Publié par (l.peltier) le 30 novembre 2008 | En savoir plus |
1402
Les chiffres arabes, [d’invention hindoue] apparaissent à Toulouse. Le normand Jean de Béthencourt veut coloniser les Canaries : Lancelleto Malocello, génois y avait en fait déjà débarqué en 1312 et depuis lors, on s’y approvisionnait en esclaves et en… oseille. Accompagné de Gadifer de La Salle, il fait la conquête des îles Lanzarote et Fuerteventura, tandis que les autres îles de La Palma, El Hierro et Tenerife se trouvent aux mains des indigènes, les Guanches. Reconnu comme seigneur de l’archipel, il se donnera une capitale : Betencuria, la peuplera de Normands, prendra possession de mouillages africains au sud du cap Bojador, mais la colonisation ne sera jamais effective et la présence française aux Canaries n’aura duré que 17 ans. Les Espagnols prendront la suite en 1492, pour longtemps, y amèneront la canne à sucre, monoculture d’exportation qui occupa le terrain en lieu et place de cultures vivrières des Guanches, contribuant ainsi à leur déclin démographique.
Les Guanches étaient là depuis beaucoup plus longtemps, et curieusement, s’ignoraient d’une île à l’autre puisqu’ils ne naviguaient pas. Les chapelains de l’expédition notent qu’ils se croient seuls au monde, derniers survivants d’une terrible catastrophe. Sur Hierro, ils vouent un culte à un énorme Garoé, un arbre d’un diamètre d’1.5 m, à 1 000 mètres d’altitude, qui leur fournit de l’eau en abondance. Jean de Bethencourt note que dans les parties les plus hautes de l’île, il y a des arbres qui toujours dégouttent eau belle et claire, qui chet en fosse auprès des arbres. En fait cet arbre est un capteur de brouillard, sur les feuilles desquels celui-ci se condense. Autre curiosité aujourd’hui prouvée : ils ont en commun avec les Basques un taux anormalement élevé de groupe sanguin O. Et encore, sur l’île Gomera, un langage sifflé – le Silbo Gomero – que les autorités politiques auront l’intelligence de reconnaître, et donc d’intégrer à l’enseignement dans les écoles.
En Extrême Orient, le Kangnido, une nouvelle mappemonde dresse l’état des connaissances géographiques dans la région. Le Kangnido est une mappemonde coréenne dont le nom complet est Hon’il kangni yokyae kuktojido – carte unitaire des pays et des villes des temps anciens – Kangnido en étant l’abréviation. L’original a disparu ; il en existe aujourd’hui 4 copies, toutes au Japon, chacune avec des variations qui laissent place à bien des suppositions, venues là soit par pillage, soit à titre de cadeau d’un temple à l’autre. Cette mappemonde ne s’est pas faite ex nihilo : sous la direction de Kwôn Kûn, un lettré coréen, Kim Sa-hyông, Yi Mu et Yi Hoe, tous trois cartographes coréens, se sont inspirés pour le canevas général de cartes chinoises préexistantes et probablement aussi de la mappemonde arabe d’Al Idrîsî, en y ajoutant les découvertes les plus récentes. Un des 4 exemplaires mesure 164 X 172 cm. Elle permet de voir que les Chinois avaient déjà découvert l’Australie, avant Zheng He. Il est possible aussi qu’ils aient atteint l’Afrique du Sud, et encore l’Amérique du sud, en ayant donc passé le cap de Bonne Espérance. La Chine est au centre : ses contours maritimes orientaux sont fidèles à la réalité, de la péninsule coréenne à l’île de Hainan. La Corée s’y révèle surdimensionnée par rapport à la Chine et le Japon sous-dimensionné : cela répondait probablement aux préoccupations du temps. À l’ouest apparaissent deux pédoncules, l’un : la péninsule arabique, l’autre l’Afrique dans son ensemble. Le monde méditerranée-Europe est assez confus, mais y apparaissent tout de même une centaine de toponymes concernant l’Europe, dont celui de la France : Fa-li-sa-na.
Vers le sud et l’ouest sont placées très certainement les régions à visiter par les expéditions de Zeng He. Voilà, sur ce point une différence majeure d’avec Diogo Cão. Bartolomeu Dias, Sébastien Cabot ou Giovanni Verrazano, voire Christophe Colomb lui-même puisque la fameuse carte de Toscanelli qui lui aurait confirmé noir sur blanc la route de l’ouest vers Cipango a disparu. En effet, les Chinois savent vraiment où ils veulent aller, certains de leurs ancêtres se sont déjà rendus à la Mecque, le commerce arabo-musulman est connu, les équipages disposent déjà d’interprètes en malais et en arabe… Ils détiennent à coup sur les cartes. La seule inconnue véritable, la seule découverte au sens fort du terme, c’est l’exploration le long de la côte orientale de l’Afrique, plus au sud de Mogadiscio, celle de la sixième expédition d’un lieutenant de Zeng-He, comme par hasard la plus mystérieuse, la moins bien consignée, à moins que ses témoignages en aient été détruits.
Philippe Pelletier. L’extrême-Orient. Folio Histoire Gallimard 2011
1403
Ruy Gonzales de Clavijo est ambassadeur de Henri III roi de Castille auprès de l’empire d’orient, à Constantinople. Il visite les églises et s’amuse beaucoup :
Je vis à l’église de la Vierge Pammacaristos le bras de saint Jean Baptiste amputé d’un doigt par le coup de dents d’un père de famille dont la fille se voyait menacée, à Antioche, d’être livrée au dragon : le père a lancé le doigt du saint dans la gueule du dragon, lequel en a trépassé sur le champ. À Sainte Sophie, je vis les grils sur lesquels fut rôti saint Laurent. Mais c’est à Saint Jean in trullo que l’on montre les grandes reliques de la Passion, le morceau du pain de la Cène que Judas ne mangea pas, la fiole pleine du Précieux Sang, les poils de la barbe du Sauveur, arrachés au moment de la Crucifixion, le fer de la Sainte Lance, un fragment de l’éponge imbibée de vinaigre, la robe tirée au sort. Quant à l’église Saint-François, elle offre à la vénération un morceau de la Vraie Croix, les os de l’apôtre saint André, le bras droit de sainte Anne et la robe de bure de saint François d’Assise.
Ruy Gonzales de Clavijo a manqué tout de même un éternuement du Saint Esprit enfermé dans un bocal en verre. Cela existe ; si, si !
1403- 1421
En moins de vingt ans, le chinois Yongle, troisième empereur des Ming, construit la ville de Pékin : de larges douves protègent la ville, des portes aux allures de forteresse, un plan orthogonal pour les rues et avenues, dont certaines pouvaient avoir 20 mètres de large et jusqu’à 6 km. de long. Sur ce chantier, plus de 100 000 artisans, un million d’esclaves, dit-on. Plus que tout, la Cité Interdite, – elle s’ouvre aujourd’hui sur la place Tian’Anmen – située au centre de la métropole, – 950 m. x 750 m. soit 720 000 m² -, symbolisait le cœur de l’empire.
Son agencement suit les préceptes du feng shui (l’art chinois de placer objets et édifices de sorte à favoriser la circulation des énergies positives). Le complexe palatial est aligné selon l’axe Nord-Sud et est symétrique afin d’imiter l’équilibre de l’Univers. Il est de coutume de dire que la Cité interdite abrite 9 999,5 pièces. Seul le Dieu du ciel avait droit à 10 000 pièces ; pas son fils impérial sur Terre. Le nombre 9 999 est favorable dans la culture chinoise : il est associé à l’empereur et il se prononce de la même manière que le mot mandarin signifiant éternel.
Au sein de la Cité interdite, les espaces principaux étaient répartis le long d’un axe central qui scindait le domaine en deux. Vu du dessus, le complexe prend une forme qui coïncide avec l’ordre cosmique idéal de l’idéologie confucéenne et qui évoque un point d’équilibre situé entre le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest. Sur ce point d’équilibre central se tient le pavillon de l’Harmonie suprême qui héberge le principal trône impérial, le trône du Dragon. Le placer ainsi au centre de la Cité interdite, c’était faire symboliquement de l’empereur le centre même de l’Univers, le point focal de toute la hiérarchie sociale et naturelle autour de laquelle l’empire tout entier tournait.
Selon la tradition chinoise, ceux qui se trouvent au nord et qui regardent vers le Sud jouissent d’une position supérieure. De même, ceux qui se trouvent à l’intérieur d’un bâtiment ou dans un espace élevé sont supérieurs à ceux qui se trouvent à l’extérieur ou dans un espace plus bas. Ces relations spatiales furent répercutées de manière explicite dans l’architecture de la Cité interdite. L’empereur se tenait toujours dans le cadre d’une porte ou dans une salle surélevée et regardait en direction du Sud depuis sa position avantageuse, tandis que ses sujets se tenaient en contrebas dans des cours à ciel ouvert et regardaient en direction de l’empereur, vers le Nord.
Les appartements privés de l’empereur se situent dans la cour intérieure, à l’extrémité septentrionale de la Cité ; en plus de sa souveraine personne, seules des femmes et des eunuques y étaient admis. Les salles d’État, où l’empereur accordait des audiences et menait des travaux officiels en compagnie de ses ministres, étaient au sud, dans la cour extérieure. C’est là que la cour impériale chinoise régentait ses rapports avec le monde extérieur, en se servant de l’architecture magnifique de la Cité interdite comme d’une scène pour afficher le pouvoir de l’empereur.
Dans la tradition impériale chinoise, on considérait l’empereur comme le seul habitant officiel de la Cité interdite ; les ministres et les nobles qui représentaient le peuple n’étaient vus que comme de simples visiteurs. Cette distinction avait son importance lorsque l’on organisait des cérémonies – l’accession de l’empereur au trône, les vénérables audiences qu’il accordait, ses fêtes d’anniversaire et la publication de décrets gouvernementaux.
Les cérémonies de ce type suivaient la même organisation rituelle. L’empereur ouvrait la marche pour se rendre là où la cérémonie allait avoir lieu, ses ministres et les nobles suivaient en franchissant des portes et en traversant des ponts en respectant un ordre strict prescrit par la hiérarchie sociale. Nulle part, à aucun moment, qui que ce soit était autorisé à se tenir au nord de l’empereur.
Les descriptions historiques des audiences impériales reflètent la façon dont ces protocoles stricts soulignaient l’ordre social. Les participants se rassemblaient à l’aube à l’extérieur de la cour du pavillon de l’Harmonie suprême. Les membres de la famille de l’empereur se tenaient sur les marches menant au pavillon, placés selon leur proximité de sang avec l’empereur. Officiers militaires et civils formaient des rangées dans la cour extérieure, de nouveau selon leur rang. Tous regardaient en direction du Nord vers l’empereur qui, vêtu des plus beaux atours impériaux, ornés de la silhouette d’un dragon, était conduit au trône par une procession. Une fois tout le monde en place, au cri de Kowtow ! les participants s’agenouillaient et rendaient hommage à l’empereur en touchant le sol de la tête trois fois, effectuant trois séries de trois prosternations.
L’empereur assistait en personne aux cérémonies les plus importantes. En son absence, le trône du Dragon était vénéré et traité comme son substitut. De même, lorsque l’empereur publiait un décret, le document impérial lui-même était traité avec beaucoup de pompe. Chacune de ces cérémonies dénotait, par leur caractère rituel, la vision d’un Univers composé de strates hiérarchiques distinctes. Ainsi la Cité interdite consolidait le pouvoir et la mainmise de chaque dynastie sur la Chine.
Selon les principes du feng shui, de l’eau doit s’écouler devant chaque montagne. La zone qui se trouve au-delà de la porte du Midi est fidèle à ce principe. La cour qui s’y trouve est divisée d’ouest en est par la Rivière d’or, qui s’écoule devant la monumentale porte de l’Harmonie suprême. La rivière artificielle entre dans la cité depuis le nord-ouest et se jette dans la douve au sud-est. Large de 4,50 mètres environ, la Rivière d’or est peu profonde mais ses eaux avaient une raison d’être aussi pratique que symbolique. En effet, elle servait aussi de réservoir en cas d’incendie, une menace à prendre au sérieux pour une ville principalement faite de bois.
À l’endroit où la Rivière d’or passe devant la porte de l’Harmonie suprême, elle prend la forme d’un arc mongol. Cinq ponts enjambent la rivière, chacun symbolisant l’une des cinq vertus confucéennes que l’empereur attendait de ses sujets : bienveillance (ren), rectitude (yi), sagesse (zhi), fiabilité (xin) et droiture rituelle (li). Les cinq ponts sont comme cinq flèches qui font émaner ces vertus du centre impérial pour irradier le monde. En plus de leur valeur symbolique, ces ponts servaient à rappeler la stricte hiérarchie sociale de la civilisation chinoise : le pont central ne pouvait être franchi que par l’empereur, les deux qui l’encadraient par la famille royale, et le plus éloigné était réservé aux fonctionnaires de la cour.
Au centre de la Cité interdite, érigés sur une terrasse de marbre à trois étages, se trouvent les trois plus importants édifices du complexe : le pavillon de l’Harmonie suprême, le pavillon de l’Harmonie centrale et le pavillon de l’Harmonie préservée. Ces trois pavillons de la cour extérieure possèdent un toit en tuiles vernissées jaunes ; le jaune est la couleur impériale. Chaque pavillon est doté d’un trône duquel l’empereur présidait aux cérémonies et aux célébrations. Le plus important était le pavillon de l’Harmonie suprême, qui abritait le trône du Dragon. Des rituels publics y prenaient place, intronisations et mariages royaux y compris.
Le pavillon de l’Harmonie centrale, plus petit et plus septentrional, était utilisé dans le cadre d’actes impériaux, par exemple pour recevoir des hommages ou pour l’examen de documents gouvernementaux. Plus au nord encore se trouve le pavillon de l’Harmonie préservée, nom qui fait référence à la fonction impériale du partage de l’harmonie sous les cieux. Sous les Ming, il servit à l’empereur de lieu où se parer de ses habits de cérémonie. Sous les Qing, on y donnait des banquets en compagnie de chefs d’État, de nobles et de ministres.
Au nord du complexe palatial se trouve un jardin décoratif de bambous, de cyprès et de pins qu’émaillent des édifices tels que de petits pavillons. Le Jardin impérial fut construit au 15° siècle lors du règne de Yongle pour que le souverain suprême et son épouse officielle s’y divertissent. Conçu comme un espace paisible permettant de se rapprocher de la nature, le jardin fut par la suite agrandi et finit par couvrir près de quatre hectares. Il s’agit de l’un des quatre jardins du complexe et ses coins accueillent quatre pavillons qui représentent les quatre saisons.
L’un d’eux, le pavillon des Dix-Mille Printemps est dédié au printemps. Sa base carrée représente la terre, tandis que son toit arrondi est le ciel orné de dragons et de phénix. Au milieu de cet environnement tranquille se tient le pavillon de la Paix impériale, un temple taoïste où les empereurs Ming pratiquaient l’alchimie et la divination. Le pavillon principal était dédié à Xuanwu (ou Zhenwu en version occidentale), puissant dieu de la guerre taoïste associé au Nord et à l’eau. Ce pavillon est le seul temple taoïste situé sur l’axe principal de la Cité interdite.
Le Jardin impérial abrite un autre édifice remarquable, le Kiosque de la neige cramoisie, qui tire son nom des pommiers sauvages en fleurs qui poussaient là autrefois ; en tombant, leurs pétales évoquaient, dit-on, des flocons de neige rougeâtres (de nos jours, des seringats de Pékin [Philadelphus pekinesis] y sont plantés). Deux empereurs Qing en particulier, Kangxi (r. 1661-1722) et Qianlong (r. 1735-1796) appréciaient tant la beauté de la pergola qu’ils la considéraient comme leur endroit favori pour composer des poèmes.
