mars/avril 2020. Le coronavirus occupe toute la scène. 24375
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Publié par (l.peltier) le 16 août 2008 En savoir plus

mars/avril 2020   

Les maladies émergentes favorisées par la dégradation de la biodiversité

Nous envahissons les forêts tropicales et autres paysages sauvages, qui abritent tant d’espèces animales et végétales – et au sein de ces créatures, tant de virus inconnus. Nous coupons les arbres ; nous tuons les animaux ou les envoyons sur des marchés. Nous perturbons les écosystèmes et privons les virus de leurs hôtes naturels. Lorsque cela se produit, ils ont besoin d’un nouvel hôte. Souvent, cet hôte, c’est nous. C’est ainsi que l’écrivain américain David Quammen résume, dans une récente tribune au New York Times, pourquoi nous sommes en grande partie responsables de la pandémie de coronavirus. En 2012, ce journaliste scientifique a publié Spillover. Animal Infections and the Next Human Pandemic (Retombées. Les infections animales et la prochaine pandémie humaine, non traduit). Un récit de son périple à travers la planète aux côtés des meilleurs scientifiques, sur les traces des maladies infectieuses émergentes. Huit ans plus tard, depuis sa maison du Montana, il observe cette crise avec frustration. Lorsque je travaillais sur mon livre, les experts me prédisaient exactement ce qui est en train de se passer, raconte-t-il.

La seule chose qui me surprend aujourd’hui, c’est à quel point les États ne sont pas préparés. Début 2018,  l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait d’ailleurs inscrit une maladie X dans la liste des pathologies pouvant potentiellement provoquer un danger international. La maladie X, disions-nous à l’époque, résulterait probablement d’un virus d’origine animale et émergerait quelque part sur la planète où le développement économique rapproche les humains et la faune, a expliqué Peter Daszak, qui a participé aux discussions de l’OMS et préside Eco Health Alliance, une organisation américaine travaillant sur la santé humaine et la protection de la nature. La maladie X se propagerait rapidement et silencieusement ; exploitant les réseaux de voyage et de commerce humains, elle atteindrait plusieurs pays et serait difficile à contenir.  Autrement dit, Covid 19 est la maladie X. Cette crise sanitaire sans précédent était-elle donc totalement prévisible ? Et dans quelle mesure est-elle liée à l’effondrement de la biodiversité ? Pour un nombre croissant de scientifiques, il ne fait aucun doute qu’il existe un lien étroit entre l’émergence de ce type de maladie et les dégâts causés à l’environnement. Si le nombre de personnes souffrant de maladies infectieuses n’a cessé de diminuer, le nombre d’épidémies, en revanche, a augmenté depuis 1940, avec un pic au cours des années 1980. Surtout, les trois quarts des maladies nouvelles ou émergentes affectant les humains sont des zoonoses, soit des maladies transmises par des animaux. Dans des travaux publiés en 2008, la chercheuse britannique Kate Jones et son équipe ont identifié 335 maladies infectieuses émergentes apparues entre 1940 et 2004 : 60 % d’entre elles trouvaient leur origine dans la faune.

Parmi ces pathogènes, le virus Marburg, apparu en Allemagne en 1967 ; le virus Ebola, détecté pour la première fois en 1976 au Zaïre et en République démocratique du Congo ; le virus du sida, découvert aux États-Unis en 1981 ; Hendra, identifié en Australie en 1994 ; le virus SARS, responsable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2002, en Chine ; le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERSCoV) en Arabie saoudite en 2012… Un certain nombre de facteurs, dont beaucoup sont intimement liés à l’accroissement de l’impact humain sur les écosystèmes, expliquent l’augmentation des zoonoses, affirme Kate Jones, professeure d’écologie et de biodiversité à l’University College de Londres. Parmi les plus importants sur le plan écologique, il y a le changement d’affectation des terres qui se produit à un rythme rapide dans de nombreuses régions du monde. Déforestation, conversion des terres agricoles et intensification : de fait, ces changements rapprochent les populations de la faune sauvage. Lorsque la forêt tropicale profonde n’était pas exploitée, personne ou presque n’était exposé au risque de contracter un pathogène, explique Jean François Guégan, spécialiste de la transmission des maladies infectieuses à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Avec la déforestation en Asie, au Brésil ou en Afrique, des individus ont été exposés massivement à ces nouveaux aléas microbiologiques. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’augmentation des maladies infectieuses émergentes coïncide avec la croissance accélérée des taux de déforestation tropicale enregistrés ces dernières décennies. Plus de 250 millions d’hectares ont disparu en quarante ans. Les forêts tropicales, parce qu’elles sont particulièrement riches en biodiversité, sont aussi très riches en microorganismes. Mais tous ne sont pas pathogènes : au contraire, l’immense majorité d’entre eux ont des fonctions essentielles et positives. Le risque de contracter un pathogène est lié au danger microbiologique, associé à la diversité biologique et aux écosystèmes en général, mais aussi à l’exposition des populations et à leur vulnérabilité – sont-elles pauvres ou bien nourries ? vaccinées ? ont-elles accès aux soins ? précise Jean François Guégan.

L’intensification agricole et la déforestation ont, par exemple, été les principaux moteurs de l’émergence du virus Nipah, qui a provoqué en Malaisie, en 1998, des centaines de cas d’encéphalite chez l’homme. Ce virus était hébergé par des chauve-souris frugivores du nord du pays. À cette époque, des élevages porcins industriels sont établis dans la région. Les éleveurs plantent également des manguiers et d’autres arbres fruitiers pour s’assurer une seconde source de revenus. Chassées des forêts où elles vivaient, en raison notamment de l’exploitation de l’huile de palme, les chauve-souris s’installent sur ces arbres. Les fruits à demi consommés, leur salive ou leurs excréments tombent dans les enclos, et les porcs mangent tout. Le virus se propage d’un cochon à l’autre, d’un élevage à l’autre, puis infecte l’homme. Plus d’un million de porcs sont abattus. Mais, comme les porcs, ne faudrait-il pas éliminer les chauve souris et déforester encore davantage ? Si les régions les plus riches en biodiversité sont aussi les plus riches en pathogènes potentiels, pourquoi protéger cette biodiversité ? Tenter de détruire des hôtes ou des paysages pourrait être contre productif et augmenter, au moins à court terme, le risque de propagation de nouvelles maladies aux humains, répond Kate Jones. De plus, nous avons besoin de la nature pour l’eau potable, la nourriture et d’autres services.

Dans les écosystèmes riches, de nombreuses espèces, quand elles sont confrontées à un virus, peuvent le détruire ou ne pas le reproduire. Elles jouent un rôle de cul de sac épidémiologique, de rempart, explique aussi Jean François Guégan. En appauvrissant les écosystèmes, on se prive de ces espèces et des fonctions essentielles qu’elles exercent, qui sont celles de barrières naturelles ou encore d’épurateurs des écosystèmes. Celles qui subsistent dans les écosystèmes les plus pauvres, tels un champ de la Beauce ou une ville bétonnée, sont souvent les plus prolifiques et les plus permissives pour les différents micro organismes : des rongeurs ou certains oiseaux, plus susceptibles de contracter un pathogène et de le transmettre aux humains. Les prédateurs, au contraire, sont parmi les premières espèces à disparaître. En Inde par exemple, des vautours ont longtemps assuré une fonction d’épurateurs de l’environnement. Grâce à une acidité très forte de leur appareil digestif, ils pouvaient détruire les carcasses de bovins, les virus et les bactéries. Mais à partir des années 1990, un anti inflammatoire donné au bétail les a décimés. Leur disparition rapide a entraîné une accumulation de carcasses, qui ont contaminé les points d’eau, puis un  accroissement des populations de chiens errants, principale source de transmission du virus de la rage. On est en train de modifier en profondeur les interactions entre la faune sauvage et ses propres pathogènes et de détruire l’autorégulation des écosystèmes qui maintenait la circulation des virus à bas bruit, constate Serge Morand, écologue de la santé et chercheur au CNRS Cirad basé en Thaïlande. Les changements agricoles, la destruction des habitats naturels et l’élevage industriel favorisent des ponts épidémiologiques de l’animal sauvage à l’animal d’élevage et à l’homme.

Au sein même des espèces, la diversité génétique semble jouer un rôle dans la propagation des épidémies. Si cette diversité permet d’offrir moins de prise aux pathogènes, l’élevage intensif favorise le phénomène inverse, en entraînant une simplification génétique et une uniformisation des espèces à de vastes échelles. À ces éléments s’ajoutent une économie mondialisée et une population toujours davantage concentrée dans de gros centres urbains, à proximité de la faune. Autant de facteurs qui contribuent à faire qu’un virus comme le SARS CoV2, apparu sur un marché chinois, ait provoqué trois mois plus tard une pandémie touchant l’ensemble de la planète. Nous avons un système mondial de facteurs interconnectés qui facilite la transmission de nouvelles infections par la faune et, en même temps, augmente la probabilité que ces événements deviennent des épidémies régionales et mondiales, résume Kate Jones. Pour ces chercheurs, une prochaine pandémie est inévitable. Il est même possible que la situation soit encore plus  préoccupante en termes de mortalité, craint Jean François Guégan. À moins que cette crise sans précédent ne soit l’occasion d’une prise de conscience ? Cette fois-ci, ce ne sont plus des poulets ou des canards qui sont touchés, mais des milliards d’humains qui sont confinés, note Serge Morand. Il faut faire une vraie transition écologique, remettre l’agriculture au centre des terroirs. Agir localement, travailler avec les communautés. Le Green Deal proposé par la Commission européenne est, pour lui, une main tendue en ce sens, qu’il faut saisir. Pour accompagner cette éventuelle prise de conscience, il faudra aussi davantage de travaux scientifiques sur le sujet, menés de façon multidisciplinaire. Il faut une science plus attributive, qui s’intéresse davantage aux causes profondes et se détache de l’injonction à l’innovation, juge Serge Morand. On s’intéresse aux causes directes, mais on a du mal à  comprendre les causes en cascade, qui sont plus complexes, mais aussi plus proches de la réalité actuelle, regrette aussi Jean François Guégan. Et nous avons une approche très curative : on laisse venir la maladie et on se dit qu’on trouvera un vaccin ensuite pour l’arrêter. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de vaccin contre le SARS, le virus du sida ou Zika. Peter Daszak appelle à ne pas perdre de vue le tableau d’ensemble : Les pandémies sont en augmentation et il ne faut pas seulement contenir les maladies les unes après les autres, mais aussi les processus permettant leur émergence, insiste-t-il.

perrine mouterde. Le Monde du 8 04 2020

Il y aura rapidement un manque de masques chirurgicaux. Et la belle unanimité de début de crise commencera à se fissurer : le 21 mars, Xavier Bertrand, ministre de la Santé en 2007 demandera sur France Inter comment il se fait qu’à son départ du ministère de la Santé, 13 ans plus tôt, il y avait en stock, 1.4 milliard de masques et qu’aujourd’hui au 15 mars 2020, il est de 117 millions (chirurgicaux et aucun FFP2) ; fin 2009, Roselyne Bachelot avait porté le stock de ces masques à 1.723 milliard (dont 723 millions de FPP2 ; en 2014, le stock aura fondu jusqu’à 472 millions, par distribution aux hôpitaux qui se révéleront très mauvais gestionnaires de ce genre de stock (40 millions seront récupérés en mars 2020 par réquisition : s’agit-il de ceux-là ?) : Cela fait dix ans qu’on détricote tout ce qui a été fait pour prévenir les risques. Aujourd’hui, le rideau se déchire (mars 2020).  On en consomme 24 millions par semaine alors que la capacité de production est de 6 millions par semaine ! c’est à dire qu’en début de crise, on disposait d’un seul mois de stock ! Il est scandaleux que les impératifs de santé publique, c’est à dire d’intérêt général, se soient ainsi dissous dans des arguments purement marketing, de simple rentabilité financière.

Mais la dispute principale sera celle de l’utilisation généralisée de la chloroquine ou non, avec, à la tête des pour le professeur Didier Raoult, chef du service des maladies infectieuses à la Timone, à Marseille. Il paraît évident que, dans cette dispute, l’essentiel n’est pratiquement pas abordé, à savoir le faible coût de la chloroquine, vieux médicament dont le brevet est tombé dans le domaine public… autant de moins pour les grands laboratoires de pharmacie qui ne font pas que la grimace, mais se manifestent dans les hautes sphères. Et puis, il y a le professeur Didier Raoult qui n’a pas que les cheveux longs mais qui dit aussi urbi et orbi que l’Asie du Sud-est a une très grande longueur d’avance sur nous en la matière, à commencer par la Chine, mais aussi la Corée du Sud, Singapour, Taïwan qui, avec 23 millions d’habitants, n’a eu que sept morts, le Vietnam, qui, avec 90 millions d’habitants, a eu 268 contaminés, et pas un seul mort, oui, pas un seul mort et ses voisins, Cambodge et Laos, eux aussi, ne déplorent aucun mort (avec un moindre degré de confiance à leur accorder) etc… Mais, dans quel pays d’occident accepterai-on d’être réveillé par la police à 1 heure du matin pour s’entendre dire qu’une de vos relations est contaminée ? dans quel pays d’occident tolérerait-on d’être puni de 9 mois de prison pour avoir refusé de porter un masque ?

Et ça, ça reste en travers de la gorge de tous ceux qui se sont habitués, depuis la fin de la première guerre mondiale à être à la remorque des États-Unis. Quoi, la Chine leadership mondial en matière de santé ! J’voudrais bien voir ça, crénom de Dieu ! Et on se retrouve dans la posture de l’arroseur arrosé, avec un professionnalisme très pointu dans l’enfumage, avec cette inoxydable morgue du  donneur de leçons : Ouai, les incontestables succès économiques allemands, c’est parce qu’ils n’investissent pas dans leurs infrastructures ; regardez Angela Merkel, le nombre de fois où elle est arrivée en retard à des réunions internationales parce que son avion était en rade ; leur réseau de train est quasiment à l’abandon etc, etc… Et là, que voit-on ? une Allemagne qui est très loin de connaître la gravité de la crise chez nous, – à peu près 4 fois moins de morts – en Espagne, en Italie, parce que l’Allemagne a le nombre de lits de réanimation qu’il faut, le nombre de masques qu’il faut, le nombre de tests qu’il faut… avec un système de santé beaucoup plus décentralisé que le nôtre, alors, où est-il le sous-investissement allemand ?

Convaincu de détenir le remède miracle, le médecin marseillais a annoncé lundi (23 mars) qu’il traiterait tous ses patients atteints du Covid-19 avec l’hydroxy chloroquine. Un empressement qui tranche avec la prudence des autorités sanitaires françaises.

Dimanche soir, le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, [déjà en poste sous François Hollande, avec Marysol Touraine comme ministre de la Santé] a confirmé qu’un vaste essai clinique permettrait d’étudier ces prochaines semaines plusieurs traitements du Covid-19, dont l’hydroxy chloroquine. Dans la journée, Didier Raoult, directeur de l’IHU-Méditerranée et fervent défenseur du traitement depuis des semaines, a annoncé qu’il n’attendrait pas les résultats pour l’administrer massivement à ses patients atteints du Covid-19. Je m’en fiche, a-t-il déclaré au Parisien. S’appuyant sur les résultats d’une étude menée par ses services auprès d’un petit nombre de patients, il a déclaré : Comme n’importe quel docteur, à partir du moment où l’on a montré qu’un traitement était efficace, je trouve immoral de ne pas l’administrer. C’est aussi simple que ça.

Alors que la France a atteint lundi soir les 674 morts du Covid-19, l’IHU-Méditerranée a ainsi annoncé par communiqué que serait proposé un traitement par l’association hydroxy chloroquine + azithromycine pour tous les patients infectés au plus tôt de la maladie, dès le diagnostic. Au passage, Raoult aussi prend le contrepied de la doctrine nationale en matière de tests, en assurant dans son communiqué sa volonté de tester chaque malade fébrile venant toquer à la porte de son établissement. Depuis le début de la crise, le professeur marseillais critique vertement la stratégie française en matière de dépistage : On a pris une stratégie qui n’est pas la stratégie du reste du monde technologique. Qui est très basse. Qui est de très peu tester, déplorait-il le 16 mars. Lui se targue, fort de la capacité de tests inégalée en France de l’IHU Méditerranée (qui fait 1 500 dépistages par jour, là où le total national atteint environ 4 000 tests), de dépister plus de monde, et pas seulement les cas graves. Son modèle ? Séoul plus que Paris, expliquait-il : Les Coréens ont réussi à maîtriser l’épidémie, en faisant ça : dépistage, traitement. Ce qu’il promet à partir d’aujourd’hui. Dès ce matin, une foule se pressait devant l’hôpital marseillais. 1 207 personnes parlent à ce sujet.

Mais c’est peu dire que l’empressement de Raoult contraste avec les réserves émises ces derniers jours par les autorités sanitaires. Pressé de questions sur l’efficacité de l’hydroxy chloroquine, Jérôme Salomon et Olivier Véran n’ont eu de cesse de répéter qu’il était trop tôt pour passer à la voie thérapeutique. Je serais le plus heureux des ministres si je pouvais vous annoncer demain qu’on a un traitement qui a fait montre de son efficacité, déclarait Olivier Véran samedi, mettant garde contre les faux espoirs. Mais encore une fois, l’histoire des maladies infectieuses, des maladies virales, est peuplée de fausses bonnes nouvelles, de déceptions, et parfois de prises de risques inconsidérées. À Check News, le cabinet d’Olivier Véran répétait lundi soir : Il faut attendre la fin du protocole pour savoir si l’hydroxy chloroquine fonctionne. On ne veut pas l’autoriser à grande échelle pour ensuite réaliser qu’il y a des effets secondaires néfastes. Didier Raoult, lui, est déjà persuadé d’avoir trouvé le remède : Avec mon équipe, nous estimons avoir trouvé un traitement. Je suis convaincu qu’à la fin tout le monde utilisera ce traitement.

La controverse autour de l’hydroxy chloroquine débute en février, alors que la France ne connaît encore que quelques cas isolés de Covid-19. Dans une lettre publiée par le journal BioScience Trands, deux chercheurs de l’université de Qingdao en Chine recommandent d’utiliser la molécule contre le nouveau coronavirus. Ils s’appuient sur un autre article, affirmant que des tests in vitro ont montré l’efficacité de l’hydroxy chloroquine contre l’infection. La nouvelle est relayée en France par le professeur Didier Raoult, qui fait alors la tournée des médias. À l’AFP, le directeur de l’Institut Méditerranée Infection à Marseille explique : Finalement, cette infection est peut-être la plus simple et la moins chère à soigner de toutes les infections virales.

Mais le 26 février, le ministère de la Santé vient tempérer une première fois ces espoirs, et indique qu’aucune étude rigoureuse, publiée dans une revue internationale à comité de lecture indépendant, ne démontre l’efficacité de la chloroquine pour lutter contre l’infection au coronavirus chez l’être humain. Après une première séquence médiatique  enthousiaste, la température baisse de plusieurs crans. De remède miracle, le traitement à l’hydroxy chloroquine (souvent appelée du nom d’un autre antipaludique proche, la chloroquine) vire à la fake news dans les médias. Dans un article sur la recherche d’un remède contre le Covid 19, Libération cite le professeur Xavier Lescure, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Bichat à Paris : Un médecin doit être un saint Thomas. Il doit s’appuyer sur des faits et là, je n’en vois pas la couleur. Par expérience, j’observe que, quand des chercheurs démontrent l’efficacité d’un traitement, ils publient leurs résultats bruts, pas de simples recommandations de traitement, comme c’est le cas. J’attends des preuves.

