Juillet 1816 à 1822. Naufrage de la « Méduse ». Légende napoléonienne. Champollion. 17916
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Publié par (l.peltier) le 20 octobre 2008 En savoir plus

2 07 1816

Naufrage de la Méduse

Les Anglais occupaient le Sénégal depuis 1809. Le traité de Vienne demandait la restitution de cette colonie à la France, en conséquence de quoi le ministère de la Marine avait monté une expédition, forte de 4 navires : la frégate Méduse, la corvette Écho, la flûte Loire et le brick Argus. Et le 20 juin 1816, la Méduse appareille de Rochefort, avec, à son bord, 400 passagers et hommes d’équipage. Commandant cette flotte et la Méduse, Duroy de Chaumareys, choisi pour ses fidélités royalistes plus que pour ses qualités de marin. Outre la mission principale, quelques autres, plus ou moins officielles : exploration de l’intérieur du pays, via le fleuve Sénégal, implantation d’un bagne sur les îles du Cap Vert.

Le 1° juillet, de Chaumareys croit avoir déjà dépassé le cap Blanc (à proximité de l’actuel port mauritanien de Nouadhibou), juste au nord du banc d’Arguin, banc dont les informations marines recommandent de se méfier, d’autant qu’il est très mal connu. Au sud, le banc d’Arguin se termine au cap Timiris. Après avoir mis le cap sur le sud, sud-ouest, il croit donc dépassée la zone dangereuse, et, se retirant dans sa cabine, demande à l’officier de quart de reprendre un cap sud, sud-est, et de cesser les sondages qui ralentissent le navire.

Le 2 juillet vers 14 h, l’officier de quart, ayant noté un changement dans la couleur de l’eau, prend sur lui de sonder à nouveau… les fonds sont hauts, beaucoup trop hauts pour que la Méduse puisse y naviguer… et peu après, les 400 passagers ressentent 3 grosses secousses : le bateau a talonné et il est stoppé net : c’est l’échouage par 5 mètres de fond. Les autres navires sont loin, invisibles. La terre la plus proche, l’île Tidra, elle-même voisine de la côte, est à 54 km au sud-est. La Méduse est échouée par 19°56′ N et 16°59′ O [1].

Pendant 3 jours, l’équipage va tenter différentes manœuvres pour se sortir de là : mise à la mer de la drome [2], des sacs de farine, etc… mais on n’a pas préparé, ni entrepris la manœuvre la plus importante, connue de tout marin expérimenté : se débarrasser, et le plus vite possible, des canons, les pièces les plus lourdes : il y en a tout de même quatorze, de 2 060 kg chacun, qui seront regroupés bâbord avant. On craignait que, posés sur le fond, ils ne crèvent la coque. Rien ne réussira. Cinq embarcations – trois canots, deux chaloupes – sont mises à la mer on fabrique avec la drome un radeau de 20 mètres sur 7, soit environ 140 m². Cela ne suffit pas pour embarquer tout le monde et le 5 juillet, les cinq embarcations, avec 233 passagers au total – 42, 28, 88, 25 et 15 quittent le navire, prenant en remorque le radeau sur lequel s’entassent 152 passagers, membres d’équipage : 17 hommes, ivres, refusent d’embarquer et restent donc sur l’épave ; 12 d’entre eux vont fabriquer un autre radeau avec les bois encore disponibles.

Le remorquage du radeau par les canots empêche la progression de ces derniers : le radeau est composé de bois presque aussi denses que l’eau :  il s’enfonce sous le poids des passagers, qui ont de l’eau jusqu’aux cuisses ; c’est mission impossible que d’avancer avec un tel poids à remorquer ; l’histoire prête au second de la Méduse, Reynaud, d’avoir donné l’ordre de larguer l’aussière qui les reliait au radeau : nous les abandonnons.

2 canots parviendront à St Louis du Sénégal, 3 jours plus tard, les 3 autres regagneront la côte plus rapidement, y déposant ceux qui le souhaitaient : ceux-là mettront 3 semaines pour rejoindre St Louis, à 450 km au sud, livrés au bon vouloir des pillards maures.

Le 17 juillet, l’Argus, parti à la recherche de l’épave, trouvera par hasard les 15 naufragés survivants du radeau, sur les 152 – à 90 milles au sud du lieu du naufrage. Parmi eux, Savigny, le jeune chirurgien de la marine, Corréard l’explorateur, Coudein, l’officier en charge du commandement grièvement blessé dès le départ, le charpentier Touche Lavillette, le boulanger Canguillen, Dupond, Griffon du Bellay… 138 morts de soif, de faim, de folie, de suicide par noyade et de combats fratricides ; les malheureux s’étaient vus contraints à l’anthropophagie, ils jetaient à la mer les agonisants, sans même attendre leur mort, gagnant ainsi quelques rations de vin. Pendant 13 jours, ils ne purent prendre que quelques poissons.

Le 26 août, Reynaud reviendra sur l’épave, sur laquelle il retrouvera 3 survivants à moitié fous, 52 jours après son abandon. Sur les 17 hommes qui étaient restés, 12 avaient construit un autre radeau et tenté de rejoindre la côte : on ne les revit jamais.

Le 13 septembre, Savigny, le jeune chirurgien rescapé du radeau, de retour en France, remet son rapport au ministre de la marine, mais a la désagréable surprise de le voir en même temps publié par le Journal des débats : il en avait laissé une copie au commandant du navire qui l’avait ramené en France… c’est le scandale, d’autant qu’il rapporte ce qu’il a vu et entendu de Reynaud : abandonnons-les, en coupant l’aussière qui reliait le radeau au canot. L’impair lui met à dos le ministère de la Marine et il préfère démissionner.

