 1994, que les membres du GIR qui trouveraient refuge dans la zone Turquoise y seraient arrêtés, l’état-major tactique du lieutenant-colonel Hogard a-t-il organisé leur évacuation vers le Zaïre ?

Ce n’est qu’en répondant à ces questions que les dirigeants français de l’époque pourraient être lavés des soupçons de complicité de génocide qui pèsent sur eux. Les citoyens de notre pays ont le droit d’obtenir des réponses de la part de ceux qui, depuis 1994, dressent des écrans de fumée pour ne pas avoir à rendre compte de leurs actes. Il en va de l’avenir de notre démocratie.

Raphaël Doridant, Charlotte Lacoste. Le Monde du 9 avril 2014

Maman s’est mise à parler d’elle-même, avec une voix calme et lente, comme quand elle me racontait des légendes pour m’endormir, quand j’étais petit :

Je suis arrivée à Kigali le 5 juillet. La ville venait d’être libérée par le FPR. Le long de la route, une file interminable de cadavres jonchait le sol. On entendait des tirs sporadiques. Les militaires du FPR tuaient des hordes de chiens qui se nourrissaient de chair humaine depuis trois mois. Des survivants aux regards hébétés erraient dans les rues. Je suis arrivée devant le portail de tante Eusébie. Il était ouvert. Quand je suis entrée dans la parcelle, j’ai voulu rebrousser chemin, à cause de l’odeur. J’ai tout de même trouvé le courage de continuer. Dans le salon, il y avait trois enfants par terre. J’ai retrouvé le quatrième corps, celui de Christian, dans le couloir. Je l’ai reconnu car il portait un maillot de l’équipe de foot du Cameroun. J’ai cherché tante Eusébie partout. Aucune trace. Dans le quartier, personne ne pouvait m’aider. J’étais seule. J’ai dû enterrer moi-même les enfants dans le jardin. Je suis restée une semaine dans la maison. Je me disais que tante Eusébie finirait par rentrer. Ne la voyant toujours pas revenir, j’ai décidé de partir à la recherche de Pacifique. Je savais que son premier réflexe serait d’aller à Gitarama pour retrouver Jeanne. Quand je suis arrivée chez elle, la maison avait été pillée mais pas de trace de Jeanne et de sa famille. Le lendemain, un soldat du FPR m’a appris que Pacifique était à la prison. Je m’y suis rendue, mais on ne m’a pas laissée le voir. Je suis revenue trois jours durant. Au matin du quatrième, un des gardiens m’a emmenée derrière la prison, sur un terrain de football, à la lisière d’une bananeraie. Des soldats du FPR surveillaient le lieu. Pacifique était là, étalé dans l’herbe. Il venait d’être fusillé. Le gardien m’a raconté qu’en arrivant à Gitarama, Pacifique avait découvert toute sa belle-famille et sa femme assassinées dans la cour de leur maison. Des voisins tutsis qui avaient échappé au massacre accusaient un groupe de Hutu, toujours en ville, d’avoir commis ce crime. Pacifique les a retrouvés sur la place centrale. Le chapeau du père de Jeanne était sur la tête d’un des hommes. Une femme du groupe portait la robe à fleurs que Pacifique avait offerte à Jeanne pour leurs fiançailles. Mon frère s’est senti devenir fou. Il a vidé le chargeur de son arme sur les quatre personnes. Il est aussitôt passé en cour martiale et a été condamné à mort. Quand j’ai retrouvé Mamie et Rosalie à Butare, je leur ai menti. J’ai dit qu’il était tombé au combat, pour le pays, pour nous, pour notre retour. Elles n’auraient pas accepté l’idée qu’il ait été tué par les siens. Une connaissance qui revenait du Zaïre nous a dit qu’elle avait cru reconnaître tante Eusébie dans un camp, vers Bukavu. Alors j’ai repris la route et je l’ai cherchée pendant un mois. J’ai marché, toujours plus loin. J’ai erré dans les camps de réfugiés. J’ai bien failli me faire tuer des dizaines de fois quand on devinait que j’étais tutsie. Par je ne sais quel miracle, Jacques m’a reconnue sur le bord de la route, j’avais perdu tout espoir de retrouver tante Eusébie.

Gaël Faye. Petit Pays. Grasset 2016

Un Tribunal Pénal International pour le Rwanda – T.P.I.R, sera mis sur pied sous les auspices de l’ONU, à Arusha, Tanzanie le 8 novembre 1994. Trois ans et demi plus tard, pas un seul procès n’est achevé. En attendant, les prisonniers sont choyés : ils téléphonent, envoient des fax, des colis DHL, mangent les plats de l’ancien chef cuisinier du Novotel d’Arusha. En Janvier 2000, le tribunal prononçait sa septième condamnation….

…Il n’y a pas de structures officielles pour aider les victimes qui se débrouillent comme elles peuvent. Seuls les bourreaux, aujourd’hui en prison, sont assistés par des psychiatres.

Madeleine Mukamabano, journaliste Radio France.

Jamais un crime n’avait été puni au Rwanda. Il y a eu génocide parce qu’auparavant il y avait eu impunité. Certains racontent sans malice combien de personnes ils ont tuées. Ici on a tué ses voisins, les gens avec lesquels on partageait la boisson… Ce n’était pas le système nazi. Le crime était presqu’intégré au quotidien depuis des décennies. Certains savaient qu’il allaient mourir et d’autres qu’ils allaient tuer. C’est le bilan de l’impunité.

… Quand la bureaucratie onusienne rencontre la pesanteur du droit… c’est un festival. L’Onu, c’est le chœur des pleureuses dans la tragédie grecque : incantation, incantation et encore incantation…

Alice Karekesi, militante des droits de l’homme.

L’avis de cette femme est partagé : Le premier problème vient de chaque Rwandais qui, après des siècles d’impunité, est persuadé que la justice est impossible. On devrait crouler sous les plaintes, or les victimes n’entament souvent aucune procédure. Les Rwandais sont trop habitués à ce que les criminels ne soient jamais punis.

Frédéric Mutagwira, bâtonnier de Kigali.

Nous mentons. Nous vous répétons indéfiniment les mêmes petites choses, sans rien vous dire en réalité. Même entre Rwandais nous mentons. Nous avons l’habitude du secret et de la suspicion. Vous pouvez rester ici une année entière, et vous ne saurez toujours pas ce que pensent ou font les gens d’ici.

Propos d’un Rwandais rapportés par Philip Gourevitch dans Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos familles. Chroniques rwandaises. Denoël 1999.

… les dirigeants tenaient, certes, à réaliser leur objectif, la solution finale, mais la manière d’atteindre ce but était tout aussi importante. Il fallait que la voie de l’Idéal suprême, consistant en l’extermination d’un peuple, implique une communauté criminelle, que la participation massive au crime fasse émerger un sentiment de culpabilité fédérateur. Désormais, chaque individu ayant sur la conscience une mort sait qu’il est à la merci de l’implacable loi du talion à travers laquelle il voit le spectre de sa propre mort.

