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9 septembre 1994 au 22 février 1996 Le sang contaminé. Grotte Chauvet. Juppé sans doute trop droit dans ses bottes. Jacques Chirac supprime le service militaire obligatoire. Mort de François Mitterrand. 15996
9 09 1994 Mise en examen dans l’affaire du sang contaminé d’Edmond Hervé, ancien ministre de la Santé, de Georgina Dufoix, ancienne ministre des Affaires Sociales, et de Laurent Fabius, ancien Premier Ministre : véritable tonneau des Danaïdes procédural, l’affaire échouera finalement en février 99 devant la Cour de Justice de l’État. Des fautes ont été commises certes, la lenteur de l’administration à appliquer les directives ministérielles ont causé des morts, la poursuite des collectes de sang en milieu carcéral sans dépistage, selon des directives internes opposées aux directives ministérielles, l’écoulement des stocks de sang non chauffés, l’homologation tardive du test Abbot, pour ne pas nuire au test Pasteur, sont des faits qui méritaient d’être condamnés ; mais il faut tout de même se souvenir de ce qu’était alors le sida en France par rapport aux autres causes de décès par maladie : en 1985, pour 573 cas de sida, on a compté 180 morts, pendant que la grippe tuait 600 personnes, l’infarctus 50 000 et le cancer 140 000. Plusieurs mois après que Laurent Fabius eût rendu obligatoire le dépistage obligatoire, 80 % des médecins estimaient que c’était là un luxe inutile, le professeur Jean Bernard, le pape de l’hématologie déclarait : Le risque du sida est moins grave que celui de l’hépatite, l’ensemble de l’opinion estimait que c’était une histoire d’homosexuels et de drogués… Santé publique. Demandez à n’importe qui : où est l’urgence ? et il vous répondra : VIH. Le lobby homo a du génie, et il est scandaleux que neuf malades sur dix dans le monde n’aient pas accès aux soins. Mais dans nos contrées, c’est une illusion. Le sida tue autour de cinq cents personnes en France [en 2004] par an, Alzheimer, quatre-vingt mille. Cent fois plus. C’est la troisième cause de mortalité, après le cancer et les maladies cardio-vasculaires. On estime à cent-vingt mille les porteurs du VIH sida, mais huit cent cinquante mille le nombre d’Alzheimer de plus de soixante-dix ans (cent mille cas nouveaux chaque année) [En fait, neuf cent mille en 2016 ; chiffres France-Inter]. Un programme Alzheimer a été adopté en 2001. On attend toujours la circulaire d’application et les moyens. Il prévoyait la création de sept mille places d’accueil par jour. À peine la moitié a été obtenue, et il y aura, dans dix ans, deux millions de malades, dans notre pays. Les temps d’antenne et les budgets vont aux sidéens. Place aux jeunes. Régis Debray Le Plan Vermeil. Gallimard 2004 Le procès devant la Cour de Justice de la République, beaucoup plus que la culpabilité des ministres vient mettre en évidence les fautes de l’administration et du corps médical. Dans un tel contexte, l’acharnement d’aujourd’hui comprend une bonne dose de malhonnêteté, dénoncée par des voix de plus en plus nombreuses : Encenser le rôle du politique pour mieux l’abaisser, quelle éclatante revanche pour le corps judiciaire ! Après avoir oscillé, depuis deux siècles, de l’extrême arrogance à l’extrême soumission, voilà la magistrature en situation de se venger ! Grâce au jeu de miroir qui s’est instauré entre l’opinion et la justice, celle-ci tient dans sa main ces politiques qui l’ont si souvent humiliée. Procès d’intention, rétorquera la corporation judiciaire : seul notre devoir nous guide…. Qui a lu l’arrêt de renvoi des trois ministres devant la Cour de Justice de la République ne peut que s’esclaffer devant tant d’hypocrisie ! Ce texte exsude la haine. Haine des politiques, du pouvoir, des puissants. Qu’il est doux, protégé par l’hermine et le respect dû aux magistrats de pouvoir, de la sorte, prendre une revanche historique ! Au service de cette mission, tous les moyens sont bons : méconnaissance du fonctionnement de l’État, analyses tronquées, sophismes et contre vérités. Si, au nom de la transparence démocratique, les actes de justice étaient soumis à la même critique que les décisions politiques ou les stratégies industrielles, l’arrêt serait mis en charpie, ses rédacteurs déconsidérés et le procès du 9 février (1999) tomberait en quenouille. Alain Minc. Le Monde du 22 janvier 1999 Le droit est une matière assez plastique qui peut permettre de régler des comptes politiques. Gérard Davet, journaliste au Monde, Midi Libre du 23 novembre 2014 27 09 1994 L’Estonia, ferry boat reliant Tallinn, en Estonie, à Stockholm essuie un gros temps de force 8. Il transporte 803 passagers et 186 hommes d’équipage. À 1 heure du matin, le pont des voitures est envahi d’eau. 30 minutes plus tard, le bateau coule, faisant 852 victimes. La commission d’enquête mettra trois ans pour conclure à la responsabilité du chantier naval allemand qui a construit l’Estonia. Mais les lacunes, voir erreurs de cette enquête sont tels qu’ils susciteront une autre enquête, qui conclura avec une quasi certitude à un attentat terroriste, consécutif au transport clandestin – non déclaré sur les listes de fret – de deux camions remplis d’héroïne et d’isotopes de cobalt radioactifs. Onze ans après les faits, la Suède reconnaîtra que le navire transportait aussi du matériel militaire de l’armée suédoise. Vingt-cinq ans plus tard, l’affaire aura, un peu mais pas plus, avancé et la thèse terroriste éliminée : S’il s’était tenu quelques années après la catastrophe, dans laquelle Elisabeth Nilsson a perdu son mari en 1994, alors peut-être que le procès qui s’ouvrira vendredi 12 avril 2019, devant le tribunal de grande instance de Nanterre, aurait permis aux familles des 852 victimes d’avancer dans leur travail de deuil. Mais un quart de siècle après le naufrage, il arrive trop tard, souffle la retraitée suédoise, qui rêve d’une conclusion. C’est ce qui fait l’intérêt de ce procès. Pour la première fois, un tribunal va enfin se prononcer sur le fond du dossier et juger de la responsabilité civile du bureau français de vérification Veritas et du constructeur allemand Jos L. Meyer Werft, note Me François Lombrez, l’avocat français de 1 116 ayants droit et survivants. Pour en arriver là, il aura fallu vingt trois ans de procédure, émaillés de multiples renvois et référés, et deux arrêts de la Cour de cassation. L’avocat suédois, Me Henning Witte, qui avait lancé la procédure en 1996, reconnaît qu’il avait perdu espoir de la voir aboutir un jour. Il n’est guère optimiste sur l’issue du procès en l’absence d’une expertise technique de l’épave, refusée par la justice française, une décision qu’il qualifie de sabotage. Le 27 septembre 1994, l’Estonia a quitté le port de Tallinn en fin d’après midi, direction Stockholm. Le navire est un symbole : premier bateau à relier l’Estonie à l’Europe de l’Ouest après l’implosion de l’Union soviétique (URSS). Ove Nilsson, entrepreneur de 46 ans, n’aurait pas dû se trouver là bord. Il a avancé son retour, raconte sa femme, Elisabeth. Juste avant d’embarquer, il a appelé son plus jeune fils. C’est lui qui a appris le naufrage à 5 heures du matin, en allant travailler. Un des survivants suédois, l’ingénieur Mikael Oun a raconté s’être réveillé au milieu de la nuit : J’ai entendu un bruit épouvantable, puis deux coups. J’ai compris que quelque chose n’allait pas. Le bateau n’avançait plus comme avant. Brusquement, il s’est incliné. Les meubles sont venus s’écraser contre la porte. L’Estonia a lancé son premier SOS à 1 h 22. A 1 h 48, le navire de 155 mètres de long, disparaît des radars. Sur les 989 passagers, seulement 137 ont survécu. La plupart des victimes étaient des Suédois et des Estoniens. Une Française a également péri dans le naufrage. Sept cent cinquante sept corps n’ont jamais été retrouvés. Très vite à Stockholm, la machine s’emballe. Quelques heures après la catastrophe, le premier ministre conservateur, Carl Bildt avance la thèse d’un accident : en pleine tempête, les attaches de l’étrave mobile qui verrouille la proue du bateau auraient fini par céder, provoquant l’ouverture de la rampe d’accès et permettant à l’eau de s’engouffrer sur le pont à voitures. Cette première version des faits sera confirmée trois ans plus tard par une commission d’enquête internationale tripartite, dont le rapport publié en 1997 constate que l’étrave mobile n’avait pas été construite conformément à des hypothèses de conception raisonnables. Selon Me François Lombrez, le Bureau Veritas aurait dû signaler le défaut, mais il a choisi de déclarer le navire apte à la navigation quand il ne l’était pas. Les conclusions de la commission d’enquête n’ont jamais été confirmées par des experts. Car après avoir décidé, en décembre 1994, de ne pas renflouer l’épave et de ne pas remonter les corps, les autorités suédoises ont convaincu Tallinn et