Construite en 1420, la porte de la Divine puissance (Shenwumen) est l’entrée septentrionale de la Cité interdite. Elle ouvrait sur la résidence privée de l’empereur et était empruntée par les personnes qui travaillaient au palais, par les concubines de l’empereur et par les membres de la famille impériale. D’abord nommée porte de la Tortue noire (Xuanwumen), elle changea de nom au 17° siècle parce que le nom de naissance de l’empereur Kangxi, de la dynastie Qing, était Xuanye. Il était tabou de donner à quoi que ce fut un nom à la sonorité trop proche de celle du nom de l’empereur.
La porte de la Divine puissance est rectangulaire, mesure 30 mètres de hauteur et se laisse traverser en trois points. Elle repose sur une base Xumi de jade blanc, fondation typique des tours bouddhistes. Une tour au toit en tuiles vernissées jaunes surmonte d’ailleurs la porte. Une cloche et un tambour étaient conservés dans la tour. Lors des dynasties Ming et Qing, on sonnait la cloche 108 fois à la tombée du jour. Ensuite, on faisait résonner la cloche et le tambour toutes les deux heures de sept heures du soir à cinq heures du matin. À l’aube, la cloche sonnait de nouveau. Mais quand l’empereur était chez lui, seul le tambour était frappé. En 1924, c’est par cette porte que l’on expulsa le dernier empereur Qing, Puyi. Quand le complexe fut transformé en musée en 1925, on plaça au fronton de la porte un panneau sur lequel on pouvait lire Musée palatial.
La Cité interdite sera la résidence et le siège du pouvoir de vingt-quatre souverains : quatorze de la dynastie Ming (1368-1644) et dix de la dynastie Qing (1644-1911). Quand les empereurs mandchous de la dynastie Qing renverseront les Ming, ils ajouteront à la Cité de nouveaux édifices et de nouveaux jardins, mais l’importance du complexe demeurera inchangée.
Vérónica Walker. extraits de nationalgeographic.com 13 août 2024
En 1409, il va élever le royaume de Malaka – aujourd’hui au nord-ouest de Singapour – au rang de royaume tributaire… Malaka, Gibraltar oriental pour Stefan Zweig, où l’on voit, selon Castanheda des jonques qui sont très différentes de tous les navires du monde : elles tiennent très bien la mer, prennent beaucoup plus de fret que nos navires et sont beaucoup plus fortes. On trouve là résines, bois précieux, étain… et on importe de Sumatra, Bornéo, Sulu et autres îles, épices, chevaux et parfois esclaves.
27 04 1404
Succession chez le duc de Bourgogne : Philippe le Hardi meurt : Jean Sans Peur prend sa place.
1404
Première charrue permettant de commander la profondeur du labour à l’aide d’une cheville qui dispose de 5 positions sur un bâton fourchu. Le paysage politique italien manifeste encore une fois sa précocité : les villes italiennes, au moins pour les plus petites d’entre elles, n’offrent plus le cadre permettant leur continuité : Vérone est enlevée par les Vénitiens en avril 1404, Pise devient florentine en 1405, Venise encore enlève Padoue en novembre 1406, Breschia en 1426, Bergame en 1427 : Venise constituait la Terre Ferme, Milan créait le Milanais, Florence allait devenir la Toscane. Les événements à venir – prise de Constantinople en 1453, capitulation de Barcelone devant Jean d’Aragon en 1472, intégration de la Provence et de Marseille à la France en 1480, chute de Grenade en 1492 – sonnaient la fin des États urbains qui laissent à la manœuvre les États nations. Seules Venise et Gênes jouent les prolongations : ainsi, trois ans plus tard, en 1407, Gênes, agissant par l’intermédiaire d’opérateurs privés auxquels elle concède des revenus fiscaux, créera la Casa San Giorgio, en quelque sorte une banque publique [1], qui va rapidement devenir l’institution financière la plus importante d’Europe. Christophe Colomb y placera ses avoirs avant son départ et les Génois seront d’ailleurs les grands financiers des premières opérations espagnoles dans les Amériques. De même, en 1347, ne pouvant rembourser un groupe de Génois qui avaient financé une armée, la République leur avait confié les revenus de l’île de Chios. Ces financeurs s’étaient répartis les parts et s’étaient rebaptisés du nom de Giustiniani. Ils géreront l’île, en se revendant les parts à un cours variable, jusqu’à sa conquête par les Ottomans en 1566.
Un an plus tard, c’est auprès de Timur Lang – Tamerlan – que Henri III, roi de Castille, envoie Ruy González de Clavijo, en ambassade, à Samarcande.
Le seigneur se trouvait dans une sorte de vestibule, devant l’entrée de belles demeures. Il se tenait sur une estrade disposée à même le sol, auprès d’une fontaine garnie de pommes vermeilles, qui lançait de l’eau très haut. Il était installé sur de petits matelas faits de draps de soie brodés, le coude posé sur des coussins ronds. Il portait une robe de satin non ouvrée et un haut chapeau blanc surmonté d’un rubis et parsemé de perles et de pierreries.
Les ambassadeurs portèrent aussitôt le genou droit en terre et croisèrent leurs bras devant leur poitrines. Ils s’avancèrent, firent deux autres références et restèrent immobiles les deux genoux en terre. Le seigneur les fit alors relever et approcher. N’osant s’avancer davantage, les gentilshommes qui les accompagnaient les lâchèrent, et les trois premiers mirzas de Tamerlan, qui se tenaient debout devant lui, vinrent prendre les ambassadeurs par le bras pour les mener auprès de leur seigneur où ils les firent s’agenouiller ; ils se nommaient Malik Chah Mirza, Nur ed-Din Mirza et Burunday Mirza. Tamerlan voulut alors que les ambassadeurs fussent plus près de lui encore. Je pense qu’il agissait ainsi pour mieux pouvoir les regarder ; il n’y voyait guère et il était si vieux que ses paupières étaient affaissées. Il ne leur tendit pas la main, car il n’est pas dans leur coutume de baiser la main à un grand seigneur. Il leur demanda des nouvelles du roi d’Espagne en ces termes : Comment se porte mon fils, le Roi ? Est-il en bonne santé ? Les Castillans lui répondirent et accomplirent parfaitement toute leur ambassade. Il écouta très attentivement tout ce qu’ils lui dirent, puis il se tourna vers les gentilshommes qui se trouvaient à ses pieds ; l’un était le fils de l’empereur de Tartarie, Toktamich, un autre descendait des empereurs de Samarcande, et les autres étaient des nobles de son lignage. Il leur dit alors : Voyez ces ambassadeurs que m’envoie mon fils, le roi d’Espagne, le plus grand roi qui soit parmi les Francs, de très grandes gens vivant à l’autre bout du monde. Je donne ma bénédiction à mon fils, le roi. Et il eût largement suffi que vous ne veniez à moi qu’avec sa lettre, car je me réjouis tout autant d’avoir des nouvelles de sa santé que de recevoir ses présents.
Le maître en théologie lui fit alors dire, par l’intermédiaire de son interprète, que lui seul saurait dire à Sa Majesté, si toutefois elle y consentait, cette lettre que lui envoyait son fils, le roi. Le seigneur prit alors la lettre que son petit-fils tenait devant lui, l’ouvrit et demanda au maître s’il acceptait de la lire. Celui-ci lui répondit qu’il le ferait très volontiers dès que Sa Majesté aurait l’obligeance de l’écouter. Le seigneur lui fit savoir qu’il l’enverrait chercher un peu plus tard et qu’ils se tiendraient tous deux à l’écart où il pourrait alors lui lire la lettre du roi et lui dire tout ce qu’il voudrait.
Les mirzan qui tenaient les ambassadeurs par le bras, les relevèrent et les conduisirent à une estrade, à la droite du seigneur. Ils leur firent prendre place au-dessous de l’ambassadeur que l’empereur du Cathay, Chiscant (Chay khan), envoyait à Tamerlan pour lui demander le tribut que celui-ci lui payait chaque année. Dès que le seigneur eut remarqué que les ambassadeurs castillans se trouvaient assis plus bas que celui du Cathay, il ordonna que l’on fît intervertir leur rang. Dès que ce fut chose faite, un mirza vint dire à l’ambassadeur du Cathay, que le seigneur avait exigé que les ambassadeurs du roi d’Espagne, son fils et ami, fussent assis plus haut que lui, l’ambassadeur de son ennemi, voleur et mauvais homme ; il lui faisait aussi savoir qu’il entendait, s’il plaisait à Dieu, de le faire pendre très prochainement afin que personne n’osât plus venir à lui avec une telle ambassade. Puis il fut demandé à l’interprète des Castillans de leur expliquer ce que Tamerlan avait fait pour eux. À partir de ce jour, dans toutes les fêtes et réjouissances que le seigneur fit donner, les ambassadeurs furent ainsi placée.
Cet empereur du Cathay, s’appelle Chiscant, ce qui veut dire empereur de neuf empires ; les Djaghataïdes l’appellent tangus, ce qui est tenu pour une insulte et qui signifie empereur porc. Il est le seigneur d’une très vaste contrée, et Tamerlan se refusait à présent à lui verser le tribut qu’il lui payait d’ordinaire.
Dès que tous les convives eurent pris place comme il se devait, le seigneur donna l’ordre de servir la viande ; on apporta quantité de chevaux et de moutons rôtis dans de grandes peaux rondes, semblables à des peaux de maroquin, que de nombreux serviteurs traînaient à grand-peine tant elles étaient chargées.
Lorsqu’ils furent arrivés à vingt pas du seigneur, des hommes vinrent s’agenouiller devant la viande pour la découper. Ils portaient une pièce de drap sur le devant du corps et de grandes manches de cuir pour se garantir de la graisse. Ils avaient auprès d’eux un grand nombre de bassins dont certains étaient faits d’or, d’autres d’argent et d’autres encore, prisés et fort coûteux, d’une terre vernie qu’ils appellent porcelaine. Ils en emplirent d’abord dix d’or et dix d’argent, plaçant en chacun d’eux le morceau le plus recherché, la croupe entière d’un cheval et son râble ; ils y ajoutèrent des râbles et des cuisses de mouton, des tripes de cheval rondes comme le poing et des têtes de mouton entières. Quand ils eurent garni ainsi un nombre suffisant de bassins, ils les disposèrent en rangées. Des hommes se présentèrent aussitôt avec des écuelles de soupe qu’ils salèrent puis qu’ils versèrent, telle une sauce, dans les plats. Ils plièrent ensuite en quatre de très fines galettes de blé qu’ils posèrent sur la viande.
Après quoi, les mirzas du seigneur et ses plus nobles sujets vinrent prendre les bassins qu’ils devaient soulever à deux ou trois tant ils étaient lourds ; ils en placèrent devant le seigneur, puis devant les ambassadeurs et les gentilshommes de l’assistance. Pour faire honneur aux Castillans, Tamerlan leur fit porter deux des bassins qui se trouvaient devant chez lui.
Ils servirent de jour-là de telles quantité de viande que c’était merveille. À peine avaient-ils remporté des bassins qu’ils en présentaient d’autres. La coutume est telle que les convives doivent faire porter à leur logis la viande qui leur est offerte s’ils ne veulent point offenser leur hôte. L’usage veut aussi que la viande qui se trouve devant les ambassadeurs soit donnée à leurs hommes quand elle est desservie. Ils placèrent ainsi tant de viande devant les hommes des Castillans qu’ils eussent pu s’en nourrir six mois durant.
Après la viande rôtie, on servit de nombreux moutons marinés, des boulettes de viande, du riz préparé de maintes façons, puis des melons, des pêches et du raisin en abondance. On apporta enfin, dans des aiguières d’or et d’argent posées sur des écuelles, du lait de jument qui est un fort bon breuvage qu’ils préparent en été.
[…] Ce même jeudi, pour célébrer les noces de l’un de ses petits-fils, le seigneur fit préparer une fête à laquelle il convia les ambassadeurs. La fête fut donnée dans une fort belle enceinte où s’assemblèrent Cano, ladite Anzada (Khan Zade, première épouse de Miran Chah) ainsi que d’autre grandes dames, des gentilshommes et de nombreuses personnes. On servit ce jour-là d’énormes quantités de chevaux et de moutons, suivant la coutume. Ils burent beaucoup de vin et l’allégresse fut grande ; les dames burent aussi, selon le même rituel que le jour précédent. Pour qu’il y eut plus de joie encore, le seigneur fit crier par les rues de Samarcande que tous les artisans de la ville, vendeurs de perles ou de draps, changeurs, cuisiniers, bouchers, fourniers, tailleurs, bottiers ou quels qu’ils fussent étaient sommées de venir monter leurs tentes dans son ordo et de vendre là, et non plus dans la ville, toutes leurs marchandises ; les artisans de chaque corps de métier devaient aussi se présenter avec un jeu pour le divertissement de ses gens et ne pas repartir du campement sans qu’il n’y eut consenti. À cette annonce publique, les artisans sortirent de la ville avec tout ce qu’ils avaient à vendre ; chaque corps de métier traversa l’ordo avec un jeu pour le plaisir des gens du seigneur, et vint prendre place dans l’allée qu’on lui indiqua.
Là où ces artisans montèrent leur tente, nombreuses et variées, le seigneur fit dresser un grand nombre de potences, car il entendait, durant les fêtes qu’il voulait donner, accorder des faveurs à certains et en faire pendre d’autres.
La première sentence qu’il prononça fut la condamnation de son premier magistrat qu’ils appelaient Dina qui était l’homme le plus important de tout l’empire de Samarcande. Lorsque Tamerlan avait quitté la ville, il pouvait y avoir six ans et onze mois, il lui avait laissé l’administration de la justice. Comme il fut dit que durant ce temps-là, il s’était mal acquitté de sa charge, il le fit comparaître devant lui et donna ordre qu’on le pendit sur-le-champ et que ses biens fussent saisis. Ce jugement causa une frayeur extrême dans toute la contrée car ce magistrat était une personne en qui le seigneur avait grande confiance. Il infligea la même peine à un gentilhomme qui avait intercédé pour ce juge auprès de lui. Mirza Burunday lui demanda alors grâce pour cet homme qui proposait, pour obtenir son pardon, de lui verser quatre cent mille pesants d’argent, chaque pesant valant un réal d’argent. Le seigneur accepta très volontiers et dès qu’il eut pris possession de ladite somme, il fit torturer ce gentilhomme afin qu’il lui donnât davantage ; et quand il eut tout donné, il le fit pendre par les pieds jusqu’à ce qu’il mourût.
Il jugea aussi un autre grand homme à qui il avait confié trois mille chevaux lorsqu’il avait quitté la contrée. Comme les chevaux n’étaient plus tous sous sa garde, il ordonna qu’on le pendît ; en vain ce gentilhomme proposa-t-il au seigneur de lui en restaurer six mille et non trois mille pour peu qu’on lui en laissât le temps.
Sur ces affaires et d’autres encore, Tamerlan fit rendre la justice. Il fit juger les marchands de la ville qui avaient vendu la viande plus chère qu’elle ne coûtait lors de son retour ; il donna également ordre que l’on prit de l’argent à des bottiers et à d’autres artisans qui vendaient leurs marchandises à des prix qu’il estimait trop élevés.
C’est pourquoi tous les marchands et artisans de Samarcande se méfiaient, car ils tenaient que le seigneur ne les avait fait venir dans son ordo que pour les voler.
La coutume veut que lorsqu’un homme d’honneur est jugé, il soit pendu, tandis que l’homme de basse condition est décapité, ce qui est considéré comme une très grande offense.