Ryszard Kapuscinski. Ebène Plon 2001. p.185

En 1994, un génocide a été commis au Rwanda, faisant près d’un million de victimes en 100 jours. Ce génocide a été organisé par le gouvernement rwandais de l’époque et exécuté notamment par ses forces armées, les FAR. Ce ne fut pas un déchaînement de violences spontanées de paysans misérables, mais une entreprise démente, structurée et systématique d’éliminations des Tutsi du Rwanda. Un million de victimes en 100 jours, c’est 10 000 personnes éliminées quotidiennement pendant plus de trois mois. Le 22 juin 1994, la France déclenche l’opération Turquoise, après avoir obtenu un mandat humanitaire de l’ONU.

J’ai participé à cette opération comme capitaine de la force d’action rapide. J’étais spécialiste du guidage au sol des frappes aériennes au sein d’une unité de combat de la Légion étrangère. J’avais 28 ans.

C’est le décalage entre la version officielle et la réalité des missions que j’ai effectuées sur place qui m’oblige à témoigner, car comment peut-on comprendre et réfléchir sur le rôle de la France dans le drame rwandais si on ne connaît même pas les pièces du puzzle ?

Certaine sont rondes et difficilement contestables. Les unités de l’armée française avec lesquelles je suis intervenu se sont comportées de manière très professionnelle et ont fait ce que les responsables politiques français attendaient d’elles. J’ai un profond respect pour mes anciens compagnons d’armes, et il ne m’appartient pas de les critiquer. Ces unités n’ont jamais participé au génocide, jamais. Ces unités militaires françaises, quand elles en ont reçu l’ordre, ont protégé avec efficacité les rescapés du génocide, je pense notamment au camp de réfugiés de Nyarushishi (8 000 personnes) sécurisé par la compagnie de combat de la Légion étrangère dans laquelle j’étais intégré.

D’autres pièces du puzzle ne trouvent pas leur place dans ce dessin. Elles posent question sur des décisions politiques qui ont pour conséquence de faire apparaître la France comme ayant soutenu, protégé et armé un gouvernement génocidaire…

En effet, le récit des missions que j’ai effectuées pendant l’opération Turquoise, et je ne crois pas que quiconque soit mieux placé que moi pour expliquer ce que j’ai fait, pose des questions difficiles. Nous sommes intervenus avec une armada militaire (près de 3 000 hommes, unités de combat de la Force d’action rapide, avions de chasse). Si la mission était humanitaire comme cela est encore affiché pour l’opération Turquoise, nous aurions dû logiquement intervenir contre les génocidaires, c’est-à-dire contre le gouvernement rwandais et ses forces armées.

Au lieu de cela, nos responsables politiques ont décidé que nous devions stopper leurs opposants militaires. J’ai reçu l’ordre le 22 juin de préparer un raid sur Kigali pour reprendre la capitale et le 30 juin de guider des frappes aériennes contre les colonnes du Front patriotique rwandais (FPR). Ces ordres ont été annulés, quel débat animait alors nos gouvernants ?

Lorsque nous avons enfin changé d’orientation le 1er juillet, nous n’avons pas cherché à neutraliser ce gouvernement génocidaire et ses forces armées. Au contraire, nous les avons laissés se réfugier au Zaïre et provoquer en plus l’exode de leur propre population, un nouveau drame humanitaire. En n’agissant pas, avons-nous été complices ?

Enfin et beaucoup plus grave, j’ai assisté au départ d’une livraison d’armes, dans la deuxième quinzaine de juillet, à destination des camps de réfugiés dans l’est du Zaïre, générant des décennies de conflits qui n’ont jamais cessé depuis. Pas des armes confisquées comme je l’ai d’abord cru, mais bien des stocks d’armes livrés sur place, en pleine mission humanitaire.

J’ai longtemps pensé que ces décisions avaient pu être prises par des gouvernants qui n’avaient pas connaissance du rôle génocidaire de ceux qu’ils soutenaient. Mais il apparaît que le service de renseignement de l’Etat français avait établi et informé nos décideurs politiques du rôle génocidaire du gouvernement rwandais et de ses forces armées, avant même l’opération Turquoise (en particulier dans une note du 4 mai 1994).

Pourquoi nos responsables politiques ont-ils décidé d’écarter ces informations cruciales ? Pourquoi n’ont-ils pas condamné et neutralisé ce gouvernement génocidaire comme le leur recommandait pourtant la Direction générale de la sécurité extérieure ?

Je ne doute pas que leur intention était autre, mais les conséquences de leurs décisions sont d’une extrême gravité. Aussi, comme citoyen français, je souhaiterais savoir quelles décisions politiques ont été prises, par qui et pour quelles raisons.

Et en tant qu’ancien officier ayant participé à l’intervention militaire de la France au Rwanda, je souhaiterais savoir si je risque un jour d’être mis en examen pour complicité d’un crime insoutenable et imprescriptible, le génocide.

Pour répondre à ces questions, il me semble utile qu’une commission d’enquête puisse faire la lumière sur le rôle de la France dans le drame rwandais et les responsabilités qui incombent aux décideurs de l’époque, en s’appuyant sur l’ouverture complète des archives. La mise en place d’une commission d’enquête serait prendre le risque de regarder en face nos responsabilités et s’assurer aussi que, si nous avions commis des erreurs, elles ne puissent pas se reproduire de la même manière.

Certains se drapent dans l’honneur de la France pour éviter cette enquête, je leur réponds que cette volonté de savoir serait faire honneur au courage de la nation. Enfin, quelles que soient les conclusions de cette commission d’enquête, il ne serait pas indécent que des lieux de mémoire soient élevés, en France, pour honorer le souvenir du massacre du million de victimes que nous n’avons pas su empêcher, dans le dernier génocide du XX° siècle.

Guillaume Ancel. Ancien officier de l’armée de terre. Le Monde 30 août 2014

Les taux de croissance démographique en Afrique de l’Est, sont les plus élevés au monde : il est ainsi de 4.1 % l’an au Kenya, soit une population qui double tous les 17 ans. Cette explosion démographique est récente. Plusieurs raisons l’expliquent : l’adoption de cultures issues du Nouveau Monde (en particulier le maïs, les pois, la patate douce et le manioc), qui ont permis d’augmenter la production agricole au-delà de ce qui était possible auparavant avec les seules cultures issues d’Afrique ; une meilleure hygiène, la prévention médicale, la vaccination des mères et des enfants, les antibiotiques et une certaine maîtrise de la malaria et des autres maladies endémiques africaines ; l’unification nationale et la fixation de frontières, qui ont ouvert au peuplement certaines zones qui n’étaient auparavant que des no man’s land disputés par des pouvoirs limitrophes plus restreints.

De tels problèmes démographiques sont souvent qualifiés de malthusiens – en référence aux analyses de l’économiste et démographe anglais Malthus qui soutint en 1798 que la croissance de la population humaine serait exponentielle, alors que la production alimentaire n’augmenterait que de façon arithmétique -.

[…] Le Rwanda et le Burundi sont devenus synonymes dans notre esprit de deux choses : surpopulation nombreuse et génocide. Ce sont les deux pays d’Afrique qui ont la population la plus dense et ils figurent parmi les plus peuplés au monde : la densité moyenne de population au Rwanda est le triple du Nigéria, troisième pays d’Afrique pour la densité, et elle est dix fois plus importante que celle de la Tanzanie voisine.

