Publié par (l.peltier) le 16 août 2008 | En savoir plus |
25 01 2019
Le Brésil peut changer de gouvernement, ce n’est pas pour autant que les géants économiques vont changer de gestion. Quatre ans après une rupture de barrage minier, à 150 km au sud-ouest de Belo Horizonte, mine appartenant pour partie au géant Vale, rebelotte au Brésil , à 90 kilomètres de là, avec 157 morts, 248 disparus, des sinistrés, des familles broyées et son incompétence, son amateurisme, son irresponsabilité : cette fois, c’est encore dans le même Minas Gerais où la mine de fer Córrego do Feijão a été concédée au géant Vale à Brumadinho, à 60 km au sud-ouest de Belo Horizonte. Cette mine fait partie du complexe minier Paraopeba qui comprend 13 barrages : certains retiennent des déchets miniers, d’autres captent de l’eau et les derniers sont des structures de régulation de débit. Brumadinho est entourée par huit barrages aux proportions gigantesques. Ce barrage occupait 27 hectares, avec un mur de contention de 87 mètres de hauteur, et était inutilisé depuis deux ans.
01 2019
Rahaf Mohammed avait 18 ans et, depuis quelques mois, elle ne songeait qu’à fuir. Fuir l’Arabie saoudite, ses lois, sa culture, qui considéraient les femmes comme des sous-êtres à l’entière disposition des hommes. Fuir la religion musulmane et ce Coran qu’elle s’était mis à haïr, constatant la duplicité avec laquelle on l’invoquait pour davantage assujettir les filles. Fuir sa famille toxique : son père, polygame et tout-puissant, gouverneur dans la région la plus conservatrice du pays, en relation avec la famille royale ; sa mère, éduquée et moderne, puisqu’elle enseignait en ville, mais qui élevait ses filles dans la tradition la plus archaïque ; ses frères aînés, petits coqs sadiques, qui se comportaient en gardiens de la vertu de leur sœur, la tabassaient fréquemment et l’enfermaient au nom du sacro-saint honneur.
Elle avait 18 ans et elle voulait vivre libre. Libre de m’habiller comme je voulais, libre de faire du vélo, d’écouter de la musique, de sortir sans mes frères, de choisir un amoureux ou une amoureuse à ma guise… Elle n’avait aucune idée de ce que signifiait l’exil et ne mesurait pas ce que le mot de liberté pouvait aussi signifier de responsabilité, de solitude, de devoirs, de déboires. Elle savait juste que si elle restait dans ce pays maudit pour les femmes, elle mourrait. Tuée par ses frères ou son père, de plus en plus excédés par ses rebuffades, à moins qu’ils ne l’enferment sous camisole chimique comme sa grande sœur, brisée pour avoir voulu fuir. Ou bien qu’elle se suicide.
Elle avait 18 ans et dans le taxi qui la conduisait vers l’aéroport de Koweït, en cette nuit froide de janvier 2019, elle ressemblait encore à une adolescente un peu ronde, les cheveux mi-longs, la moue et le regard rebelles, la main crispée sur son téléphone. Elle venait pourtant de prendre la décision la plus grave de sa vie et laissait derrière elle, dans l’hôtel où ils dormaient encore, sa mère, sa petite sœur et ses deux frères tant redoutés à qui elle avait subtilisé son passeport. Son plan était clair : prendre le vol de 9 heures pour Bangkok sur Kuwait Airways et poursuivre ensuite vers l’Australie, ce pays de cocagne dont elle avait obtenu le visa en ligne et où elle retrouverait une autre fugitive pour demander l’asile.
Elle avait jeté dans les toilettes sa carte SIM qui aurait permis à sa famille de suivre ses déplacements. Elle disposait de 2 700 dollars (2 650 euros) déposés sur le compte d’un ami dont elle avait le mot de passe. Un réseau clandestin de Saoudiennes, réparties sur plusieurs continents, mais connectées par une messagerie secrète, devait la suivre à la trace. C’était elles sa nouvelle famille. À chaque instant, à l’aéroport de Koweït, elle a craint qu’on ne l’arrête. Mais non. Elle a embarqué sans problème. Et dans l’avion, surexcitée, elle a ressenti un premier vertige de liberté. C’est à l’atterrissage à Bangkok que tout s’est gâté.
Un homme l’attendait avec une pancarte portant son nom. À sa vue, son sang s’est glacé et une petite voix intérieure lui a enjoint de se tenir sur ses gardes. Mais comme il prétendait être là pour l’aider à accomplir les formalités d’entrée sur le territoire, elle lui a confié son passeport et… s’est retrouvée piégée.
Rattrapée par ce père au bras long. Traquée par l’ambassade saoudienne, qui avait déjà émis un avis de recherche et exigeait que les autorités thaïlandaises renvoient par le prochain vol cette fille psychologiquement dérangée.
Tremblante, elle n’a eu que le temps de prévenir par Snapchat une amie du réseau : L’ambassade m’a fait arrêter. Puis, arrachant son passeport des mains du traître, elle s’est mise à courir comme une folle vers la sortie. Des vigiles et un Koweïtien lui ont barré la route. Cernée, elle a été escortée fermement vers un hôtel situé à l’intérieur même de l’aéroport, avec ordre de ne pas sortir de sa chambre avant le vol retour, prévu deux jours plus tard. C’est alors qu’elle a fait un truc fou. Un geste auquel ni sa famille ni les gens de l’ambassade n’auraient jamais pensé : elle s’est tournée vers Twitter.
J’ai fugué, je suis en Thaïlande. Si on me renvoie en Arabie saoudite, je serai en danger de mort. Ce premier tweet écrit en arabe aurait pu passer inaperçu. Mais la solidarité indéfectible de trois amies du réseau secret de Rahaf en a décidé autrement. Se relayant, malgré les décalages horaires, pour cogérer le compte Twitter de la jeune fille, elles ont traduit et relayé en anglais ses messages, sollicité journalistes, ambassades, organisations des droits humains et même les Nations unies (ONU). Sous leur pression, Rahaf a dévoilé sa véritable identité, sachant qu’aux yeux de sa famille elle commettait l’irréparable : Je suis Rahaf Mohammed. J’ai 18 ans. Je suis coincée. Ils ont mon passeport et demain, ils vont me mettre dans un avion pour le Koweït. Je vous en supplie, aidez-moi. Ils vont me tuer.
Twitter s’est enflammé. Des internautes du monde entier ont répondu, retweeté, interpellé le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) : Mais qu’attendez-vous pour agir ? L’activiste égypto-américaine Mona Eltahawy a créé le hashtag #saverahaf, écrit en capitales : ELLE EST EN DANGER et défié les ambassades occidentales à Bangkok : Qui offrira l’asile à Rahaf ?? ! C’EST URGENT !
Enfermée dans sa chambre, la jeune fille voyait s’écouler les heures qui la séparaient du départ de l’avion avec terreur. Comment ne pas penser à Dina Ali, cette jeune Saoudienne qui, elle aussi, avait espéré fuir en Australie en 2017, mais avait été interceptée en transit aux Philippines, où on lui avait confisqué passeport et téléphone avant de la remettre manu militari dans un avion pour Riyad, ligotée sur une chaise roulante et dissimulée sous une couverture ? Personne n’avait plus jamais entendu parler d’elle. Des voix différentes se succédaient devant la porte de Rahaf en exigeant qu’elle leur ouvre. Elle refusait, convaincue que sa famille utiliserait tous les subterfuges pour la kidnapper et lui faire payer sa rébellion.
En quelques heures, elle était devenue la demandeuse d’asile la plus célèbre du monde. Journaux et télés suivaient en direct la situation. L’Australie tergiversait. Quel pays allait donc l’accueillir ? Une délégation du HCR a fini par se présenter, glissant sous la porte de la chambre une carte au logo de l’ONU pour montrer patte blanche. Epuisée, affamée, la jeune fille a fini par ouvrir, et a été exfiltrée de l’aéroport vers un hôtel secret. Quand son père et l’un de ses frères ont débarqué à Bangkok en exigeant de la voir, leur demande a été rejetée. Mais la nouvelle a terrorisé la jeune fille. Puis, tout s’est soudain accéléré. Le Canada a proposé l’asile. Le soir même, Rahaf s’envolait pout Toronto, accueillie le lendemain à l’aéroport par la ministre canadienne des affaires étrangères et une multitude de journalistes. Il faisait froid. Elle s’en foutait. Elle était libre. Oui, mais de quoi ?
Au début, j’étais plombée, reconnaît-elle en visioconférence depuis son domicile de Toronto. La voix de mon frère résonnait dans ma tête, depuis l’autre bout de la planète. Je trimbalais tant d’interdits ! Et puis, une fois que j’ai maîtrisé le mode d’emploi de la vie occidentale, su utiliser une carte bancaire, osé entrer dans un magasin sans tuteur masculin, j’ai fait tout ce qui m’avait été strictement interdit jusqu’alors : boire de l’alcool, sortir en boîte de nuit, porter des shorts… J’ai tout essayé. Et je me suis fait mal.
C’est compliqué, la liberté. C’est à la fois délicieux et périlleux. Vertigineux et violent. Un dur apprentissage, quand elle n’est pas donnée au berceau. Sans doute peut-on s’y noyer ou s’y perdre… Mon père m’avait reniée, ma mère ne voulait plus me parler ; à 18 ans, j’ai eu le sentiment d’être seule au monde. Personne pour me dire : fais gaffe à ça. Personne pour me fixer des limites. Je ne les ai trouvées qu’en commettant des erreurs. La liberté a un coût que je découvre. J’apprends.
Quelques mois après son arrivée au Canada, elle a conçu un bébé et s’est retrouvée, à 20 ans, mère célibataire, exposant dans le même temps son soutien et son appartenance à la communauté LGBT. Depuis, elle brouille les pistes.
Très active sur Twitter pour défendre les libertés des femmes, soutenir Black Lives Matter, militer pour l’avortement, toujours attentive à l’actualité concernant l’Arabie saoudite. Présente aussi sur Instagram, mais dans un autre registre. On y constate une évolution physique accélérée par la chirurgie esthétique, on la croise dans des positions suggestives, très dénudée, poitrine et fesses spectaculaires. Pourquoi ? lui demande-t-on. Et pourquoi pas ? Mon corps, mon choix ! Cela m’a pris du temps de l’aimer, et j’en fais aujourd’hui ce que je veux. Depuis mes 9 ans, j’ai dû le cacher sous une abaya noire, et, à 12 ans, l’enfouir sous un niqab, comme s’il était honteux. Eh bien, aujourd’hui, je l’expose. C’est ma liberté.
Beaucoup sont perplexes, voire désolés, de cette exhibition, qui lui vaut des dizaines de milliers de fans, mais lui attire aussi menaces de mort et messages haineux. L’effet Kim Kardashian et ses canons de beauté ne sont-ils pas une nouvelle aliénation ? Rahaf botte en touche. Affirme qu’en affichant une telle liberté, inconcevable dans son pays natal, elle donne de l’espoir à des millions de femmes, à qui l’on dénie jusqu’au droit d’avoir une apparence. J’aurais pu disparaître des radars, me noyer dans la masse, choisir le silence. C’eût été égoïste ! J’ai choisi au contraire de témoigner, d’écrire un livre pour attirer l’attention sur l’enfer que vivent les femmes en Arabie saoudite, et leur dire : Vous voyez ? Une femme peut être sexy et libre. Personne ne peut plus dompter Rahaf ! D’ailleurs, mon livre s’appelle Rebelle [la version française paraîtra en France chez Albin Michel en octobre 2022].
Ses diverses messageries accueillent chaque jour des appels de jeunes femmes d’Arabie saoudite ou des Emirats voulant fuir leur pays. Elle ne peut répondre à toutes, mais assure que ses photos sont en soi des messages d’encouragement. Pour l’heure, elle élève sa petite fille de 2 ans. Annonce avoir un nouveau boy-friend généreux. Et vivre, malgré des hauts et des bas, les meilleurs jours de sa vie. Elle n’a que 22 ans.
Annick Cojean. Le Monde du 27 août 2022
22 02 2019
Le pouvoir algérien a annoncé qu’Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, avec un AVC en 2013 qui a fait de lui un pantin, allait être candidat pour la cinquième fois à la présidence de la République ; les élections se tiendront le 15 avril. Mais il se trouve que les jeunes – 45 % de la population a moins de 25 ans – n’ont plus peur de la répression et font savoir leur désaccord et cela pourrait bien changer la donne. Et, en effet, à force de dire tous les vendredis pacifiquement dans la rue : dégage, il finira par dégager, cinq semaines plus tard, le 2 avril. On aura frôlé le poisson d’avril ! Imaginez qu’il ait fait cela un jour plus tôt, le 1° avril et qu’en se réveillant le 2 au matin il ait déclaré, tout sourire, à son bon peuple : Hier, il ne fallait pas me croire, c’était un poisson d’avril ! Quel bazar !
Djamila Bouhired, 84 ans, l’héroïne de la guerre d’indépendance, volontairement cloîtrée depuis dans son appartement, en sortira pour se mêler aux manifestants et s’adresser à eux dans la presse :
Mes chers enfants et petits-enfants,
Je voudrais vous dire toute ma gratitude pour m’avoir permis de vivre la résurrection de l’Algérie combattante, que d’aucuns avaient enterrée trop vite. Dans l’été 1962, alors que les Algériens pleuraient leurs chers disparus dans la liesse de la dignité retrouvée, les planqués de l’extérieur avaient déclaré une nouvelle guerre au peuple et à ses libérateurs pour s’installer au pouvoir.
[…] Au nom d’une légitimité historique usurpée, une coalition hétéroclite formée autour du clan d’Oujda, avec l’armée des frontières
encadrée par des officiers de l’armée française et le soutien des combattants du 19 mars, a pris le pays en otage. Au nom d’une légitimité historique usurpée, ils ont traqué les survivants du combat libérateur, et pourchassé, exilé, assassiné nos héros qui avaient défié la puissance coloniale avec des moyens dérisoires, armés de leur seul courage et de leur seule détermination.
Le Matin d’Algérie. 13 mars 2019
Au commencement était la mascarade. Le 18 mars 1962, étaient signés entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), les accords d’Évian qui mettaient fin à la guerre d’Algérie et qui allaient permettre de mettre un terme à 132 années de présence coloniale.
Le GPRA était composé des figures historiques du nationalisme algérien, des intellectuels, pharmaciens, avocats et médecins. Le jour du cessez-le-feu, l’armée française ouvre les frontières d’Algérie avec le Maroc et la Tunisie, fermées durant la guerre. Elle laisse passer l’armée algérienne des frontières, composée de maquisards qui, pour la plupart, n’ont jamais tiré une balle de leur vie. Elle est dirigée par le colonel Houari Boumediene, secondé, entre autres, par un jeune commandant, Abdelaziz Bouteflika. Ils forment ce qu’on appellera le clan de Oujda.