[…] Cet animal, qu’ils nomment éléphant, est noir et n’a pas de poils ; seule sa queue, semblable à celle d’un cheval, est pourvue de quelques poils de soie. Il est grand comme quatre à cinq solides taureaux, et son corps, mal fait, n’a pas plus de forme qu’un sac plein. Sa croupe est tombante comme celle d’un buffle, et ses jambes, très épaisses, sont toutes droites. Ses pieds, rond et tout en chair, se terminent par cinq doigts portant des ongles pareils à ceux d’un homme et de couleur noire. Il n’a pas de cou, si ce n’est sur le devant de ses côtes qui sont larges et si rapprochées de sa tête qu’il ne peut la baisser pour atteindre le sol de sa bouche. Il a de petits yeux et de fort amples oreilles, rondes et dentelées, derrière lesquels se tient l’homme qui le guide. Sur le dessus de sa grande tête, en forme de bât d’âne, il a un creux et là où devrait être son nez, une sorte de trompe se prolonge en se rétrécissant depuis sa tête où elle est large jusqu’au sol où elle est étroite et percée. C’est par celle-ci qu’il boit quand il en ressent le besoin ; il la met dans l’eau qui lui monte alors à la bouche comme si elle lui venait par les narines. C’est aussi avec elle qu’il paît puisqu’il ne peut le faire avec sa bouche. Lorsqu’il veut s’alimenter, il remue l’herbe, la tire et la fauche de sa trompe comme d’une serpe ; puis, l’ayant amassée, il la porte à sa bouche en recourbant sa trompe, et la mange. L’éléphant remue sans cesse cette trompe en la faisant tournoyer comme une couleuvre ; il la lance sur son échine et il n’est pas une partie de son corps qu’elle ne puisse atteindre. Sa bouche et ses mâchoires, pareilles à celles d’un porc ou d’un sanglier, se trouvent juste au-dessous. Dans la mâchoire du bas, il y a deux dents saillantes, épaisses comme la jambe d’un homme et hautes d’une brasse. Quand on le fait combattre, on place sur ces dents des anneaux de fer dans lesquels on dispose des lames, faites comme des épées de combat cannelées, qui ne sont pas plus longues que le bras.
C’est un animal fort intelligent, qui accomplit très promptement ce que lui commande son guide. Celui-ci, le frappant de sa faucille sur le front, le mène où il l’entend. Dès qu’il lui indique à l’aide de cette faucille la direction qu’il doit prendre, l’éléphant s’y rend sur le champ. S’il lui fait signe de revenir en arrière, il recule aussitôt très prestement sur ses pieds de derrière, à la manière d’un ours comme lequel, par ailleurs, il se déplace.
Dans les combats, l’éléphant et son guide sont tous deux très armés. L’éléphant attaque en sautant comme un ours ; levant la tête à chaque bond, il blesse tous ceux qui se trouvent devant lui. Afin qu’il soit plus impétueux, l’homme qui le guide lui donne de tels coups de faucille qu’il lui fait de profondes blessures sur le front. L’animal ouvre alors la gueule, et poussant un grand gémissement pareil à celui du porc, va plus vigoureux encore là où on le conduit. Ses plaies guérissent durant la nuit s’il est laissé à l’air libre, car il mourrait si on le mettait à couvert.
Lorsque son guide lui commande de prendre une chose au sol, fût-elle lourde, il l’enveloppe de sa trompe, la soulève et la donne aux hommes qui se tiennent sans le château. Pour mettre pied à terre, ceux-ci lui ordonne de se baisser ; il étend alors ses pieds de devant d’un côté et ceux de derrière de l’autre, de telle sorte qu’il semble vouloir poser son ventre sur le sol. Les hommes descendent ensuite le long de sa croupe en se tenant à des cordes attachées au château.
Ce jour-là, ils les faisaient courir derrière des chevaux et des gens, ce qui était fort divertissant. Quand les éléphants couraient touts regroupés, on eût dit que la terre tremblait sous leurs pas. Il n’est pas un seul animal, qui, galopant devant eux, se risquerait à les attendre. Et je tiens pour vrai, d’après ce que j’ai vu, que dans une bataille, un éléphant doit être compté pour mille hommes. C’est pourquoi on les y emmène, car dès qu’ils se trouvent au milieu des troupes, ils ne font qu’attaquer de tous côtés. S’ils sont eux-mêmes atteints, ils ont plus de vigueur et combattent mieux encore. Comme ils ont de forts longues dents dont les coups ne peuvent porter qu’en hauteur, on les épointe afin que les lames qui y sont disposées puissant blesser plus bas.
On dit de ces animaux qu’ils peuvent, sans s’alimenter, marcher un jour ou deux, et même combattre ainsi trois jours durant. [2]
Ruy Gonzáles de Clavijo. Relación de la Embajada de Enrique III al Gran Tamorlán. Madrid, Espasa-Calpe, 1952 Traduction de Dominique Lepreux
Chez le Mongol nomade, tout le luxe consistait dans l’application de broderies et tentures sur les parois de sa tente. Devenu sédentaire, il demande à ses palais et à ses mosquées de lui donner une impression analogue par des applications de céramique.
René Grousset
23 11 1407
Assassinat de Louis de France, frère du roi Charles VI : Mercredi XXIII° jour de novembre. Ce jour, environ VIII heures de nuit, messire Loiz de France, fils du roi Charles V et frère unique du roi Charles VI régnant à présent, âgé d’environ trente six ans, marié à la fille du duc de Milan dernièrement trépassé, dont il avait trois enfants, deux fils, l’un âgé de quatorze ans et l’autre de onze ou douze et une fille, lequel Louis était duc d’Orléans, comte de Blois, de Soissons, de Valois, de Beaumont, d’Angoulême, de Périgord, de Luxembourg, de Porcien, de Dreux et de Vertus, seigneur de Coucy, de Montargis, de Château Thierry, d’Epernay et de Sedenne en Champaigne, a été tué environ la porte Barbette, en la rue appelée Vieille du Temple par des meurtriers qui l’épiaient en une maison quand il revenait de l’Hôtel de la reine, trop petitement accompagné et lui ont coupé la main dont il tenait la bride de son cheval et puis l’ont fait choir, puis lui baillèrent d’une guisarne par la tête tant qu’ils firent voler la cervelle sur le pavé et lui qui était le plus grand de ce royaume après le roi et ses enfants est en si peu de temps si chétif. Parcat sibi Deus.
Le greffier du Parlement
Deux jours plus tard, le commanditaire de l’assassinat, pour ne pas faire emprisonner des exécuteurs du contrat rapidement identifiés, se dénonce lui-même : ce n’est autre que Jean Sans Peur, duc de Bourgogne, oncle du roi, le personnage le plus puissant du royaume après le roi. Celui-ci commence par se réfugier sur ses terres, dans le nord, où il affûte sa défense, à telle enseigne qu’il parvient à débaucher un docteur en théologie de l’Université de Paris, Maître Jean Petit pour tenir le crachoir 4 heures durant devant tous les grands du royaume rassemblés à l’Hôtel Saint Pol le 8 mars 1408 : c’est la Justification du duc de Bourgogne, apologie du tyrannicide. Jean Petit parvint donc à triturer la réalité jusqu’à faire passer Louis pour un tyran, et le lendemain, le roi signait les lettres de grâce de Jean de Bourgogne.
Louis d’Orléans fut le prince qui incarnait tout un courant d’idées politiques portés par un groupe de penseurs et d’hommes d’action. Pour eux, il réalisa un modèle idéal : prince nouveau du nouvel État. Reste à savoir si les Français ne préféraient pas un autre type de prince, s’ils appréciaient, comme on le fit plus tard, certains traits de la personnalité de Louis ou s’ils en préféraient d’autres. On a fait gloire à Louis d’avoir été un précurseur de la Renaissance, on admire son éloquence, son goût pour la culture ; son entourage d’humanistes, mais Pierre Salmon qui écrit au début du XV° siècle lui conseille vertement d’écouter les sages et les gens d’âge et de consulter les bons livres d’Histoire. Louis est méthodique dans son travail, habile et réservé dans les négociations diplomatiques, mais à cette efficacité les Français ne préfèrent-ils pas, chez un prince, la bonne grâce ?
Et quant aux idées nouvelles, dont Louis s’était fait porteur, sur les progrès de l’État, tiennent-elles la comparaison avec le vieil idéal de réforme et l’antique respect de la liberté française ? Le duc de Bourgogne qui s’en était fait le champion gagna le cœur des Parisiens et d’un bon nombre de Français. Face à lui, Louis est le mal-aimé.
Françoise Autrand. Charles VI. Fayard 1986
Le duc de Bourgogne fit tuer le duc d’Orléans, son cousin germain. Dont si grandes et si maudites guerres s’ourdirent que peu s’en fallut que tout le royaume ne fut détruit.
Jean Lefèvre, seigneur de Saint Rémy. 1463
Quand Monseigneur d’Orléans fut tué à Paris, il était si grande paix par tout le royaume de France que l’on eût su trouver homme qui eût fait chose mal faite. Dans trois semaines après, ou un mois, qu’il fut tué, il n’était homme qui allât dans le royaume qu’il ne fût détroussé et roué jus s’il n’était pas trop fort.
Un vieux sénéchal
1407
Sur l’île dalmate de Korčula [aujourd’hui en Croatie], une loi stipule qu’un propriétaire terrien peut perdre tout le bénéfice de ses vignes s’il les néglige, et que celui qui à dessein les endommage aura la main droite tranchée. Ce sont aujourd’hui les meilleurs vins rouges du pays : sur de très fortes pentes, on y cultive le plavac mali, cépage au caractère bien trempé et aux arômes de fruits noirs. Pour le blanc, c’est le posip qui donne des vins aux parfums d’agrumes épicés et le grk (se prononce gueurk), aussi rare que réputé, très vif et minéral.
21 05 1408
Louis d’Orléans était résolument partisan du pape d’Avignon. Mort, le pape d’Avignon perdait en France son principal soutien et Charles VI pouvait, sinon rallier le camp de Rome, au moins adopter vis-à-vis des deux papes une attitude de neutralité ; Benoît XIII réagit violemment et menace d’excommunication Charles VI s’il passe à l’acte. Ce dernier réagit aussi avec virulence en rassemblant dans les jardins du Palais de la Cité nobles, prélats, clergé, parlement, les princes, les ambassadeurs et autant de monde que pouvait en contenir le lieu pour écouter Jean Courtecuisse, désigné par l’Université de Paris, se livrer à un violent réquisitoire contre ce pape hérétique, schismatique etc… La rupture avec Benoît XIII est consommée. La papauté d’Avignon a perdu son principal soutien.
28 08 1408
Valentine, veuve de Louis d’Orléans entre à Paris avec ses enfants, Isabelle, Charles, Philippe et Jean pour faire entendre devant une assemblée solennelle la justification de Louis d’Orléans et la défense de sa mémoire. Se met ainsi en place le paysage politique qui va donner naissance à la guerre fratricide entre Armagnacs – le beau-père de Charles, chef de parti, était comte d’Armagnac ; Charles avait épousé Bonne d’Armagnac – et Bourguignons. La puissance de chaque camp se mesurera à l’aune de la présence ou de l’absence du plus prestigieux des otages : le roi.
23 09 1408
Jean de Bourgogne – Jean Sans Peur -, remporte une victoire sur les bourgeois et gens de métiers de Liège à Othée, près de Tongres. Le retentissement de cette victoire va-t-il lui ouvrir les portes du pouvoir en France ?
3 11 1408
Le roi en pleine crise, prostré et inconscient, est enlevé par le duc de Bourbon et Jean de Montaigu qui l’emmènent à Melun.
4 11 1408
La reine et le dauphin Louis rejoignent le roi à Melun d’où ils gagnent Giens : toute la cour s’embarque sur la Loire, direction : Tours.
Le peuple de Paris est tout entier pour le duc de Bourgogne, le roi, la reine, leurs enfants et les seigneurs sont partis de Paris et sont allée à Tours en Touraine, par crainte du peuple.
Un marchand italien d’Avignon.
28 11 1408
À Douai, le duc de Bourgogne, prévenu des événements par messager au férir de l’éperon et à tue cheval, s’est mis en route et entre triomphalement à Paris.
9 03 1409
Grande cérémonie de réconciliation célébrée en la cathédrale de Chartres, mais, ainsi qu’on le disait du fou du duc de Bourgogne, un très bon fol … qu’on disait être fort sage, il s’en alla acheter une paix d’Église et la fit fourrer et disait que c’était une paix fourrée. La guerre va venir, d’autres paix aussi, toutes aussi éphémères que cette première : à Bicêtre, à Auxerre.
Printemps 1409
Les cardinaux dissidents des deux obédiences convoquent à Pise un concile qui juge et dépose à la fois Grégoire XII, le pape romain, et Benoît XIII, le pape avignonnais et en élisent un nouveau, Alexandre V. Mais les deux premiers refusent de se soumettre. L’Église a trois papes !
Nous sommes au début du XV° siècle. La ronde folle des papes, le Grand Schisme. Les Benoît, Clément, Boniface, Grégoire et Innocent s’excommunient les uns les autres, de Pise, de Rome, de Constance, d’Avignon, jusqu’à quatre papes à la fois qui se battaient comme des chiens sur un os pour l’allégeance des évêques et des rois. Ils s’expédient des assassins, des empoisonneurs, des spadassins, des confesseurs bardés de stylets et de fioles, ils se couvrent mutuellement d’or pour s’acheter les uns les autres à défaut de pouvoir s’étouffer. Magnifique ! Qu’on se disputât à coup d’antipapes la chrétienté comme des chiffonniers prouvait au moins qu’elle n’était pas morte !
Lorsque Martin V fut élu par le concile de Constance pour mettre fin à ce grandiose désordre, les autres papes et antipapes se soumirent, sauf un : Benoît XIII, l’immense, l’incomparable Pedro de Luna. Héritier des papes d’Avignon, se proclamant seul successeur légitime de Pierre et l’étant certainement pour peu que l’on se penche sur la question, il refuse de transiger. Chassé de tous les royaumes d’Europe, à l’exception de celui d’Aragon, il s’enferme avec ses dernières troupes dans la forteresse de Peniscola, au nord de Valence, en Espagne, un roc marin couvert de cicatrices et battu par les vents. Deux cardinaux seulement l’ont suivi, plus ou moins traîné de force. Un troisième bat la montagne. Son nom : le cardinal de Rodez, Jean Carrier. Ses derniers diocèses l’abandonnent. Le seul pape légitime n’est plus le pape de personne. Alors Pedro de Luna se tourne vers la mer. Sur son rocher couleur de sang, il effacera de son univers les hommes qui l’ont renié. Il ne vivra qu’en compagnie de Dieu et des grandes vagues qui le protègent et qui parlent son langage. On l’a appelé le pape de la mer. Sa mort est l’assassinat de Dieu. Benoît XIII est empoisonné par son confesseur.
Mais voici le cardinal Jean Carrier qui dévale de ses montagnes jusqu’à Peniscola ! Il est accompagné d’un saint homme qui porte la bure des franciscains et dissimule son visage sous le capuchon constamment rabattu sur son front. Nul n’a jamais vu de lui que ses pieds nus, ses mains blanches qui accomplissent parfois des miracles et bénissent les pauvres gens, et l’éclat de son regard bleu. On connaît son nom : Bernard Garnier. Un moinillon armé compose toute leur escorte. À coup de botte, Jean Carrier enferme avec lui en conclave les deux autres cardinaux qui s’apprêtaient à se vendre à l’antipape de Rome. Fumée blanche. À trois, ils ont élu la cardinal Gil Sanche de Muñoz, pape légitime mais couard et traître : Clément VIII. Des mulets arrivent chargés d’or, envoyé par Martin V pour soudoyer ce qui reste de la Curie de Peniscola.
