28 novembre 2012 à novembre 2013. Denis Mukwege dans l’immense Congo. Platanes malades. Et encore Bernard Tapie. 20224
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Publié par (l.peltier) le 18 août 2008 En savoir plus

28 11 2012 

Les barbares officient en toute impunité : cela se passe au Congo.

On a voulu tuer le docteur Denis Mukwege. On a voulu faire taire celui qui, depuis des années, se révèle l’infatigable défenseur des femmes violées du Congo. Un homme plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel de la paix et que la communauté internationale a déjà récompensé de distinctions prestigieuses. Un gynécologue de 57 ans qui, dans son hôpital de Panzi, près de Bukavu, a déjà accueilli et opéré, en l’espace de treize années, plus de 40 000 femmes violées et mutilées de sa région – oui, 40 000, le chiffre est effroyable. Et qui, inlassablement, mais avec de plus en plus de tristesse, arpente le monde et s’empare de toutes les tribunes qui lui sont offertes – ONU, Sénat américain, Parlement européen, Maison Blanche, Downing Street… – pour dénoncer ce qu’il qualifie de crime contre l’humanité. C’était le 25 octobre au soir, à Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, dans l’ouest de la RDC, la République démocratique du Congo. Cinq hommes lourdement armés se sont introduits dans sa demeure, ont maîtrisé les sentinelles et les domestiques et contraint ses filles à se jeter à terre en attendant, en silence, que leur père arrive. Au bruit de sa voiture, ils se sont mis en position de tir, ont extirpé le médecin de son véhicule, ont braqué une arme sur sa tempe. C’est au moment où ils allaient l’exécuter que l’un de ses employés s’est jeté en hurlant sur l’un des agresseurs, lequel s’est brusquement retourné, et a fait feu, le tuant de deux balles. Dans une grande confusion, le médecin s’est retrouvé à terre, pris sous les tirs, puis le commando s’est enfui dans le véhicule familial. Sonné, Denis Mukwege s’est relevé au milieu des douilles. Miraculé, dit-il doucement. J’en suis au sixième attentat par balles. Je crois bien que j’ai une protection… surnaturelle. Il a la foi. C’est vrai qu’il est aussi pasteur. En quelques heures, la rumeur de l’attentat a fait le tour du monde. Et de tous les continents s’est élevée une même clameur mêlant stupeur et indignation. Ah non ! Pas lui ! Pas Mukwege ! Des messages sont arrivés de toute part, d’associations et de fondations qui soutiennent l’œuvre du médecin, d’organisations comme Amnesty International, Médecins du monde, Physicians for Human Rights, mais aussi de gouvernements occidentaux exigeant des autorités congolaises une enquête sur l’attentat et des garanties pour la protection du médecin. On a tenté d’assassiner un de mes héros, a réagi sur son blog Nicholas Kristof, le chroniqueur du New York Times, liant cette attaque au discours prononcé un mois plus tôt par le docteur Mukwege à la tribune des Nations unies pour dénoncer l’impunité des violeurs au Congo. Mais à Bukavu, la ville où il est né et où il a créé l’hôpital de Panzi en 1999, c’est bien plus que de l’indignation qui a saisi la communauté des femmes, à l’annonce de l’évacuation du chirurgien vers le Burundi puis vers l’Europe. Une profonde angoisse, une peur panique. Que faire sans Mukwege ? Qui les soignerait ? Les écouterait ? Les protégerait ? Une opération ville morte a d’abord été organisée, le 31 octobre, pour protester contre l’insécurité croissante, quelques jours après l’attentat. Puis une association de Congolaises pour la paix a lancé un appel réclamant le retour du docteur. Et le 12 novembre, des centaines d’autres, venues à pied ou en pirogue de tout le Sud-Kivu, leur bébé sur le dos, ont assiégé le bureau de la fondation du médecin, exigeant d’avoir de ses nouvelles et le suppliant de rentrer, si du moins, disaient-elles, il est encore en vie. Nous allons livrer à l’hôpital les récoltes de nos champs, nos bananes, nos ananas, nos choux, pour acheter son billet d’avion de retour. Et ce sont nous, les femmes, qui allons nous relayer, jour et nuit, devant sa résidence pour assurer sa sécurité. De grâce, qu’il nous revienne !  Il ne demande que ça. Il ne pense même qu’à ça, jour et nuit, déterminé à poursuivre son travail. Il vient de nous l’écrire dans un courriel dont il ne précise pas, à dessein, le lieu d’expédition, navré de constater que les autorités congolaises n’ont répondu à aucune des questions concernant sa sécurité. Il indique cependant que toutes les dispositions sont prises pour que les soins se poursuivent et que les patientes ne souffrent pas de son absence. Mais à Bruxelles, au siège de la Fondation Roi Baudouin où nous l’avons rencontré le 6 novembre, si ses propos se voulaient combatifs, le ton était infiniment douloureux. Le docteur Mukwege, un géant au sourire et au regard aussi doux que sa voix, paraissait accablé. Las de parler dans le vide. Las de vouloir secouer en vain les consciences. Las de raconter à toutes sortes d’auditoires la tragédie des femmes du Congo sans que rien ne se passe. Las de décrire les viols et tortures effroyables, de citer des chiffres à donner le tournis (500 000 femmes violées en seize ans, dit-il), sans qu’aucune volonté politique internationale ne s’exprime pour prendre de vraies mesures. Las aussi de recevoir des prix et des hommages sans que les organisations gouvernementales n’envisagent de solutions autres que médicales. Cela le stupéfie. Comment est-il possible qu’on ne l’entende pas ? Comment est-il pensable que les acquis de la civilisation reculent à ce point et que, l’on reste inerte ?  On a toutes les preuves, photos, témoignages, et rien n’y fait, se désole-t-il. On ne pourra pas dire, comme on l’a fait à d’autres heures sombres de l’Histoire, que la communauté internationale ne savait pas. Elle sait !  Alors pourquoi n’agit-elle pas ? Pourquoi cette solidarité des hommes, sous toutes les latitudes, qui trouvent normal que la femme souffre comme si c’était dans sa nature, comme si le viol de milliers de femmes était moins grave que la mort d’un seul homme ? Il secoue la tête, les épaules voûtées, les yeux pleins de désarroi. Beaucoup d’hommes ont l’impression que le viol n’est qu’un rapport sexuel non souhaité. Mais ce n’est pas ça ! C’est une destruction ! Et ça fait seize ans que cela dure au Congo ! Seize ans de destruction de la femme, seize ans de déstructuration de toute une société. Et cela ne fait que croître ! Il se souvient parfaitement de ce jour de septembre 1999 où, dans le tout nouvel hôpital de Panzi où il s’attendait à faire des césariennes et aider à mettre au monde des enfants, il a accueilli une première femme violée par un groupe de soldats et dont l’appareil génital avait été déchiqueté par des balles tirées dans son vagin. J’étais stupéfait, je n’avais jamais vu ça. Cette femme était une survivante. Mais, à la fin de l’année, j’en étais à 45 cas. En 2000, le chiffre montait à 135 victimes. En 2001, c’était l’explosion, il ne savait plus où mettre ses patientes. En 2004, il comptabilisait 3 604 cas. Ce qu’on ne savait pas faire avec les armes à feu, les lances et les machettes, je découvrais qu’on le réalisait avec le sexe.  Le viol était devenu une arme de guerre. Collectif, commis devant les maris, les enfants, les voisins, contraints d’y assister. Les clitoris étaient coupés, les seins, les lèvres, les nez sectionnés. Le chirurgien, atterré, avait fait appel à Human Rights Watch, qui publiait en 2002 un premier rapport : La guerre dans la guerre. Je me suis dit : quand le monde va lire ça, la réaction sera fulgurante. Eh bien j’avais tort ! Il ne s’est rien passé. Et le viol s’est répandu. Utilisé par à peu près tous les groupes armés, les rebelles hutu et les combattants maï-maï, les soldats rwandais et les forces gouvernementales congolaises, et aujourd’hui, les insurgés du M 23. Ils rivalisent de cruauté, ils sophistiquent la torture, perfectionnent les supplices ; je distingue leurs signatures dans les plaies des femmes. Alors, d’une voix lente, monocorde, un peu voilée, le médecin nous a raconté ce qui constitue son quotidien. J’ai vu des vagins dans lesquels on avait enfoncé des morceaux d’arbre, de verre, d’acier. Des vagins qu’on avait lacérés à coups de lame de rasoir, de couteaux ou de baïonnette. Des vagins dans lesquels on avait coulé du caoutchouc brûlant ou de la soude caustique. Des vagins remplis de fuel auxquels on avait mis le feu… Fallait-il continuer ? Il a vu le pire du pire, le summum de la cruauté. Il a soigné une femme qui, enlevée avec ses quatre enfants par un groupe armé pour devenir leur esclave sexuelle, a appris que le plat étrange qu’on l’avait forcée à avaler était constitué de trois de ses enfants. Il a tenté pendant des heures de reconstituer le vagin d’une petite fille de 3 ans que des sexes barbares avaient saccagé, lors d’un raid nocturne sur un village… Toute guerre vise à réduire la démographie de l’ennemi, à occuper son territoire, à détruire sa structure sociale. Le viol, de ce point de vue, est d’une efficacité redoutable.  S’acharner sur l’appareil génital des femmes ne revient-il pas à s’attaquer à la porte d’entrée de la vie ? La plupart des jeunes filles violées ne pourront plus avoir d’enfants. Les autres, contaminées par le sida ou d’autres maladies deviennent des réservoirs à virus et des outils de mort pour leur compagnons, voire pour les enfants issus des viols. Lesquels, de toute façon, seront rejetés, ostracisés et deviendront un jour, hors de ces familles anéanties des enfants-soldats… L’Homme qui répare les femmes selon le mot de Colette Braeckman qui vient de consacrer à Denis Mukwege une biographie (André Versaille éditeur 160 p.14,90 € ), ne les laissera jamais tomber. Si vous saviez leur force, leur incroyable dignité ! Il reviendra au Sud Kivu continuera de former des équipes, de prêcher la non-violence et d’opérer dix heures par jour. Mais, franchement, répète-t-il, je ne comprends pas l’indifférence de la communauté internationale à l’égard des Congolaises… et des femmes de façon générale. Non, décidément, je ne  comprends pas.

Annick Cojean. Le Monde du 28 Novembre 2012

Et pourquoi donc ces milices rwandaises en territoire congolais ? Tout simplement pour s’accaparer une bonne part du très précieux coltan, indispensable à toutes les technologies actuelles en matière de communication : portables, tablettes etc… Le Congo possède 80 % des réserves mondiales ; à 500 $ le kilo, [un ouvrier produit un kilo / jour] cela vous fait vite un joli magot, l’idéal pour abonder un budget de l’armée quand les ressources nationales font défaut. Le 20 novembre 2013, France culture parlera de 500 000 femmes victimes de ces viols et de 40 000 opérées par le Dr Denis Mukwege. Le Nobel de la Paix lui sera attribué en octobre 2018 après avoir reçu les prix Olof Palme et Prix des droits de l’homme des Nations unies (ONU) en 2008, prix Sakharov en 2014. L’entretien suivant a été réalisé par Annick Cojean en 2016

Si je n’étais pas gynécologue-obstétricien et n’avais donc un accès privilégié aux femmes qui me parlent en confiance et peuvent me montrer leurs blessures. C’est à ce titre que j’ai vu et entendu des choses qui dépassent l’entendement. Des souffrances inouïes causées par des viols massifs et organisés, des lésions corporelles souvent irréparables, des traumatismes profonds transmis aux enfants, toutes sortes d’abjections. Et moi, médecin dans le Kivu, en RDC, je suis donc devenu militant. Impossible de me taire et de me contenter de soigner ces femmes le mieux que je peux. Impossible de ne pas sortir de mon hôpital pour interpeller le monde, saisir toutes les tribunes possibles pour dénoncer ce qui est une arme de guerre au même titre que les autres.

Tout faire pour convaincre les leaders d’éradiquer le viol avec la même détermination que celle mise pour les armes biologiques, chimiques et nucléaires. Parce que le viol détruit tout autant, même s’il laisse les personnes en vie. Parce que c’est un déni d’humanité, un recul des acquis de la civilisation. Et parce qu’il faut tracer une ligne rouge absolue.

N’aviez-vous pas rêvé d’être pédiatre ?
Oh si ! Je me souviens même de ce dimanche de 1963 – j’avais 8 ans – où j’ai accompagné mon père, pasteur, en visite dans une famille dont le petit garçon était gravement malade. Il s’est incliné au-dessus de l’enfant et a déposé quelques gouttes d’huile sur son front tout en récitant une prière. Le petit gémissait et je souffrais avec lui. Comment imaginer que la seule prière le guérirait ? Pourquoi ne pas lui donner des médicaments comme on m’en administrait quand j’étais mal ? Je fais ce que je sais faire, m’a dit mon père. Ce sont les médecins qui donnent les médicaments. C’est un métier. Alors, je serai médecin, ai-je décidé très sérieusement. Et je n’ai jamais dévié de cette résolution. Mon père continuera de prier, me disais-je, et moi, je donnerai des médicaments. On sera complémentaires. J’ai fait ma médecine générale et une thèse en pédiatrie. J’avais toujours en tête le premier petit malade de mes 8 ans.

Qu’est-ce qui a provoqué le changement de cap ?
Un stage dans un hôpital de montagne qui m’a fait découvrir l’horreur de la mortalité maternelle en Afrique. Je n’en avais pas alors la moindre idée. Mais j’ai vécu là-bas des scènes insoutenables. J’ai vu arriver des hommes portant leur épouse inconsciente sur le dos, victime de graves hémorragies après un accouchement compliqué, et dans un état désespéré. J’ai vu des femmes exténuées après des jours de marche, un fœtus mort pendant entre les jambes, déchirant leurs organes génitaux. J’ai découvert le problème de la fistule occasionné par l’extrême jeunesse des mamans dont le bassin trop étroit coince l’enfant qui décède sans sortir et les mutile.

Il fallait absolument aider ces femmes dans ce qui devrait être un acte naturel et joyeux de l’existence. Les aider à mettre des enfants au monde est devenu ma vocation.

Vous n’imaginiez pas alors l’épidémie de viols à laquelle vous seriez confronté ?
Non ! Et je suis tombé des nues lorsqu’une patiente, en septembre 1999, m’a raconté qu’elle avait été violée par six soldats et que l’un d’eux avait ensuite tiré dans son vagin. Comment une telle cruauté était-elle possible ? Pourquoi cette obstination à mutiler ? J’ai soigné cette femme en me disant qu’elle avait certainement croisé le chemin d’un fou.

Mais il y en a eu une autre. Puis une autre. Et une autre. Au fil des mois, les cas se sont comptés par dizaines, par centaines, par milliers. Le phénomène s’est transformé en épidémie plongeant l’est du Congo sur le chemin des ténèbres. Et moi, je me suis retrouvé confronté à une situation qu’aucun médecin n’avait encore affrontée, et pour laquelle les manuels n’étaient d’aucun secours.

Ma vie en a été bouleversée. Je ne pensais plus qu’à mes patientes et passais des nuits entières à m’interroger sur les opérations du lendemain. Quelles techniques employer pour réparer cet appareil génital détruit ? Comment réparer les incontinences urinaires et fécales ? J’ai travaillé, étudié, inventé des solutions. J’ai formé des collaborateurs, perfectionné des techniques avec des résultats encourageants. Mais les récits de ces femmes étaient incroyablement perturbants.

Au point de vous affecter vous-mêmes psychologiquement ?
Oui. Et de nuire à la qualité de mon travail. Quand il manie le scalpel, le chirurgien doit être parfaitement concentré. C’est pour ça qu’il évite d’opérer ses propres parents. Or j’avais tellement absorbé les histoires de ces femmes qui auraient pu être mes filles, mes sœurs, mon épouse, que j’avais en tête mille questions concernant leurs souffrances, leur avenir, les tourments qui les attendaient. J’ai donc dû me protéger de leurs récits pour mieux me consacrer à leur reconstruction physique, et avoir recours à des psychologues pour les écouter intimement. Cela m’a aidé à opérer avec un peu plus de sérénité. Mais, vous savez, tous ces vagins détruits parlaient d’eux-mêmes.