Une fois l’indépendance de l’Algérie proclamée en juillet 1962, cette armée des frontières déclare la guerre aux civils du GPRA. Elle déferle sur le pays, prend les villes les unes après les autres. Elle massacre les opposants. À Oran, elle tire sur les Européens qui avaient choisi de rester en Algérie. Lassés par sept années de guerres, des milliers d’Algériens sortent dans les rues, pour demander la fin de cette guerre fratricide. Mais le clan de Oudja massacre tout sur son passage. Le 9 septembre 1962, l’armée des frontières s’empare d’Alger. Après avoir mis au pas le principal syndicat du pays, elle annonce la primauté du militaire sur le civil et déclare qu’Ahmed Ben Bella sera l’unique candidat pour les élections présidentielles.
C’est durant cet été de la discorde que l’indépendance de l’Algérie est morte née, condamnée par une armée de maquisards qui n’a jamais connu la guerre, et qui considère, depuis, l’Algérie comme un butin de guerre, qu’elle a arraché à la fois des mains des militaires français et des civils algériens. Vérifiant ainsi l’adage populaire : tous les pays du monde ont une armée, sauf l’Algérie où l’armée a un pays. Et si le pays souffre d’un aussi cruel manque de liberté depuis 1962, c’est parce qu’il est toujours entre les mains des auteurs de ce casse historique : Ben Bella, renversé par Boumediene, en 1965.
À la mort de Boumediene dans des circonstances louches en 1978, Bouteflika est pressenti pour lui succéder, mais la cour des comptes l’accuse de détournement. Il prend le chemin de l’exil. Fidèle à sa tradition, le FLN lui préfère un candidat qui ne fait pas de bruit – c’est une tradition – Chadli Bendjedid, un colonel, réputé pour ne maîtriser ni l’arabe ni le français. Cependant, ce dernier, pour rompre avec la politique de rigueur de son prédécesseur, ouvre les portes de l’Algérie au marché international.
Le prix du pétrole est alors au plus bas. La misère gagne le pays qui se croyait à l’abri de la crise mondiale. En octobre 1988, des milliers de jeunes sortent manifester leur colère. L’armée leur tire dessus, faisant 500 morts. Un haut responsable du FLN qualifiera ce massacre de chahut de gamins.
Pour calmer la colère de la foule qui criait famine, l’État leur jette en pâture le multipartisme. Le FLN, parti totalitaire, hégémonique, se convertit en un soir aux vertus de la démocratie. En moins d’une semaine, 62 partis politiques voient le jour, parmi lesquels le célèbre Front islamique du salut (FIS), qui ne fut pas un parti d’opposition mais représentait en fait une mutation génétique et éthique programmée du FLN. Les partis d’opposition sont tous financés par l’État ainsi que la presse démocratique qui naît avec. La suite, on la connaît, le FLN organise, en 1991, des élections législatives avec un mode de scrutin majoritaire dont il était sûr qu’il allait lui donner la majorité. Mais le FIS arrive partout en tête. L’armée refuse le verdict des urnes et suspend le processus électoral.
Des milliers de sympathisants du parti islamiste prennent le maquis. Durant dix années, ils vont mettre le pays à feu et à sang, laissant sur le pavé plus de 200 000 morts. À court d’arguments, l’armée fait appel à Bouteflika pour sortir le pays de la guerre. Avec sa verve et sa fougue, il rentre d’exil en 1998. Il parcourt le pays et propose aux Algériens de passer l’éponge sur les crimes des islamistes lorsqu’il présente le texte de Concorde civile, adopté par le Parlement en 1999. Pour retrouver la paix, il demande au peuple de faire comme si tous ces milliers de morts n’avaient jamais existé [l’amnistie-amnésie. ndlr].
Pire qu’une réconciliation, ce sera une consécration des émirs auxquels l’État va verser de mirobolants dividendes pour qu’ils déposent les armes. Certes les islamistes n’ont pas pris par les armes le pouvoir, mais le pouvoir leur a donné toutes les armes, toutes les cartes pour prendre en main toute la société. L’Algérie compte aujourd’hui plus de 17 000 mosquées, l’enseignement public est devenu depuis des années un enseignement islamique, et la religion est présente partout. Désormais chaque individu, que ce soit dans l’espace public ou privé, jauge le bienfondé de ses propos, de ses actes et même de son allure en fonction des règles de la charia.
Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, Bouteflika a fait dépenser des milliards à l’État pour la construction d’un réseau d’autoroutes, de logements, de barrages. Ces infrastructures et tous les projets qu’elles suscitent, transforment l’État en agent corrupteur de toute une société qu’il aide à acquérir sur le marché international 97 % de sa consommation. Le tout bien entendu payé par la rente pétrolière qui s’amenuise de jour en jour. Des milliards $ offerts à des entreprises chinoises qui ont fini par transformer la Mitidja en banlieue de Pékin, et on peut dire, sans commettre de parjure, que les quatre mandats de Bouteflika, ont défiguré davantage les paysages d’Algérie, sa beauté, sa nature plus que 132 années de colonisation française.
La présentation de la candidature de Bouteflika, pour un cinquième mandat, est certes une catastrophe pour la jeunesse algérienne qui dit aujourd’hui sa colère dans toutes les villes du pays, mais elle révèle en même temps l’épuisement, l’essoufflement de ce système, ou de cette Armée État qui a pris de manière illégitime le pouvoir à l’indépendance, et qui s’est maintenue durant des années en s’appuyant sur la mythologie de la guerre de libération, et qui a cherché à se redonner un deuxième souffle en assurant qu’elle a sauvé une deuxième fois le pays du chaos islamiste, et que, sans elle, l’Algérie retomberait sans les abysses du FIS ou de l’organisation État islamique.
Cependant, ce système est aujourd’hui à bout de souffle, à l’image du candidat qu’il présente : cacochyme, aphone, paralysé, invalide, absent. À part la rapine, il n’a plus rien à dire. À part le pillage, il ne sait rien faire d’autre. Les généraux algériens sont les dignes successeurs des Barbaresques de la régence d’Alger qui sillonnaient les mers pour détrousser les chrétiens, pour les convertir ou les revendre. Le régime actuel fait partie de la lignée des janissaires, il s’est juste, pour la piraterie, replié sur les terres pour détrousser un peuple exsangue, sombre et névrosé, en lui promettant le paradis dans l’au-delà.
Il est grand temps que ce régime crève, sinon il emportera l’Algérie dans sa tombe.
Mohamed Kacimi écrivain, Le Monde du 2 03 2019
Et qu’est donc ce système dont plus personne ne veut ? Kamel Doaud le décrit :
L’homme qui déteste son peuple.
C’est l’une des légendes muettes qui accompagnent Abdelaziz Bouteflika depuis le début de son règne, en 1999. Le roman politique algérien aime collectionner les anecdotes sur le caractère rancunier de cet homme, son ancienne ambition devenue colère après qu’il ait été écarté, chassé du pouvoir en 1981, ses blagues racontées aux visiteurs étrangers, dépeignant les Algériens sous le pire des portraits, ses grimaces et ses envolées egocentriques.
C’était au temps où il parlait.
Aujourd’hui, son silence, qui dure depuis son accident vasculaire cérébral (AVC), depuis son dernier discours en 2012, où il promettait la transition et annonçait l’épuisement de sa génération, est tout aussi interprété comme du mépris. Il a menti la dernière fois qu’il s’est exprimé, depuis il n’a rien dit aux Algériens. De rares mots, lors des audiences accordées aux étrangers. Les images désastreuses d’une décomposition en live, que son frère surveille comme monteur d’images à la télévision publique. Pour lui, le peuple ne compte pas, ou seulement s’il dépasse les 90 % de oui pour le réélire.
Son règne est aussi celui d’une kadhafisation lente du pays depuis son élection après la guerre civile : destruction des institutions, encanaillement généralisé de l’Etat, de ses hommes, concentration abusive des pouvoirs, monarchisation. La grande tradition d’un pouvoir collégial, sous la forme d’un cabinet noir ou de décideurs à Alger, version occulte du consensus, a fini en palais peuplé de courtisans, de clans, de clowns et de courtiers. Une galaxie autour d’un homme et surtout de son frère, devenu le régent de la République.
Son époque est aussi celle de l’inflation des titres : Son Excellence, Fakhamatouhou. La traduction ne rend pas compte du grossier du titre. Il faut traduire Sa Grandeur. Le mantra est obligatoire dans la bouche de chaque ministre, de chaque haut fonctionnaire, en prologue ou en conclusion de chaque déclaration publique, de chaque annonce de projet. Ceux qui ne sacrifient pas à l’usage finissent mal. En témoigne un journaliste de la télévision nationale qui, oubliant le titre, se fit remercier.
C’est cet encanaillement, qui semble avoir atteint des sommets, qui a fini par soulever les foules aujourd’hui. Tout est passé au filtre de ce rapetissement de l’État. Le FLN, grand parti de la libération, auteur d’une épopée de décolonisation unique au monde ? Il l’a réduit à un carnaval avec des secrétaires généraux véreux, vénaux, amuseurs de foules, menteurs, mégalomanes et courtisans jusqu’à l’obséquiosité. Insultez moi, mais ne touchez pas à mon président, s’est écrié l’un d’eux un jour. Vous êtes élégant ! a lancé un journaliste à l’un des secrétaires généraux de ce parti. Oui, a répondu l’apparatchik, célèbre pour sa mythomanie, mais vous n’avez pas encore vu l’élégance de mon président. À la mort de la mère de Bouteflika, l’un d’eux a quasiment élu domicile dans le cimetière pour se signaler à l’œil de la présidence par son deuil en parade. Bouteflika est déclaré président d’honneur du FLN ? Il y impose un déshonneur permanent. L’armée ? De même : les généraux, honnis, détestés par le Palais, finissent mal. À la fin, on les humilie jusqu’à la prison, on les arrête comme des malfrats en pleine autoroute, on les accuse, on leur fait passer une nuit ou deux en cellule puis on les relâche, brisés et étourdis par la disgrâce inconcevable.
Le rêve de l’Algérie momifiée.
Le Parlement ? Le règne de Son Excellence a veillé à y placer des poupées à peine gonflables, des fantoches. Un député algérien de la majorité, ce n’est pas combien de voix ?, mais combien de sachets d’argent liquide glissés aux instances dirigeantes de son parti. En octobre 2018, le président de l’Assemblée populaire nationale, pour une histoire de frais de mission et à cause d’une désobéissance au clan, a été dégommé de la pire des manières : on a cadenassé, sous son nez, l’entrée du Parlement. Les Algériens ont été choqués par l’image d’un État qui en est venu aux mœurs d’un videur de boîte de nuit. Le Sénat ? C’est un Club Med sans vue sur mer, une maison de repos pour la gérontocratie. C’est Bouteflika qui choisit, offre la pension, soutien un président au perchoir depuis… dix sept ans.
Les fameux services algériens ? Que ce fut beau et enthousiasmant de les voir se dissoudre il y a quelques années sous la perestroïka de son excellence. On chassa le Dieu d’Alger, le fameux général Toufik, faiseur de présidents, on l’insulta en public, on lâcha les chiens. Pour que vive la démocratie ? Non, juste pour que les services deviennent une intendance familiale. Le général est mort ? Vive le roi.
La chute des services algériens ne fut pas l’annonce de la démocratie, mais la confirmation d’une régence installée. Le frère remplaça le Dieu d’Alger. Un gouvernement ? Pas question : on a très vite remplacé le chef du gouvernement, comptable devant le Parlement, par un premier ministre comptable devant le Palais. Tout a été contaminé et évidé par cette monarchisation, vampirisé par cet encanaillement généralisé : patronat, syndicats, universités, corps diplomatique, etc. Le pays a glissé, en deux décennies, d’une fausse république à un royaume tentaculaire. On a transformé le patriotisme en dîme, en taxe clandestine, en distribution de prébendes, en allégeance obligatoire et publique. Tous se souviennent de ce patron des patrons qui filmait les mains levées, lors d’un vote de son organisation patronale en faveur de Bouteflika pour un quatrième mandat. Les contre le paieront cher. Les milieux d’affaires en Algérie peuvent raconter mieux que quiconque ces deux décennies. Ils peuvent éditer le catalogue des noms, détailler les pourcentages, les surfacturations, le racket. Rien n’a résisté à cette tempête de l’avilissement programmé, ce souffle mauvais de la vengeance et de la rancune. Rien. À peine si on pouvait, çà et là, encore crier non. Le seul espace pour échapper à la monarchie était Internet. Mais là aussi, la dictature a été féroce : arrestations de jeunes, prison, procès, terrorisme médiatique et diffamations par des télévisions inféodées, etc. Le rêve de l’Algérie momifiée n’était plus, dès lors, l’indépendance ou le leadership africain, mais l’immobilité, le silence, l’ombre, la peur. Tôt ou tard, cela devait exploser, car l’infanticide a été terrible en Algérie.
Le rite de la photo
Dans l’album de ces humiliations permanentes, on a retenu, début 2018, les images des médecins algériens tabassés, violentés, arrêtés et jetés hors l’Alger, aux bords de l’autoroute, pourchassés au faciès par la police. Le régime a gardé vive sa haine des élites qui veulent s’autonomiser. Ces médecins au visage ensanglanté vont rester dans la mémoire des manifestants d’aujourd’hui. En une année, près de 4 000 d’entre eux ont choisi l’exil après ces répressions. Bouteflika pouvait s’en passer, lui et ses hommes peuvent se faire soigner en France ou en Suisse. Au catalogue des reproches, on peut ajouter des objets qui définissent l’Algérie d’aujourd’hui, sous le règne de l’immobilité : au début de l’été dernier, 700 kg de cocaïne sont découverts sur le port d’Oran, dans un conteneur. L’affaire est un scandale d’État et éclabousse jusqu’au patron de la police, ses proches, son chauffeur et un importateur de viande. Le scandale se double d’un autre : le Boucher, comme l’appellent les Algériens, avait enregistré des centaines d’heures de vidéo de clients corrompus pour un passe-droit, une autorisation d’urbanisme, un verdict de procès. Il s’agit de très hauts fonctionnaires d’État, de magistrats, de préfets, de ministres, de fils d’apparatchiks, de directeurs centraux… On découvre la réalité de ce régime, ses tarifs, sa décadence accélérée. D’autres objets signent ce règne féroce : les communiqués contradictoires de la présidence à propos des listes des nouveaux gouvernements, les lettres de Bouteflika à la paternité douteuse, les nominations de ministres qui durent dix minutes, comme celle d’un ministre du tourisme nommé et remercié, deux fois, en moins d’une heure. Signes d’un éclatement de l’autorité, d’une usurpation du mandat, preuves d’un usage de faux au plus haut sommet du pays. On peut citer les images d’un président au si lent trépas diffusées cycliquement pour prouver qu’il y a une vie dans le palais et, dernièrement, surtout, le fameux cadre. C’est peut-être ce que l’histoire gardera de ce règne : le rite de la photo de Bouteflika, un cadre présenté aux Algériens pour qu’ils l’embrassent et l’élisent. Ce cadre, portrait muet et photoshopé jusqu’à l’outrance, est promené lors des défilés nationaux. On a vu le gouvernement et la hiérarchie du pays se lever pour le saluer aux fêtes de l’indépendance, on a vu le ministre de l’intérieur le décorer, on a vu des foules se pousser du coude autour pour se reprendre en photo avec… la photo, on a vu des tribus offrir un cheval au cadre. On a vu de jeunes blogueurs condamnés à de la prison pour avoir moqué ce portrait. Cette religion du cadre a été l’ultime mépris, l’insulte suprême, le crachat absolu. Les nouvelles générations le ressentent comme l’humiliation de trop. C’est donc le portrait le plus coûteux de l’histoire algérienne : il nous a coûté des décennies d’immobilité et de rapine, il va nous coûter une révolution lourde, dangereuse, belle et longue. Si on doit être gouverné par un cadre, autant que cela soit Mona Lisa, brandissaient des jeunes lors des marches flamboyantes du 1° mars. Humour, blessure, fierté, danger, révolte, colère et inquiétude. C’est tout cela mon pays aujourd’hui.