[…] La distinction entre Tutsis et Hutus n’a jamais rien eu de tranché. Les deux groupes parlaient la même langue, fréquentaient les mêmes églises, les mêmes écoles et les mêmes bars, vivaient ensemble dans le même village sous les mêmes chefs et travaillaient ensemble dans les mêmes bureaux. Hutus et Tutsis se marient ensemble et – avant que les Belges n’introduisent des carnets d’identité – ils changeaient parfois d’identité ethnique. Si les Hutus et les Tutsis ont une allure différente en moyenne, maints individus sont impossibles à ranger dans l’un ou l’autre groupe d’après leur apparence. Un quart environ de tous les Rwandais ont des Hutus et de Tutsis pour grands-parents. En sorte qu’on peut se demander si les deux groupes ne sont pas différenciés économiquement et socialement au Rwanda et au Burundi à partir d’un fond commun. Ce mélange a donné lieu à des dizaines de milliers de tragédies personnelles pendant les assassinats de 1994, des Hutus ayant tenté de protéger leurs conjoints, leurs parents, leurs amis, leurs collègues et leurs patrons tutsis ou essayé d’acheter avec de l’argent les assassins potentiels de ces proches. Les deux groupes étaient si entremêlés dans la société rwandaise qu’en 1994, des médecins ont fini par assassiner leurs patients, des enseignants leurs élèves et vice versa, et des voisins ou collègues de bureau se sont entretués. Certains individus hutus ont tué des Tutsis tout en en protégeant d’autres.

Si l’on ne s’en tient qu’à la haine ethnique entre Hutus et Tutsis attisée par les hommes politiques, les événements survenus au nord-ouest du Rwanda deviennent peu compréhensibles. Là en effet, dans une communauté où pratiquement tout le monde était hutu et où il n’y avait qu’un seul Tutsi, des assassinats en masse ont tout de même eu lieu – à savoir de Hutus par des Hutus. Même si la proportion de morts – estimée à quelques 5 % de la population – semble y avoir été plus faible que dans tout le Rwanda (11%), il faut encore expliquer pourquoi une communauté hutu a assassiné ses membres en l’absence de mobile ethnique. Disons que justement ces mêmes mobiles sont insuffisants pour expliquer le génocide.

Le Rwanda (comme le Burundi) était déjà densément peuplé au XIX° siècle avant l’arrivée des Européens, par suite des avantages combinés que constituaient des pluies modérées et une altitude trop élevée pour la malaria et la mouche tsé-tsé. La population rwandaise a donc augmenté, malgré des fluctuations, à un taux moyen de plus de 3 % l’an, pour les mêmes raisons que le firent la Tanzanie et le Kenya voisin (cultures venues du Nouveau Monde, santé publique, médecine et frontières politiques stables). En 1990, malgré les massacres et les départs massifs en exil, la densité de population moyenne était de 760 personnes au km², soit plus que celle du Royaume Uni (610) et un peu moins que celle de la Hollande (950). Mais le Royaume Uni et la Hollande disposent d’une agriculture extrêmement mécanisée, de sorte que seul un petit pourcentage d’agriculteurs assure la production globale. L’agriculture rwandaise, elle, est bien moins efficace et mécanisée, les cultivateurs dépendent de houes manuelles, de pioches et de machettes. En sorte que le nombre de cultivateurs est élevé pour une production d’autosuffisance et sans aucun surplus ou presque.

[…] Lorsqu’après l’indépendance la population du Rwanda a augmenté, le pays a continué à pratiquer ses méthodes agricoles traditionnelles et n’est pas parvenu à se moderniser, à introduire des variétés de culture plus productives, à développer ses exportations agricoles ou à instituer un planning familial efficace. Au lieu de cela, on s’est contenté de couper des forêts, de drainer des marais afin de gagner de nouvelles terres cultivables, de raccourcir les périodes de jachère et de tenter de récolter deux ou trois fois l’an consécutivement sur les mêmes champs. Lorsque les Tutsis ont fui ou ont été assassinés dans les années 1960 et en 1973, leurs terres, devenues disponibles, ont conforté le rêve que chaque cultivateur hutu pourrait enfin disposer d’une superficie suffisante pour entretenir les siens. En 1985, toutes les terres arables hors des parcs nationaux étaient cultivées. Lorsque la population et la production agricole ont augmenté toutes deux, la production alimentaire par habitant, après s’être accrue de 1966 à 1981, a chuté au niveau du début des années 1960. C’est exactement le dilemme malthusien : plus de produits alimentaires, donc plus de bouches à nourrir, donc aucun progrès alimentaire pour personne.

En 1984, le Rwanda ressemblait à un jardin et à une plantation de bananes. Des collines escarpées étaient cultivées jusqu’au sommet. L’absence des mesures les plus élémentaires pouvant minimiser l’érosion des sols – comme les terrasses, le labour selon les courbes de terrain plutôt que haut en bas des collines, des jachères recouvertes de végétation plutôt que des champs entre les cultures – faisaient que des rivières charriaient des montagnes de boue. Un Rwandais m’écrivait : Les agriculteurs peuvent se lever le matin pour découvrir que tout leur champ – ou du moins sa couche arable et ses cultures – a été inondé dans la nuit ou que le champ de leur voisin ou des cailloux ont déferlé pour recouvrit son champ L’arrachage des forêts a asséché les cours d’eau et rendu les pluies plus irrégulières. À la fin des années 1980, des famines ont recommencé. En 1989, il y a eu des pénuries alimentaires plus graves par suite d’une sécheresse, du fait de la combinaison de changements climatiques locaux ou globaux et des effets de la déforestation.

Catherine André et Jean-Philippe Platteau, deux économistes belges, ont étudié, en 1988 et 1993, les effets de tous ces changements environnementaux et démographiques sur une commune de Kanama, située au nord-est du Rwanda.

Kanama possède des sols volcaniques très fertiles, de sorte que sa densité de population est élevée même selon les normes du Rwanda, pourtant densément peuplé : 1 740 personnes au mile² en 1988 et 2 040 en 1993 (rappelons qu’un mile ²  équivaut à 89 km² ). C’est encore plus que le Bangladesh, la nation agricole la plus densément peuplée au monde. Ces densités de population élevées se traduisent par des fermes très petites : la taille moyenne était seulement de 0,89 acre en 1988 (soit 0,36 hectare, un acre vaut 0,40 hectare) pour tomber à 0,72 (0,29) en 1993. Chaque ferme était divisée (en moyenne) en dix parcelles séparées, de sorte que les agriculteurs labouraient des parcelles absurdement petites d’en moyenne seulement 0,09 acre (364 m²) en 1988 et de 0,07 (283 m²) en 1993.