Et puis il y eut ce jour de 2007 où vous reconnaissez une des femmes se présentant dans votre service…
Oui. Je l’avais soignée huit ans auparavant à la suite d’un viol de masse et l’avais accouchée d’une petite fille. Et voici qu’elle revenait, violée une nouvelle fois ainsi que la petite née à l’hôpital. Ça m’a fichu un coup terrible. Il n’y aurait donc pas de fin au cercle vicieux dans lequel le pays s’enfermait ? Je n’avais plus le choix : il fallait que je quitte le bloc opératoire pour dire au monde ce qui se passait au Congo et tâcher de le responsabiliser sur ce qui est désormais une arme de guerre.

Rien à voir avec des pulsions sexuelles débridées ou le butin de guerre exigé par les vainqueurs depuis la nuit des temps ?
Non. Les viols dont nous parlons sont prémédités et méthodiques. Ils se déroulent en public, devant les pères, les maris, les voisins, les enfants. Ce qui démultiplie l’ampleur du traumatisme, empoisonne les familles, désintègre toute une communauté. Ils sont collectifs (c’est-à-dire qu’une personne peut être violée par plusieurs hommes à tour de rôle), massifs (200 femmes d’un village violées en une nuit), systématiques (les bébés comme les aînées de plus de 80 ans). Ils sont suivis de tortures : une baïonnette, une fois le viol achevé, est introduite dans le vagin, un bâton couvert de plastique ou de caoutchouc brûlant, de l’acide corrosif ou du fioul auquel on met le feu. Chaque groupe a sa méthode, et je reconnais la signature aux lésions occasionnées. En s’attaquant à l’appareil génital, on détruit la matrice, la porte d’entrée à la vie. Rien n’est laissé au hasard.

Quelles sont les conséquences ?
Des déplacements massifs de populations terrorisées qui fuient ainsi leur village, d’autant que, pour en prendre le contrôle, les milices ou les groupes de violeurs n’hésitent pas également à piller et à brûler les récoltes. Un tissu social totalement délité, où les familles et les communautés explosent, privées de repères, de valeurs, d’autorité, d’honneur. Une réduction de la démographie, car la plupart des jeunes filles violées ne pourront plus avoir d’enfants, et les autres, contaminées par le sida ou d’autres maladies sexuellement transmissibles, deviennent des réservoirs à virus et des outils de mort pour leurs compagnons, voire pour les enfants à venir, car la transmission est autant verticale qu’horizontale. Voilà pourquoi il s’agit d’une arme de destruction massive. Une arme dont les conséquences physiques et psychologiques porteront sur des générations. Comme l’arme nucléaire.

Vous avez donc pris votre bâton de pèlerin pour aller parler devant l’ONU et de très nombreuses instances internationales. Que s’est-il passé ?
En interpellant les dirigeants du monde, en les conjurant de refuser que le corps des femmes serve de champ de bataille, j’ai découvert que le viol de guerre existait dans toutes les sociétés. En Bosnie, pendant la guerre de 1992. En Libye, au moment de la révolution et à  l’initiative de Kadhafi, qui fournissait ses miliciens en Viagra avant de les lâcher comme des chiens sur les femmes. En Syrie, dans les prisons de Bachar Al-Assad, où l’on viole les femmes pour atteindre et décourager les rebelles. Cette pratique a longtemps été perçue comme un aléa de la guerre, un simple dommage collatéral. Les esprits heureusement évoluent. Depuis dix ans, le concept d’arme véritable s’est imposé peu à peu. Mais il manque une vraie volonté politique. Le lobbying financier est décidément le plus fort. L’argent, propre ou sale, ferme les bouches.

Que voulez-vous dire ?
Peu de pays recèlent autant de ressources naturelles que le Congo. Et 80  % des réserves mondiales de coltan se trouvent dans la zone où les femmes sont attaquées. Faire main basse sur les richesses de notre sous-sol est donc la grande affaire. De même qu’en contrôler les cours pour ne pas provoquer une hausse des prix de nos smartphones, auxquels le coltan est essentiel. Les armées et d’innombrables milices se sont emparées de ces eldorados. La mondialisation a des conséquences inattendues. Et si elle n’est pas animée par une éthique, une morale…

Vous avez échappé à une tentative d’assassinat en 2012, subi des pressions pour ne pas parler à l’ONU, reçu des flots d’insultes et de menaces…
Mon combat et ma franchise dérangent. On m’accuse de salir la réputation du Congo et de nuire à un gouvernement corrompu qui protège l’impunité des violeurs. C’est effarant, car le silence et l’inaction valent complicité. Les femmes devraient avoir droit, au minimum, à la protection de l’Etat. Droit à se voir reconnaître un statut de victimes et des réparations. Mais pointer la responsabilité de l’Etat me vaut encore des menaces, alors même que le pays s’enfonce dans un état de non-droit.

Avez-vous craint que votre engagement mette votre famille en danger ?
Oui, bien sûr. Et c’est la raison pour laquelle j’évite d’en parler, car je ne veux pas l’exposer. Ce qui est vrai, c’est que sans le soutien indéfectible de Madeleine, mon épouse, et de mes cinq  enfants, il m’aurait été impossible de poursuivre ce combat. Ils ont toujours été à mes côtés. Ils ont porté ce fardeau, dans l’ombre. Cette famille très unie fut mon plus grand atout.

Depuis l’infection neuronatale qui aurait pu être fatale dans les jours suivant votre naissance, vous dites avoir survécu, un peu mystérieusement, à de nombreux périls.
C’est vrai. J’ai échappé à bien des incidents qui auraient dû me tuer. Mais que dire ? Qu’il y avait là de l’irrationnel ? Qu’une force me protégeait ? Et que Namuzinda – ou Dieu – est intervenu ? Je ne crois pas totalement au hasard, c’est un fait. Si ma vie a été sauvegardée, c’est donc pour une cause. Aider les autres , dit ma mère. En tout cas, faire ce que je peux.

De nombreux prix internationaux ont récompensé votre engagement. Mais votre discours dépasse le sujet du viol et vous incarnez la cause des femmes.
Plus je parcours le monde, plus je suis touché de voir à quel point elles sont instrumentalisées, rejetées, déshumanisées. Et combien les normes sociales continuent de les maintenir dans une classe de sous-hommes. C’est inacceptable. Partout où on leur fait confiance, où on leur donne une juste place, familles, communautés et pays s’en sortent beaucoup mieux. Se passer d’elles équivaut à amputer son potentiel de développement.

Desmond Tutu (Prix Nobel de la paix 1984) nous disait un jour qu’il était temps de remettre aux femmes les clés du monde.
Il a raison. Se passer d’elles a abouti à un échec. Elles ont un sens beaucoup plus élevé du respect de la vie quand les hommes ont le sens du respect du pouvoir. Ouvrons-leur tous les centres de décision. Et disons-leur : soyez vous-mêmes. Ne nous imitez pas. Si on se bat pour avoir des femmes au pouvoir, c’est précisément parce qu’elles apportent ce que les hommes n’ont pas. Alors dirigez en tant que femmes. Réagissez en tant que femmes. C’est là votre force. Et ce sera notre chance.

Propos recueillis par Annick Cojean, en 2016

Cinq ans plus tard, lors d’une autre interview :En 2012, j’ai fui après une tentative d’assassinat. Je me suis dit trop, c’est trop. Je ne voulais pas être un héros mort mais un homme vivant, et je suis parti aux États-Unis. Un groupe de femmes de mon pays a alors écrit au secrétaire général des Nations Unies et au président de la République. Sans réponse, elles ont décidé de vendre des fruits et légumes pour ramener leur docteur. Pourtant, ces femmes ne gagnent pas un dollar par jour. Mais chaque vendredi, elles déposaient cinquante dollars pour que je puisse revenir. Elles se sont portées volontaires pour assurer ma sécurité.

Alors que je me pensais invulnérable, ces événements m’ont montré que je l’étais bel et bien. Tout comme ma mère a su me faire revenir à mes études de médecine, ces femmes ont su me faire rentrer au Congo. Elles ont été plus fortes que moi. Je n’ai pas pu résister. La résilience des femmes dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Elles auraient pu vivre dans la haine, détester les hommes, mais pourtant elles continuent à se battre pour les autres, pour que leurs enfants puissent aller à l’école. Je me sens petit face au courage des femmes. Ma force motrice, ce sont elles.

Denis Mukwege. La Force des femmes. Gallimard 22021

Un film bouleversant - Denis Mukwege, le Messie des femmes ...

Le Dr Mukwege recevra le Nobel de la Paix en 2018, puis sera candidat à la présidentielle en 2023. L’homme a la carrure d’un Mandela, mais pareille carrure est une belle cible pour un assassin.

17 12 2012

Maureen Kearney est retrouvée bâillonnée, ligotée avec du scotch sur une chaise, chez elle, un A gravé sur son ventre et le manche d’un couteau de cuisine enfoncé dans le vagin depuis six heures, sans trace d’agresseur. Irlandaise, professeur d’anglais chez Areva, secrétaire du comité du groupe européen d’Areva, la syndicaliste CFDT s’inquiétait depuis de longs mois de l’accord préparé par sa direction avec EDF, (alors dirigé par Henri Proglio devenu patron du nucléaire français depuis sa nomination le 21 février 2011 à la vice-présidence du comité Stratégique de l’Énergie Nucléaire), et l’électricien chinois, CGNPC (China General Nuclear Power Corporation). Maureen Kearney, (proche d’Anne Lauvergeon, patronne d’Areva de 2001 à 2011, à laquelle a succédé Luc Oursel) saisira alors son réseau politique et médiatique, exprimant l’inquiétude des salariés d’Areva d’être sacrifiés sur l’autel de la coopération internationale et des ambitions d’EDF. Ce jour-là, elle avait rendez-vous avec le président de la République, François Hollande. Du statut de victime, elle va passer au statut d’accusée, par la médiocrité de policiers incompétents et malveillants qui parviendront à lui extorquer des aveux : elle sera accusée d’affabulation et condamnée le 6 juillet 2017 à six mois de prison avec sursis et 5 000 € d’amende, puis relaxée le 7 novembre 2018. Les accusations d’affabulation s’étaient assises sur le fait qu’il est impossible à une personne seule de s’attacher elle-même les mains dans le dos au dossier d’une chaise, qu’il est encore impossible à une personne seule de se graver au scalpel un A majuscule sur le ventre… Quelqu’un aura pris soin d’égarer les prélèvements d’ADNetc. Travail de méchant barbouze au sein des hautes sphères du nucléaire français.

Maureen Kearney, ancienne syndicaliste chez Areva

Nina Robert, de France Télévision lui consacrera une série en quatre épisodes en septembre 2022, Sonia Kronlund, de France culture aussi, en deux émissions, en octobre 2021, le duo François Aussir – Cédric Luciani , dans Affaires sensibles, France Inter en juin 2021, en 5 émissions. Caroline Michel-Aguirre publiera La syndicaliste chez Stock en 2019. Maureen Kearney sera incarnée à l’écran par Isabelle Huppert dans La Syndicaliste, un film de Jean-Paul Salomé, en salle en mars 2023. Quand on a 69 ans, l’âge d’Isabelle Huppert et que l’on joue une femme de 56 ans – l’âge de Maureen Kearney lors du viol – cela ne peut se faire sans l’intervention de chimistes spécialisés dans le ravalement de façade. Le jeu sans expression d’Isabelle Huppert, n’est pas un art, c’est une absolue nécessité imposée par les traitements pour rendre invisibles les rides, les outrages du temps. On croirait un personnage du musée Grévin…. N’est pas donné à tout le monde le bon sens et le courage de Brigitte Bardot. Ceci dit, en dépit de toutes les formes d’information antérieures, il aura fallu attendre la sortie de ce film pour que des politiques prennent conscience de l’importance de l’affaire et se scandalisent de ce qu’elle soit restée connue jusqu’alors que d’un petit nombre. Plus tard, il en ira de même pour le scandale des Ephad qui ne fera de vagues que lorsque Christophe Castaner en fera un livre quand auparavant, c’est tout de le milieu de la santé qui était parfaitement au courant et quelques juges…  Et là encore, pourquoi a-t-il fallu attendre le livre de Christophe Castaner pour que l’ensemble de la société se mettre à bouger, quand, pratiquement deux ans plus tôt, était publié un autre livre, sur le même sujet : EPHAD, une honte française, d’Anne Sophie Pelletier, une députée France Insoumise qui avait été porte-parole d’une grève de 117 jours à l’EPHAD des Opalines, à Foucherans dans le Jura. On dirait qu’il nous faut de grandes claques pour nous sortir de notre torpeur…

27 12 2012

Edwy Plenel, directeur et fondateur de Médiapart, détient depuis quelques semaines la cassette qui permettra de confondre Jérôme Cahuzac : il écrit à François Molins, procureur de la République pour Paris, lui demandant de se saisir de l’affaire et d’ouvrir une enquête : le journaliste se fait auxiliaire de la Justice. Quand on a choisi de ne pas avoir de déontologie, on peut se fixer soi-même les limites d’activité de sa profession : c’est la porte ouverte à la délation… et tout ça sent très mauvais.

2012 

Le 15 août 1944, lors du débarquement de Provence  les Américains, qui n’en savaient rien, nous avaient apporté avec leurs caisses de munitions en platane le chancre coloré. En 2006, sur le bief entre Villedubert et Trèbes, il infectera entre 8 000 et 10 000 des 42 000 platanes en double alignement.

Quand Pierre Paul Riquet a creusé le canal entre 1666 et 1681, il n’avait fait aucune plantation. Les premières ont été réalisées par les riverains pour délimiter leurs parcelles, produire du bois de chauffe, alimenter les magnaneries (mûriers)… Au XIX° siècle, la Compagnie du Canal du Midi, pour stabiliser les berges, décida d’un programme de plantation avec une espèce unique : le platane [1]. La plupart des arbres abattus en ce moment remontent à cette époque.

Le Midi Libre 31 août 2013

en 2012 on en a coupé 1 600 et 2 200 en 2013. Ils sont entre 8 000 et 10 000 à être atteints par la maladie.

Le choix pour une mono variété a fragilisé ces plantations. Le chancre survit dans l’eau qui sert de vecteur en répandant ses spores. L’accostage des bateaux le long des berges, en blessant parfois le système racinaire, favorise la contamination. Une fois dans le cœur de l’arbre, le chancre va bloquer les vaisseaux transportant la sève.

La seule solution est de supprimer les arbres atteints avec d’infinies précautions. Le bois est immédiatement brûlé dans des fosses creusées spécialement. Les scories du sciage sont recueillies sur des bâches enduites de désinfectant et aspirées. On sort des zones d’abattage en passant par des sas de désinfection.

Midi Libre du 31 août 2013

On en profitera pour replanter les espèces d’origine : peupliers, saules, ormeaux, chênes pour les pays aquitains, micocoulier, caryer à feuilles cordées, peuplier blanc, chêne à feuilles de châtaignier, pacanier pour le Languedoc. On a planté autour de Villedubert dans l’Aude 192 tilleuls argentés, mais on s’arrêtera là car ils tuent les abeilles ! Coût : 200 millions €. VNF – Voies Navigables de France -, gérant du Canal du Midi, va faire preuve en la matière d’un autisme bien révélateur de l’enfermement des nombres d’administrations françaises : inaptitude complète à toute consultation préalable, ne revenant sur ses décisions que face à la bronca des maires des communes concernées, réalisant quand il est quasiment trop tard que les recherches sur un vaccin sont très avancées, etc… Un laboratoire de la région toulousaine a testé entre avril 2012 et mai 2013 des micro-injections de produits phytosanitaires sur cinq platanes condamnés à l’abattage. Les résultats sont étonnants et prometteurs, assure Adeline Renier dans la revue spécialisée Phytoma d’octobre 2013, photographies à l’appui. Le laboratoire qui a embauché cette doctorante de l’université de Montpellier attend le feu vert du ministère de l’agriculture pour reproduire ses tests officiellement à plus grande échelle. C’est une pratique courante aux États-Unis, mais sans résultats probants à ce jour, nuance un membre du comité scientifique qui conseille VNF pour la gestion de la crise.