Auprès de Check News, le docteur Alexandre Bleibtreu, infectiologue à la Pitié-Salpêtrière, explique lui aussi ses réserves, fin février : ce que l’on peut dire à l’heure actuelle, c’est que la molécule est active sur le virus in vitro. Mais il n’y a aucune donnée scientifiquement prouvée soutenant l’usage de la chloroquine chez les malades. Sur le fait que les études n’aient pas fourni de données précises étayant leurs découvertes, un porte-parole de l’IHU Méditerranée explique alors à Check News : On est dans une certaine urgence aujourd’hui. On commence à avoir des cas en France, donc il faut trouver des solutions pour les traiter. On n’a pas le temps long nécessaire aux publications scientifiques et aux études cliniques. Le 5 mars, le projet de recherche de Raoult est accepté par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM): 24 malades seront traités à l’hydroxy chloroquine à l’hôpital de la Timone à Marseille. 

Dix jours plus tard, le 16 mars, c’est un Didier Raoult triomphant qui prend la parole pour présenter ses premiers résultats. Deux groupes de patients ont été testés, explique-t-il : des patients n’ayant pas reçu de traitement à Avignon et Nice, et 24 patients, donc, ayant été traités au plaquenil. Au bout de six jours, 90 % des patients de Nice et Avignon étaient encore porteurs du SARS-CoV-2, contre 25 % des patients traités au plaquenil. Ce qui signifie, assure l’équipe de Raoult, que 75 % des patients étaient guéris au bout de six jours. L’ essai clinique mené par l’équipe marseillaise est très vivement critiqué par une partie du monde scientifique, pour la manière dont ils ont été publiés, ou encore (et surtout) parce que l’essai ne portait que sur un nombre réduit de patients. 

N’empêche, alors que l’épidémie se répand, les positions bougent. Alexandre Bleibtreu, de la Pitié Salpêtrière, fait une spectaculaire volte-face dans une série de tweets : Chers tous, pour être transparent, j’ai dit il y a deux semaines que les données dispo sur chloroquine étaient bullshit. À l’époque c’était vrai. De nouvelles données venant de Marseille contredisent ce que j’ai dit et ce que je pensais. Et d’annoncer le début du traitement par plaquenil à la Pitié-Salpêtrière. J’adore l’humour et critiquer les dogmes. Je me l’applique donc à moi-même. Je pense avoir eu suffisamment tort pour devenir chloroquiniste ascendant raoultien. À Check News, il explique alors que la molécule est désormais utilisée sur presque tous les patients hospitalisés dans son service (une cinquantaine), sauf ceux qui refusent ou ont des contre-indications.  

À en croire un autre infectiologue d’un hôpital français, d’autres médecins ont également recours au traitement, sans en faire grande publicité, et sans forcément avoir attendu les travaux du professeur marseillais : L’activité antivirale de l’hydroxy chloroquine est connue depuis des décennies. Des collègues cliniciens, en France et dans le monde, l’utilisent dans la prise en charge du Covid-19, dans l’attente des résultats des essais cliniques, compte tenu de la gravité de la situation. Mais cette approche au cas par cas est différente de la communication au grand public d’informations qui semblent définitives, alors qu’elles ne le sont pas.

De fait, les essais cliniques sur la chloroquine, molécule largement débattue étaient déjà citées dès le 9 mars, avant donc les résultats des études du professeur marseillais, dans les recommandations d’experts sur la prise en charge des patients atteints de Covid-19. On y lit : Plus de 10 essais cliniques ont été ou sont en cours pour cette molécule antipaludique. Les effets secondaires sont déjà bien connus. Il n’existe à ce jour aucun consensus pour une large utilisation dans l’infection à Sars-CoV 2.

Côté autorités, les premiers résultats de Raoult sont accueillis avec mesure. Le 17 mars, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, tempère : Le ministère a souhaité étendre ces essais cliniques, qui seront dupliqués sur un plus grand nombre de patients. Pour autant, nous n’avons pas de preuve scientifique que ce traitement fonctionne. Sur le fond, les résultats de Marseille n’ont rien changé : le traitement n’est toujours pas considéré comme une piste prioritaire. Comme Check news l’écrit alors, l’hydroxy chloroquine ne figure pas parmi les traitements destinés à être étudiés dans le cadre du vaste essai clinique européen Discovery qui vient alors d’être mis sur pied en urgence, comprenant 3 200 patients, dont 800 en France. Le professeur Yazdan Yazdanpanah, directeur du consortium REACTing, qui a choisi les projets, se justifie au Monde en invoquant le problème d’interactions médicamenteuses avec d’autres traitements chez des patients en réanimation, et l’existence d’effets secondaires de la chloroquine, qui rendent prudent quant à son utilisation

Mais en quelques jours, la pression médiatique et l’engouement pour la promesse (Même Donald Trump a tweeté sur les résultats de nos essais, plastronne Raoult) ont visiblement changé la donne. Samedi, les Échos annoncent que l’hydroxy chloroquine se glissera finalement dans l’essai clinique géant Discovery, au prix d’un amendement en urgence du protocole. 

Cet essai de grande ampleur est nécessaire pour produire des résultats suffisamment solides afin de déterminer si l’on peut traiter des patients avec l’hydroxy chloroquine, estime le praticien hospitalier spécialiste des maladies infectieuses Jade Ghosn à l’hôpital Bichat, à Paris, qui va prendre part à cette étude à venir. En temps normal, un protocole de ce type peut prendre des semaines à des mois, souffle-t-on à la direction générale de la santé. Mais en l’occurrence tout le monde est sur le pont pour faire au plus vite. Précision du médecin Jade Ghosn : Il y aura une analyse intermédiaire des résultats, qui permettra d’écarter dans le cadre du protocole des médicaments qui ne fonctionnent pas, ou à l’inverse de privilégier ceux qui fonctionnent le mieux.

Si l’essai devait valider l’efficacité antivirale de l’hydroxy chloroquine, l’intérêt des résultats serait alors aussi de préciser les indications d’un tel traitement, note un infectiologue d’un hôpital français : En prévention, pour traiter tous les cas et leurs contacts en sortie de confinement et empêcher la reprise de la transmission ? En prévention d’une infection grave chez les personnes à risque d’en développer, sous réserve de définir cette population ? En traitement de la maladie grave ? Un enjeu essentiel, car ces drogues sont actuellement en quantités limitées, explique la même source, qui sur ce point critique vertement la communication du professeur marseillais : Dire à tous par YouTube et Twitter interposés et dans la presse grand public qu’il faut absolument prendre ce traitement miracle semble dangereux car cela risque engendrer une pénurie qui pourrait avoir un impact sur les patients qui en auraient le plus besoin. Et de fait, comme nous vous l’expliquions dans un précédent article, les stocks de plaquenil ont fondu comme neige au soleil, à la fois dans certains hôpitaux et dans des pharmacies, depuis l’annonce des résultats de Didier Raoult. 

Suite à cette nouvelle vague d’emballement, de nombreux internautes ont cru voir dans l’hydroxy chloroquine un remède miracle. Allant jusqu’à imaginer un complot dans le fait qu’elle soit classée sur la liste II des substances vénéneuses, ou souhaitant s’automédicamenter, pratique contre laquelle préviennent tous les médecins en raison des effets secondaires et du manque de recul sur la molécule. Alexandre Bleibtreu tempère sur la panique ambiante: C’est difficile à entendre à l’heure actuelle: les gens ont envie qu’on leur dise : oui, on va tous vous guérir ou non ça ne marche pas. Mais les résultats seront probablement entre deux, c’est comme ça la médecine

Cédric Mathiot, Pauline Moullot, Fabien Leboucq. Libération du 23 mars 2020

Dans la dernière semaine de Juin, Didier Raoult sera entendu par une commission de parlementaires, précis, parfois cinglant pour les confrères et bien sûr, cela donnera lieu à de nombreux commentaires… on ressortira du placard Alain Duhamel, portant beau avec ses 80 printemps qui ne trouvera pas mieux pour tacler Didier Raoult que de le comparer à Georges Marchais… Pour comprendre ce tâcle sorti de derrière les fagots, il faut remonter quarante ans en arrière quand, dans les années 80, Georges Marchais était devenu la tête de turc du couple de service Alain Duhamel, Jean-Pierre Elkabbach ; il était bien difficile de faire taire le bonhomme à la faconde puissante et ravageuse ; l’affaire avait été à son sommet avec un resté fameux Elkabbach, taisez-vous ! lancé par Georges Marchais, qui en fait n’avait rien d’authentique puisqu’inventé par Thierry le Luron, remarquable imitateur de l’époque : Georges Marchais n’avait jamais dit précisément cela. Il n’empêche, se non e vero, e ben trovato, et la formule était passée à la postérité. Georges Marchais avait osé commettre un crime de lèse-majesté en remettant à sa place un Elkabbach qui paradait sur son olympe. Et donc, 40 ans plus tard, comparer Didier Raoult à Georges Marchais, c’était l’affubler d’une impardonnable transgression… Alain Duhamel, ce vieux sage respecté, vénéré, n’est qu’un boutiquier.

Colauréate 2008 du prix Nobel de médecine pour sa participation à la découverte du VIH à l’Institut Pasteur en 1983, la virologiste Françoise Barré-Sinoussi, présidente de l’association Sidaction, a été nommée à la tête de CARE – Comité analyse recherche et expertise -, composé de douze chercheurs et médecins, qui devait être installé par l’Élysée mardi 24 mars. Ce comité sera chargé de conseiller le gouvernement pour tout ce qui concerne les traitements du Covid 19. Elle s’inquiète des fausses nouvelles qui circulent à propos de l’épidémie due au coronavirus.

Vous qui avez participé à la découverte du virus du sida, vous êtes restée silencieuse jusqu’à présent. Pourquoi vous exprimer aujourd’hui ?

Je suis inquiète, comme tout le monde, face à cette épidémie, qui me rappelle en bien des points beaucoup de choses douloureuses des débuts de l’épidémie de VIH sida. C’est bien que les experts qui ont les mains dans le cambouis s’expriment, dont certains d’ailleurs ont vécu les premières années de l’épidémie de sida. Mais lorsque j’ai vu les dérives de ces derniers jours, je me suis dit que c’était aussi de ma responsabilité de m’exprimer. On entend parfois n’importe quoi, par exemple, parler de bactéries alors qu’il s’agit d’une infection virale.

Je réagis aussi à la vue, ces dernières heures, des files d’attente devant l’Institut hospitalo universitaire de Marseille pour bénéficier d’un traitement, l’hydroxy chloroquine dont l’efficacité n’a pas été prouvée de façon rigoureuse. Certains peuvent être contaminés et risquent de diffuser le virus. C’est n’importe quoi. J’ai connu ce genre de situation dans les années 1980, ce qui peut semer la confusion auprès du grand public, déjà sidéré par l’ampleur de cette épidémie.

Que pensez-vous de l’hydroxy chloroquine (Plaquenil) et des attentes qu’il suscite ?

Pour l’instant, pas grand-chose, j’attends les résultats de l’essai discovery, conçu dans le cadre du consortium Reacting, qui vient de démarrer et qui portera sur 3 200 personnes, dont 800 en France. Un premier groupe recevra des soins standards sans médicament ; un deuxième se verra administrer l’antiviral remdesivir ; puis dans le groupe 3, les patients recevront une association lopinavirritonavir ; la même association sera administrée dans le quatrième groupe en combinaison avec un autre médicament, l’interféron bêta, et un cinquième avec l’hydroxi chloroquine [seul], qui a été ajouté récemment. Tous ces groupes de patients sont bien sûr traités avec en plus des soins standards. De premières analyses fiables devraient être connues dans une quinzaine de jours. Cet essai est fait dans les règles de l’art. Soyons patients.

Vous voulez dire que les résultats annoncés par l’équipe du professeur Didier Raoult ne sont pas fiables ?

Les premiers résultats publiés portent sur un tout petit nombre de personnes, une vingtaine, et l’étude comporte des faiblesses méthodologiques. Il est absolument indispensable que l’essai de ce médicament soit réalisé avec rigueur scientifique, pour avoir une réponse sur son efficacité, et ses éventuels effets secondaires. Il nous faut quelque chose de sérieux. D’autant plus que l’hydroxy chloroquine, ce n’est pas du Doliprane, elle peut avoir des effets délétères et comporter des risques de toxicité cardiaque [1]. Il n’est donc pas raisonnable de la proposer à un grand nombre de patients pour l’instant, tant qu’on ne dispose pas de résultats fiables. Si cela marche, j’en serais très heureuse, et tester des molécules qui existent déjà sur le marché est une approche tout à fait raisonnable. Mais il faut des réponses solides à ces simples questions : est ce efficace ? Existe-t-il des effets secondaires graves ?

Des soignants le délivrent déjà, qu’en pensez-vous ?

Il arrive en effet qu’il soit donné à titre compassionnel, ce qui signifie délivrer un médicament qui est déjà sur le marché pour une autre indication à des personnes dans un état grave. Mais attention certains patients pourraient mal le supporter. Rappelons-le, c’est bien grâce à la rigueur scientifique des essais cliniques qu’on a pu obtenir les combinaisons thérapeutiques qui permettent aujourd’hui de vivre avec le VIH. Evaluer de nouvelles molécules prendra du temps.

En quoi la situation actuelle vous rappelle-t-elle l’épidémie de VIH ?

Faisons très attention aux effets d’annonce, on en a vécu beaucoup dans le domaine du VIH/Sida. Par exemple, des candidats-vaccins avaient été annoncés comme protégeant du VIH ; certaines personnes les ont utilisés et ont été infectées. Certains ont utilisé des médicaments qui étaient censés les guérir, sans succès. L’actualité nous rappelle de tristes histoires. Ne donnons pas de faux espoirs, c’est une question d’éthique.

Comment concilier rigueur scientifique et urgence épidémique ?

Au début des années sida, il y avait des crises d’hystérie et d’angoisse parfois déraisonnées et déraisonnables du grand public, liées, entre autres, à des informations contradictoires, à de la désinformation, que je retrouve là en partie avec cette pandémie. Pour le VIH/Sida, notre force a été la solidarité, le tous ensemble, que pour le moment je ne trouve pas suffisant dans cette épidémie, même si cela existe chez la majorité des soignants, des chercheurs, et nous devons être admiratifs de ce qu’ils font, et dans le contexte dans lequel ils le font. Mais la communication devrait être mieux coordonnée, de façon globale, pour être la plus fiable possible. Tout est amplifié par les réseaux sociaux, avec de trop nombreuses fausses informations, ce qui crée des angoisses. Les médias ont un rôle à jouer. La grande majorité des personnes infectées par le SARS CoV2 guérissent alors qu’un diagnostic d’infection VIH dans les années 1980 était une sentence de mort. Le SARS CoV2, en revanche, se transmet bien plus facilement que le VIH.

Quelle est l’urgence ?

Pour moi l’urgence est d’arrêter l’épidémie et donc d’appliquer le strict respect du confinement. Et j’en appelle à l’aide de toutes et tous ! C’est la meilleure chose que l’on puisse faire pour aider les soignants. Le manque de discipline de la population m’inquiète. L’urgence, c’est aussi la recherche. Les procédures sont accélérées, et c’est une bonne chose, pour les essais cliniques bien sûr, mais aussi pour que la recherche fondamentale avance au plus vite. Car la compréhension des mécanismes d’entrée et de multiplication du SARS CoV2 dans les cellules permettra de développer les stratégies thérapeutiques de demain. Des recherches portent aussi sur les anticorps très puissants, sur le même modèle que le VIH, qui pourraient être utilisés en thérapeutique… Des recherches ont démarré à l’Institut Pasteur dans ce domaine ainsi que sur un vaccin, mais tout cela prendra du temps. Enfin, n’oublions pas les personnes vulnérables, les migrants, les SDF, les personnes dans les prisons… Il faut aussi les protéger, les prendre en charge, en travaillant entre autres avec le milieu associatif. 

La chloroquine testée avec prudence en Chine

Les chercheurs chinois ont été les premiers à rapporter ses effets contre le SARS CoV2. Ils évaluent désormais l’hydroxy chloroquine.

Utilisée en Chine depuis les années 1950 essentiellement contre le paludisme, la chloroquine l’est aussi depuis quelques semaines pour combattre le Covid19 mais avec précaution. En aucun cas, elle n’est présentée par Pékin comme le remède miracle. De fait, en février, un groupe de chercheurs de l’Académie des sciences a déclaré avoir utilisé avec succès la chloroquine contre la reproduction du SARS CoV2. Chen Caixian, un académicien, déclare le 12 février que la chloroquine a de bonnes capacités antivirales contre le coronavirus évaluées in vitro. Elle a ensuite été testée auprès de 135 malades se trouvant dans une dizaine d’hôpitaux à Pékin et dans la province du Guangdong. 130 d’entre eux ne présentaient que des symptômes bénins ou modérés, cinq avaient des symptômes sévères. Selon Xu Nanping, vice-ministre des sciences et de la technologie, aucun des 130 patients n’a vu son état s’aggraver. Quatre des cinq patients gravement atteints ont pu sortir de l’hôpital et le cinquième a vu son symptôme régresser de grave à normal. Par ailleurs, un patient de 54 ans atteint du Covid19 a été testé négatif après avoir reçu un traitement de phosphate de chloroquine a révélé, le 17 février, Sun Yanrong, vice-directrice du centre de biologie du ministère des sciences et technologies. Le 19 février, la Commission nationale de la santé a introduit la chloroquine parmi les remèdes préconisés pour combattre le coronavirus. Mais aucun des médicaments préconisés ne doit être pris durant plus de dix jours, précise-t-elle. Or, depuis, la Chine se montre prudente. Commentant les essais effectués, Zhong Nanshan, considéré depuis la crise du SRAS comme le principal épidémiologiste chinois, a expliqué que certes des patients avaient été testés négativement, mais que les résultats n’ont pas encore été confirmés par des expériences rigoureusement contrôlées et qu’il et trop tôt pour dire si le médicament est efficace. Essais in vitro Dès le 21 février, la commission de la santé de la province du Hubei, épicentre de l’épidémie, a prévenu tous les médecins de surveiller attentivement les effets secondaires de la chloroquine. L’institut de virologie de l’Académie des sciences a précisé que la dose mortelle se situe entre 2 et 4 grammes par adulte et que des effets contraires peuvent inclure la mort instantanée. Les hôpitaux qui mènent ces tests doivent rapporter tout effet contraire. La commission de la santé du Hubei a toutefois précisé qu’il s’agissait d’un appel à la vigilance et qu’il n’y avait pas eu de décès lié à une surdose. À la suite de la commission du Hubei, la Commission nationale a défini plus strictement, le 29 février, les conditions l’utilisation de la chloroquine. Le médicament ne peut plus être administré notamment aux femmes enceintes, aux personnes ayant des problèmes cardiaques ou des maladies des reins ou du foie. Il peut seulement être donné aux personnes âgées de 18 à 65 ans et durant sept jours. Les Chinois pouvant se procurer la chloroquine sur Internet, une femme de Wuhan qui croyait, à tort, avoir le coronavirus, a dû être admise en soins intensifs en raison de problèmes cardiaques, après avoir absorbé 1,8 gramme de chloroquine, a révélé le 25 février le quotidien Thepaper. Pour Tong Chaohui, vice-président de l’hôpital de Chaoyang, à Pékin, chaque fois qu’il y a une épidémie, les gens veulent trouver un médicament miracle pour y mettre fin, malheureusement, il n’y a jamais de médicament antiviral miracle. Les chercheurs doivent s’autodiscipliner, conduire des essais cliniques de manière rigoureuse et éviter tout conflit d’intérêts. Plus la situation est difficile, plus les scientifiques doivent protéger, de façon résolue, les fondamentaux de la médecine, écrit-il dans un journal professionnel repris par le China Daily le 5 mars. Les scientifiques chinois se tournent désormais vers l’hydroxy chloroquine et ils pourraient mal le supporter. Rappelons le, c’est bien grâce à la rigueur scientifique des essais cliniques qu’on a pu obtenir les combinaisons thérapeutiques qui permettent aujourd’hui de vivre avec le VIH. Évaluer de nouvelles molécules prendra du temps.