Helsinki de faire du navire une sépulture, en interdisant l’accès par un traité signé par les trois pays. Des décisions qui ont semé le trouble parmi les familles des victimes et les survivants, rassemblés longtemps en onze associations. Il n’en reste plus que deux aujourd’hui. La plupart des proches ont perdu espoir de voir un jour l’affaire résolue. A aucun moment, on ne nous a écoutés ou on ne nous a demandé notre avis, confie Elisabeth Nilsson. Quand nous voulions des informations, c’était à nous de demander. D’étranges révélations, comme le fait que l’Estonia ait transporté du matériel militaire soviétique, à deux reprises avant le naufrage – ce que les douanes et l’armée ont confirmé en 2004 -, ne font rien pour apaiser les esprits. C’est d’ailleurs pour mettre un terme aux spéculations que les deux associations encore actives exigent l’ouverture d’une nouvelle commission d’enquête, ainsi qu’une inspection de l’épave par des plongeurs. Mais sans succès. Plus de dix motions en ce sens ont été présentées au Parlement suédois, sans jamais qu’elles soient votées, raconte Bertil Calamnius, qui a perdu sa fille dans la catastrophe. Devant le tribunal de Nanterre, les ayants droit réclament 40 millions d’euros au titre du préjudice moral. Le procès se tiendra vendredi 12 et lundi 15 avril 2019. Joint par Le Monde, le Bureau Veritas n’a pas souhaité s’exprimer. Anne Françoise Hivert correspondante régionale. Le Monde du 13 04 2019 2 10 1994 Plusieurs lois pour lutter contre la corruption sont votées, mettant en place le contrôle du patrimoine de certains élus et la limitation du financement des partis et des élections. Philippe Seguin a proposé que les élus soient assistés pour la passation des marchés publics, et que les partis soient désormais financés par les citoyens et non plus par les entreprises. 4 10 1994 L’ONU fixe au 31 mars 1995 le retrait des 15 000 Casques Bleus de Somalie. 5 10 1994 La secte du Temple Solaire organise le suicide de 53 membres en Suisse et au Canada. Le travail d’enquête de la police suisse sera particulièrement bâclé. 21 10 1994 Mise en service du tunnel de Puymaurens, qui permet d’aller en Espagne depuis Toulouse, et laisse aux touristes le passage par le col, à 1910 m. 4 820 km, 1 500 véhicules par jour, vitesse limitée à 70 km/h. Une mise à jour des normes de sécurité sera effectuée de 2013 à 2015 suite à l’accident du tunnel sous le Mont Blanc en 1999, dont, principalement, un abri anti-incendie tous les 400 m. 14 11 1994 Voyage inaugural d’Eurostar : Trains à grande vitesse également nommés TGV TMST (pour TGV Trans Manche Super Train) en France et British Rail Class 373 au Royaume-Uni. Il relie Paris et Bruxelles au Kent, dans le sud de l’Angleterre et à Londres, via Lille et Calais, en empruntant le tunnel sous la Manche. Des trains directs relient également Londres à Marne la Vallée (Disneyland Paris), Avignon en été, Bourg Saint Maurice, La Plagne et Moutiers, en hiver. Composée de dix-huit voitures et de deux motrices, chaque rame mesure 393,72 m de long et peut transporter jusqu’à 750 passagers à 300 km/h. Eurostar est aussi le nom de la compagnie ferroviaire de droit britannique qui exploite le train. 27 11 1994 La Norvège refuse d’adhérer à l’Union Européenne par 52,1 % des voix ; le vote de septembre 1972 se répète. 11 1994 Jean François Clervoy vole sur une navette américaine, dans le cadre de l’Agence Spatiale Européenne. 1 12 1994 Intervention de l’armée russe en Tchétchénie. 6 12 1994 En Italie, démission du juge Di Pietro, à la tête de l’opération Mani Pulite. 11 12 1194 Début de la première guerre en Tchétchénie. Le conflit durera 20 mois et fera entre 50 et 70 000 morts civils. 13 12 1994 Lancement de la Cinquième (…chaîne de télévision), dirigée par Jean Marie Cavada. 14 12 1994 La terre tremble au Grand Bornand : magnitude 5,1, et à Faverges : magnitude 4,6. 18 12 1994 Les associations de Sans Abris investissent un immeuble de la Rue du Dragon. Dans les Gorges de l’Ardèche, à la Combe d’Estre, Jean-Marie Chauvet, Éliette Brunel et Christian Hillaire découvrent la grotte Chauvet : manifestation d’une exceptionnelle qualité de l’art pariétal des Aurignaciens : émouvant à vous prendre à la gorge, disent les rares visiteurs. Les peintures ont 33 000 ans (paléolithique supérieur) [1] : plus de 400 animaux ont été répertoriés : mammouths, rhinocéros, lions, chevaux, bisons, bœufs musqués, hiboux à tête tournée… L’émanation de gaz carbonique qu’entraîneraient des visites régulières risquerait de les détruire : la grotte sera très rapidement fermée au public. L’administration du ministère de la Culture étalera sa morgue et sa bêtise tout au long de procès intentés par les découvreurs, puis les propriétaires, allant jusqu’à fabriquer des faux en antidatant des documents. Les découvreurs ne pourront obtenir aucun droit sur les premières photos. En 2010, Werner Herzog réalisera La grotte des rêves perdus, qui générera 4.9 M d’€ de recettes… et toujours rien pour les découvreurs. Le projet d’une grotte- réplique[2] dans les environs proches devrait voir le jour vers 2005 / 2006. Les peintures pourraient être l’expression de chamanisme. Des traces de pas d’enfant seront datées de 25 000 à 26 000 ans avant notre ère, les traces les plus anciennes d’un homo sapiens sapiens…. un enfant… parce qu’il n’y a que les enfants pour roder un peu partout, hors des sentiers battus…. les traces des adultes, toutes accumulées au même endroit, sont illisibles. 24 12 1994 Prise d’otages par le FIS à l’aéroport d’Alger des passagers du vol 8 969, un Airbus d’Air France ; non sans mal, le gouvernement français obtiendra son départ sur Marseille, avec 173 personnes à bord ; l’affaire y sera réglée par le GIGN, commandé par Denis Favier : les quatre terroristes seront tués. 9 membres du GIGN seront blessés. Denis Favier reçoit de Charles Pasqua, ministre de l’intérieur, l’ordre de donner l’assaut et lui répond : Monsieur le ministre, avec tout le respect que je vous dois, c’est moi et moi seul qui déciderai du moment opportun. Le moment opportun sera 17 h 12’ le 26 décembre. Il est très probable que les terroristes avaient projeté au moins de faire sauter l’appareil, sinon de l’écraser sur Paris : on retrouva plusieurs bâtons de dynamite à bord. Pasqua froncera le sourcil, qu’il avait de toutes façons ombrageux, mais pas plus… Le héros Denis Favier aura la carrière qu’il méritait pour finir grand chef de la gendarmerie avant de devenir en 2016 Monsieur Sécurité du groupe Total. 12 1994 Le Royaume Uni interdit l’usage des FVO pour tous les animaux. 1994 Boris Eltsine chasse en compagnie de nombreux apparatchiks… Tout le monde se rue à table à l’heure du casse croûte… deux coups de feu claquent, tirés par un garde et Vladimir Vladimirovitch Poutine, et c’est ce dernier qui foudroie le sanglier. Boris Eltsine se dit alors que Moscou a besoin de ce genre d’homme. En France, loi d’indemnisation envers les anciens harkis : une allocation forfaitaire de 110 000 francs complète celle mise en place en 1988. Le statut de victime de captivité des anciens harkis est reconnu, des aides diverses sont créées. Jean René Fourtou est PDG de Rhône Poulenc, qui a une usine de raffinage de terres rares à La Rochelle, laquelle purifie annuellement 8 à 10 000 tonnes de terres rares, soit 50 % du marché mondial ! Les terres rares sont presque toujours voisines de minerais radioactifs, et la matière première traitée en raffinage comporte dans les premiers stades des opérations des matières radioactives, de l’uranium pour le principal. Depuis plusieurs années, Rhône Poulenc reçoit des plaintes à ce sujet, ignorées jusqu’à présent, y compris par le très écologique maire Michel Crépeau. Jean-René Fourtou décide de délocaliser ces opérations et de les confier aux pays qui les accepteront : La Norvège, l’Inde et la Chine sont sur les rangs. La Norvège va vite se révéler la plus chère et Rhône Poulenc, devenu Rhodia, va s’engager dans un partenariat à long terme avec la Chine, bien évidemment la moins chère, et qui se moque bien de la très grave pollution entraînée et encore plus des protestations de ceux qui la subissent. Ainsi donc, la France abandonne sa position dominante sur ce secteur capital des terres rares essentielles à tous les produits de pointe pour renforcer celle de la Chine qui va rapidement se retrouver en ce domaine en position de quasi-monopole, avec tous les risques de chantage que cela permet. 1 01 1995 L’Autriche, la Finlande et la Suède entrent dans l’Union Européenne. Cette dernière a soumis cette entrée à référendum le 13 11 1994 : 52,2 % de Oui pour une participation de 82,4 % des inscrits. Les pays membres sont au nombre de 15. 2 01 1995 La mine de Tower Colliery, au Pays de Galles, est fermée depuis avril 1994. 