Toutes les terres de la commune étant occupées, les jeunes éprouvaient des difficultés à se marier, à quitter la maison, à acquérir une ferme et à fonder leur propre foyer. Chez les vingt, vingt-cinq ans, le pourcentage de jeunes femmes vivant chez leurs parents a augmenté entre 1988 et 1993 pour passer de 39 % à 67 %, et celui des jeunes hommes dans les mêmes conditions est passé de 71 à 100 % : pas un seul homme de moins de vingt-cinq ans ne vivait hors de chez ses parents en 1993. Le nombre moyen de personnes par ménage vivant à la ferme a augmenté (entre 1988 et 1993) de 4,9 à 5,3, de sorte que la pénurie de terres était plus durement ressentie que ne le laisse supposer la réduction concomitante de la superficie des fermes. Quand on divise un domaine en réduction par un nombre en augmentation de personnes appartenant au ménage, on découvre que chaque personne ne tirait sa subsistance que d’un cinquième d’acre en 1988 et d’un septième (soit 578 mètres²) en 1993.

Il se révéla vite impossible pour la plupart des habitants de Kanama de se nourrir. Même en comparaison du régime à faibles calories considéré comme acceptable au Rwanda, le ménage moyen ne tirait que 77 % de ses besoins caloriques de sa ferme. Le reste de son alimentation devait être acheté grâce aux revenus d’activités complémentaires – tels le débitage des charpentes, la fabrication de briques, le filage de la laine et le commerce -. Seuls deux tiers des ménages occupaient de tels emplois. Le pourcentage de la population consommant moins de mille six cents calories par jour (niveau en dessous de celui de la famine) était de 9 % en 1982, mais de 40 % en 1990.

Encore ces chiffres sont-ils des moyennes ; ils cachent des inégalités. Certaines fermes étaient plus vastes que d’autres, et cette inégalité s’est accrue de 1988 à 1993. Une très grosse ferme est supérieure à 2,5 acres (un hectare) et une ferme très petite est inférieure à 0,6 (24 ares). (Comparé au Montana du chapitre premier, on mesure l’absurdité tragique de ces chiffres : dans cet État des Amériques, une ferme de 40 acres, soit 16 hectares, est généralement considérée comme insuffisante pour faire vivre une famille.) Les pourcentages de très grosses et de très petites fermes ont augmenté entre 1988 et 1993 : ils sont passés respectivement de 5 à 8 % et de 36 à 45 %. Autrement dit, la société agraire de Kanama devenait de plus en plus polarisée entre riches possédants et pauvres démunis de tout. Les chefs de famille plus âgés tendaient à être plus riches et à posséder de plus grosses fermes : les cinquante, cinquante-neuf ans avaient des fermes de 2,05 acres (0,8 hectare) et les jeunes de vingt, vingt-neuf ans des fermes de 0,37 acres (0,14 hectare). La taille du ménage étant plus importante pour les chefs de famille plus âgés, ils avaient besoin de plus de terres, mais ils avaient trois fois plus de terres par membre du ménage que les jeunes chefs de famille.

Paradoxalement, les possesseurs de grosses fermes disposaient, eux, de revenus extérieurs. Cette concentration des meilleures superficies et des meilleurs revenus extérieurs a accentué la division de la société de Kanama, les riches devenant plus riches et les pauvres plus pauvres. La loi au Rwanda interdit aux petits propriétaires de vendre tout ou partie de leurs terres. Les recherches menées sur les ventes de terrains ont révélé que les propriétaires des plus petites fermes ont vendu des terres pour faire face à des urgences – alimentation, santé, frais de justice, pots-de-vin, baptême, mariage, enterrement, alcoolisme -. Au contraire, les propriétaires de grosses fermes ont vendu pour augmenter l’efficacité de leur ferme, cédant une parcelle de terrain éloignée afin d’en acquérir une plus proche.

Presque aucune grosse ferme n’a vendu de la terre sans en acheter, mais 35 % des plus petites fermes en 1988 et 49 % en 1993 ont vendu sans rien acheter. (Si l’on détaille les ventes de terrains en fonction des revenus extérieurs, toutes les fermes à revenus extérieurs ont acheté de la terre et aucune n’en a vendu sans acheter ; mais 13 % seulement des fermes sans revenus extérieurs ont acheté de la terre et 65 % en ont vendu sans acheter). En sorte que les fermes déjà petites, qui avaient absolument besoin de terres, sont devenues plus petites encore, en vendant en urgence des terrains à de grosses fermes qui finançaient leurs achats avec des revenus extérieurs.

Cette situation a donné lieu à beaucoup de conflits graves que les parties en présence ne pouvaient résoudre par elles-mêmes et pour lesquels elles se sont adressées aux médiateurs de village traditionnels ou – moins souvent – qu’elles ont portés devant les tribunaux. Chaque année, les ménages ont rapporté avoir eu en moyenne plus d’un conflit grave exigeant d’être résolu par un tiers. André et Platteau ont étudié les causes de deux cent vingt-six conflits de ce type, telles qu’elles étaient décrites par les médiateurs ou par les chefs de famille. Selon ces deux types d’informateurs, des disputes portant sur des terrains étaient à la racine de la plupart des conflits graves : parce que le conflit portait directement sur de la terre (43 % de tous les cas) ou bien parce qu’il s’agissait d’une dispute maritale, familiale ou personnelle dérivant souvent en fin de compte d’une dispute portant sur des terres. (Je donnerai des exemples aux deux prochains paragraphes.) Sans oublier les vols perpétrés par des nécessiteux absolus pressés par la famine (7 % de tous les litiges et 10 % de tous les chefs de famille). Si l’on compare les taux de criminalité chez les vingt et un, vingt-cinq ans entre différentes parties du Rwanda, les différences régionales s’avèrent corrélées statistiquement à la densité de population et au nombre de calories disponibles par habitant : une densité de population élevée et une famine signifiaient davantage de crimes.

Traditionnellement, les propriétaires plus riches étaient censés aider leurs parents plus pauvres. Ce système s’est écroulé lorsque même les propriétaires les plus riches se révélèrent trop pauvres pour venir en aide à leurs parents pauvres. Ce recul de la protection a touché tout particulièrement les groupes vulnérables de la société : femmes séparées ou divorcées, veuves, orphelins et enfants illégitimes. Quand les ex-maris cessaient de subvenir aux besoins de leurs épouses, les femmes se tournaient auparavant vers leur famille d’origine pour obtenir un soutien, mais, désormais, leurs propres frères se sont opposés à ce qu’elles reviennent, pour éviter d’appauvrir toute la famille. Comme traditionnellement au Rwanda seuls les fils héritent, les femmes ne pouvaient même plus espérer revenir dans leur famille d’origine avec seulement leurs filles qui, au regard du droit coutumier, ne pouvaient rivaliser pour hériter avec les fils des oncles. La femme laissait ses fils à leur père, mais les parents pouvaient alors refuser de donner de la terre à ses fils, en particulier si le père venait à mourir ou cesser de les soutenir. De même, une veuve se trouvait sans soutien de la part de ses beaux-frères ou de ses propres frères, qui tenaient les enfants de la veuve pour des rivaux de leurs propres enfants dans le partage de la terre. Les orphelins étaient traditionnellement pris en charge par les grands-parents paternels ; quand ceux-ci mouraient, les oncles des orphelins – les frères du père défunt – cherchaient désormais à déshériter ou à évincer les orphelins. Les enfants de mariages polygamiques ou de mariages cassés dans lesquels l’homme se remariait ensuite et avait des enfants avec une nouvelle épouse se retrouvaient déshérités ou évincés par leurs demi-frères.