Françoise Barré Sinoussi, interviewée par pascale santi. Le Monde du 25 03 2020

Et puis, en janvier 2024 tombera comme un couperet l’étude scientifique de Jean-Christophe Lega, professeur de thérapeutique aux Hospices Civils de Lyon, publiée le 2 janvier dans la revue Biomedicine & Phamacotherapy. assurant que l’hydroxy chloroquine a tué 16990 personnes  !

Le Pr Jean-Christophe Lega, coauteur de l’étude, interrogé par L’Express. Notre certitude concernant la mortalité hospitalière est extrêmement forte, insiste-t-il. Les conclusions de son équipe sont claires : l’hydroxychloroquine a causé la mort de 16 990 personnes dans l’ensemble des six pays étudiés, soit la Belgique, l’Espagne, la France, l’Italie, la Turquie et les Etats-Unis.

[…] Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’il s’agit d’une estimation grossière, dans le sens ou elle ne concerne que quelques pays pendant une courte période et que le nombre total de morts est probablement bien plus grand, souligne le Pr. Lega. En effet, ces travaux analysent les résultats de six pays seulement – l’Inde et le Brésil, très importants prescripteurs d’hydroxychloroquine, sont par exemple absents – et ne portent que sur la période mars-juillet 2020, alors que les prescriptions d’hydroxychloroquine ont été effectuées bien après cette date.

[…] De plus, cette étude ne comptabilise que les morts hospitaliers : tous les arrêts cardiaques en ville ne sont pas pris en compte, ajoute le Pr Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Bordeaux, qui a lu l’étude mais n’y a pas participé. Ce chiffre ne représente donc que la partie émergée de l’iceberg et pourrait être sous-estimé jusqu’à un facteur cinq : il s’agit d’un véritable scandale sanitaire.

Une autre limite de l’étude est que les taux de prescription d’hydroxychloroquine fluctuent considérablement d’un pays à l’autre, allant de 16 % (en France) à 84 % (en Espagne). Le nombre de morts associés à l’usage de ce médicament varie également grandement : de 95 en Turquie, à 199 en France, 240 en Belgique, 1 822 en Italie, 1 895 en Espagne et jusqu’à 12 739 aux Etats-Unis. Les auteurs reconnaissent bien volontiers ces limites dans les conclusions de leur étude, où ils indiquent que leurs estimations sont limitées par leur imprécision. Ils assurent néanmoins que leurs résultats illustrent le risque de réorienter des médicaments avec des preuves de faible niveau.

L’Express Janvier 2024

Pénurie de masques : la faute logistique de l’État français

Le manque actuel de masques révèle une véritable faillite. L’État a choisi de se défaire de stocks stratégiques sans penser au réapprovisionnement en situation de crise Pour lutter contre le coronavirus, il faut des masques. Mais la France est en pénurie. Leur distribution est rationnée, et leur usage limité aux acteurs exposés. Du fait de cette pénurie, nous sommes moins efficaces dans notre lutte face au virus. Le confinement sera plus long. L’économie française sera plus durement touchée. Mais, plus grave, la pénurie conduira à ce que plus de Français soient contaminés, donc au fait, statistique, qu’il y aura plus de morts. La pénurie de masques va donc tuer. Qui est le responsable de ces morts ? Le gestionnaire du stock, l’État français. Quelle est sa faute ? L’incroyable incompétence logistique qui a entouré la décision prise au sujet des stocks stratégiques de masques. Petit rappel des faits. Face aux risques de propagation du virus H1N1, Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé, stocke massivement des masques. Fin 2009, la France dispose ainsi de 723 millions de masques FPP2, et de 1 milliard de masques chirurgicaux, stockés dans les plates-formes logistiques de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus).

Mais l’impact du H1 N1 en France reste modéré. Roselyne Bachelot est moquée pour avoir gaspillé de l’argent public dans des stocks inutiles.

Aberration. Dans un contexte budgétaire serré, il faut les baisser. Le 16 mai 2013, un changement de doctrine intervient, à la suite d’une recommandation du secrétariat général de la défense et de la sûreté nationale (SGDSN). Alors que le rapport note qu’une maladie infectieuse hautement contagieuse à transmission respiratoire sort du strict cadre de la santé et sécurité au travail dans la mesure où l’on a affaire à une menace sanitaire majeure et qu’il revient aux pouvoirs publics d’apporter une réponse globale, le SGDSN prend la décision aberrante de transférer la responsabilité d’une partie du stock de masques aux employeurs. Ainsi, c’est aux employeurs de déterminer l’opportunité de constituer des stocks de masques pour protéger leur personnel. La décision est confirmée en 2015 dans un rapport remis au Sénat.

Au milieu des années 2010, la décision est donc prise d’enlever à un organisme spécialisé (l’Éprus) la gestion centralisée d’un stock stratégique, et d’externaliser pour partie les stocks à des milliers d’acteurs. Cette décision est excellente sur le plan financier, et permet à l’État de transférer les coûts de stockage aux employeurs. Avec d’autres mesures, elle va, selon ce rapport du Sénat, permettre de ramener le montant des stocks de l’Éprus de 992 millions en 2010 à 472 millions en 2014. Mais, évidemment, cette décision est une aberration logistique.

Pour pouvoir réagir vite à un événement imprévisible, tout logisticien sait que centraliser les stocks est en effet la meilleure stratégie ! Bien sûr. Si tout stocker dans un entrepôt est cependant bien trop risqué, il faut répartir dans un nombre limité de plates-formes des stocks de masques dont on ne sait ni si on en aura besoin un jour, ni quand on en aura besoin, ni où on en aura besoin.

La centralisation possède tous les avantages : elle permet de garder la visibilité sur le niveau du stock ; elle repose sur un professionnel dont c’est le métier ; elle garantit des conditions d’entreposage optimales ; elle réduit le risque d’obsolescence, en facilitant le renouvellement tournant des stocks ; si la pandémie survient, elle permet d’ajuster les expéditions de masques, selon les besoins précis des régions ; toujours en cas de pandémie, elle facilite un réapprovisionnement massif des masques, du fait des relations de long terme qui ont été construites avec les fournisseurs.

La décision de se défaire du stock de l’Éprus est d’autant plus incompréhensible que, si l’on suit une telle stratégie, il faut s’assurer au moins que l’on pourra se réapprovisionner rapidement si besoin. C’est ce que préconise d’ailleurs le rapport du Sénat en 2015, à travers l’idée de réserver des capacités de production et d’acquisition. Mais il semble, ici, que la stratégie de l’État se soit fondée simplement sur l’idée qu’il existait dans le monde des capacités suffisantes de production de masques.

Cependant, lorsque survient une pandémie, la demande de masques explose… et les capacités de production ne peuvent suivre à court terme ! Chaque pays joue alors sa carte et préempte les stocks produits par ses industriels.

Alors que les capacités françaises ne sont que de 6 millions de masques par semaine pour des besoins estimés à 24 millions, l’État en est donc réduit à demander à des industriels français de s’inventer producteurs de masques. Si l’urgence est de gérer cette pénurie, une fois la pandémie passée, l’État devra analyser cette faillite logistique. D’autant que la pénurie de masques n’est pas le seul problème logistique que nous rencontrons ! Ne pouvant réaliser que 2 500 tests par jour, n’ayant que 7 000 lits de soins intensifs avec assistance respiratoire, la France n’a eu au fond d’autre choix que d’adopter la stratégie du confinement pour éviter d’engorger ses hôpitaux.

À côté de nous, l’Allemagne, avec ses laboratoires pouvant réaliser 12 000 tests par jour, ses 25 000 lits, a pu mettre en place une stratégie de dépistage précoce dont la Corée du Sud a démontré l’efficacité, et dispose de plus de latitude face au pic épidémique. Ainsi, alors que nos voisins ont les moyens logistiques d’une stratégie, nous adaptons notre stratégie à nos faibles moyens logistiques. Finalement, cette gestion sanitaire française ne fait que confirmer le déficit structurel de vision logistique qui existe au sommet de l’État. On rappellera ainsi que l’indice de performance logistique de la Banque mondiale place l’Allemagne au 1° rang et la France au 15°. Que l’Allemagne a mis en place une stratégie dès 2010, alors que la France commence à peine à la déployer.

Espérons que cette faillite, et l’héroïsme actuel de tous les acteurs, fasse enfin comprendre aux politiques le rôle stratégique de la logistique.

Aurélien Rouquet est professeur de logistique à la Neoma Business School. Le Monde du 25 03 2020

Ce que l’État demande aux soignants, c’est de travailler avec la bite et le couteau, (on dit ça comme ça dans le bâtiment).

Tribune du Monde du 30 mars 2020.

La pandémie de coronavirus, d’ampleur totalement inédite, a pris de court la plupart des pays. Peu d’entre eux étaient prêts à encaisser une vague épidémique majeure. Il en existe pourtant au moins un qui avait su mettre au point un dispositif de protection très ambitieux contre des pandémies de cette ampleur. Et ce pays c’est… la France de 2007 ! Malheureusement, ce dispositif a été progressivement désarmé pour diverses raisons. Retour sur un épisode et une institution peu connue de notre histoire récente, l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus).

À la suite de l’épidémie de grippe aviaire (H5 N1) de 2006 et à l’initiative du sénateur Francis Giraud (1932-2010), le gouvernement de l’époque a fait adopter, en mars 2007, une loi au titre prémonitoire : Loi relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur.

Elle comportait deux dispositions essentielles. D’abord, la création du fameux corps de réserve sanitaire, sur lequel on ne s’attardera pas ici, et, ensuite, celle d’un nouvel établissement public, l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), dont la mission principale était l’acquisition, la fabrication, l’importation, le stockage, la distribution et l’exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux mesures sanitaires graves, y compris bien sûr les vaccins et les fameux masques chirurgicaux et FFP2 ! La crise H5N1 avait en effet mis en évidence diverses faiblesses dans la réponse logistique de l’État.

Les moyens dévolus à cette toute petite structure (17 agents en 2007 et 30 en 2015), cofinancée par l’État et l’Assurance-maladie, étaient considérables. On ne résiste pas à l’envie de citer l’inventaire estimé à un milliard d’euros qu’en fait l’exposé des motifs de la loi : 70 millions de vaccins antivarioliques et autant d’aiguilles, embouts et pipettes ; 81,5 millions de traitements d’antibiotiques en cas d’attaque bioterroriste de charbon, peste ou tularémie ; 11,7 millions de traitements antiviraux et 11,5 tonnes de substance active (oseltamivir) en cas de pandémie grippale ; 285 millions de masques de filtration de type FFP2 et 20 millions de boîtes de 50 masques chirurgicaux (soit le milliard de masques après lequel le ministre de la santé, Olivier Véran, court aujourd’hui) ; 2 100 respirateurs et bouteilles d’oxygène ; 20 équipements de laboratoires d’analyse (automates PCR et extracteurs ADN/ARN) ; 11 000 tenues de protection NRBC et accessoires.

Lors de ses vœux à la presse, le 22 janvier 2007, Xavier Bertrand, alors ministre de la santé et des solidarités, ne manquait pas de le faire savoir : Nous poursuivons nos efforts de préparation à la survenue d’une éventuelle pandémie, grâce à la constitution de stocks de masques et de vaccins. Nous serions, d’après certains observateurs, parmi les pays les mieux préparés au monde.  Son successeur Olivier Véran aurait du mal à tenir le même discours avec son stock d’État réduit à 120 millions de masques chirurgicaux et à zéro masque FFP2 !

Comment est-on passé de la pléthore à la pénurie ? L’événement majeur est, à mon sens, la crise du H1N1 de 2008-2009. Au-delà des critiques politiques virulentes et souvent injustes adressées à la ministre de l’époque, Roselyne Bachelot, elle a fait naître dans une partie de la haute administration de la santé le sentiment d’en avoir trop fait, d’avoir surestimé la crise et, finalement, d’avoir inutilement gaspillé des fonds publics au profit des laboratoires pharmaceutiques. L’horreur ! La Cour des comptes a estimé à près de 450 millions d’€ l’ensemble des dépenses d’achat spécifiquement liées à la lutte contre la grippe H1 N1, y compris une indemnisation de 48,5 millions due aux laboratoires pour rupture unilatérale de contrat.

L’État s’est ainsi convaincu qu’une réduction de la voilure était nécessaire, d’autant que le déficit de la Sécurité sociale avait atteint ces années-là des records abyssaux : 27 milliards d’euros en 2010 ! Le budget de l’Eprus a donc été drastiquement réduit, passant de 281 millions en 2007 – avant la crise H1 N1 – à 25,8 millions en 2015 (10,5 pour l’Etat et 15,3 pour l’Assurance-maladie) selon un rapport du sénateur Francis Delattre. Parallèlement, les stocks ont été considérablement réduits en ne renouvelant pas, par exemple, des marchés concernant des biens arrivés à leur date de péremption. Estimée à 992 millions d’€ en 2010, la valeur du stock avait été réduite de moitié en 2014, à 472 millions, avant la disparition de l’établissement.

Par ailleurs, en 2011, un changement doctrinal de l’État a conduit à distinguer deux types de stocks pour les produits médicaux de précaution (médicaments, dispositifs, petit matériel), les stocks dits stratégiques, à vocation nationale, détenus par l’État, avec l’Éprus, et les stocks dits tactiques, confiés aux établissements de santé pour couvrir en priorité des besoins locaux. Sans que ce soit nécessairement une mauvaise idée, cela a fragmenté le dispositif. Les masques chirurgicaux relèvent désormais des stocks stratégiques, financés par l’Éprus, alors que les masques FFP2 sont inclus dans les stocks tactiques, financés par des hôpitaux, eux-mêmes soumis à une très forte pression budgétaire. On a certainement perdu de la lisibilité dans cette réforme.

Outre ces questions économiques, la crise due au H1N1 a poussé à une réflexion sur la gouvernance du système de réponse aux crises sanitaire. Le ministère de la santé a toujours confiné l’Éprus dans une simple fonction logistique, sans aucune marge d’autonomie. La convention-cadre avec l’État précise que celui-ci ne peut réaliser aucune opération d’acquisition de produits de santé sans en avoir préalablement reçu l’ordre par le ministre chargé de la santé.

C’est un point qui a cristallisé les critiques de la Cour des comptes : Prises dans le climat d’urgence où s’est développée la gestion de la lutte contre la menace de grippe H1 N1, ces nombreuses et substantielles interventions du ministre chargé de la santé et de son cabinet ont considérablement restreint le champ des responsabilités et les marges de manœuvre dont disposait l’Éprus pour conduire et conclure les négociations dont il était chargé en titre

En clair, le gouvernement aurait mieux fait de laisser l’Éprus négocier et contracter avec les fournisseurs plutôt que de nouer des contacts directs et de négocier des contrats juridiquement faibles, dépourvus par exemple de clause de révision. La Cour, comme le rapport parlementaire du sénateur Jean-Jacques Jégou en 2009, a recommandé d’accorder une plus grande autonomie à l’Éprus, en distinguant mieux les responsabilités politiques de l’État et les responsabilités opérationnelles de l’agence.

Mais c’est une direction inverse qui va être prise, avec la disparition pure et simple de l’Éprus, qui est intégré en 2016 dans le nouvel Institut national de prévention, de veille et d’intervention en santé publique, plus connu sous son nom commercial de Santé publique France. Il rejoignait ainsi l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes).

Sans à nouveau que ce soit nécessairement une mauvaise idée, cette intégration a fait naître quelques interrogations, exprimées par le sénateur Delattre, qui s’inquiétait en 2015 du projet de fusion. Que va peser le petit Éprus – et ses 30 collaborateurs – dans les 500 personnes de Santé publique France ? Comment faire cohabiter des cultures institutionnelles très différentes entre les logisticiens de l’Éprus et les chercheurs en santé publique du reste de l’institution ? L’Éprus ne risque-t-il pas de perdre en agilité et en capacité de réponse rapide ? Le regroupement n’aurait-il pas un effet de réduction budgétaire, sous prétexte de mutualisation des dépenses de fonctionnement ?

D’où les deux recommandations principales qu’il formule : d’abord, préserver une certaine autonomie des fonctions de réponse aux crises sanitaires actuellement assumées par l’Éprus au sein de la nouvelle agence ; ensuite, réaliser la fusion à coût constant et stabiliser, en volume, pour les trois années à venir, le niveau des subventions versées par l’État et l’Assurance-maladie.

Les craintes du sénateur Delattre étaient-elles justifiées ? Il est encore trop tôt pour le dire, l’heure n’est pas encore au bilan de cette intégration, mais certains points inquiètent toutefois. Le rapport d’activité de Santé publique France de 2018, dernier paru, traite de toute une série de questions importantes de santé publique (salmonellose, Nutriscore, maladies nosocomiales, tabac, rougeole, VIH, noyades, vague de chaleur de l’été 2018, etc.), mais pas de menaces virales. La question est expédiée en deux courts paragraphes sur la stratégie de lutte contre une pandémie grippale, qui se contentent de rappeler que les vaccins antigrippaux, dont la composition varie chaque année, ne se stockent pas et que les stocks stratégiques d’antiviraux sont suffisants. Et de conclure : C’est donc un statu quo que préconisent les experts. Un peu court, et nul doute que les prochains rapports seront plus explicites quant aux fonctions de l’ex-Éprus au sein de l’Agence.

On en est là aujourd’hui. Un mélange complexe de considérations doctrinales, politiques, économiques, institutionnelles, dont nous n’avons donné ici qu’un rapide aperçu, a conduit à démanteler un remarquable dispositif de préparation à une crise sanitaire majeure conçu il y a treize ans par un sénateur visionnaire. À l’issue de la crise actuelle, l’État disposera vraisemblablement d’un stock de produits de santé équivalent à celui de 2007. Il faudra éviter que l’histoire se répète. Il faudra reconstituer des stocks, renouveler des doctrines, redéfinir les responsabilités et préserver dans la longue, voire la très longue période, ce véritable capital pour la santé publique. Cela ne sera pas le plus facile.

Claude Le Pen, Professeur à l’université Paris-Dauphine où il dirige le master Economie et gestion de la santé.