Le destin de Bouteflika sera celui des décolonisateurs en chef (et de leurs courtiers), qui ne savent pas mourir, partir dignement, accepter le temps. Il aurait pu sortir par la grande porte et préserver la mémoire de sa personne et l’avenir des enfants de l’Algérie. Il ne l’a pas fait.
Kamel Daoud, écrivain, Le Monde du 11 03 2019
En octobre 2018, après le 1° crash, Boeing s’était engagé à revoir le logiciel de bord… Ça n’a donc rien donné et de toutes façons le problème n’est pas là ; le problème c’est de savoir quelle est l’autorité qui, au bout de la chaîne décide d’accepter telle ou telle innovation ; en d’autres termes le pouvoir doit-il être intégralement entre les mains des ingénieurs, ou bien doit-il être entre les mains d’un collège de sages qui décide si oui ou non, l’innovation proposée doit être acceptée ou refusée, le principe de base étant qu’il y ait en permanence la possibilité pour le commandant de bord de passer en pilotage manuel dès qu’il le juge nécessaire : que ce soit l’humain qui, finalement, puisse prendre la main sur les automatismes, l’informatique, l’électronique. On a laissé les ingénieurs jouer les apprentis sorciers… et le bilan est dramatique.
Très vite, la Chine interdira de vol ces appareils, suivie de l’Indonésie, de l’Europe et finalement, le 13 mars des États-Unis. Depuis mai 2017, 367 Boeing 737 MAX 8 et MAX 9 ont été livrés. Boeing va devoir corriger as soon as possible les erreurs transmises par le capteur défectueux. Mais pour finir, cela ne se fera pas et, mi décembre 2019, Boeing décidera l’arrêt pour deux mois de la production de ce 737 MAX 8 et MAX 9. Le 6 mars 2020, la Commission de transport du Congrès américain qualifiera le 737 Max, cloué au sol depuis près d’un an d’avion fondamentalement défectueux et dangereux.
12 03 2019
Le porte-conteneur de 213 mètres de long Grande America, construit en 1994, de l’armateur italien Grimaldi Groupa transporte de Hambourg à Casablanca 365 conteneurs dont 45 de matières dangereuses – acides chlorhydrique, sulfurique -, et à peu près 2 000 belles voitures dans les autres. Il a dans ses soutes 2 200 tonnes de fuel lourd. Le feu a pris deux jours plus tôt et il n’est pas parvenu à le maîtriser. Le bateau prend de la gîte, des conteneurs tombent à l’eau et il coule à 15 h 26′, par 4 500 mètres de fond, à 333 km à l’ouest de La Rochelle, au sud-ouest de Pen Mach. La marine anglaise n’a pu que sauver l’équipage. Il est possible que le navire ait coulé par la déstabilisation de son assiette due aux quantités d’eau reçues par les navires qui cherchaient à éteindre l’incendie ! Et encore une marée noire pour les côtes charentaises, une pollution atmosphérique avec les acides qui ont brûlé, et une pollution pour les fonds marins qui vont accueillir le navire. Cette acidification des océans tue essentiellement les coraux. La moyenne annuelle des naufrages de navires marchands est de 115 à 120 par an.
Demi couronne des plus grosses marées noires, sur le pourtour ouest de la Bretagne :
1967 | Torrey Cañon | 121 000 tonnes |
1976 | Olympic Bravery | 1 200 tonnes |
1978 | Amoco Cadiz | 223 000 tonnes |
1979 | Gino et Team Costa | 32 000 tonnes |
1980 | Tanio | 6 000 tonnes |
1988 | Amazzone | 2 100 tonnes |
1999 | Erika | 20 000 tonnes |
1999 | Boehlen | 7 000 tonnes |
2019 | Grande America | 2 200 tonnes |
14 03 2019
Double attentat à Christchurch, la ville de l’île du sud de la Nouvelle Zélande, sur deux mosquées : 50 morts, 50 blessés, causé par trois hommes et une femme. L’un des hommes, australien est un fou furieux d’extrême droite, abritant sa folie derrière l’idée du Grand Remplacement, chère à ces extrémistes. Le fou a fait le nécessaire pour être vu sur Facebook. Et le tout va donc être en direct sur Facebook pendant vingt-neuf minutes… oui, vingt-neuf minutes avant qu’un type réalise de quoi il s’agissait : eh, mais, ce n’est pas un jeu, ça !
C’est le pire raté de l’histoire de la modération sur les réseaux sociaux.
Romain Badouard
Jacinda Ardern, première ministre depuis octobre 2017, aura des accents et une empathie qui conforteront encore sa popularité, déjà grande. Quand elle a parlé, il ne se trouve personne pour s’opposer à elle, rapporte-t-on de là-bas. Mais elle rendra son tablier en janvier 2023, épuisée.
15 03 2019
Le cyclone Idai, avec ses vents de 200 km/h ravage le Mozambique et particulièrement les 400 000 habitants de Beira. Les deux rivières Pungwe et Buzi débordent très largement. Il poursuit son œuvre de mort sur le Zimbabwe puis le Malawi. On compte au total au moins 847 morts, 1 428 cas de choléra, 600 000 déplacés. 385 000 ha de terres agricoles sont dévastées. Au Zimbabwe, on compte 259 morts, 200 disparus, 400 000 personnes déplacées, et au Malawi, 56 morts, 577 blessés, 94 000 déplacés.
22 03 2019
L’Italie signe avec la Chine un protocole d’accord avec la BRI – Belt and Road Initiative – l’acronyme anglais des Routes de la Soie -, plutôt flou, où la Chine prendrait une part prédominante dans la gestion des ports de Gênes et de Trieste. En tant qu’État, elle est la première du G 7 à le faire. Ceci dit, les Italiens n’ont pas attendu la venue en mars 2019 de Xi Jinping pour commencer à se vendre à la Chine : Pirelli, en 2015, les clubs de foot de l’AC Milan à la famille Moratti et de l’Inter de Milan à Berlusconi en 2016, les fameux in-board Riva, et quelques autre pépites moins brillantes mais tout aussi riches de promesses, la plateforme ferroviaire géante de Mortara, 12 000 vélos en libre-service à Milan dès l’automne 2017…
23 03 2019
Ancestrales rivalités ethniques ? Terrorisme qui se masque derrière ces rivalités : la mort, le feu et la désolation passent sur le village peul d’Ogossagou, dans le centre-est du Mali. On ne saura probablement jamais si c’est le fait de Dogons, comme le prétendent les Peuls ou de terroristes.
11 04 2019
Les 16 statues de cuivre que Viollet le Duc avait demandées à Geoffroy de Chaumont en 1859, sur les angles de la flèche de Notre Dame de Paris sont déposées pour restauration, entreposées à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Quatre jours plus tard, toutes les 16 se dirent : eh bien, on l’a échappé belle !
15 04 2019
La malédiction attente au cœur de la France : Notre Dame de Paris est la proie des flammes. Les dommages ne seront pas irrémédiables, mais la stupeur et la tristesse insondables. Perluigi Pericolo, l’architecte italien, restaurateur de la basilique Saint Donatien et Saint Rogatien qui a brûlé à Nantes en 1972, estimera entre deux et cinq ans la durée pour la seule sécurisation du chantier.
Cet accident qui n’aura laissé aucun Français – et tant d’autres, amis et étrangers – indifférent est une occasion unique de créer un environnement particulier pour définir qui fait quoi ? , et sortir pour une fois des pseudo contraintes de l’urgence pour déterminer un plan d’action ; on met autour d’une table les gens compétents pour dresser d’abord un état des lieux, réfléchir, et ensuite construire un programme de travaux, sans que l’urgence soit déterminante ; on laisse le temps au temps, on prend le temps de réfléchir, on fait du bon boulot. Au lieu de quoi Emmanuel Macron, président de la République, Anne Hidalgo Maire de Paris, en fixant arbitrairement à cinq ans la durée des travaux de reconstruction, trois jours après l’incendie, seront restés le nez collé sur le guidon, scotchés aux fausses urgences, et auront perdu une belle occasion de se taire, ce qui aurait été preuve de sagesse. Il faut que les travaux de Notre Dame de Paris soient terminés pour les Jeux Olympiques de 2024 ! Et pourquoi donc ? Aurait-elle eu l’intention de créer une épreuve de calvaire, avec chemin artificiel grimpant jusqu’aux tours, et treize stations avec hamburgers et coca cola à chacune d’elle, puis descente en rappel entre les deux tours ? Les premiers à regretter cette hâte idiote seront les archéologues auxquels on comptera le temps … non seulement ils avaient un peu cherché, mais en plus ils avaient trouvé…. et quelques mois de plus leur auraient permis de trouver certainement beaucoup plus ….
La presse, quant à elle, tous médias confondus, ne pourra s’empêcher de ressortir les vieilles lunes des cultureux : la querelle des Anciens et des Modernes, réactivée quant aux choix à opérer en matière du matériau à utiliser pour refaire la charpente, béton, fer ou bois ? sans se soucier jamais du nombre et de l’identité de ceux qui représenteraient le camp des Anciens… on a vu cité le nom de l’architecte Roland Castro, qui aujourd’hui, ne pèse pas plus lourd que le Parti communiste auquel il a appartenu et ensuite … rien … personne. Cette querelle est creuse, vide, morte depuis longtemps, peut-être depuis que la charpente de la cathédrale de Chartres, incendiée en 1838 a été refaite en fer, et tout le monde ou presque s’accorde à dire qu’il faut choisir un matériau plus facile à mettre en œuvre que le bois.
Autre vieille lune des démagos de tous poils : la rapidité et la spontanéité avec laquelle ont été effectués les premiers dons, – 340 000 donateurs de 150 pays qui auront donné 845 millions € au final. Pour les 9 millions de citoyens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, on ne trouve que des miettes, et là l’argent tombe comme à Gravelotte ! C’est scandaleux ! Éternelle rengaine que le quotidien des choix budgétaires faits en France vient démentir tous les jours : car tout au long de l’année, pour ne prendre qu’un exemple, on fait fonctionner l’Opéra avec les sous du contribuable, les recettes de billetterie étant bien loin d’atteindre le niveau des dépenses, et pourtant les places ne sont pas données, et seuls peuvent se les offrir des vraiment riches. Le nivellement qui consiste à donner en prestations sociales l’argent de la culture est un machin qui sort de la tête d’un khmer rouge, c’est un déni de civilisation. La vie d’un pays n’est pas aussi simpliste que cela. Nulle part, cela n’a marché comme ça, et quand, par volontarisme borné, on s’y est essayé, cela a conduit aux catastrophes de la Chine de Mao, des Khmers Rouges au Cambodge, ou plus proche, au Venezuela de Nicolas Maduro.
Tel un vaisseau de pierre majestueux enserré par les deux bras de la Seine, Notre Dame semblait, depuis toujours, entretenir un dialogue singulier avec l’histoire des hommes et l’éternité des dieux. Les flammes terribles, voraces, longtemps insatiables qui ont ravagé la cathédrale
de Paris, lundi 15 avril, n’auront pas mis un terme à ce dialogue. Mais elles y auront ajouté la sidération de la catastrophe, le drame des Parisiens, le deuil de la France touchée au cœur et cette immense onde de tristesse qui a parcouru la planète à la vue du désastre en direct par ces millions de voyageurs qui la visitaient chaque année. Tout se mêlait dans l’émotion de tous et les sanglots étouffés de beaucoup. Pour les chrétiens, d’abord, en ce début de semaine sainte, en cette veille de Pâques, Notre Dame était depuis plus de huit siècles – depuis quinze siècles même dans sa forme mérovingienne antérieure – un des hauts lieux d’une foi qui a façonné l’Europe à travers les âges. Contrairement à bien d’autres, si elle n’avait pas toujours résisté à l’usure du temps, la cathédrale avait échappé aux flammes qui en avaient détruit bien d’autres. Sa charpente médiévale, cette forêt mystérieuse, est aujourd’hui en cendres. Pour les Parisiens, trônant au cœur de l’île de la Cité où Lutèce était née, sa longue et haute nef, ses deux tours massives et cette flèche (rajoutée au XIX° siècle par Viollet le Duc, 500 tonnes de chêne, 460 tonnes de plomb qui a l’avantage de bien résister à l’érosion mais l’inconvénient de fondre vite au feu [1]) qui s’est effondrée, hier, dans une gerbe de feu, dessinaient immanquablement la silhouette de la ville, comme son pôle magnétique. Pour tous les amoureux d’art et de civilisation, elle était ce joyau gothique somptueux, miracle d’architecture et musée inestimable qu’il faudra des années, des décennies sans doute pour réparer et restaurer. La géographie, l’histoire, la littérature en ont fait l’épicentre du pays. Sur son parvis se situe le point zéro à partir duquel est calculée la distance à la capitale du moindre bourg de France. Sa nef a accueilli quelques uns des plus riches chapitres du roman national. Les rois étaient sacrés à Reims et inhumés à Saint Denis, mais pendant des siècles la monarchie est venue s’agenouiller à Notre Dame, y célébrer mariages et Te Deum de victoires. Une décennie après la Révolution qui ne l’épargna pas complètement, Napoléon s’y fit couronner empereur en 1804.