Les litiges portant sur des terres les plus douloureux et les plus socialement perturbateurs étaient ceux qui faisaient se dresser des pères contre leurs fils. Traditionnellement, quand un père mourait, sa terre passait tout entière à son fils aîné, lequel était censé s’en occuper pour toute la famille et offrir à ses plus jeunes frères assez de terre pour assurer leur subsistance. La terre devenue rare, les pères ont petit à petit adopté la coutume consistant à diviser leur terrain entre tous leurs fils, afin de réduire le risque de conflit intrafamilial après leur mort. Mais les plus jeunes refusèrent que les aînés, qui étaient les premiers à se marier, reçoivent une part supérieure. Ils exigeaient désormais des divisions strictement égales. Le dernier-né, qui était traditionnellement censé s’occuper de ses parents quand ils seraient vieux, avait besoin ou exigeait une part supplémentaire afin de pouvoir exercer cette responsabilité coutumière. Tous déploraient que leur père garde trop de terres pour subvenir aux besoins de sa vieillesse et ils exigeaient désormais davantage de terrain pour eux. Les pères s’opposaient aux exigences des fils. Autant de conflits qui menèrent des familles devant des médiateurs ou les tribunaux et qui firent de proches parents des rivaux, voire des ennemis.

Telle fut la toile de fond sur laquelle les assassinats de 1994 furent perpétrés.

Après l’explosion de 1994, Catherine André a tenté de retracer le destin des habitants de Kanama. Elle a découvert que 5,4 % étaient déclarés morts par suite de la guerre. Ce nombre est sous-estimé, parce qu’elle n’a pu obtenir d’informations sur le sort de certains habitants. On ne sait donc pas si le taux de mortalité a, ou non, avoisiné la valeur moyenne de 11 % pour l’ensemble du Rwanda. Mais il n’en demeure pas moins que ce taux de mortalité dans une région où la population était presque exclusivement composée de Hutus a été la moitié de celui des régions où les Hutus ont massacré les Tutsis.

La seule Tutsi de Kanama, une veuve, a été assassinée. Était-ce pour des raisons ethniques ou autres (elle avait hérité de beaucoup de terres, été impliquée dans beaucoup de litiges portant sur des terrains, elle était enfin la veuve d’un Hutu polygame (donc, considérée comme une rivale par les autres épouses et leur famille) et son mari décédé avait déjà été dépossédé de ses terres par ses demi-frères) ?

Deux autres catégories de victimes étaient constituées de Hutus qui étaient de gros propriétaires. La majorité d’entre eux étaient des hommes de plus de cinquante ans, âge précoce pour les litiges père/fils portant sur la terre. La minorité était composée de jeunes qui avaient excité la jalousie par l’importance relative de leurs revenus extérieurs et leurs achats de terrains.

Il y avait aussi parmi les victimes les fauteurs de troubles connus pour avoir été impliqués dans toutes sortes de litiges portant sur des terres et autres conflits. Nombre de jeunes gens et d’enfants périrent, particulièrement ceux issus de milieux appauvris, que la désespérance a poussés à s’enrôler dans les milices et qui se sont ensuite entre-tués.

Enfin, le plus grand nombre de victimes ont été les gens particulièrement mal nourris ou particulièrement pauvres, disposant de peu ou pas de terres, et sans revenus extérieurs. Ils sont évidemment morts de famine, parce qu’ils étaient trop faibles ou n’avaient pas d’argent pour acheter de la nourriture ou payer les pots-de-vin exigés pour acheter leur survie aux barrages.

Ainsi, comme le notent André et Platteau, les événements de 1994 ont fourni une occasion unique de régler des comptes ou de remanier les propriétés même parmi les villageois hutus. […] Il n’est pas rare, aujourd’hui encore, d’entendre des Rwandais soutenir qu’une guerre était nécessaire pour diminuer une population en excès et pour la ramener au niveau des ressources en terre disponibles.

Pour sa part, Gérard Prunier précise : Les politiciens avaient bien sûr des raisons politiques de tuer. Mais si de simples paysans dans leur ingo [entourage familial] ont poursuivi le génocide avec un tel acharnement, c’est qu’une réduction de la population, pensaient-ils sans doute, ne pourrait que profiter aux survivants. (Je cite le fort ouvrage Rwanda, le génocide, Paris, Dagorno, 1997, p. 13.)

Le lien que Prunier comme André et Platteau établissent entre la pression démographique et le génocide rwandais n’a pas manqué d’être discuté, excipant alors d’un déterminisme environnemental.

Expliquer n’est pas excuser. Quand bien même on ne retiendrait qu’une seule explication pour le génocide, cela n’atténue en rien la responsabilité personnelle des auteurs du génocide rwandais. Il importe de comprendre les origines du génocide rwandais – non pour en exonérer les assassins -, mais pour tirer des enseignements pour le Rwanda ou pour d’autres régions. Vouer sa vie ou ses recherches à la compréhension des origines du génocide des juifs par les nazis ou comprendre l’esprit des meurtriers en série et des violeurs n’implique ni ne signifie que l’on tente de minimiser la responsabilité d’Hitler, des meurtriers en série et des violeurs. C’est plutôt que savoir comment la chose est arrivée donne l’espoir d’aider à en prévenir le retour.

Dire que la pression démographique a été la seule et unique cause du génocide rwandais est proprement simpliste. D’autres facteurs ont bel et bien joué un rôle, quel que soit leur ordre d’importance : la domination historique des Tutsis sur les Hutus au Rwanda, les assassinats à grande échelle de Hutus par des Tutsis au Burundi et à petite échelle au Rwanda, les invasions tutsis du Rwanda, la crise économique au Rwanda et son exacerbation par la sécheresse et certains facteurs mondiaux (en particulier la chute du prix du café et les mesures d’austérité prônées par la Banque mondiale), le désespoir de centaines de milliers de jeunes Rwandais déplacés dans des camps de réfugiés et mûrs pour devenir des miliciens, enfin les conflits internes aux factions au pouvoir au Rwanda, sans oublier la pression démographique.

Mais on ne saurait commettre l’erreur de conclure, du rôle de la pression démographique dans la genèse du génocide rwandais, que toute pression démographique conduit automatiquement au génocide. Il n’existe assurément pas de lien nécessaire entre la pression démographique malthusienne et le génocide. Des pays peuvent être surpeuplés sans qu’un génocide soit perpétré, comme le montrent le Bangladesh (qui a connu peu d’assassinats sur une grande échelle jusqu’à la terrible guerre d’indépendance de 1971) ou encore les Pays-Bas et la Belgique multiethnique, même si ces trois pays sont plus densément peuplés que le Rwanda. À l’inverse, un génocide peut survenir pour des causes dernières autres que la surpopulation, comme l’ont montré les tentatives de Hitler pour exterminer les juifs et les Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale ou le génocide des années 1970 au Cambodge, dont la densité de population était le sixième de celle du Rwanda.