En matière de conseils de santé, on peut avoir la naïveté de croire que la Haute Autorité de Santé, en place au ministère, suffise à conseiller le président ; eh bien non : Emmanuel Macron s’entoure de deux comités scientifiques tout neufs, tout nouveaux : CARE, présidé par Françoise Barré Sinoussi, et le Conseil scientifique Covid 19, créé le 10 mars, présidé par Jean-François Delfraissy, par ailleurs président du Comité consultatif national  d’éthique. De loin, on a beaucoup de mal à percevoir la pertinence de cette double stratégie qui risque fort d’ajouter à la confusion et de ne satisfaire que le goût pour le jeu d’un président qui ne parvient pas à oublier le en même temps…  et en même temps. Qu’est-ce qui les distingue ? quelles sont les missions, les fonctions de chacun d’eux ? bien malin qui saurait répondre… enfumage et manipulation. Et quand il s’agira de donner un avis sur la prescription de la chloroquine étendue aux médecins libéraux, ce n’est pas l’un de ces conseils scientifiques qui rendra son avis, mais le Conseil d’État ! et pour dire non ! Mais pour ce qui était de donner un avis sur le maintien ou non du premier tour des élections municipales, c’est le Conseil scientifique qui avait donné son avis ! On marche sur la tête ! Emmanuel Macron répète à l’envie : Nous sommes en guerre et qu’attend il donc pour se comporter en chef de guerre ? Si la France a gagné la première guerre mondiale, c’est en partie, même si cela est rarement dit, parce que le général en chef en 1914, Joffre avait limogé, du 2 août au 31 décembre (il les envoyait à Limoges… où ils ne pouvaient guère faire de mal] 180 des 425 généraux que comptait l’armée. Le scandale des fiches avait promu à ce grade quantité d’incapables. Si on fait la guerre, il faut commencer par couper les branches pourries, et elles ne manquent pas, dans les préfectures comme dans les Agences Régionales de Santé.

Et, dans la rubrique pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, l’hôpital militaire de campagne de Mulhouse :

Ce jeudi 19 mars on démarre la mise en place de l’hôpital militaire de campagne avec engins de terrassement et une logistique incroyable pour… 30 lits sous la tente ! – Il a fallu 10 jours pour trouver un emplacement adéquat, pas trop loin du centre et de l’espace pour créer les parkings, amener et poser un périmètre de sécurité avec des barrières, des panneaux de protection occultants, etc. etc. – Ensuite il faut affréter des avions militaires pour transporter tout le matériel et une semaine pour monter les tentes et installer les équipements sanitaires, les commodités pour le personnel soignant, des vestiaires, des lieux de stockage du matériel médical, etc, etc… Temps de mise en place : 3 semaines minimum entre la décision et le jour J Opérationnel. En comparaison et en rappel les Chinois ont installé en 10 jours un Hôpital provisoire de 1 000 lits ! ! […] Les Allemands, plus pragmatiques, ont choisi d’utiliser les GYMNASES pour installer leurs bases opérationnelles sanitaires ! Et pourquoi ?
1 – Pas besoin de réquisitionner, ils sont vides (écoles et activités sportives fermées)
2 – Ils sont dans un périmètre immédiat ou au centre des villes (accès direct)
3 – Ils ont le plus souvent un parking attribué (pas besoin d’en aménager comme à Mulhouse avec des engins de terrassement)
4 – Ils sont déjà clôturés pour éviter les incivilités ou l’utilisation pendant la nuit par des bandes de jeunes
5 – Ils ont une hauteur de plafond intéressante pour disperser l’air vicié, contrairement à l’exigüité des tentes de l’armée
6 – Ils ont une protection aux vents et aux intempéries bien meilleure 
7 – Ils peuvent être pourvus de vasistas ou fenêtres d’aération pour éliminer l’air vicié
8 – Ils ont déjà les sanitaires installés, douches, lavabos, toilettes
9 – Ils ont également des bureaux pour le personnel et des vestiaires pour entreposer le matériel médical
10 – Le Gymnase peut se cloisonner facilement et créer des box de lits ou de matériels ou zone pour personnel sanitaire plus confortable que dans des tentes
11 – Un Gymnase doit certainement contenir plus de 30 lits surtout s’il est accolé à un autre local d’activité sportive. Un Gymnase est facile à nettoyer ou décontaminer : pas de meubles, juste deux buts de handball à sortir ou des tapis et des ballons à enlever. Les vestiaires sont nettoyés régulièrement donc pas de gros problèmes pour assainir …  Alors pourquoi s’emmerder à transporter par avions des tentes militaires de campagne prévues pour les Sahel ou d’autres zones inhabitées.  Je suis content de moi, les journalistes radotent les mêmes choses à longueur de journée, ou plutôt ils répètent les commentaires des experts médicaux… mais ce constat, c’était trop demander pour eux ! ! je ne l’ai lu nul part. Je comprends les Allemands quand ils sont prudents avant de répondre aux directives venant de France !

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Nous ne sommes pas à la hauteur de l’épidémie

L’ancien directeur général de la santé William Dab déplore la médiocrité de la politique de prévention. Professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), où il était il y a peu titulaire de la chaire Hygiène et sécurité, William Dab est médecin et épidémiologiste. De 2003 à 2005, il a été directeur général de la santé et avait démissionné en raison de désaccords sur la politique de santé publique avec le ministre de la santé d’alors, Philippe Douste Blazy. Il livre une analyse critique de la réponse française au Covid 19.

Quelle est votre appréciation de la situation sanitaire de l’épidémie de Covid 19 ?

Un premier élément à prendre en compte est qu’actuellement, nous avons un décompte de la morbidité et de la mortalité directement liée au virus. En fait, nous aurons aussi à déplorer des répercussions sur la santé à moyen terme qu’on peut appeler indirectes parce que ce n’est pas le virus qui sera en cause, mais les complications chez les patients souffrant de maladies cardiaques, pulmonaires, rénales, etc. Ces complications ont deux origines. Le Covid 19, qui entraîne un alitement, qui est un facteur de risque important chez les personnes âgées. Et le fait que le suivi des malades chroniques est moins bon parce que le système de soins est saturé par l’épidémie. Il faut donc s’attendre au total à plusieurs dizaines de milliers de décès directement et indirectement liés à l’épidémie.

Et sur l’évolution de l’épidémie ?

Je suis frappé par le fait qu’après quatre semaines de confinement, la courbe épidémique n’est que ralentie. Nous restons avec un flux important de malades chaque jour. Trois raisons peuvent expliquer cela. D’abord le confinement n’est qu’imparfaitement respecté. En particulier, ceux qui continuent de travailler et qui prennent les transports en commun peuvent se contaminer, alors que le port du masque n’est pas généralisé. Ensuite, on peut se demander s’il n’y a pas une transmission aérienne du virus et pas seulement par les gouttelettes. Cette question est débattue, notamment cette semaine dans la revue Nature. Enfin, et cela me semble très grave, on laisse retourner chez elles des personnes contagieuses à la sortie de l’hôpital ou du cabinet du médecin parce qu’elles n’ont pas besoin de soins. Elles peuvent alors contaminer leurs proches. Comment l’éviter quand on vit dans un petit appartement ?

Que faudrait-il faire ?

Cela fait des jours que plusieurs instances, dont le conseil scientifique du gouvernement, recommandent de mettre ces personnes, de même que leurs contacts, en isolement dans des hôtels (qui sont vides) ou des lieux fermés analogues. La maire de Paris le demande aussi, mais il ne se passe rien. De façon générale, dans les mesures adoptées, il y a un mélange d’excellence et de médiocrité. L’excellence, ce sont les soins. Des centaines de vie ont été sauvées par l’héroïsme des soignants et des aidants, ainsi que par un effort sans précédent qui a permis de doubler nos capacités de réanimation et de désengorger les hôpitaux saturés. C’est vraiment remarquable. En revanche, en matière de prévention, nous ne sommes pas à la hauteur de l’épidémie.

Pourquoi ?

La seule mesure de prévention est en réalité le confinement généralisé assorti de recommandations d’hygiène. Autrement dit, on fait peser sur la population la totalité des efforts de prévention. Ça ne peut pas marcher et le coût humain est effrayant, avec un cortège d’inégalités sociales qui s’aggravent. Réalise-t-on bien ce que cela représente pour une famille avec disons deux enfants, qui vit dans 50 m², avec les deux parents en télétravail et les enfants qui doivent faire l’école à la maison ? Si l’effort de prévention est partagé, cela peut tenir encore quelque temps, mais, s’il ne se passe rien d’autre, il y aura des mouvements de révolte. Or l’adhésion du public est une condition pour casser l’épidémie. Le macromanagement ne suffit pas. Il faut une capacité de micromanagement. Je considère que nous entrons dans une période où le confinement aura plus d’inconvénients (économiques, psychologiques, familiaux, médicaux) que de bénéfices.

Que peut-on faire d’autre ?

D’abord de l’épidémiologie de terrain. Comment se fait-il que ce soient des épidémiologistes britanniques qui ont estimé la proportion de Français infectés ? Comment lutter contre une épidémie sans connaître son étendue ? Des enquêtes par sondages hebdomadaires par téléphone ou Internet permettraient de suivre son évolution. C’est facile à réaliser.

Ce n’est pas complètement fiable, mais c’est mieux d’être dans le brouillard que dans le noir absolu. En attendant que des tests sérologiques soient déployés à grande échelle, même avec des imperfections, ce type d’enquête par sondage répétés nous donnerait une tendance sur l’évolution de la prévalence de l’infection. De même, il faut comprendre pourquoi on a encore tant de nouveaux malades. Où ont-ils été contaminés ? On ne peut pas enquêter sur tous les cas, mais, là encore, une procédure d’échantillonnage suffirait à fournir des indications sur les circonstances de l’infection. Dans les CHU, de nombreuses études cliniques sur d’autres thèmes que le Covid 19 sont actuellement suspendues.

Les professionnels de santé qui les réalisent sur le terrain et ont un savoir-faire pourraient être mobilisés à cette fin.

Autre exemple, il y a des dizaines de milliers de patients qui prennent quotidiennement de l’hydroxy chloroquine pour des maladies rhumatismales. Cela fait plus de deux mois qu’il y a un débat sur ce traitement. Pourquoi ne sait-on pas si ces patients sont moins atteints par le coronavirus que les autres ? Nous avons des bases de données accessibles pour faire ce travail et une agence du médicament pour le faire. Ensuite, on ne dit pas clairement à la population quand les masques et les tests arriveront. Si on ne le sait pas, il faut le dire. Aucun déconfinement n’est envisageable sans ces outils. De même, quand les soignants seront-ils enfin correctement protégés ? On n’entend pas la réponse. Enfin, il faut un commandement unifié et moins de bureaucratie.

Que voulez-vous dire ?

Je vais vous donner un exemple personnel. Dès le début de l’alerte, je me suis inscrit à la réserve sanitaire. Il y a une semaine, je reçois un message me demandant si je suis prêt à appuyer au plan épidémiologique une ARS [agence régionale de santé] dans un département d’outremer. Je réponds immédiatement que je suis volontaire et que je libère tout mon agenda jusqu’à fin juin. Au bout de six jours, pas de réponse. Je fais savoir que je trouve cela anormal en situation d’urgence. Je reçois alors comme réponse que mon dossier administratif n’est pas complet. Il manque la copie de mon diplôme de docteur en médecine (qui est à mon bureau, donc inaccessible) et un certificat d’aptitude médicale. Je n’aurai pas l’odieuse pensée de déranger un confrère surchargé pour qu’il atteste que je suis apte à faire de l’épidémiologie ! Le président de la République a déclaré la guerre, mais les services continuent de fonctionner comme en temps de paix. En 1917, la première chose qu’a faite Georges Clemenceau en devenant président du Conseil et ministre de la guerre, c’est de se débarrasser des bureaucrates sans valeur ajoutée, voire à valeur négative. Ensuite, il a obtenu des Alliés un commandement unifié. On multiplie les instances, les conseils, les comités qui font de leur mieux, mais il n’y a pas le souci des détails, ils n’ont pas de rôle opérationnel. Quand Clemenceau visitait le front au péril de sa vie, ce n’était pas seulement pour soutenir le moral des troupes. C’était aussi pour vérifier que l’intendance suivait. Pour gagner contre une épidémie, il faut trois conditions : la surveillance, la réactivité et un commandement resserré qui fait un lien opérationnel entre la doctrine et le terrain.

Etes-vous pessimiste ?

Oui, au moment où nous nous parlons. Non, si les principes de base de la lutte contre les épidémies sont enfin mis en œuvre de toute urgence en s’affranchissant des contraintes administratives que le gouvernement a désormais les outils juridiques de lever. Cette situation illustre jusqu’à la caricature la faiblesse de la santé publique française. On mise tout sur les soins sans réaliser que la prévention est un investissement très rentable. Chaque fois que l’on dépense 100 € dans le domaine de la santé, 96 % vont aux soins et 4 % à la prévention organisée. C’est cela que nous payons, comme nous payons l’incurie de la gestion de l’amiante – 100 000 décès cumulés. Tous les soirs à 20 heures, nous applaudissons nos soignants. Je me demande si nous ne devrions pas siffler tous les midis les carences de la prévention de terrain jusqu’à ce qu’elle devienne efficace.

William Dab, ancien directeur de la Santé. Propos recueillis par paul benkimoun. Le Monde 12 avril 2020

Et pour ce qui est des tests…

Testez, testez, testez ! Aucun conseil de lutte contre le Covid 19 n’a été moins suivi, en France, que celui énoncé le 16 mars par Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’idée est pourtant simple. Dépister les personnes suspectées d’être porteuses du virus, même faiblement symptomatiques, permet de les isoler et de rompre la chaîne de transmission de la maladie. Les chiffres sont cruels. Dans un état des lieux des politiques menées par ses États membres, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) indique qu’en date du 15 avril, le nombre de personnes dépistées en France était de 5,1 pour 1 000 habitants, derrière la Turquie (5,3 pour 1 000) et devant le Chili (4,8 pour 1 000). C’est près de trois fois moins que la moyenne des pays de l’OCDE, deux fois moins qu’aux États-Unis (9,3 pour 1 000), et loin derrière l’Allemagne (17 pour 1 000). Selon les autorités sanitaires, les chiffres français sous-estiment la réalité, en tenant compte qu’une part des actes réalisés sur le territoire national. Signe d’une certaine confusion sur le sujet, le directeur général de la santé Jérôme Salomon assurait jeudi 23 avril, devant la mission parlementaire sur la pandémie de Covid 19, que 165 000 personnes sont désormais dépistées chaque semaine en France, l’Allemagne se situant à un peu moins du double. Le lendemain, sur France inter, le ministre de la santé Olivier Véran affirmait qu’on va être à environ 300 000 tests réalisés dans la semaine, ce qui veut dire qu’on est montés en puissance. Une montée en puissance qui vient après un important retard pris par la France, par rapport à d’autres pays. Outre les difficultés d’approvisionnement en machines et en kits de détection sur un marché international tendu, les atermoiements du gouvernement sur le sujet, les corporatismes, la complexité de l’écheveau administratif et une série de blocages réglementaires ont fait perdre de précieuses semaines à la France dans la course au dépistage.

L’une des clés du retard tient à la sous-utilisation des laboratoires publics. Comme l’a révélé l’hebdomadaire Le Point le 3 avril, les laboratoires vétérinaires départementaux ont proposé, dès le 15 mars, leurs services d’analyse aux préfectures et aux agences régionales de santé (ARS). Leurs capacités sont considérables : l’Association française des directeurs et cadres des laboratoires vétérinaires publics d’analyses (Adilva) les évalue à environ 100 000 tests par semaine. Mais pendant plus de quinze jours, aucune réponse n’est apportée par les autorités sanitaires à cette proposition.

Il faut attendre le 5 avril pour qu’un décret et un arrêté lèvent le verrou réglementaire : dans le contexte de la crise, les laboratoires vétérinaires et les laboratoires publics de recherche pourront être réquisitionnés par la préfecture pour rechercher le SARS CoV2, sous la supervision d’un laboratoire de biologie ou d’un centre hospitalier. Il a encore fallu attendre l’agrément, par l’Institut Pasteur, des kits de détection utilisés dans ce type de laboratoires, explique Jean Louis Hunault, président du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV). Trois sociétés ont été agréées. La dernière l’a été le 21 avril. La semaine dernière, seuls deux des 49 laboratoires vétérinaires départementaux avaient signé une convention avec un établissement de santé ou un laboratoire de biologie, pour tester des échantillons humains, dit Aurèle Valognes, présidente de l’Adilva. On sent maintenant que les choses sont en train de bouger et plusieurs conventions sont signées ou en cours de signature. Mais il y a vraiment eu du retard à l’allumage. Au 20 avril, 17 laboratoires vétérinaires avaient signé des conventions. Les laboratoires publics de l’enseignement supérieur et de la recherche se heurtent, depuis près d’un mois, aux mêmes blocages, à la même inertie. Mimars, les patrons des cinq principaux organismes de recherche publics (CNRS, Inserm, INRAE, CEA et Inria) offrent, eux aussi, leurs services à l’effort national. Le 22 mars, dans un courrier adressé à leurs personnels, ils appellent à une évaluation des capacités de tests de toutes les unités de recherche. Nous avons identifié une cinquantaine de labos capables de conduire ce type d’analyses et nous estimons leur capacité cumulée à environ 100 000 tests par jour, précise t-on au CNRS. Interrogé par Le Monde, le Cirad estime pour sa part sa capacité, pour son seul site de Montpellier, entre 1 000 et 2 000 tests par jour. Le 21 avril, selon nos informations, sur la cinquantaine de laboratoires de recherche publics identifiés, moins de cinq participaient effectivement à l’effort national de dépistage du Covid 19. Il y a deux à trois semaines, nous avons reçu une demande de fiche de synthèse de la part de la préfecture, pour que nous estimions notre capacité de tests, explique le responsable de l’un de ces laboratoires, qui a requis l’anonymat. Depuis, nous attendons d’être contacté par l’agence régionale de santé mais il ne se passe rien. Certaines unités, toutefois, poursuivent des travaux de recherche sur de nouvelles méthodes de détection du virus. Mais de manière générale, les chercheurs académiques interrogés par Le Monde vivent mal la mise à l’arrêt de leurs laboratoires, et aussi l’inutilité de leurs machines et de leur savoir-faire, en pleine crise sanitaire. Au Cirad, la colère est rendue plus aiguë encore par les directives strictes adressées début avril aux chercheurs : elles leur intiment de ne pas s’exprimer dans les médias sur la gestion de la crise par le gouvernement. Mon labo est l’un des seuls à avoir réussi à surmonter tous les obstacles administratifs pour se rendre utile dans cette crise, explique le généticien Philippe Froguel (CNRS), directeur de la plateforme de génomique LIGAN, à Lille (Hauts de France). De toute ma carrière, je n’ai jamais été confronté à une épreuve bureaucratique aussi complexe et stressante. Le chercheur lillois s’est manifesté dès le 12 mars, dit-il, auprès du Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Lille. Je me suis fait engueuler comme un gosse, raconte-il. On m’a clairement demandé de rester à ma place et de continuer à faire mes petites recherches. Piqué au vif, le chercheur adresse à Matignon une note explicitant la nécessité de modifier la réglementation, pour permettre aux laboratoires publics, des services vétérinaires ou de l’enseignement supérieur et la recherche, de participer au dépistage. C’est cette note qui est à l’origine des décrets et arrêté du 5 avril ouvrant le dépistage du Covid 19 aux laboratoires publics. Au total, il faudra au généticien lillois plus d’un mois de démarches pour que la préfecture réquisitionne son laboratoire et qu’une convention soit signée avec un laboratoire privé de la  région, Synlab. J’agis un peu comme un sous-traitant pour Synlab, en analysant les échantillons qu’ils m’envoient, explique M. Froguel. Et si j’ai fini par travailler avec le privé, c’est que la convention qu’a fini par me proposer le CHU de Lille était inacceptable : aucune clause pour prendre en charge les frais engagés par mon laboratoire, refus de fournir des masques nécessaires lors de la manipulation des échantillons, etc. Le CHU de Lille n’était pas en mesure, jeudi 23 avril, de répondre à nos sollicitations.