239 actionnaires salariés en prennent possession en y investissant chacun 8 000 livres d’indemnité. Et ça marche, les bénéfices viendront dès la première année ; les effectifs passeront rapidement à 400 personnes. C’est une coopérative au fonctionnement très démocratique. 12 01 1995 82 % des chômeurs indemnisés touchent moins de 5 000 F / mois. 17 01 1995 François Mitterrand consacre son dernier grand discours à Strasbourg pour la présentation de la présidence française au Parlement Européen, à la construction européenne et aux dangers du nationalisme. Il se trouve que les hasards de la vie, ont voulu que je naisse pendant la première guerre mondiale et que je fasse la seconde. J’ai donc vécu mon enfance dans l’ambiance de familles déchirées qui toutes pleuraient des morts et qui entretenaient une rancune et parfois une haine contre l’ennemi de la veille. L’ennemi traditionnel ! Mais, Mesdames et Messieurs, nous en avons changé de siècle en siècle ! Les traditions ont toujours changé. J’ai déjà eu l’occasion de vous dire que la France avait combattu tous les pays d’Europe, à l’exception du Danemark, on se demande pourquoi ! Mais, ma génération achève son cours, ce sont ses derniers actes, c’est l’un de mes derniers actes publics. Il faut donc absolument transmettre. Vous êtes vous-mêmes nombreux à garder l’enseignement de vos pères, à avoir éprouvé les blessures de vos pays, à avoir connu le chagrin, la douleur des séparations, la présence de la mort, tout simplement par l’inimitié des hommes d’Europe entre eux. Il faut transmettre, non pas cette haine, mais au contraire la chance des réconciliations que nous devons, il faut le dire, à ceux qui dès 1944-1945, eux-mêmes ensanglantés, déchirés dans leur vie personnelle le plus souvent, ont eu l’audace de concevoir ce que pourrait être un avenir plus radieux qui serait fondé sur la réconciliation et sur la paix. C’est ce que nous avons fait. Je n’ai pas acquis ma propre conviction comme cela, par hasard. Je ne l’ai pas acquise dans les camps allemands où j’étais prisonnier, ou dans un pays qui était lui-même occupé comme beaucoup. Mais je me souviens que dans une famille où l’on pratiquait des vertus d’humanité et de bienveillance, tout de même, lorsque l’on pratiquait des Allemands, on en parlait avec animosité. Je m’en suis rendu compte, lorsque j’étais prisonnier, en cours d’évasion. J’ai rencontré des Allemands et puis j’ai vécu quelques temps en Bad-Wurtemberg dans une prison, et les gens qui étaient là, les Allemands avec lesquels je parlais, je me suis aperçu qu’ils aimaient mieux la France que nous n’aimions l’Allemagne. Je dis cela sans vouloir accabler mon pays, qui n’est pas le plus nationaliste loin de là, mais pour faire comprendre que chacun a vu le monde de l’endroit où il se trouvait, et ce point de vue était généralement déformant. Il faut vaincre ses préjugés. Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire et pourtant si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, Mesdames et Messieurs : le nationalisme, c’est la guerre ! La guerre ce n’est pas seulement le passé, cela peut être notre avenir, et c’est vous, Mesdames et Messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir ! Ainsi donc, s’il faut en croire le chef de l’État, le nationalisme serait la guerre. Mais comment donc cet homme aura-t-il fait pour être aussi moderne, jusqu’à bien mouiller sa chemise dans la réalisation de la pyramide du Louvre par Peï, quand il n’aura été tout au long de sa très longue carrière qu’un homme du passé ? Car dire que le nationalisme c’est la guerre est aussi stupide que de dire le sexe, c’est la pornographie, c’est la prostitution, c’est le maquereautage, c’est sale et donc rejetons-le. Revient en mémoire le très moyenâgeux : Les mamelles de la femme sont les forteresses de Satan. Car c’est le chauvinisme qui est au nationalisme ce que la pornographie est à l’amour. Le nationalisme n’est pas un choix politique, c’est simplement le constat qu’une bonne partie de notre identité vient de notre environnement familial, géographique, climatique, culturel, intellectuel etc… et qu’il est parfaitement stupide de nier cette réalité. C’est de l’ordre de l’incantation, rien de plus. Qu’il soit essentiel de faire coexister cette réalité avec des valeurs de tolérance, de respect et d’écoute des différences, des autres cultures, est un autre problème. Il est parfaitement stupide de faire l’amalgame par exemple entre une foule de 30, 40 000 Estoniens chantant leur hymne national – La patrie est mon amour – jusqu’à faire taire la fanfare soviétique, – cela s’est vu dans les années 1980 – et des travées de supporters de foot hurlant pendant deux heures pour soutenir leur équipe. Dans les deux cas, il s’agit bien de nationalisme, qui inclut le chauvinisme dans sa plus mauvaise version. L’amour, ce peut être la pornographie, ce peut être la prostitution mais si l’on verse dans l’amalgame, on en vient à dire rapidement que ce n’est que cela, c’est-à-dire qu’on marche dans les pas de tous les Tartufes, les durs à jouir, les grenouilles de bénitier qui ont pourri la vie de tous ceux qui ont eu la faiblesse de les suivre, pendant des siècles : c’est là une pensée régressive, et, on le voit, elle peut s’exercer aussi envers le nationalisme. Et donc, il peut être utile de réfléchir un peu avant d’asséner des contre vérités. S’il est évident que le nationalisme des revanchards de 1870 porte une énorme responsabilité dans la guerre de 14-18, où en serait le nazisme s’il n’avait pas trouvé en face de lui d’autres nationalismes que le sien pour le défaire ? Comment peut-on souhaiter que disparaisse cette réalité fondamentale, si fondamentale qu’elle se manifeste dans ce qui est le propre de l’homme, le rire ? Si les voyages facilitent la tolérance, ils apprennent aussi les identités, qui se reconnaissent dans l’humour. Combien diffèrent les situations provoquant le rire selon les pays ? Allez donc diffuser un même spot publicitaire dans tous les pays de l’Europe : le flop est assuré, dans la plupart des pays sauf celui d’origine. On ne rit pas des mêmes choses, des mêmes situations. Tant que les gens de gauche se refuseront à prendre en compte la complexité de cette question du nationalisme, ils amèneront au Front National tous ceux qui se refusent à le remplacer par l’insipidité des hôtels internationaux, de la musique d’ascenseur et de la littérature des gratuits qui ne collecte que des dépêches d’agence de presse, tous ceux qui préfèrent l’odeur d’un terroir à celle du quartier de la Défense, une fin d’après-midi dans la lumière du Languedoc en hiver à un concert de musique contemporaine dans une salle aseptisée etc etc… Le citoyen européen est aseptisé, incolore, inodore et sans saveur et tant qu’il le sera, les droites nationalistes fleuriront. Quelle est donc cette paresse intellectuelle qui a fait des valeurs d’un terroir le repoussoir de la gauche ? Frondeur, fraudeur, rouspéteur, resquilleur, individualiste, indiscipliné, égotiste, égoïste, tous pour moi et moi pour moi, tel est notre tempérament, telle est notre ascendance gauloise, tel est notre art de vivre. On est français, nom de Dieu ! Quand être français signifie penser par soi-même, se dégager du conformisme ambiant, n’accepter une règle qu’après en avoir vérifié le bien-fondé, laisser son voisin vivre à sa guise sans l’épier ni le dénigrer, n’écouter jamais que d’une oreille critique les grands sermons de nos chefs, jouir de la vie sans rien demander aux moralistes, se nourrir d’une histoire et d’une culture auxquelles on est attaché, cette identité, nationale ou pas, est assurément la mienne. Mais il existe aussi cette face sombre du tempérament français. Ce n’est plus Figaro, Scapin, Cyrano, mais la triche, la goujaterie, le parasitisme. La tentation est grande de lier les deux comme l’avers et l’envers d’une médaille. Remettre en cause nos travers reviendrait à dénigrer notre identité même. On pourrait ainsi légitimer ou à tout le moins excuser, sous couvert de fierté nationale, cet incivisme que dénoncent nos économistes. Le Français, qu’on se le dise, ne serait pas à réinventer, il se prendrait tel quel. Imposture que tout cela ! Sommes-nous moins français depuis que nous n’enfumons plus nos voisins, depuis que nous ne conduisons plus n’importe comment, que nous commençons à trier nos ordures ? Notre art de vivre serait-il altéré si la fraude fiscale cessait d’être un sport national, si les espaces de loisirs n’étaient pas jonchés de détritus au petit matin ? Si chaque salarié cotisait à son syndicat plutôt que d’en attendre les services sans rien donner en échange ? La France a la tête au nord et les pieds au sud. Grand merci à la géographie ! Nous mêlons la rigueur, la raison des pays nordiques, et la chaleur, la fantaisie des pays méditerranéens. Le cocktail idéal auquel tous les peuples ont envie de goûter. Mais, peu à peu, nous avons pris le pire d’un côté comme de l’autre. François de Closets Le Divorce français Fayard 2008 Il y a quelque chose qui m’a frappé dans l’autobiographie de Jung. À un moment donné, il rencontre un spécialiste de la Chine qui était resté quinze ou vingt ans en Chine et était devenu tout à fait chinois. Revenu ensuite à Francfort comme professeur de littérature chinoise, il était à ce moment tout à fait à son aise dans la civilisation européenne, car il avait nettement rompu avec la Chine. Mais il était heureux quand il restait chinois et qu’il donnait son cours en chinois. Deux ou trois ans après, Jung le rencontre, il a l’impression de se trouver devant un être désintégré ou en train de se désintégrer, et il lui dit : Pourquoi ne rentrez-vous pas tout de suite en Chine ? Six mois plus tard, on apprenait que ce sinologue n’était pas rentré en Chine mais à l’hôpital psychiatrique. C’est exactement ce genre d’expérience dont j’ai eu peur. Souvent, je me suis dit devant telle ou telle personne : il y a là une inadaptation qui ne peut finir que par un drame. Je me suis senti terriblement en prise directe avec ces gens. Georges Simenon Entretien avec Médecine et hygiène, 1968. 