La pression démographique a été l’un des facteurs importants à l’œuvre dans le génocide rwandais. Le scénario catastrophe de Malthus peut parfois se réaliser et le Rwanda en fut un modèle. De graves problèmes de surpopulation, d’impact sur l’environnement et de changement climatique ne peuvent persister indéfiniment : tôt ou tard, ils se résolvent d’eux-mêmes, à la manière du Rwanda ou d’une autre que nous n’imaginons pas, si nous ne parvenons pas à les résoudre par nos propres actions. Des mobiles semblables pourraient œuvrer de nouveau à l’avenir, dans d’autres pays qui, comme le Rwanda, ne parviennent pas à résoudre leurs problèmes environnementaux. Ils pourraient jouer au Rwanda même, où la population augmente aujourd’hui encore de 3 % l’an, où les femmes donnent naissance à leur premier enfant à l’âge de quinze ans, où la famille moyenne compte entre cinq et huit enfants.

Le terme de crise malthusienne  est impersonnel et abstrait. Il ne dit rien des détails horribles, sauvages, glaçants de ce que des millions de Rwandais ont perpétré. Laissons les derniers mots à un observateur et à un survivant. Sans doute, précise Gérard Prunier, les villageois ont-ils aussi le vague espoir qu’une fois le calme revenu, après les massacres, ils pourront obtenir des terres ayant appartenu aux victimes. Ce qui ne manque pas d’exercer un fort attrait dans un pays aussi pauvre en terres que le Rwanda.

Le survivant, c’est un dirigeant tutsi que Prunier a interrogé et qui n’a survécu que parce qu’il ne se trouvait pas chez lui lorsque les assassins sont arrivés et ont tué sa femme et quatre de ses enfants : Les parents d’enfants qui allaient à l’école pieds nus tuaient les parents qui pouvaient acheter des chaussures aux leurs.

Jared Diamond. Effondrement. Gallimard 2005

Les XVII° et XVIII° siècles semblent avoir été pour toute la région inter lacustre une période de grandes mutations résultant d’un important essor démographique qui pourrait être le résultat de la généralisation des plantes d’origine américaine comme le haricot, le manioc, la patate douce ou le maïs, qui bouleversèrent le régime alimentaire des populations. Jusque-là, dans toute la région, l’alimentation reposait sur l’association de plantes à relative faible valeur alimentaire  telles le taro, l’éleusine et le sorgho.

Du lac Albert au lac Tanganyika, ces siècles furent également ceux d’importantes migrations poussant les groupes agriculteurs vers les régions vierges de la crête Congo-Nil, des monts Virunga et du massif du Ruwenzori. Les généalogies et les traditions indiquent que c’est d’ailleurs à cette époque que les agriculteurs commencèrent à tuer la forêt, c’est-à-dire à la défricher. Au Rwanda, c’est sous le règne du mwami Kigeri lII Ndabarasa (seconde partie du XVIII° siècle) la plupart des traditions font apparaître les lignages défricheurs. Les enquêtes orales menées dans les années 1970 dans la partie centrale de la crête Congo-Nil font quant à elles remonter à onze générations, c’est-à-dire à environ trois siècles les premiers défrichements.

À la même époque, partout, dans la région inter lacustre, et notamment au Rwanda et au Burundi, les pasteurs Tutsi-Hima furent confrontés à l’expansion démographique des agriculteurs. En réaction, afin de garantir leur mode de vie, ils instaurèrent des droits exclusifs de pacage, réservant pour cela de vastes étendues aux seules activités pastorales. Au Rwanda, c’est à ce moment que le droit pastoral tutsi fut constitué afin de sauvegarder les biens de la vache contre la rapacité de la houe. Le droit foncier fut alors défini au seul avantage du bétail.

Dans les royaumes de la région inter lacustre dirigés par des pasteurs, les mêmes valeurs aristocratiques, pastorales et guerrières étaient à l’honneur. L’idéologie qui était à la base de la domination sociale, politique, économique et militaire de ces États pastoraux était d’essence raciale. Dans ces sociétés pastorales inter lacustres, tous les actes de la vie étaient placés sous le signe du bétail, quasiment sacralisé, et la terre était d’abord un pâturage. Politiquement, les rois ne régnaient pas sur des hommes, mais sur des troupeaux. Dans l’enclos royal brûlait un feu de bouse qui symbolisait la vie du monarque et quand le roi mourait, on laissait le feu s’éteindre avant de proclamer le lait est renversé.

Au Rwanda, les Tutsi avaient tissé entre eux et avec le roi des liens tout à la fois de soumission et de solidarité scellés par le don de vaches. Les troupeaux appartenant aux Tutsi constituaient des armées bovines auxquelles étaient rattachés des lignages humains. Ainsi, en zone pastorale, l’organisation sociale dépendait-elle des bovins. Les vaches qui formaient ces armées bovines étaient exaltées par des chants composant la poésie pastorale. L’amour de la vache était associé à la beauté dont les canons étaient souvent inspirés par les bovins. Les femmes tutsi étaient ainsi comparées aux vaches royales, les nyambo qu’on ne laissait pas trop se reproduire afin de leur conserver l’élégance des formes. Physiquement, le morphotype tutsi : taille élancée, traits fins, dolichocéphalie était chanté et proposé comme modèle.

Dans cette monarchie raciale qu’était le Rwanda précolonial, la lance et le bétail dominaient la glèbe et les greniers car les hommes de la vache commandaient à ceux de la houe. Dans le Kenya voisin, un proverbe luo dit : Le pastoralisme est supérieur à l’agriculture comme l’homme est supérieur à la femme. Du moins là où appliquait le droit pastoral, ce qui n’était pas le cas dans l’ensemble du Rwanda et notamment pas chez les montagnards du nord ou Bakiga, là où le pouvoir tutsi ne s’était jamais réellement exercé avant l’époque coloniale.

La question de savoir si Hutu et Tutsi sont des ethnies, des races, des classes sociales ou des castes est essentielle car elle sous-entend que leurs différences sont soit innées, car génétiques, et par conséquent immuables, soit acquises car économiques ou sociales, et par définition mouvantes. L’approche de la question peut-être faite par plusieurs disciplines.