Pour M. Froguel, le blocage tient, en partie, au fait que la réquisition des laboratoires publics est une prérogative préfectorale, alors que le pilotage du système de soin est celle des ARS. Or ce sont deux administrations qui ne se connaissent pas, dit le chercheur. D’autres scientifiques contournent le contrôle de l’administration faute d’avoir pu signer de convention avec des hôpitaux ou des laboratoires. Avec son équipe de l’Institut du cerveau (ICM), Marie-Claude Potier, directrice de recherche au CNRS, a développé sa propre méthodologie d’échantillonnage et d’analyse : avec une capacité d’une centaine de tests par jour, l’objectif est surtout de conduire un dépistage citoyen, à petite échelle, qui commence à être mené sur les personnels de son institution. Ailleurs, ce sont des machines qui ont été transférées, depuis des labos de recherche académiques vers des centres hospitaliers. Mais le temps perdu n’est pas seulement celui de la jachère prolongée des laboratoires publics. Le remboursement du test Covid 19 a été mis en place tardivement, le 8 mars, rappelle ainsi François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes. On a démarré avec retard et chez nos fournisseurs, on s’est donc retrouvé dans la file d’attente. Ce n’est pas tout. Dans certaines régions, les laboratoires de biologie n’ont pu conduire de tests pendant plusieurs semaines. En mars, certaines ARS ont interdit à de nombreux laboratoires de biologie médicale privés, en capacité de faire les tests Covid, de les réaliser, confie Lionel Barrand, président du Syndicat des jeunes biologistes médicaux. Finalement, ça s’est réglé grâce à nos avocats mais dans certains territoires, nous avons parfois perdu un mois avec ces histoires. Or ce temps perdu a été crucial. En arrivant plus tard sur le marché, on a plus de mal à obtenir tous les consommables dont nous avons besoin.  Les consommables, c’est-à-dire les longs cotons tiges (ou  écouvillons) destinés aux prélèvements des échantillons dans le nasopharynx, les kits de détection nécessaires pour faire tourner les machines, etc. Pour faire face à ces difficultés d’approvisionnement, le gouvernement a rassemblé, mi-avril, tous les acteurs publics et privés au sein d’une Cellule tests, dont la dernière réunion s’est tenue le 21 avril. Cette cellule rassemble les besoins des laboratoires médicaux en matériel et, c’est ensuite l’État qui passe les commandes ainsi groupées. 

Face à des acteurs qui pèsent très lourd sur les marchés, il est important que nous puissions bénéficier d’une telle force de frappe, détaille le responsable d’un laboratoire d’analyses biologiques privé. Le gouvernement se décide enfin à sortir d’une vision hospitalo-centrée et à nous mettre en première ligne. Tous les professionnels interrogés se félicitent de l’initiative du gouvernement. Les hôpitaux ne sont cependant pas en reste : depuis fin mars, une vingtaine de machines d’analyse ont été acquises par la France à la firme chinoise MGI et sont progressivement réparties en région, dans les principaux centres hospitaliers. Elles sont théoriquement capables de réaliser quelque 2 400 tests par jour. Cependant, selon nos informations, l’installation de ces robots est souvent délicate et nécessite une main d’œuvre importante. Une part des laboratoires d’analyse et du monde hospitalier dispose d’automates fonctionnant en système fermé : ils sont captifs des kits de détection commercialisés par les fabricants de machine, principalement Roche et Abbott, à la manière des cartouches d’encre de certaines imprimantes. À l’inverse, les laboratoires vétérinaires conduisent des analyses en masse – souvent pratiquées à l’échelle d’un troupeau ou d’une exploitation – sur des systèmes ouverts, moins vulnérables aux effets de pénuries. Les enjeux sanitaires même les plus cruciaux sont aussi soumis à des choix économiques.

stéphane foucart et stéphane horel. le Monde du 25 04 2020

Ce qui étonne le philosophe André Comte-Sponville depuis quelques semaines, ce n’est pas la gravité intrinsèque du Covid-19, c’est l’affolement médiatique qui l’accompagne.

La première question sera personnelle : comment vivez-vous la pandémie de Covid-19, le confinement, la perspective de tomber malade, etc. ?

Je suis confiné à Paris, avec ma compagne. Nous nous félicitons tous les jours d’être deux et en bonne santé ! Pour ce qui me concerne, puisque vous me posez la question, je suis serein. D’abord parce que plus je vieillis, moins j’ai peur de la mort – cela me paraît normal : il est moins triste de mourir à 68 ans qu’à 20 ou 30. Ensuite parce que cette maladie est bénigne dans 80 % des cas, et mortelle seulement dans 1 ou 2 % – peut-être 5 ou 6 % pour les gens de mon âge. Le plus probable, de très loin, même si le virus finit par m’atteindre, est que j’en réchappe ! Et si ce n’est pas le cas, bah, il faut bien mourir de quelque chose, et j’aime mieux mourir du Covid 19 qu’être Alzheimer ou grabataire pendant des années, comme j’en ai tant vu autour de moi… Enfin je suis surtout serein parce que mes trois enfants, qui sont de jeunes adultes, sont moins exposés que moi aux complications. Pour un père de famille, c’est le plus important !

L’ampleur et la gravité de la crise vous ont-elles surpris ?

Sa gravité réelle, non, pas vraiment. Un infectiologue m’avait dit, il y a une vingtaine d’années, que la guerre multimillénaire entre les microbes et l’humanité, ce seraient les microbes qui allaient la gagner : ils ont pour eux le nombre, le temps, l’adaptabilité, des mutations innombrables et très rapides… Je ne sais s’il avait raison, mais cela me donna à réfléchir et me prépara peut-être à ce que nous vivons aujourd’hui. J’ai toujours pensé que l’humanité disparaîtrait un jour, que ce soit par un virus, une bactérie, un astéroïde, une guerre nucléaire ou le réchauffement climatique. À côté de toutes ces catastrophes possibles, l’épidémie de Covid-19 reste un problème surmontable ! On parle de plusieurs millions de morts en Europe, ce qui serait évidemment catastrophique. C’est ce que le confinement vise à empêcher – et empêchera en effet, si nous le respectons strictement. Mais enfin l’humanité a vu bien pire ! Rappelons que la peste noire, au XIV° siècle, a tué près de la moitié de la population européenne de l’époque, soit environ 25 millions de personnes. Et que la malnutrition, de nos jours, tue 9 millions de personnes par an, dont 3 millions d’enfants. Pourquoi parle-t-on tellement des 10 000 morts en Italie, des 3 000 morts en France, des 500 morts en Belgique, et si peu de ces 9 millions ? En partie parce que le Covid 19 est une maladie nouvelle, et qu’on s’effraie davantage de ce qu’on ne connaît pas. En partie aussi, même si c’est moralement sans pertinence, parce que la malnutrition tue surtout dans d’autres pays que les nôtres… Je sais bien que cette pandémie, parce qu’elle est mondiale et resserrée dans le temps, a quelque chose de plus spectaculaire. Mais enfin il meurt 600 000 personnes par an en France, dont 150 000 par cancer. En quoi les décès résultant du Covid-19 sont-ils plus importants que les 600 000 autres ?

Vous voulez dire que le Covid 19 n’est pas si grave ?

Une maladie qui peut tuer des millions de gens, c’est évidemment très grave. Mais faut-il pour autant ne plus parler que de ça ? Voyez nos journaux télévisés. La guerre en Syrie ? Plus de nouvelles ! Les migrants ? Disparus des écrans ! Le réchauffement climatique ? Oublié ! Oui, le coronavirus, c’est très grave. Mais le réchauffement climatique l’est à mon avis beaucoup plus. Attention de ne pas tomber dans la démesure ! Un journaliste m’a demandé hier si le Covid 19, c’était la fin du monde… Vous vous rendez compte ? Un taux de létalité de 1 ou 2 % – sans doute moins, si on tient compte des cas non détectés –, et les gens vous parlent de fin du monde ! Ce qui m’étonne, pour résumer, ce n’est pas la gravité intrinsèque du Covid-19, c’est l’espèce d’affolement médiatique qui l’accompagne, comme si les journalistes réalisaient soudain que nous sommes mortels. Quel scoop !

Que nous disent là-dessus les philosophes ?

Que la mort fait partie de la vie. Montaigne l’a dit magnifiquement : Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant. La plupart veulent l’oublier, constate-t-il : Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent : de mort, nulles nouvelles. Tout cela est beau. Mais aussi, quand elle arrive ou à eux ou à leurs femmes, enfants et amis, les surprenant soudain et à découvert, quels tourments, quels cris, quelle rage et quel désespoir les accablent ! Vîtes-vous jamais rien si rabaissé, si changé, si confus ? Nous en sommes là. Si nous pensions plus souvent à la mort, nous aimerions davantage la vie, nous vivrions plus intensément, et serions moins affolés par cette pandémie. Le sens du tragique est un antidote contre la peur. Bref, j’ai deux nouvelles à annoncer à vos lecteurs, une bonne et une mauvaise. La mauvaise, c’est que nous allons tous mourir. La bonne, c’est que l’énorme majorité d’entre nous mourra d’autre chose que du Covid-19 !

On a longtemps communié dans un ensemble de valeurs communes, morales et religieuses. C’est moins le cas désormais. Pourtant, aujourd’hui, on a le sentiment que des communautés se ressoudent autour de vertus comme la générosité, la compassion, la gratitude ou l’humilité. Il fallait être plongé dans le désarroi pour en redécouvrir l’importance ?

C’est toujours face au mal qu’on ressent l’urgence du bien. Pas étonnant que ces vertus retrouvent une espèce d’actualité ! Cela dit, n’exagérons pas, comme si, là encore, le coronavirus avait tout changé. Ces valeurs n’ont jamais été tout à fait oubliées. Voyez la gloire de l’abbé Pierre ou le succès, depuis 20 ans, des Restos du cœur… D’ailleurs, si mon Petit traité des grandes vertus a eu tellement de succès, il y a un quart de siècle, c’est que les gens sentaient bien que ces valeurs ne dépendent pas de l’époque. Cela fait plus de 2 000 ans qu’elles nous éclairent, épidémie ou pas !

Dans ce Petit traité, vous expliquez que la compassion n’est pas la pitié car elle s’exerce horizontalement, entre égaux, et non de haut en bas. Devant le virus, nous sommes égaux, c’est-à-dire tous vulnérables… et mortels. C’est ce qui explique les élans de compassion que nous vivons ?

La compassion ne commence pas avec le coronavirus ! Souvenez-vous de la photo de ce petit garçon de trois ans, trouvé mort sur une plage, et de l’émotion qu’elle suscita dans le monde entier ! Pourquoi aurions-nous davantage de compassion pour les morts du Covid-19 que pour les migrants qui meurent noyés en Méditerranée, ou même que pour nos compatriotes qui meurent de cancer, qui sont (pour l’instant) beaucoup plus nombreux que les victimes du coronavirus ?

Un autre de vos ouvrages s’intitule Le capitalisme est-il moral ?  Je vous pose la question… Et s’il ne l’est pas, ou pas assez, faudra-t-il le  moraliser, à l’aune de ce que nous vivons aujourd’hui ?

Il ne l’est pas – il est amoral. C’est pourquoi il faut en effet le moraliser, non pas en le rendant intrinsèquement vertueux, ce qui est impossible, mais en lui fixant de l’extérieur – par la loi – un certain nombre de limites non marchandes et non marchandables. On le fait depuis au moins 150 ans : voyez les libertés syndicales, le droit du travail, les congés payés, la retraite, la Sécurité sociale… Il faut bien sûr continuer, et tant mieux si le Covid-19 nous le rappelle. Mais ne comptez pas sur la compassion pour créer de la richesse, ni donc pour tenir lieu d’économie. En l’occurrence, il m’arrive de craindre que la crise économique, liée à cette pandémie, ne fasse, spécialement dans les pays les plus pauvres, plus de morts que le coronavirus… Même dans nos pays riches, la situation est inquiétante. Tout le monde veut augmenter le budget de la santé. Mais comment, si l’économie s’effondre ?

André Comte-Sponville. Le Soir (Belge) le 31 mars 2020

L’issue de cette crise dépend de nous. Le nombre de morts dépend de nous. De notre capacité à garder notre calme, à raisonner, à nous adapter. Garder nos distances, se laver les mains, porter des masques alternatifs, se vacciner quand l’antidote, enfin, aura été trouvé. Pour l’instant, les Français sont les plus réticents au monde à cette idée. Un pourcentage incroyablement élevé. À cause de ces réticents, combien de vies gâchées ? Combien de fois faudra-t-il se confiner ? Demain, un autre coronavirus viendra nous hanter. Un peu différent, mutant, plus doux ou plus toxique. Ce jour-là serons-nous prêts ? Demain dépend de nous.

Des leçons que nous aurons ou non tiré. Serons-nous assez orgueilleux pour reprendre nos vies là où elles en étaient ? Assez naïfs pour laisser le même mal produire les mêmes effets ? Nous ne savons toujours pas combien de morts la Chine a caché au monde. Mais nous savons que les marchés aux animaux vivants, ces foyers d’épidémie, ont repris comme si de rien n’était. Demain, il faudra demander des comptes à ce grand pays. Pour qu’une tradition culturelle ne puisse plus nous mettre en danger, en plus d’exterminer le pangolin ou le rhinocéros.

Cela suppose de se fédérer pour lui parler. Demain, notre indépendance dépend de notre solidarité. Il faudra additionner nos savoirs si nous voulons résister au chantage à la 5 G chinoise et lui trouver une alternative. S’inspirer du modèle asiatique, comme la Corée du Sud, mais sans céder sur nos libertés, nos données et notre vie privée, par peur d’être contaminé. Demain, d’urgence, il faudra relocaliser. Aucun pays ne sera jamais auto-suffisant. Le souhaiter nous amènerait à régresser et réveillerait le risque de guerres sans fin. Ce serait tomber dans un excès qui mène à d’autres dangers. Une gestion efficace des pandémies à venir suppose de mondialiser nos remèdes.

Cela n’interdit pas de sanctuariser certains secteurs stratégiques essentiels, comme la production de masques ou de médicaments. Comme le curare que l’on trouve dans nos départements et territoires d’Outre-Mer, et qui nous manque pourtant. Demain, il faudra se souvenir que l’hôpital n’est pas une entreprise, et qu’on ne fait pas des économies sur la santé. L’usine française qui fabriquait des masques pour l’État a été démantelée. Parce qu’un ministre pensait pouvoir commander des masques en Chine à l’infini. Il n’avait pas anticipé que le monde entier en chercherait !

L’État voulait aussi faire des économies pour ne pas être critiqué. Par ces professionnels de la défiance et du soupçon, qui voient le mal et un complot partout, jamais où il faut, sans jamais se lasser. Les mêmes qui criaient au complot pharmaceutique parce que Roselyne Bachelot avait trop commandé de masques crient aujourd’hui au complot parce qu’il n’y en pas pas assez. Les mêmes, exactement les mêmes, qui reprochaient au gouvernement de surréagir au début de la crise lui reprochent maintenant d’avoir trop tardé. Et c’est vrai. Les renforts ont tardé.

Sur les masques comme sur les tests. Demain, il faudra s’en souvenir. De l’incurie des responsables et de la nocivité des irresponsables. Une fois le pic et le pire passé, et c’est tant mieux, le débat démocratique va bouillonner. Avec son lot de passions et son manque d’humilité. Chacun sera sûr de la meilleure façon d’éviter… ce qui vient d’arriver. N’hésitons pas, toutefois, à douter pour l’après. Aucun drame ne se déroule exactement comme celui qui l’a précédé. Ce serait trop simple. Nous saurions tous comment les éviter. Et les crises n’arriveraient jamais.

Caroline Fourest. Midi Libre du 12 avril 2020

L’Italie, un cas d’école

En Italie, c’est la région la plus forte, la plus performante et la plus riche qui s’est révélée être la moins prête à affronter la pandémie, avec des choix dont ses dirigeants devront répondre tôt ou tard. Dans le système italien, l’organisation des soins de santé est une prérogative des régions. Dans ce domaine, la Lombardie fait figure de chef de file : elle se caractérise par une forte combinaison de structures privées et publiques créées par les administrations de droit au pouvoir ces deux dernières décennies. Cette région est le territoire de Silvio Berlusconi et le fief de Roberto Formigoni, récemment condamné à cinq ans et dix mois de prison pour des actes graves de corruption concernant, justement, les liens entre le pouvoir régional et le secteur privé de santé. Jusqu’à il y a un mois, on pensait que de tels faits de corruption n’étaient qu’un accident de parcours. Mais c’est loin d’être le cas. Comme spécialiste des criminalités et des systèmes mafieux, je remarque depuis des années que les Italiens du Nord sont toujours persuadés, à tort, que la pourriture vient de l’extérieur. Pourtant, il y a dix ans, au cours d’une émission de télévision, j’avais exposé ce qui était déjà une évidence pour n’importe quel enquêteur, à savoir que la Camorra napolitaine et la ‘Ndrangheta calabraise avaient infiltré l’économie légale du Nord, s’inscrivant dans le sillage de la Mafia sicilienne qui, dans les années 1970, fut la première à investir dans ces territoires. Mon intervention avait provoqué une telle polémique que l’émission avait ensuite été contrainte d’accueillir le ministre de l’intérieur de l’époque, Roberto Maroni (prédécesseur de Matteo Salvini à la tête de la Ligue du Nord), pour qu’il puisse répondre à mes accusations. Les condamnations judiciaires étaient tombées peu de temps après, et, aujourd’hui, c’est un fait établi : dans bien des territoires du nord de l’Italie, les mafias font leur loi. Si paradoxal que cela puisse paraître, le point faible de la Lombardie réside dans son dynamisme économique et dans l’étendue des relations tissées avec l’étranger, et notamment avec la Chine. Dans les vallées bergamasques laminées par le virus (certains parlent déjà de toute une génération supprimée), des milliers de petites entreprises  industrielles prospèrent. Composées souvent de moins de dix employés, elles font preuve d’une telle excellence qu’elles sont une vraie locomotive pour tout le Nord, et pas seulement pour la Lombardie. Quand les médias ont commencé à évoquer les choix dramatiques qui s’imposaient aux médecins en services de soins intensifs, entre qui intuber et qui laisser mourir, d’autres arbitrages se sont imposés. Les termes du dilemme : arrêter les productions au risque d’un effondrement économique, ou les maintenir en sacrifiant des vies humaines. Évidemment, cette question n’a fait l’objet d’aucun débat public, ce serait un comble. Le plus grave, c’est que, pendant plusieurs semaines, la Lombardie et le gouvernement se sont refilé la patate chaude : personne ne voulait prendre la décision de tout fermer. Aujourd’hui, nous savons que pour éviter de confiner des ouvriers indispensables aux chaînes de montage et qui, surtout dans le cas des toutes petites entreprises, ont dû choisir entre la vie et le travail, on a favorisé une diffusion massive de la contagion. Or cette contagion a provoqué une mortalité épouvantable. Cette réalité nous saute aux yeux, offrant l’image d’un territoire géré par des classes dirigeantes qui auraient décidé de ne pas s’arrêter, conscientes du risque de l’hécatombe, voire pariant sur le destin. En Lombardie, les autorités ont tardé à placer en zone rouge les communes d’Alzano et de Nembro, dans la province de Bergame. On a aussi laissé des personnes âgées mourir dans leur maison de retraite. Cela est choquant et, pourtant, impossible de ne pas mettre ces faits en relation avec le taux de mortalité du virus particulièrement élevé dans ces zones-là.