Le maire de Capestang, lui, veut y croire : Il faut laisser une chance à la science, dit Pierre Polard. Deux autres protocoles d’essais thérapeutiques ont été soumis à l’approbation du ministère de l’agriculture, seul susceptible d’accorder des dérogations au régime d’abattage réglementaire. Contrairement au vaccin annoncé à grand bruit dans la presse locale, ces deux protocoles misent sur le renforcement des défenses naturelles du platane contre le chancre.

Avec ces tilleuls argentés, VNF veut faire plus chic, mais les pépiniéristes [Rouy-Imbert à Montfavet] ne l’entendent pas forcément de cette oreille, et ont mis au point une variété de platane, résistante au chancre coloré, bénéficiant d’un dépôt de marque platanor, plus savamment platanus vallis clausa : 1 000 € l’unité, pièce et main d’œuvre garantis trois ans. Chaque arbre serait muni d’une puce pour être facilement identifiable !  Un travail intelligent avec manuel de nettoyage aurait pu être fait par les cantonniers qui auraient laissé en place les arbres naissants que l’on souhaiterait conserver pour remplacer ces platanes coupés, mais les cantonniers d’aujourd’hui pilotent d’énormes machines nommées épareuses, qui coupent bien évidemment tout ce sur quoi elles passent, et adieu les petits arbres endogènes…

Mais laissons la parole à la défense : Robert Vigouroux, ancien directeur de recherche au CNRS à Montpellier et Montfavet-Avignon, a travaillé pendant treize ans à la mise au point cet hybride : Le platane commun est, en France comme en Europe, issu de croisements récents, à peine deux siècles. Ils sont tous très proches. J’ai dû retrouver une souche (platanus occidentalis) aux USA chez un botaniste, M. Mc Cracken. Ses quelques plants possédaient une source de résistance au chancre coloré que j’ai croisée avec succès avec platanus orientalis, une espèce d’Orient, pour obtenir un clone résistant.[…] Je travaille actuellement sur un nouvel hybride pour éviter une homogénéité génétique qui fragiliserait la nouvelle espèce clonée. J’en espère même deux ou trois autres pour parfaire la gamme platanor et empêcher ainsi qu’une maladie, parasite ou champignon, qui ne manqueront pas d’apparaître, ne déciment un jour cette nouvelle espèce.[…] Car, au final, rien ne remplacera le platane.

*****

De son côté, VNF compte sur les premières replantations pour faire accepter le passage des tronçonneuses. À Capestang, 90 micocouliers ont été plantés cet hiver. Comme les 265 peupliers blancs plantés dans l’Aude, les jeunes pousses du port héraultais figurent parmi les essences dites intercalaires  que VNF prévoit de disséminer sur 60 % des 241 km de l’itinéraire, de Toulouse à Sète.
Des noyers américains (Carya) et des chênes à feuilles de châtaignier ont également fait leur apparition pour la première fois au bord du canal. Ces différentes variétés exotiques vont être expérimentées avec d’autres (liquidambar, chêne des Canaries). Elles seront mises en compétition pendant dix ans avec le platanor, une variété de platane résistante au chancre, pour constituer l’espèce jalon qui représentera à terme 40 % du linéaire.
La mort d’un tiers des 150 platanors plantés à grand renfort de couverture médiatique en novembre 2011 par Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’écologie, dans le port de Trèbes (Aude), à la sortie de Carcassonne, n’a pas tari la forte demande des élus locaux pour ces nouveaux platanes hybrides.
Non seulement les plants desséchés vont être remplacés à Trèbes, mais des centaines d’autres platanors ont été plantés à Villeneuve-lès-Béziers (Hérault) et Castelnaudary. En revanche, le tilleul argenté, première espèce choisie par VNF pour remplacer les platanes sur le bief de Villedubert, entre Carcassonne et Trèbes, a été écarté à la demande d’apiculteurs qui soupçonnent cet arbre de littéralement saouler leurs abeilles.
Le directeur de VNF, Marc Papinutti, avait annoncé un moratoire sur les abattages avant les élections municipales. Les maires sont désormais contactés avant chaque abattage, affirme Emilie Collet, employée par la direction régionale de VNF à Toulouse pour conduire le vaste programme de replantation du canal. Son tableau de marche prévoyait la suppression de 4 000 platanes en 2014. Ce sont finalement 1 200 arbres qui ont été abattus dans 25 communes de l’Aude et de l’Hérault jusqu’à la mi-mars. Une trêve printanière a été négociée en 2013 avec la Ligue de protection des oiseaux (LPO) pour ne pas gêner la reproduction des rolliers d’Europe.

La trêve dans le conflit des platanes pourrait être de courte durée : VNF a programmé l’abattage de 500 arbres supplémentaires à Capestang dès la fin août. En réaction, Christian Bourquin, le président (PS) du conseil régional de Languedoc-Roussillon, [† 26 08 2014, Damien Alary a pris sa succession] a décidé de suspendre sa participation financière aux abattages de platanes.

Stéphane Thepot. Le Monde du 21 mai 2014

État des lieux, toujours sur le Midi Libre, en décembre 2021 : Ce fut un foyer, puis dix, des centaines dans les années 2010 et des milliers de platanes malades, jusqu’à 3 000 abattus certaines années. Les premiers abattages radicaux, 50 mètres de part et d’autre du sujet malade, l’incompréhension du public, le combat perdu de la propagation, l’ambition vaine de contenir le champignon à l’est de Carcassonne quand il avance toujours vers Toulouse, les traitements expérimentaux systématiquement inefficaces, l’inéluctable disparition du platane de Toulouse à Marseillan. […] Son unicité sur les rives lui aura été fatale. Des 42 000 sujets dénombrés en 2006, 29 100 ont été tronçonnés. Mais depuis 2011 la replantation progresse, 16 700 arbres déjà. On plante désormais plus qu’on ne coupe. Après des essais, le rejet d’essences jugées trop exotiques, l’abandon du platane résistant un temps testé, le choix s’est fixé en 2015 sur le chêne chevelu [2] comme arbre jalon. Il est solide à la reprise après sa plantation, coche les critères de hauteur, de forme à maturité, de résistance à la maladie. Entre ces lignes de chênes, en si grand nombre que les trouver est un exercice d’abnégation à l’échelle européenne, se glisseront des segments intercalaires d’érables planes,  de tilleul, de peupliers blancs, de micocouliers et de pins parasols. […] Il faudra entre trente et cinquante ans pour que le canal retrouve sa couverture végétale si élégante.

Ollivier Le Ny. Midi Libre du 10 décembre 2021

Fin novembre 2014, VNF avait replanté 1 200 arbres. www.replantonslecanaldumidi.fr

En Nouvelle Zélande, la rivière Whanganui obtient le statut de personne morale, disposant devant les tribunaux des mêmes droits que l’homme et qu’une personne morale.

11 01 2013    

L’armée française intervient au Mali pour stopper à Konna les islamistes en route pour Bamako. 17 jours plus tard, ils reprenaient Tombouctou, depuis neuf mois aux mains des Islamistes.

Je n’oublie pas que la France, lorsqu’elle a été elle-même attaquée, […] lorsqu’elle était menacée pour son unité territoriale, qui est venu alors ? C’est l’Afrique ! C’est le Mali ! Merci, merci au Mali. Nous payons aujourd’hui notre dette à votre égard.

François Hollande, le dimanche 4 février, place de l’Indépendance à Bamako.

13 01 2013

Aaron Swartz, 26 ans se suicide à New-York, plutôt que d’appeler au secours ses très influentes relations . Son procès aurait du commencer quelques semaines plus tard. Une très grande figure du web.

En 2008, Aaron Swartz  avait téléchargé 2,7 millions de documents du Système judiciaire fédéral américain, tous hébergés au sein du PACER (Public Access to Court Electronic Records), une base de données administrée par l’Administrative Office of the United States Courts. […] Le 19 juillet 2011, il avait été accusé d’avoir téléchargé 4,8 millions d’articles scientifiques disponibles sur le site de JSTOR, (soit la quasi-totalité du catalogue). L’organisation JSTOR n’avait pas pris l’initiative d’une telle démarche judiciaire, c’était venue de la procureure des États-Unis Carmen Ortiz. D’après la plainte, c’est entre le  et le  qu’Aaron Swartz utilise plusieurs méthodes pour récupérer les documents. Il entre notamment dans la salle de câblage informatique du MIT et y branche un disque dur externe directement sur les serveurs. La quantité de téléchargements aurait fait s’effondrer plusieurs serveurs de JSTOR, conduisant à un blocage de l’accès des utilisateurs du MIT au réseau. Son matériel sera découvert quelque temps plus tard et une caméra de surveillance spécialement installée pour la circonstance permettra de le confondre puis de l’arrêter.

Aaron est mort. Vagabonds dans ce monde de fous, nous avons perdu un mentor, un aîné plein de sagesse. Hackers défendant le droit, nous sommes un de moins, nous avons perdu l’un des nôtres. Tous ceux qui élèvent, qui soignent, qui sont à l’écoute, qui nourrissent, parents, tous, nous avons perdu un enfant. Pleurons. 

Tim Berners-Lee, principal inventeur du World Wide Web, dans un tweet du lendemain.

Pour de plus amples informations, voir la très bonne page Wikipedia, et aussi l’interview de Flore Vasseur sur Thinkerview.

Aaron Swartz 2 at Boston Wikipedia Meetup, 2009-08-18.jpg

24 01 2013   

Florence Cassez, qui avait écopé de soixante ans de prison au Mexique,  est libérée.

25 01 2013   

En première page, en caractères de titre, Libération : Une série de perquisitions a eu lieu hier, visant à déterminer si Bernard Tapie a bénéficié des soutiens de Sarkozy ou Lagarde, lors du versement par l’État de 400 milliards d’euros [soulignés par la rédaction]. CRÉDIT LYONNAIS. LA TAPIE CONNEXION.

De 400 millions à 400 milliards, il n’y a que trois zéros de trop, mais ce n’est sans doute que chicanerie que de relever cela. À peu près un mois plus tôt, Nicolas Demorand, patron du journal nous gratifiait de sa très parisienne jactance sur les antennes de France Culture dans une émission de Marc Voinchet sur les différences entre presse papier payante et presse papier gratuite, parlant de l’information de qualité de la presse papier payante… Cette notion  d’information de qualité est intéressante à creuser car révélatrice de la conception franco-française du journalisme selon laquelle une dépêche d’agence, brute de décoffrage est incompréhensible pour le citoyen lambda et donc qu’une analyse journalistique se révèle nécessaire pour lui donner un sens et la rendre compréhensible ; ainsi donc devient nécessaire l’intervention du journaliste qui prend sans le dire les habits de l’enseignant pour nous dire comment il faut penser, rejoignant ainsi le grand corps (…malade) des intellectuels français, là encore, catégorie spécifiquement française, pour que le bon peuple puisse savoir comment il faut penser : faut-il brûler ceci, faut-il brûler cela, faut-il tuer Pierre, faut-il tuer Paul ? etc… Et tout ceci témoigne d’un effarant mépris pour les autres, pour tous ceux qui professionnellement ne sont pas des intellectuels, d’un effarant mépris pour le bon sens et l’intelligence de chacun. Le journaliste considère donc la dépêche d’agence comme une matière première qu’il prendrait en main et la façonnerait jusqu’à obtention d’un produit fini, accessible alors au consommateur : comparaison audacieuse mais qui a le tort d’être la plus fausse qui soit. Comparaison n’est pas raison et une dépêche d’agence n’a nul besoin d’être interprétée par un professionnel de l’information pour être compréhensible du public. On peut certes apprécier le gentil énoncé qui veut que le journaliste écrive le brouillon de l’Histoire, mais il y a une limite à tout, et en l’occurrence, c’est quand le brouillon devient caricature.

Cette affaire Tapie est décidément dramatiquement révélatrice de l’épouvantable médiocrité  qui s’est installée au plus haut niveau. Ministre des finances, Christine Lagarde avait décidé pour en finir avec ce contentieux Bernard Tapie/Crédit Lyonnais d’en appeler à une procédure fréquente aux EU, où elle a fait ses armes : l’arbitrage, procédure qui apparemment donne des boutons aux juges de France. Dans les faits, c’est son directeur de cabinet, Stéphane Richard – futur patron d’Orange – qui gère ce dossier : il était en place avant l’arrivée de Christine Lagarde à Bercy. Trois juges sont nommés. Qui a signé la nomination ? Certainement pas un simple greffier. Sont donc nommés, Pierre Estoup, un ancien haut magistrat, à la réputation sulfureuse, auquel Bernard Tapie a dédié son bouquin Librement, le 10 juin 1998 avec ces mots : Votre soutien a changé le cours de mon destin… Si ce n’est pas du piston, qu’est-ce donc ? Bernard Tapie aura été reçu 17 fois à l’Elysée par Nicolas Sarkozy ! Où est donc la justice ? Deuxième nomination : Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel ; son passé d’alpiniste, son amitié pour Walter Bonatti, font de lui moralement un intouchable, sauf que… sauf qu’il est incompétent et c’est lui-même qui l’écrit à Pierre Estoup : Je tiens donc à vous remercier pour tout ce que vous faites, d’autant plus que j’en serais totalement incapable. Ailleurs, face aux policiers, il lâche : M. Tapie est un voyou, mais comme tout voyou, il a droit à la justice. « Droit », on est d’accord …  mais surtout si la prestation du juge est rémunérée à raison de plus de 333 333 € ! [1 million pour les trois]. À un tarif pareil, pourquoi faire la fine bouche, pourquoi faire preuve d’honnêteté… envoyez donc les sous même si je suis incompétent ! Troisième nomination : Jean Denis Bredin, ex brillant avocat, a eu un AVC et s’en trouve bien diminué : il se contente d’un courrier à Pierre Estoup : … Je vous adresse mon modeste brouillon, qui reprend pour l’essentiel vos excellentes observations. Le 4 mars 2009, il lui écrit : Pardonnez-moi, cher ami, de ne pouvoir vous écrire une lettre manuscrite mais mon état de santé m’en empêche complètement. Et d’empocher la bagatelle de 398 000 € ! Donc, dès le départ, la nomination de ces trois juges arbitres relevait du travail de pied nickelé, laissant tout l’espace à la cupidité et à l’incompétence !

Deux ans plus tard, le 17 février 2015 la cour d’Appel de Paris se rebiffera contre tous ces bidouillages et prendra un arrêté des plus secs, renvoyant brutalement Pierre Estoup dans les cordes en disant : tout cela sent trop mauvais, on annule tout et on recommence : Considérant qu’il est démontré que M. Estoup, au mépris de l’exigence d’impartialité qui est de l’essence même de la fonction arbitrale, a, en assurant une mainmise sans partage sur la procédure arbitrale, en présentant le litige de manière univoque puis en orientant (…) la réflexion du tribunal en faveur des intérêts de la partie qu’il entendait favoriser par connivence avec celle-ci et son conseil, exercé une influence déterminante et a surpris par fraude la décision du tribunal arbitral.

Et, le 3 décembre 2015, l’arbitrage sera invalidé et Bernard Tapie sommé de  rendre au Crédit Lyonnais les 400 millions €. Bernard Tapie se pourvoira en cassation mais cet appel n’est pas suspensif.

En décembre 2016, la Haute Cour de Justice condamnera Christine Lagarde pour négligence (…pour ne pas avoir demandé de recours à la suite des conclusions de l’arbitrage) mais sans demander de peine ni d’inscription au casier judiciaire. L’indignation du monde judiciaire voudra ignorer que c’était la meilleure façon de traduire la réalité, à savoir que Christine Lagarde en l’affaire n’était guère plus qu’une lampiste quand le premier responsable était Nicolas Sarkozy, qui avait tiré toutes les ficelles. En mai 2017, la Cour de cassation confirmera le jugement du 3 décembre 2015. Le 6 juin 2017, le Tribunal de Commerce de Paris offrira à Bernard Tapie un échéancier de règlement de ces 404 millions qui en adoucit bigrement ma dureté : le parquet fera appel de ce jugement… et le 18 décembre 2017, les juges d’instruction Serge Tournaire et Claire Thépaut décideront de renvoyer six personnes, dont Bernard Tapie, devant le tribunal correctionnel pour détournement de fonds publics et escroquerie en bande organisée. Le feuilleton est donc loin d’être terminé.