18 01 1995 Séisme à Kobé (Japon) d’une magnitude de 7,2 : 2 000 morts. 20 01 1995 Jacques Delors quitte la présidence de la Commission des communautés européennes de Bruxelles : il est remplacé par Jacques Santer, du Luxembourg. Il était de son temps et aura eu du mal à s’en affranchir : le patriotisme sera resté pour lui synonyme de guerre et il ne voudra pas en entendre parler pour l’Europe : ce faisant il ne se rendait pas compte qu’il mettait en place le revers de la médaille : une bureaucratie toute puissante et sans âme. 30 01 1995 Attentat à Alger : 38 morts, 258 blessés. 3 02 1995 Le nombre de spermatozoïdes dans un volume constant diminue régulièrement de 1 % par an depuis 50 ans, 2 % dans certaines régions, ce qui laisse penser que le déclin dépend de la zone géographique, estime le professeur Bernard Jegou, de l’Inserm. 10 03 1995 La secte Aoun commet un attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo : 12 morts, 5 500 blessés. Il n’est pas vraiment étonnant qu’une telle ville génère de la folie à forte dose : Existe-t-il pire séisme, que celui, constant de Tokyo, ville-prison d’espace et de bruit ? (à quoi condamne-t-on, entre quatre murs, un détenu ou un pensionnaire ? A la privation de paysage et aux écritures sur la prison de la geôle : comme nous, enchaînés devant les affiches). Géante, sans aucune lacune, la clameur des camions et des voitures, des métros, des trains à grande vitesse, des chantiers, grues, excavateurs, sifflets, marteaux-piqueurs… avions, hélicoptères, sirènes, musique et ventilateurs, l’entassement sans harmonie d’immeubles que l’arrogance des compagnies riches fait bâtir hauts, lourds et enracinés au plus profond du sol, comme si elle voulait enchaîner les frémissements de la terre, la puanteur des gaz, des résidus et des rejets, les atroces publicités au néon hideux, véhémentement hurlantes de coloris horrifiants dès la nuit venue, la rumeur d’autant plus silencieuse de la foule hébétée de travail et de déplacements interminables, aux visages volontairement inexpressifs de se trouver irrémédiablement plongés, emprisonnés dans un enfer pire que celui de tous les supplices, sans aucune ouverture qu’inacessiblement lointaine vers la terre brune et verte, ces rumeurs insensées dont la puissance interdit l’ouïe et l’advenue du verbe assourdissent de leur tintamarre et bouchent de leur clôture l’angoisse dont la permanence prégnance attend les prochaines quarante secondes d’un tellurique râle dont l’intensité brutale avalera jusqu’à Yokohama, cela… si contraire aux paradis sereins où les bouquets de pierre se lèvent de la Terre crevassée, comme si les anciens Japonais en voulaient apaiser les colères subites. […] Comment se fait-il qu’un peuple aussi fin et cultivé, qui a su depuis aussi longtemps conquérir sur cette jungle, enfer vert aussi proche, partout dense, répandu et menaçant, des paradis aussi sereins que ces vallons d’éternité agraire suspendue, ait pu, un jour fatal d’égarement et de colère, tolérer l’inondation soudaine de la laideur industrielle, des hurlements aveuglants de la publicité, de la vulgarité des affiches et de la sottise des villes infernales à l’occidentale ? Michel Serres Nouvelles du monde Flammarion 1997 1 05 1995 Brahim Bouarram, un Marocain de trente ans, père de deux enfants, est poussé dans la Seine à proximité du pont du Carrousel à Paris, par Mickaël Freminet, pas encore 19 ans, entouré de militants provenant des rangs de la manifestation annuelle du Front national en l’honneur de Jeanne d’Arc. Brahim Bouarram ne sait pas nager, le fleuve est en crue et le courant assez fort : il se noie. L’agression n’est pas seulement raciste, elle est aussi homophobe, à un endroit des quais de Seine connu pour être un lieu de rencontres homosexuelles. Jean-Marie Le Pen, qui qualifie l’événement d’accident, déclare peu de temps après : Je regrette qu’un malheureux se soit noyé, mais dans une agglomération de 10 millions d’habitants, ce genre de fait divers peut toujours se produire, ou même être créé à volonté. François Mitterrand, encore président de la République – on est entre les deux tours, Chirac- Jospin – viendra se recueillir sur les lieux le 3 mai au cours d’une manifestation regroupant 12 000 personnes. Mickaël Freminet, sera condamné le 15 mai 1998 par la Cour d’assises de Paris à huit ans de prison ferme. 10 05 1995 Jacques Chirac succède à Mitterrand à la présidence de la République. Les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Jacques Chirac 22 février 1988, l’original étant du petit père Queuille. Ce dernier s’était hissé au premier rang en matière de cynisme : La politique, ce n’est pas résoudre les problèmes, c’est faire taire ceux qui les posent. Très rapidement, il prendra le contre pied de ce dernier sur le conflit dans l’ex Yougoslavie [Mitterrand : il ne faut pas ajouter la guerre à la guerre] en dépêchant la force d’action rapide, en poussant l’OTAN à des représailles sérieuses contre les Serbes ; de leur coté, les Américains ont armé la Croatie, et les offensives croates et bosniaques contre les Serbes sont un succès quasiment inespéré. Les Serbes de Belgrade et surtout ceux de Bosnie seront rapidement poussés vers la table de négociation à Dayton, où ils finiront par signer des accords… qui finiront peut être un jour par être respectés. Un an plus tard, les forces de l’ONU s’opposeront toujours aux réticences locales à accepter des règles qui ne sont pas leurs et Hans Koschnik, envoyé spécial de l’Union Européenne à Mostar, fera part de son sentiment à Jean Ziegler, l’empêcheur suisse de tourner en rond : Je ne vois aucun espoir pour une solution négociée : ce n’est pas chez Tudjman, au palais présidentiel de Zagreb, mais à Santa Cruz, en Bolivie que se prennent les décisions. […] Les Oustachis boliviens financent les milices croates de Mostar. Sur le marché mondial des armes, ils achètent les canons les plus modernes, les mitrailleuses et les mortiers les plus performants. […] Ils achèvent les blessés, tirent sur les quartiers où se terrent les femmes et les enfants – ce sont des sauvages -. […] Leur fanatisme est imperméable à tout raisonnement. Ils sont racistes, animés par la furie d’un autre âge. Ils n’acceptent aucun interlocuteur […] Ante Paveli est leur héros. Son image est partout. […] Des centaines de jeunes oustachis boliviens traversent l’Atlantique durant leurs vacances […] Ils viennent sur les bords de la Neretva pour pratiquer la chasse au musulman […]. Si les Américains ne raisonnent pas les oustachis de Santa Cruz, aucune paix n’est possible à Mostar. 24 06 1995 L’Afrique du Sud remporte la coupe du monde de rugby. À Johannesburg, Nelson Mandela félicite François Pienaar, le capitaine des Springboks. L’homme avait la trempe pour se planter bien droit au-delà de la haine. Nelson Mandela, le vieux magicien, élu chef de l’État l’année précédente, triomphait. Contre l’avis des pontes de son parti, contre l’opinion de ses amis les plus proches et de ses propres enfants, tous révulsés à l’idée de soutenir une équipe alors perçue comme l’incarnation de l’oppression blanche, Nelson Mandela avait osé et il avait gagné. Patrice Claude Le Monde magazine 12 06 2010 été 1995 Jacques Chirac décide d’effectuer encore 8 à 10 essais nucléaires sous marins à Muruora et Fangatofa : là encore se déchaîne le tintamarre médiatique, tout autour du monde… qui montrera tout de même ses limites quand il n’est pas suivi par le politique : tous les boycotts annoncés contre la France seront sans grande conséquence. 