Duroy de Chaumareys arrive à Rochefort le 27 décembre : il est rapidement traduit en conseil de guerre : condamné à 3 ans de prison militaire, il connaîtra le fort de Ham, (qui aura un peu plus tard comme pensionnaire le futur Napoléon III), et finira sa vie dans son château du Limousin.

En 1817, Savigny et Corréard publient leur livre : Naufrage de la frégate La Méduse faisant partie de l’expédition du Sénégal en 1816, par J.B. Savigny et A. Corréard, tous deux rescapés du radeau. Grand succès.

Le récit de Savigny mettait en cause trop d’officiers de cette expédition, ainsi que le gouverneur pour être pris comme du bon pain : il sera donc attaqué. Le récit pèche pour le moins par manque d’explications, faute de quoi on est tenté de parler d’invraisemblance : ainsi, une fois le drame terminé, des navires retournèrent à plusieurs reprises sur l’épave de La Méduse pour espérer y trouver l’argent emporté pour l’expédition et en rapporter les vivres et réserves d’eau et de vin qui s’y trouvaient encore ; or les 17 naufragés qui y étaient restés, devenus 5 après le départ de 12 d’entre eux sur un deuxième radeau de fortune, étaient devenus quasiment fous de soleil, de chaleur de soif et de faim. Comment donc, pendant 52 jours, n’ont-ils pu avoir accès à ces vivres et à ces boissons, quand les équipages d’autres navires y sont parvenus, après leur départ ?

Quatre goélettes partirent de St Louis, et, en peu de jours, parvinrent à leur destination. (… l’épave de La Méduse. ndrl) Elles rapportèrent dans la colonie une grande quantité de barils de farine, de viandes salées, de vin, d’eau-de-vie, de cordages, de voiles, etc, etc.

Deux autres récits, venant s’opposer au précédent sur les points sensibles, sortiront par après : celui de M. d’Anglas de Praveil, lieutenant au bataillon du Sénégal, embarqué sur la grande chaloupe de 88 passagers, qui débarqua sur la côte près du cap Mirik avec 62 autres compagnons et qui regagnèrent, pratiquement captifs des Maures, St Louis, et celui de Paul Charles Léonard Alexandre Rang des Adrêts, dit Sander Rang, enseigne de vaisseau à bord de La Méduse, qui ne fût publié qu’en 1946, l’auteur n’ayant fait que prendre des notes sans jamais aller au bout de son projet.

L’étrangeté de ces trois récits en regard de notre sensibilité actuelle aux sources tient en ce que chacun d’eux fait une relation complète du désastre, comme si, par enchantement, il avait pu passer sans aucune difficulté d’un canot à une chaloupe, puis sur le radeau, puis sur l’épave, puis sur la côte, en recueillant les témoignages de tous. Aucun d’entre eux n’éprouve le besoin d’utiliser de temps à autre la formule : selon ce qu’il m’a été rapporté…

Sonhando, escrevendo e imaginando: A jangada da Medusa

Le radeau de La Méduse. Géricault. 1819.

9 07 1816 

L’Argentine proclame son indépendance définitive au Congrès de Tucuman. Argentine, car la première route de l’argent du Potosi passait par le Rio de la Plata. Rivadavia sera son premier président, du 8 février 1826 au 9 août 1827. Depuis 1821, ministre des Relations Extérieures des Provinces-Unies du Río de la Plata, il avait persuadé en mai 1824, le gouvernement de la province d’autoriser un emprunt d’un million de livres pour effectuer des travaux publics (modernisation du port de Buenos Aires) qui ne furent jamais effectués. Les titres provinciaux furent vendus à Londres par la Baring Brothers Bank, et par des agents de change locaux et britanniques installés à Buenos Aires.

Ce fut la plus mauvaise affaire que l’on puisse imaginer, et constitua le début de l’endettement extérieur du pays. Du million original, le gouvernement de Buenos Aires n’en reçut jamais que 552.700. L’argent récolté fut prêté à son tour à des hommes d’affaires qui ne le remboursèrent jamais. En 1825, la dette de la province fut transférée à la nation et son remboursement final n’intervint qu’en 1904, c’est-à-dire que cette affaire empoisonna tout le XIX° siècle argentin.

Wikipedia

Il est terriblement difficile de se défaire d’une mauvaise habitude et l’Argentine ne parviendra jamais à se défaire de cette addiction à l’emprunt.

              27 09 1816                  

C’est cela même, le travail est mon élément ; je suis né et construit pour le travail. J’ai connu les limites de mes jambes, j’ai connu les limites de mes yeux ; je n’ai jamais pu connaître celles de mon travail. Aussi j’ai manqué tuer ce pauvre Méneval ; j’ai été obligé de le faire relever et de le mettre en convalescence auprès de Marie-Louise, chez laquelle son emploi n’était plus qu’une véritable sinécure.

                  29 09 1816                     

Vous voulez connaître les trésors de Napoléon ? Ils sont immenses, il est vrai ; mais ils sont exposés au grand jour. Les voici : le beau bassin d’Anvers, celui de Flessingue, capables de contenir les plus nombreuses escadres et de les préserver des glaces de la mer ; les ouvrages hydrauliques de Dunkerque, du Havre, de Nice ; le gigantesque bassin de Cherbourg ; les ouvrages maritimes de Venise ; les belles routes d’Anvers à Amsterdam, de Mayence à Metz, de Bordeaux à Bayonne ; les passages du Simplon, du Mont-Cenis, du Mont-Genèvre, de la Corniche, qui ouvrent les Alpes dans quatre directions ; dans cela seul vous trouveriez plus de huit cent millions.