1 02 2013  

Thierry Tuot Conseiller d’État remet à Jean-Marc Ayrault, premier ministre son rapport La Grande Nation pour une société inclusive qui  regroupe ses propositions sur la politique d’immigration de la France. Qui est Thierry Tuot ? Certainement pas un jeunot frais émoulu de l’ENA. L’homme a déjà de la bouteille et une longue carrière de haut fonctionnaire brillant derrière lui.

Science Po Paris et ENA 1984-1986 promotion Diderot, il a commencé comme auditeur, maître des requêtes en 1989, commissaire du gouvernement au Conseil d’État en 1988, et directeur de la rédaction des Cahiers de la fonction publique de 1988 à 1991. Il a été ensuite pendant 6 ans à la direction juridique de l’Aérospatiale, de 1991 à 1996. Puis il a été nommé à la tête du Fonds d’Action Sociale pour les travailleurs immigrés de 1997 à 1999. En 1999, il a rédigé un ouvrage remarqué sur l’immigration, les Indésirables, sous un pseudonyme, Jean Faber. Suite à ce pamphlet incorporant également des propositions, il a été remercié par sa ministre de tutelle Martine Aubry.

Il a pris la direction de la commission de régulation de l’énergie jusqu’en 2003, et a été nommé conseiller d’État en juin 2001. Il a été mis à contribution sur des sujets, dont le Grenelle de l’environnement pour lequel Jean-Louis Borloo lui a demandé un rapport général reprenant de manière détaillée l’ensemble des propositions émises au sein des groupes de travail, mais aussi l’évolution du droit sur l’urbanisme, l’évolution du code minier, l’affectation de l’Hôtel de la Marine, etc..

Il est également président de l’association française de droit de l’énergie (AFDEN) depuis 2008, président du conseil d’administration de l’Établissement public des fonds de prévoyance militaire et de l’aéronautique depuis 2010 et président de la commission des sanctions à l’Autorité de régulation des Jeux en ligne, président du conseil d’administration de la Villa Medicis, du port autonome du Havre et de Paris.

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Donc, pour faire court, une pointure.

Parmi ses propositions, le rapport préconise de modifier le nom des rues afin de les renommer en écho avec l’histoire des migrations, de régulariser automatiquement les immigrés clandestins qui sont en mesure de prouver qu’ils vivent en France depuis plus de cinq ans et de naturaliser tous les immigrés ayant suivi une scolarité en France. Devant la polémique engendrée par ces propositions, Thierry Tuot se défend d’être le coordonnateur de ces travaux, son apport se limitant au rapport intitulé La grande nation : pour une société inclusive. Cette section n’est toutefois pas exempte de critiques. Thierry Tuot y dénonce notamment la célébration du passé révolu d’une France chevrotante et confite dans des traditions imaginaires, ce qui fait dire à Alain Finkielkraut  qu’une nouvelle politique se met en place qui fait du passé, non plus, comme disait Simone Weil, un besoin vital de l’âme humaine, mais un obstacle à son épanouissement.

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Encore plus périphérique, et stratosphérique même, l’invocation rituelle, chamanique, des Grands Concepts et Valeur Suprêmes ! Empilons sans crainte du ridicule ni de l’anachronisme – les majuscules les plus sonores, clinquantes et rutilantes : Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! Œuvre ! Civilisation Française ! Patrie ! Identité ! France ! – on se retient, pour ne paraître point nihiliste ; dans quel monde faut-il vivre pour croire un instant opérante la frénétique invocation du drapeau ? Depuis quand Déroulède a-t-il résolu un seul problème social ? De quoi s’agit-il – où est la frontière à défendre, le Reich à combattre, l’ennemi à refouler ? Marchons-nous vers Verdun ou le Vercors ? Où quelque part entre Pôle emploi et un foyer de travailleurs migrants en déshérence ?

Au XXI ° siècle, on ne peut plus parler en ces termes  des générations de migrants, qui d’ailleurs n’arrivent plus de l’ancien empire français seulement, on ne peut plus leur tenir un discours qui fait sourire nos compatriotes par son archaïsme et sa boursouflure. Nous parlons de société, de justice ; d’équité, et de quartier, d’habitat, de vie privée. De liberté. Ne parlons pas à ceux qui peinent à s’intégrer avec des mots que nos manuels scolaires ont abandonnés depuis cinquante ans. Nous sommes des générations de paix, de prospérité, d’Europe, de liberté : cessons de marteler le discours martial de la revanche de 1870 – dont on finira par croire qu’il ne servira qu’à masquer l’incapacité à penser la société de demain. Du reste, les seuls qui versent vraiment leur sang pour la patrie aujourd’hui, nos soldats, sont souvent issus de l’immigration !

[…] L’intégration appelle aussi une référence, à ce à quoi on s’intègre – qu’on serait bien en peine de décrire : à notre société émiettée, tribalisée, internationalisée, individualiste, fragmentée, où les communautés multiséculaires, qui étaient famille, paroisse, provinces, – et les groupements collectifs assurant la socialisation – syndicats, partis, Église – sont remplacés par des multiples appartenances croisant les critères et insoucieuses de cohérence, qui dira comment on y est intégrés ? […] L’intégration mène des populations mal définies sur un parcours incertain pour rejoindre on ne sait quoi.

Thierry Tuot Conseiller d’État. La Grande Nation pour une société inclusive : rapport remis à Jean-Marc Ayrault, premier ministre.

Il n’existe pas de vent favorable pour qui ne sait où il va. Sénèque

Monsieur Tuot se rend il compte qu’il fait ainsi le lit de Marine le Pen ? Mais il est vrai que lorsque l’on collectionne ainsi les casquettes, il ne faut pas trop s’étonner si l’on perd un peu la tête, même si dans le même temps on remplit son porte monnaie.

S’il ne faut pas accuser ceux parmi les immigrés et leurs descendants qui refusent de s’assimiler, il est par contre un comportement qu’il convient de déplorer, c’est le manque de reconnaissance envers la terre d’accueil. Nul n’a jamais été contraint de choisir la France, ou tout autre pays d’accueil, comme terre de résidence. Le monde est vaste, et beaucoup des migrants des dernières vagues auraient pu opter pour des terres sur lesquelles le problème sensible de l’identité ne se serait pas posé. Ceux qui ont effectué ce choix l’ont fait parce qu’il présentait à leurs yeux des avantages : soit qu’il leur permettait de mener une existence plus confortable sur le plan matériel, soit qu’il leur offrait la possibilité d’échapper à la dictature de leur groupe, et souvent aussi de leur gouvernement. La liberté de pouvoir dire ce que l’on veut à une terrasse de bistrot, cela n’est pas rien ! La décence et l’honnêteté commande à tous ceux qui ont fait le choix des terres européennes d’avoir quelques reconnaissance à l’égard des peuples qui les ont accueillis, souvent au demeurant sans que leur approbation ait jamais été demandée. Le manque de reconnaissance et la propension à dénigrer les pays d’accueil auraient du l’alerter, car ces signes ne sont pas anodins. L’absence de socle de reconnaissance construit par les parents pour leurs enfants constitue le point de bascule entre l’immigration extra-européenne des quarante dernières années et l’immigration intra-européenne des quarante dernières années qui l’avait précédé. Cette dernière (et même, d’ailleurs, une part de l’immigration extra-européenne, dont l’immigration maghrébine, d’avant les années 1970) exprimait à ses enfants cette reconnaissance et le respect qu’elle ressentait pour la France qui l’avait accueillie.

Malika Saurel-Sutter. Décomposition française. Comment en est-on arrivé là ? Fayard 2015

Les Américains disent cela beaucoup de façon beaucoup plus courte et brutale : Love it or leave it. Mais Omar Sy, qui n’est pas américain, le dit aussi de façon très concise : Je me suis débrouillé pour qu’on m’aime. [Télérama de Janvier 2016], à l’opposé du si fréquent cracher dans la soupe.

Tentative d’avancer quelques chiffres :

Comment enchaîner la mer qui afflue et immerge tout, les valeurs, les repères, les commémorations nationales ? Qu’ils soient de droite ou de gauche, les vrais spécialistes de l’immigration arrivent à peu près aux même chiffres. Après plusieurs décennies de déni, à l’exception de la démographe Michèle Tribalat, [Les yeux grands fermés. L’immigration en France, Denoël, 2010] longtemps honteusement calomniée, les yeux se dessillent et les bouches s’ouvrent.

Si l’on prend en compte la proportion d’immigrés ou d’enfants d’immigrés, on arrive au taux de 21 % de la population totale (de 27 % si on retient la définition internationale de l’immigré). C’est ce qu’assure un spécialiste de la question  à droite, ancien préfet et proche d’Alain Juppé, puis de Valérie Pécresse, Patrick Stefanini [Immigration. Ces réalités qu’on nous cache. Robert laffont, 2020]

Franz Olivier Giesbert La belle époque Histoire intime de la V° République. Gallimard 2022

15 02 2013  

Pluie de météorites sur l’Oural, dans la région de Tcheliabinsk ; l’énergie dissipée par la désintégration du météorite initial de 20 mètres de diamètre en entrant dans l’atmosphère a fait voler en éclat les vitrages les plus solides. Il y a 1 000 blessés.

Illustration.

Traînée laissée par le superbolide, vue depuis Tcheliabinsk, regardant vers le sud.

26 02 2013 

Stéphane Hessel tire sa révérence.

Il arrive que des pays, voire des civilisations entières prennent de mauvaises habitudes, ou pire. C’est pourquoi, depuis l’époque des prophètes jusqu’à nos jours, en passant par Savonarole et Luther, l’indignation, la colère et les appels à un ressaisissement moral ont de tous temps été nécessaires. Cette adrénaline sociale a des effets à la fois créatifs et destructeurs : nous ne comprenons que rarement lesquels finiront par prévaloir. Mais qui pourrait nier que nous avons besoin de personnalités comme Stéphane Hessel, décédé la semaine dernière, et Beppe Grillo, qui va très bien, merci. Hessel, dont le pamphlet Indignez-vous ! s’est répandu sur la planète, traduit dans des dizaines de langues, a été une source d’inspiration pour les partisans de Grillo, pour les indignados espagnols et les manifestants d’Occupy Wall Street aux États-Unis. L’indignation est autre chose que la révolution, la rébellion et la restauration, bien qu’ayant des liens avec les trois. Peut-être lui arrive-t-il d’être simpliste, feinte ou hors de propos, mais sans elle jamais la vie ne connaîtrait de nouveau départ.

The Guardian. 03 2013

25 02 2013    

Les  élections législatives italiennes donnent 163 élus au parti de Pepe Grillo, ancien clown reconverti en politique du demain, on rase gratis. Où l’on commence à s’apercevoir que le dit Pépé Grillo ne serait peut-être bien qu’une marionnette entre les mains de Gianroberto Casaleggio, habile homme d’affaire du monde de la communication, lequel n’aurait pas du tout l’intention de laisser les nouveaux députés de son Mouvement 5 étoiles – M5S, dire et faire ce que bon leur semble. Mais on ne saura jamais le fin mot de l’histoire, car Casaleggio mourra le 11 avril 2016.

28 02 2013

Sortie d’un bouquin alimentaire de Marcela Iacub sur sa liaison avec DSK de fin janvier à août 2012. Le Nouvel Observateur de Laurent Joffrin en a fait sa une. Interrogé, ce dernier se défend : C’est un bon bouquin. C’est un objet littéraire incongru, bizarre, dérangeant, qui se situe quelque part entre Christine Angot et Marie Darrieussecq. C’est le rôle des journalistes de parler des bons livres. Un peu plus loin, il crache finalement le morceau : Ça me fait rire, les leçons de morale. D’un coté, on se plaint que la presse va mal, de l’autre coté, on crie au scandale quand un hebdomadaire veut augmenter ses ventes. On ne peut être plus clair pour dire haut et fort qu’il n’y a plus aucune différence entre la presse de caniveau et le Nouvel Observateur.

1 03 2013   

À 85 ans, Joseph Ratzinger, pour la première fois depuis bien longtemps, a dormi comme un bébé. C’est la veille qu’il a décidé renoncer à son pontificat, mettant ainsi fin à une tradition, figée, paralysante, partagée d’ailleurs par bien d’autres institutions que l’Église – il faut remonter 700 ans en arrière pour retrouver pareille situation. Ce renoncement n’est pas sans rapport avec un scandale mis à jour l’année précédente par son majordome Paolo Grabriele, qui avait photocopié de nombreux documents compromettants en se faisant aider par Claudio Sciarpelletti, informaticien à la Secrétairerie d’État, et en en faisant profiter le journaliste Gianluigi Nuzzi qui avait publié en mai 2012 Sa Sainteté : les documents de Benoît XVI. Paolo Gabriele sera condamné par la justice vaticane à 18 mois de prison et Sciarpelletti à 2 mois. Les documents parlaient essentiellement de réseaux homosexuels à l’intérieur du Vatican. Mais il y a aussi des problèmes dans la finance, à tel point que les États-Unis classent le Vatican dans la liste noire des pays  susceptibles de servir de plate-forme pour le blanchiment de la drogue ! Rien que ça !

15 03 2013 

On inaugure un bien beau pont levant sur la Garonne à Bordeaux : personne n’est contraint à baisser la tête pour passer dessous. Il porte le nom de son ancien  maire : Jacques Chaban Delmas.

4 04 2013     

Jérôme Cahuzac, encore ministre du budget dix jours plus tôt, avoue avoir fraudé lui-même le fisc et donne ainsi raison aux allégations de Médiapart. Et toutes nos belles âmes de se fendre des incantations de la vertu outragée, effets de manche garantis, ce qui coûte un peu de salive mais guère plus, plutôt que de reconnaître leur carence, président de la République en tête. Mais pour cela, il faudrait quelque courage et cela fait bigrement défaut, et dans le même temps il faudrait accorder au bon sens la place qu’il mérite. Du bon sens, c’est ce qui aurait permis de ne pas choisir Jérôme Cahuzac comme ministre, car enfin, le monde médical est pourvu de la plus large gamme dans le domaine de l’honnêteté, de la déontologie : les hommes et les femmes remarquables y sont légion, mais on y compte aussi quelques solides crapules ; un propriétaire de clinique esthétique spécialisé dans l’implant capillaire, il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour sentir que cela sent le fric à plein nez. Il n’est pas bien difficile non plus de se faire une idée des revenus que cela dégage… il suffit pour cela d’envoyer quelques faux clients demander des devis et on se fait une idée du CA, que l’on peut comparer ensuite avec la déclaration patrimoniale de l’intéressé. Fatto la lege, trovato l’ingano, – dès que la loi entre en vigueur, on trouve le moyen de la contourner – disent les Italiens, experts. Jérôme Cahuzac avait fait sien le dicton. Il est tellement plus simple et irresponsable de jouer les naïfs, avec de beaux effets de manche du style : mon ennemi… la finance. Et du courage, c’est ce qu’il faut pour prendre les mesures nécessaires : les Américains l’ont fait, Angela Merkel a racheté des listings quelques millions d’euros qui vont sans doute lui permettre de retrouver rapidement sa mise. En France, nombreux sont les gens à savoir, à la police, dans les directions des ministères concernés : ils savent tout cela et ils se taisent. Si ces gens avaient parlé quand ils savaient, Jérôme Cahuzac ne serait jamais arrivé jusqu’à Bercy. Il est coupable, c’est évident, mais ses nombreux complices seront-ils inquiétés ? Rien n’est moins sûr. Le mal est assuré de son triomphe lorsque les hommes de bien ne font rien, disait Albert Einstein. Il faut le dire nettement : le scandale de cette affaire n’est pas en premier la fraude de Jérôme Cahuzac, mais bien le fait que Jérôme Cahuzac ait pu arriver jusqu’à Bercy, numéro 2 des finances du pays. Car c’est de la carence profonde de la classe politique, de la haute fonction publique qu’il s’agit : ils se sont refusés à ouvrir les yeux, ils n’ont pas voulu entendre… quand les sonnettes d’alarme sonnaient… c’est peut-être aussi Paris contre la Province [du latin pro vinci : pour les vaincus], comme dans l’affaire Merah. Les braves petits soldats de province font leur boulot, tout en étant priés de ne pas vouloir venir jouer dans la cour des grands ; les technocrates parisiens, hauts fonctionnaires et politiques, savonnent la planche, jouant les naufrageurs avec un professionnalisme certain, et un souverain mépris de l’intérêt général au profit de leur insupportable ego. Il sera condamné en appel en mai 2018 à quatre ans de prison dont deux avec sursis, quand en première instance le jugement avait requis trois ans de prison ferme. Deux ans de prison ferme, en droit français, cela signifie que, s’il s’agit d’une première condamnation pour l’intéressé, la peine peut-être aménagée, selon la volonté du juge d’application des peines, en contrôle judiciaire avec bracelet électronique, ou autres modalités… Donc, Jérôme Cahuzac ne passera pas une seule nuit en prison. On est bien dans la République des copains et des coquins.