Clément VIII abdique, les poches pleines. L’autre cardinal s’enfuit. C’est alors que Jean Carlier, cardinal de Rodez et de Saint Étienne, ayant invoqué Dieu et célébré une messe solennelle, entre seul en conclave, tandis que veillent dans l’église déserte l’homme au capuchon rabattu et le moinillon d’escorte dont l’histoire cévenole a retenu le nom : Luis… Au matin réapparut le cardinal, annonçant qu’il avait, dans la nuit, élu un nouveau pape. La tiare de Saint Sylvestre et l’anneau du pêcheur étaient inutiles. Comme au temps des apôtres, il consacrerait le nouveau chef de l’Église par l’imposition des mains. Alors il se tourna vers le franciscain sans visage : Tu est l’héritier de Pierre, lui dit-il. Ne crains pas. L’esprit du pape Luna dictera tes paroles et guidera tes gestes. Tu porteras son nom qui brille déjà parmi les confesseurs et les martyrs de la foi. Ainsi que me le raconta il y a un quart de siècle l’un de ceux dont je tiens cette histoire, Christian Murciaux, il régnait dans l’église de Peniscola une paix mystérieuse, la joie grave d’une résurrection née d’un tombeau vide et d’un matin d’espoir. Le cardinal de Saint Etienne, Jean Carrier, se prosterna devant ce nouveau pape dont la chrétienté ne connaîtrait pas le visage, et Benoît XIV le bénit.
Puis Jean Carrier se tourna vers Luis le moinillon et lui dit : Maintenant tu iras seul à travers le monde. Tu annoncera à tous que tu as vu et entendu le nouveau pape, que tu t’es assis pour rompre le pain avec lui. Tu témoigneras comme les apôtres parmi les gentils.
À la fin, ils se séparèrent et choisirent chacun leur chemin. Jean Carrier regagna ses montagnes et retrouva ses soldats en guenilles. Les portes des quelques monastères qui le soutenaient encore se fermèrent l’une après l’autre. Il ne lui restait qu’à mourir, on ne sait quand et où. Du moinillon Luis, on a retrouvé peut-être une trace, une très ancienne bergerie perdue dans le Causse Méjean, près de Saubert, au lieu-dit Pas de Luis. Sur l’une des pierres d’assise, à gauche de la porte, on distingue encore des clefs de Saint Pierre maladroitement gravées.
Quant à Benoît XI, Bernard Garnier, le dernier pape, plus puissant que tous les rois de la terre ainsi que le Christ l’avait promis à Pierre, personne n’a jamais su ce qu’il était devenu.
Jean Raspail. Pécheur de lunes. Albin Michel 1990
La désolation. La tragédie. La comédie. L’horreur. La bouffonnerie… La tunique du Christ réduite en lambeaux… On se trahit, on s’assassine, on s’achète, on se vend, on trompe, on se ment, on jure et on se parjure, on se hait, on se calomnie, on mord la main que l’on a baisée, on se déshonore…
Si ce n’était pas désolant, révoltant, est-ce que ce ne serait pas bouffon, le spectacle de ces trois papes, l’un à Tortosa, en Catalogne, l’autre à Pise, le troisième errant quelque part près de Sienne, en Italie, chacun une tiare sur la tête, un morceau du trésor pontifical dans ses coffres, les clefs de saint Pierre en armoiries ? Sa Sainteté non plus dédoublée, mais triplée ! Car il y a trois papes en même temps, s’excommuniant mutuellement, faisant retentir toute l’Europe de leurs imprécations, et trois Sacrés Collèges de cardinaux rapaces que chacun des trois pontifes renouvelle au fur et à mesure des morts et des trahisons, et trois conciles simultanés qui prétendent détenir chacun la vérité, l’un à Pise, l’autre à Perpignan, le troisième à Cividale, dans le Frioul, et à chacun de ces trois papes une part de la tunique, déchirée en fragments inégaux, c’est-à-dire trois obédiences : au pape Luna, Benoît XIII, qui a désarmé ses galères et jeté l’ancre à Tortosa, l’Aragon, la Castille, la Navarre, l’Écosse, l’Armagnac, les comtés de Foix et de Rodez et quelques évêchés crottés de Provence comme Senez, Riez et Glandèves ; à Angelo Correr, pape qui était à Rome et maintenant à Sienne sous le nom de Grégoire XII, les royaumes de Naples et de Sicile, le Palatinat, Venise et trois ou quatre cités italiennes ; au troisième, enfin, nouvel élu, Pietro Filargos, cardinal de Milan, pape à Pise sous le nom d’Alexandre V, la France, l’Angleterre, le Portugal, la majeure partie de l’Italie et de l’Allemagne et presque tout le reste de l’Europe, la part du lion pour ce Crétois né misérable et devenu riche, qui aime le grec, le latin et le bon vin, et qui n’est, en réalité, que la créature, la marionnette du nouveau cardinal de Bologne Baldassare Cossa, âme damnée du concile de Pise… Trois papes.
Un vrai et deux faux ? Deux vrais et un faux ? Trois vrais ? Trois faux ?
Une trentaine de cardinaux. Dix-neuf ralliés au pape de Pise – soit quatorze ayant trahi Grégoire XII et cinq ayant trahi Benoît XIII -, six demeurés à Tortosa, cinq à Sienne. Quels sont les faux ? Quels sont les vrais ? Aux théologiens retors qui tournoient autour de lui comme des mouches, dépêchés par le concile de Pise, le pape Benoît XIII oppose immanquablement que s’il y avait doute, comme on le lui assure, sur la légitimité de tous ces cardinaux, ce doute ne s’appliquerait pas à lui-même et que, seul, il y échappait, puisque seul et parmi tous les autres et même parmi les quatre papes qu’on avait tour à tour élus contre lui, il avait été nommé cardinal par le dernier pape antérieur au schisme, Grégoire XI, que cela était incontestable et que cette conséquence de son grand âge faisait de lui, Pedro de Luna, le seul et unique dépositaire de la filiation apostolique. Et quand on le pousse à bout, il balaye tous les arguments et cloue le bec aux hommes en noir en posant cette question imparable : puisque le concile avait déposé les deux papes élus par ces cardinaux douteux, pourquoi ne pas se demander quelle serait la légitimité d’un troisième pape élu par les mêmes ? Un raisonnement sans réplique qui flanque des maux de tête carabinés à tous les princes chrétiens de la terre et plonge dans une rage noire la plupart des prélats réunis à Pise et bien décidés à en finir…
Jean Raspail. L’anneau du pêcheur. Albin Michel 1995
7 10 1409
Le nouveau prévôt de Paris fait arrêter Jean de Montaigu, l’un des Marmousets des années 1388 -1392, qui était alors en fait maître des finances royales. Torturé au Petit Châtelet, il avoue tout ce dont on l’inculpe, mais, 10 jours plus tard, aux Halles, le lieu d’exécution, il montre à la foule ses mains disloquées, son bas-ventre déchiré, et crie très haut son innocence de tous les crimes dont on l’accuse : il n’a fait que voler de l’argent au roi. Après l’assassinat de Louis d’Orléans, l’exécution de Jean de Montaigu, c’en est bien fini du poids des Marmousets et chaque camp fourbit ses armes.
31 12 1409
À 13 ans, le dauphin Louis, sorti de la tutelle maternelle, a désormais le pouvoir pendant les absences du roi. De fait, il est entre les mains du duc de Bourgogne.
15 07 1410
L’armée polonaise, lituanienne et ruthène bat les Chevaliers Teutoniques à Grünwald-Tannenberg : la puissance des Croisés germaniques est brisée pour longtemps et permet le début de l’expansion polonaise.
14 07 1411
Par le manifeste de Jargeau, les princes d’Orléans demandent au roi justice pour le meurtre de leur père.
18 07 1411
Les princes d’Orléans s’adressent directement au duc de Bourgogne : À toi, Jean, qui te dis de Bourgogne … te faisons savoir que de cette heure en avant, nous te nuirons de toute notre puissance et par toutes les manières que nous pourrons.
14 08 1411
Autorisé par Charles VI à lever une armée, Jean de Bourgogne répond : Toi et tes frères avez menti et mentez faussement, mauvaisement et déloyaument, traîtres que vous êtes.
automne 1411
les vignerons étaient en pleines vendanges quand les faux bandés Armagnacs commencèrent à faire tout le pire qu’ils pouvaient …. Et firent tant de maux, comme eussent fait Sarrasins, car ils pendaient les gens, les uns par les pouces, les autres par les pieds, ils tuaient et rançonnaient les autres et violaient les femmes et boutaient le feu.
Journal d’un Bourgeois de Paris, farouche partisan des Bourguignons
18 05 1412
Les ducs de Berry, d’Orléans, de Bourbon et le comte d’Alençon signent le traité de Bourges avec Henri IV d’Angleterre, qui s’engage à mettre à leur disposition 1 000 hommes d’armes et 3 000 archers anglais en échange de quoi les premiers l’aideront à reconquérir toute la Guyenne, lui prêteront hommage pour les seigneuries qu’ils tiennent en ce duché. À la mort des ducs de Berry et d’Orléans, Poitou et Angoumois reviendront au Lancastre.
11 06 1412
Sous la direction du duc de Bourgogne, chef du gouvernement, l’armée royale s’est mise en route pour assiéger Bourges, capitale du duc de Berry. Le dauphin Louis de Guyenne, 15 ans, n’aime pas cela et déclare en plein Conseil que vraiment la guerre a trop duré et que c’était au préjudice du royaume et du roi son père et qu’à lui-même pouvait redonder et qu’aussi ceux contre qui se faisait la guerre étaient ses oncles, cousins germains et proches de son sang.
Il faudra attendre un mois pour que le comte de Savoie voie ses offres de médiation aboutir, le 12 juillet, avec des dialogues qui laissent pantois, tant ils sont ceux de joueurs qui terminent une partie d’échecs, ou de tout autre jeu :
Le duc de Berry :- Beau neveu, j’ai mal fait et vous encore pire. Faisons et mettons peine que le royaume demeure en paix et tranquillité Jean Sans Peur : Bel oncle, il ne tiendra pas à moi.
Juvénal des Ursins
Et le duc de Berry vint solennellement remettre les clefs de la ville au roi.
1412
Naissance de Jeanne d’Arc à Domrémy, en Lorraine : le village est sur une grande route, l’ancienne voie romaine de Langres à Verdun. Ce pays de Vaucouleurs est, avec le Mont Saint Michel et Tournai, le lointain avant poste de l’obédience officielle et reconnue du roi de Bourges. Ses parents, Jacques d’Arc et Isabelle Romée, possèdent une vingtaine d’hectares de bonnes terres et de bons prés : ils appartiennent à la bourgeoisie rurale de ceux que l’on appelle alors les laboureurs . Son père a exercé un temps des fonctions équivalentes à celle d’un maire. Lors de son procès, Jeanne dira de son enfance : Pendant que j’étais dans la maison de mon père, je m’occupais à l’intérieur des soins du ménage. Je n’allais pas aux champs à la suite des brebis et du bétail.
Jean Hus, maître à l’Université de Prague, prédicateur soutenant le réformateur anglais Wyclif contre les maîtres allemands, proteste contre la Bulle des Indulgences de l’antipape Jean XXII : il est excommunié.
28 04 1413
Une émeute soulève les Parisiens contre le dauphin, emmenée par Simon Le Coutelier dit Caboche, ouvrier des abattoirs, écorcheur de bêtes. D’autres suivront, les 9, 10, 11 mais et encore le 22 mai pour aboutir à la publication, le 26 mai, de l’ordonnance de réforme qui se préparait depuis la tenue des États Généraux, début février. Les Cabochiens tiennent la famille royale en otage : ces méchantes gens, tripiers, bouchers et écorcheurs, pelletiers, couturiers et autres pauvres gens de bas état qui faisaient de très inhumaines, détestables et déshonnêtes besognes.
Juvénal des Ursins, à qui l’on doit le nom Caboche
4 08 1413
La paix de Pontoise est acceptée par les Parisiens, Les chefs des émeutes s’enfuient et le duc de Bourgogne de même : il a perdu le pouvoir et la réforme, c’est-à-dire que le retour aux coutumes traditionnelles, au régime des libertés, a échoué.
Négociations pour le mariage de Catherine, 12 ans, fille de Charles VI avec Henri V d’Angleterre : elles vont être longues, en 1415 les prétentions anglaises seront exorbitantes : d’abord la couronne de France, la rançon du roi Jean, 2 millions de francs de dot, sur le plan territorial, tout l’ancien empire Plantagenêt, y compris la Normandie, la souveraineté sur la Flandre et l’Artois, et même une partie de la Provence… qui n’est pas française !
5 09 1413
L’ordonnance cabochienne est abolie, et la famille royale va passer sous la coupe des Armagnacs.
11 1413 à 07 1418
Jean XXIII, – de naissance Baldassare Cossa, napolitain -, successeur du pape Alexandre V, a été militairement vaincu par Ladislas I°, roi de Naples, qui a mis Rome à sac. Ladislas I° est aussi partisan de Grégoire XII, un autre pape.
Qui avait convoqué le concile de Pise en 1409 ? Personne et tout le monde. Une idée qui flottait dans l’air, comme ça. Tout le monde s’en était mêlé, les rois, les princes, les cardinaux, les évêques, la chanoinerie, la théologie, la cuistrerie universitaire, tous très excités, très agités, mais qui les avait rassemblés ? Dans le même temps le pape Benoît XIII les avait convoqués en concile à Perpignan, le pape Grégoire XII à Cividale, mais aucun de ces deux papes, l’un étant le vrai et l’autre le faux ou vice versa, ne les avait appelés en concile à Pise, et aucun de ces deux papes n’avait déclaré ouvert le concile de Pise selon l’usage établi à Nicée en l’année 325. Ils s’y étaient appelés eux-mêmes, oubliant et passant outre, par orgueil, par légèreté, mal conseillés par des ambitieux, à cette vérité essentielle qui à présent leur sautait sous les pieds comme une mine : seul le pape a le pouvoir de convoquer un concile. Qu’ensuite le concile se proclame supérieur au pape ou qu’en y mettant plus de formes il substitue sa propre volonté à celle du pape, cela est une autre histoire à propos de laquelle on n’a pas fini de débattre et dont l’Église a offert pas mal d’exemples, le dernier en date n’étant pas le moindre : le concile de Vatican II échappant comme une machine folle aux louables intentions du malheureux Paul VI…
Voilà donc les pères conciliaires de Pise rentrés chez eux, bien embêtés. Leur concile ne vaut pas un sol. À présent, tout le monde en convient. La déposition de Grégoire XII : nulle ! La déposition de Benoît XIII : nulle ! L’élection d’Alexandre V, puis l’élection de Jean XXIII : nulles ! Pour ce dernier, personne ne s’en fâche. Plus reître et pirate que pape, malhonnête, simoniaque, jouisseur, brutal, le pape Cossa finit par lasser. Mais comment sortir de làn ? Pour peu que l’on s’obstine dans la même voie qu’à Pise, à réunir un nouveau concile invalide qui déposera les trois papes pour en élire encore un autre, on se retrouvera bientôt avec quatre papes en même temps sur les bras, et pourquoi pas cinq, ensuite, ou six ? Une inflation de papes. Le gouffre…
C’est alors que fait son entrée sur la scène européenne Sa Majesté Sigismond de Luxembourg, roi de Hongrie, roi de Bohême, roi des Romains, empereur germanique, vingt-quatrième successeur d’Othon I° au trône électif du Saint Empire romain germanique, un homme considérable, intelligent, fastueux, raisonnablement bon chrétien, qui va occuper le vide laissé dans la Chrétienté par la démence du roi Charles VI. Déchiré entre Armagnacs et Bourguignons depuis l’assassinat du duc d’Orléans, livré aux bandes, aux factions, le royaume de France tombe en lambeaux. Le désastre d’Azincourt est tout proche, qui va sceller la fin de la chevalerie française. La France et son roi hors du jeu, tous les regards, toutes les espérances se tournent vers l’empereur Sigismond pour sauver la Chrétienté du chaos.