Les routes des Pyrénées aux Alpes, de Parme à la Spezzia, de Savone au Piémont ; les ponts d’Iéna, d’Austerlitz, des Arts, de Sèvres, de Tours, de Lyon, de Turin, de l’Isère, de la Durance, de Bordeaux, de Rouen ; le canal qui joint le Rhin au Rhône, unissant les mers de Hollande avec la Méditerranée ; celui qui unit l’Escaut à la Somme, joignant Amsterdam à Paris ; celui qui joint la Rance à la Vilaine ; le canal d’Arles, celui de Pavie, celui du Rhin ; le dessèchement des marais de Bourgoing, du Cotentin, de Rochefort ; le rétablissement de la plupart des églises démolies pendant la Révolution, l’élévation de nouvelles ; la construction d’un grand nombre d’établissements d’industrie pour l’extirpation de la mendicité ; la construction du Louvre, des greniers publics, de la Banque, du canal de l’Ourcq ; la distribution des eaux dans la ville de Paris, les nombreux égouts, les quais, les embellissements et les monuments de cette grande capitale ; les travaux pour l’embellissement de Rome ; le rétablissement des manufactures de Lyon. Cinquante millions employés à réparer et à embellir les palais de la couronne ; soixante millions d’ameublements placés dans les palais de la couronne en France, en Hollande, à Turin, à Rome ; soixante millions de diamants de la couronne, tous achetés avec l’argent de Napoléon ; le Régent même, le seul qui restât des anciens diamants de la couronne de France, ayant été retiré des mains des juifs de Berlin auxquels il avait été engagé pour trois millions ; le Musée Napoléon estimé plus de quatre cents millions.

Voilà les monuments qui confondront la calomnie ! L’histoire dira que tout cela fut accompli au milieu de guerres continuelles, sans aucun emprunt, et même lorsque la dette publique diminuait tous les jours.

   21 10 1816                    

Après tout, Madame de Staël est une femme d’un très grand talent, fort distinguée, de beaucoup d’esprit : elle restera. Il est sûr que si elle m’eût adopté, au lieu de me dénigrer, ainsi qu’elle l’a fait, j’y eusse pu gagner.

30 10 1816                

J’ai été gâté, il faut en convenir ; j’ai toujours commandé ; dès mon entrée dans la vie je me suis trouvé nanti de la puissance, je n’ai plus reconnu ni maîtres, ni lois.

             6 11 1816                          

Oh ! pourquoi cet homme [Suffren] n’a-t-il pas vécu jusqu’à moi, ou pourquoi n’en ai-je pas trouvé un de sa trempe, j’en eusse fait notre Nelson, et les affaires eussent pris une autre tournure, mais j’ai passé tout mon temps à chercher l’homme de la marine sans avoir pu le rencontrer. Il y a dans ce métier une spécialité, une technicité, qui arrêtaient toutes mes conceptions. Proposais-je une idée nouvelle, aussitôt j’avais Ganteaume sur les épaules et la section de Marine. – Sire, cela ne se peut pas. – Et pourquoi ? — J’étais arrêté tout court. Comment continuer la discussion avec ceux dont on ne parle pas le langage. Combien de fois, au Conseil d’État, leur ai-je reproché d’abuser de cette circonstance ! À les entendre, il eût fallu naître dans la marine pour y connaître quelque chose.

J’eus beau me débattre, il me fallut céder à leur unanimité, en les prévenant toutefois que j’en chargeais leur conscience.

Napoléon. Vie de Napoléon par lui-même. Compilation d’André Malraux Gallimard 1930

Certes, Napoléon souffrait du mal de mer [3], mais, après tout, César aussi, et même Nelson… et bien d’autres que lui soulignèrent l’identité bien particulière des marins : Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer. Platon

La langue des matelots n’est pas la langue ordinaire : c’est une langue telle que la parlent l’océan et le ciel, le calme et la tempête. Vous habitez un univers d’eau parmi des créatures dont le vêtement, les goûts, les manières, le visage, ne ressemblent point aux peuples autochtones : elles ont la rudesse du loup marin et la légèreté de l’oiseau ; on ne voit point sur leur front les soucis de la société ; les rides qui les traversent ressemblent aux plissures de la voile diminuée, et sont moins creusées par l’âge que par la bise, ainsi que dans les flots. La peau de ces créatures, imprégnée de sel, est rouge et rigide, comme la surface de l’écueil battu de la lame.

Chateaubriand. Les Mémoires d’Outre-tombe. Livre sixième Châpitre II

Si tu veux apprendre à prier, va sur la mer.

Cervantes. Don Quichotte de la Manche, dit par Sancho Pança

Qui ne sait pas prier doit aller en mer ; et qui ne sait pas dormir doit aller à l’église

Proverbe danois

Oh ! J’ai compris très vite : il ne faut pas embêter les marins, alors je m’applique simplement à ne jamais avoir soif, jamais avoir chaud ou froid, jamais avoir le mal de mer, jamais demander à me laver ; c’est tout, je me débrouille, quoi !

Anita Conti [1899-1997], alors surnommée La Dame de la mer, répondant à Yves La Prairie, président du CNEXO, dans les années 1980.

1816

Abrogation du divorce. Un traitement à l’arsenic permet de prolonger indéfiniment la vie du cuir : c’est l’ouverture d’un marché considérable pour la très importante production de cuir d’Argentine.

Joseph Martin Bürgi Ulrich ouvre une auberge sous le sommet du Rigi, qui, à 1800 m, domine le lac des Quatre Cantons, en Suisse et offre un splendide panoramique sur toutes les Alpes. Le pasteur Fassbind ne goûte guère l’affluence des touristes : Depuis 1810, le nombre de voyageurs dans les montagnes, en particulier de personnes non catholiques, a tellement augmenté que ceux-ci repoussent le pèlerin fervent, d’autant que les aubergistes préfèrent les riches luthériens aux pauvres pèlerins.