12 07 1995 Henri Jacques Le Même, architecte à Megève, est quasiment centenaire : la soif de reconnaissance et d’honneurs est pour lui la meilleure médecine ; bien sûr, il ne construit plus, mais la consécration suprême serait de voir sa propre maison reconnue nationalement : il fait le nécessaire, adresse sa demande … et obtient son inscription à l’inventaire des Monuments Historiques ! La procédure d’inscription ou de classement à l’inventaire des Monuments Historiques commence par une demande de protection du propriétaire adressée au Conservatoire des Monuments Historiques, lequel présente un dossier à une commission régionale présidée par le préfet de région ou son représentant (le plus souvent, le directeur de la DRAC) ; la commission rend un avis, suivi d’un arrêté si l’avis est favorable, le tout se faisant sous couvert du ministère de la Culture. L’inscription est un label différent du classement, disons moins prestigieux : l’intervention financière de l’État en cas de travaux y est moindre, le propriétaire est libre de choisir son entreprise… etc Cette distinction majeure – qui n’est autre qu’un certificat de complaisance – accordée à la maison de Le Même illustre bien les pratiques publiques aujourd’hui en vigueur et l’on n’est pas loin de la République des copains et des coquins. Car cette maison est au mieux une incongruité, un péché de jeunesse et au pire une vilaine verrue, Dieu merci bien cachée par des épicéas – la grande verrue étant le Home de l’EDF, sur la route du Mont d’Arbois ; les bâtisses de ce type sont légion dans toutes les banlieues bourgeoises de nos grandes villes – . Le Même en personne en convient : lorsque j’arrivai à Megève, j’étais évidemment sous l’influence de Le Corbusier dont je venais de lire le célèbre ouvrage Vers une architecture nouvelle récemment paru.. Pour ma propre maison, il me semblait donc logique de choisir la solution de la toiture terrasse en cuvette préconisée par Le Corbusier dans son Almanach d’Architecture Moderne ; l’auteur y précise que cette disposition avec évacuation des eaux pluviales par des descentes intérieures est bien supérieure aux toitures traditionnelles au bas desquelles la neige devient glace et provoque des infiltrations. Françoise Véry et Pierre Saddy H.J. Le Même, architecte à Megève. Le Même mit quelques années pour abandonner cette innovation, le temps de réaliser qu’il était préférable d’avoir un tas de neige même parfois gelé sur deux cotés d’une maison plutôt que d’avoir à changer régulièrement des gouttières éclatées par le gel. Mais, puisqu’il faut voir du génie dans de simples erreurs parfaitement humaines, le Ministère de la Culture, et plus précisément la Commission [3] Régionale de protection du patrimoine historique, archéologique et ethnologique parlera du caractère exemplaire de son architecture très représentative du mouvement moderne qui s’implante partout en France au début du siècle, mais avec réticence en montagne. La maison de H.J. LE MEME est également le témoin rare et irremplaçable du démarrage de la station mégevanne. Chalet de l’inconnu, au Mont D’Arbois. L’inconnu étant en fait Jean Walter, architecte résidant loin de Megève, qui fit appel à Le Même. La peinture de la galerie en façade est d’Albert Decaris. Jean Walter l’a fait construire pour son épouse Juliette Lacaze, alias Domenica, escroc de très haut-vol spécialisée dans la peinture, ayant un réel talent pour faire disparaître ses maris. On peut avoir une préférence marquée pour l’opinion d’Albert Laprade, architecte en chef des Bâtiments Civils et Palais Nationaux, qui préfère s’attarder sur l’œuvre de l’architecte qui s’est trouvé, quelques années après son arrivée à Megève, en créant un style qui a sa propre logique, sans être le plagiat du chalet suisse, lui-même contre façon fleurie, trop fleurie de la ferme traditionnelle, qui cherche à faire joli en faisant faux vieux. Et Laprade préfère passer sous silence les premiers témoins de la modernité de Le Même : sa propre maison en 1929, le collège Le Hameau devenu Home de l’EDF en 1931-33, l’hôtel Albert I° en 1929-30, qui deviendra le Casino jusqu’en 1997. MEGEVE, Ville d’Art Megève (au joli nom) est une ville bénie. Une aimable fée a déposé sur ce berceau du ski avec d’autres bonnes surprises, un don surprenant : le Goût. Chance vraiment extraordinaire en un temps où n’importe qui peut faire n’importe quoi n’importe où, en un temps où de mauvaises fées accumulent partout des transformateurs et des urinoirs au chevet des vieilles églises, où l’on détruit tout ce qui faisait le charme de nos villages savoyards. De même qu’une vilaine cravate suffit pour rendre inutile le luxe d’un beau costume, une vilaine construction peut gâcher le plus beau des paysages. A Megève, par une chance singulière, nous avons vu construire, il y a vingt cinq ans, un chalet ravissant par un tout jeune architecte, puis trois autres tout aussi jolis l’année suivante, puis dix autres chaque année, pleins de séduction, reflétant les caprices de chacune des belles et heureuses propriétaires. Et finalement nous avons maintenant une ville étonnante, unique au monde, où se juxtaposent, comme fleurs dans un bouquet, des maisons pleines de diversité et de couleur. Elles créent une incontestable ambiance d’euphorie. Pour toute personne cultivée et sensible à la beauté, c’est même une joie de se promener dans Megève le nez en l’air, à la découverte, comme on le fait à San Giminiano, à Santillana del Mare, à Riquewihr ou à Sarlat, découvrant des maisons toutes plus jolies les unes que les autres, et pleines de détails exquis. Ici, c’est une charpente, un volet, une porte, là une balustrade, une rampe, une clôture, le tout nouveau, curieux, spirituel, de haute qualité. On en demeure, comme disait La Bruyère, étonné et ravi. C’est chose si rare que cette beauté répandue à pleines mains pour le plaisir des passants. On peut faire le tour du monde, visiter tous les hauts lieux des sports d’hiver, il n’existe pas l’équivalent. C’est pourquoi tous les jeunes architectes de Suisse, de Norvège, d’Autriche, de Finlande, d’Allemagne ou d’Amérique, particulièrement intéressés par l’utilisation du bois, ont les yeux tournés vers Megève. Goethe répétait souvent en phrases poétiques qu’il est des villes, aux nobles architectures, où les habitants, pendant le jour le plus ordinaire, se sentent dans un état idéal. Sans y réfléchir, sans s’informer de la cause, ils goûtent la plus haute jouissance. Alors que dans d’autres villes, bâties sans art, on vit dans un état de vide et de tristesse. Il est incontestable que Megève, grâce à ses constructions, ses chalets, ses hôtels, ses bars si pleins de fantaisie, est un cadre gai. Or la gaieté est le complément indispensable du ski, pour se maintenir en bonne santé. Et comme la bonne santé est un des éléments essentiels du Bonheur, disons que Megève, ville d’art, est une sorte de Paradis retrouvé. Albert Laprade Le Ski N° 137. 15 Décembre 1955. Si Laprade ne mentionne pas le nom de Le Même, c’est tout simplement qu’à cette époque, on avait le souci de respecter la réglementation qui stipule que la publicité est interdite aux architectes, mais il est évident qu’il ne veut parler que de Le Même : tous les chalets dont la photo illustre cet article sont de Le Même. 19 10 1995 Bernard Borrel, 40 ans, magistrat en coopération auprès du ministère de la Justice de Djibouti, est retrouvé mort : la mort remontait à la veille. La thèse du suicide sera privilégiée constamment par les autorités djiboutiennes, suivies par le gouvernement français. Il faudra toute l’obstination de sa femme Élisabeth, elle-même magistrate, pour que l’affaire, sept ans plus tard, soit à nouveau examinée après l’apport de preuves d’un assassinat. Radiographies et objets personnels ont disparu. Fin 2006, on en était encore à lancer des mandats d’arrêt, contre le procureur général de la République de Djibouti, contre le chef des services secrets djiboutiens, et contre les deux présumés assassins. Fin 2015, l’affaire ne sera toujours pas réglée, le principal obstacle étant l’immunité diplomatique dont bénéficie l’un des principaux accusés, devenu depuis président de la République, Ismaïl Omar Guelleh. Dans l’un des trois procès intentés, la France sera sévèrement condamnée par la cour européenne des droits de l’homme pour subornation de témoins. 10 1995 Les Suisses Michel Mayor et Didier Queloz découvrent la première exoplanète en orbite autour d’une étoile similaire au Soleil : 51 Pegasi b. Une exoplanète est une planète située en dehors du système solaire […] Ce n’est que dans les années 1990 que les premières exoplanètes sont détectées, de manière indirecte, puis, depuis 2008, de manière directe. La plupart des exoplanètes découvertes à ce jour orbitent autour d’étoiles situées à moins de 400 années-lumière du Système solaire. Au 23 janvier, 1 935 exoplanètes ont été confirmées dans 1 109 systèmes planétaires, dont 1 212 dans 482 systèmes planétaires multiples. Plusieurs milliers d’exoplanètes supplémentaires découvertes au moyen de télescopes terrestres ou d’observatoires spatiaux, dont Kepler, sont en attente de confirmation. En extrapolant à partir des découvertes déjà effectuées, il existerait au moins 100 milliards de planètes rien que dans notre galaxie. Wikipedia 4 11 1995 Yitzhak Rabin, premier ministre d’Israël, est assassiné de trois coups de feu tirés par Yigal Amir, étudiant en droit proche des colons extrémistes d’Hébron, lors d’une réunion publique sur la place des Rois d’Israël, à Tel-Aviv. Quelques minutes plus tôt, il avait pris la parole : Je veux remercier chacun de vous de se dresser contre la violence et pour la paix. J’ai été militaire toute ma vie. J’ai combattu dans des guerres tant qu’il n’y avait aucune chance de paix. Je crois qu’il existe maintenant une chance pour cette paix, une grande chance, et il faut la saisir. La paix a des ennemis qui tentent de nous nuire afin de la saboter. J’ai envie de dire, et je le dis sans aucune réserve : nous avons trouvé un partenaire pour la paix, même parmi les Palestiniens : l’Organisation de libération de la Palestine, qui était un ennemi et qui n’a cessé de semer la terreur. Sans partenaires pour la paix, il ne peut y avoir de paix. 11 11 1995 Alain Juppé, premier ministre, annonce un train de réformes sur les retraites et la Sécurité Sociale :