Il a tout compris, Sigismond. Il ne commettra pas les mêmes erreurs. Il ne tombera pas dans les mêmes pièges. Un concile ? Naturellement. Il n’existe pas d’autre solution. Mais un concile œcuménique dûment et validement convoqué par le pape. Du solide. De l’indiscutable. Quel pape ? On en a trois. Celui de Sienne et celui de Tortosa ne représentent plus grand monde. Autant se rabattre sur le troisième, le pape Cossa, Jean XXIII, qui rassemble au moins sur son nom, par raison plus que par adhésion, les neuf dixièmes de la Chrétienté. Que ce pape-là soit vrai ou faux, peu importe à l’empereur Sigismond puisque au demeurant nul n’en sait rien, mais pour convoquer un concile, ce vilain pape fera très bien l’affaire. Encore faut-il qu’il l’accepte.
La diplomatie à cheval se met en branle. L’empereur inonde l’Europe de ses messagers qui galopent de cour en cour et d’évêché en abbaye. La cour de France se fait tirer l’oreille puis finit par se rallier au projet, persuadée que son poulain, Jean XXIII, en sortira seul et unique pape. C’est aussi ce que ses cardinaux, qui mentent comme des arracheurs de dents, s’évertuent à expliquer à Sa Sainteté Baldassare Cossa, plutôt méfiante. Les cardinaux, l’empereur les a tous mis dans sa poche, même ceux de Grégoire XII et de Benoît XIII, soit vingt-trois éminences en totalisant les trois obédiences. Ils ont chacun une chance sur vingt-trois de devenir le prochain pape, de quoi nourrir une ambition. Ce n’est pas négligeable, une chance sur vingt-trois, ça se caresse, ça se mitonne. L’empereur laisse entendre que, hé ! hé ! tel ou tel ne lui déplairait pas, ou peut-être tel ou tel… Mais d’abord, et avant tout, se débarrasser encore une fois de Grégoire et de Benoît, et surtout, et définitivement, de ce soudard de Jean XXIII ! Mensonges, flatteries, fausses promesses, pommade et coups d’encensoir, ses chers cardinaux qui lui doivent tout finissent par emporter le morceau. C’est au tour du pape Cossa d’avaler la ligne et l’hameçon. En janvier 1414, de sa résidence de Pise, les chevaucheurs de Sa Sainteté prennent la route, porteurs des bulles de convocation.
Le concile se réunira à Constance, en terre d’Empire, au bord du lac. Son ouverture est fixée au jour de la Nativité, le 24 décembre 1414 à minuit. Jusque-là, les prélats allemands avaient fait le dur voyage pour l’Italie, en traversant les Alpes ; cette fois-ci, ce sera la cour papale de Rome qui fera le voyage.
Jean Raspail. L’anneau du pêcheur. Albin Michel 1995
Ledit concile va donner le premier rang aux décisions conciliaires, donc avant celles des papes – Grégoire XII, Jean XXIII et Benoît XIII -. Sigismond obtient aussi que l’on vote par nation et non par tête, ce qui diminue le poids des Italiens mais aussi de la France. Et il y en avait du monde : 32 princes, 47 archevêques, 361 juristes, 1 500 chevaliers, 1 400 marchands, 5 000 prêtres et 700 prostituées parmi les 72 000 participants ! On décréta que tous, de quelque état et dignité qu’ils soient, celle-ci fut-elle papale, sont tenus de lui obéir, pour ce qui concerne la foi et l’extirpation dudit schisme, ainsi que la réforme générale de ladite Eglise de Dieu.
Fin octobre 1414, arrivant en vue du lac et de la ville de Constance, après une épuisante traversée des Alpes, Jean XXIII lâche : Voici dons la fosse où l’on piège les renards ! Se sentant de moins en moins en sécurité à Constance, il va s’enfuir le 20 mars 1415 à Schaffhouse : rattrapé par des membres de la Curie, il va être vulgairement jeté en prison avec 70 chefs d’accusation ! on simplifiera en ne gardant que la simonie, la sodomie, le viol, l’inceste, la torture et le meurtre ! le 29 mai 1415, il sera officiellement déposé, emprisonné dans le même château de Gottlieben où croupissait Jean Hus depuis deux mois, sur ordre de Sigismond qui l’avait déclaré hérétique et relaps : il mourra sur le bûcher le 6 juillet 1415, ses os seront jetés dans le Rhin. La nation tchèque refusera désormais d’obéir à l’Église romaine, qui ira jusqu’à déclencher contre les hussites des croisades. Un an plus tard, comme si la mort de Jean Hus ne suffisait pas, on s’en prendra encore à Jérôme de Prague, brillant réformateur religieux diplômé des universités de Paris, d’Oxford et de Heidelberg qui sera exécuté le 30 mai 1416. Sigismond marchait dans les pas de Néron : Qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent ! Quant à Jean XXIII, il sauvera sa tête, et après 3 ans de prison, finira même cardinal de Florence !
01 1414
Les Lollards tentent un coup d’État pour renverser la monarchie anglaise : cela supposait le rassemblement à Londres d’une troupe conséquente : mais le soulèvement avait été dévoilé et donc étouffé dans l’œuf. Parmi le 80 prisonniers, peu furent pendus et brûlés, c’est-à-dire condamnés au titre d’insurgé et d’hérétique. La plupart furent seulement pendus, châtiment normal pour les auteurs d’une insurrection.
Mais qui sont-ils, ces Lollards dont le chef était sir John Olscastle ? Il faut pour cela remonter à John Wyclif [1330-1384] professeur de théologie à Oxford qui s’était livré à une virulente critique de l’Église féodale qu’il voulait réformer. Pour lui, autorité et propriété ne devaient être détenues et exercées que par l’autorité politique, l’Église ne se caractérisant que par la pauvreté. Il avait rencontré à la cour de nombreux soutiens : il faut dire que le financement de l’Église par les pays chrétiens, en ces temps de guerre de cent ans où les papes étaient en Avignon sous la haute protection de la France et eux-mêmes très souvent français passait mal chez les responsables politiques anglais.
À la mort de John Wyclif, John Purvey, son ancien secrétaire avait pris le relais et leur anticléricalisme n’avait fait que se renforcer : Ces messieurs du clergé ne devraient pas arriver, montés sur des chevaux fringants, porter des bijoux, des vêtements somptueux et faire des repas plantureux mais renoncer à tout, en faire don aux pauvres et donner l’exemple.
Mais en 1399, les Lancaster étaient arrivés au pouvoir, Richard II incarcéré et Henri IV, partisan de l’Église était monté sur le trône, introduisant les premières lois antihérétiques. Pas découragés pour autant, les Lollards avaient présenté au parlement en 1410 une pétition soulignant tous les avantages qu’aurait une nationalisation pure et simple des biens d’Église. Le parlement n’avait pas donné suite. Ne restait plus dès lors qu’une tentative de renversement du pouvoir.
02 1414
Apparition d’une fièvre et toux incontrôlable : le tac ou horion qui prendra le nom de coqueluche.
07 1414
Charles VI sombre pour le restant de ses jours dans la folie.
30 06 1415
Les Français arrivés à Winchester pour porter la réponse sur le mariage de Catherine avec le roi Henri n’ont guère le temps d’entamer les palabres : Henri V convoque une assemblée de 1 500 personnes devant laquelle il annonce la rupture des négociations.
12 08 1415
Débarquement de Henri V au Chef de Caux. Il a confié la régence du royaume à son frère, duc de Bedford. 1 400 nefs ont transporté ses troupes de Southampton à la pointe de la Hève [proche du Havre, qui n’existe pas encore] : plus de 10 000 hommes, dont 2 000 hommes d’armes, 6 000 archers.
19 09 1415
Le jeune et très puissant empereur Sigismond vient rencontrer à Perpignan le vieux Pedro de Luna, irréductible pape qui se refuse à renoncer : ses partisans se réduisent comme peau de chagrin mais il a pour lui sa légitimité, une intelligence et une dialectique hors-pair :
Pedro de Luna a quatre-vingt-onze ans. Il joue sa dernière partie et il a perdu tous ses atouts majeurs. La Castille, la France, la Navarre ne le reconnaissent plus et le roi Ferdinand d’Aragon dont il est l’hôte au palais des rois de Majorque, à Perpignan, malade et déjà marqué par la mort, a lui aussi choisi son camp. À vives étapes et en grand arroi, l’empereur Sigismond approche. Quatre mille cavaliers l’accompagnent ainsi que quatorze évêques et abbés délégués par le concile. À Constance, avant son départ, les cardinaux ont béni l’empereur afin qu’il soit bien établi que la grâce de Dieu est sur lui. Puissance temporelle et spirituelle. Nul ne s’y trompe sur son passage. Princes, ducs, comtes et barons l’accueillent aux frontières de leurs États et de leurs seigneuries et se joignent à son escorte. Les villes pavoisent, les cloches sonnent. Les manants, au bord du chemin, ploient le genou. Presque chaque jour, au palais des rois de Majorque, des messagers arrivent au galop pour rendre compte de la marche impériale.
Le 13 août, l’empereur est à Nice. Le 30 août à Saint-Victor de Marseille où les moines se bousculent pour se faire pardonner d’avoir naguère abrité l’antipape. Le 9 septembre, à Maguelone, l’évêque Andréa de Villaloba, qui fut légat de Benoît XIII en Avignon, sauve l’honneur. Il a envoyé son chapitre au-devant du souverain mais refuse de paraître lui-même. Geste inutile. L’évêque Andréa ne compte plus et ses chanoines le renient. Le 13 septembre, l’empereur Sigismond est à Narbonne. Le 17, au Canet. Son entrée à Perpignan est prévue pour le 19.
Au palais, Pedro de Luna attend.
Avec son neveu Rodrigo, il refait encore une fois le recensement des fidélités. Quatre cardinaux, tous espagnols. Un cinquième, le dernier Français, le cardinal Pierre Ravat, évêque de Saint-Pons, qui était avec lui, sur sa galère, quand il avait dû s’enfuir de Gênes, est allé se jeter aux pieds de l’empereur. Quelques évêques, celui de Saragosse, celui de Tarragone, l’archevêque de Barcelone, le père abbé de Montserrat, et Dominique de Bonnefoi, un autre Français, prieur de la Chartreuse de Montalegre, bien peu de monde, en vérité.
– Et Iona ? demande le pape Luna. A-t-on des nouvelles de Iona ? Pourquoi le cardinal Falkirk n’est-il pas là ?
La gorge de Rodrigo de Luna se serre. Le vieillard lui pose souvent cette question. Elle revient dans sa bouche comme un symbole. Falkirk était le plus fidèle. Falkirk ne pouvait l’abandonner. Un jour la mer apporterait la chanson aiguë des cornemuses et le cardinal Falkirk débarquerait de son navire hérissé de boucliers…
– Il viendra, Très Saint-Père, il viendra. Un Breton lui a porté votre message.
Rodrigo ment. Il n’a pas voulu accabler le vieil homme. Nul messager n’a quitté Perpignan pour l’Écosse. Il n’y a plus de Bretons au service du pape. Ni de Provençaux, ni de Français. Plus de Siciliens, plus d’Angevins. Tous ont déserté. Le compte est vite fait. Restent seulement au pape Luna ses trois cents archers aragonais, une petite cohorte de serviteurs, quelques chevaliers de Saint-Jean autour du bailli de Gérone, et parmi les princes présents, un seul, le comte Jean IV d’Armagnac, comte de Comminges et de Rodez. Et enfin, Vincent Ferrier.
– Comment se porte frère Vincent ce matin? demande à nouveau le pape Luna. Lui a-t-on envoyé mon médecin ?
Car le saint homme a dû s’aliter. On a même craint pour sa vie. Sa voix qui ralliait au pape Luna des milliers et des milliers de fidèles s’est tue. Alors qu’il prêchait à la cathédrale de Perpignan, un malaise l’a terrassé. L’épuisement, l’âge – il a soixante-cinq ans -, le chagrin, sans doute, aussi, devant tous ces déchirements qui persistent… Transporté dans la cellule du prieur des dominicains, il s’y repose en silence.
– Le médecin n’a pas été reçu, Très Saint-Père, dit Rodrigo. Et voici la réponse du frère Vincent : Remerciez le souverain pontife, mais ce n’est pas de la terre que doit me venir le remède. Jeudi, je pourrai de nouveau prêcher.
– Il me manquera demain, constate simplement Pedro de Luna.
Demain, lundi 19 septembre, en présence de l’empereur Sigismond et des envoyés du concile, Sa Sainteté le pape Benoît XIII sera seule.
La ville ruisselle de soleil. Le peuple se repaît du spectacle. Un vieil homme chargé d’années traqué au fond d’un palais et un jeune empereur triomphant. Dieu accompagne l’un et l’autre. Dieu n’a pas encore tranché. La scène se jouera à deux voix. La troisième, celle de saint Vincent Ferrier, n’est plus qu’un souffle entre les quatre murs d’une cellule. Dieu pourrait-Il se tromper ? Quarante pages se sont alignés devant le grand portail des rois de Majorque. Retentissent les sonneries des trompettes ornées de guidons aux armes impériales. Il y a eu des joutes et des tournois, pour marquer la solennité de cette journée. L’empereur est là, en majesté. Face au vieillard solitaire, il déploie toute sa puissance, comme si quelque doute, encore, subsistait, que les fastes impériaux feront oublier. L’empereur a bien déjeuné. Des volailles, des poissons, des fruits, des vins de Catalogne et d’Aragon que lui ont servis, religieusement, les chevaliers du roi Ferdinand.
Dans la salle d’audience du palais, l’étole pontificale rouge et or au cou, coiffé d’un bonnet rouge bordé d’hermine, assis, immobile, sur son trône, le pape Benoît XIII prie. Le son des trompettes parvient jusqu’à lui. On entend des rumeurs, des piétinements. Place ! crie un héraut. Place à Sa Majesté le Saint Empereur romain germanique ! Le pape Luna se tourne vers Rodrigo.
– Ouvrez le portail, je vous prie, dit-il.
Un théâtre. Dieu vient de frapper les trois coups. Combien sont-ils, dans la salle d’audience, groupés en foule derrière Sigismond, face au maigre troupeau désemparé tassé autour du souverain pontife ? Le nombre, la force, la puissance… Au pied du trône, impertinents, insolents, méprisants, se poussant du col, sûrs d’eux, les quatorze prélats délégués par le concile. Et devant eux, seul, face au pape, leur champion, l’empereur Sigismond. Sa Sainteté Benoît XIII le considère de son regard noir, sans indulgence, ni charité.
– Très dévot père, commence l’empereur…
Il y a des murmures approbateurs dans la salle. L’œil du pape Luna étincelle de colère. Ce n’est pas ainsi qu’on s’adresse au pape, fût-on l’empereur germanique ! Pour chacun, rois et manants, le pape est le Très Saint-Père. L’affront est délibéré. Le pape se domine. La suite respecte mieux les formes. Quant au fond… Voilà vingt et un ans que le vieillard entend rabâcher ce même raisonnement, depuis son élection à Avignon, en 1394. Pendant ce long laps de temps, trois papes sont morts, à Rome, à Pise, et deux ont été démis, qui tous les cinq lui avaient été opposés. Ce jugement de Dieu ne suffit-il pas ? Pourquoi ces discours trompeurs qu’on lui tient ? Ces arguments cent fois répétés, cent fois récusés, que l’empereur dévide comme un écheveau de mensonges et de perfidies : que la conscience, l’honneur, ses promesses, ses serments l’obligeraient maintenant qu’il n’avait plus aucune raison apparente pour s’en défendre, à faire ce que quelques prétextes spécieux lui avaient peut-être auparavant donné sujet de différer. Que Grégoire et Jean, ses deux adversaires, s’étant déposés, la condition au nom de laquelle il avait juré d’en faire autant était pleinement accomplie. Que le repos et la paix des chrétiens, après cela, dépendaient uniquement de lui. Qu’après trente-huit ans de schisme, de trouble, de désolation, il était donc le seul obstacle qu’il y eût encore à l’union, à la tranquillité et au bonheur de la chrétienté. Que l’Église lui tendait les bras dans cet abîme de malheurs où elle était plongée et d’où il la pouvait tirer si facilement en quittant volontairement ce qu’on lui ôterait bientôt par la force…
Le pape Luna écoute, impassible. Il jette à peine un regard sur les documents de renonciation signés par Grégoire et par Jean et que l’empereur a apportés avec lui. En quoi cela le concerne-t-il ? On le confondrait avec ces deux-là ? L’empereur en a presque terminé.