La République, elle même, en a fait bien souvent le lieu de ses triomphes et de ses peines. C’est le bourdon de Notre Dame qui sonna le premier la victoire, le 11 novembre 1918. C’est dans cette cathédrale, prise sous les tirs des desperados de la Collaboration, que le général de Gaulle vint célébrer la libération de la capitale le 26 août 1944. Là encore que se rassemblèrent tous les grands de la planète en 1970, 1974 et 1996 pour saluer, lors de messes solennelles, la mort de trois présidents de la République, de Gaulle, Pompidou et Mitterrand. Sur la face de cette vieille reine de nos cathédrales, à côté d’une ride, on trouve toujours une cicatrice, avait écrit Victor Hugo, chantre de Notre Dame de Paris. La
cicatrice, cette fois ci, sera ineffaçable. Nous rebâtirons cette cathédrale, a assuré Emmanuel Macron au soir de la catastrophe. Mais aussi fort soit-il, cet engagement ne pourra effacer avant longtemps les images terribles de cet immense brasier qui n’aura épargné de Notre Dame que son squelette de pierre et la mémoire d’une poignante soirée de deuil, national et planétaire.
Éditorial. Le Monde du 16 04 2019
Professeur au département d’histoire de l’art et d’architecture de l’université américaine Columbia, conservateur au département d’architecture et de design au Museum of Modern Art de New York, Barry Bergdoll a signé la lettre ouverte à Emmanuel Macron publiée, le 28 avril, sur le site du Figaro. Avec 1 180 historiens de l’art, architectes des monuments historiques, conservateurs, architectes, il y interpelle le président de la République française sur la question de la restauration de Notre Dame, lui enjoignant de faire preuve de la plus grande prudence dans ce dossier, de s’en remettre aux experts et de maintenir le projet dans le cadre législatif de la protection des monuments historiques.
Comment cette lettre ouverte à Emmanuel Macron vous est-elle parvenue ?
Des historiens de l’architecture, des acteurs du patrimoine français sont nombreux à l’avoir fait circuler. J’ai dû la recevoir trois fois en moins d’une demi-heure.
Qu’est-ce qui vous a incité à la signer ?
La précipitation avec laquelle les annonces sur la reconstruction ont été faites. Après un incendie aussi intense, il faut beaucoup de temps pour comprendre les enjeux de la restauration, en particulier pour un édifice aussi complexe. aujourd’hui, on ne connaît pas l’état des voûtes, on ne sait pas quelle température a été atteinte à l’intérieur… Imaginer un concours dans ces conditions, c’est comme construire un bâtiment sans connaître l’état géologique du site.
Le gouvernement a décidé d’affranchir Notre-Dame de la loi sur la protection du patrimoine. Cette décision vous semble-t-elle justifiée ?
C’est très dangereux. Je me demande s’il y aurait eu ne serait-ce qu’un début de discussion sur le sujet s’il s’agissait des cathédrales de Laon, de Senlis ou de Bourges… Du point de vue de l’histoire de l’art, elles sont aussi importantes que Notre-Dame de Paris. Si Notre-Dame fait exception, c’est par sa renommée. Je ne vois pas en quoi cela devrait lui conférer un statut spécial au regard de la loi sur les monuments historiques.
Avez-vous un point de vue tranché sur la forme que devrait prendre la nouvelle flèche ?
Je suis historien du XIX° et du XX°, progressiste, favorable a priori au contemporain… Ceux qui me connaissent pourront être surpris que je ne prenne pas d’emblée parti pour la contemporanéité. Mais c’est une question de conservation du patrimoine. Personne n’envisage de ne pas reconstruire à l’identique les voûtes qui se sont effondrées. Dans tout ce débat, on a l’impression que l’histoire de la cathédrale s’est arrêtée en 1400. Je ne comprends pas pourquoi on respecte religieusement le médiéval tout en étant prêt à se débarrasser de ce qui vient après Eugène Viollet-le-Duc, un des grands architectes du XIX°. J’ai l’impression d’être revenu aux années 1960, quand il était considéré comme un pasticheur ! On raisonne qui plus est comme si son intervention sur Notre-Dame se résumait à la flèche. C’est complètement faux ! Sans parler des statues qui faisaient partie de la flèche et qui ont été sauvées. Faut-il les réintégrer à la nouvelle flèche ? Qui écrit le programme du concours ? Je ne suis pas sûr que l’on puisse régler ces questions dans l’arène politique…
L’idée d’une flèche contemporaine vous paraît-elle indéfendable ?
Je défends l’idée de reconstituer celle de Viollet-le-Duc si c’est possible. Tout dépendra de la charpente qu’on va reconstruire, de la structure qu’elle va former avec les voûtes. Ce bâti invisible n’a pas besoin selon moi d’être reconstruit à l’identique (même si on a toutes les données pour le faire, l’espace de la cathédrale ayant été intégralement scanné en 3D). Si jamais il n’était pas capable de soutenir la flèche de Viollet-le-Duc, alors oui, un concours d’idées, le plus ouvert possible, deviendrait légitime. Mais annoncer d’emblée que l’on va refaire la flèche dans un esprit XXI° siècle me semble aberrant. Une flèche ce n’est pas un chapeau ! On ne peut la concevoir indépendamment de la charpente. Je suis un peu sidéré que des architectes de très grande renommée aient pu avoir l’idée de publier des images aussi vite.
Y a-t-il des cas d’école qui auraient pu servir d’exemple ?
Chaque cas est particulier. Si un édifice a été démoli et qu’on l’a laissé à l’état de ruine pendant cinquante ans, comme ce fut le cas de la Frauenkirche de Dresde, par exemple, cela signifie qu’on n’estimait pas que la population en avait besoin pour panser sa blessure. Reconstruire à l’identique dans ce genre de cas, c’est du pastiche, une nostalgie ridicule. La reconstruction à l’identique de la cathédrale de Reims après la première guerre mondiale, ou du dôme et de la chapelle du Saint Suaire à Turin, après l’incendie qui les ont ravagés en 1997, se justifient de manière beaucoup plus évidente, parce que leur destruction a constitué un choc dans le corps social.
En tant qu’Américain, l’afflux massif de fonds privés pour reconstruire la cathédrale a dû vous sembler familier…
Ce qui est un peu inédit, il me semble, c’est la rencontre, avec ce mécénat publicitaire, entre ce secteur du patrimoine qui est, en France, de la responsabilité de l’État depuis les années 1840, et les grandes fortunes. Dans le contexte de la crise des gilets jaunes, on peut se demander si c’était judicieux politiquement. Vu de loin, les débats sur le sujet paraissent aussi incendiaires que l’événement lui-même.
Comment avez-vous réagi à l’incendie, sur le moment ?
J’ai appris la nouvelle quasi instantanément, par les alertes du New York Times et du Monde, alors que j’étais en route pour l’aéroport. Au bout de quelques minutes, les chaînes de télévision américaines ont commencé à m’appeler, me demandant de venir en studio. La flèche n’était même pas encore tombée ! J’ai envisagé de repousser mon voyage d’une journée et puis j’ai renoncé, je suis content d’avoir pris cette décision. Cela m’a évité de me retrouver dans un studio à raconter des choses dont j’aurais ensuite pu me dire que c’étaient des bêtises.
Cette culture médiatique de l’immédiateté se heurte au temps long des monuments historiques…
Il n’est jamais bon de réagir sous le coup de l’émotion… J’aurais aimé que le président Macron puisse dire : nous allons prendre le temps de la réflexion… Une fois les annonces publiques faites, c’est difficile de faire marche arrière. L’annonce du concours d’architecture m’a rappelé l’époque des grands travaux de Mitterrand. Le soir où il a annoncé avoir choisi le projet de Dominique Perrault pour la Bibliothèque nationale de France, il en montrait les images à la télévision. Dès lors, tous les ajustements ont dû s’inscrire à l’intérieur de ce qui avait été montré à la télévision. Je vois un parallèle entre les deux situations : des annonces précipitées qui réduisent terriblement la marge de manœuvre. C’est le problème des concours d’architecture, qui ont une visibilité politique énorme. Une consultation n’aurait pas le même effet.
Pensez-vous que cette tribune puisse concrètement être suivie d’effets ?
Je suis tellement francophile que j’ai espoir que l’on revienne à quelque chose de rationnel – un espoir que je n’ai plus loisir de formuler dans mon pays. Mais je sais que je suis un peu romantique dans mon rapport à la France.
propos recueillis par isabelle regnie. Le Monde du 4 mai 2019
Finalement, on prendra le temps qu’il faut, pour qu’en juillet 2020 Roselyne Bachelot, toute nouvellement nommée à la Culture, annonce qu’un large consensus se dégage dans l’opinion publique et chez les décideurs pour la reconstruction à l’identique. S’agit-il d’une faute, s’agit-il d’une erreur ? Que nenni, il s’agit d’une démission ; ces bâtisseurs ont refusé tout simplement de faire leur métier, c’est à dire de restaurer une œuvre du XIII° siècle en mettant en œuvre des outils et des matériaux du XXI° siècle : l’esprit de musée l’a emporté sur la vie, le conservatisme et la reproduction à l’identique qu’a fustigé Ayn Rand pendant la deuxième guerre mondiale dans Foutainhead ont pesé plus lourd que le courage de faire son métier. Mais il est vrai que le courage n’est pas la qualité dominante de notre époque. Jean-Michel Wilmotte, qui a fait les dômes de la cathédrale orthodoxe de Paris en résine dorée, déplore vigoureusement cette décision : Quelle occasion manquée. Imaginez des éléments de charpente en fibre carbone, profilés au millimètre, tous identiques, sortis des logiciels surpuissants de chez Dassault Systèmes, qui arriveraient par la voie fluviale et que l’on pourrait monter en chaine, clac-clac-clac ! en quelques mois, au vu de tous, pour rendre au toit sa forme. Quel gain de temps et d’argent ! Quelle extraordinaire vitrine pour le savoir-faire français et l’excellence de nos ingénieurs ! Et quelle école ce serait pour nos compagnons du III° millénaire. Les bras m’en tombent … Alors que là, on va couper des chênes pluri-centenaires qu’on va assembler comme au XIII° siècle. J’aurais bien vu la flèche en résine moulée, bardée de titane et non pas de plomb, un matériau obsolète et polluant… On aurait même pu y inclure des fibres optiques pour en faire, la nuit, une aiguille de lumière.
On ne peut s’empêcher de penser à Alexis Léger – alias Saint John Perse – secrétaire général du Quai d’Orsay en 1938 et membre à ce titre de la délégation de la France aux accords de Munich, et qui, interrogé aux portes de son hôtel à Munich :
Mais enfin, Monsieur l’Ambassadeur, cet accord, c’est quand même un soulagement, non ?
Ah oui, un soulagement… comme lorsqu’on a fait dans sa culotte !
*****
Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. Au-dessous de cette flamme, au-dessous de la sombre balustrade à trèfles de braise, deux gouttières en gueules de monstres vomissaient sans relâche cette pluie ardente qui détachait son ruissellement argenté sur les ténèbres de la façade inférieure. À mesure qu’ils approchaient du sol, les deux jets de plomb liquide s’élargissaient en gerbes, comme l’eau qui jaillit des mille trous de l’arrosoir. Au-dessus de la flamme, les énormes tours, de chacune desquelles on voyait deux faces crues et tranchées, l’une toute noire, l’autre toute rouge, semblaient plus grandes encore de toute l’immensité de l’ombre qu’elles projetaient jusque dans le ciel. Leurs innombrables sculptures de diables et de dragons prenaient un aspect lugubre. La clarté inquiète de la flamme les faisait remuer à l’œil. Il y avait des guivres qui avaient l’air de rire, des gargouilles qu’on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée. Et parmi ces monstres ainsi réveillés de leur sommeil de pierre par cette flamme, par ce bruit, il y en avait un qui marchait et qu’on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher comme une chauvesouris devant une chandelle. Sans doute ce phare étrange allait éveiller au loin le bûcheron des collines de Bicêtre, épouvanté de voir chanceler sur ses bruyères l’ombre gigantesque des tours de Notre Dame. Il se fit un silence de terreur parmi les truands, pendant lequel on n’entendit que les cris d’alarme des chanoines enfermés dans leur cloître et plus inquiets que des chevaux dans une écurie qui brûle, le bruit furtif des fenêtres vite ouvertes et plus vite fermées, le remue-ménage intérieur des maisons et de l’Hôtel Dieu, le vent dans la flamme, le dernier râle des mourants, et le pétillement continu de la pluie de plomb sur le pavé. […] Œuvre colossale d’un homme et d’un peuple […] sorte de création humaine en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité. […] Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre.
Victor Hugo. Notre Dame de Paris. 1482, livre X, chapitre 4.1831
Notre dame est bien vieille : on la verra peut être
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître ;
Mais, dans quelque mille ans, le Temps fera broncher
Comme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher !
Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor :
Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort !
Gérard de Nerval. Œuvres complètes, VI, Poésies complètes. 1831
Je voulais du moins parler de Notre Dame de Paris. Mais quelqu’un a marqué ce monument d’une telle griffe de lion, que personne désormais ne se hasardera d’y toucher. C’est sa chose désormais, c’est son fief, c’est le majorat de Quasimodo. Il a bâti, à côté de la vieille cathédrale, une cathédrale de poésie, aussi ferme que les fondements de l’autre, aussi haute que ses tours. Si je regardais cette église, ce serait, comme livre d’histoire, comme le grand registre des destinées de la monarchie. On sait que son portail, autrefois chargé des images de tous les rois de France, est l’œuvre de Philippe Auguste ; le portail sud est de saint Louis, le septentrional de Philippe le Bel ; celui-ci fut fondé de la dépouille des Templiers, pour détourner sans doute la malédiction de Jacques Molay. Ce portail funèbre a dans sa porte rouge le monument de Jean sans Peur, l’assassin du duc d’Orléans. La grande et lourde église, toute fleurdelisée, appartient à l’histoire plus qu’à la religion. Elle a peu d’élan, peu de ce mouvement d’ascension si frappant dans les églises de Strasbourg et de Cologne. Les bandes longitudinales qui coupent Notre Dame de Paris arrêtent l’élan ; ce sont plutôt les lignes d’un livre. Cela raconte au lieu de prier. Notre Dame de Paris est l’église de la monarchie ; Notre Dame de Reims, celle du sacre. Celle-ci est achevée, contre l’ordinaire des cathédrales. Riche, transparente, pimpante dans sa coquetterie colossale, elle semble attendre une fête ; elle n’en est que plus triste, la fête ne revient plus.
Jules Michelet. Histoire de France, Éclaircissements, à la suite du livre IV. 1833
Monsieur le ministre,
En nous chargeant de la rédaction du projet de restauration de la cathédrale de Paris, nous ne nous sommes pas dissimulé ni l’importance de la tâche que vous vouliez bien nous confier, ni la gravité des questions et des difficultés que nous aurions à résoudre. Dans un semblable travail on ne saurait agir avec trop de prudence et de discrétion ; et nous le disons les premiers, une restauration peut être plus désastreuse pour un monument que les ravages des siècles et des fureurs populaires ! Car le temps et les révolutions détruisent mais n’ajoutent rien. Au contraire, une restauration peut, en ajoutant de nouvelles formes, faire disparaître une foule de vestiges dont la rareté et l’état de vétusté augmentent même l’intérêt. Dans ce cas, on ne sait vraiment ce qu’il y a de plus à craindre, ou de l’incurie qui laisse tomber à terre ce qui menace ruine, ou de ce zèle ignorant qui ajoute, retranche, complète, et finit par transformer un monument ancien en un monument neuf, dépouillé de tout intérêt historique. Aussi comprend on parfaitement qu’à la vue de semblables dangers l’archéologie se soit émue, et que des hommes entièrement dévoués à la conservation de nos monuments aient dit : En principe, il ne faut pas restaurer ; soutenez, consolidez, remplacez, comme à l’arc d’Orange, la pierre entièrement rongée par la pierre neuve, mais gardez-vous d’y tailler des moulures ou des sculptures.