Tout de suite, Françoise Giroud saluera l’événement d’une belle salve : GOUVERNER, ENFIN ! Mais, presque dans le même temps, la totalité de la fonction publique et une bonne partie du secteur privé descendront dans la rue, le grand troupeau de tous les braillards se mettra en branle… qui finira par obtenir le retrait du projet, à l’exception du plan concernant directement la Sécurité Sociale. On comptera deux millions de manifestants le 12 décembre. Au total, 6 millions de jours de grève, 4 pour le public, 2 pour le privé. Quand, durant la campagne des présidentielles, Jacques Chirac parlait de réformes visant à réduire la fracture sociale, les Français comprenaient qu’ils allaient être noyés sous une pluie de subventions. Les réformes qui visent une réduction des déficits publics ou des déficits sociaux, ils ne les comprennent pas du tout. Jean François Revel L’Express 15 février 1996 La leçon est claire : le pouvoir peut jouer avec les 70 % de Français relevant du régime général, il doit craindre les 20 % qui relèvent de la fonction publique et doit s’abstenir face aux 5 % qui jouissent de situations privilégiées. François De Closets Maintenant ou jamais Fayard 2013 11 1995 Authentique dialogue (repris par Jean-Paul Dubois dans Une vie française, page 338) sur les ondes maritimes, au large de Terre-Neuve :
4 12 1995 Accident dans le lit du Drac, à l’est de Grenoble, sur le site de la Rivoire : un lâcher d’eau d’un barrage EDF surprend des élèves en ballade, munies des autorisations nécessaires de la ville : 7 noyés. Procès interminable qui se conclura en 1998, par des condamnations avec sursis : 2 ans et 30 000 F d’amende pour Véronique Rostaing, l’institutrice qui accompagnait les enfants, 18 mois et 10 000 F d’amende pour la directrice de l’école, un an pour 3 responsables EDF avec dispense d’inscription au casier judiciaire, 500 000 F d’amende pour la ville de Grenoble. L’inspectrice d’académie de l’Isère et l’inspectrice de l’Éducation Nationale ayant autorisé la sortie ont été relaxées. Personne, même pas les familles des victimes, ne dira la vérité, à savoir que le jour de l’accident et les précédents, la direction de l’EDF était aux prises avec un gros conflit syndical, et les grévistes de la centrale de St Georges de Commiers, pour ne pas être pris en défaut de refus de travailler par la direction, avaient procédé à un lâcher d’eau sauvage, donc, non annoncé. Ainsi, le niveau de la retenue d’eau baissait, et on ne pouvait faire tourner la centrale. EDF assure qu’un fax aurait été envoyé le 30 novembre aux communes riveraines, annonçant un lâcher. 21 12 1995 Le Norvégien Borge Ousland, 32 ans, atteint le pôle sud en solitaire et sans ravitaillement en 43 jours : il a parcouru 1 400 km depuis l’île Berkner, au sud-est de l’Argentine. Il a eu une progression moyenne deux fois plus rapide que dans l’Arctique : 44 km par jour contre 21 dans l’Arctique. Grâce à sa voile parachute, il a pu parcourir une fois 226 km en 16 heures, dans le Ross Shelf. Il épousera Hege au pôle nord en avril 2012, avec champagne et cérémonie luthérienne par – 23°. 12 1995 Le Temple Solaire procède à une nouvelle hécatombe collective dans le Vercors : 16 morts, tués par balle puis brûlés au lance-flamme : parmi eux, Edith, 61 ans, femme d’Alain Vuarnet, médaillé d’or de la descente de ski des Jeux de Squaw Valley en 1960, sœur de François Bonlieu, autre champion de ski, et leur fils Alain, 27 ans. 1995 Inauguration de la TGB : Très Grande Bibliothèque, de Dominique Perrault, et de la Cathédrale d’Évry, du Suisse Mario Botta. Dominique Perrault signera un must de ce que l’esprit français peut faire de mieux en matière d’insupportable : une insulte constante au sens pratique, la dictature d’une esthétique qu’il aurait été préférable de réserver aux monuments aux morts ; la TGB mettra des mois pour trouver son régime de croisière. On a construit la Grande Bibliothèque au moment où l’on inventait Internet ! Ces grandes tours sur la Seine me font penser à l’observatoire qu’avaient fait construire les maharajahs à côté de Delhi, alors que Galilée, exactement à la même époque, mettait au point la lunette astronomique. Aujourd’hui, il n’y a que des singes dans l’observatoire indien. Un jour, il n’y aura plus que des singes à la Grande Bibliothèque. Michel Serres à Libération le 30 septembre 2011 ![]() Cathédrale d’Evry, du Suisse Mario Botta Hubert Astier est nommé à la tête du tout nouvel Établissement public du musée et du domaine national de Versailles. La gestion du château jusqu’alors dépendait de plusieurs autorités ; il accueille 10 M de visiteurs par an. Le parlement occupe à son usage exclusif 20 000 m² de bâti… situation à laquelle il sera mis fin en 2005. Le château n’est pas gâté par l’État qui lui accorde beaucoup moins de subventions qu’au Louvre, mais peut être ce dernier était-il las de voir les responsables de sa gestion faire preuve d’aussi peu de dynamisme : s’il n’y avait pas de poussière sur les statues, il y en avait beaucoup dans les têtes : cafétéria insuffisante, refus de tournage pour beaucoup de films, coût d’entretien prohibitif, dû en partie à une conception sclérosée du maintien du patrimoine : même les canalisations souterraines sont renouvelées dans leur métal d’origine : le plomb…etc…etc… La tempête de décembre 99 accélérera les réformes, et, finalement, à partir du 30 mars 2002, 80 ha du parc (sur les 900 de la totalité du domaine) deviendront payants, à 3 € l’entrée : les 3 millions d’ Euros que coûte annuellement l’entretien de ces jardins imposaient cette mesure. Relevé du Phare d’Alexandrie : le fort mamelouk de Qaïtbay était menacé par l’érosion et la construction d’un brise lames avait été envisagée, ce qui signifiait des tonnes et des tonnes de béton immergées à un endroit où bien des gens savaient qu’il y avait énormément de vestiges : une cinéaste égyptienne, Afma El Bakri, parvint à faire annuler ces travaux et une mission de sauvetage fut confiée à Jean Yves Empereur : 2 000 pièces auraient été repérées à ce jour. Le Phare d’Alexandrie, 7° merveille du monde fut érigé sur l’île de Pharos en -285 av. J.C. Il mesurait au moins 100 m de haut ; l’architecte en était Sostrate de Cride. 66 ans après la construction, la statue sommitale s’écroula ; en l’an 365, ce fut au tour du dernier étage et vers 1300, un séisme l’acheva. En mai 1998, une statue de Ptolémée, datant probablement de la construction du phare, à laquelle manquent les jambes, (elle mesure malgré tout 10 m) sera acheminée à Paris, à l’entré du Petit Palais, pour signaler l’exposition La Gloire d’Alexandrie, l’Égypte d’Alexandre à Cléopâtre. Il y a des jours où l’on se sent si mal que l’on a envie d’aller à la gare de l’Est, voir si la guerre n’a pas été déclarée. Yvan Audouard. Yvan Audouard est suffisamment bien assis dans la société française pour ne pas aller voir plus loin que la gare de l’Est quand il est mal… mais le désespoir conduit à la mort un nombre de personnes tous les ans plus élevé : en 1996, 11 280 personnes se sont suicidées (3 000 de plus qu’en 1975) et 150 000 ont tenté de le faire. En excluant la Chine et bon nombre de républiques de l’ex URSS, la France se place avec un chiffre de 20 suicides pour 100 000 habitants derrière la Lituanie (42/100 000), l’Estonie, la Russie, la Lettonie, Hongrie, Sri Lanka, Kazakhstan, Biélorussie, Slovénie, Finlande (24/100 000). C’est la tranche des 30-45 ans composée aux 2/3 de personnes inoccupées (dont évidemment une très forte proportion de chômeurs) qui voit la plus forte