Mais il en faudrait plus pour arrêter le succès : un hôtel complétera l’auberge en 1847, et encore un autre, véritable usine à touriste dix ans plus tard : le Rigi est devenu le haut lieu du tourisme alpin. Le succès est tel qu’il entraînera la construction du premier train à crémaillère d’Europe ; il sera terminé en 1873, et l’année suivante, on construira encore un palace de plus ; c’est la grande époque des hôtels belvédères.

Première compagnie américaine de paquebots à voile : la Blackball reliant New York à Liverpool. Suivront la Redstar, puis, en 1837, la Swallow Taill, qui touchait Londres et Le Havre chaque semaine. Ces paquebots aux lignes de plus en plus effilées – on les nommera clippers, du verbe clip : couper – parviendront à relier Le Havre à New York en 18 jours.

12 02 1817   

Sous le commandement du général argentin Juan José de San Martin y Matorras, les troupes argentines battent à Chacabuco, au Chili, les troupes royalistes du général Maroto. Parties de Mendoza, sur le piedmont oriental des Andes, dont San Martin était le gouverneur, l’Armée des Andes, grossie de volontaires chiliens, 4 000 hommes en tout, franchit la cordillère en six points différents, dont la passe d’Uspallata, à 4 200 mètres d’altitude.

12 07 1817  

Le baron allemand Karl-Friedrich Christian Ludwig Drais von Sauerbroon, assis à califourchon sur un bâti en bois à timon conducteur reliant deux roues à huit très forts rayons, parcourt 14,4 km en une heure, la propulsion étant assurée par les pieds sur le sol [notre trottinette…celle qui marche à l’huile de coude, pas électrique]. On l’appellera communément draisienne, mais, sitôt brevetée, elle prendra le nom de vélocipède, car à même de faire marcher une personne avec une grande vitesse. Le 4 avril 1818, il présentera à Paris sa Laufmaschine – machine à courir -.  La draisienne – version 1817 –  possède deux roues alignées, reliées à un cadre en bois par des fourches, la roue avant pouvant pivoter latéralement, et elle est équipée d’un rudimentaire frein à sabot sur la roue arrière. Elle remporte un succès d’estime.

Fichier:Bicycle evolution-fr.svg — Wikipédia

La draisienne modifiée (ca. 1820), le premier « deux-roues ».

Draisienne à Paris en 1818 (gravure)

Crystal Palace, exposition de cycles en février 1889.

10 1817

Ignace Venetz, ingénieur des Ponts et Chaussées suisses, employé par le canton du Valais connaît bien de par son expérience du terrain les problèmes glaciaires suisses et constate l’augmentation des volumes glaciaires, effet du petit âge glaciaire ; ce qui l’amène à proposer une théorie alors très novatrice avec l’existence par le passé d’âges glaciaires. La théorie s’affinera plus tard jusqu’à en trouver quatre.

1817  

Débuts de l’éclairage au gaz à Paris. Philippe Lebon, ingénieur des Ponts et Chaussées, avait mené sous le consulat des expériences décisives. Après sa mort, Winsor, un ingénieur allemand émigré en Angleterre avait vulgarisé ses travaux et s’était installé à Paris en 1816, commençant par installer ce nouveau procédé dans le passage du Panorama, et faisant construire une usine à gaz derrière la fontaine Médicis. C’est en 1822 que le gouvernement décidera que les rues de Paris seraient désormais éclairées au gaz, à mesure que les anciens contrats d’éclairage à huile viendraient à expiration. Cet éclairage au gaz mettra fin à des petits métiers tels que les porte-falots, à la mauvaise réputation : l’éclairage à huile laissait des zones d’ombre, d’où l’existence de ces porte-falots qui se louaient à des particuliers pour éclairer leur itinéraire. On disait leur escorte dangereuse car cachant parfois le complice de quelque guet-apens. S’ils protègent les gens tranquilles, ils sont le fléau de toutes les personnes suspectes dont ils dénoncent infailliblement les démarches à la police.

*****

Il y a du charme, je vous jure, à faire résonner le talon de ses bottes […] sur les trottoirs déserts, le long des portes fermées, à la lueur très incertaine des bacs de gaz, et de chasser devant soi des bataillons de chats qui chassent devant eux des bataillons de rats.

Alfred Delvau, en 1860

Création de l’Institut Cartographique National. Une ordonnance royale vient confirmer la suppression de la traite des Noirs. Frédéric Chopin donne dans les salons de Varsovie ses premières polonaises : il a 7 ans. Sa mère est polonaise, et son père a définitivement quitté sa France natale dès l’âge de 16 ans.

Le génie de Chopin est le plus profond et le plus plein de sentiments et d’émotions qui ait existé. Il a fait parler à un seul instrument la langue de l’infini.

George Sand. L’Histoire de ma vie

Près de 150 ans plus tard, Magdeleine Hours, conservateur au Louvre entendra encore parler à Nohant de George Sand et de Frédéric Chopin : L’été suivant, j’allais en Berry chez ma mère chercher mon fils aîné, et nous arrivâmes à Nohant pour déjeuner. La petite place était bien telle que je l’avais imaginée, rustique et charmante. Je sonnai à la maison de la Bonne Dame. Mais la gardienne me répondit qu’il n’était pas possible de visiter avant deux heures. Le petit Antoine avait faim et réclamait le restaurant promis. C’est alors que la gardienne me dit : Vous avez une bonne auberge sur la place même, face à l’église. J’y fus, mais il était tard et l’aubergiste fit quelques difficultés à nous accueillir. Cependant, elle finit par accepter, sous réserve de prendre place à côté de deux dames pensionnaires d’un certain âge. Ce qui fut fait. À peine installés, la plus jeune des deux me dit : Vous êtes de Paris? Oui, répondis-je. Moi aussi, me dit-elle, je travaille au Louvre ! Stupéfaite, je lui dis : Moi aussi ! Oh! à quel rayon êtes-vous? Moi, je suis à celui des corsets ! Je souris et lui répondis que je n’étais pas au magasin qui portait alors ce nom, mais au musée. Un peu surprise, sa voisine prit la parole et m’expliqua qu’elle était de Nohant, petite-fille de la fermière qui habitait autrefois également sur cette place. Vous êtes venue voir la maison de madame Sand ? me dit-elle. Je lui répondis par l’affirmative et c’est alors qu’elle me précisa : Ma grand-mère a bien connu madame Sand. Dès qu’elle arrivait à Nohant, elle venait la voir car elle lui faisait des sanciau, – grosses crêpes salées – qu’elle aimait, et elle ajouta ce commentaire : Ma grand-mère aimait beaucoup madame Sand ; elle n’était pas fière, disait-elle, Monsieur Chopin, lui il était bien poli, mais avec sa musique la nuit, y réveillons la volaille. Je suis restée coite et lorsque nous sommes, peu après, allés visiter la maison, j’ai regardé avec attendrissement le plan incliné de bois permettant de tirer le soir le piano dans le jardin, sur lequel il composait les Nocturnes par les chaudes soirées et qui donnait lieu à des commentaires hauts en couleur dont on parlait encore plus d’un siècle après.