Eugène Violet le Duc. Projet de restauration de Notre Dame de Paris, rapport de MM. Lassus et Viollet le Duc adressé au ministre de la justice et des cultes. 1843
Que subsiste-t-il d’authentique dans cette église ? L’ossature dont d’incessantes réparations n’ont pas trop adultéré les contours et les deux roses du transept qui sont demeurées presque intactes ; le reste est neuf. Les verreries de la nef, du chœur, des chapelles, ont été brisées et des peintures cuites par d’absurdes vitriers les remplacent ; le jubé a été démoli, le vieil autel avec ses colonnes de cuivre et sa pyxide suspendue a été jadis bazardé, on ne sait où ; la statue colossale de saint Christophe qui se tenait debout, à l’entrée du vaisseau, a disparu de même que les stalles du XIV° siècle. Quant aux châsses, elles ont été fondues par les sans-culottes et les carreaux noirs et blancs d’un jeu de dames suppléent aux pierres tombales, gravées d’effigies et d’inscriptions, qui pavaient autrefois son sol. (…)
Telle qu’elle est, elle assume néanmoins encore une magnifique allure avec sa nef plantée de lourds piliers, son arc triomphal ouvrant sur la baie géante du chœur, ses colonnes filant d’un jet jusqu’aux voûtes ; sans doute, elle n’a pas la légèreté des basiliques d’Amiens et de Chartres qui s’effusent, ravies, en plein ciel ; elle, ne sort pas d’elle-même, elle tient à la terre et ne s’en arrache point ; mais ce qu’elle reste majestueuse et ce qu’elle apparaît, à cause même de sa pesanteur, grave ! Elle semblerait, en somme, plutôt dédiée au Dieu sévère de la Genèse qu’à l’indulgente Vierge, si la gracilité de son transept ne vous révélait qu’elle est bien, en effet, placée sous le vocable de Marie et qu’elle s’effile à son image, et qu’elle sourit divinement et qu’elle s’humanise. Ce transept est la partie vraiment supérieure de Notre Dame ; les murs s’émincent et, pour s’alléger encore, cèdent la place aux verres ; et ses deux roses sont des roues de feu, aux moyeux d’améthyste, des roues où le violet de cette gemme, symbole de l’innocence et de l’humilité, domine ; c’est une féerie quand le soleil pénètre dans le vide vitré des trous ; il longe les rais amenuisés de pierre, allume entre eux des grappes de flammes, fulgure comme un bouquet d’artifice, dans le cercle des jantes. Ce sont les roues en ignition du chariot d’Elie et l’on dirait également de ces touffes remuées de lueurs, des fleurs de braises écloses dans une serre ronde de verre. La gloire de Notre Dame de Paris est là (…).
Joris-Karl Huysmans. Almanach du bibliophile, Le quartier Notre Dame 1899
Enserrée par les bras d’un fleuve puissant qui s’entrouvre pour mieux enchâsser un chevet audacieux et fier et ainsi le mieux mettre en valeur, Notre Dame de Paris semble recevoir avec un noble dédain cet hommage rendu par l’eau à un monument aussi superbement embossé. Elle paraît ignorer tout ce qui s’agite à ses pieds tant la tension verticale qui l’anime est forte. Elle poursuit sans effort le long dialogue qu’elle entretient depuis le XII° siècle avec l’éternité. C’est ainsi qu’elle apparaît à celui qui descend le cours de la Seine. Toute différente est l’impression de celui qui l’aborde par l’ouest. Le long chemin qu’il doit effectuer avant de parvenir au pied de sa façade se révèle écrasant tant lui paraît immense le splendide isolement. Comment tenter de renouer un ancien dialogue entre la ville et l’édifice, autrefois si intense lorsque la cathédrale se trouvait enveloppée par la vie grouillante que Victor Hugo a su ressusciter dans son Notre Dame de Paris ? L’évocation se révélait, à l’époque, plus aisée qu’aujourd’hui, la Cité n’ayant pas encore été éventrée. La réalité actuelle appartient entièrement au XIX° siècle qui a réussi à modeler petit à petit Notre Dame à son propre imaginaire. Notre Dame y a perdu sa signification première au profit d’une nouvelle que lui donnent les foules qui l’envahissent sans vouloir y chercher un lieu de recueillement. Notre Dame n’est plus l’émergence d’une réalité plus vaste, elle se suffit aujourd’hui à elle-même. Dans l’inconscient collectif, elle appartient à ces monstres sacrés qui sont symboles de Paris, rivalisant avec la tour Eiffel, le Centre Georges Pompidou, le Louvre, le tombeau de Napoléon I°. Elle est mémoire d’une histoire, d’ailleurs mal perçue, elle témoigne d’un des grands moments de l’architecture. À la signification religieuse qui était la sienne à son origine succède une symbolique nouvelle qui est celle de notre temps. Ce lien étrange que le monde moderne a fait naître n’apparaît que renouvelé. À cet égard, le destin de la cathédrale de Paris est unique car chaque époque a créé son imaginaire, chargeant l’édifice d’une dimension particulière. Au XIX° siècle, elle est d’ordre politique. Les millions de visiteurs qui y circulent chaque année en sont-ils conscients ? Ils n’en retiennent finalement que l’aspect esthétique qui les frappe plus ou moins profondément. Comment comprendraient-ils aujourd’hui la dimension du Vœu de Louis XIII dans une présentation du XIX° siècle qui a supprimé tout symbolisme dans sa volonté banalisatrice ? C’est ce même découragement qui saisit l’historien lorsqu’il s’efforce de comprendre le lien qui s’est établi entre le monument et les hommes. (…) La cathédrale de Paris n’est plus au centre de la vie urbaine, elle se trouve isolée au milieu d’une activité administrative sans âme. Le clergé vit douloureusement cet isolement. La république ignore ce grand corps qu’elle admire et redoute tout à la fois. Elle y trouve un recours dans chacun de ses moments de désespoir, tentant de fléchir un Dieu qu’elle feint par ailleurs d’ignorer mais qu’elle implore. En 1876, c’est la rentrée des Chambres ; le 16 janvier 1881, des prières publiques. Mais c’est la mort qui paraît appeler cet immense vaisseau. Les funérailles nationales de Sadi Carnot, assassiné le 24 juin 1894, présidées par Casimir Périer, donnent lieu le 1° juillet 1894 à un immense cortège qui part de l’Élysée, passe par la Concorde, l’Hôtel de Ville, mais s’arrête à Notre Dame avant de se diriger vers le Panthéon. Le même char devait servir à Félix Faure le 23 février 1899 dont les funérailles sont également célébrées à Notre Dame. Le décor imaginé s’inspire de ceux de la Restauration : les murs sont tapissés de draperies noires rehaussées de bandes blanches, des trophées de drapeaux alternent avec les initiales du président. Un immense catafalque entouré de statues a été établi dans le sanctuaire. Notre Dame va vivre au cours du XX° siècle au rythme des joies et des désespoirs de la nation ; l’archevêque accueille ces fidèles du malheur ou du bonheur, qui découvrent brusquement que Dieu est le dernier recours et, surtout, Notre Dame : 13 septembre 1916, quatre mille personnes se pressent autour du cardinal Amette pour implorer la clémence divine. Mais c’est principalement le vibrant Te Deum de la victoire le 17 novembre 1918 qui rassemble le clergé, l’armée, la République et l’Alsace. C’est un prêtre alsacien qui célèbre la messe. Les funérailles du maréchal Foch le 26 mars 1929 qui rassemblent la République, l’armée, les Alliés. En 1934, celles de Raymond Poincaré. En 1936, celles de Charcot et de ses compagnons. En 1937, le cardinal Pacelli, futur pape sous le nom de Pie XII, va dire à Notre Dame ce qu’est la Vocation de la France, qui s’incarne en Notre Dame, l’âme de la France. Le 21 mai 1944, des prières publiques sont dites pour la France. À cette occasion le cardinal Suhard prononce la consécration de la ville et du diocèse à la Vierge : Notre Dame de Paris, vous qui êtes à la fois Reine de la France et Reine de la paix, daignez nous écouter. Le 26 août 1944, c’est le Te Deum de la victoire en présence du général de Gaulle. 8 décembre 1947 : obsèques du général Leclerc. Enfin, le 12 novembre 1970 : les funérailles nationales du général de Gaulle. Certes, le peuple de France se trouve à Colombey les Deux Eglises, perdu au milieu d’une foule émue et bouleversée par cette grande disparition. Mais l’Univers est à Notre Dame, à Notre Dame de l’Univers.
Alain Erlande Brandeburg. Notre Dame de Paris Les Lieux de mémoire, tome 3 Gallimard.1993
Cœur du cœur de Paris, elle ancre ses fondations sur l’île de la Cité, qui est le berceau de Lutèce et de notre histoire, et marque symboliquement le kilomètre zéro des routes de France. Même si aujourd’hui, elle trône, hiératique et solitaire, sur son parvis dégagé par les soins hygiénistes et radicaux du baron Haussmann, elle garde dans les dentelles de ses structures et la pénombre de sa nef les traces d’un Moyen Âge grouillant, mystique et populaire, mais drôlement savant aussi pour avoir su édifier, voilà plus de huit cent ans, une construction aussi audacieuse.
Isabelle Bakouche
On verra des écrivains donner leur sentiment : Sylvain Tesson : Notre Dame de Paris, Reine de douleur. Ken Follet : Notre Dame. Adrien Goetz : Notre Dame de l’humanité. Et last but not least, on peut choisir d’en pleurer, mais mieux vaut en rire, cette déclaration de Paul Beatriz Préciado, trans-genre espagnol de cinquante ans, bien incapable d’humour, et donc très sérieux : Je propose que l’État français retire à l’Église la garde de Notre Dame de Paris et transforme cet espace en un centre d’accueil et de recherche féministe, queer, trans et antiraciste et de lutte contre les violences sexuelles. (sur Médiapart, le 12 octobre 2021).
Mais surtout, on verra en mars 2023 sur Arte un splendide film de Vincent Amouroux, en trois épisodes : la qualité de la réalisation est telle qu’elle suscite une grande émotion, comme si l’on était au sein d’un groupe de mélomanes qui regarde en direct des chirurgiens sauver les mains que Mozart s’est fait écraser accidentellement sous les roues d’une charrette. Ces soignants sont eux-mêmes tombés sous le charme de Notre-Dame, – pas celui de la féminité, mais celui d’une enchanteresse – passionnés, prudents, humbles, précis, travailleurs encore et toujours. Quand il se frottait aux cathédrales de granit et de glace, Walter Bonatti parlait des Grands jours. C’est bien de cela qu’il s’agit. C’est le général en retraite Jean-Louis Georgelin qui présidera à la tête de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris – RNDP, la coordination générale de tout cela, auquel succédera Philippe Jost, polytechnicien de 64 ans, diplômé de l’École du Louvre, après la mort accidentelle du premier le 18 août 2023 lors d’une randonnée dans les Pyrénées.
Dix-huit mois plus tard, Arte reviendra avec une Enquête sur les trésors enfouis de Notre Dame de Paris, réalisé par Florence Tran et Christine le Goff, magnifique documentaire sur les restes du Jubé détruit en 1708 sous la gouverne d’Antoine de la Porte à la suite des réformes liturgiques opérées par le Concile de Trente, et surtout sur l’enquête quasiment policière sur l’identité, au départ inconnue, du corps dans un cercueil de plomb : Joachim du Bellay ou Edouard de la Madeleine, page et écuyer de Henri II ? Des analyses de fragments osseux permettent de déterminer quel type d’alimentation avait adopté le défunt, et ces résultats plaident en faveur d’une personne originaire de l’est de la France plutôt que de l’ouest, où vécut du Bellay. Les préférences jouent évidemment en faveur de Joachim du Bellay qui se conjugue le mieux avec le proverbe italien : se non e vero, e ben trovato.
Il faut transmettre tout ce qu’on a pu savoir, tout ce qu’on a pu voir, avant que, nous-mêmes, nous oublions ou bien que, nous-mêmes, nous disparaissions. L’idée, c’est de s’effacer.
Rémi Fromont
En 2024, Rachida Dati, ministre de la Culture, soucieuse de la remise en état des trop nombreuses églises de France non entretenues, et souhaitant constituer un fonds, soumettra l’idée de rendre payante pour les visiteurs l’accès à Notre Dame, soulevant ainsi l’ire de l’évêché qui tient à maintenir la gratuité de l’accès aux édifices religieux. Mais elle pourrait peut-être contourner la difficulté en s’inspirant de ce qu’a fait le curé de la cathédrale de Saint Flour, qui voulait rénover son orgue : faire sécher des jambons, lesquels se revendent très bien auprès des meilleures tables. Certes Notre Dame de Paris n’est pas à 1 000 d’altitude, mais la qualité des émanations des chênes fraîchement coupés pourrait peut-être compenser cela ? Comme pour le vin vieilli en fût de chêne, on aurait du jambon séché sous les chênes de la charpente de Notre Dame.
Parmi cent sépultures, deux cercueils en plomb : l’un d’Antoine de la Porte, mort en 1710, chanoine de Notre-Dame pendant cinquante ans, riche mécène, qui finança notamment la clôture du chœur de la cathédrale et la destruction du jubé, l’autre de Joachim du Bellay notre poète de la Pléïade qui, au demeurant avait bien été chanoine de Notre-Dame de Paris et était surtout le neveu de Jean Du Bellay, ancien évêque de Paris, cardinal et doyen du sacré collège à Rome, autrement dit numéro deux de l’Église. Atteint très probablement d’une méningite tuberculeuse, une maladie qui évolue sur 10 ans, il était mort le 2 janvier 1560, et avait été inhumé à Notre-Dame dans la chapelle Saint-Crépin. Mais il n’y a pour le jour aucune certitude sur cette identité, car ce squelette pourrait être aussi celui d’Edouard de la Madeleine, page et écuyer de Henri II.