À cause de la crise sanitaire en Lombardie, on commence à évoquer, de part et d’autre, le transfert de la gestion du système sanitaire de l’échelon régional à l’échelon national. À certains égards, il paraît évident que ce qui s’est passé, les indécisions, le risque que les autorités ont couru, sont le fruit d’une relation de dépendance excessive entre le pouvoir politique régional et le pouvoir économique de production. Vu la tournure tragique des événements, le risque, c’est que ceux qui ont fait ces choix stratégiques criminels occultent leurs propres responsabilités. Si le taux de mortalité du virus en Lombardie est si élevé, c’est surtout à cause des erreurs commises par une classe dirigeante médiocre qui aurait immédiatement été désavouée si nous n’étions pas encore dans cette situation d’urgence dramatique. Les sirènes des ambulances couvrent encore les voix de tous les proches des personnes mortes à cause d’une série d’erreurs ayant accentué l’effet de la contagion. Mais bientôt viendra le temps des poursuites à l’encontre de tous ceux qui ont manqué à leurs devoirs. Le cas de la Lombardie est encore plus sombre quand on le compare à celui de la région voisine : la Vénétie. Bien qu’ayant une population très inférieure (environ moitié moins), mais bénéficiant d’un dynamisme économique équivalent, la Vénétie a affronté la crise de manière totalement différente et, jusqu’à aujourd’hui, avec beaucoup plus d’efficacité.

Cette différence d’approche entre ces deux régions (toutes les deux gouvernées par la Ligue du Nord) est quantifiable. Elle se mesure au nombre de personnes ayant perdu la vie : plus de 10 000 en Lombardie et moins de 1 000 en Vénétie, alors même que le nombre de tests de dépistage du virus y est à peu près équivalent (entre 170 000 et 180 000). À la différence de la Lombardie, la Vénétie a beaucoup misé sur le dépistage des personnes asymptomatiques pour identifier les foyers de contagion et agir ensuite rapidement en isolant les territoires concernés. À la différence de la Lombardie, où la contagion s’est accrue à cause de l’impréparation des petits hôpitaux, la Vénétie a tenté de limiter les hospitalisations des malades (sauf, bien sûr, pour les cas graves) en privilégiant les soins à domicile. La Lombardie, confrontée à une crise sanitaire dont la rapidité de propagation n’était sûrement pas prévisible, a payé le prix fort à cause des failles de son système de santé mixte public/privé.

Jusqu’à présent, ce système était considéré, à raison, comme le meilleur : chaque année, des milliers de patients venaient d’ailleurs d’autres régions pour s’y faire soigner. Mais sur le plan organisationnel, le système fonctionne mal. La région souffre aussi de la domination incontestée de certains hommes politiques et groupes de pouvoir. L’exemple parfait pour comprendre ces dynamiques, c’est celui de Communion et Libération, une association catholique dont le corrompu Roberto Formigoni était l’homme de main, jusqu’à sa condamnation définitive. Communion et Libération est une association très puissante en Lombardie, c’est elle qui dicte les lois. Pour s’en persuader, rappelons que, dans les établissements publics, les médecins anti-avortement sont majoritaires et que la plupart des femmes ont du mal à se faire prescrire la pilule abortive, alors qu’elle est autorisée par la loi. Les médecins objecteurs de conscience ont beaucoup plus de chance de faire carrière  comparés à ceux qui pratiquent l’IVG.

Je me demande souvent comment des comportements mafieux ont pu s’articuler avec cette sacro-sainte valeur d’efficacité qui caractérise la Lombardie. Cela me désole de voir que les Lombards se rendent compte actuellement, à leurs dépens et à ceux de leurs proches, de la défaillance de certaines pratiques, qui, loin de représenter une exception, mettent en lumière un mode de fonctionnement. Le fait de naître et de grandir dans le sud de l’Italie, un des territoires les plus pauvres d’Europe, m’a donné des outils pour comprendre aujourd’hui ce qui va arriver demain. Et ce qui s’est passé en Lombardie et en Vénétie est d’une importance vitale pour le reste du continent parce que cela montre deux approches différentes et indique clairement, dans le cas de la Lombardie, ce qu’il ne faut pas faire et comment il faut éviter de communiquer. Tout cela n’est pas que de la faute du centre-droit au pouvoir, puisque, inversement, les villes de Bergame et de Milan sont administrées par le gauche. Mais le virus a révélé l’hérésie d’une approche purement économique et managériale de la chose publique telle qu’elle se pratique dans un territoire très riche, où le travail est un impératif et où la dimension individualiste est poussée à son paroxysme. En se penchant sur les parcours des maires de gauche de Milan et de Bergame, on comprend mieux les failles apparues dans la gestion des premières phases de la crise. Le maire de Milan, Giuseppe Sala, est un homme issu du centre-droit, dont le nom est apparu dans une affaire liée à la gestion de l’Exposition universelle, en 2015, tandis que celui de Bergame, Giorgio Gori, a été pendant très longtemps un cadre de premier plan du groupe de télévision de Silvio Berlusconi. Au début, tous les deux ont sous-évalué la crise sanitaire, ne se préoccupant que des répercussions économiques. Non seulement ils ont tenté par tous les moyens d’éviter l’arrêt des machines, mais ils ont invité les citoyens à continuer à vivre normalement. Et ce, pour satisfaire les besoins d’un secteur de production incapable d’envisager le confinement comme une alternative possible : voilà l’unique boussole de leur action administrative. Le paradoxe de cette crise a presque valeur d’enseignement philosophique. Nous sommes face aux dirigeants politiques d’une région qui s’est toujours vantée de s’être faite toute seule et qui, ces trente dernières années, n’a cessé de réclamer davantage d’autonomie – le parti le plus fort du Nord, la Ligue, d’abord sécessionniste avant de devenir souverainiste il y a peu de temps –, se plaignant du poids d’un Sud improductif, dénigrant chaque pas en faveur d’une centralisation accrue et chaque décision prise par Rome, ville forcément inefficace et désorganisée. Et voilà qu’avec cette crise sanitaire, ces mêmes  hommes politiques finissent par rejeter sur le gouvernement central la responsabilité de leurs propres indécisions et des omissions qui en découlent. Comportement déshonorant et criminel. L’Europe – et le reste du monde – affronte un moment dans lequel son futur va se jouer. Cela a été dit à de nombreuses reprises, mais, cette fois, je le redis de manière définitive. En Europe, ce n’est pas seulement le destin du continent qui est en jeu mais bien celui de toutes les personnes qui y vivent et qui y vivront, y compris celles et ceux qui ne sont pas encore nés. Le risque est grand de condamner les générations futures d’une bonne partie de l’Europe à payer les dettes contractées par leurs parents à cause d’un cas de force majeure. Cela est assez scandaleux, surtout de la part des pays qui privent de ressources d’autres en pratiquant le dumping fiscal. Notre monde est ressuscité des ruines de la seconde guerre mondiale, du nazisme et du fascisme, des camps d’extermination, des totalitarismes communistes et, aujourd’hui, il aboutit à l’exaltation de la comptabilité en lieu et place du politique. Je n’ose imaginer quel traitement les pères de l’Europe réserveraient à ces hommes médiocres qui croient que les États sont des entreprises et les personnes des numéros à inscrire dans un budget. Quand je pense à l’Allemagne, je ne peux  m’empêcher de penser à notre Lombardie. L’industrieuse Allemagne, d’une certaine manière, est à l’Europe ce que l’industrieuse Lombardie est à l’Italie. Et me reviennent à l’esprit les mots de l’écrivain Antonio Scurati, qui décrit les Milanais en temps de Covid 19 comme des animaux apeurés, effrayés de voir leurs certitudes tomber en quelques semaines à peine : la faiblesse, c’est de se croire invincible. Nous sommes arrivés à ce dilemme : mieux vaut-il mourir de la maladie ou de la récession ? Cela permet de comprendre le défi que le virus lance à la politique européenne. Même si je n’en suis pas certain, peut-être est-il encore temps de sortir de la pandémie pour vivre une utopie : admettre que la productivité et les comptes bancaires ont moins de valeur que les personnes, prendre conscience que notre survie dépend du maintien et de l’expansion de nos droits, comprendre qu’une action politique obnubilée par l’argent est mortifère et ne génère pas de richesses. L’Europe n’existe plus et aujourd’hui est un nouveau 1945, entend-on. J’espère que des personnes de bonne volonté empêcheront que cela n’arrive. 

Robert Saviano. Le Monde du 15 04 2020 Traduit de l’italien par Lucie Geffroy

Pour le paléoanthropologue Pascal Picq la crise du Covid 19 est venue brusquement nous rappeler que l’espèce humaine n’a jamais cessé et ne cessera jamais de coévoluer avec les autres espèces, à commencer par les virus et les bactéries. Une leçon de darwinisme qui devrait nous conduire à repenser notre modèle de développement et notre médecine.

Comment le paléoanthropologue et spécialiste de l’évolution darwinienne que vous êtes analyse-t-il la situation actuelle ?

Grâce aux progrès formidables et incontestables de l’évolution actuelle de la médecine depuis Pasteur et Koch et la naissance de la microbiologie au XIX° siècle, l’idée a peu à peu émergé que nous étions en train de nous affranchir des lois de l’évolution, que nous étions en somme, tirés d’affaire. Ce courant de pensée, diffus, a trouvé son épanouissement dans le transhumanisme. Or, rien n’est plus faux. Durant le seul XX° siècle, nous avons connu trois pandémies, la grippe espagnole de 1918-1919 (au moins 50 millions de morts), la grippe asiatique de 1957-1958 (entre 1 et 4 millions de morts), et la grippe de 1968, dite aussi grippe de Hong Kong (1 million de morts). En ce début du XXI° siècle, les alertes se sont encore multipliées. La dernière en date a été l’épidémie d’Ebola, de 2013 à 2016, mais c’était en Afrique de l’Ouest, donc loin du cœur de l’économie mondiale. Elle n’a donc pas été entendue. Pas plus que celle qui l’avait précédée, je veux parler de la pandémie de grippe A(H1 N1) survenue en 2009 – qui était aussi, ironie du sort, l’année du 200° anniversaire de la naissance de Charles Darwin. On s’est alors, beaucoup gaussé, en France , de la prétendue surréaction de la ministre de la santé de l’époque Roselyne Bachelot, qui avait préconisé une vaccination de masse. La polémique qui s’en est suivie – sur le mode – tout ça pour ça… on s’est alarmé pour pas grand-chose, et maintenant on se retrouve avec des stocks de vaccins inutiles sur les bras – explique pour partie notre impréparation actuelle, que traduit notamment le manque de masques. En ce sens, on peut dire que le virus de la grippe A (H1 N1) a été, inconsciemment, le meilleur allié de Covid 19 : il lui a préparé le terrain.

Que nous enseignent ces épidémies ou pandémies à répétition ?

Que nous ne sommes jamais sortis de l’évolution darwinienne ! Certaines des ces maladies – ce fut le cas d’Ebola hier et de Covid 19 aujourd’hui -, nous viennent de la nature, du monde des bêtes sauvages : ces épidémies font des ravages, parce qu’elles correspondent à l’irruption brutale, dans les sociétés humaines, d’agents pathogènes qui vivaient jusqu’ici, hors de notre sphère, et avec lesquelles nous n’avons pas pu coévoluer. Mais ces maladies émergentes se doublent d’autres types – les grippes et nombre de maladies infantiles – qui nous viennent, au contraire, de notre cohabitation avec des animaux domestiques. Depuis 7 000 ou 8 000 ans que cette domestication, et donc que ces maladies existent, nous ne cessons de coévoluer avec elles. Mais cette coévolution, il faut la voir comme la course de la Reine rouge dans De l’autre côté du miroir de Lewis Caroll : (à la question d’Alice : Mais, Reine rouge, nous courons vite et le paysage autour de nous ne change pas ? la Reine rouge répond : Nous courons pour rester à la même place.) Autrement dit, l’espèce humaine est, qu’elle le veuille ou non, engagée, comme toutes les autres espèces vivantes, dans une course stationnaire permanente, avec les espèces qui coévoluent avec elle, à commencer par ses parasites en tous genres (virus, bactéries, etc).

Pouvez-vous nous donner un exemple de ces processus coévolutifs entre les hommes et les virus ?

Bien sûr ! Au début de l’automne 1917, alors que la première guerre mondiale bat son plein, le Canada envoie sur la Somme un contingent d’ouvriers chinois, porteurs de la fameuse grippe dite espagnole. Mais le virus a, en quelque sorte, un problème : les soldats sur le champ de bataille se font tuer trop vite pour lui laisser le temps de prospérer. Cette pression adaptative a pour résultat de susciter une souche plus virulente que les autres. Paradoxalement, cette souche plus virulente que les autres a, dans un premier temps, limité le nombre de morts dus au virus, puisque les malades succombaient trop vite pour avoir le temps de contaminer beaucoup de personnes. Mais à la fin des hostilités, les soldats ont été démobilisés et ont contaminé les civils un peu partout sur la planète, d’où le bilan effrayant de cette pandémie. Dans un contexte tout différent – celui de la mondialisation -, la stratégie (toujours inconsciente, bien sûr !) du virus responsable du Covid 19 est à l’opposé de celle-ci. Alors qu’il semble qu’il y ait eu, au départ, deux formes de Covid 19, l’une plus virulente que l’autre, c’est la forme la moins virulente qui a pris le dessus et s’est répandue. Une bonne nouvelle ? Pas vraiment, puisque cette souche finalement sélectionnée provoque une maladie dont les symptômes ne se déclarent pas immédiatement, ce qui fait que les porteurs sains ont largement le temps de transmettre la maladie. Ce qui constitue, en réalité, le pire des scénarios.

À propos d’Homo sapiens, vous avez écrit, en vous mettant dans la peau d’un virus : Jamais une espèce n’a été autant complice de mon succès évolutif. Pourquoi ?

À cause de cette même mondialisation, bien entendu ! Jamais nous n’avons été aussi mobiles à la surface du globe : que l’on songe au transport aérien, au tourisme de masse. Il existe encore des îlots de survivance des modes de vie traditionnels – et le pauvre paysan chinois qui a imprudemment tué un pangolin infecté par une chauve-souris en est un exemple – mais ces îlots sont entourés de mégapoles tentaculaires et interconnectées avec elles, ils sont pris dans la nasse de la mondialisation. Ce qui offre aux virus et autres pathogènes la possibilité de sortir de leurs écosystèmes naturels. Il existe un grand principe de l’évolution, qui est que, plus une espèce rencontre du succès au plan évolutif, plus elle doit s’adapter aux conséquences de ce succès, notamment sur l’environnement. Depuis que je suis venu au monde, la population mondiale a plus que triplé, l’espérance de vie s’est accrue. Mais, corollaire de ce succès évolutif, l’environnement a profondément changé : urbanisation massive, pollution de l’air, etc.

Quelles leçons convient-il de tirer de cette pandémie, en ce qui concerne notre modèle de développement et nos modes de vie ?

Une seule, qui les résume toutes : qu’on ne peut plus continuer comme ça ! C’est étonnant que cette crise majeure survienne précisément au moment où une certaine prise de conscience semblait poindre, jusqu’aux plus hauts niveaux de décision. Je vous renvoie à la déclaration faite au forum de Davos de l’an dernier, disant qu’il était temps de réfléchir à nos actions en termes écosystémiques. Et aussi à la charte proposée par la Business Roundtable (l’équivalent américain du Medef), le 19 août 2019, qui allait dans le même sens. Que chaque région du monde se pense en termes d’écosystème, cela veut dire, par exemple, pour l’Europe, de ne plus dépendre de la Chine pour son approvisionnement en réactifs, en respirateurs artificiels ou en masques chirurgicaux. Quant aux grandes entreprises, elles doivent comprendre que leur responsabilité sociétale est une fusée à trois étages : primo, limiter le plus possible, leurs externalités négatives ; secundo, compenser ces mêmes externalités, par exemple, par la philanthropie ; tertio, faire adhérer l’ensemble de leurs parties prenantes à un système de valeurs partagées. Cette conscience est en train d’émerger. Après le temps de la reconstruction et du développement qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, puis le coup d’État de l’École de Chicago dans les années 1980, autour de penseurs comme Milton Friedman, disant que les entreprises appartenant à leurs actionnaires, devaient uniquement maximiser leurs profits et leurs dividendes) nous sommes en train d’entrer dans une troisième période, celle de la pensée écosystémique, de la responsabilité sociétale des entreprises et de la montée en puissance des techniques bio-inspirées (dont l’intelligence artificielle constitue aujourd’hui un excellent exemple). Espérons que la crise actuelle va accélérer ce processus.

Et en ce qui concerne notre système de santé et notre médecine ?

La première leçon, c’est que les inégalités socio-économiques constituent un terrain extrêmement favorable à la propagation des virus et autres pathogènes. Le cas des États-Unis, est, à cet égard, exemplaire : les 30 millions de personnes sur les 330 millions que compte ce pays n’ont pas les moyens de se soigner continuent d’être tenues à la marge du système médical et représentent une véritable bombe à retardement : plus de 200 000 personnes ont déjà été infectées, ce qui en fait, dès à présent, et de loin, le pays du monde comptant le plus de cas officiellement recensés, et ce n’est malheureusement pas fini. La deuxième leçon est qu’il serait temps de se convertir à la médecine évolutionniste à nous, spécialistes de l’évolution, d’apprendre aux médecins comment l’humanité n’a cessé de coévoluer avec les pathogènes, et comment son succès évolutif est lui-même à l’origine de nouvelles maladies, de nouveaux problèmes sanitaires. La troisième leçon, c’est qu’il faut prendre très au sérieux le concept One Health

Le concept One Health ?

Cela nous ramène à la pensée écosystémique. En gros, c’est un principe disant que pour garantir une bonne santé aux hommes, il faut garantir une bonne santé aux animaux, ainsi qu’aux environnements naturels. La peste porcine, les grippes aviaires, etc, ne sont pas que l’affaire des cochons et des volailles, c’est aussi la nôtre ! Ces deux concepts, médecine évolutionniste et One Health, sont d’ailleurs étroitement liés et on note qu’ils ont tous deux émergés il y a quelques années dans les grandes universités américaines : Harvard, Duke.

Aux yeux de beaucoup de chercheurs, cette crise aura au moins eu le mérite de remettre la parole scientifique eu premier plan dans le débat scientifique. Partagez-vous cet avis ?