Magdeleine Hours. Une vie au Louvre. Robert Laffont 1983

Mort de Mme De Staël, fille de Necker – la gloire n’est que le deuil éclatant du bonheur -. Création du mandat. Le médecin anglais James Parkinson identifie les premiers symptômes de la maladie qui prendra son nom.

Le capitaine baleinier William Scoresby observe des conditions climatiques exceptionnellement douces sur la côte orientale du Groenland, qui lui permettent d’aborder des latitudes jusque là fermée aux navigateurs, entre 72°N et 74°N : le redoux qui entraîna cette débâcle ne sera jamais expliqué. Il a aussi observé que les baleines passent de l’Atlantique au Pacifique… si les baleines passent, puisqu’elles doivent venir en surface pour respirer, on doit pouvoir passer en bateau. Scoresby, qui a aussi un bon bagage scientifique, demande à l’amirauté le commandement d’une expédition… qui lui est refusé, puisqu’il n’est pas de la maison. Mais la dite amirauté met à profit ses informations pour organiser les premières expéditions polaires à l’assaut de ce fameux passage du nord-ouest : si une route commerciale pouvait se mettre en place de ce coté, elle évitait les deux routes fréquentées jusqu’alors pour rejoindre la Chine : le cap Horn, ou le cap de Bonne Espérance.

Ces perspectives hantaient John Barrow, secrétaire de l’Amirauté, grand voyageur, auteur d’une Histoire des explorations polaires, et plus tard fondateur de la Société royale de géographie. Barrow réussit à émouvoir le parlement anglais qui vota une récompense de 5 000 livres sterling offerte au premier navigateur qui franchirait 110° ouest en partant au nord de l’Amérique et 1 250 livres à quiconque, faisant route au nord, dépasserait 89° de latitude nord. Il s’agissait donc d’une part de relier les tracés relativement connus de la mer de Baffin et de la baie d’Hudson aux jalons posés par Hearne (1770) et Mackenzie (1789) sur la côte nord-ouest du Canada, et pratiquement, d’autre part, d’atteindre le pôle. Cette prime réveilla l’esprit de compétition, et des expéditions furent aussitôt préparées ; d’ailleurs les conditions de la banquise semblaient s’améliorer ; 1817 avait été marqué par une exceptionnelle débâcle d’icebergs et il était notoire que baleiniers et phoquiers avaient été plusieurs fois entraînés dans le pack jusqu’à 83 ou 84° nord au-delà du Spitzberg.

Paul Emile Victor. Les Explorateurs NLF 1955

En fait, les choses ont du être un peu plus complexes, car, dès la fin du XVI° siècle, aucune expérience de marin n’était venu conforter la vieille légende d’un pôle nord en eaux libres, avalisée au XVII° siècle par le géographe hollandais Plancius. On savait que ces régions étaient prises sous les glaces une bonne partie de l’année, et donc impropres à une navigation marchande classique… et cela n’a aucunement mis un terme aux expéditions : rivalités de puissance, egos surdimensionnés… comme toujours depuis que le monde est monde, mais tout cela réalisé en pure gratuité… pour la gloire. Après tout, les alpinistes n’ont pas le monopole du beau nom trouvé par Lionel Terray, [ou par son éditeur] les conquérants de l’inutile. Il faudra attendre le XXI° siècle pour que, réchauffement planétaire aidant, on trouve un passage au nord-ouest comme au nord-est entièrement libre de glace une bonne partie de l’année : ces déserts blancs deviendront alors l’objet des convoitises des pays riverains, avec deux atouts majeurs : des réserves potentielles considérables de pétrole et de gaz, et de nouvelle routes commerciales présentant une diminution considérable des distances jusque là parcourues :  Hambourg- Vancouver via Panama fait 17 000 km ; si on passe par le détroit de Behring au lieu de Panama, la distance passe à 14 000 km. De l’autre coté, Tokyo-Londres fait 21 000 km par Suez ; en passant encore par le détroit de Behring au lieu de Suez, cela devient 14 000 km … un tiers en moins !  de quoi agiter durablement les états majors des compagnies maritimes.