Enfermés dans mes oreilles avec un grondement énorme
Les vents m’arrachent la possibilité d’entendre et de converser
Mon sang se retire, un tremblement glacé secoue mes membres qui frissonnent
Mon cœur est engourdi, pris dans un gel tenace
Et surtout, un jubé en 1 035 morceaux, allant de quelques grammes à plus de 300 kilos, recouverts de feuilles d’or ou de lapis-lazulis. On sait que le Jubé ne peut pas être au complet sous la carrelage en damier de Notre-Dame : Eugène Viollet le Duc en avait repéré de nombreux morceaux, remis au Louvre ou bien à des antiquaires dont beaucoup s’empressèrent de les vendre à de riches collectionneurs américains ou indiens (des Indes) : ils sont en nombre à New-York… Avant de les disperser, il avait imaginé le reconstruire…
Il faudra nettoyer aussi les vitraux, parfois en les laissant en place, parfois en les déposant : s’il ne les avait pas touché directement l’incendie les avait néanmoins sali, et de toutes façon ce drame ne faisait que se superposer à des siècles de fumée déposée par le temps, par les milliers de cierges et de bougies brulant depuis des siècles et des siècles, sans souci particulier des conséquences.
Les forçats des Big Bags sortiront des milliers de sacs de gravats : 650 palettes de pierre, 350 de métal, 10 000 de bois et plusieurs milliers de clous. Certains jours, on compte plus de 580 travailleurs sur le site.
21 04 2019
Pour le dimanche de Pâques, folie islamiste meurtrière au Sri Lanka, dirigée principalement contre la minorité chrétienne : 253 morts, 500 blessés.
4 05 2019
Egan Bernal est un coureur cycliste colombien ; à 22 ans, il a déjà un bien beau palmarès. La plus grande course pour laquelle il s’est inscrit cette année est le Giro italien ; il s’y entraîne, chute et se casse la clavicule : exit le Giro. Que faire ? La seule alternative est le Tour de France, qui lui laisse deux mois… et va pour le Tour de France… qu’il gagnera le 28 juillet grâce a son inégalable aisance dans les pentes du Galibier et de l’Iseran, où l’air est celui de Zipaquira, sa ville natale, à 2 650 m d’altitude. Mais, avant même le Galibier, il était déjà dans les cinq premiers. Il ne renouvellera pas l’exploit et sortira du Tour de France dans les Alpes en 2020, lessivé.
10 05 2019
Emmanuel Macron reçoit Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, à peu près dans le même temps que Chris Hughes, un des cofondateurs demande son démantèlement en séparant Facebook de ses applications Instagram et WhatsApp. Mais est-ce bien raisonnable ? Ces gens là – les GAFA – sont ivres de leur puissance ; il faut entendre par exemple Eric Schmidt, ancien président de Google : La plupart des gens ne souhaitent pas que Google réponde à leurs questions, ils veulent que Google leur dise quelle est la prochaine action qu’ils devraient faire. C’est là une excellente définition de la manipulation par Big Brother. Faut-il en rire, faut-il en pleurer ? Là n’est plus la question, car il conviendrait avant tout d’en avoir peur, et ensuite de se dire : vais-je m’en faire un ami ou un ennemi ?
En matière de défense, l’IA [l’Intelligence Artificielle, que l’on peut traduire par algorithmes] conférera un tel avantage au pays leader que nous nous dirigeons vers une cyberguerre froide sino-américaine.
La concentration des pouvoirs et des informations à Moscou a tué l’URSS, incapable de lutter face à la décentralisation de l’économie capitaliste. Mais aujourd’hui, un pouvoir est d’autant plus performant qu’il centralise l’information, ce qui tend les IA plus puissantes puisque mieux nourries de données. La Chine, qui produit deux fois plus de données que les États-Unis et l’Europe réunis, bénéficie d’un avantage angoissant pour l’Occident. Logiquement l’IA panique les autorités antimonopole, qui ne savent pas réglementer les services qu’elle produit, contrairement aux anciens géants industriels, qu’il suffisait de découper en morceaux – comme la Standard Oil de Rockfeller le fut en 1911. De surcroît, les GAFA et les BATX [Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi] vont aider les États-Unis et la Chine à se partager le monde, comme l’Espagne et le Portugal, l’Afrique et l’Amérique du Sud, au XVI° siècle. La stratégie du président chinois est limpide : utiliser l’IA des BATX pour simultanément contrôler les citoyens et devenir la première puissance mondiale d’ici à 2049.
Puisque l’IA est le cœur de la puissance militaire au XXI° siècle, l’Europe, qui a perdu la guerre technologique, aura besoin d’être protégée et doit accepter la realpolitik : notre cybersécurité ne peut être assurée que par l’OTAN et les GAFA. Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde, a affirmé qu’Amazon continuerait de soutenir le Pentagone : Si les bigtechs ne soutiennent pas le ministère de la Défense, ce pays aura de gros soucis. Les liens entre GAFA, militaires et services de renseignements vont rester forts. Et le Pentagone s’opposera au démantèlement des géants de l’IA, qui donnerait à la Chine le leadership militaire mondial. Si l’Occident cassait en morceaux les GAFA, au moment où la Chine soutient énergiquement ses champions en IA pour devenir la première puissance mondiale, il serait vraiment urgent d’apprendre le mandarin à nos enfants.
Laurent Alexandre. L’Express du 22 mai 2019
Dans le système capitaliste, le pouvoir résidait dans la possession de machines pour produire des biens de consommation. Aujourd’hui, il est toujours dans les machines – nos téléphones en sont le meilleur exemple -, mais celles-ci ne produisent rien. Elles ont pour seule fonction de modifier nos comportements et s’emparent d’une grande partie de la plus-value que nous créons. Là où le féodalisme reposait sur la propriété de la terre, le techno-féodalisme s’appuie sur une forme de capital que je nomme le capital cloud, et qui a tué le capitalisme : il ne s’agit pas d’un marché où les échanges sont libres mais de fiefs qui permettent aux barons du xxi° siècle de nous enfermer à l’intérieur de leurs plateformes pour nous faire payer une rente éternelle. Les détenteurs du pouvoir, des hommes d’Église aux orateurs politiques, ont toujours été obsédés par la capacité à infléchir nos conduites. Mais jusqu’ici, ils ne disposaient pas des machines pour le faire. Lorsque vous demandez à Alexa, l’assistant vocal d’Amazon, de commander du lait ou d’éteindre la lumière, vous pensez agir comme un maître qui donne des ordres à son serviteur. Mais, en réalité, vous apprenez à la machine à vous connaître dans un cycle de renforcement infini. Celle-ci ne vous lave pas le cerveau, mais elle a la capacité d’influencer peu à peu vos décisions, de changer la façon dont vous vous percevez vous-même.
Cette dépossession tue la démocratie. Avec le capitalisme, il y avait encore une démarcation entre le temps travaillé et le temps chômé, où chacun était le maître de son univers. Avec le techno-féodalisme, vous trimez vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité vous accumulez du capital pour quelqu’un d’autre grâce à votre travail gratuit – chaque fois que vous postez une photo sur Instagram, que vous tweetez, que vous postez votre petite video anticapitaliste sur You Tube, comme je le fais. Pour paraphraser Rosa Luxemburg, le techno-féodalisme est une barbarie. C’est l’apothéose de l’aliénation. Ce n’est pas un argument purement moral : ce travail gratuit crée une crise macro-économique majeure. Prenez n’importe quelle grande entreprise, comme Peugeot ou IBM : environ 85 % de ses revenus sont consacrés aux salaires. Chez Facebook, ce chiffre se situe en dessous de 1 %, et pourtant leurs salariés sont très bien payés. Pourquoi ? Parce que tous les utilisateurs de Facebook travaillent gratuitement en partageant du contenu. Les capitaliste eux-mêmes sont réduits en servage, puisque les détenteurs du capital-cloud d’Amazon à Airbnb, leur ponctionnent 30 à 40 % pour vendre leurs bien et services sur leurs plateformes. Cette rente est ensuite retirée de l’économie réelle, ce qui réduit l’activité économique, fait baisser les salaires, plonge les gouvernements dans le déficit, pousse les banques centrales à faire chauffer la planche à billets, fait monter l’inflation, et ainsi de suite. Cela a un impact sur tout le monde, même si vous n’utilisez jamais ces plateformes.
Le début de ce système a débuté dans les années 2000 et s’est achevé au milieu des années 2010. J’identifie deux facteurs principaux : le premier est la privatisation d’Internet ; le second est la crise financière de 2008, qui a entraîné l’impression de 35 milliards de milliards $ (non, ce n’est pas une faute de frappe, on appelle cela des trillions), selon mon estimation. La majeure partie de cet argent n’a pas été investie dans le capital traditionnel à cause de l’austérité, elle est donc allée vers le capital cloud. Ironiquement, alors que les géants de la tech passent leur temps à manifester leur hostilité envers le contrôle de l’État, ce sont les banques centrales qui ont permis à leurs plateformes d’amasser autant de richesses.
L’intelligence artificielle n’accélère que faiblement cette dynamique. Il y a beaucoup de bruit autour d’elle, mais les algorithmes que nous utilisons depuis quinze ans en étaient déjà. Google n’a pas attendu le déploiement des modèles de langage de 2024 pour avoir un effet considérable sur nos vies. La machine à vapeur n’aurait été qu’une note de bas de page de l’Histoire si les capitalistes ne l’avaient pas utilisé pour détruire la classe féodale. De la même façon, les cloudadistes, comme je les nomme, mobilisent l’IA pour détrôner les capitalistes. Si ces derniers veulent survivre, ils doivent devenir des géants du capital cloud. C’est pourquoi Elon Musk a racheté Twitter.
Que faire face à des plateformes que l’on ne possède pas ? La règlementation fait l’objet de nombreuses discussions, surtout en Europe. Personnellement, je n’y crois pas. Lorsque la justice américaine a démantelé au début du XX° siècle Standard Oil, l’empire pétrolier de Rockefeller, c’était politiquement très difficile, mais techniquement faisable. Aujourd’hui, cela ne fonctionnera pas. C’est pourquoi la propriété est la seule question qui vaille. En tant qu’home de gauche, mon projet serait d’imposer des restrictions drastiques sur la composition du capital de ces sociétés, au nom du bien commun. Le problème c’est qu’aujourd’hui, un seul pays a réussi à maîtriser les cloudadistes : la Chine. Il faut parvenir, nous aussi, à les imiter, mais sans le Pari communiste chinois. Je me refuse à croire que seul un régime autoritaire puisse servir l’intérêt général de ses citoyens.
Iánis Vároufakis. Télérama N° 3899 du 5 au 11 octobre 2024
14 05 2019
Les derniers feux de la rampe… Claude Lelouch présente à Cannes une suite d’Un homme et une femme, avec Les plus belles années d’une vie, avec une Anouk Aimée (née Françoise Judith Dreyfus, Aimée, parce que tout le monde l’aimait, aurait dit Prévert) au soir de sa vie – le temps se comporte avec toi comme un gentleman lui avait dit un jour Fellini -, (qu’en termes galants ces choses-là sont dites, dit Philinte dans le Misanthrope de Molière) et un Jean-Louis Trintignant déjà dans l’obscurité d’Alzheimer : leur rencontre est bouleversante.
Les deux s’en iront dans les années suivantes : Jean-Louis en 2022, Anouk en 2024. Elle aura été solaire … la grande classe, un charme à couper le souffle. Pas loin de celui de l’enchanteresse… sinon que son sourire était un sourire à la vie : gracias a la vida, chantait Mercedes Sosa.
Quand La dolce vita s’enivrait à capter la silhouette, les angles du visage qui avait perdu ses joues d’adolescente, une main aux longs doigts courbés sur une cigarette, Lola célébrait la naissance à l’écran d’un corps, de ceux que le cinéma n’oublierait jamais plus : une entraîneuse en guêpière et collants résille, aussi épargnée par la vulgarité que la Vénus nue dans sa chevelure de Botticelli. Impossible à concevoir, et pourtant Demy l’avait fait. Anouk Aimée avait simplement fait confiance, et n’essayait pas d’expliquer le miracle. Elle observait seulement : Il y a des gens qui peuvent tout faire. Des femmes qui disent : Oh merde, vous me faites chier. Certaines choquent, d’autres pas. Lola peut le faire sans choquer, être grossière sans qu’on le remarque, parce qu’il n’y a en elle aucune vulgarité.
[…] Après Demy, Anouk Aimée semblait porter un morceau de Lola dans tous ses autres rôles, ce morceau-là : une sorte d’état de grâce, qui lui permettait de tout faire et tout jouer, sans jamais être touchée par la crasse ou la médiocrité. Non qu’elle ait jamais eu à cœur de tenter le diable, mais qu’elle ait presque toujours joué les élégantes, ou qu’elle ait fait des élégantes de toutes celles qu’elle jouait, c’était encore et toujours l’élégance, même – c’est loin d’être donné à toutes -.
[…] elle répondait à chaque question par une formule qui avait la forme grammaticale d’une réponse, et dans ce qu’elle disait triplait, malicieusement parfois, les points d’interrogation.
Était-ce le signe d’un goût pour ce rôle vrai de femme mystère, une femme, qui pourrait être n’importe quelle femme et reste pourtant la femme que l’on n’oublie pas ? Plus simplement, au-delà de tout rôle, un goût du secret, et de toutes ces choses d’autant plus belles qu’on ne les explique pas ? Peut-être, plus simplement encore, le secret de cette élégance inégalée et pérenne, qui faisait d’elle une présence si singulière, paisible dans son naturel, et trouvant cependant dans sa transparence même l’impossible matière de son mystère.
Noémie Luciani Le Monde du 20 juin 2024
24 05 2019
Térésa May rend son tablier, avec une prise d’effet au 7 juin. Le 26 mai, les élections pour le parlement européen renforceront le camp du Brexit, no deal – sans contrat -. Le 26 juillet, c’est Boris Johnson qui prendra sa place : au premier rang, les Anglais vont se mettre à grincer des dents, au fond de la salle, le reste de l’Europe va avoir de plus en plus de mal à retenir les éclats de rire.
26 05 2019
En France les élections européennes donnent la première place au RN, le parti de Marine Le Pen, talonnée de près par celui de Macron ; avec Yannick Jadot, les écologistes se taillent un bon succès. Partis traditionnels de droite comme de gauche sont laminés.
Nous sommes traversés d’un long fleuve d’Histoire
qui nous donne l’épaisseur du temps.
Peut-être sommes-nous cela : des enfants vieux,
Alliance de la fatigue et de l’enthousiasme.
Qui peut désigner le jour exact de notre naissance ?
*****
C’est cela que nous voulons :
Que l’ardeur revienne.
Que l’Europe s’anime,
Change,
Et soit,
À nouveau,
Pour le monde entier,
Le visage lumineux
De l’audace,
De l’esprit,
Et de la liberté.