augmentation. Dans la tranche d’âge 25-49 ans, on dénombre six fois plus de suicides parmi les ouvriers que parmi les intellectuels. En 1950, le suicide des 25-29 ans représentait 4 % des décès. Il en représente aujourd’hui 20 %. Mais même lié au chômage, ce drame social ne peut s’y réduire : avec un taux de chômage deux fois plus élevé, l’Espagne connaît trois fois moins de suicides… Internet poursuit sa croissance endiablée, quand le Minitel, tour d’ivoire tricolore, s’est laissé enfermer dans les conceptions politiques françaises : centralisation, péage etc… après avoir essuyé, il est vrai, aux États-Unis les mêmes tirs de barrage que le Concorde. Le nombre des sites Web double tous les trois mois ; Microsoft, et accessoirement Apple, font la guerre à Netscape pour attirer sur leurs logiciels un maximum d’Internautes. On compte 70 millions d’utilisateurs, dont 60 % américains, 4 millions d’ordinateurs branchés (dont 200 000 pour la France). L’objectif du vice-président américain Al Gore, devenu le véritable président de la Cité Numérique de son pays – est de raccorder à Internet, d’ici à l’an 2000, 90 % des foyers de ses compatriotes… En France, moins de 1 % des foyers sont aujourd’hui connectés, ce qui nous place au 14° ou 15° rang mondial. Notre État jacobin est dramatiquement aveugle à cette évolution ; par contre bon nombre de maires ont pris conscience de ces données nouvelles et font entrer leur ville dans l’âge numérique. Si la tendance continue, si les projections tiennent, nous pourrions avoir de 180 à 200 millions d’ordinateurs sur le réseau à la fin de l’an 2000. Aujourd’hui, on compte 3,5 utilisateurs par ordinateur et dans les années qui viennent ce chiffre passera plutôt à 1,5. Cela signifie environ 300 millions d’utilisateurs en l’an 2000 Vinton Cerf, 1995 Au milieu de la vague de privatisations des biens de l’État russe par distribution de parts (vouchers) aux habitants puis ventes aux enchères, Khodorkovski rachète le groupe Ioukos pour 360 millions de dollars lors d’une vente critiquée : les deux seuls acheteurs ayant été autorisés par le pouvoir de Boris Eltsine à participer aux enchères étaient des compagnies détenues à 51 % par la Menatep, banque alors dirigée par Khodorkovski. Presque vingt ans plus tard, en juillet 2014, après 10 ans de prison pour Khodorkovski par les bons soins de Vladimir Poutine, la cour permanente d’arbitrage de la Haye, condamnera la Russie à verser 37 milliards d’€ aux principaux actionnaires de Ioukos ; mais la Russie n’a pas signé la convention instituant le tribunal de la Haye. Quelque dix jours plus tard, c’est la CEDH – Cour Européenne des Droits de l’Homme – qui demande pour les petits actionnaires 1.9 milliards d’€ ; la CEDH relève du Conseil de l’Europe, dont fait partie la Russie. Décidément, Mikhaïl Khodorkovski est un as de la voltige ! C’est l’histoire d’un homme qui s’est à jamais refusé à avoir peur : il se nomme Luigi Ciotti, et, comme son nom l’indique, il est italien. De plus, il est prêtre. Trente ans plus tôt, il a fondé l’association Abele pour venir en aide aux drogués. Mais le prélat sait que la racine du mal est ailleurs : dans le crime organisé, dans les gigantesques profits des trafics, dans la passivité de la classe politique qui ferme les yeux. La Mafia et la corruption sont les deux faces de la même médaille, assène-t-il. C’est sur ce constat qu’il fonde Libera en 1995. Il y a quatre cents ans, dit-il, que nous parlons des mafias en Italie et rien ne bouge vraiment. Il y a une sorte de nœud qui empêche de tourner la page. Et ce nœud est avant tout culturel et politique. Son action se divise alors en deux : d’un côté un lobbying constant pour obliger les parlementaires à durcir la législation ; de l’autre, une aide aux parents des victimes de la Mafia (3 500 morts en vingt ans), aux associations qui la combattent, et à ceux qu’il appelle les morts-vivants de la Mafia, ceux qu’elle asservit, qu’elle menace et qui se taisent. La Mafia est une autre Eglise, une autre religion. Sauf qu’à la crainte de Dieu se substitue celle du parrain. […] Je n’ai que deux références, l’Évangile et la Constitution. Don Ciotti est un cyclone, décrypte don Massimo Cozzi, vice-président de Libera depuis sa fondation. Toujours en mouvement. Capable de dire des choses toujours neuves. Mais il a tout simplement la force de qui anime les amoureux de Dieu. Il a aidé l’Italie à ouvrir les yeux sur la légalité. Il nous a convaincus que c’était la responsabilité de tous. Mais je vous assure, c’est un homme normal, pas un saint. Désormais Libera et don Ciotti sont devenus le symbole de l’Italie vertueuse. Le prêtre et son escorte parcourent la Botte en tous sens. Tout le monde doit se sentir partie prenante, car si les mafias sont au Sud, l’argent, lui est au Nord. C’est là que le fruit du racket et du trafic se réinvestit. Ses pas le portent également dans toute l’Europe, y compris à Bruxelles et Strasbourg, afin que la législation italienne sur les biens confisqués devienne une législation européenne. […] Mais la petite personne a fini par donner des soucis aux grandes. À force de faire le siège du Parlement, de mobiliser les Italiens, don Ciotti est parvenu, en 1996, à faire entrer dans la législation italienne la loi sur les biens confisqués à la Mafia et leur utilisation sociale [4]. Ainsi la villa de Toto Riina est-elle devenue la caserne des carabiniers. Une coopérative agricole a été édifiée sur une oliveraie confisquée à Matteo Messina Denaro, soupçonné d’être le parrain le plus puissant de l’île. A Rome, via del 4-Novembre, Libera a installé ses locaux dans une ancienne maison de passe autrefois propriété du boss Michele Zaza… Si le crime organisé qui, selon les estimations, affiche un PIB de 40 milliards d’euros se remet sans trop de mal de la perte d’une villa avec robinets en or ou d’une plantation de tomates dans la plaine d’Alcamo, la blessure d’orgueil reste vive. Un boss n’aime pas voir son patrimoine confié à des associations, explique don Ciotti. Cela touche profondément à l’image de puissance qu’il renvoie aux autres et à son sentiment d’impunité. Philippe Ridet Le Monde du 25 octobre 2014 Rick Bass est un écrivain américain ; écologiste tendance Saint François d’Assise – l’homme possède en commun avec les autres animaux plus que ce qui le différencie d’eux et il devrait limiter son rôle de prédateur au strict minimum et mettre fin aux massacres qu’il nomme exploitation. Il s’est beaucoup soucié de l’extinction possible des grizzlys dans les San Juan, une chaine de montagnes du Colorado, a consacré des semaines à rechercher leurs crottes pour s’en assurer, et, finalement, victoire : il a confirmation de leur existence : En 1995, vers la fin de l’été, un jeune randonneur se trouvait vers le sommet de la montagne [les San Juan], près de l’endroit où le groupe de Round River avait travaillé, quand un grand ours blond avec des pattes foncées et de longues griffes blanches a débouché au-dessus d’une crête, à moins de quarante pieds de lui. L’homme s’est laissé tombé à terre et s’est recroquevillé en position fœtale en prenant bien soin de ne pas regarder l’ours. Celui-ci est accouru et s’est mis à tourner autour de lui en tapant violemment des pattes sur le sol. Tout ce que l’homme, parfaitement immobile, pouvait voir, c’était les griffes du grizzly, de plus de quatre pouces de longueur. L’ours approcha son museau du visage de l’homme et lui souffla dessus de la bave mêlée à son haleine chaude. L’homme la respira sans paniquer pour autant. Il évita de se relever et de partir en courant. L’ours tourna cinq fois autour de l’homme en frappant le sol de ses énormes pattes, comme s’il jetait un sort. Le choc faisait trembler la terre et la bête grondait et grognait. Puis l’ours s’en alla, ayant dit ce qu’il avait à dire. Quand il fut certain que l’animal était parti, le jeune homme se releva et regagna son campement en courant tout du long. Ils sont toujours là. Nous ne les avons pas encore perdus. Nous sommes seulement sur le point de les perdre. Rick Bass épilogue de Les derniers grizzlys. Hoëbeke 1997 01 1996 Mort de François Mitterrand . On verra à l’occasion de ses obsèques que l’existence d’un lien entre le citoyen anonyme et le président est une réalité plus forte que nous le laisse croire la perception habituelle du quotidien. Il se trouvera des femmes déjà âgées dont il réveillera la libido ; elle raconte à son fils : François Mitterrand est venu me voir la nuit dernière. Jean-Paul Dubois Une vie française Éditions de l’Olivier 2004 Eric Orsenna, momentanément en séjour dans les sphères du pouvoir politique, se souvient d’une réflexion de Mitterrand : Ne vous y trompez pas : au bout du compte, tout n’est qu’un rapport de force, ce qui lui inspire le commentaire : Rien n’est plus faux... et de se souvenir de la réponse de son ancien professeur Raymond