  • La tolérance au lactose ou déficience en lactase constitue un premier marqueur permettant d’en savoir plus sur l’origine de ces populations. Le lactose est un sucre contenu dans le lait. Une fois absorbé, il est hydrolisé par l’enzyme lacté et se constituent ensuite le glucose et la galactose. Les populations qui possèdent cet enzyme sont tolérantes au lactose et les autres non. Jusqu’à l’âge de quatre ans, tous les enfants sont tolérants, ensuite, cette tolérance disparaît chez certaines populations tandis qu’elle demeure chez d’autres. Une recherche menée en Afrique orientale a montré que seuls les Tutsi et les Hima possèdent l’enzyme et cela entre 83 et 91 %. Toutes les autres populations étudiées, qu’il s’agisse des Hutus du Rwanda ou du Burundi, des Ganda d’Ouganda, des Shona du Zimbabwe ou encore des Shi sont intolérantes au lactose. Ces populations étant originairement alactasiques, nous sommes donc en présence d’une donnée génétique et non du résultat d’une adaptation
  • Les travaux portant sur les distances séparant les populations africaines en fonction des marqueurs génétiques choisis dans les groupes sanguins, les protéines sériques (albumine et immoglobulines), ainsi que dans le système Human Leucocyte Antigène (HLA) constitué d’antigènes d’histocompatibilité spécifiques d’un individu et qui interviennent dans la reconnaissance cellulaire, permettent d’affirmer que Tutsi et Hutu constituaient à l’origine deux groupes différents. Les disparités génétiques entre ces deux populations indiquent en effet que leurs différences sont innées, puisque biologiques, et non le résultat d’un phénomène économique ou encore moins d’une manœuvre politique des colonisateurs comme certains l’ont jadis affirmé. […] Au Rwanda et au Burundi, les ancêtres des actuels Tutsi se bantuisèrent linguistiquement en adoptant une langue bantu et en perdant l’usage de la leur qui appartenait probablement au groupe Nil-Sahara. Mais en devenant des locuteurs bantuphones, ils ne se transformèrent pas pour autant morphotypiquement en Hutu. Quant aux nombreux métissages, ils ne firent disparaître ni les Tutsi, ni les Hutu. Il existe en effet un morphotype tutsi, même si tous les Tutsi ne le présentent pas. Quant à l’accession à la tutsité, elle n’était pas automatique dès lors qu’un Hutu possédait un troupeau car, hier comme aujourd’hui, on naît Tutsi ou Hutu, on ne le devient pas. Prétendre qu’il suffisait au Hutu de posséder des vaches pour devenir Tutsi est donc une grossière erreur. Nombre de lignages hutu possédaient ainsi des bovins parfois même en quantité supérieure à celle de bien des Tutsi, mais ils n’étaient pas pour autant tutsisés.

Bernard Lugan. Histoire de l’Afrique. ellipses 2009

Les discours de La Baule du 20 juin 1990 de François Mitterrand : la fin de la Françafrique ? Pas tout à fait, car, après le discours de La Baule, l’armée du Front Patriotique Rwandais de Paul Kagame, composée essentiellement de Tutsi en exil et bien entraînée en Ouganda [3], attaquera dans le nord du Rwanda, et ce sera grâce à l’intervention française que le régime du président Habyarimana survivra.

Le Rwanda s’oriente progressivement vers le chaos. Le pays grouille désormais de milices (Interahamwe) créées de toutes pièces par le pouvoir en place, et ces unités accumulent des massacres de Tutsis en 1992 à Gisenyi, la région natale du président Habyarimana.

Il fallait discuter, trouver une issue. Les Accords d’Arusha (Tanzanie) en 1993 prévoient alors un partage équitable du pouvoir entre les Hutu et les Tutsi. Ils exhortent par ailleurs les exilés à regagner le pays et promettent d’intégrer les militants tutsi du Front Patriotique Rwandais dans l’armée régulière. La France peut désormais retirer ses forces qui secouraient ce régime en bout de souffle.

Après ce qui semble être un départ définitif de la France, l’Onu prend le relais à travers la MINUAR, la Mission d’Assistance des Nations Unies au Rwanda. On pense à la fin des troubles, on souffle, le Rwanda siège même en 1994 au Conseil de Sécurité de l’Onu en tant que membre non permanent – une véritable avancée.

Mais c’est oublier que le pouvoir est encore entre les mains des Hutu qui, après leur inclusion au Conseil de Sécurité de l’Onu, ont désormais accès aux documents sensibles de la Mission d’assistance affectée au pays. Pendant ce temps, la mise en place des résolutions des Accords d’Arusha patine. L’aile dure du gouvernement hutu qui revendique une mouvance dite Hutu Power rejette l’idée d’un gouvernement de transition qui ouvrirait la porte aux Tutsi.

Le 6 avril 1994, un avion est abattu dans le ciel de la capitale rwandaise, Kigali. Et cet avion transportait les présidents rwandais et burundais. Le lendemain, commenceront les massacres d’une ampleur sans commune mesure, et le monde entier vivra en direct l’un des derniers génocides du XX° siècle dans ce petit pays, pour reprendre la formule du rappeur-romancier franco-rwandais Gaël Faye…

Le Rwanda fait partie de la région des Grands Lacs – qui compte près de 170 millions d’habitants [4] – et comme partout dans le continent africain, les frontières de cet espace de l’Afrique de l’Est ont été héritées des anciennes puissances coloniales. L’expression pays des Grands Lacs n’est d’ailleurs pas nouvelle, elle était déjà dans la bouche des explorateurs européens lancés à la recherche des sources du Nil à la fin du XIX° siècle, certains d’entre eux – comme les Britanniques Henri Morton Stanley ou Richard Francis Burton – ayant été évoqués pendant la première leçon.

Dans leur ouvrage Rwanda, Racisme et Génocide, l’idéologie hamitique (2013) que je convoquerai largement ici, Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda rappellent que c’est avec le colloque organisé à Bujumbura en 1979 et consacré à la civilisation ancienne des peuples des Grands Lacs que l’expression a connu un regain de faveur pour désigner cet ensemble composé par la Tanzanie, l’Ouganda, la RDC, le Rwanda et le Burundi. Les conflits interminables dans cet espace font régulièrement la une des journaux, laissant penser à une fatalité ou a une barbarie qui serait propre au continent noir. Or ce chaos est directement la conséquence lointaine des idéologies propagées par les colons et qui ont fini par d’incruster dans l’inconscient des anciens colonisés.

Il faut se souvenir que plusieurs des expéditions européennes en Afrique avaient pour dessein de dénicher des lieux prétendument mythiques et parmi eux, les sources du Nil. Mais ce n’était pas seulement l’Europe qui couvait de tels fantasmes puisque l’on retrouve également cette frénésie dans le monde arabe, si l’on se réfère par exemple aux Mille et une Nuits où l’on parle d’une rougeoyante ville de cuivre aux abords des sources du NIl (dans Rwanda, Racisme et génocide. L’idéologie hamitique Paris Belin 2013 p.15 Jean-Pierre Chrétien, Marcel Kabanda)

Le génocide au Rwanda a été, de ce fait, devancé par une littérature nocive. Pour s’imposer et perdurer, […] les colons belges s’étaient appuyés sur l’ethnie et avaient jonglé selon les pouvoirs en place ou la composition des groupes. Une certaine littérature occidentale du XIX° siècle embarquée dans le vertige de la colonisation garantira les rêveries de grandeur, accréditant à sa manière l’existence dans cette partie de l’Est de l’Afrique de peuples extraordinaires, spécifiques, loin des tares de ces nègres qui auraient été maudits depuis les temps de la malédiction de Cham. C’est cette distinction, appuyée aussi bien par la science d’alors que par les textes religieux, qui sera plus tard la grille de lecture au sujet des populations du Rwanda :

Le pouvoir colonial a racialisé les catégories qui étaient à l’origine sociales, en distinguant les Noirs nilo-hamites d’une part, et les bantous d’autre part. Jugés supérieurs, aptes à l’évangélisation, [les Hamites] seraient venus du Moyen-Orient, [d’Ethiopie ou encore de la région du Nil]. Les vrais Noirs au contraire, se seraient moins prêtés à la conversion au christianisme. L’opposition entre les seigneurs d’Orient et les nègres Banania est un des plus sinistres exemples du développement de l’idéologie africaniste. [Jean-Pierre Chrétien, Marcel Kabanda]

Il n’était donc plus question de l’inégalité des races tout court, mais de l’inégalité à l’intérieur de la race noire l’une étant supérieure à l’autre ; l’une d’elle était faite pour dominer, commander, parce qu’ayant gardé dans sa migration du nord vers le sud les fondements de l’intelligence occidentale chère à Hegel, tandis que l’autre noire, la maudite, était restée au stade de la sauvagerie. Ce qui expliquera l’idéologie occidentale de la mission noble et humaniste de sauver le nègre barbare, mieux encore, d’éloigner le nègre supérieur, donc le Hamite, puissance de nuire des vrais nègres. Il s’agissait de ce que Catherine Couio qualifie d’exportation d’un délire : le rêve de la création d’un Orient africain, le Nil devenant du coup le lieu symbolique où l’exotisme racial, d’inspiration biblico-scientifique, prend le relais de l’exotisme géographique et entre en coalescence avec lui.

Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à lire les conclusions du rapport d’Administration coloniale Ruanda-Urundi, dressées depuis Bruxelles en 1923 et que cite Coquio dans son Rwanda, le réel et les récits [2004] :  Les Tutsis sont un autre peuple. Physiquement, ils n’ont aucune ressemblance avec les Hutu, sauf évidemment quelques déclassés dont le sang n’est plus pur. Mais le Tutsi de bonne race n’a, à part la couleur, rien de nègre […] Les Tutsi étaient destinés à régner… D’où viennent ces conquérants ? Ils ne sont pas bantous, cela est bien certain, sans trace d’infiltration quant à leur origine.

Plus proche de nous, à la fin des années 1970, Paul del Perugia écrira : Le hamite – L’homme au bâton pastoral- ne gravit que très tard, à la fin du XII° siècle, la zone interlacustre. Bien qu‘en petit nombre, il représenta aussitôt l’élément unificateur du plateau … […] De même que les Bantous méprisaient les Pygmées pour leur petite taille, ainsi les Hamites, dès leur apparition, en imposèrent-ils moralement par leur gigantesque stature, et leur allure patricienne. Les paysans furent toisés par une race de Géants devant qui ils s’inclinèrent. La finesse de leurs traits, généralement immobiles et hautains, leurs yeux expressifs, leur prestance magnifique, leur peau aux reflets rouges, tout rendait ces immigrants irréductibles aux Bantous. Les Hamites ne sont ni négroïdes ni europeïdes. L’origine de leur race splendide demeure toujours mystérieuse. Le comte von Götzen, premier blanc qui, en 1894, pénétra au Rwanda, ne cache pas l’impression de noblesse que provoquait le spectacle de ces statues impassibles. Sur les Bantous, ils exerçaient une fascination plus grande encore. Le sentiment de majesté qu’inspire cette minorité par sa seule prestance physique joua un rôle déterminant dans l’organisation rwandaise. Chez les paysans, il provoque le complexe d’infériorité qui les anéantissait et n’a pas encore disparu.

Avant la colonisation, la question de l’ethnie était étrangère au Rwanda, la distinction était en réalité fondée sur une répartition sociale entre les bergers [Tutsi], les agriculteurs [Hutu] et les chasseurs [Twa]. Il n’y avait cependant pas de frontières étanches : on pouvait naître Tutsi ou devenir Tutsi, on pouvait naître Hutu ou devenir Hutu puisque c’était l’activité exercée qui définissait l’individu, et le Rwanda affichait une unité linguistique rare dans le continent.

Dans les années 2000, un groupement d’artistes appelé Groupov eut la lourde tâche d’exposer le génocide au grand public grâce à Rwanda 94. Dorcy Rugamba qui joue dans cette pièce de théâtre, se demande : Ici se pose la fameuse question : Hutu c’est quoi ? et Tutsi c’est quoi ?  Certainement pas des ethnies. [..] Les Bahutu, les Batutsi et les Batwa parlent la même langue [le kinyarwanda] partagent la même culture [l’ikinyarwanda], ont les mêmes croyances [imana] et habitent le même territoire. Il n’y a donc au Rwanda qu’une seule ethnie : les Banyarwanda. Hutu et Tutsi ne sont pas des races non plus car il est impossible de changer de race. Un homme noir ne devient pas blanc ; or des Batutsi devenant des Bahutu ou des Hanhutu devenant des Batutsi, cela ne date pas de la colonisation. […] Dans l’ancien Rwanda, un terme qualifiait le fait de quitter la classe hutu pour la classe tutsi. Kwituhura : se déhuitiser, suis-je tenté de traduire.

Alain Mabanckou  Huit leçons sur l’Afrique. Huitième leçon au Collège de France, du 24 mai 2016 : Ecrire après le génocide du Rwanda.       Grasset 2020

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[1]    Il y a quelque chose de pas clair dans le classement de ces fortunes mondiales, car elles devraient refléter la réalité, en distinguant par un signe quelconque – couleur, astérix etc… – l’appartenance de chacun aux officiels – fortunes reconnues –  ou aux officieux  – mafieux, chef d’État corrompus, patrons des cartels de la drogue -. Car au moins on aurait une idée du rang de chacun dans la hiérarchie du fric et ainsi il apparaîtrait que Muhammar Kadhafi tient bien son rang avec ses 150 milliard $, et qu’Alassane Ouattara, par exemple aussi, occupe un rang très honorable. Il reste qu’il y a des fortunes difficiles à classer : dans quelle catégorie mettre par exemple Vladimir Poutine ? À l’extrême, on en trouve pour dire que toutes les fortunes sont illégitimes, sinon illégales.

[2] Roméo Dallaire qui, un jour, demandant à Paul Kagamé de déployer ses hommes pour sauver des Tutsi menacés, se verra répondre : Cette guerre sera la cause de bien des sacrifices. Si les réfugiés doivent être sacrifiés pour la bonne cause, on considérera qu’ils étaient inclus dans ce sacrifice.

Ce qui inspirera à André Guichaoua [Rwanda, de la guerre au génocide, les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994) Paris, La Découverte 2010] la réflexion suivante : Le FPR n’est pas entré en guerre ni ne l’a conduite pour sauver les Tutsi, il s’est emparé par la force du pouvoir à Kigali au prix de la vie de ses compatriotes.

[3] L’Ouganda est anglophone, et la très vieille rivalité entre Afrique francophone et Afrique anglophone, qui avait atteint sa plus grande intensité  lors de l’affaire de Fachoda, en 1898, était encore bien vivante dans le ressenti de Mitterrand.

[4] Cette très forte population, avec des densités voisines de celle de la Hollande : 422 hab/km² au Burundi, 454 au Rwanda, ce qui ne peut qu’exacerber les tensions entre éleveurs qui ont besoin d’espace et paysans qui doivent se contenter de petites parcelles, tensions donc sur le foncier aussi – s’explique par l’altitude moyenne, élevée : ce sont les hauts plateaux – altitude moyenne du Rwanda : 2 000 m., 1 700 au Burundi – qui départagent les eaux entre l’Atlantique et l’océan indien – la mouche tsé-tsé responsable de la maladie du sommeil, et le moustique anophèle, porteur du plasmodium falciparum, responsable du paludisme ne peuvent pas vivre à ces hauteurs, et donc la mortalité y est bien moindre que dans les régions de faible altitude.