Oui. Voyez combien la parole scientifique a eu du mal à se faire entendre sur le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité, pour ne citer que ces deux exemples. Tant mieux si Donald Trump se rend subitement compte qu’il a besoin des chercheurs et des médecins. Ses récents appels à accélérer les recherches lui ont d’ailleurs valu de se prendre une belle volée de bois vert de la part du rédacteur en chef de la revue Science qui a publié un éditorial savoureux le 13 mars (2020). On ne peut pas se souvenir de la science et des scientifiques uniquement dans les périodes de crise, et les mépriser le reste du temps !

Pascal Picq. Propos recueillis par Yann Verdo. Les Échos 3 04 2020

Nous ne jouons plus dans la cour des grands  

Pour l’historien Marcel Gauchet, la crise sanitaire liée au Covid ­19 doit être l’occasion d’une épreuve de vérité.

De quoi la crise sanitaire qui a touché la France a-­t-­elle été le révélateur ?

Nous avons pris conscience de l’extrême vulnérabilité de notre système de fonctionnement collectif. Nous vivions sans aucune anticipation stratégique d’une telle menace, alors que les épidémies, en Asie, sont une préoccupation familière. En France, l’impréparation a été totale ! Notre système de santé, supposé être l’un des meilleurs du monde, s’est révélé sous­dimensionné et très mal géré. L’effet du confinement nous classe en outre parmi les mauvais élèves en Europe. Nous ne jouons plus dans la cour des grands. Un autre élément a été décisif pour la conscience française : la mesure du délabrement de l’État et, plus largement, de notre système de décision politique, complètement désarticulé.

C’est ­à ­dire ?

Les décisions, pendant cette crise, ont été rendues de manière souvent incompréhensible pour les citoyens. L’État a présenté son pire visage, soit une étroitesse bureaucratique, un côté tatillon, autoritaire, voire persécuteur, sans se montrer efficace pour autant. Le jacobinisme impotent, ce n’est pas possible ! On pouvait accepter ces mauvais côtés quand cela marchait ; mais si c’est inefficace, ça devient insupportable. L’attestation dérogatoire de déplacement restera comme un chef ­d’œuvre dans les annales de la folie bureaucratique. Il faut la conserver pieusement pour l’édification des générations futures ! Par ailleurs, le Parlement n’a pas existé pendant la crise. Quant aux pouvoirs décentralisés, ils ont pris des initiatives dans la cacophonie. Tout cela a donné l’impression, impalpable, d’une défaillance collective. C’est un choc, une blessure narcissique profonde. C’est aussi le réveil d’un somnambule. Beaucoup de pays ont été surpris par la crise.

Certains s’en seraient-­ils pourtant mieux sortis ?

Oui ! Nous avons pu mesurer que nous étions parmi les cancres en Europe, réduits à notre situation de pays méditerranéen, au même titre que l’Espagne ou l’Italie ! Avec l’Allemagne, nous ne jouons plus dans la même catégorie. La vulnérabilité de notre système économique est apparue de manière criante, tandis que celui de l’Allemagne et ses choix industriels se sont révélés payants. Certes, tous les pays occidentaux ont éprouvé la dépendance à la Chine, mais plus ou moins crûment. En France, nous nous sommes tranquillement démunis de produits vitaux (masques, médicaments) avec l’assurance, au fil du temps, que nous faisions les bons choix et que tout irait bien. Or, nous avons payé cash la désindustrialisation. L’écart va encore se creuser entre l’Europe du Sud, dont nous sommes, et l’Allemagne et ses satellites. La crise économique qui nous attend ne va rien arranger. Nous assistons à une redéfinition de la place objective de la France en Europe.

Comment en sommes-­nous arrivés là ?

C’est un phénomène profond, ancien. Ce qui est en cause, c’est le rapport des élites françaises à la mondialisation, qu’elles n’ont pas comprise. Ces dernières ont une vertu, qui est aussi un défaut politique : elles sont universalistes, se voient comme citoyennes du monde. Le patriotisme économique, par exemple, leur apparaît totalement ringard ! Ces élites sont par ailleurs animées par un sentiment de supériorité, avec la conviction absurde que nous sommes plus malins que tous les autres et que nous allons sortir de cette compétition mondiale par le haut. Il y a eu une très mauvaise appréciation du rapport de force. Les entreprises françaises sont celles qui se sont fait le plus piller en termes de brevets, de savoir­-faire, par les entreprises chinoises, car ce sont elles qui ont pris le moins de précautions. Finalement, la France, portée par sa mégalomanie, a raté l’entrée dans la mondialisation.

D’où cette mégalomanie française vient-­elle ?

D’un grand passé, d’une grande culture… La France est la première destination touristique du monde ! Elle a maintenu en outre les apparences de la grandeur, à l’échelle internationale : un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, un rôle théorique d’inspirateur de la construction européenne – alors que celle-­ci nous échappe en réalité largement. Souvenons-nous de la majestueuse entrée en scène d’Emmanuel Macron au pied de la pyramide du Louvre, le soir de son élection en 2017, un épisode extraordinaire ! La France se pense comme étant au centre du jeu et les Français vivent largement sur cette idée. Valéry Giscard d’Estaing, le malheureux, avait un jour osé dire, dans un moment de sincérité mal inspiré : La France est une puissance moyenne. Ce fut un tollé ! C’était pourtant prophétique. Depuis, personne n’a osé aller dans ce sens. Notre pays a un problème d’image de lui­-même et d’appréciation réaliste de sa position dans le monde.

Les institutions portent ­elles une responsabilité ?

Oui. Ces institutions ont été conçues par un homme pour un homme, Charles de Gaulle, qui avait une stature hors de l’ordinaire. Il a donc donné à ses successeurs l’obligation d’être des grands hommes, comme si c’était écrit dans la Constitution. Ce qui rend leur tâche impossible et les voue à une mégalomanie constitutionnelle, avec la tentation permanente de retrouver les élans lyriques du fondateur. Quand Macron a fait son discours sur le confinement, le 16 mars, il avait sans nul doute l’impression de rejouer l’appel du 18 juin ! La Constitution de la V° République transforme l’élection présidentielle en ordalie historique : vous êtes le sauveur du pays ou vous n’êtes rien. Cela met la barre très, très haut. Et cela promet le président à une déception qui paralyse son action. Très vite, nos présidents n’ont plus la légitimité qui leur permettrait de mener une action consensuelle, au sens démocratique du terme, c’est ­à ­dire acceptable par l’opposition.

Faut-­il changer les institutions ?

Il faudrait pouvoir les changer mais ce n’est pas possible. Il s’agit d’un système pervers : plus la déception des citoyens à l’égard de l’action des gouvernants s’approfondit, plus ils ont l’impression que le seul levier qui leur reste, c’est l’élection présidentielle. Plus le système est dévalué, moins les gens sont prêts à accepter une réforme du système. Nous sommes dans une impasse politique. Tout repose donc sur la sagesse d’un président de la République qui aurait le bon sens, non pas de changer les institutions, mais d’en changer l’esprit. En Allemagne, Angela Merkel sait bien faire comprendre que toute décision politique résulte d’un compromis. En France, c’est évidemment vrai aussi, mais c’est caché derrière un vernis d’autorité et de verticalité. On l’a très bien vu pendant la crise sanitaire : il fallait arbitrer entre deux contraintes de nature très différente. Ce qui aurait dû donner lieu à un débat et à un compromis. Or, il n’y a eu aucun débat… Et pas de vrai compromis non plus ! Cette décision de confiner le pays, dans le sillage d’un régime autoritaire comme la Chine, a été prise sous le signe d’un sentiment très partagé dans la crise : la peur. La peur politique de rater le coche, d’être en décalage avec une société imprévisible que les gouvernants ne comprennent pas vraiment. La décision de confiner a été prise au sommet de l’État dans la panique, sans vraie réflexion, pour pallier le fait qu’on manquait de moyens pour faire face à cette crise : masques, tests, lits de réanimation… La logique d’imitation a également joué : on ne pouvait pas faire moins que les voisins.

Voyez-vous, malgré tout, quelque raison d’espérer ?

Nous devrions pouvoir compter sur l’attachement des Français à des institutions qui ont fait leur fierté par le passé et font le ciment de la vie collective : l’hôpital et l’école. Améliorer la situation des deux est à notre portée ! Mais nous avons surtout besoin d’un examen de conscience, d’un audit du pays, de ses failles et de ses faiblesses. Nous ne sommes pas en 1940, mais nous avons à réécrire quelque chose comme L’Étrange Défaite de Marc Bloch.

Cette crise peut-elle être l’occasion d’une renaissance ?

Elle peut être l’occasion d’une épreuve de vérité. Les Français vont devoir arrêter de se raconter des histoires, et regarder les choses en face. Or, là, tout le monde a compris qu’il y avait des choses à regarder… Ce serait, à mes yeux, un acquis fondamental. De cette épreuve de vérité pourraient naître des possibles.

Marcel Gauchet. Directeur d’études émérite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et rédacteur en chef de la revue Le Débat Gallimard. Propos recueillis par solenn de royer Le Monde du 7 juin 2020

Dans la seule journée du vendredi 30 octobre 2020, où le deuxième confinement est entré en vigueur, le coronavirus a fait davantage de victimes sur le territoire français (545) qu’en Corée du Sud depuis le début de l’épidémie dans son ensemble (465 au 30 octobre). Par quelque bout qu’on prenne le problème (fiabilité des données, niveau de richesse, pyramide des âges…), la comparaison n’a rien de déloyal. Le seul reproche qu’on pourrait lui faire est d’enfermer deux pays que rien ne relie dans un tête­ à ­tête. Rien n’est plus éloigné de ma pensée, puisqu’il s’agit au contraire de mettre en lumière un déséquilibre plus général, écrasant, entre l’Asie et l’Occident. On pourrait sans peine choisir des parallèles plus extrêmes, par exemple entre le Vietnam, qui a eu la sagesse de fermer immédiatement ses frontières [elles n’ont que partiellement rouvert depuis mi­-septembre], et le chaos qui se répand dans la première puissance mondiale. S’il est donc pertinent dans une certaine mesure de s’interroger sur les mesures sanitaires prises ici et là en Europe, il ne faudrait pas que ces nuances deviennent l’arbre qui cache la forêt. Il y a des écarts entre pays voisins, mais un gouffre entre l’Asie et l’Occident. Une question gigantesque s’impose à nous : d’où vient cette panique qui submerge l’Occident ? Que s’y est-­il passé pour le rendre si démuni, surtout par rapport à l’Asie ? Les échappatoires ne sont pas de mise. Il en est une notamment à laquelle je pense, qui consisterait à porter notre impéritie comme une médaille et à en faire pour ainsi dire la rançon de notre liberté. Ainsi le philosophe André Comte­ Sponville déclarait ­il, le 23 octobre sur France Culture : Je préfère attraper la Covid­19 dans une démocratie plutôt que de ne pas l’attraper dans une dictature. Sans doute. Mais l’on peut se demander si l’alternative se pose vraiment en ces termes. Pour ce qui est de l’Europe tout du moins, les états d’urgence se succèdent pour y replonger quasiment aussitôt. C’est d’un même mouvement que la santé et les libertés publiques se dégradent. Contraste cruel La perspective change si l’on se tourne vers l’Asie, puisque les jeunes démocraties de Taïwan et de Corée ont su faire face à l’épidémie bien plus efficacement que la dictature chinoise, y compris à en croire les chiffres notoirement sous­-estimés de cette dernière. Mieux encore, elles y sont parvenues sans se confiner ni remettre en cause les acquis des dernières décennies. Dans ces deux pays, les partis issus de la dictature ont été défaits dans les grandes largeurs aux dernières élections. Car en effet, si leurs gouvernements ont agi avec une transparence sans rapport avec l’Occident dans cette affaire, c’est aussi sous la pression populaire. La Corée du Sud a ainsi emprisonné quatre anciens présidents pour corruption depuis la fin des années 1990, rien de moins. Il existe également un système de pétition populaire, très suivi, sur le site de la Maison Bleue [la résidence et le bureau du président], grâce auquel les citoyens font entendre leur voix. L’élan des glorieuses manifestations démocratiques de l’hiver 2016-­2017 n’est jamais totalement retombé. Rappelons enfin que le gouvernement actuel a augmenté en deux ans le salaire minimum de presque un tiers (soit 16,4 % en 2018 et 10,9 % en 2019) malgré les chaebols [empires économiques familiaux] qui freinaient des quatre fers et la lente crue du chômage. Cette fermeté parle d’elle-­même et, là encore, le contraste est des plus cruels pour l’Europe. Bien sûr, la différence est que l’Asie part de loin, notamment en matière de libertés individuelles. Mais ce qu’il y a de plus remarquable avec Taïwan, la Corée du Sud et aujourd’hui Hongkong (lâchement abandonnée de tous), c’est justement la façon dont cette discipline collective propre aux sociétés confucéennes a trouvé à se renforcer dans l’opposition à des dictatures abominables. Le nous n’y a pas faibli dans la lutte, au contraire. C’est si vrai que, jusqu’à aujourd’hui, ce pronom est de loin le plus fréquemment employé en coréen pour parler de soi (je est plus rare et s’utilise surtout quand on veut marquer la différence avec le groupe). La chose est frappante au sujet du masque. L’habitude en Asie consiste à le porter quand on craint d’être malade, pour protéger les autres ; tandis qu’en Occident, où l’on ne pense le plus souvent qu’à soi, les patients asymptomatiques courent les rues sans se faire dépister et contaminent à tour de bras. Cette exigence asiatique peut en un mot se révéler, comme la langue d’Ésope, la meilleure ou la pire des choses. Elle peut unir un peuple dans sa lutte pour sa liberté comme, inversement, cimenter les pires despotismes. Tout l’enjeu est de savoir quelle tendance l’emportera sur l’autre. Mais dans la situation actuelle, la comparaison avec l’Occident se passe de commentaires. Le combat a déjà changé d’arène. Haine de soi J’irai même plus loin pour conclure : la globalisation est aujourd’hui un bolide sans pilote, lancé à toute allure dans le vide. Les échanges y ont été multipliés sans réflexion, avec pour résultat que les virus, les crises, les rumeurs, les toxiques en tout genre y prolifèrent sans frein. Ce n’est pas le fait de l’épidémie qui est nouveau, par exemple, mais bien sa vitesse, son ampleur qui la rendent hors de contrôle. Chacun sait que les décennies qui viennent mettront notre résistance à tous, en tant que peuple, à plus rude épreuve que jamais. C’est dans ce contexte que la France a tant à apprendre de l’Asie. Cela fait si longtemps que notre pays cultive la haine de soi… On y démantèle l’école, les services publics, l’hôpital, l’industrie, la paysannerie, l’artisanat – notre avenir, comme notre héritage. On paie aujourd’hui au prix fort toutes ces erreurs. Tournons donc nos regards vers les nations qui ressortent grandies de l’épreuve ; et dans le cas d’Hongkong, soutenons leur lutte. Faute de nous ressaisir et de bâtir les nouvelles alliances qui s’imposent, il ne resterait plus qu’à nous résigner aux solutions vraisemblablement fort désagréables que l’impérialisme chinois viendrait tôt ou tard apporter à notre dilettantisme.

Christophe Gaudin, maître de conférences en sciences politiques à l’université Kookmin, à Séoul. Le Monde du 5 11 2020

La mortalité moyenne en France, Dom-Tom inclus, est de 600 000 par an , soit 50 000 par mois pour une population de 67 millions d’habitants