Bien sûr tout est toujours affaire de point de vue : en l’occurrence on a exposé ici que des arguments de peuples marins pour lesquels des eaux libres sont un facteur de développement. Pour des Esquimaux de l’après-guerre, il n’en va pas de même : Le gel a une importance capitale dans l’Océan Glacial. Car la mer, là-haut, est le chemin qui relie entre eux les  camps, les familles. C’est l’habitat de l’Eskimo, le terrain sur lequel il bâtit son iglou et vit la plus grande partie de l’année. C’est pour lui la route, car, sur la surface lisse et dure de la mer, les patins du traîneau glissent mieux que sur la terre bosselée et inégale. C’est le terrain de chasse qui fournit la provende, non seulement pour le présent, mais pour les futurs mois maigres. Terrains de chasse ? Que dis-je ! Pâturage, grenier, verger – au sens figuré du mot – car les produits de la mer sont les articles les plus courants de la consommation eskimaude, alors que le renard, sur la terre ferme, est un simple article de commerce, un luxe, et non l’essentiel de l’existence. C’est  la terre, parce que là-dessus l’Eskimo bâtit de préférence son iglou. Sur la glace, qui elle-même repose sur l’eau – il se trouve plus au chaud que sur le sol gelé.

Mais cette congélation de la mer ne se fait pas en une fois. Je l’observe attentivement. La mer résiste, se débat. Le vent vient au secours de l’eau ; et sous son effort, le miroir granuleux se brise et craque de toutes parts. De nouveau la mer est libre et les vagues mordent le rivage.

Puis cela recommence. Quelque chose de plus puissant que la mer est en train de vaincre son agitation, son impétuosité. C’est une lutte de géant, dont l’un écume, se débat, tandis que l’autre, progressivement, l’étouffe et  resserre autour de lui son étreinte. C’est un corps à corps où l’eau et la glace sont emmêlées. Le vent souffle fort, mais déjà ce sont des vagues de glace qu’il pousse.

Le combat dure quatre ou cinq jours. La mer redouble d’efforts pour se libérer, lançant vague sur vague contre la glace, déjà prise le long du rivage. Mais peu à peu elle cède. Les vagues meurent sur place ; elles s’arrêtent en l’air, défaites, pétrifiées.

Un matin, il n’y a plus au large qu’une flaque d’eau libre, d’un vert sombre presque noir, d’où émerge un phoque, puis un autre. Le lendemain, la flaque n’y est plus ; seuls restent les différentes teintes de la glace pour attester les phases de la lutte. Je vois les Eskimos s’aventurer sur la glace, l’éprouvant du talon, puis traverser la baie, marquant ainsi l’avènement de la plus grande des saisons.

Gontrand de Poncins. Kablouna. Stock 1947

Début des travaux de correction du cours du Rhin sur la partie du territoire du Grand Duché de Bade, sous la direction de Johann Tulla, 47 ans  ingénieur en chef du duché de Bade. Un fleuve, pour les riverains, c’est un peu comme un volcan : on sait qu’il est dangereux d’habiter près du cratère, mais les terres sont tellement généreuses qu’on accepte le risque ; près de l’eau, les ressources elles aussi sont nombreuses : pêche, terres riches, mais les crues, le plus souvent imprévisibles, apportent le malheur, souvent la mort. Les riverains pouvaient voir des cercueils sortis d’un cimetière par une crue en amont et descendre le fleuve au fil de l’eau…  On se défendait de ces crues par des fascines, [assemblage de joncs, bruyères entrainant la fixation de petits sédiments pour jouer finalement le rôle d’un barrage] disposées sur les berges pour les consolider.

Ce n’est pas la première fois qu’on effectue des travaux hydrauliques pour mettre un terme aux catastrophes fréquentes qu’entrainaient les crues du fleuve, dans son lit naturel, le plus souvent, comme tous les fleuves un peu paresseux, loin de leur source : c’était une succession de méandres dont le lit changeait, dont le cours variait, mais c’était la première fois que ces travaux sortaient du cadre communal, effectués au titre de la corvée et donc sans coût public pour les communes concernées. Johann Tulla intervenait en représentant l’ensemble du duché de Bade, avec un financement fourni par ce duché, à même de payer les hommes recrutés pour les travaux, de Bâle à Sondernheim  : c’était l’introduction de la notion, nouvelle, d’intérêt général, et évidemment celui-ci venait fréquemment s’opposer aux intérêts particuliers : pêcheurs, cultivateurs, fabricants de fascines, intérêts d’autant plus âprement défendus qu’ils allaient de pair avec les fléaux qu’il apportait : inondations ravageuses, paludisme etc… L’armée devra parfois intervenir.

Tulla s’était attelé à cet immense projet en pleines guerres napoléoniennes, qui, Dieu merci, avaient épargné le Grand Duché de Bade dont Napoléon s’était fait un allié en offrant Stéphanie de Beauharnais, parente par alliance par son père avec Joséphine, qu’il avait adoptée, en mariage avec Charles II de Bade, fils de Charles I°, margrave du Grand Duché. Mais  allié ne signifie pas pour autant la tranquillité : le grand duché avait dû fournir un contingent de soldats qui combattait aux côtés des Français lors de la campagne de Russie.

Les berges ne sont plus submergées que par les crues importantes, et le débordement est limité sur chaque rive par un système continu de digues de hautes eaux, situées parfois à plus d’un kilomètre en retrait des berges, submersibles uniquement pour des crues de fréquence de retour supérieur à 200 ans, constituées de gros blocs de pierre.  Les seules interruptions correspondent au débouché des affluents et sont protégées par des digues-tiroirs. Il y aura une crue importante en 1824, mais qui ne causera pas de dégâts. On verra la première ligne régulière de navigation fluviale, entre Rotterdam et Cologne en 1825, un pont en 1843.

Les travaux entrepris ont nettement amélioré la protection contre les crues mais ont eu pour effet d’augmenter très sensiblement la vitesse de l’eau. Le raccourcissement du lit entre Bâle et Lauterbourg de l’ordre de 14 % (soit 32 km) a provoqué une accélération de l’érosion du fleuve.

L'artificialisation du Rhin I. La rectification (1) Aux commencements …. - Le SauteRhinLe SauteRhin

en gris, le cours ancien …méandres, méandres. En rouge, le cours réalisé sous la direction de Tulla.