La culture technocratique parisienne est nourrie d’une dose inouïe de mépris pour le reste du pays.

Alexandre Jardin. Le Midi Libre du 12 03 2017

Le cinéma offre une bonne illustration de ce fossé culturel entre la Province et Paris : six ans plus tard, sortiront deux films, fin 2019,  Ad Astra, film américain qui met en scène un spationaute qui a pour mission de récupérer son père sur Neptune d’où il met la pagaille dans tout le système solaire : le film connait une bonne critique à Le Masque et la Plume de Jérôme Garcin sur France -Interun des rares endroits encore consacré à la critique ; et dans l’émission de la semaine suivante, quand Jérôme Garcin lit les impressions des spectateurs, c’est une avalanche de critiques acerbes : nuls, comment avez-vous pu aimer cette estouffade de complexe d’œdipe à trois balles etc… Et rebelote, mais en sens inverse, avec Au nom de la terre, descendu en flammes toujours par Le Masque et la Plume, avec tout juste 80 000 spectateurs à Paris quand le film fait un tabac en province. Le ratio habituel entre Paris et la Province est de 100 000 spectateurs à Paris pour 300 000 en province. Avec Au nom de la Terre, ce ratio passe de 1 à 17 ! Son succès en province pourrait bien tenir à la confusion qui est faite entre la situation économique tragique des paysans en France et les médias qui en content l’histoire, comme si ces derniers devaient être obligatoirement bons, puisque la cause est juste ! eh bien non, on peut faire un mauvais film qui a pour sujet une bonne cause…

5 04 2013       

L’Observatoire de la laïcité, créé par Jacques Chirac dès 2007, mais resté depuis lettre morte, prend forme avec la nomination à sa tête de Jean-Louis Bianco, ex-ministre et ex secrétaire général de l’Elysée.

La France n’a pas de problème avec sa laïcité.

Jean-Louis Bianco. Le monde 25 juin 2013

La laïcité va dès lors être perçue selon deux conceptions plus qu’éloignées : Je ne pardonne pas à la gauche d’avoir abandonnée la laïcité.

Élisabeth Badinter Marianne Février 1995

La même Élisabeth Badinter fustigera la position comique du nouvel Observatoire de la laïcité, cet édredon qui a remplacé le Haut Conseil à l’Intégration : il n’y a pas de problème, c’est vous qui les inventez, ce n’est pas si grave.

*****

Réduire la laïcité à un simple principe de neutralité a servi bien des intérêts. Or la Laïcité n’est pas neutre. En plus d’établir une séparation entre le spirituel et le temporel, elle hiérarchise. Elle dessine bel et bien un modèle de société. Nous vivions un véritable retournement de situation. Pensée à l’origine pour protéger l’individu, la laïcité de voir placée aujourd’hui dans la situation de protéger les religions en toutes circonstances, y compris lorsqu’elles se mettent à barrer aux hommes la route de l’individuation. Or, sans individuation, pas de démocratie.

La Laïcité a été attaquée au moment même où elle était appelée à jouer le rôle de digue pour protéger la France de la montée en puissance des vagues intégristes. Il n’y a là point de hasard.

De par leur mandat de représentants du peuple, les élus ont l’obligation de respecter la République. […] Les méthodes et les manières de s’arranger avec l’esprit de la loi et la loi ne manquent pas : financement d’associations de tous ordres ou encore octroi d’avantages matériels, comme des terrains municipaux en vue d’y édifier des lieux de culte, en utilisant le subterfuge des baux emphytéotiques…

Malika Saurel-Sutter. Décomposition française. Comment en sommes-nous arrivés là ? Fayard 2015

23 04 2013 

Des hackers syriens réussissent à pirater le compte Twitter de l’Associated Press et à 13 h 07 affirment que la Maison Blanche a été attaquée et qu’Obama est blessé. Le Dow Jones s’effondre presqu’aussitôt, jusqu’à perdre 150 points en 60 secondes – soit 136 milliards $. À 13 h 10′, l’Associated Press annonce qu’il s’agit d’un canular. À 13 h 13′ le Dow Jones aura récupéré la quasi totalité de ses pertes.

16 05 2013   

Une proposition de loi visant à supprimer le mot race de la Constitution est adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale. Que dit le texte ? La France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Vient tout de suite aux lèvres la question essentielle : est-ce en cassant le thermomètre que l’on fera tomber la fièvre ? Globalement deux opinions sont en présence : ceux qui pensent que supprimer le mot peut changer le réel, et ceux qui pensent cela ne changera rien à la réalité. Les généticiens affirment : les humains ont en commun 99.9 % de leur patrimoine génétique, mais cela laisse 0.1 % de variants. L’ADN humain contient 3 milliards de bases, 0.1 %, cela fait tout de même 3 millions de bases variant de l’un à l’autre … 3 millions… cela peut faire des différences qui se voient… couleur de la peau, sensibilité aux maladies, et aussi des différences qui ne se voient pas au premier coup d’œil.

Par définition, la race réunit les individus qui ont certaines particularités héréditaires communes assez marquées pour qu’on puisse les rassembler en un groupe, mais insuffisantes pour que ce groupe constitue une espèce. Les races n’ont jamais été plus précisément définies. Elles ont toujours admis un certain arbitraire et, contrairement à ce qu’on prétend souvent, elles n’ont jamais eu de définition essentialistes ou typologiques. C’est pourquoi il est absurde de parler de l’existence ou de la non-existence des races : elles existent en taxonomie selon la définition que les taxonomistes en donnent ou selon l’usage qu’ils en font.

Par ailleurs, quoi qu’en pensent les généticiens, il y a des races dans le monde où nous vivons. Car nous ne séjournons pas dans un monde de gênes, mais dans un monde d’hommes, et celui-ci est irréductible à celui-là.

André Pichot, historien des sciences

Le droit est une arme, un outil dont on dispose pour agir sur la société. C’est pourquoi il faut conserver ce mot dans notre Constitution, comme une condamnation solennelle des distinctions fondées sur la catégorie imaginaire de la race.

[…] On comprend bien cette volonté sémantique de rompre avec un passé catastrophique, provenant à la fois de la dernière guerre et de la colonisation. Mais force est de constater que bannir la notion de race des sciences sociales n’a pas eu l’effet escompté. Pas plus que l’effort d’éducation qui a été fait dans les années 1960-1970 pour estomper les différences entre les peuples. Sinon on ne serait aujourd’hui dans une situation où  un petit tiers de la population française se déclare un peu ou beaucoup raciste

Pap Ndiaye, professeur d’histoire à l’EHESS, ministre de l’Éducation Nationale en 2022

Certes, il est délicat de parler de race, mais ne pas en parler l’est tout autant, et l’euphémisation ne fait qu’obscurcir le problème. La suppression de ce terme dans le droit signerait surtout le recul de la lutte contre les discriminations raciales.

Éric Fassin, sociologue

Le tabou vient de la seconde guerre mondiale, durant laquelle la France, plus que la Grande Bretagne ou les États-Unis, a été traumatisée par le racisme biologique et le nazisme. Du coup, le mot a disparu du langage commun. Même l’extrême droite française évite de l’utiliser.

[…] Croire qu’il suffit de supprimer le mot pour supprimer le mal relève de la pensée magique.

Louis George Tin, fondateur du CRAN, Conseil Représentatif des Associations Noires de France

Le mot race a été introduit dans la législation française en 1939, puis installé par les lois antisémites du régime de Vichy le 3 octobre 1940 et 2 juin 1941. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, cette terminologie a été reprise pour proscrire les discriminations, mais son utilisation d’alors est historiquement périmée. Même s’il s’agit d’un geste symbolique, il est donc nécessaire d’expurger le texte fondateur de la République Française. Parce que ce mot n’apporte rien et peut faire du mal. Alain Jakubowicz, président de la LICRA. Ôter ce mot de la Constitution, c’est acter le fait que l’inconscient collectif fonctionne encore à travers la grille de lecture de notre culture coloniale. Si nous voulons déconstruire peu à peu ce qui nous a bâti pendant deux siècles, si nous voulons entamer la déracialisation des rapports humains au cœur de la République, il nous faut commencer par là.

Pascal Blanchard, historien mai 2013

Chaque culture se développe grâce à ses échanges avec d’autres cultures. Mais il faut que chacune y mette une certaine résistance, sinon, très vite, elle n’aurait plus rien qui lui appartienne en propre à échanger et par conséquent, que des cultures attachées chacune à un style de vie, à un système de valeurs, veillent sur leurs particularismes, est une disposition saine, nullement – comme on voudrait nous le faire croire – pathologique.

[…] En banalisant la notion de racisme, en l’appliquant à tort et à travers, on la vide de son contenu et on risque d’aboutir au résultat inverse à celui que l’on recherche. Le racisme, c’est l’affirmation que des groupements humains appelés races peuvent être hiérarchisés en fonction de la qualité de leur patrimoine génétique et que ces différences autorisent les races dites supérieures à commander, exploiter les autres, éventuellement à les détruire.

Claude Levi-Strauss à l’UNESCO 1971

Il y a au FN des gens qui se réclament du gaullisme. Ils ne veulent pas voir le danger qu’il y a à se tenir sur l’étroite ligne de crête qui sépare le refus du renoncement de la volonté de puissance, le sentiment national du nationalisme, l’amour des siens du rejet des autres, la fermeté de la dureté, alors qu’ils sont entraînés malgré eux du mauvais côté de la pente par la force d’une politique qui nie la complexité morale à laquelle se trouve confrontée toute conscience humaine sur laquelle pèse la responsabilité du pouvoir.

Henri Guaino. Le Monde 17 12 2013

Tous ces bons ouvriers des temps passés, tous ces hommes, c’est-à-dire tous ces perpétuels inventeurs, continuent à travailler en toi et avec toi, dès que tu entreprends toi-même un travail. Que tu l’ignores, qu’on ne te l’apprenne pour ainsi dire jamais – ce n’est pas une excuse. On ne s’affranchit jamais de ses ancêtres. Pas plus qu’on ne se débarrasse de son ombre. Mais, parmi ces ancêtres, quel Français ne compte des hommes, et des femmes, de cent souches différentes ? Il y a un mot, dans la devise des hommes de 1789 qui signifie cela. Un beau mot. Ne l’oublie jamais : Fraternité.

Lucien Febvre. Nous sommes des sangs mêlés.1950

28 06 2013 

La bellissime mairie de La Rochelle brûle. Les travaux de restauration dureront jusqu’à l’automne 2019, pour un montant de 21.5 million d’€. Les parties datant des XV° et XVI° siècles, notamment la salle des fêtes, seront reconstituées à l’identique : la toiture refaite à neuve, les pierres qui avaient éclaté sous l’effet de la chaleur seront remplacées une à une, les sculptures refaites, essentiellement par l’Atelier Esmoingt Madelmont à Albussac, les tapisseries restaurées. L’architecte Philippe Villeneuve, avant même de pouvoir commencer les travaux, aura eu besoin de trois ans d’expertise pour définir avec précision leur nature.

Incendie de l'Hôtel de ville : La Rochelle engage des ...

Après l’incendie, la mairie de La Rochelle risque de s ...

File:La Rochelle, Hôtel de Ville 04 (4150826356).jpg

Salle des fêtes… avant … et après restauration consécutive à l’incendie.

2 07 2013 

Sur le site de Baïkonour,  une fusée Proton-M dotée d’un étage supérieur emporte une charge utile de trois satellites du système de positionnement par satellites Glonass. Quelques secondes après avoir quitté le sol, le lanceur commence à dévier de sa trajectoire verticale et plonge vers le sol. La fusée commence à se désintégrer et perd son étage supérieur et sa charge utile. Puis elle s’écrase 32 secondes après avoir quitté le sol à environ 1-2 km de la zone de lancement. Les moteurs du premier étage ont fonctionné jusqu’au bout : pour que la fusée s’écarte au maximum du pas de tir, le contrôle au sol ne peut pas arrêter les moteurs durant la première phase du vol. C’est la première fois depuis plus de 20 ans qu’un lanceur russe s’écrase peu après son décollage. Les échecs, nombreux, du lanceur  ces dernières années concernaient l’étage supérieur ; le dernier échec similaire à celui-ci, c’est-à-dire lié au fonctionnement du premier étage, remonte au 2 avril 1969. Le coût de cet échec est estimé à 100 M US $ pour le lanceur et 200 M US $ pour les satellites. Plusieurs constats ont été effectué grâce aux télémesures :

  • Le lanceur a décollé 4 dixièmes de seconde avant l’heure prévue alors que les moteurs n’avaient pas atteint leur pleine puissance
  • Une température trois fois supérieure à la normale (1 200°C) a été détectée au niveau des moteurs du premier étage.
  • Un des moteurs a été arrêté par le dispositif d’urgence seulement 4 secondes après le décollage.

Les investigations effectuées dans l’épave ont montré que plusieurs capteurs d’accélération angulaire avaient été montés à l’envers. Le système de contrôle d’altitude du lanceur a réagi au lancement à des signaux erronés expliquant la perte finale de la fusée.

3 07 2013 

En Égypte, un coup d’État renverse le président Morsi et c’est l’ancien ministre de la Défense, le maréchal Sissi, qui prend le poste de vice-premier ministre : il commence par abolir la Constitution islamiste du régime de Morsi et parvient à faire adopter une nouvelle loi fondamentale, qui inclut l’organisation d’élections le 28 mai 2014.

12 07 2013 

Un accident de train Intercités, parti de Paris-Austerlitz, lancé à 137 km/h, fait 7 morts et des centaines de blessés à Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne. Le 4 juillet une tournée de maintenance avait été faite par un dirigeant de proximité de 24 ans qui n’avait rien vu du problème d’une éclisse pas plus que des deux boulons desserrés, problèmes qui, selon les experts remontaient à plus d’un mois avant l’accident. Le dirigeant de proximité incriminé se fera voler son ordinateur au mois d’août. En fait c’est tout le fonctionnement de la SNCF que cet accident met en question. Procès en juin 2022 : le parquet d’Evry estimera la SNCF entièrement responsable, pour faute originelle de désorganisation, et rééquerrera  450 000 € d’amende.

16 07 2013 

Luca Parminato, cosmonaute italien effectue une sortie de l’ISS – la Station Spatiale Internationale – qui aurait dû durer 6 heures. Mais au bout d’une heure et demie, une fuite dans son casque, le fait se remplir d’eau et ce n’est qu’en se tractant sur sa ligne de vie qu’il parvient à regagner l’ISS et à échapper, de justesse, à la noyade.