– N’attendez pas, très dévot père, dit-il, dans l’extrême vieillesse où vous vous trouvez, que la mort, qui pour vous est prochaine, ne vienne vous arracher votre pontificat, laissant sur votre nom déshonneur et honte éternels. Puisqu’il vous reste si peu de temps, mieux vaut abandonner, renoncer, avec l’assurance d’une gloire immortelle…
Commencé par un affront à la dignité du pontife, conclu sur un affront à son âge, ce discours a rendu toutes ses forces combatives au vieillard. Le pape Luna va répondre. Sa voix ne tremble pas. Les murmures hostiles ont cessé. On l’écoute dans un silence pétrifié, et d’abord avec un immense étonnement. Car cet homme sévère a souri. L’idée de sa mort prochaine le fait sourire.
– Je sais que le moment n’en est pas encore venu, dit-il avec un éclair malicieux dans le regard. Je sais que je vivrai encore des années…
Et s’il disait vrai ? Les délégués du concile échangent des coups d’œil consternés. Cette petite satisfaction acquise, il poursuit. Point de sire ou de majesté. Il dit seulement : Mes fils bien aimés. Il ne s’adresse pas à l’empereur, ni aux prélats conciliaires, ni à quiconque dans cette salle où chacun souhaite sa perte, mais à toute la Chrétienté, à l’Histoire, à la postérité. Sur un coussin, ses cardinaux lui ont présenté la tiare et il l’a posée sur sa tête afin que nul n’ignore qui parle. Et il va parler sept heures, en latin. Pendant sept heures il va déployer sa passion, son ardeur, sa violence, son inébranlable foi en sa légitimité, et toutes les ressources d’une grande intelligence et d’une immense agilité d’esprit. Il ne plaide pas, puisqu’il a raison. Ce n’est pas un plaidoyer, mais un rappel. Son raisonnement procède d’une logique implacable : il est le vrai pape. Même en douterait-on, ce n’est pas lui qui entretient le schisme, dans l’état actuel des choses, mais bien l’assemblée de Constance, puisque les deux autres pontifes ont cédé et qu’il demeure à présent le seul. Qu’on le reconnaisse et le schisme cessera, puisqu’il n’y a plus d’autre concurrent, tandis que si l’assemblée de Constance procède à une élection, il y aura de nouveau deux papes et le schisme renaîtra. Et qui pourrait élire un pape, quel qu’il soit, sinon lui-même, et lui seul ? Parmi tous les cardinaux vivants, n’est-il pas le seul, précisément, à avoir été promu par Grégoire XI avant le schisme? Seul à détenir, à ce titre, la légitimité apostolique ? Rien ni personne ne saurait l’empêcher de s’élire lui-même une seconde fois, et dans le cas où l’on s’y opposerait, il n’en resterait pas moins vrai que seul il conserve le pouvoir de désigner son propre successeur au trône de Pierre. Qu’on le proclame donc pape et qu’on en finisse une bonne fois, puisqu’il est le pape…
Les archives du Vatican ont conservé les minutes de cet extraordinaire discours-fleuve, versées ensuite au dossier Benoît. Lorsque le cardinal Pietro Francesco Orsini, évêque de Bénévent, fut élu pape en 1724 et choisit à la surprise générale de régner sous l’appellation de Benoît, treizième du nom, les spécialistes de l’entourage du pontife se précipitèrent frénétiquement sur ce texte pour lui extorquer des arguments justifiant trois cents ans plus tard, à titre posthume, ce qui apparaissait à tous comme une seconde condamnation – et dans quel but ? la première ne suffisait-elle pas ? – du pape Pedro de Luna, pape sous le nom de Benoît XIII. Peine perdue. Le texte résista. Du béton. Des générations de canonistes s’y cassèrent les dents. De même en 1958, lorsque, à peu près pour les mêmes raisons, on exhuma le dossier Benoît pour le passer au peigne fin quand le vieux cardinal Angelo Roncalli, patriarche de Venise, fut élu, et choisit bizarrement d’enjamber cinq siècles pour s’en aller débusquer un nom de pape, assorti du numéro vingt-trois, qu’avait porté le malchanceux Cossa, élu par le concile de Pise sous le nom de Jean XXIII. Comme si l’on se rappelait subitement, au Vatican, en plein milieu du XX° siècle, que ce vieux compte du Moyen Age n’avait pas été tout à fait réglé…
Le pape Luna a achevé de parler. Il bénit la foule. Tous se signent – comment l’éviter ? – et ne l’en détestent que plus. La salle d’audience se vide en silence. L’empereur a tourné les talons. Il se retire dans son camp de toile. Il ne reverra plus le pape Luna. Il lui a donné cinq jours pour se démettre sans condition, faute de quoi le concile de Constance prononcera sa déposition et son excommunication. Chaque matin il lui fait porter un message dont les termes de plus en plus autoritaires marquent son impatience et sa colère. La réponse ne varie pas. L’ambiance se fait pesante à Perpignan. Entre Allemands et Aragonais, de nombreux incidents éclatent. On se bat dans les rues. Les chevaliers de Saint-Jean tournent casaque. Leur grand-maître le paiera de sa vie, tué en duel par Jean d’Armagnac, lequel n’a que le temps de fuir et de regagner ses États, laissant le pape Luna encore plus seul.
Enfin arrive le jeudi. Vincent Ferrier a tenu sa promesse. Il a fait annoncer qu’il prêcherait dans la chapelle du palais lors de vêpres solennelles en présence du pape et des princes, des cardinaux, des ambassadeurs. Le fidèle d’entre les fidèles, lui qui accomplit des miracles, le saint que chacun vénère d’un bout à l’autre de l’Europe, va-t-il encore retourner la foule, tous ces dignitaires, ces prélats ? On le soutient aux épaules, car il tient à peine debout. Marche après marche, on doit le hisser en chaire. Son visage émacié a la pâleur de l’ivoire. Il élève ses mains décharnées :
– Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit… On l’entend mal. Sa voix n’est qu’un filet. Chacun retient son souffle. Mais quel étrange exorde !
– Je m’adresse à vous, mes frères, dit-il, afin que vous désiriez ardemment trouver Dieu et aspiriez à la perfection qui vous rendra plus utiles aux âmes. Je m’adresse à vous afin que vous alliez à Dieu d’un cœur simple, sans duplicité, pour pratiquer à fond la vertu et par la voie de l’humilité parvenir à la gloire de la majesté…
Chacun se regarde. Où veut-il en venir? Il poursuit :
– L’innocence et la perfection auxquelles nous oblige la loi de Dieu exigent, avec l’absence de tout vice et de tout péché, la plénitude de la vertu. C’est en effet ce que demande le commandement d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces. Pensez-y, mes frères, et vous verrez votre faiblesse et la distance qui vous sépare de cette pureté parfaite. Mais cela ne peut produire effet que dans l’âme qui sent quelle haute perfection le Seigneur demande à toute créature, et qui, pour ce motif sublime, s’efforce d’accomplir généreusement la volonté divine…
Il s’interrompt un moment, comme s’il rassemblait ses forces, puis reprend, tourné vers le pape qui l’écoute, assis sur son trône, immobile, les mains posées sur ses genoux :
– Car le Seigneur demande à toute créature d’accomplir généreusement (il répète ce mot : généreusement) la volonté divine…
Chacun, déjà, a compris. Vincent Ferrier s’éloigne du pape qu’il a défendu pendant plus de vingt années. Il y met toutes les formes du respect, de l’amour filial, de l’estime, mais son propos n’en est que plus clair : il l’abandonne. Au nom de la volonté divine, il condamne son obstination. Il l’exhorte à la générosité, au sacrifice, pour l’amour de Dieu.
– Très Saint-Père, dit-il, je vous ai accompagné sans faiblir tout au long de ce chemin dont je ne vois plus l’issue. La volonté divine s’est exprimée à Constance. Aux côtés de Votre Sainteté, je ne saurais m’engager plus avant sous peine de devenir moi-même schismatique.
Le mot est lâché. Comme un cordon de poudre enflammée, il va faire le tour de la ville, crépiter jusqu’en Catalogne, en Aragon, en Castille, de village en château, d’église en église. Par la bouche de Vincent Ferrier, en ces temps de foi brutale, c’est un mot qui terrifie les âmes simples. Si les grands de ce monde s’en étaient déjà détachés, le peuple suivait encore le pape Luna. Ce mot là l’en délie à jamais.
Dans la salle règne un silence de mort. Le pape est livide. Sans un regard, sans une parole, il se lève et quitte les lieux. Ce qu’il a entendu ne compte pas. Ce n’est qu’une trahison de plus. Il l’a déjà chassée de son esprit. En pleine nuit et sans attendre que les troupes impériales manœuvrent pour l’en empêcher, il prend la route du Canet et embarque dans sa dernière galère.
Saint Vincent Ferrier ne reverra plus le pape Luna. À califourchon sur un âne, entouré de ses moines gyrovagues, il a pris le chemin de la Bretagne. Il y mourra en 1419, à Vannes, précédant de cinq ans le pape Luna…
La nuit est claire. Les rames frappent l’eau. Au firmament brille le croissant de lune escorté de milliers d’étoiles. À bord de la galère pontificale on se compte. Les archers, les domestiques, une dizaine de prêtres et d’évêques, quatre cardinaux, personne ne manque. À force de trahisons successives, l’ultime carré s’est épuré. Le pilote attend l’ordre du pape.
Route au sud, vers Peñiscola.
Jean Raspail. L’anneau du pêcheur. Albin Michel 1995
C’est probablement à la demande de ce concile qu’un moine rédigera un Ars Moriendi – Art de mourir – qui rencontrera un grand succès : quelque 60 ans après la grande peste, on se souvenait du nombre de malades qui avaient succombé sans l’assistance de prêtre, tant le nombre de ces derniers était insuffisant. Ainsi, chacun pouvait savoir ce qu’il avait à faire pour accompagner un agonisant aux portes de la mort.
22 09 1415
Prise d’Harfleur, principale clef sur mer de tout le duché de Normandie.
25 10 1415
Les troupes coûtent cher, l’épidémie les ravage et les provisions s’épuisent : Henri V avait décidé de rentrer, en regagnant Calais. À Azincourt, [nord-ouest d’Arras], ils découvrent l’armée française qui leur bloque la route. Les archers anglais déciment les chevaliers français, empêtrés dans leur lourde armure, montés sur des chevaux qui glissaient, car il avait plu toute la nuit, ne pouvant se livrer aux manœuvres prévues, faute de place : la plaine d’Azincourt ne fait que 4 km de long pour 1 km de large. Les coutiliers achèvent le massacre, n’épargnant que les princes susceptibles d’être rançonnés : ainsi, on estime à peu près aux trois quart des lignées nobles du royaume celles qui n’auront plus de descendance mâle.
C’est que le coup a porté où il fallait pour ébranler la monarchie. Les pertes humaines ont été considérables : 3 000 hommes, 4 000, plus peut-être, on ne le sait. Aujourd’hui encore, quand les siècles d’oubli ont passé sur l’événement et dispersé la documentation, on peut dresser une liste de 600 chevaliers et barons morts à Azincourt. Mais surtout elles ont été concentrées sur une part bien définie de la société politique : d’abord la cour, qui perd, morts ou prisonniers, cinq ducs, douze comtes et bien d’autres grands seigneurs ou brillants nouveaux venus de la classe dirigeante. Ainsi la cour amoureuse de Charles VI, sorte de club politique et mondain, qui réunissait depuis 1400 les hommes les plus influents de la haute société parisienne, perd un tiers de ses membres et la liste de ses dignitaires prend l’allure sinistre d’un nécrologe.
En dehors de la haute aristocratie, c’est la noblesse de langue d’oïl, surtout, qui a été atteinte. Plusieurs milliers de morts, de prisonniers, des rançons à payer, des familles éteintes ou ruinées. Or les régions les plus touchées, la Picardie, l’Artois, la Normandie, le Beauvaisis, le Soissonnais, sont celles où depuis des siècles, la monarchie recrutait ses serviteurs civils et militaires. Privé de cette noblesse du Nord, le roi a perdu un de ses plus fermes soutiens. D’autre part à côté des grands officiers de la couronne, tués ou faits prisonniers, presque tous les baillis de langue d’oïl – quinze sans doute sont tombés à Azincourt – ont disparu. Au lendemain de la Saint-Crépin, l’administration militaire est décapitée, celle du Domaine royal désorganisée. Dans les jours qui suivent, il faudra, à la hâte, procéder à de nouvelles nominations. Ainsi en frappant la chevalerie du Nord et les officiers du roi, le désastre d’Azincourt a ébranlé les plus solides fondements de la monarchie.
Rien de tout cela pourtant n’était irréparable. Le royaume, après tout, ne se limite pas à la langue d’oïl. Il reste des forces vives en France, il reste des chevaliers pour se battre dans l’armée royale, des hommes pour gouverner. Mais il faudra les chercher hors du cœur du pays français, dans ces régions lointaines auxquelles on ne pense pas : le Centre, le Midi… Azincourt fera donc arriver au pouvoir des hommes nouveaux, des hommes différents et cela aussi sera un choc pour la France et pour les Français.
Françoise Autrand. Charles VI. Fayard 1986
Azincourt, ça commence le 24 octobre 1415 et ça se termine le 26 au départ des Anglais. Jamais cette bataille n’aurait dû avoir lieu. Les 6 000 Anglais ne cherchaient pas la bagarre, ils étaient malades comme des chiens parce qu’ils avaient mangé des moules pas fraîches et ils voulaient rentrer juste chez eux. Les Français leur sont tombés sur le rable à 30 000, non pas pour les empêcher de les envahir… mais pour les empêcher de reprendre leur bateau ! Ils étaient persuadés qu’ils allaient les laminer. Ça a été un carnage, mais pas dans le sens espéré. Les Français ont enchaîné les bêtises. D’abord le choix du terrain, un champ en pente fraîchement labouré. Ils se sont installé en bas de la pente, et comme il pleuvait des cordes, l’eau a inondé leur camp. Imaginez le travail, des types engoncés jusqu’aux cuisses dans la boue avec 40 kg d’armure sur le dos et des casques qui les empêchaient de voir sur les côtés. Pour l’attaque, les chevaliers ont tous voulu être au premier rang. D’habitude, on mettait d’abord devant la piétaille et les arbalétriers. Mais tous ccs fanfarons de la noblesse étaient tellement sûrs d’eux qu’ils ne voulaient pas laisser le beau rôle à la valetaille.
À la fin de la bataille, il n’y avait plus un chevalier vivant ! 6 000 nobles tués en trois heures, tous à la ferraille [3]. Ils s’étaient tassés sur une seule ligne si bien qu’au moment de l’attaque, ils ne pouvaient même pas sortir leur épée. Ils avaient en plus coupé leur lance en deux par peur de prendre celle du voisin dans les fesses. Du coup, ils étaient transpercé avant que leur lance n’atteigne un Anglais. Ils étaient tellement coincés les uns contre les autres que les morts ne pouvaient pas tomber. Un festival de la bêtise ! Les morts sont restés anglués à mi-jambe, droits comme des statues de l’île de Pâques. Cette bataille d’Azincourt est le symbole de la prétention et de la stupidité de la noblesse française.