Laurent Gaudé, Nous l’Europe, Banquet des peuples. Actes Sud 2019
11 06 2019
Scandale forestier au Gabon : 5 000 m³ de Kevazingo, un bois dont l’exportation a été interdite depuis plus d’un an ont été découvert dans deux entrepôts appartenant à une société chinoise, à Owendo, le port de Libreville. Une partie des conteneurs a disparu, certains ont été récupérés, mais on est loin du compte. Le vice-président et le ministre des forêts ont été limogés le 22 mai et le président nomme Lee White, un anglais de 53 ans, nationalisé gabonais depuis 2008, ministre de la forêt, de la pêche et de l’environnement ; il était auparavant directeur de l’ANPN – Agence Nationale des Parc Nationaux -. On lui souhaite bien du plaisir. Ardent défenseur de la biodiversité, tant végétale qu’animale, il va susciter la création de nombreux parcs nationaux, disposer de pas mal de financements internationaux, en particulier de la Norvège sans avoir comme priorité l’acceptabilité par les populations locales des mesures prises pour toutes ces protections, et quand les paysans viendront demander et maintenant que les éléphants ont ravagé nos plantations, que fait-on ? il n’y aura pas de réponse… les mêmes politiques bornées que provoquent la réintroduction des ours dans nos Pyrénées, des loups dans les Alpes. Le nez sur le guidon, incapables d’envisager une politique qui puisse être acceptée par l’ensemble des parties prenantes. L’homme ne résistera pas au coup d’état d’août 2023 et sera interrogé principalement pour des attributions de permis forestiers hors de leur encadrement légal.
30 06 2019
Les chefs d’État égyptiens sont toujours un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout… pharaons. Mais vis-à-vis du Maréchal Sissi, le risque de se tromper est presqu’égal à zéro si l’on dit qu’il se sent pharaon …. à la folie.
Plantée dans le sable, l’imposante mosquée Al-Fattah Al-Alim flanquée de ses quatre minarets se découpe sur l’horizon tel un mirage en plein désert. Recouverte de marbre blanc et de riches ornements, capable d’accueillir 12 000 fidèles, elle doit marquer l’entrée de la future capitale administrative égyptienne.
Elle est l’un des premiers édifices du projet-phare du président Abdel Fattah Al-Sissi, à avoir surgi de terre, avec la cathédrale copte Naissance-du-Christ, la plus grande du pays, qui se dresse, désespérément vide elle aussi. Entre les deux, une étendue désertique longue de 16 kilomètres, ponctuée de chantiers de construction et de quelques rares édifices achevés.
C’est ici, à une cinquantaine de kilomètres à l’est du Caire, en direction de la ville stratégique de Suez, qu’une armada d’ouvriers, d’ingénieurs et de militaires trime nuit et jour, depuis mai 2016, pour que se concrétisent les rêves de grandeur du maître du pays : bâtir, sur une portion de désert de la taille de Singapour, la vitrine de l’Egypte de demain.
Sissi-City, comme la nomment volontiers les Égyptiens, a été pensée pour être moderne, aseptisée, sécurisée, durable et connectée ; un centre du pouvoir capable de rivaliser avec les plus grandes capitales mondiales.
Les Égyptiens ont le droit de rêver et de réaliser leurs rêves ! clame un fonctionnaire qui organise la visite des lieux. Un projet vaniteux, rétorquent ses détracteurs, à l’image de son concepteur, Abdel Fattah Al-Sissi, qui, depuis son accession à la présidence, en 2014, à la suite du coup d’État militaire contre le président islamiste Mohamed Morsi (mort le 17 juin, pendant son procès), pourrait, à la faveur d’une réforme constitutionnelle avalisée en avril, se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034. Comme le résume un diplomate, ce mirage qui est en train de prendre réalité, c’est le legs de Sissi à son pays.
Face à la polémique, les autorités privilégient un discours pragmatique. Le Caire, avec ses 23 millions d’habitants, et 40 millions à l’horizon 2050, est devenu une mégalopole tentaculaire agonisant sous la pollution, les embouteillages et les constructions anarchiques des quartiers informels.
Avec l’explosion démographique, qui voit chaque année 2 millions d’habitants s’ajouter aux 100 millions qu’elle compte actuellement, l’Égypte a besoin d’étendre sa surface habitée – soit 7 % du territoire – en grignotant le désert.
Il y a quarante ans, l’État songeait déjà à une capitale administrative, ce qui montre bien que nous en avons besoin d’urgence, justifie Khaled Al-Husseini, porte-parole de l’Administrative Capital for Urban Development (ACUD), qui porte le projet. En son temps, le président Anouar Al-Sadate avait ainsi imaginé Sadate City. Bien plus modeste, ce projet s’était pourtant soldé par un échec. Le projet de la Sissi-City avait été dévoilé à la conférence économique de Charm El-Cheikh, en mars 2015, lors d’un grand raout auquel avaient été conviés par le raïs bailleurs de fonds internationaux et investisseurs étrangers.
Son plan Vision 2030 voulait relancer l’économie égyptienne, soumise à de violentes turbulences après les soubresauts révolutionnaires débutés en janvier 2011, par des mégaprojets : doublement du canal de Suez, construction de huit villes… Et, surtout, une nouvelle capitale, dont la maquette – réalisée par le cabinet américain Skidmore, Owings and Merrill -, trônant dans le hall du centre de conférences, ne pouvait que laisser songeur, tant par la forme que par le coût estimé de sa réalisation : 45 milliards $ (39,6 milliards d’€).
Sur une superficie de 756 km² sont alors envisagés vingt et un quartiers résidentiels, 2 000 écoles et établissements secondaires, six universités étrangères, 1 250 mosquées et églises, 40 000 chambres d’hôtel, un aéroport plus grand que celui d’Heathrow à Londres, quinze cités médicales, une coulée verte deux fois plus vaste que Central Park, 91 km² de fermes à énergie solaire, un quartier d’affaires doté de vingt et un gratte-ciel (dont la plus haute tour d’Afrique culminant à 345 mètres de haut), sans oublier une trentaine de ministères, le Parlement, un quartier diplomatique et, bien sûr, un nouveau palais présidentiel de 17 km² soit une surface supérieure à celle du centre-ville du Caire. Le tout surveillé par des myriades de caméras reliées à un commandement central.
La patte des Émirats arabes unis (EAU), parrains financiers de l’Égypte et sponsors de la conférence de Charm El-Cheikh, est alors évidente. C’est d’ailleurs Capital City Partners, le fonds d’investissement immobilier détenu par Mohamed Alabbar, le PDG émirati d’Emaar Properties, développeur de la tour dubaïote Burj Khalifa et conseiller de l’émir de Dubaï, qui est censé porter le projet.
Six mois après la conférence de Charm El-Cheikh, le mémorandum d’accord qu’il a signé avec l’Égypte avorte. Le désengagement du magnat émirati a aussitôt alimenté les doutes sur un projet considéré comme trop ambitieux pour être viable et rentable. Quand il a été annoncé, le projet était pensé comme un partenariat avec les Émirats. Or, ces derniers demandaient 75 % des parts de profit, ce qui était injuste. La terre et l’idée nous appartiennent : c’est notre projet ! défend aujourd’hui Khaled Al-Husseini, porte-parole de l’ACUD.
Loin de faire machine arrière, le gouvernement égyptien a appelé l’armée à la rescousse. Cet acteur montant – voire encombrant – dans les secteurs les plus variés de l’économie égyptienne est ainsi devenu le maître d’œuvre des mégaprojets de M. Sissi, au motif qu’il fait mieux et plus vite.
En 2016, l’ACUD est créée. Dirigée par le général Ahmad Zaki Abdine, elle est détenue à 51 % par le ministère de la défense et à 49 % par celui du logement. Les deux administrations injectent 204 milliards de livres égyptiennes (10,7 milliards d’€) pour lancer la première des trois phases qui doivent aboutir à la construction de la nouvelle capitale.
Le modèle économique est simple. On est hors budget de l’État. Le projet est financé par la vente de terrains à des promoteurs immobiliers. Leur prix dépend du type d’activités [envisagées], entre 4 000 livres et 15 000 de livres le mètre carré, détaille Khaled El-Husseini.
En décembre 2018, l’ACUD annonçait que 70 % des terrains de la phase 1 avaient été vendus. La réalité est moins reluisante. Les promoteurs égyptiens ont été mis sous pression, remarque un diplomate étranger. En fait, ils ont été rackettés : On va te filer des contrats à condition que tu nous achètes des terrains. Cela a amorcé le projet, mais comme celui-ci est démentiel, les financements sont de plus en plus difficiles à trouver. Le projet tourne au ralenti ; ils sont à court de cash.
Signe de ces besoins en liquidités, indique un autre diplomate, les prix de réservation à l’aveugle de terrains pour les stations d’essence ont, en un an, fait la culbute.
Si le rôle incontournable de l’armée dans la nouvelle capitale égyptienne a rendu frileux les bailleurs internationaux, qui préfèrent se tenir à distance, des entreprisesétrangères se montrent intéressées. Le chantier du quartier des affaires et ses vingt et une tours a été confié au géant China State Construction Engineering Corporation. Après des divergences sur la question du partage des profits dans un projet de développement immobilier de 20 milliards de dollars, les discussions ont été en revanche suspendues avec la China Fortune Land Development, fin décembre 2018.
Le manque de garanties sur le financement paralyse la signature de contrats potentiels. Ainsi, le mémorandum d’accord, signé fin janvier entre EDF et l’ACUD en marge de la visite du président français, Emmanuel Macron, en Égypte, pour opérer le service d’alimentation en électricité de la phase 1, n’a pas encore été confirmé.
Que cette capitale ait ou non un avenir, il y a des opportunités d’affaires, mais il ne faut pas les surestimer, relativise un diplomate. Un ouvrage de cette ampleur donne lieu à des problèmes d’ampleur, a reconnu le général Ahmad Zaki Abdine, dans un entretien à l’agence Reuters, mi-mai. Outre le manque de main-d’œuvre spécialisée, le directeur de l’ACUD notait la difficulté à lever les fonds nécessaires. Nous avons besoin d’un financement extensif, et l’État n’a pas d’argent à me donner, expliquait-il, précisant que seuls 20 % des investissements venaient de l’étranger.
Les travaux de construction déjà entamés sont conduits par des entrepreneurs égyptiens, sous la houlette de l’Autorité pour l’ingénierie des forces armées. La phase 1, lancée en 2016 et qui concerne une superficie de 40 000 feddans (168 km²), doit durer cinq à six ans pour un coût estimé de 20 à 25 milliards $.
Les principales autoroutes, un quartier résidentiel (sur les huit prévus), l’hôtel de l’armée Al-Masah avec 900 chambres, ainsi que la mosquée et la cathédrale ont été achevés, mais demeurent vides – hormis quelques cérémonies organisées pour les caméras de télévision.
Le palais présidentiel, inaccessible pour raisons de sécurité, serait quant à lui achevé. Les bâtiments du complexe gouvernemental, dont le Parlement, le cabinet et une trentaine de ministères – à l’exception de ceux de la défense et de l’intérieur construits hors de la juridiction de la ville -, prennent peu à peu forme.
Le déménagement des fonctionnaires, prévu pour la mi-2019, a officiellement été reporté pour la fin 2020. Nous misons sur le transfert de 51 000 employés. Tous les ministères vont être informatisés, ce qui requiert donc des compétences. Les critères de transfert seront définis par le ministère de la planification, explicite le porte-parole de l’ACUD. Il donne pour exemple 5 000 employés du ministère des finances, 3 000 à 4 000 à la santé… au total, une infime partie des 5,7 millions de fonctionnaires que compte l’État.
La nouvelle capitale se veut aussi le siège des grandes banques et sociétés, ainsi que des chancelleries étrangères. Il y a une forte pression sur l’ensemble des ambassades pour transférer les représentations dans une zone qui sera un futur quartier diplomatique, confie un diplomate. La vraie question est celle de notre liberté dans une zone hypersécurisée, où les entrées et les sorties seront contrôlées. La relation bilatérale ne se résume pas à des contacts avec les officiels. Autrement dit, les échanges avec les acteurs culturels, économiques et, surtout, avec la société civile et l’opposition, muselés et réprimés par les autorités, vont devenir très complexes dans cette capitale forteresse, placée sous haute surveillance des autorités égyptiennes.
À l’ACUD, on se défend de vouloir forcer la main. Cinquante ambassades ont déjà demandé à déménager. Quant aux autres, la décision leur appartient. On ne peut pas leur demander de s’y installer, mais on peut leur montrer les bénéfices à le faire : ce sera un endroit sûr, propre, durable et dans le respect de la convention de Vienne [sur les relations consulaires]…, assure son porte-parole. Avant d’établir un parallèle qui n’est pas de nature à dissiper les inquiétudes des diplomates : C’est comme à Pékin : toutes les ambassades seront dans un même quartier !
Le défi lancé par le raïs de faire de sa capitale une ville à part entière avec 6,5 millions d’habitants, dont 1,5 million dès la phase 1, se révèle tout aussi périlleux. Sur le papier, des logements sont prévus, destinés pour 35 % d’entre eux aux classes aisées, 50 % à la classe moyenne et 15 % aux bas revenus. Pourtant, les prix affichés par les promoteurs restent hors de portée de la vaste majorité des budgets : 1,3 million de livres (69 000 €) pour un appartement de 120 m² – petit, selon les standards égyptiens. Nous construisons 20 000 unités résidentielles avec des appartements de 115 m², dont le prix moyen est de 500 000 livres, pour les gens des classes moyennes et aisées. Et ils pourront contracter des prêts sur quinze à vingt ans, promet Khaled Al-Husseini.
Même à ces conditions, rares sont ceux qui pourront investir dans un bien. Les mesures d’austérité introduites depuis fin 2016 ont rogné l’épargne des classes moyennes et supérieures. Certains fonctionnaires, dont le salaire moyen annuel est de 81 000 livres (4 300 €), pourront se rabattre sur 10 000 unités de logements prévues dans la ville voisine de Badr, pour lesquelles un protocole d’accord a été signé entre le ministère du logement et des entreprises égyptiennes, selon un employé de l’ACUD.
Pour les foyers à bas revenus et les classes moyennes, obligés de jongler avec un deuxième voire un troisième emploi pour joindre les deux bouts, un autre obstacle se pose. Les gens ne pourront pas vivre dans cette ville où l’informel est interdit, quand la majorité de l’économie du pays est informelle, résume l’urbaniste David Sims.
Résultat, le risque est de voir apparaître une bulle spéculative, en créant plus d’offre que de demande, et de n’avoir pour acheteurs que de riches Égyptiens intéressés par un placement immobilier qu’ils n’occupent pas. Il aurait fallu commencer par un centre, élargi progressivement. L’espace est immense et cela fait mourir le projet, poursuit David Sims.
À défaut de pouvoir y habiter, les employés de la nouvelle capitale seront donc contraints de voyager sur de longues distances pour se rendre au travail. De la place Tahrir, au centre du Caire, il faudra compter de 60 à 70 km à parcourir en voiture, pour un coût devenu exorbitant depuis les coupes dans les subventions à l’énergie et la hausse du prix des carburants.