  • 2007 : l’ÉPRUS – Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Humanitaires – crée par Xavier Bertrand pour gérer ces stocks, reçoit des subventions pour un montant de 285 millions. Huit ans plus tard, en 2015, elle sont de 25 millions ! En 2016, l’Eprus fusionne avec l’Inpes et l’InVS pour devenir Santé Publique France.
  • 2009 : le stock de masques en France se monte à 2.2 milliards, dont 1.6 milliard de masques chirurgicaux.
  • 2013 La gestion des masques FFP2 est confiée aux employeurs, publics et privés. La quasi totalité des 616 millions de masques chirurgicaux datant de 2005-2006 sont mis au pilon.
  • 2011 :  le stock de masques en France se monte à 1.4 milliard, dont 0.8 milliard de masques chirurgicaux.
  • Le premier cas de coronavirus est découvert le 17 novembre 2019. La Chine le déclarera à l’OMS le 31 décembre 2019. Agnès Buzyn, ministre de la Santé, en informe Edouard Philippe, premier ministre.
  • Agnès Buzyn est en Corse, surfe sur Twitter où elle découvre le 25 décembre l’existence de pneumo pathologies en Chine. Elle fait suivre l’information au Docteur Salomon, directeur de Santé-France
  • le 2 janvier, Agnès Buzyn active une veille au Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales. Elle envoie un message aux établissements de santé.
  • Le 10 janvier, le génome du nouveau virus est séquencé. Au 31 décembre 4 millions de Chinois avaient quitté Wuhan pour les fêtes du nouvel an.
  • Le 11 janvier, Agnès Buzyn prévient Edouard Philippe et Emmanuel Macron. À partir de la fin janvier, elle enverra des messages insistants.
  • Le 21 janvier, Agnès Buzyn, au cours d’un point presse parle de risque faible. Décision est prise d’un point presse quotidien.
  • Le 27 janvier, cinq jours après le confinement de Wu Han, elle alerte Emmanuel Macron, auquel, trois jours plus tard, elle demande rendez-vous.
  • Au 31 janvier 2020, le virus avait fait 259 morts en Chine et 12 000 personnes l’avaient contracté.
  • Au 7 février, on compte 722 morts, trois jours plus tard, 1 015 morts et plus de 40 000 contaminés. Et puis, on limoge les responsables des régions car il faut revoir ces chiffres à la hausse : plus de 50 000 contaminés et 1 300 morts au 12 février.
  • Le 8 février, Agnès Buzyn obtient une conversation téléphonique avec Emmanuel Macron. Plus Tard, Alexis Kohler, conseiller à l’Élysée l’interpellera : mais qu’est ce que tu as dit au président ? Tu as réussi à lui faire peur. Eh bien, heureusement que je lui ai fait peur, parce qu’il y a de quoi ! lui répondra-t-elle.
  • 60  000 contaminés et 1 500 morts au 15 février, les derniers chiffres étant dus à des révisions de modes de comptage.
  • Un touriste chinois de Wuhan meurt à Paris le 14 février, le premier en Europe.
  • Le 15 février Agnès Buzyn quitte le gouvernement pour être candidate aux municipales, à Paris. Olivier Véran devient ministre de la Santé.
  • 1 700 morts en Chine le 16 février, 2 400 le 25 février.
  • du 17 au 24 février, 2 500 chrétiens de l’Eglise évangélique se rassemblent à Mulhouse, venus de toute la France, et parfois, de pays limitrophes. De retour chez eux, nombreux se révéleront contaminés : c’est le début de l’épidémie.
  • La mort d’un Chinois à Paris, puis des cas d’Anglais aux Contamines-Montjoie étaient restés sans conséquence décisionnelle, la diffusion de ces cas ayant été stoppée. Le 25 février, c’est autre chose avec la mort d’un enseignant, originaire de l’Oise, à la Pitié-Salpêtrière, qui révèle l’existence d’un foyer occulte. En même temps les chiffres s’emballent en Italie.
  • Au 1° mars, 3 000 morts dans le monde dont 2 912 en Chine, 54 en Iran ; 4 000 contaminés en Corée du sud, 1 700 en Italie. Le stock de masques en France se monte à 112 millions, dont 98 achetés entre 2014 et 2016 et 19 ayant échappé à la destruction.
  • Le 7 mars, 102 188 contaminés dans le monde, 3 491 morts et 57 389 malades guéris. 80 758 contaminés en Chine, 6 767 en Corée du Sud, 4 747 en Iran , 4 636 en Italie, laquelle se met en quarantaine trois jours plus tard, vie sociale réduite au strict minimum, tous commerces fermés sauf alimentaire et santé.
  • Le 11 mars, les États-Unis suspendent pour trente jours tous les vols Europe-États-Unis.
  • Le 12 mars, Emmanuel Macron dit, en gros, que le pire n’est pas derrière nous, mais devant nous, et ordonne la fermeture jusqu’à nouvel ordre de l’ensemble du système scolaire et universitaire, crèches incluses.
  • Le 15 mars, les électeurs  répugnent à se déplacer pour le premier tour des élections municipales – abstentions record de 50 à 55 % – mais en même temps les bobos parisiens, pour bien montrer qu’ils n’appartiennent pas au même monde, se pressent sur les berges du canal Saint Martin, sur les marchés etc… accrochant l’irresponsabilité à la boutonnière, comme d’autres la ligne de coke sous le nez, sans qu’aucune force de l’ordre ne vienne les disperser de force.
  • Le 16 mars, Emmanuel Macron confirme les règles déjà énoncées, et annonce la validité du premier tour des municipales pour les maires élus au premier tour et le report sine die du second tour. C’est le confinement, avec nombre d’exceptions. 170 000 contaminés dans le monde, dont 81 020 en Chine, 24 747 en Italie, 13 938 en Iran, 8 162 en Corée du Sud, 7 844 en Espagne, 5 437 en France, 0 – oui, zéro – au Vietnam. 77 257 malades ont guéri. 6 513 sont morts, dont 127 en France.
  • Avec 3 400 morts le 19 mars, 4 400 le 20 mars, l’Italie dépasse la Chine qui en a eu 3 100 et n’a enregistré aucun nouveau contaminé les 19 et 20 mars. Mais, au vu du nombre de familles venant chercher à Wuhan les urnes funéraires de leurs membres décédés, il s’avérera que le décompte de ses morts par la Chine, est faux dans une proportion au moins de 1 à 10 voire de 1 à 20 : il y aurait eu entre 40 000 et 100 000 morts !
  • 800 morts en Italie pour le seul 21 mars.
  • Dimanche 22 mars au soir, 674 morts en France, 1 746 patients en réanimation.
  • au 25 mars, 47 610 contaminés et 3 434 morts en Espagne, 39 000 contaminés en Allemagne, 222 morts, 3 547 guéris, 1 696 morts en France en milieu hospitalier.
  • au 26 mars, 83 000 contaminés aux États-Unis, plus que le maximum chinois, avec 81 000 et plus que l’Italie avec 80 000.
  • Pour le seul 27 mars, 769 morts en Espagne, 969 en Italie qui compte au total plus de 9 000 morts.
  • 28 mars : la Chine va livrer 600 millions de masques à la France, dont 74 millions de FFP2. 1 995 morts en France, en milieu hospitalier.
  • 2 avril : l’Espagne compte plus de 10 000 morts, l’Italie 13 915, la Grande Bretagne 2 921, les États-Unis 4 513, la Suède 146 : on est tenté de dire que 146, étant donné leur très douce stratégie en matière de prévention, bars, restaurants, commerces et même écoles primaires restant ouverts !
  • 3 avril : Total mondial : 55 092 morts. 6 099 aux États-Unis, Royaume Uni 3 805, France  5 387, Chine 3 322, Iran 3 394, Pays Bas 1 487, Belgique 1 143, Allemagne 1 122, Suisse  573, Turquie 356, Suède 333.
  • 5 avril : L’Europe est la plus touchée avec 15 877 morts pour l’Italie, 13 055 pour l’Espagne, 8 078 pour la France.
  • 7 avril : la France passe le cap des 10 000 morts, 14 500 pour l’Espagne.
  • au 16 avril, plus de 137 500 morts dans le monde.
  • 17 avril, 54 % des équipages du porte-avion Charles de Gaulle, testés positifs au coronavirus, soit 1 081 pour 2010 marins du groupe !
  • 23 avril : 21 340 morts en France, 5 354 en Allemagne (pour 83 millions d’habitants), 47 808 aux États-Unis, 25 085 en Italie, 22 157 en Espagne, 18 738 en Grande Bretagne. En ne prenant en compte que le couple Franco Allemand, la France compte 22 000 morts de plus que l’Allemagne, qui a 18 millions de moins en population. Donc on est en droit de dire que l’incurie de l’État français – absence de masques, de tests, de lits équipés de respirateurs – est responsable de la mort de 22 000 personnes. À cela il faut ajouter les innombrables dégâts collatéraux du confinement, à venir, dans un futur très proche : dépôts de bilan, faillites sans fin, familles ruinées, désespérées, réduites à la mendicité, dépressions nerveuses, suicides. Il s’agit bien là de non-assistance à population en danger.
  • 24 avril : plus de 51 000 morts aux États-Unis, 120 000 en Europe.
  • 29 avril : 217 000 morts dans le monde
  • 6 mai : 260 000 morts dans le monde, dont 150 000 en Europe, 73 000 aux États-Unis, 7 119 en Allemagne. 25 531 morts en France, dont 12 769 en EPHAD.
  • 9 mai : 267 000 morts dans le monde, dont 76 673 aux États-Unis, 30 615 en Grande Bretagne, 29 958 en Italie, 25 299 en Espagne, 26 230 en France, dont 16 497 à l’hôpital
  • 4 juin : 29 021 morts en France. En trois plans différents, l’Europe aura mis sur la table 1 650 milliards d’€ : 750 le 15 mars, 600 le 4 juin par le BCE et 300 Plan PSPP en avril.
  • 16 juin : 29 547 morts en France dont 19 090 à l’hôpital et 10 547 en EPHAD.
  • 9 juillet : 545 414 morts dans le monde ; 132 195 aux États-Unis, 67 694 au Brésil, 44 517 en Angleterre, 34 914 en Italie, 32 796 au Mexique, près de 30 000 en France.
  • 12 septembre : 906 000 morts (chiffre OMS) dans le monde, dont 190 000 aux États-Unis, 128 000 au Brésil, 76 000 en Inde, 69 000 au Mexique, 41 000 au Royaume Uni.
  • 28 septembre : 1 million de morts dans le monde, dont 210 000 aux États-Unis.
  • 21 octobre : 34 000 morts en France depuis le début de l’épidémie.
  • 6 novembre : 39 665 morts en France.
  • 8 novembre : 40 000 morts en France.
  • 24 novembre : 50 000 morts en France.
  • 19 décembre : 60 000 morts en France.
  • 16 janvier 2021 : 70 000 morts en France
  • 27 janvier 2021 : 100 000 morts en Angleterre
  • 30 janvier 2021 : 75 620 morts en France
  • 9 février 2021 : 80 000 morts en France
  • 21 février 2021 : 500 000 morts aux États-Unis (pour 330 millions d’habitants)
  • 16 avril 2021 : 100 000 morts en France. Et, dans ces mêmes quatorze mois, 700 000 personnes mouraient d’une autre maladie ; 150 000 personnes meurent du cancer chaque année, et chaque année encore il y a 225 000 nouveaux cas d’Alzheimer.
  • 31 octobre 2021 : 124 000 morts en France.
  • 28 février 2022 : 138 000 morts en France.
  • juin 2023 : 167 548 morts en France

La fin de la croissance exponentielle : le déclin de la ...

De toutes façons, chacun d’entre nous, quel qu’il soit, partira un jour ou l’autre, les pieds devant pour manger les pissenlits par la racine (les Français), voir les pommes de terre par en-dessous, ou regarder les radis par la racine (Allemagne) regarder les carottes par la racine (Suisse), voir les pissenlits à l’envers (Grèce), sentir les fleurs par la racine (Pologne), avoir un jardin sur le ventre (Hollande), être sous le gazon (d’un terrain de rugby, bien entendu), au Pays de Galles. Et, intégrés plus aux rituels des obsèques qu’aux traditions de comptoir de bistrot, de la Russie profonde aux Africains du Sahel, pour que l’esprit puisse continuer à vivre sa vie, on souhaite que la terre leur soit légère.

Mais, plutôt que de dénoncer, on peut préférer annoncer… mais, annoncer quoi ? Eh bien le retour du système D pour lesquels les Français sont champions du monde : on pourrait par exemple confier le management de tout ça à Carlos Ghosn : ce type est un génie, hyper compétent en tout ; comme il s’ennuie profondément au Liban, il ne demande qu’à replonger dans la vie active et on acceptera sans bargouiner la seule condition qu’il y met : ne jamais remettre les pieds au Japon, ambassades incluses.

  • D’abord, on commence par se faire un masque : pour les grands, prendre des bouteilles en plastique de 2 litres, pour les petits et les enfants des bouteilles de 1.5 litre :  vous coupez  le goulot et le fond d’une bouteille puis vous la coupez encore, mais dans le sens de la longueur et vous avez un masque  : démonstration : VIDEO-2020-03-31-13-56-061.mp4
  • Vous achetez du filet de bœuf et faites des rations de 300 grammes.
  • Vous prenez un chien qui a été dressé à sentir le coronavirus et vous le faites travailler sur des personnes asymptomatiques : et, chaque fois qu’il en reconnait une comme étant contaminée, vous lui donnez ses 300 grammes de filet de bœuf.
  • Vous achetez de l’argile, blanche de préférence.  Vous mélangez cet argile à de l’eau dans un verre, vous attendez qu’elle se dépose, puis vous mélangez à nouveau et vous buvez. Et bientôt vous êtes guéri : l’argile chasse toutes les toxines :

Lucile Cornet-Vernet, la femme qui croyait en l’artémisia

Rien ne prédestinait la discrète notable à sortir des cercles restreints de la lutte contre le paludisme ou de la permaculture, pour embrasser ce combat difficile.

Lucile Cornet-Vernet, la femme qui croyait en l'artémisia

Lucile Cornet-Vernet et la responsable des cultures d’artémisia de la ferme de Bouassa, au Burkina Faso, en 2019. La Maison de l’artémisia

De prime abord, le docteur Lucile Cornet-Vernet n’a pas le profil d’une franc-tireuse. La cinquantaine hâlée par des semaines de confinement passées au grand air, loin de son cabinet d’orthodontiste parisien, elle vit retranchée dans la paisible atmosphère du Belvédère, sa propriété de Mortefontaine, dans l’Oise.

Difficile d’imaginer qu’il s’est tramé là au début du printemps le plus improbable des scénarios pour imposer une tisane d’armoise annuelle, cette plante originaire du Sichuan, sur la liste des potentiels traitements contre le Covid-19. Une tisane, ça n’est pas sérieux, fait-elle mine de penser assise dans un transat à l’ombre d’un vieux chêne.

Pas sérieux ? Depuis que le président malgache a décrété mi-avril qu’un breuvage à base d’Artemisia annua serait l’antidote national de la Grande Île de l’océan Indien, son téléphone ne cesse de sonner. Elle enchaîne les interviews et la plante fait presque autant parler que l’hydroxy chloroquine de l’infectiologue marseillais Didier Raoult… Du moins en Afrique où Andry Rajoelina, le chef de l’État malgache, distribue gratuitement des boîtes de tisane aux dirigeants comme lui prêts à prendre des chemins de traverse pour faire barrage à la pandémie.

La discrète notable, habituée des cercles restreints de la lutte contre le paludisme ou de la permaculture, son premier engagement avant que l’artémisia ne devienne le combat de sa vie, aurait-elle pu rêver si grande tribune ?

Lucile Cornet-Vernet a fondé en 2012 La Maison de l’artemisia pour promouvoir l’utilisation de l’armoise annuelle dans la prévention et le traitement du paludisme. À cette époque, cette fervente catholique, qui confie volontiers que la foi coule dans ses veines, ressent la lassitude d’une vie trop cadrée. Elle qui voulait être médecin et garde en elle ce besoin de prendre soin des autres, comme elle le raconte dans le livre paru en 2018, Artémisia, une plante pour éradiquer le paludisme (éd. Acte Sud), a envie de se rendre utile.

Alexandre Poussin lui en apporte le thème. Cet écrivain globe-trotteur a traversé l’Afrique à pied et des décoctions d’artémisia offertes par une mission religieuse en Éthiopie pour soigner sa crise de paludisme lui sauvent la vie. À mon retour, j’ai voulu alerter sur la puissance de cette plante pour soigner à peu de frais les milliers de personnes qui décèdent encore chaque année. J’ai prêché dans le désert jusqu’à ce que je rencontre Lucile et qu’elle s’empare de cette cause, explique-t-il, en louant son énergie.

Depuis des siècles, la médecine traditionnelle chinoise connaît les propriétés de l’Artemisia annua, utilisées contre les fièvres palustres. Il suffirait que chaque famille africaine en fasse pousser un carré dans son jardin pour offrir une alternative aux plus démunis qui ne peuvent avoir accès aux médicaments fabriqués par les grands laboratoires pharmaceutiques. Ce sera la première mission des Maisons de l’artémisia, présentes aujourd’hui dans vingt-trois pays du continent.

Alors qu’en ce début de printemps confiné, l’orthodontiste revisite l’abondante littérature scientifique écrite sur la plante, il ne lui échappe pas qu’elle possède également des vertus antivirales, utilisées par la Chine dans les traitements complémentaires du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-1) survenu en 2003. Dans le nouvel épisode de coronavirus qui s’abat sur Wuhan fin 2019, les médecins chinois y ont à nouveau recours. Alors pourquoi pas la France, se demande-t-elle.

Au départ de la réflexion, il n’est en effet pas question de l’Afrique. Lorsque l’un de ses fils polytechnicien se retrouve au Belvédère avec quelques camarades pour répondre à un appel à projet de leur école, c’est d’abord la protection des soignants français qui est au centre des discussions. J’ai proposé ma tisane et, à ma grande surprise, ce fut l’enthousiasme, raconte celle qui a conscience d’être parfois prise pour une folle dans le milieu plutôt vieille France dans lequel elle gravite.

En quelques jours, la petite équipe rédige une note de douze pages : Appel à projet lutte Covid-19. Prévenir et atténuer l’épidémie avec l’Artemisia annua. Elle est adressée à l’Ecole polytechnique le 23 mars : Le pic de l’épidémie du Covid-19 en France est prévu pour les jours suivants et l’exposition du personnel soignant ne cesse d’augmenter. (…) L’Artemisia annua est une plante médicinale utilisée massivement en Chine comme traitement contre le SARS-CoV-1 en 2003 et contre le Covid-19 aujourd’hui. Prise sous forme de décoction quotidienne par le personnel soignant, elle pourrait être très efficace pour renforcer la prévention. L’ONG La Maison de l’artémisia en possède 300 kg qu’elle peut mettre immédiatement et gratuitement à disposition, renforçant la prévention de 4 000 personnels soignants, en particulier des services de réanimation.

Actuellement, 1 000 tonnes d’Artemisia annua sont également stockées à Madagascar. Il suffirait de dix tonnes pour fournir aux malades les plus sévèrement atteints des décoctions quotidiennes et participer à endiguer l’épidémie en France et en Europe, détaille la note, en proposant qu’une étude clinique soit réalisée par l’armée pour confirmer l’efficacité du traitement dont la posologie s’inspirerait des prescriptions chinoises.

L’école polytechnique reste silencieuse pendant plusieurs semaines, avant de donner une réponse négative. Ils attendaient certainement quelque chose de plus innovant, interprète-t-elle aujourd’hui.

Qu’à cela ne tienne. En même temps que le projet s’écrit, il apparaît en effet évident à Lucile Cornet-Vernet que les gouvernements africains doivent être mis dans la boucle. La plante pousse dans la vingtaine de pays où l’association s’est développée, une espèce d’armoise, l’Artemisia afra, qui pourrait bien faire l’affaire. Et Madagascar, pays auquel il est fait référence dans la note, possède les plus gros stocks d’Artemisia annua après la Chine, grâce à une entreprise qui fournit aux laboratoires pharmaceutiques l’artémisinine, le principe actif utilisé dans les combinaisons thérapeutiques considérées comme les plus efficaces et dont la découverte a valu le prix Nobel de médecine à la Chinoise Tu Youyou en 2015.

La Française, qui dispose d’un solide entregent, fait parvenir son courrier jusqu’au bureau des ministres de la santé. À Antananarivo, le chef de l’État saisit tout de suite l’opportunité. Il réquisitionne les stocks d’armoise produite en quantité dans son pays, lance la production de sachets de tisane et boissons préconditionnées, avant de se faire le chantre de ce remède africain qui pourrait sauver le monde à travers des visioconférences avec ses homologues du continent. Son Covid Organics est commercialisé sans avoir été testé et Lucile Cornet-Vernet, tout en reconnaissant son courage politique, prend prudemment ses distances.

D’autres pays se montrent aussi ouverts à la proposition. En République démocratique du Congo (RDC), son vieux complice, le docteur Jérôme Munyangi, est de nouveau le bienvenu. Contraint de fuir son pays en 2019 après avoir subi arrestations et violences du fait de ses recherches sur l’artémisia, le chercheur a rejoint l’équipe chargée par le président Félix Tshisekedi de conduire la riposte contre le Covid-19. Il participe aux discussions avec le bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Brazzaville sur le protocole de l’étude clinique qui doit être menée pour confirmer l’efficacité de l’infusion.

Reste à trouver l’argent. En France, une opération de financement participatif (crowdfunding) est portée par le footballeur Claude Makelele pour contribuer à rassembler les 2 millions € nécessaires. C’est beaucoup et peu au vu de l’enjeu, relativise Lucile Cornet-Vernet. L’avenir, je ne le connais pas. Mais quoiqu’il arrive, nous aurons réussi à faire avancer notre cause.

  • Passer commande de masques deux mois après l’épidémie, c’est comme enfiler un préservatif le jour de l’accouchement.
  • Une petite pensée pour Benjamin Griveaux confiné avec son épouse.
  • Plusieurs parents sont en train de découvrir que le problème, ce n’est pas l’enseignante ! 
  • D’habitude le matin je prends mon café au bar, ce matin, je l’ai pris avec ma femme : elle a l’air sympa.
  • Papa, ma maîtresse me manque. – La mienne aussi, mon fils, la mienne aussi…
  • Le gouvernement annonce l’annulation du maintien de la suppression des mesures dont l’abandon de la confirmation avait été abrogé.
  • J’ai voulu faire comme en Italie : chanter à ma fenêtre… Je vais recommencer ce soir pour avoir la deuxième pantoufle
  • Les premiers de cordée ont cédé leur place aux premiers de corvée.

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[1] L’auteur de ce site, pour avoir passé plusieurs années en Afrique sait très bien, comme tous les expatriés, que l’un des moyens les plus efficaces pour mettre fin à ses jours, c’est de prendre, sans mégoter, en une prise, de la Nivaquine – le nom du principal antipaludéen dans les année 80 -.