Jean Teulé. interview du Midi-Libre du 20 mars 2022 pour son livre Azincourt par temps de pluie, Éditions Miallet Barrault.2022
12 02 1416
Le comte d’Armagnac, gendre du duc de Berry, devenu connétable le 30 décembre, est nommé capitaine général du royaume et gouverneur de toutes les finances.
01 1417
Gian Francesco Poggio Braciolini – Le Poge – découvre dans la bibliothèque d’un monastère un De Natura Rerum de Titus Lucretius Carus – Lucrèce – poète philosophe du 1° siècle av. J.C. C’est un long poème, traduction de la doctrine d’Épicure, dont le clergé de Florence interdira la lecture quelques soixante ans plus tard :
Sept mille quatre cents lignes, divisées en six livres, écrites en hexamètres, les vers de six pieds non rimés dans lesquels écrivaient Virgile et Ovide. Un poème d’une intense beauté lyrique, qui mêle des méditations philosophiques sur la religion, le plaisir et la mort, et des théories scientifiques sur la nature. Un sens du merveilleux. Et une compréhension étonnement moderne de l’univers. […] Mais les poèmes sont difficiles à faire taire. Il y a des moments rares et puissants où un écrivain disparu depuis longtemps, semble se tenir devant vous et vous parler directement, comme s’il portait un message à votre intention. Par chance, des copies de De natura rerum, trouvèrent place dans quelques bibliothèques de monastères, qui avaient enterré, apparemment à jamais, l’idée même de la recherche du plaisir. Par chance, un moine, au IX° siècle de notre ère, copia le poème avant qu’il ne se dissolve. Et par chance, cette copie échappa pendant encore cinq siècles aux incendies et aux inondations. Jusqu’à ce qu’un jour, au début de l’année 1417, il tombe dans les mains d’un homme qui se nommait lui-même avec fierté Poggius Florentinus. Il tendit le bras, retira un très vieux manuscrit d’une étagère, et vit avec émotion ce qu’il venait de découvrir.
Stephen Greenblatt. The swerve How the world became modern Norton 2011
L’encre qu’utilisaient les moines copistes était d’une fabrication plus sophistiquée que dans l’antiquité où l’on se contentait à peu près de mélanger de la suie, venue des mèches de lampes et de la gomme d’arbre :
La bonne encre se fait ainsi : prends une livre et demi de noix de galle concassée. Trempe la dans une quantité de dix flacons d’eau de pluie chaude ou de vin chaud ou de vinaigre. Et laisse macérer pendant un jour ou plus ; ensuite, fais bouillir jusqu’à ce que ladite eau, vin ou vinaigre se réduise à un tiers ; retire alors du feu et ajoute immédiatement un flacon ou deux de vin ou de vinaigre et autant d’eau qu’il s’en est évaporé et remets le tout sur le feu une autre fois. Lorsque le mélange commence à bouillir, retire le du feu ; lorsqu’il est juste chaud, presse-le et ajoute y une livre et demi de gomme arabique en poudre et une livre de vitriol romain et mélange le tout.
Jehan de Bègue. XV° siècle, greffier à la Cour des comptes de Paris.
Lucrèce [~ 98 – ~ 55 ?] parle presque de tout, dans la ligne de son maître Épicure… des atomes… de l’amour ; et l’Église réalisera que la censure devait s’exercer … mais il sera trop tard, déjà nombreuses étaient les copies en circulation.
Aussi les mouvements destructeurs ne peuvent-ils / à jamais triompher, ensevelissant toute vie, / ni les mouvements générateurs et nourriciers / préserver à jamais les choses qu’ils ont créé. / Ainsi donc se poursuit à égalité la guerre / que les atomes se livrent de toute éternité. / Tantôt ici, tantôt là, les pouvoirs de vie sont vainqueurs / et vaincus à leur tour ; aux funérailles se mêlent / le vagissement des nouveau-nés découvrant la lumière, / car jamais la nuit ne succède au jour, l’aube à la nuit / qu’elles n’entendent mêler aux plaintes vagissantes / les pleurs, compagnons de la mort et des noires funérailles.
II, v.569-580
Car ce n’est pas après concertation ni par sagacité / que les atomes se sont mis chacun à sa place, / ils n’ont point stipulé quels seraient leurs mouvements, / mais de mille façons heurtés et projetés en foule / par leurs chocs éternels à travers l’infini, / à force d’essayer tous les mouvements et liaisons, / ils en viennent enfin à des agencements / semblables à ceux qui constituent notre monde
I, v. 1021-1028
Douceur, lorsque les vents soulèvent la mer immense, / d’observer du rivage le dur effort d’autrui, / non que le tourment soit jamais un doux plaisir, / mais il nous plaît de voir à quoi nous échappons. / Lors des grands combats de la guerre, il plaît aussi / de regarder sans risque les armée dans les plaines. / Mais rien n’est plus doux que d’habiter les hauts lieux / fortifiés solidement par le savoir des sages, / temples de sérénité d’où l’on peut voir les autres / errer sans trêve en bas, cherchant le chemin de la vie, / rivalisant de talent, de gloire nobiliaire, / s’efforçant nuit et jour par un labeur intense / d’atteindre à l’opulence, au faîte du pouvoir.
II, v. 1-13
Oui ! la volupté est plus pure aux hommes sensés / qu’à ces malheureux dont l’ardeur amoureuse / erre et flotte indécise à l’instant de posséder, / les yeux, les mains ne sachant plus de quoi d’abord jouir. / Leur proie, ils l’étreignent à lui faire mal, / morsures et baisers lui abîment les lèvres.
IV, v. 1076-1080
Unis enfin, ils goûtent à la fleur de la vie, / leurs corps pressentent la joie, et déjà c’est l’instant / où Vénus ensemence le champ de la femme. / Cupides, leurs corps se fichent, ils joignent leurs salives, / bouche contre bouche s’entrepressent les dents, s’aspirent, en vain : ils ne peuvent rien arracher ici / ni pénétrer, entièrement dans l’autre corps passer. / Par moments on dirait que c’est le but de leur combat / tant ils collent avidement aux attaches de Vénus / et, leurs membres tremblant de volupté, se liquéfient.
IV, v 1105-1114
Il ne serait pas étonnant que Botticelli ait trouvé là son inspiration pour le Printemps.
Ils étaient quatre amis à se réunir régulièrement chez l’un d’eux : Collucio Salutati, chancelier de la république de Florence : Leonardo Bruni, qui fera traduire les grands philosophes de l’Antiquité grecque, et qui deviendra secrétaire de plusieurs papes, puis succédera à Salutati comme chancelier de Florence. Niccolo Nicolli, le bibliophile, qui léguera sa riche bibliothèque à la ville de Florence. Gian Francesco Poggio Braciolini, – le Poge – qui sera secrétaire de plusieurs papes, avant, à son tour, de devenir chancelier de la république de Florence. Quatre amis qui formaient un cercle de lettrés.
Poggio sera l’ami d’artistes, dont Donatello et de penseurs, dont Nicolas de Cusa, qui deviendra cardinal et qui écrira, un siècle avant Copernic – la terre ne peut être le centre de l’univers, ne peut pas ne pas être en mouvement -.
Poggio avait écrit une série de contes comique et indécents – les Facetias. Mais il devait sa notoriété à ses découvertes de manuscrits. […] Les textes découverts étaient copiés, diffusés, commentés, et formaient la base de ce que l’on appellera les Humanités.
[…] Entre 1414 et 1418, Poggio visite les abbayes de Saint Gall, de Reichenau, de Weingarten. Et il y découvre des manuscrits perdus… des comédies de Plaute, des textes de Cicéron. De Architectura, l’œuvre du grand architecte romain du I° siècle avant notre ère, Vitruve, une œuvre qui révolutionnera l’architecture de la Renaissance. Et l’œuvre majeure du grand théoricien romain du I° siècle de notre ère, – l’avocat et professeur d’éloquence, Quintulien – qui transformera l’enseignement dans les universités, à travers l’Europe.
Quintilien, qui évoque aussi l’éducation du petit enfant, dès son plus jeune âge. Il prescrit un enseignement fondé sur un travail d’amour, et non un devoir. Il propose une éducation à l’école plutôt que par un précepteur à domicile , mais recommande que le nombre d’élèves par classe ne dépasse pas le nombre d’élèves qui permet à l’enseignant de s’occuper de chacun d’eux.
Jean-Claude Ameisen. Sur les épaules de Darwin. Les battements du temps. Éditions LLL.2012
Ce sont des chaînes discrètes, des relais rares et indiscutables dans le monde, au cours du temps, et qui portent sur un si petit nombre d’hommes, presque silencieux, de lettré à lettré, ou entièrement silencieux, de lettre à lettre.
[…] Barthélémy de Montepulciano a montré le Pogge serrant contre son sein, en pleurant, dans un grenier de l’abbaye de Saint-Gall, un Quintillien complet souillé d’ordures, gluant de poussière, qui est le thésaurus de la rhétorique spéculative romane.
Des siècles et des siècles étaient passés. La langue dans laquelle avaient été écrits ces livres était morte. Ils en recevaient cependant l’appel dans une intense émotion. Pogge et Cusa durent leur premier renom à la découverte de volumes anciens qu’ils avaient exhumés des monastères et des tombes anciennes, quelque temps qu’il fit , en quelque état que fussent les routes, les grèves, les lacets des montagnes, les bois, les chemins […] Au cours des années les plus ensanglantées de l’Histoire de l’Italie médiévale, l’anarchie étant dans Naples, la Lombardie déchirée, le Milanais et la Vénétie dévastés, les États de l’Église et les villes indépendantes soit rançonnés, soit pillés, dans cet orage sans cesse crevé et sans cesse menaçant à nouveau, le Pogge vécut dans le calme. Sa chambre était silencieuse. […] Il lisait. Le secrétaire pontifical Poggio était d’une indifférence absolue en matière de religion. […] Il collectionnait les livres. Parfois il prenait sa mule, il s’entourait de chariots, il grimpait dans une tour en ruine pour se réapprovisionner en livres disparus. Cela s’appelle renaître. Ce sont les premiers Renaissants.
Pascal Quignard. Rhétorique spéculative.
28 10 1417
Le concile de Constance finit par donner un pape à la chrétienté : ce sera Odonne Colonna qui prendra le nom de Martin V : Grégoire XII et Jean XXIII se retireront alors. Benoit XIII, le pape d’Avignon – dans le civil Pedro Martínez de Luna -, restera fidèle aux convictions exprimées deux ans plus tôt devant l’empereur Sigismond à Perpignan et se cramponnera jusqu’à sa mort à Peñiscola en 1423. Son successeur, Clément VIII – Gil Sánchez de Munõs – attendra 1429 pour renoncer à se prétendre pape [4]
C’est vrai que toute la chrétienté aspirait à l’unité, quelles que fussent la voie pour la retrouver et l’iniquité des moyens employés à Rome à l’encontre du pape Benoît XIII. Le retour de Martin V à Rome déchaîne les enthousiasmes sur son chemin et précipite les foules à ses pieds. Il a quitté Constance escorté par quarante mille cavaliers. Les cloches se relaient sur son passage, formant comme une haie d’honneur sonnante et ininterrompue. Sur les rives du Rhin où il a embarqué, des feux de joie, partout, le saluent. Il traverse Berne, Genève, Milan, Mantoue, Florence et tant de villes et de villages qui se portent en masse au-devant de lui et retardent sa marche triomphale. On tient le pape, on ne veut plus le lâcher. Cette lenteur, en fait, lui convient. Colonna et Orsini, naturellement, se sont jetés les uns contre les autres, à Rome, et il faut au pape Colonna des trésors de patience et de diplomatie pour calmer la fougue de ses partisans.
Jean Raspail. L’anneau du pêcheur. Albin Michel 1995
2 11 1417
Jean Sans Peur délivre la reine Isabeau exilée à Tours. Il l’installe à Troyes où elle gouvernera jusqu’au 8 juillet 1418. À Paris, le dauphin Charles porte le titre de lieutenant général du royaume, et la lutte entre Bourguignons et Armagnacs fait rage. Ces derniers font régner une quasi terreur, exécutant à tour de bras : on faisait plusieurs et diverses exactions indues par manière d’emprunts et en autres manières sur les bourgeois et spécialement sur ceux qu’on savait avoir de quoi
Juvénal des Ursins
29 05 1418
Entrée des Bourguignons à Paris. Le dauphin Charles s’enfuit par la route de l’est, bien gardée par la Bastille : il va gagner son apanage de Poitou, Touraine et Berry, où il établira un nouveau gouvernement.
Les Bourguignons finirent par arriver au petit matin du 29 mai 1418. Mais au lieu de la paix et de l’unité, leur retour apporta à Paris un été de terreur suivi de près de vingt ans d’occupation, et à la France une division si profonde que l’on peut parler pour les années 1418-1435 d’un schisme royal.
Pour la troisième fois depuis le début du règne de Charles VI, après les Maillotins et les Cabochiens, Paris allait connaître la terreur d’une commotion populaire, avec les pillages et les massacres, les cris – Tuez tout ! -, les rumeurs – l’ennemi a fait coudre des sacs pour noyer les femmes et les enfants – et les symboles – le dragon qui vole par-dessus les murailles – qui se retrouvent dans chaque émeute. Et même, pour citer J Huizinga, l’odeur mêlée du sang et des roses… Le rituel de la violence est immuable. Mais en 1418, les choses allaient bien plus mal qu’en 1383 ou en 1413 et les troubles de l’entrée des Bourguignons à Paris allaient avoir, pour la France entière, une tout autre portée.
Françoise Autrand. Charles VI. Fayard 1986
12 06 1418
La foule envahit la Conciergerie du Palais, y massacre le connétable et autre Armagnacs qui y étaient enfermés. Les autres prisons connaissant le même sort, Grand et Petit Châtelet, celle de l’évêque, du chapitre et des abbayes, Saint-Eloi, Saint Magloire, le Four -l’Evêque, Saint Martin des Champs, le Temple : 12 heures de tuerie.
8 07 1418
Isabeau et Jean Sans Peur quittent Troyes pour regagner Paris : Trop souffrait le peuple de griefs par eux [les Armagnacs] car rien ne pouvait venir à Paris qui ne fût rançonné deux fois plus que sa valeur et toutes les nuits il fallait faire guet de feu, de lanternes dans les rues, aux portes, faire gens d’armes et rien gagner et tout plus cher que de raison par les feux bandés qui tenaient maintes bonnes villes d’entour Paris, comme Sens, Moret, Melun, Meaux en Brie, Crécy, Compiègne , Montlhéry.
Journal d’un Bourgeois de Paris
21 08 1418
Grande tuerie, émeute terrible, horrible et merveilleuse. […] Lors se leva la déesse de discorde qui était en la Tour de Mau-Conseil et éveille Ire la forcenée et Convoitise et Enragerie et Vengeance et prirent armes de toutes manières et boutèrent hors d’avec eux Raison, Justice, Mémoire de Dieu et Atremprance, moult honteusement
Journal d’un Bourgeois de Paris
30 08 1418
Par ordonnance des gens du Conseil du Roi, on fit vider de Paris les gens de menu peuple pour aller en la compagnie de certains gens d’armes au siège de Mont le Héry.
Au bout d’une dizaine de jours, sans avoir participé en quoi que ce soit à un siège quasiment levé, les Parisiens furent renvoyés en leurs foyers, mais durent attendre 2 ou 3 jours pour que s’ouvrent les portes. Le ménage avait été fait.