L’EVA – sortie extra-véhiculaire – se déroule normalement, et même extrêmement bien puisque le sol vient de prévenir Luca Parmitano qu’il est en avance sur le planning de près de 40 minutes, et cela à peine plus d’une heure après le début de la sortie. Jusque là, rien d’incroyable, les EVA sont prévues un peu large, notamment lorsqu’il y a des tâches complexes. Il arrive que ces tâches prennent plus de temps, pouvant étendre (un peu, les réserves d’oxygène ne sont pas illimitées) la durée d’une EVA, mais parfois les astronautes sont plus efficaces, cela permet de réaliser des tâches secondaires en fin d’EVA. Une EVA dure en général 5 à 6 heures. Peu de temps après avoir reçu l’information comme quoi l’EVA se passe bien et qu’ils sont tous les deux en avance (une EVA se fait toujours à deux, et là Luca Parmitano est en binôme avec Chris Cassidy), l’astronaute italien ressent une étrange sensation : il a de l’eau dans son cou. Et ce n’est pas normal. Il prévient Houston, tout en pensant aux conséquences : par précaution, l’EVA peut être annulée. Chris Cassidy vient de terminer sa tâche en cours et s’approche pour voir s’il peut apercevoir quelque chose. À cet instant, les deux astronautes ont les mêmes idées en tête. Il peut s’agir de sueur qui s’est accumulée là : les EVA sont des activités extrêmement éprouvantes pour les astronautes qui transpirent beaucoup ; de plus, le système de circulation de l’air dans la combinaison peut avoir amené la sueur à cet endroit là en particulier. Mais Luca Parmitano juge cela peu probable : l’eau est bien trop fraîche pour être de la sueur. La seconde possibilité est que l’eau provient de la poche d’eau que les astronautes ont et de laquelle ils peuvent boire (à l’aide d’une paille et d’une valve qui empêche l’eau de sortir si l’astronaute ne boit pas). Mais l’eau ne sort pas du sac : il est peut-être percé et fuit en-dessous, et l’eau finit par arriver dans son cou. La décision revient du sol : on demande à Luca de rentrer au sas de l’ISS, l’EVA ne se poursuivra pas.

Alors qu’il retourne vers le sas, l’astronaute italien voit une sensation se confirmer : il a de plus en plus d’eau dans sa combinaison. Et il commence à sentir de l’eau au niveau de son casque audio, et craint que cela ne finisse par lui faire perdre le lien audio avec ses coéquipiers et le sol. De plus, sa visière est de plus en plus couverte d’eau. Comme j’expliquais plus haut, l’eau  s’accroche aux surfaces, et recouvre donc la paroi de sa surface, lui brouillant de plus en plus la vue. Et un problème plus grave va survenir : sur le chemin pour rentrer au sas, Luca Parmitano va devoir pivoter et passer d’une position horizontale à une position verticale même si cela n’a pas forcément beaucoup de sens en micro-gravité. Cette rotation fait bouger l’eau qu’il avait sur lui, qui vient alors recouvrir son nez, l’empêchant de respirer normalement. Cette eau risque à tout instant de rentrer dans sa bouche. Et en effet bonus, le soleil est levé et il l’a en pleine face, l’empêchant de voir quoi que ce soit… Il garde son sang-froid et commence à réfléchir aux options qui s’offrent à lui. Il a une possibilité : il peut ouvrir une valve de son scaphandre qui donne sur le vide spatial, pour le purger. En cas de dernier recours, et uniquement en ce cas, il l’ouvrira un peu, temporairement, pour tenter d’évacuer un peu d’eau dans l’espace. Mais l’astronaute ne voit plus rien. Pour rentrer jusqu’au sas, il va utiliser le filin qui le relie au sas (ce filin exerce une force de traction légère mais suffisante pour que pratiquement en aveugle et incapable du moindre mouvement brusque – il y va de sa vie -, l’astronaute revienne au sas de l’ISS). Il n’entend plus rien et ignore si ses coéquipiers et le sol l’entendent. Mais il n’est pas seul et il sait que tout est mis en œuvre pour sa survie.

Il finit par arriver au sas, qu’il distingue à travers le voile d’eau devant ses yeux. Il a toujours de l’eau en quantité importante au niveau du nez. Le protocole voudrait qu’il rentre en dernier dans le sas : il est l’astronaute désigné pour piloter cette EVA, et sort donc en premier et rentre en dernier. Dans cette situation, au diable le protocole, il rentre dans le sas. Derrière lui, il sent que cela vibre : Chris Cassidy est entré et referme le sas. Il entend l’astronaute Karen Nyberg via audio (elle est dans la station, dans la partie pressurisée), mais se rend compte qu’elle ne l’entend pas : malgré sa réponse, elle lui répète ses instructions. Dès que la pressurisation de sas commence, il perd l’audio à nouveau. Il continue de donner des informations sur son statut et évite au maximum de bouger. Chris Cassidy s’approche de lui et prend son gant dans le sien, et le serre : il n’a plus entendu son partenaire depuis un moment déjà. Personnellement, ce geste me bouleverse plus que de raison, et rappelle à quel point le risque était réel, et à quel point un équipage peut être soudé. Luca lui répond par le signe universel OK avec sa main. Il est désormais rassuré : si l’eau dans sa combinaison le dépasse, il pourra ouvrir son casque. Il s’évanouira sans doute, mais on pourra alors l’aider à retirer l’eau de son visage et il ne se noiera pas. Finalement, la porte intérieure du sas s’ouvre, et on se précipite pour lui enlever délicatement le casque pendant qu’on lui passe une serviette pour s’essuyer. C’est la fin du calvaire : même s’il n’entend pas et devra attendre quelques minutes que l’eau de son nez et de ses oreilles s’en aille, il ne s’est pas noyé.

Il s’avère qu’il ne s’agissait ni de sueur, ni de sa poche d’eau à boire, mais d’une fuite dans le système de refroidissement, ce qui explique la quantité importante d’eau dans son scaphandre. Couplée aux forces de tension (qui font que l’eau n’est pas tombée aux pieds mais s’est agrippée aux surfaces), aux mouvements de l’astronaute et à la ventilation dans la combinaison, cette eau a fini par arriver sur sa visière, l’empêchant de voir et de se repérer, et sur son nez et ses oreilles, rendant extrêmement risquée toute respiration et le coupant du monde extérieur. Et c’est là que l’entraînement et le sang-froid de l’astronaute ont payé, lui permettant de ne pas succomber à la noyade dans l’espace.

Charles Gabouleaud. Rédacteur du blog L’Espace entre les Mots

18 07 2013   

Le parlement adopte la loi de réforme du système bancaire, demandée par François Hollande lors de sa campagne pour les élections présidentielles. Les banquiers ont tellement fait pression pour la vider de sa substance que cela ne concerne plus que 1 % des types de dépôt traitées par les banques. Donc, les quatre grandes banques françaises – Crédit Lyonnais, Crédit Agricole, Société Générale et Banque Nationale Paribas – continueront à être banque d’affaires, gérant les finances auxquelles ont accès les marchés, et les dépôts des particuliers, situation on ne peut plus malsaine puisque les bénéfices des uns permettent de boucher les déficits des autres. Au niveau européen, Michel Barnier reviendra à la charge le 29 janvier 2014, mais le Parlement européen refusera les mesures proposées.

29 07 2013

Premier fric frac écologique au Carlton de Cannes : 103 millions €. La classe, du grand art : à pied, s’il vous plait… même pas un petit pèt polluant de gaz d’échappement, et en plein jour. Chapeau l’artiste.

Des voleurs comme il faut c’est rare de ce temps

Georges Brassens. 1972

21 08 2013  

En Syrie, Bachar El Assad utilise des armes chimiques – du gaz sarin – contre ses opposants, à Mamadamiya al-cham, Daraya, Zamalka, Douma, dans la banlieue de Damas  : ils font 1 429 morts, dont 426 enfants. Il y avait déjà eu des tirs sur Adra et Douma les 4 et 5 août, faisant au moins 450 blessés. C’était la ligne jaune à ne pas franchir qu’avaient fixée les Occidentaux à Bachar el Assad et aux Russes : Barak Obama ne bougera pas, et les autres n’oseront pas y aller sans les Américains. Il faudra attendre quatre ans de plus, quatre ans d’horreurs et d’hécatombes quotidiennes pour que les Américains mettent le holà, après un changement de présidence. Des plaintes seront déposées pour crime contre l’humanité en octobre 2020 en Allemagne et en février 2021 en France.

À Daraya, 7 km au sud-ouest de Damas, sur les décombres d’un immeuble effondré, des jeunes voient des livres, certains en bon état, d’autres déchirés, d’autres éclatés en plusieurs morceaux : ils vont se mettre à les collecter, notant leur provenance. Mais pourquoi ramasser tous ces livres ?  – On va en faire une bibliothèque. Ils deviennent de plus en plus nombreux, trouvent un lieu à peu près sûr pour les placer, continuent à collecter et finissent par ouvrir au public de façon tout à fait officieuse, presque confidentielle, leur bibliothèque de 15 000 volumes où jeunes et vieux, hommes et femmes viennent reprendre goût à la vie.

Les livres nous ont sauvés. C’est notre meilleur bouclier contre l’obscurantisme. Le gage de jours meilleurs. Il nous faut cultiver la patience.

Ahmad

23 08 2013   

Les systèmes mafieux peuvent sévir ailleurs qu’en Corse : il est des coins où la France est tellement profonde qu’elle en devient glauque et donne la nausée. On pense à La France moisie de Philippe Sollers le 28 janvier 1999.

Le 23 août, un village lové au pied des contreforts du Larzac s’est invité au Conseil des ministres, dans les parapheurs de François Hollande, de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls. Les trois têtes de l’exécutif ont révoqué, par décret, Jean-Paul Goudou, maire de Saint-Privat, commune de 406 habitants de l’Hérault. Procédure rarissime depuis les lois de décentralisation de 1982 dont seuls ont écopé le fameux Gérard Dalongeville (ex-PS) à Hénin-Beaumont (condamné à quatre ans de prison dont trois ferme le 19 août) ou encore un maire d’une commune de Mayotte, confetti français de l’océan Indien. Dans un récent entretien au Monde, François Hollande pointait avec gravité ces outrances, complaisances, défaillances du système politique qui délitent la société. Nous y voilà. Dans l’exposé des motifs de révocation, le Journal officiel de la République française (JORF) évoque des agissements de Jean-Paul Goudou qui le privent de l’autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonctions de maire. Un peu plus haut, il est fait état de deux condamnations (mars 2013) avec, pour l’une, une peine d’emprisonnement de six mois et 30 000 euros d’amende pour faux et usage de faux dans un document administratif et pour l’autre un emprisonnement délictuel d’un an pour escroquerie, assorti de 100 000 euros d’amende. Et en bonus à titre de peine complémentaire, Monsieur le maire – qui a fait appel de ses condamnations – est privé de ses droits civiques, civils et de famille pour une durée de cinq ans. D’autres faits, non mentionnés au JORF, et eux aussi en appel, ont également valu condamnation à l’élu de Saint-Privat.

C’est Pierre de Bousquet de Florian, ancien grand patron de la DST et proche de Jacques Chirac, aujourd’hui préfet du Languedoc-Roussillon, qui a instruit le dossier, non sans s’être intensément plongé dedans. À Libération il dit : M. Goudou est sanctionné pour l’ensemble de son œuvre. Depuis des années, il triche, fraude, falsifie et escroque. Il ajoute aussi que l’édile est de longue date un client des tribunaux et de la gendarmerie.

On se rend à Saint-Privat en serpentant de petites routes bordées de vignes et de plantations d’oliviers. Sur des kilomètres, la terre est incroyablement rouge puis elle change de couleur, et la végétation s’assèche au fur et à mesure qu’approche le pied des falaises du Larzac. La commune est composée de trois hameaux médiévaux, distants de quelques kilomètres les uns des autres : Saint-Privat, Les Salces et La Rouquette. Un vaste territoire de 2 650 hectares, avec une toute petite mairie sise aux Salces. Dans la salle d’entrée, une table pour le conseil municipal (11 élus), un coin pour le secrétariat, une vieille Marianne de stuc et un portrait officiel de François Hollande, le révocateur en chef. Sourire aux lèvres, Jean-Paul Goudou, 56 ans, attend sur le perron. Il est grand, sec, bronzé et parle avec l’accent chantant d’ici. Un type au port altier, natif du pays.

Sa commune ? Aucun commerce mais une école avec deux classes pour 45 élèves ; deux secrétaires à temps partiel et deux employés avec un véhicule pour l’entretien et les réparations. Le budget s’élève à 400 000 euros. Jean-Paul Goudou est élu sans interruption au premier tour, précise-t-il, depuis 1996. Il ne pensait pas se représenter en mars 2014, mais avec cette affaire il a changé d’avis et sera candidat. Si la justice le lui permet. La mairie l’occupe un jour par semaine. Le reste du temps, il le consacre à ses sociétés. Il en a une dizaine, dit-il. Ceux qui ont regardé de près ses activités en ont dénombré 14 : entreprise générale de travaux, société immobilière, gestion de bâtiments, marchand de biens… Il travaille sur tout le secteur, c’est-à-dire le Lodévois, et jusqu’à Montpellier. Sa principale activité consiste à acheter des bâtiments, à les retaper puis à les mettre en location. En touchant, si possible, toutes les aides publiques afférentes. L’une de ses récentes condamnations porte sur 236 000 euros indûment perçus auprès de l’ANAH (Agence nationale de l’habitat) avec falsification de permis de construire provenant d’une autre commune. Le jugement fait état d’un homme motivé par le seul appât du gain. Une autre condamnation vise la transformation d’une grange en un nombre trop important de logements, alors que le permis de construire ne le prévoyait pas. Il lui est aussi reproché d’avoir apposé de fausses signatures, imitées de celle d’un architecte, sur des documents d’accessibilité aux handicapés. Enfin, il doit recomparaître après avoir été condamné pour des faits de violence sur un locataire qui lui devait de l’argent à Lamalou-les-Bains. Pour tous ces dossiers, Jean-Paul Goudou a fait appel. Et, sans rire, se scandalise : le préfet m’a fait destituer pour des condamnations qui touchent des affaires personnelles et professionnelles mais pas la vie de la commune. Il dit aussi, sourire en coin cette fois : j’ai été jugé la même semaine où Cahuzac a avoué. Le tribunal a voulu faire un exemple. Sa révocation de maire en Conseil des ministres, elle, est une décision administrative sans procédure suspensive. Pour sa défense, il a fait appel à un ténor du barreau de Montpellier, Me Luc Abratkiewicz, ainsi qu’à Me Claire Waquet à Paris qui va déposer un recours contentieux devant le Conseil d’Etat. Bref, se battre toujours et encore, ne rien lâcher, ne rien avouer comme l’ont fait Patrick Balkany à Levallois-Perret (réélu après force condamnations), Gérard Dalongeville à Hénin-Beaumont (candidat aux municipales) et tant d’autres, persuadés que le mandat électif confère impunité et toute puissance. Ouvertement sympathisant de l’UMP (mais plus encarté), Jean-Paul Goudou va aussi écrire à Jean-François Copé pour avoir le soutien du parti, qui sait… Pour sa défense, il cite aussi des bien plus gros que lui toujours en poste. Dont Jean-Noël Guérini à Marseille ou le président de région, Christian Bourquin (PS), lui aussi condamné dans une affaire de favoritisme. Jean-Paul Goudou dit en avoir pour cinq ans de procédure : mais je suis un battant, j’aime la difficulté, ça me stimule.

Avant de nous quitter, il monte dans un 4X4 BMW blanc (il a aussi une Porsche) pour aller chercher chez lui son extrait de casier judiciaire. Cinq minutes plus tard, le revoilà, goguenard : Tenez, c’est pour vous. On dit que je suis un spécialiste du faux mais là vous pouvez vérifier, il est bien vierge ! Les ruelles du hameau, coquet et retapé, sont quasi désertes. Plus de chiens qui jappent derrière des portes closes que d’habitants en ce début d’après-midi où le soleil tape fort… Un homme, jeune, tee-shirt noir n’a rien à dire. Je ne me mêle pas de tout ça, ajoute-t-il, en reconnaissant que tout le village a su pour la révocation, puisque c’est même passé à la télé. Un autre s’amuse : Ici, vous allez 30 kilomètres à la ronde et vous trouverez encore pire : tous les élus fonctionnent comme ça. Ce qui arrive à Goudou, c’est bien fait mais ça fait quinze ans qu’on aurait dû lui tomber dessus… et cela ne doit pas occulter le reste. On pousse d’autres portes en vain : peur ou pas envie de s’exprimer. Puis derrière une haie, à voix basse et en se garantissant du plus complet anonymat, un quadragénaire parle d’un climat très dérangeant de rumeurs sur le maire. Il le décrit comme quelqu’un de très agréable, souriant, poli, présent… et qui pourtant [lui] est très antipathique. À l’entendre les gens sont bien avec lui car il rend des services, mais médisent en permanence dans son dos. Une femme, à ses côtés, confirme. En quelques instants les mots fusent : système quasi mafieux qui contraint les gens à le réélire, peur de violences physiques, sales histoires sur les raccordements d’eau… Sur une feuille de papier, on nous dessine le chemin des Perrières pour se rendre chez Jean-Michel, l’opposant qui en dira plus.