25 01 1818   

Pour être bon général, il faut savoir les mathématiques ; cela sert en mille circonstances pour rectifier les idées. Peut-être dois-je mes succès à mes idées mathématiques ; un général ne doit jamais se faire de tableaux, c’est le pire de tout. Mon grand talent, ce qui me distingue le plus, c’est de voir clair en tout ; c’est même mon genre d’éloquence, que de voir sous toutes ses faces le fond de la question. Le grand art des batailles est de changer, pendant l’action, sa ligne d’opérations ; c’est une idée de moi, qui est tout à fait neuve.

L’art de la guerre ne demande pas de manœuvres compliquées, les plus simples sont préférables ; il faut surtout avoir du bon sens. On ne comprend pas, d’après cela, comment les généraux commettent des fautes ; c’est parce qu’ils veulent faire de l’esprit. Le plus difficile est de deviner les projets de l’ennemi, de voir le vrai dans tous les rapports qu’on reçoit. Le reste ne demande que du bon sens, c’est comme un combat à coups de poing : plus on en donne, mieux cela vaut. Il est aussi nécessaire de bien lire la carte.

Napoléon. Vie de Napoléon par lui-même. Compilation d’André Malraux Gallimard 1930

12 02 1818  

Le Chili proclame son indépendance. La présidence en a été proposée à San Martin, qui l’a refusée. Ce fût O’Higgins, autre acteur majeur de l’indépendance qui devint président. Il faudra encore livrer bataille à Maip aux espagnols deux mois plus tard pour consolider cette indépendance.

2 03 1818  

Giovanni Battista Belzoni [re]découvre la chambre funéraire de la pyramide de Kephren. re …parce que le sarcophage de granite gris est vide et qu’une inscription au charbon indique la signature en 1 200 du sultan Ali Mohammed, fils de Saladin. Pour arriver là, Belzoni a du soulever une herse de granit particulièrement lourde. Mais cela n’est pas pour lui faire peur et lui rappelle ses débuts dans les foires d’Italie où il exhibait sa force en soulevant jusqu’à 12 personnes à la fois ! À ses moments perdus, il avait inventé un système d’irrigation qui l’avait mené en Égypte, où faute de trouver un financement pour le réaliser, il avait été embauché par Henry Salt, consul général du Royaume Uni, pour prélever les pièces lourdes de Gizeh !

18 04 1818   

John Ross et Edward Parry quittent l’Angleterre à bord de l’Isabella et de l’Alexander avec mission d’explorer le passage du nord-ouest ; les cartes marines étaient encore secrets d’État et John Ross a ordre de détruire ou mettre sous scellés les notes, croquis, journaux de bord de tout son équipage, et de se présenter à l’amirauté le jour même de son retour. Le 10 août ils atteignent 75°55’N, 65°32’O, le point le plus au nord alors jamais atteint par un blanc  Ils entrent dans le détroit de Lancaster jusqu’au cap Warrender. Se croyant engagé dans une voie sans issue, [ce qui était faux, car c’était bien là le passage du nord-ouest], John Ross décide de faire demi-tour, ce qui lui vaudra d’être réprimandé et mis à la retraite.

À ce point le plus nord jamais atteint par des Blancs, le capitaine Sabine avait découvert huit Inuit, qu’il nomme Arctic Highlanders : ils ne connaissaient ni le bois, ni le fer, – à l’exception du fer météoritique, présent surtout à Savigssivik -, ils ne connaissaient pas l’arc, le kayak, le foret à arc, ils ne mangeaient ni renne, ni saumon : ils sortaient de la préhistoire. John Ross est surpris de les trouver équipés de ces harpons et couteaux en fer, alors que les terres polaires, pauvres en ressources minérales, sans arbre ni charbon, ne permettent aucune métallurgie. Ross finira par comprendre que le métal de bonne qualité provient en fait d’une météorite exploitée par les Esquimaux. Une montagne de fer si précieuse qu’ils refusent de lui en indiquer la localisation.  De 1818 à 1883, cinq expéditions échoueront à trouver la trouver : c’est Robert Peary, qui, guidé par un Inuit, y parviendra en 1894, au cap York, au nord-ouest du Groenland : elle a percuté la Terre il y a environ 10 000 ans. Sa masse totale est estimée à 58,2 t, faite d’un alliage de fer météorique  : 92 % de fer,  8 % de nickel, avec des traces de germanium, gallium, et d’iridium.

À l’origine, trois masses de fer appartenant à la météorite sont connues des Inuits  : Ahnighito (la Tente), pesant 31 tonnes, la Femme, 3 tonnes, et le Chien, 400 kg. Pendant plusieurs siècles, les Inuits vivant près des météorites les utilisaient comme source de métal pour leurs outils et leurs harpons. Le fer était arraché de la météorite à coups de pierre de basalte, puis il était travaillé à froid. Martelé et ciselé, le métal devenait alors un outil redoutable pour la chasse aux phoques. En 1963, un 4e fragment important sera découvert par Vagn F. Buchwald près d’Agpalilik – l’Homme – elle pèse 20 t et sera exposée au Musée géologique de l’Université de Copenhague, au Danemark.