Aron quand il lui demandait pourquoi il ne s’était pas aventuré en politique : Je n’ai pas fait de politique, parce que je n’aime que les rapports réciproques. Le bateau du Commandant Cousteau La Calypso coule dans le port de Singapour. Renflouée, elle sera rapatriée sur Marseille, qui, s’en désintéressant, la laissera partir à La Rochelle, où, faute d’une entente des héritiers, elle vieillira très vite. On a reçu un malade en phase terminale, nous avons maintenant un cadavre en décomposition. Patrick Schnepp, directeur du Musée Maritime de la Ville : Peter Blake, le très grand champion de la voile, en charge de l’organisation de la Coupe America à Auckland, aurait pu reprendre le flambeau. Il avait fait savoir avec humour que si l’opération se réalisait, il occuperait la place nécessaire : Je ne prétends pas me glisser dans les chaussures du commandant Cousteau… elles sont bien trop grandes pour moi… lui-même chausse un bon 47… Mais des pirates sud-américains l’abattront début 2002, avant qu’il ait pu réaliser ces projets. La justice donnera la propriété de la Calypso à Francine Cousteau, sa seconde épouse ; le navire partira aux Chantiers Piriou à Concarneau pour être remis en état… mais l’argent manque et le chantier est arrêté… Difficile voire impossible de faire du business honnête avec Francine Cousteau : il était entendu que le navire deviendrait musée, et dans ce cas, on n’entreprend pas les mêmes travaux que s’il fallait le rendre apte à nouveau à la navigation. Dans les premiers mois de 2015, la justice demandera à Francine Cousteau de régler aux Chantiers Piriou ce qu’elle leur doit, – 300 000 € – faute de quoi le bateau sera mis aux enchères. Mais Francine Cousteau, qui a créée autour d’elle l’association l’équipe Cousteau parviendra à trouver les mécènes à même de lui procurer l’argent nécessaire : elle paiera les chantiers Piriou et trouvera un chantier naval à Istanbul pour restaurer le navire avec une motorisation moderne ; chargée sur un cargo, la Calypso quittera Concarneau le 14 mars 2016. L’ingénieur naval italien Marco Cobau suivra la rénovation de ce grand squelette de 111 t et 40 m de long. Il sera épaulé en Turquie par le commandant Patrice Quesnel, déjà chargé de la coordination du programme de sortie de la Calypso. Erik Orsenna avait été élu à l’Académie Française, au siège libéré par le commandant Cousteau. La coutume est de faire un discours d’entrée qui soit un hommage rendu au prédécesseur : De semaine en semaine, la planète se révèle à ses habitants. Le gros bocal si souvent imbécile – je parle de la télévision – s’est changé en hublot. ***** Je préfère voir mon bateau couler avec les honneurs que transformé en musée. Je ne veux pas que ce bateau se prostitue et que les gens viennent pique-niquer à son bord. Jacques Yves Cousteau, en 1984, mort le 25 06 1997 11 01 1996 La paternité des GAL (Groupe Antiterroriste de Libération) empoisonne la vie politique espagnole et contribuera sans doute à la victoire du parti de José Maria Aznar, aux prochaines législatives : Felipe Gonzales devra lui céder le pouvoir. 12 01 1996 600 indépendantistes corses s’autorisent à Tralunca une manifestation dont le pouvoir ne supporterait pas le centième en métropole ; Une bonne action ne doit jamais rester impunie. Dicton irlandais C’est la défaite des majorités silencieuses : Le mal est assuré de son triomphe lorsque les hommes de bien ne font rien. Albert Einstein. 16 01 1996 Catherine Destivelle est au sommet du Pic sans nom – 4 160 mètres, dans la chaîne des monts Ellsworth, une face de 1 700 mètres dans l’Antarctique, entre la Terre de Feu et le Pôle Sud. Un sommet, physiologiquement c’est toujours un moment de détente, et l’attention n’est plus la même… Erik Decamp, son compagnon prend la photo souvenir, pour laquelle Catherine recule d’un pas… une seconde d’inattention, et c’est la catastrophe : Catherine Destivelle Ascensions Arthaud 2012 Catherine Destivelle est du bois dont étaient faits nos grand pères, nos arrières grand pères, ces paysans soldats qui survécurent des mois, parfois des années à l’enfer des tranchées ; elle est dure à la peine, elle a une rage de vivre chevillée au corps ; il ne faut pas trop insister quand on le lui dit car elle ne veut surtout pas se couler dans le moule de ses ainés hommes, souvent très… trop… démonstratifs et outranciers, mais cela n’enlève rien à son exceptionnel tempérament. 10 02 1996 Deep Blue, un programme d’IBM, gagne une partie d’échecs contre Garry Kasparov, champion du monde d’échecs : c’en est fait de la prééminence de l’homme sur la machine. Vingt ans plus tard, le logiciel Alpha Go de Google gagnera une partie de Go – un jeu chinois un peu plus complexe que les échecs – contre le champion du monde, le coréen Lee Sedol. Pour ceux qui resteraient de marbre devant ces jeux, il est utile de savoir que dans un tout autre domaine, celui de la technique médicale, les algorithmes informatiques diagnostiquent correctement 90 % des cancers du poumon là où les médecins n’en diagnostiquent correctement que 50 %. 22 02 1996 Jacques Chirac, président de la République, décide de l’arrêt du service militaire obligatoire. Sur un plan financier, et de stratégie immédiate, les arguments pour l’emportent sans doute sur les contre. Mais, avec le recul – un recul de près de vingt ans -, on s’apercevra que c’est probablement la plus grande connerie qu’ait faite un décideur politique français depuis cinquante ans – président du Conseil sous la IV° république, président de la République sous la V°, car il est bien possible, pour ne pas dire certain, que ce passage obligé pour tout citoyen français ait diffusé un lien social suffisant pour que ne puissent éclore les fous terroristes, semeurs de mort dans la décennie 2010 : dix, douze (peu importe) mois pendant lesquels vivent ensemble les enfants de paysans et d’ouvriers, d’employés et de cadres, de professions libérales, de fonctionnaires, d’artistes, de professeurs… à vivre comme ils ne le feront jamais plus au cours de leur vie au plus près de l’égalité et de la fraternité, ce temps-là est un temps de renforcement de l’unité du pays ; il n’était certainement pas nécessaire de maintenir le maniement d’armes sous la férule d’adjudants bornés, mais la forêt française manque cruellement de bras pour empêcher le taillis d’étouffer la futaie, et il n’était que de transférer des crédits militaires à l’ONF pour que ces bras trouvent un encadrement et de contraindre les propriétaires privés à accepter enfin que soient gérées leurs forêts – les 2/3 de la forêt française -. Régis Debray, que jamais personne n’a pu prendre en flagrant délit de dire une bêtise, parlera le 28 novembre 2005 dans Le Monde de la fin criminogène du service militaire obligatoire… 2005 : 9 ans après la décision, 7 ans avant les équipées mortelles de Mohammed Merah, 10 ans avant celles de Coulibaly, Abaaoud, Abdeslam … Quel flair ! On pourra épiloguer des jours et des nuits entiers sur le sujet, typiquement Et si …il n’empêche qu’il est indéniable que cela révèle à quel point le dirigeant d’un pays peut être aveugle, sans discernement sur l’origine des liens qui unissent les citoyens. En cette occasion au moins, Jacques Chirac a quitté la stature d’homme d’État pour endosser un costume de technocrate jeunot, tout frais sorti de l’ENA, encore plein de morgue courte, sans humanité ni sagesse ! La victimisation des populations de l’immigration et la mise en accusation constante de la France et des Français depuis le début des années 1980, sont les principales causes de la violence dont ces derniers sont devenus la cible. Malika Sorel-Sutter Décomposition française. Comment en est-on arrivé là ? Fayard 2015 ____________________________________ [1] Ces chiffres ont été pris dans Le Monde, qui, quelques années plus tard, à l’occasion de la découverte de la grotte de Cussac, parle de 32 000 ans pour la grotte Chauvet. Jean Clottes est le responsable des recherches de la grotte Chauvet. [2] Les espagnols adopteront cette solution pour les grottes d’Altamira, au sud de Santander… lorsque le délai d’attente pour la visite des vraies grottes aura atteint… 2 ans. [3] Association lucrative sans but, dixit Pierre-Patrick Kaltenbach. [4] Au 31 01 2013, 12 496 biens immobiliers ont été confisqués aux mafias italiennes. Au palmarès des biens mis sous séquestre, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1996 qui permet leur réutilisation, la Sicile arrive en tête (5 515), suivie de la Campanie (1 918), de la Calabre (1 811), de la Lombardie (1 186), des Pouilles (1 126) et du Latium (645). Selon les chiffres de janvier 2013, l’Agence nationale des biens confisqués (à Cosa Nostra, ‘Ndrangheta, Camorra, Sacra Corona Unita) dénombrait 1 708 entreprises. 70 % d’entre elles sont encore gérées par l’Agence.
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