Depuis sa terrasse, Jean-Michel Vial, 49 ans, confirme ce sentiment d’omerta en soulignant à plusieurs reprises que Saint-Privat, c’est la petite Corse. En 2008, il a créé l’Association citoyenne de Saint-Privat. Ses amis et lui ont débouché les bouteilles à l’annonce de la révocation du maire. Un homme, dit-il, qui se sert de sa casquette d’élu pour faire des affaires. Et tenir les gens. À l’entendre, ils seraient nombreux à avoir renoncé à leur droit de vote pour quelques dizaines d’euros de moins de taxe foncière avec par exemple une ouverture de garage non déclarée ou des mètres carrés ajoutés, sur lesquels le maire dit qu’il va fermer les yeux. Dans sa dénonciation très argumentée d’un système, il note que les défaillances sont partout : au conseil général qui laisse passer des subventions, dans l’administration et chez les conseillers municipaux du village qui ne démissionnent même pas après les condamnations de Jean-Paul Goudou. Il prête à l’ex-maire, devenu simple conseiller municipal, cette devise : Je n’ai qu’un costume, c’est pour le tribunal. Début août, Jean-Michel Vial a porté plainte à la gendarmerie. Durant la nuit, sa maison a été caillassée et sa voiture rayée de partout.

Antoine Giral. Libération du 2 septembre 2013

29 08 2013   

Pêche quasi miraculeuse dans la Garonne, sur la commune de Monheurt, dans le Lot et Garonne : Julien Darouy sort un silure de 2.32 m. Le lendemain, Alexandre Rosak en prend un de 2.44 m. et Yann Schroder un autre de 2.55 m, 120 kg ! Taille probablement due à quelques hormones de croissance qui, en ayant marre d’être en rayon en pharmacie, se sont dits : allons donc faire un tour !

3 09 2013 

Deux Français, Sébastien Roubinet et Vincent Berthet, se sont lancés, début juillet, dans la traversée du Pôle Nord à bord de Babouchka, un catamaran-char à voile pour maintenir le monde en alerte sur la réalité de la fonte des glaces en Arctique ; et, manque de pot, mais pas manque de froid, ils se font bloquer par les glaces et doivent faire appel à un brise-glace russe, Amiral Makharov,  pour les secourir. Joli pied de nez du destin : tel est pris qui croyait prendre !

11 09 2013    

L’Église poursuivrait-elle son aggiornamento : le numéro 2 du Vatican déclare publiquement que le célibat des prêtres n’est pas un dogme. On le savait, mais venant d’un personnage aussi haut placé, voilà qui est nouveau… affaire à suivre.

09 2013 

L’Australie élit un nouveau premier ministre, le conservateur Tony Abbott, qui affiche rapidement sa volonté farouche de mettre fin à l’immigration clandestine. Stop the boats. No way, you will not make Australia home. Il confie à l’armée la mission de leur  faire faire demi-tour pour regagner le pays de provenance, ou, à défaut les emmener dans des camps sur les grandes îles qui entourent l’Australie : Papouasie-Nouvelle Guinée ou sur des îles comme Nauru ou Manus, pendant l’examen de leur dossier. Il passe aussi contrat avec le Cambodge pour que ce dernier, moyennant finances – quelques millions € en aide au développement – accueille ces réfugiés. Les demandes d’asile vont chuter de 25 % de 2013 à 2014. Malcolm Turnbull, lui aussi conservateur et ancien directeur de Goldmann Sachs Australie succédera à Tony Abbott en septembre 2015 puis sera reconduit dans ses fonctions en 2016, en maintenant la même politique vis-à-vis de l’immigration illégale.

3 10 2013 

Un chalutier parti 3 jours plus tôt de Tripoli en Lybie avec 567 personnes à bord, en majorité Somaliens et Érythréens, arrive au large de l’anse de Tabaracca, sur l’île de Lampedusa, vers 7 heures du matin. À moins de deux kilomètres de la côte, il a une avarie moteur et une fuite de gazole se répand sur le pont ; pour se faire voir des habitants, l’un des passagers enflamme une couverture, le feu s’étend rapidement sur tout le pont. Panique des passagers qui se précipitent à l’opposé, faisant gîter le bateau déjà surchargé au-delà du possible : il chavire et coule : 366 cadavres seront repêchés en mer. Il y aura 55 survivants. Un mois après le drame, un Somalien sera reconnu dans le camp de Lampedusa comme étant l’un des passeurs ; avant que d’arriver à Tripoli, 130 personnes avaient connu des sévices : enlèvement, racket, viols, tortures de la part de Somaliens et de Libyens. Une avalanche d’incantations surtout européennes suivra évidemment, rivalisant dans le superlatif.

Lampedusa, un an après : Tout un monde

Commémoration du naufrage Lampedusa: en un an, 2000 migrants secourus

Que la terre leur soit légère. Honte aux passeurs ! honte aux dirigeants qui tolèrent les passeurs !

La nuit du 3 octobre, la mer était tranquille, paisible. On est sorti en bateau avec mes copains et on s’est arrêté à Cala Tabaracca pour se baigner et manger quelques chose. C’était toujours là qu’on allait. Et soit on rentrait tard, vers deux trois heures du matin, soit carrément le lendemain, très tôt. On a décidé de rester à la Tabaccara pour pêcher à la traîne le lendemain. On a dîné et on s’est couchés. Tout était tranquille, tout était normal, c’était la nuit noire. Je dormais en bas, sous le pont, mes copains au-dessus, dans la cabine de pilotage. Je me suis réveillé en entendant le treuil remonter l’ancre et le moteur démarrer. J’ai pensé : c’est l’aube, on va pêcher. La barque était à peine partie depuis quinze secondes que le moteur s’arrêtait. J’entendais parler au-dessus. J’ai dit : Qu’est-ce qui s’est passé? Une panne de moteur ? Je me suis précipité dans la cabine et j’ai répété: Qu’est ce qui s’est passé ? Le moteur a des problèmes ? Non, non a répondu Alessandro. Il était à la barre. Il m’a dit qu’il avait entendu vucìare. Vucìare, tu sais ce que ça veut dire, pousser des cris, des gémissements. Nous, on n’entendait rien. Sans compter que toutes ces mouettes, ces puffins, quand ça crie, c’est comme des lamentation humaines. J’ai dit à Alessandro : C’est les oiseaux Non, non, non, j’entends crier, j’entends crier. Il en était si convaincu que je n’ai pas voulu le contrarier. Alessandro, ici, on ne voit rien. Démarre et on va plus loin en mer. Il démarre et on dépasse le promontoire de la Tabaccara. Des mouettes et des puffins qui volaient. Tu vois ? tu vois ? Je suis allé à la proue pour regarder aussi, par là, prêt à répéter: Tu vois bien qu’y a rien ! Et là, tout à coup, j’ai vu toute une bande de mer remplie de gens qui hurlaient. Ils criaient Help ! Des silhouettes noires, les bras levés. Je me suis dit : là, il y a une catastrophe. Il y avait au moins deux cents personnes. J’ai demandé aux autres d’appeler la capitainerie du port, on n’aurait jamais pu sauver tous ces gens, on avait besoin d’aide. Alessandro a appelé tout de suite. Je te le dis sincèrement, j’ai eu vraiment peur. Comment les sauver ? On était déjà huit sur le bateau. On pouvait en prendre combien à bord ? Deux ? Trois ? Guère plus.

Où on les aurait mis ? Ça a duré dix secondes, pas plus. Je suis allée à la poupe, j’ai pris les bouées et des cordages. Alessandro, approche-toi d’eux. Et on a commencé à faire monter des gens dans le bateau. Ils étaient désespérés, à moitié nus, couverts de gazole. On en a embarqué trois, mes copains leur parlaient en anglais, moi je connais pas l’anglais, d’ailleurs ça m’énerve Demandez-leur combien il y en a en mer Et l’un des trois a dit: Cinq cents soixante sept. Mais il n’y en avait pas cinq cent soixante sept dans l’eau. C’est là que j’ai pris la mesure de la tragédie. On continuait à remonter des gens. Sans plus les compter. Sans penser à rien d’autre. Sans savoir où les mettre. En attraper un, et recommencer. Un autre, et encore un autre. Et puis un autre. Entre-temps, un petit bateau est arrivé, un cinq mètres à peine, plus bas que le nôtre. C’était le Nica, le bateau de Constantino. Je le voyais du coin de l’œil. Constantino les péchait dans l’eau sans même les prendre par la main, il les soulevait à bout de bras en les agrippant par le pantalon et les jetait dans sa barque. Il en a récupéré onze, comme ça. Un bateau de pêche est arrivé. Je me suis dit : ouf, on vient nous aider, quand ils ont vu toutes ces personnes qu’on avait à bord, un des deux pêcheurs a crié à son frère: Minchia, approche-toi, ces salauds sont en train de jeter des gens à la mer Ils nous prenaient pour des passeurs ! Quelques instants après, une fois dépassé le promontoire, eux aussi ont vu tous ces gens à la mer. Ils ont manœuvré pour en charger le plus possible. C’est un bateau de pêche dont la muraille est haute, ils n’avaient pas d’autre solution que de leur lancer des cordes en espérant que des naufragés réussiraient à s’y accrocher pour qu’on puisse ensuite les tirer. Certains y arrivaient, d’autres pas. Eux, ils ont sauvé dix-huit personnes. Vers sept heures et quart, la capitainerie du port est arrivée. Eux aussi ont commencé à repêcher ceux qui étaient encore à la mer, qui criaient et qui pleuraient. Malgré la tragédie, ils ont tous eu de a chance. Cette nuit-là avait soufflé un léger sirocco. C’est le sirocco justement qui les avait sauvés, parce qu’il pousse du sud-est vers l’île. S’il y avait eu du mistral au lieu du sirocco, on n’aurait retrouvé personne. Le sirocco leur a donné le premier coup de main. Et nous le deuxième. Sur mon bateau, on a tiré de l’eau quarante sept personnes, toutes vivantes.

Davide Enia. La Loi de la mer. Albin Michel. 2018

En 1973 – quarante ans de cela -, Jean Raspail publiait Le camp des Saints : l’Europe avec la France en tête de pont est envahie par une immigration massive venue du sud, l’Afrique. Jean Cau avait dit alors : Et si Raspail, avec Le Camp des Saints, n’était ni un prophète ni un romancier visionnaire, mais simplement un implacable historien de notre futur ?

De 1993 à 2013, selon Frontex, l’agence européenne chargée de la sécurité aux frontières, cette immigration clandestine par la Méditerranée a fait 20 000 morts. En 2012, 10 000 migrants ont traversé la Méditerranée, 30 000 en 2013, provenant d’Erythrée, de Lybie, de Syrie ; le 8 octobre, un autre bateau fait naufrage : plus de 50 morts. Entre ces deux catastrophes, un autre navire fait naufrage au large d’Alexandrie : 12 morts. La plupart de ces tragédies se déroulent à proximité de l’île de Lampedusa, entre Malte, la Sicile et la Tunisie, plus proche de cette dernière que de Malte et de la Sicile. Le scénario de Jean Raspail se déroule implacablement, pas à la même vitesse certes, mais qu’importe !

Le pape François s’y était rendu le 8 juillet, dénonçant vigoureusement cette situation scandaleuse. Lampedusa doit être un phare pour le monde entier. Que nous ayons le courage d’accueillir ceux qui cherchent un monde meilleur. Merci pour votre tendresse.

Et moins de six mois plus tard arrivaient sur le web des images des traitements indignes infligés aux immigrants, rappelant tristement les camps de concentration : arrosage au jet d’hommes nus pour les désinfecter de la gale. On avait donc soigneusement caché cela au pape qui s’est fait manipuler comme s’étaient fait manipuler les responsables du CICR en visite dans le camp de Theresienstadt pendant la deuxième guerre mondiale.

On sait très bien qu’il n’y a pas de solution en même temps réaliste et humaine. Il faut tout de même commencer par bien réaliser que le scandale n’existe qu’en Europe, car, dans les pays d’origine des immigrants, tout le monde s’en fout complètement, alors que la solution ne peut venir que de chez eux. Dans les même temps se tenait un sommet de l’OUA, qui a à peine effleuré le sujet ! Ils s’en foutent, parce qu’en fait ces drames sont pour eux du quotidien ou presque : des trente, quarante morts dans un accident de bus sont choses fréquentes. Et alors ? Inch’Allah. Physiquement la surveillance de la Méditerranée par les satellites donne les moyens de fermer les frontières et de faire faire demi-tour à ces bateaux, mais c’est les renvoyer dans leurs prisons, à leur misère, à leur famine et un jour ou l’autre à la mort. Humainement ce n’est pas acceptable. Aider ces gens-là chez eux, et c’est une fois de plus la main dans l’engrenage de la corruption, des détournements de fonds etc… Ouvrir largement nos portes, quand l’effort fiscal demandé à chaque citoyen rend sa vie à la limite parfois du supportable, c’est dérouler le tapis rouge lors des élections aux partis d’extrême droite qui prônent un durcissement de la législation.

Pour l’avenir à moyen-long terme, il nous faut savoir qu’un jeune sur trois sera africain en 2050, dans un monde de 9,8 milliards d’habitants. Les Africains seront 4,5 milliards en 2100, autant que les Asiatiques, contre environ 1,3 milliard en 2017. Le Nigeria devrait passer de 191 millions d’habitants à plus de 410 millions en 2030, devant les États-Unis.

16 10 2013   

Fermeture définitive des robinets du gaz de Lacq. Les installations vont être démantelées mais une reconversion du site s’est opérée avec l’inauguration d’une nouvelle unité de traitement de gaz du projet Lacq Cluster Chimie 2030.

24 10 2013 

Cela va sans dire, certes, mais cela va encore mieux en le disant. Jean-Pierre Le Goff met les points sur les i et enfonce le clou : Ce qu’on appelle l’affaire Leonarda a fait apparaître une nouvelle fois l’opposition qui existe depuis longtemps entre une gauche politique et sociale et un gauchisme sociétal qui s’est approprié le magistère de la morale. Ce dernier accentue la coupure de la gauche avec les couches populaires et mine sa crédibilité. En refusant de rompre clairement avec ce courant, la gauche au pouvoir récolte les fruits amers de ce qu’elle a semé.

Des représentants du gauchisme sociétal appellent les lycéens à reprendre la lutte, multiplient les leçons de morale envers le gouvernement et un peuple considéré comme des beaufs fascisants. Par un paradoxe historique et la grâce électorale du Parti socialiste, certains, toujours prompts à jouer la société contre l’État, à considérer l’idée de nation comme xénophobe et ringarde, se retrouvent ministres et représentants de la nation. De nouveaux moralistes au pouvoir entendent éradiquer les mauvaises pensées et comportements en changeant les mentalités par la loi. Ils sont relayés par des militants et des associations qui pratiquent la délation, le lynchage médiatique et multiplient les plaintes en justice. La France vit dans un climat délétère où l’on n’en finit pas de remettre en scène les schémas du passé : lutter contre le fascisme toujours renaissant, faire payer les riches en se présentant comme les porte-parole attitrés des pauvres, des exclus et des opprimés de tous les pays du monde, en développant un chantage sentimental et victimaire contre la raison.

La confiance dans les rapports sociaux, la liberté d’opinion et le débat intellectuel s’en trouvent profondément altérés. Le chômage de masse, l’érosion des anciennes solidarités collectives et les déstructurations identitaires qui touchent particulièrement les couches populaires paraissent hors champ de ce combat idéologique entre le camp du progrès revisité et l’éternelle réaction. Des pans entiers d’adhérents, de sympathisants ou d’ex-militants ne se reconnaissent pas dans les camps ainsi tracés, tandis que le désespoir social gagne chaque jour du terrain. Ils désertent et s’abstiennent, quand ils ne sont pas tentés par les extrêmes pour exprimer leur protestation.