30 12 1418
Le dauphin prend le titre de régent. Dès le 21 septembre avait été crée le Parlement de Poitiers : La volonté politique des Armagnacs est claire et nettement exprimée : jamais le dauphin Charles, duc de Touraine, ne se soumettra à l’autorité de son oncle de Bourgogne. Jamais ses partisans – ses serviteurs ou ses gouverneurs – ne reconnaîtront un gouvernement et une administration dominée par les Bourguignons. Jamais les sujets du dauphin, ceux de son apanage de Touraine, Poitou, Berry, ni ceux du Dauphiné, ni les sujets de son cousin le duc d’Orléans n’obéiront à Jean Sans Peur.
Françoise Autrand. Charles VI.Fayard 1986
1418
Henri le navigateur devient maître de l’Ordre du Christ Tomar, qui, au Portugal, a pris la suite des Templiers : il va consacrer à la découverte maritime l’immense fortune que cette position lui procure.
2 01 1419
Capitulation de Rouen : assiégée par les Anglais depuis le 29 juillet, la ville ne reçut aucun secours, pas plus du duc de Bourgogne que du dauphin. Affamés, les hommes d’armes mangèrent leurs chevaux et les pauvres gens de la ville étaient réduits par famine à manger chiens, chats, rats, souris et telles autres choses
Pierre de Fénin
06 1419
Les négociations avec l’Angleterre menées par Jean sans Peur se heurtent à la crainte d’une résistance nationale menée par le dauphin. Isabeau l’écrira le 20 septembre au roi d’Angleterre : Si nous et notre cousin eussions accepté et conclu la paix, tous barons, chevaliers et les cités et bonnes villes de monseigneur nous eussent abandonnés et laissés et se fussent joints avec notre fils, dont plus grande guerre fut venue.
10 09 1419
Au Pont de Montereau, Jean sans Peur vient rencontrer le dauphin, mais tombe dans un guet-apens tendu par ce dernier. Le crâne fracassé par une hache, il meurt avant même qu’ait été engagée une conversation. La version officielle innocentera le dauphin. Il s’agissait en fait bel et bien d’un assassinat : Louis d’Orléans était vengé. La loi du talion avait fonctionné jusqu’au bout. Philippe le Bon devient duc de Bourgogne.
17 01 1420
Des lettres patentes du roi proclament la rupture avec le dauphin, et approuvent l’accord conclu avec les Anglais par le duc de Bourgogne.
Par le meurtre de Montereau, le dauphin s’est rendu parricide, criminel de lèse majesté, détruiseur et ennemi de la chose publique, et s’est fait transgresseur de la loi de Moïse, de la foi de l’Évangile, de la censure du droit canon, de l’institution des apôtres et de toutes lois, et constitué ennemi de Dieu et de justice, et tellement que par le damnable et énorme crime de lui et des siens, il a clos le chemin de quérir paix avec lui et ses complices.[…] Ainsi s’est-il rendu indigne de la couronne royale et de tout autre honneur et dignité.
Pendant 4 mois encore les Bourguignons, avec l’appui des troupes de Henri V, font la guerre sans pitié au dauphin.
03 1420
Par ordonnance, Charles VI met en garde contre les cordonniers dont plusieurs compaignons et ouvriers du dist métier, de plusieurs langues et nations, aloient et vénoient de ville en ville, œuvrer pour apprendre, congnoistre, veoir et savoir les uns des autres : c’est là une bonne définition du compagnonnage naissant, dont il convient donc de se méfier puisqu’il fait montre d’une volonté d’indépendance vis-à-vis du maître.
21 05 1420
Le honteux traité de Troyes livre une bonne partie de la France aux Anglais, et Catherine, la fille de Charles VI, à Henri V. Isabeau a fini par se ranger à l’accord négocié par Philippe duc de Bourgogne, car c’était la condition pour que celui-ci renfloue ses caisses, désespérément vides.
Attendu le crime commis en la personne de feu monseigneur de Bourgogne, tous les consentants, coupables et leurs favorisants sont inhabiles de toute seigneurie[…] À monseigneur de Charolais (Philippe le Bon) comme plus prochain héritier devrait appartenir la couronne après le roi.
Mais les Anglais l’avaient clairement signifié aux ambassadeurs bourguignons : si Philippe prétendait à la couronne, le roi d’Angleterre lui ferait guerre jusqu’à la mort.
Les termes de ce traité stipulaient qu’Henri V de Lancastre, roi d’Angleterre, serait reconnu par Charles VI, roi de France, comme héritier de la couronne de France. Charles resterait roi jusqu’à sa mort, mais le jour de celle-ci Henri ou son héritier lui succéderait, écartant la lignée des Valois, et établissant une double monarchie d’Angleterre et de France.
Anne Curry. L’Histoire 471 mai 2020
Et le texte du traité le dit :
Article I Par son mariage, le roi Henri est devenu notre fils et celui de notre très chère et très aimée compagne la reine. Article II Charles VI et Isabeau restent à vie roi et reine de France. Article VI Après la mort de Charles VI, la couronne et royaume de France demeureront et seront perpétuellement à notre fils le roi Henri et à ses hoirs Article VII Dès à présent, le roi Henri aura la régence et le gouvernement du royaume : Pour ce que nous sommes tenus et empêchés la plupart du temps, de telle manière que nous ne pouvons en notre personne entendre ou vaquer à la disposition des besognes de notre royaume, la faculté et exercice de gouverner et ordonner la chose publique du royaume seront et demeureront, notre vie durant, à notre fils le roi Henri. Article XXIV Et afin que concorde, paix et tranquillité entre les royaumes de France et d’Angleterre soient pour le temps advenir, perpétuellement observées […] que, de l’avis et consentement des trois états desdits royaumes, […] soit ordonné et pourvu que, du temps de notredit fils sera venu à la couronne de France, ou aucun de ses hoirs, les deux couronnes de France et d’Angleterre à toujours mais, perpétuellement, demeureront ensemble, et seront en une même personne […] qui sera pour le temps roi et seigneur souverain de l’un et l’autre royaume, comme dit est, en gardant toutefois en toutes autres choses à l’un et à l’autre royaume des droits, libertés et coutumes, usage et lois. Article XXIX … considéré les horribles et énormes crimes et délits perpétrés au royaume de France par Charles, soi-disant dauphin de Viennois, il est accordé que ni nous, ni notre fils, le roi Henri, ni aussi notre cher fils, Philippe, duc de Bourgogne, ne traiterons aucunement de paix ou concorde avec le dit Charles… sinon du conseil et assentiment de tous et chacun de nous trois et des trois états des deux royaumes.
30 09 1420
Le nouveau pape Martin V, fait son entrée dans la ville sainte, les épées remisées au fourreau. Le Grand schisme d’Occident est terminé.
1 12 1420
Entrée solennelle de Charles VI, aux cotés de Henri V à Paris
1420
Ulugh-Beg, de son vrai nom Mahomet Taragay, petit-fils de Tamerlan, souverain du Maveramnakhr avec pour capitale Samarkand, y fonde une medersa, institut d’études supérieures dont l’astronomie était la discipline principale. Quatre ans plus tard, il construit un observatoire muni d’un sextant géant, le plus grand du monde, dont le rayon n’atteignait pas moins de 40 mètres. L’observatoire était construit pour enregistrer la longueur précise de l’année. Sur son échelle graduée de maçonnerie, un degré occupait plus de 70 centimètres, et l’arc d’une minute 12 millimètres. Ce qui signifie que l’on pouvait obtenir une précision de l’ordre de 2 à 3 arcs d’une seconde : 4 arcs de seconde sont égaux à la largeur d’un crayon ordinaire vu à une distance de 1.4 km.
Les Hussites s’opposent à Rome et au Roi Sigismond sur Quatre articles : l’exigence de sécularisation des biens de l’Église, la liberté de prêcher, la communion sous les deux espèces et la punition des péchés mortels par les autorités civiles. Deux partis parmi eux : les modérés, nobles et réformistes qui finiront par s’entendre avec Rome et Sigismond, et les radicaux, pour la plupart pauvres, déracinés qui vont verser dans le millénarisme qui prendra le nom local de chiliasme. Ils vont faire de la forteresse de Tabor, 80 km au sud de Prague, à partir de 1420, le cœur de leur révolte religieuse : disparition de la distinction entre clercs et laïcs. Rejet de l’Institution ecclésiastique : la foi en la présence réelle dans l’eucharistie est rejetée, on ne croit plus au purgatoire, aux sacrements, à la prière, aux saints et aux pèlerinages. La propriété privée a été abolie ainsi que les dîmes et redevances seigneuriales. Et on annonce l’arrivée de mille années de bonheur : Alors, les gueux cesseront d’être opprimés, les nobles seront grillés comme paille au brasier, tous les droits et impôts seront abolis, personne ne forcera quelqu’un d’autre à faire quoi que ce soit, car tous seront égaux et frères. Cela ne résista pas longtemps à l’ordre des choses, et, une reprise en main redonnera une direction plus classique à l’ensemble, avec restauration d’une hiérarchie. Il reste que paysans et pauvres purent réellement jouer un rôle religieux et participer à la vie politique de cette ville. Hussites modérés et catholiques mettront fin à cette expérience à la bataille de Lipany en 1434 ; mais la résistance durera jusqu’en 1452.
Les Hussites, sous la conduite de Procope, ravagèrent, inondèrent de sang l’Allemagne, pillant, brûlant les églises, massacrant les prêtres, et proclamant la liberté et l’égalité sur leur passage en Autriche ainsi qu’en Moravie. Aucune armée n’osait plus tenir la campagne devant ces terribles sectaires : la division se mit heureusement entre eux, et deux partis bien prononcés, se formèrent, sous le nom de modérés et d’enthousiastes. La noblesse, que l’ambition, la cupidité, le désir de partager les dépouilles du clergé avoient jeté dans leurs troupes, alarmée à son tour pour sa propre existence, tremblant d’être rangée sous le niveau de l’égalité, implora le secours de Sigismond, tout à la fois empereur d’Allemagne et roi de Bohême ; les enthousiastes furent vaincus, et leur chef Procope tué : le concile de Bâle gagna un grand nombre d’Hussites ; les plus obstinés propagèrent dans l’ombre leur doctrine, que le moine Martin Luther recueillit ensuite, pour en distiller le venin contre les papes.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
vers 1420
En Italie, l’ardeur humaniste exalte la liberté et la démocratie : Nous abhorrons la domination d’un seul ; nous ne voulons pas servir à la puissance d’un petit nombre. Nous voulons la liberté, égale pour tous, obéissant seulement aux lois, délivrés de la crainte d’un homme. L’espoir de conquérir les honneurs et de s’élever est égal pour tous, à condition que viennent à l’aide l’activité, le talent, la conduite personnelle. Notre cité demande en effet vertu et probité à ses citoyens, et elle estime digne de gouverner l’État quiconque possède ces qualités. Elle hait la superbe et le caractère hautain des grands. Voilà la vraie liberté, voilà l’égalité des citoyens : ne craindre la violence ou l’injustice de personne, jouir de droits égaux, pouvoir également aspirer au gouvernement de l’État. Et cela n’est compatible ni avec la seigneurie d’un seul, ni avec la domination de quelques privilégiés.
Leonardo Bruni. 1370-1444
Ce beau manifeste tout à la gloire de la civilisation urbaine d’Italie ne peut avoir de réalité que si l’on parvient à nourrir tout ce monde rassemblé dans les villes : si, des 3 cultures fondamentales du monde méditerranéen, l’huile et la vigne ont été de toujours suffisantes, il n’en va pas de même de la troisième, le blé, souci constant dont se préoccupent toutes les correspondances, tous les responsables. La récolte va-t-elle être bonne ? Les réserves pourront-elles être réapprovisionnées ? C’est qu’il faut aller parfois bien loin pour en trouver : Mer Noire, Égypte, Thessalie, Sicile, Albanie, Pouilles, Sardaigne, Aragon, Andalousie : le blé de mer est une expression courante à Venise, Naples, Florence, Gênes, Rome, Florence : c’est environ un million de quintaux de blé qui est transporté chaque année sur mer.
Les Hussites n’ont pas digéré le concile de Constance : Le concile de Constance s’est rendu coupable d’avoir appelé nos ennemis naturels, tous les Allemands qui nous entourent, à une lutte injuste contre nous, bien qu’ils n’aient aucune raison de se dresser contre nous, sinon leur inapaisable fureur contre notre langue.
Manifeste hussite
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[1] Les premiers banquiers exerçaient leur activité sur un banc. Lorsqu’ils faisaient faillite, on cassait leurs bancs. Casser en italien, c’est rotta : cela donnait une banca rotta : notre banqueroute.
[2] Il semblerait qu’enfant, le petit Ruy n’ait jamais entendu parler des éléphants d’Hannibal qui ont traversé l’Espagne du sud au nord, quelque seize siècles avant qu’il ne soit né. Pour un enfant de la noblesse madrilène, cela paraît bien curieux.
[3] On mettra cette affirmation sur le compte d’une lecture trop rapide de ses sources : il est préférable de s’en tenir au récit de Françoise Audran, qui laisse une part plus belle à l’intelligence des Anglais : gardons en vie ceux qui valent leur pesant d’or. Et comment ces morts auraient-ils pu rester droits comme des statues de l’île de Pâques alors qu’ils étaient tombés de cheval ? On pourrait en parler à Bartabas, il devrait avoir son avis… Allons allons Monsieur Teulé, essayez donc de rester au moins dans le vraisemblable. Les Anglais se souviennent tellement bien de cette affaire qu’ils ont déjà donné ce nom à cinq de leurs navires et que le sixième à se nommer Azincourt sera un sous-marin atomique. Après la gare de Waterloo, la coupe sera bien pleine. Mais on serait mal placé pour s’en indigner, avec nos ponts, gares, avenues d’Austerlitz, de Wagram, d’Eylau, de Iéna, d’Arcole, etc…
[4] Jean Raspail, écrivain prolifique né en 1925, essentiellement connu pour Le camp des Saints sorti en 1973, a écrit en 1995 L’anneau du pêcheur dont le fond historique est ce schisme de la papauté. Il a effectué d’importantes recherches et il est assez aisé dans son roman de faire la part entre ce qui s’est réellement passé et le roman. Ces papes d’Avignon auraient mis beaucoup plus longtemps à renoncer à se prétendre chef de l’Église Catholique. Que faut-il pour être pape ? des cardinaux qui vous élisent et donc, ils en nommèrent de façon à avoir un successeur ; ainsi à Clément VIII aurait succédé Benoît XIV – Bernard Garnier – 1428-1430, élu à Villefranche de Rouergue, Benoît XIV – Jean Carrier – 1430-1437, élu à Rodez, Benoît XV – Pierre Tifane, élu près de Rodez, cardinal de Tibériade, Benoît XVI, – Jean Langlade 1470-1499, cardinal de Césarée. Certains les nommeront la petite Église du Viaur.
[5] Fils d’un chef musulman tué par les Chinois lors d’une conquête, il avait été fait prisonnier des Chinois alors qu’il était enfant, et castré, au service de son maître quand il n’était encore que prince impérial.
[6] Au XV° siècle, du vivant de Jeanne d’Arc, la paroisse était divisée en deux parties : l’une dépendait du comté de Champagne, française, l’autre du Barrois mouvant. La jeune Jeanne d’Arc aimait se rendre en la chapelle de Bermont, près de Greux, pour prier, comme à l’église de Domrémy où elle avait reçu le baptême. […] Domrémy – ou du moins la partie dans laquelle se trouvait la maison de Jeanne d’Arc, à savoir la partie nord du village – fut exempté d’impôts par Charles VII après son couronnement lors de l’anoblissement de Jeanne d’Arc. En 1571, le village de Domrémy fut officiellement rattaché à la Lorraine et perdit le privilège (le duché de Lorraine relevait du Saint Empire romain germanique). Il fut rattaché au royaume de France près de deux siècles plus tard sous Louis XV. En revanche, le village de Greux demeura territoire français et conserva le privilège jusqu’en 1766. La paroisse de Domrémy devint en 1578 Domrémy-la-Pucelle. Elle passa au statut de commune à la Révolution française.
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