Un monorail électrique doit être construit par deux compagnies publiques chinoises, AVIC international et China Railway Group, d’ici à la fin 2020, pour rallier le bout de la ligne 3 du métro du Caire, à Al-Salam, jusqu’à la nouvelle capitale, avec onze stations. Un appel à projet a été lancé pour la première ligne de train à grande vitesse qui doit relier Aïn Sukhna, sur la mer Rouge, à New El-Alamein sur la Méditerranée, en passant par la nouvelle capitale, le sud du Caire et Alexandrie. C’est un projet à 7 milliards $, mais sans flux de passagers estimé pour le moment car la plupart des villes qui doivent être desservies n’existent pas encore. Quelles banques vont mettre cette somme sans garanties opérationnelles ? s’interroge un diplomate.
À l’intérieur de Sissi City, rien n’est encore envisagé pour le réseau de transports en commun. Or, poursuit ce diplomate, sans voiture, vous êtes mort. Ils sont en train de reproduire la même erreur qu’à Madinat Masr Al-Gedida (la nouvelle ville du Caire), un nouveau faubourg de la capitale dont la construction avait été lancée en 2000 et qui ne dispose toujours pas de transports publics pour ses 300 000 habitants.
Les projets de réseaux d’eau et d’électricité et d’évacuation laissent encore à désirer. Quand on a visité le site en 2017, il n’y avait aucun système d’assainissement, de traitement des déchets, de transports… J’ai proposé un schéma de mobilité urbaine durable au ministre du logement ; il m’a répondu : Pour quoi faire ? On n’a jamais eu de réponse. Ils n’ont aucun plan à ce sujet, s’étonne un acteur économique français.
Des projets de villes nouvelles existent depuis l’indépendance du pays, ils se sont multipliés à partir des années 1970, sans jamais réussir à décongestionner la capitale.
Des échecs que n’hésitent pas à invoquer les voix critiques, selon lesquelles les milliards $ dépensés dans la capitale flambant neuve du président-maréchal auraient pu être investis dans l’économie chancelante du pays ou pour réhabiliter la capitale historique.
On ne sait pas d’où vient l’argent, il n’y a aucune transparence, critique le politologue Hassan Nafaa. Il aurait fallu un grand débat dans le pays. C’est incroyable de foncer sans étude de faisabilité. C’est un projet absurde, surtout dans une période de crise où chaque piastre est nécessaire ! D’autant que le gigantisme du site, calqué sur le modèle des cités-États du Golfe, ne plaît pas à tout le monde. Pourquoi construire la plus grande tour d’Afrique ? La plus grande cathédrale ? Ça marche pour Dubaï, un petit État sans histoire et une cité d’affaires, mais en Égypte, ça n’a aucun sens ! déplore Hesham Ouf, un homme d’affaires.
Ceux qui critiquent le projet estiment qu’il a été pensé pour éviter que se reproduise le scénario de la révolution de 2011, en mettant tous les ministères à l’écart, sous protection de l’armée, poursuit M. Ouf. Ce projet a été façonné avec une vision sécuritaire, non pour le bien du peuple. Certains le comparent à la zone verte de Bagdad, qui, depuis l’invasion américaine de 2003, abrite ambassades étrangères et bâtiments gouvernementaux : un cocon ultrasécurisé destiné à éloigner le centre du pouvoir des masses et de la menace djihadiste. Cette nouvelle capitale égyptienne à l’accès contrôlé est une métaphore de la principale réalisation de Sissi : la reconstruction du mur de la peur qui sépare les citoyens de l’État, estime Michele Dunne, chercheuse au think tank américain Carnegie.
Au final, la question est de savoir si cette ville sera terminée un jour. La plupart des cités imaginées par des présidents ont périclité à leur mort. Les villes nouvelles prennent beaucoup de temps pour décoller, remarque Hesham Ouf. Un avis que partage l’urbaniste David Sims, auteur d’Egypt’s Desert Dreams (AUC Press, 2015, non traduit), consacré à l’échec de la vingtaine de villes nouvelles égyptiennes pensées depuis les années 1970. En 2017, elles accueillaient un total de 1,6 million d’habitants – l’objectif affiché était de 20,5 millions. Ces dernières années, un accroissement démographique de 14 % a été enregistré dans les villes nouvelles, tandis que Le Caire a gagné 5 millions d’habitants en dix ans, note M. Sims.
La nouvelle capitale administrative porte aussi en creux des interrogations sur l’avenir du Caire et de son possible abandon par le pouvoir.
Un scénario écarté par l’ACUD, qui a encore d’autres projets dans la capitale historique. Pour compenser ses investissements dans le futur quartier des ministères, l’ACUD a en effet prévu de s’approprier les ministères au Caire, une fois qu’ils seront vidés. Certains questionnent la légalité de cet échange. Nous n’avons pas encore de plan pour la réutilisation de ces immeubles. Des biens patrimoniaux comme le Parlement pourraient être transférés au ministère de la culture… Les autres, nous pourrions les gérer comme des hôtels, ou les vendre, suggère son porte-parole, Khaled Al-Husseini.
Sissi City fera-t-elle un jour de l’ombre à la mégalopole millénaire ? Le Caire est la capitale historique, les Egyptiens l’appellent Masr [Égypte, en arabe]. Dans un État aussi centralisé que le nôtre, elle est incontournable, estime l’homme d’affaires Hesham Ouf. Une majorité des services de l’État, l’ensemble du tissu économique qui la fait vivre, ainsi que ses millions d’habitants devraient y rester.
Les villes nouvelles dans le désert ont, en quelque sorte, sauvé Le Caire, dans la mesure où tous les investissements idiots sont allés ailleurs, souligne l’urbaniste David Sims. Il y a un avenir pour Le Caire, peut-être meilleur que cette façon de penser mégalomaniaque.
Hélène Sallon. Le Monde 30 06 2019
7 07 2019
Les élections législatives en Grèce donnent une majorité au parti de droite Nouvelle Démocratie, situé sur l’échiquier à gauche d’Aube dorée, partie d’extrême droite fascisant ; Alexis Tsipras cède son fauteuil de Premier ministre à Kyriakos Mitsotakis. Le pays va mieux, mais à quel prix ! Il est sorti des plans d’aide financière depuis à peu près un an. Mais le taux de chômage est de 18.5 % ; pour les seuls jeunes : 40 %. Ce qui explique leur émigration massive : le pays compte 10.7 millions d’habitants et ce sont 350 000 à 400 000 jeunes qui ont émigré depuis 2015.
Mais quatre ans plus tard, en grande partie grâce à un tourisme revenu à ses meilleurs niveaux, la situation générale connaîtra une amélioration que personne n’aurait osé espérer :
Le taux de l’emprunt d’État grec à dix ans est désormais inférieur à celui du Treasury Bond américain de même durée : 3.4 % pour le premier, 4.3 % pour le second. Il faut se pincer pour y croire, car cela signifie que les investisseurs internationaux jugent moins risqué de prêter à long terme de l’argent à la Grèce qu’aux États-Unis. Un miracle, quand on se souvient que les taux grecs à dix ans avaient atteint le niveau exorbitant de 27 % au plus fort de la crise, en mai 2012.
Un tel appétit pour la dette de la Grèce n’a, au fond, rien de très surprenant lorsqu’on sait qu’elle a été désignée, ces deux dernières années, par l’hebdomadaire The Economist comme le pays représentant les meilleures performances économiques parmi les 35 membres de l’OCDE. Le cancre est devenu premier de la classe. Après 8.4 % en 2021 et 5.6 % en 2022, la Grèce a connu en 2023 une croissance de 2.4 % quatre fois plus élevée que celle de la zone euro, grâce notamment au retour en force des touristes (32.7 millions en 2023) permettant à ce secteur, qui pèse 25 % du PIB, d’engranger des résultats records. Conséquence de ce dynamisme économique, le taux de chômage, qui était monté jusqu’à 28 % en 2013, vient de repasser sous la barre symbolique des 10 % pour s’établir à 9.4 %.
Le redressement des finances publiques grecques est plus impressionnant encore. Après un pic de 212 % en 2020, son ratio de dette rapporté au PIB devrait refluer fin 2024 à moins de 150 %, une décrue d’une rapidité jamais vue dans l’histoire financière mondiale. Mieux, la Grèce devrait afficher cette année un déficit de seulement 0.9 % (4.4 % en France) et surtout dégager, meilleure preuve de sa remarquable vertu budgétaire, un large excédent primaire (hors charge de la dette) de 2.5 %.
Les Grecs se voient enfin récompensés des immenses sacrifices consentis pour surmonter une crise interminable provoquée par les délires dépensiers de leurs gouvernements des années 2000 et la découverte de leurs trucages statistiques sur fond de corruption, de travail au noir et de fraude fiscale généralisée. Remède de cheval relève de l’euphémisme pour qualifier des mesures de redressement mises en œuvre consistant, entre autres, à relever de 13 % à 23 % la TVA sur les denrées non périssables et la restauration, à baisser de 22 % le salaire minimum ou encore à reporter de cinq ans l’âge de départ à la retraite.
Pierre-Antoine Delhommais. Le Point n° 2691 du 29 février 2024
11 07 2019
Mort de Vincent Lambert, après avoir été maintenu en vie pendant 11 ans de façon complètement artificielle. Il avait été au départ victime d’un accident de voiture en 2008. Les médecins sont confrontés quotidiennement à ce genre de situation, et comme la plupart du temps, ils sont d’accord avec la famille de l’intéressé, les choses se passent selon le vœu commun, la loi Leonetti venant leur dire qu’ils étaient bien dans les clous. Dans le cas de Vincent Lambert, il s’est trouvé que son épouse et son frère étaient en désaccord total avec ses parents : les médias se sont jetés sur cette belle proie, propre à faire exploser les tirages et les audiences, la justice a été prise à partie aussi et cela a duré 11 ans !
12 07 2019
Lancement du sous-marin nucléaire Suffren.
16 07 2019
La démission de François de Rugy de son poste de ministre de l’environnement est tout à fait révélatrice du mode de fonctionnement du monde mediatico-politique : que des ministres en croquent sur le dos des contribuables – lesquels contribuables ne sont pas seulement ceux qui paient des impôts sur le revenu, mais tous ceux qui abondent les 60 % du budget de l’Etat que représentent la TVA et l’impôt sur les carburants – TICPE Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques, l’ancienne TIPP – cela existe de toujours et cela continuera. Et il n’est pas inutile de rappeler encore et encore que tout le monde paye des impôts, puisque l’on paye un impôt dès que l’on achète une baguette de pain ! Mais à qui voudrait-on faire croire que pareilles agapes sont restées ignorées du tout Paris, quand on sait que parmi les invités il y avait par exemple un Jean-Michel Apathie, incorrigible bavard, incapable de rester plus de 5 minutes sans nous imposer sa jactance ; il est évident que tout le monde savait cela, en se disant : tant que Médiapart ou le Canard ne soulèvent pas le lièvre, nous on ne dit rien. Donc, tous ces gens finalement se moquent bien que l’un des leurs se gave en se moquant des contribuables, la règle en la matière étant pas vu pas pris. Sans vouloir en revenir à un de Gaulle qui refusait de voir au Conseil des ministres un divorcé, on aurait pu espérer qu’Emmanuel Macron intervienne de façon parfaitement informelle en téléphonant à François de Rugy, quand il était président de l’Assemblée nationale, dès le troisième ou quatrième gueuleton, pour exiger qu’il lève de pied sur ces raouts indécents. Eh bien non, cela ne se fait pas et on préfère laisser couler jusqu’à ce que le vase déborde, en provoquant un énième scandale, le tout Paris feignant la vertu outragée, quand le tout Paris était au courant depuis longtemps !
Qu’Edwy Plenel, indécrottable léniniste, patron de Médiapart, [le seul journal qui ne peut-être acheté que par ses lecteurs…] exsude sa haine du libéralisme par tous les pores de sa peau et ignore tout de ce que peut-être l’empathie, qu’il préfère le vraisemblable au vrai, le soupçon au fait, nombreux sont ceux qui en conviennent. Mais que diable, si ces messieurs dames les député[e]s estiment qu’il dépasse les bornes de la déontologie du journalisme, eh bien, qu’ils portent plainte et la justice tranchera, mais arrêtez donc de pleurnicher, messieurs dames ! Et si vous préférez une presse aux ordres, dites-le clairement !
19 07 2019
19 bisons d’Europe – dont 2 tout jeunes -, achetés en Normandie des dizaines d’années plus tôt se sont échappés deux jours plus tôt de la Sasse, le domaine de Dominique Muffat Méridol, sur les flancs du Mont Joly à Megève, Haute Savoie. Ce n’est pas la première fois, et jusqu’alors cela n’a posé aucun problème. On les retrouve et on les ramène ou même ils reviennent tout seuls. Mais le préfet de la Haute Savoie n’en juge pas ainsi, les estime dangereux et les fait abattre, estimant que l’endormissement par seringue ou balle n’est pas suffisamment efficace. Un massacre de sale crétin. On sait depuis longtemps que les bisons sont futés, dès lors pourquoi jouer au con ?
22 07 2019
L’Inde lance son second satellite vers la lune. Le premier, Chandrayaan 1 avait été lancé le 22 octobre 2008, mais, prévu pour durer deux ans, le contact avait été perdu au bout de neuf mois, qui donneront tout de même une belle moisson d’informations sur la lune. Chandrayaan 2 est plus ambitieux : avec une masse totale est de 3 800 kg au décollage, il a trois composants :
Hélas, le 7 septembre, le contact avec Vikram sera perdu 20′ avant qu’il n’alunisse, quand celui-ci avait déjà ralenti jusqu’à 7 km/h. L’orbiteur, lui, continuera à tourner.
Le cercle des pays dont l’ambition spatiale est de plus en plus avérée s’agrandit : la Chine, bien sûr, qui a lancé ses Lapins de Jade en 2013 et janvier 2019, mais encore Israël, qui a vu son Bereshit se crasher le 11 avril 2019, et donc, aujourd’hui, l’Inde.
31 07 2019
Depuis plusieurs mois, la Sibérie brûle : aujourd’hui, on en est à 131 000 km², à peu près la surface de la Grèce [la France fait 450 000 km²]. Poutine ne se décidera à envoyer avions et hélicoptères de l’armée que lorsque les récriminations menaceront de devenir manifestations. L’Amazonie suivra, et pas seulement elle en Amérique du sud, mais aussi la Bolivie où sont déjà partis en fumée 750 000 hectares [7 500 km²] . Au Groenland, on verra en un jour, la glace fondre de 11 milliards de tonnes, et là, personne ne pourra rien faire. De l’eau de pluie récoltée sur les sommets des Pyrénées se révèle contenir du plastique, aussi fin qu’un cheveu. Dans les environs de Saint Brieuc, une usine de traitement des algues vertes doit fermer, dépassée par l’augmentation du stock de ces algues, résultat de l’excès de nitrate dans les sols, c’est à dire résultat des trop nombreux et trop intensifs élevages de cochon : elle n’est pas de taille à traiter cela… les stocks empuantissaient les environs et pourrissaient. Mais ça ne fait rien, puisque tout va très bien madame la Marquise…