Dans une situation où les tensions s’exaspèrent, le cynisme et les calculs politiciens décrédibilisent la parole politique et la puissance publique. Quand l’État devient à ce point incohérent, la société se morcelle et le débat tourne à la confusion. Le plus surprenant en l’affaire est la légèreté avec laquelle on dénie cette réalité en pratiquant la langue de caoutchouc pour dire tout et son contraire avec aplomb.

La gauche au pouvoir est en panne de projet et de vision : elle n’en finit pas d’essayer tant bien que mal de réduire la dette et les fractures sociales et fait du surf sur les évolutions sociétales problématiques, en essayant de satisfaire les intérêts contradictoires de sa majorité et de ses clientèles électorales. La perspective difficile d’une inversion de la courbe du chômage, outre son caractère incertain, ne peut être le remède miracle au mal-être français. Les fractures sont à la fois sociales et culturelles. Le roman national est en panne, écrasé entre une version pénitentielle de notre histoire et un avenir indéterminé au sein d’une Union européenne qui pratique la dérégulation et ne parvient pas à maîtriser les flux migratoires.

Un pays qui ne sait plus d’où il vient et où il va perd l’estime de lui-même. Il faut aborder les questions qui dérangent en dehors des tabous et des invectives : quel rapport la gauche entretient-elle aujourd’hui avec la nation ? Les références éthérées à l’Europe et aux droits de l’homme ne peuvent tenir lieu de réponse à cette question ; l’attachement au modèle social ne peut suffire. Qu’en est-il de ce cher et vieux pays au sein de l’Union européenne et dans le monde ? La gauche devrait expliquer de façon cohérente et crédible le sens qu’elle donne désormais à la République face aux groupes de pression qui font valoir leur particularité ethnique, communautaire ou religieuse en considérant la laïcité comme discriminatoire.

La question n’est pas celle de maintenir à tout prix une majorité divisée sur des questions essentielles, mais de la crédibilité de la puissance publique et de l’unité du pays dans la période difficile qu’il traverse. Un tel enjeu suppose d’en finir avec la pratique de la synthèse et ses salmigondis, de trancher le nœud gordien entre l’angélisme et le sens de l’État qui enserre la gauche au pouvoir et l’entraîne vers la débâcle. L’affaire Leonarda en aura été l’occasion manquée. C’est l’avenir d’une gauche républicaine et sociale, attachée à l’état de droit, respectueuse des libertés d’opinion et du débat intellectuel, qui est désormais en question.

Jean-Pierre Le Goff. Le Monde 24 10 2013

Marquet se caractérisait lui-même d’extrême centre, pensant que la vérité ne pouvait résulter que d’un compromis. Il aurait pu être de droite s’il n’avait pas trouvé la droite trop affairiste et préoccupée des privilèges de son électorat. Il aurait pu être de gauche si celle-ci avait montré plus de courage politique et ne passait pas son temps à couver un électorat qui soignait sa dépression chronique par un conservatisme viscéral. De plus, en émule de Kafka, il se méfiait de l’État dont, pour lui, le but était souvent moins de servir le public que d’organiser le confort et l’irresponsabilité de ses agents et de ses élus.

Il n’abordait jamais idéologiquement le thème de la mondialisation, considérant que les idéologies sont à l’homme ce que la niche est au chien. Il définissait la mondialisation comme une perte de contrôle des gens sur leur propre vie en contrepartie de l’opportunité de consommer moins cher. La mondialisation était selon lui peu ou prou la continuation du modèle colonial. Les nations développées continuaient à se procurer des matières premières et de la main-d’œuvre à bas prix. Le consommateur final y trouvait son compte même s’il rechignait à l’avouer. Les biens de consommation étaient à moitié prix de leur vraie valeur, celle qui résulterait d’un salaire juste. Pas celui perçu par des hommes et des femmes entassés dans des usines insalubres du Bengladesh ou alignés comme des pions dans d’interminables usines chinoises sous le regard implacable des membres du parti qui garantissaient l’ordre social aux manufacturiers étrangers. Chaque chose ayant son revers, ce qu’on gagnait au niveau des prix, on le perdait au niveau de l’emploi, et la cohorte des chômeurs était grossie par une immigration à laquelle on parvenait difficilement à offrir une qualification. Et pour maintenir une paix sociale rendue déjà très artificielle par un niveau de prix anormalement bas, on subventionnait les oubliés de la mondialisation en pompant largement dans la richesse d’entreprises d’avenir, pendant que celles du passé, celles qui vivaient exclusivement du différentiel de coût du travail, rechignaient à rapatrier leurs bénéfices dans leur pays d’origine, profitant allègrement de la mondialisation des capitaux et de la nature apatride de ces bénéfices. Et pendant ce temps déjà long à l’échelle d’une nation déclinante, l’endettement enflait inexorablement, menace vidant de leur substance tous les discours apaisants qui exhortaient à une croissance attendue avec la sérénité des défenseurs de la ligne Maginot. Notre système de production et de consommation, basé sur l’accumulation de biens plus ou moins utiles, était pour Marquet à l’évidence obsolète, mais on n’en connaissait pas d’autre qui soit réaliste. L’idée communiste ruinée par la mégalomanie paranoïaque des dirigeants s’était évanouie et les nations qui l’avaient endurée s’étaient précipitées dans le seul modèle qui régissait désormais la planète : l’avidité. Ce qui, pour Marquet, rendait l’avenir encore plus sombre, c’était que la Chine, en contrepartie de la mise à disposition de masses laborieuses à bas prix, avait négocié des transferts de technologies qui, à un terme plus ou moins long, ruineraient nos secteurs économiques les plus pointus. Il y voyait pour le pays une menace bien plus considérable que celle des islamistes sur les nations civilisées. Celle-ci monopolisait les débats et l’attention de nos services secrets. Et il se plaisait à répéter à Launay : L’islamisme est une problématique de pauvres, qui ont vécu sur le pétrole pendant un siècle et qui se préparent à retourner violemment dans l’obscurantisme que La Mecque déguisée en derrick avait fait un peu oublier. Certes, nos musulmans pauvres et sans éducation sont dangereux. Mais ils ne menacent pas notre richesse. Les Chinois, eux, menacent nos équilibres fondamentaux, jusqu’à notre âme si particulière faite d’un mélange de cupidité et de surprenant désintéressement.

L’addiction aux sondages de la classe politique et des médias avait fini par lui donner le sentiment d’appartenir à un monde virtuel aussi ridicule qu’un monde où, indifféremment, malades et bien portants vivraient en prenant leur température. Ou alors, et c’était une option pour le futur, il fallait changer le système d’expression politique en permettant au citoyen de voter directement sur chaque sujet, ce qui peu ou prou conduirait à la disparition de la classe politique. On en était loin, même si celle-ci paraissait de plus en plus obsolète et décrochée d’une réalité complexe. Par le jeu des institutions, elle se trouvait de moins en moins représentative. Les partis dominants représentaient chacun moins de trente pour cent de l’électorat. Marquet avait également averti Launay sur le danger du clivage grandissant entre la jeunesse et les générations plus mûres. Les anciens s’étaient tout octroyé, à crédit, s’imaginant qu’ils n’auraient jamais de comptes à rendre aux plus jeunes, moins politisés qu’ils ne l’avaient été, et passablement anesthésiés par des habitudes de consommation aliénantes. Les jeunes s’étaient retrouvés précarisés un peu à la manière des immigrés de la première génération, sous-payés, sous-éduqués, sous-employés, quand ils avaient la chance de l’être, aguerris très tôt à arpenter les couloirs de l’assistanat, lésant pour longtemps leur honneur et leur fierté, victimes innocentes du passage d’une économie de production à une économie de transfert, état qu’ils finissaient de consacrer pour certains par une léthargie déroutante. Les plus privilégiés d’entre eux grossissaient désormais les bataillons de cadres dynamiques des pays réellement libéraux au mépris de l’investissement coûteux que la nation avait consenti pour rendre gratuites leurs brillantes études.

Marc Dugain. L’emprise. Gallimard 2014

10 2013    

J’écoute, tu écoutes, il écoute, nous écoutons, vous écoutez, ils écoutent… Suite aux dernière affaires d’écoute en très haut lieu des Européens par les Américains, et faisant mine de jouer les vertus outragées, le quai d’Orsay convoque l’ambassadeur américain Charles Rivkin pour lui remonter les bretelles. Ce dernier, très conscient de représenter la première puissance mondiale prend l’initiative de l’entretien en s’asseyant avant qu’on ne l’y invite, et, pieds sur la table, lance à Alexandre Ziegler, chef de cabinet de Laurent Fabius : Je vous écoute. Alexandre Ziegler réplique du tac au tac : C’est bien ça le problème.

2 11 2013 

Le Monde rend compte des occupations hautement stratégiques de la Commission de Bruxelles  pour l’avenir de l’Europe :

Quand les experts bruxellois se penchent sur les W-C

On n’imagine pas jusqu’où peut se faufiler un technocrate bruxellois. Encore moins que sa sagacité puisse être utilisée pour scruter la promptitude des citoyens de l’Union à tirer la chasse d’eau.

Et pourtant… Un rapport de 63 pages (414 en incluant les annexes) en atteste. Un groupe d’experts dépêchés par la Commission s’est plongé pendant trois ans dans une étude minutieuse des toilettes, urinoirs et chasse d’eau de la Communauté européenne. L’enjeu : créer un écolabel visant à réduire la consommation d’eau. Coût de l’opération : 89 300 euros.

Titré Developping an Evidence Base on Flushing Toilets and Urinal (développer des réflexes sur les chasses d’eau et les urinoirs), cette analyse fait partie d’un travail plus large sur l’écolabel qui sera transmis aux États d’ici au 8 novembre. La recommandation consiste à faire fabriquer des chasses d’eau de 3,5 litres en moyenne. Un chiffre obtenu par un calcul fondé sur l’hypothèse de huit chasses d’eau tirées en moyenne par jour, en comptant deux chasses d’eau à plein tube et six tirées à moitié.

Ce pavé riche d’enseignements est, malencontreusement, tombé entre les mains d’un journaliste du Times. Le Britannique, toujours prêt à se moquer de la bureaucratie européenne, n’a pas manqué de faire ricaner ses compatriotes dans un article daté du 31 octobre titré L’idéal de l’Union européenne en matière de chasse d’eau. L’auteur s’émerveille en particulier des conclusions édifiantes de l’étude. Extrait : Deux facteurs-clés semblent affecter la consommation de chasse d’eau des toilettes et urinoirs : leur design et le comportement des utilisateurs. Et de conclure que si les Britanniques consomment beaucoup d’eau, Bruxelles utilise beaucoup de papier.

Évidemment puisque ça parle de toilettes, c’est drôle, soupire une porte-parole au sein de la Commission, inquiète des récupérations malveillantes. Et de rappeler qu’en appliquant l’écolabel on pourrait économiser en Europe de l’ordre de 6 600 litres d’eau par foyer, par an.

Bible anthropologique

Parmi les différentes activités hygiéniques, la chasse d’eau est en effet l’une des plus consommatrices d’eau (25 % du total) après la douche ou le bain (35 %). Et puis, insiste la porte-parole, la Commission travaille aussi sur d’autres labels pour les aspirateurs, les machines à laver… sur à peu près tous les produits de la vie courante. Très rassurant, de fait, de savoir que les eurocrates ne dépensent pas uniquement leur énergie dans les urinoirs et W-C.

Il faut reconnaître aussi que ce rapport est une bible pour l’anthropologie. On y découvre que le Luxembourgeois tire beaucoup la chasse quand le Finlandais appuie mollement sur le bouton (14 % seulement de sa consommation d’eau domestique contre 33 %). Qu’en France, on dispose en moyenne d’une cuvette par foyer alors que les Espagnols en ont deux et les Allemands 1,7. À noter aussi que les Portugais semblent préférer les W-C en céramique – azulejos oblige -.

Enfin, on apprend que l’Union européenne à Vingt-Sept disposait en 2011 d’un stock de 392 millions de toilettes et de 44,3 millions d’urinoirs. Des stocks qui, selon les experts, devraient augmenter respectivement de 6,3 % et 5,7 % d’ici à 2030.

Claire Gatinois. Le Monde du 2 11 2013

2 11 2013

Les envoyés spéciaux de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon sont assassinés à 12 km à l’est de Kidal dans le nord-est du Mali.

La dissolution profonde du principe même de l’autorité, de la notion que l’on s’en fait, de ceux qui y sont soumis, de ceux qui l’exercent peut donc être à l’origine de perte de vies humaines. Car enfin, si l’on veut se donner la peine de sortir de l’incantation, des grands élans d’indignation au sein desquels l’expression à vos risques et périls a perdu toute signification et tenir un langage de vérité, il faut bien constater qu’on a bigrement manqué  de principes clairs dans cette affaire. La première chose était de définir quel était le poids de ce qu’en pensaient les militaires de Serval : les journalistes n’auraient pas dû demander leur avis, mais demander leur autorisation. Cet avis quant à la venue de ces deux journalistes à Kidal était négatif. N’étant qu’un avis, les journalistes avaient la possibilité de passer outre, ce qu’ils ont fait. Cela aurait été un ordre ; ils seraient restés à Bamako. Il y a le feu à une maison : est-ce que les pompiers laissent passer les journalistes ? Ils ont choisi de trouver un autre moyen de transport et s’en sont remis au système ONU, dont l’irresponsabilité a déjà provoqué des milliers de morts en Afrique, en ex-Yougoslavie et ailleurs. Comment peut-on avoir le culot de dire que l’interview d’un second couteau touareg de Kidal méritait une telle prise de risque ? Il ne fera que dire le contraire de ce qu’il a dit la veille et de ce qu’il dira le lendemain. C’est irresponsable et en l’occurrence criminel.

L’espèce de fascination béate qui s’empare des intellectuels français sitôt prononcé le mot touareg a quelque chose d’indécent, une sorte de préférence raciste : du temps d’Édith Piaf, l’exotisme restait aux marges du territoire – il était minc’, il était beau, il sentait bon le sable chaud, mon légionnaire – aujourd’hui on passe franchement les frontières avec les fiers et beaux hommes bleus qui vous regardent du haut de leur dromadaire -… Car enfin, s’il est évident que l’on partage avec eux un humour, une sensibilité épidermique, il reste indispensable de se souvenir qu’ils ont été esclavagistes pendant des siècles et des siècles, et cela ne peut être tenu pour rien !

Si l’on refuse aux militaires ce pouvoir d’autoriser en terrain très dangereux la venue de compatriotes ou autres étrangers, c’est par crainte de se mettre à dos le monde de plus en plus puissant des médias, cela signifie, pour faire court, qu’encore une fois, on manque de courage.

11 2013                       

La Chine proclame sa nouvelle zone d’identification de la défense aérienne (ADIZ), englobant les Senkaku/Diaoyu. Américaines de 1945 à 1972, ces cinq minuscules îlots auront été le reste du temps, depuis la guerre entre la Chine et le Japon en 1895, disputés entre ces deux pays : leurs eaux territoriales regorgeraient de pétrole ! Et quand il ne s’agit pas d’îlots, mais seulement de récifs constitués de quelques rochers, eh bien, on envoie des navires dragues qui pompent du sable pour le déposer sur ces récifs et ainsi en faire de vraies îles avec des eaux territoriales dont la surface grandit en progression géométrique par rapport à la surface émergée. Eh beh voyons !  

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[1] L’avantage principal du platane est d’avoir un système racinaire très dense, ce qui renforce les berges et freine avec efficacité l’érosion. 

[2] Le chêne chevelu peut atteindre les 30 mètres, supporte très bien les terrains calcaires. Feuilles pubescentes, coriaces et brillantes, avec des lobes à extrémité lancéolée, souvent marcescentes. La base des feuilles, les bourgeons et les cupules sont hérissés de filaments pubescents, d’où son nom. Tendance marquée à la gélivure. Son bois a mauvaise réputation : large aubier, et bois de cœur lourd, dur, nerveux et peu durable. Utilisé en charpente, en menuiserie et aussi en bois de chauffage. Croissance rapide.