16 06 1818      
Débâcle glaciaire dans le Valais, en Suisse. S’il est une catastrophe qui reste inscrite dans la mémoire des Valaisans, c’est bien celle du Giétroz qui, en 1818, tua 44 personnes et causa de nombreux dégâts matériels le long de la Dranse jusqu’à Martigny. Le glacier du Giétroz, fruit de l’alliance des névés de la Ruinette et du mont Blanc de Cheillon, coule le long du mont Rouge du Giétroz dans la haute vallée de Bagnes terminant sa course par une pente de plus de 40 % sillonnée de crevasses. Tout au fond de la langue glaciaire, l’eau de fonte s’enfuit normalement par la Dranse jusqu’au Rhône. Lors de ce que l’on a appelé le petit âge glaciaire, entre 1300 et 1850, le glacier a causé plusieurs inondations connues sous le nom de canonnades du Giétroz. La langue de glace descendait jusqu’à l’emplacement du Mauvoisin actuel, créait un barrage naturel qui bloquait les eaux de la Dranse et formait un lac. Le réchauffement saisonnier et l’écoulement des eaux affaiblissaient la barrière de glace qui finissait par céder. Un phénomène naturel nommé débâcle glaciaire par analogie avec la fonte des grands fleuves qui coulent du sud au nord, en Sibérie par exemple. En 1549, une inondation détruisit plusieurs ponts dans la vallée. En 1595, la crue tua 140 personnes et anéantit 500 maisons. Les annales retiennent quelques autres inondations moins graves, notamment en 1640 et 1817. Signal d’alarme Dès 1805, des blocs de glace éparpillés apparaissent au pied de la cascade née sous la glace. La situation n’évolue guère jusqu’en 1811. Entre 1811 et 1818, les températures baissent et la neige tombe en abondance. Le glacier avance dans le vide et pousse les séracs au fond de la vallée. La glace mélangée à la neige des avalanches se ressoude et forme rapidement un glacier régénéré. Un amas gelé barre une fois de plus le cours de la Dranse qui parvient pourtant à se frayer un passage sous la glace. En 1817, le passage se bouche. Un lac se forme en amont. Une brèche s’ouvre le 27 mai 1817 sans causer de dégâts. Ce n’est qu’un répit d’un an. Le 16 juin 1818, à 16 h 30, 22 millions de mètres cubes d’eau se déversent d’un coup dans la vallée. Mandaté pour résoudre le problème, l’ingénieur cantonal Ignace Venetz avait pourtant bien senti le danger qui avait fait creuser une tranchée dès le mois de mai pour tenter d’évacuer les eaux qui s’accumulaient dangereusement dans un lac de 2 kilomètres de long et 60 mètres de profondeur gardé par une digue de 10 millions de mètres cubes de glace. Il espérait que l’eau, une fois arrivée au niveau de la galerie percée juste au-dessus de la surface du lac, allait agrandir cette dernière en s’y écoulant et que le lac se viderait de lui-même. Dans un premier temps, la tranchée de l’ingénieur permit l’évacuation du tiers des eaux du lac, soit 10 millions de mètres cubes. Puis la tranchée se creusa si rapidement que le lac se vida en une demi-heure. Les 22 millions de mètres cubes restants dévalèrent la vallée en un torrent furieux qui atteignit Martigny en une heure et demie. Le flot enragé tua 44 personnes dont 34 dans la cité. Aujourd’hui encore, le Giétroz reste sous étroite surveillance même si les risques de voir un nouveau barrage se former ont quasi disparu du fait du recul du glacier et de l’aménagement du lac artificiel qui absorbe les chutes de glace. Seule crainte, un énorme éboulement rocheux qui ferait déborder le lac par-dessus le barrage. Ce risque menace tous les lacs artificiels des vallées valaisannes et s’est dramatiquement concrétisé à Mattmark en 1965. [voir au 30 août 1965]

Le Nouvelliste 4 décembre 2014

29 07 1818

Création de la Caisse d’Épargne et de Prévoyance à Paris. La province suivra. Le produit vedette est le Livret A, à taux fixe, exempté de toute fiscalité : il est parti pour durer.

4 08 1818

Le comte Malczewski, polonais, remonte la Vallée Blanche avec six guides chamoniards et parvient au sommet du piton nord de l’aiguille du Midi, à 3 802 m, dans le massif du Mont Blanc.

3 11 1818

Le Fernando Primo, venant de Naples, fait escale à Marseille : c’est le premier navire à vapeur en Méditerranée : sa machinerie est anglaise, qui entraîne des roues à aube, et doit embarquer de grandes quantités de charbon. La marine à voile a devant elle encore quelques beaux jours.

25 12 1818 

Joseph Mohr, prêtre autrichien, compose et fait chanter :

Stille Nacht, heilige Nacht
alles schläft, einsam wacht
nur das traute hochheilige Paar.
Holder Knabe im lockigen Haar,
schlaf in himmlischer Ruh’,
schlaf in himmlischer Ruh’.

1818 

Les premières batteuses arrivent d’Angleterre et de Suède. Louis Jacques Thenard invente l’eau oxygénée. Gaspard Mollien remonte le fleuve Gambie jusqu’à sa source, dans le Fouta Djalon.

Le Jamaïcain Marcus Garvey est l’inspirateur d’un mouvement qui prône le retour des noirs de la diaspora à la patrie africaine : il fonde avec Jehudi Ashmun l’American Colonization Society, fondée en 1817. L’ACS avait obtenu du président des États-Unis, Monroe l’acquisition de terrains sur la côte des Graines – le futur Liberia – : financièrement, l’affaire tenait plus de l’escroquerie que du marché correct : pour quelque trois cents $ payés aux autochtones leur était octroyée le territoire du cap Mesurado, à l’embouchure du fleuve Saint Paul, soit une bande côtière de deux cents km de long sur soixante cinq de profondeur à l’intérieur des terres où commencèrent à s’installer rapidement cent quatre vingt un colons refoulés un peu plus tôt de Sierra Leone. Puis James Madison et Thomas Jefferson [4] installeront  le premier groupe d’anciens esclaves, qui seront vite en opposition avec les autochtones. Le chef de l’expédition, Robert Stockton, fort de l’achat effectué par le président Monroe, contraint le roi local à lui céder des terres, sur lesquelles il va installer de 1822 à 1892, plus de 16 000 esclaves affranchis, originaires essentiellement des plantations cotonnières de Virginie, Géorgie et Maryland, mais aussi 5 700 esclaves saisis sur des négriers.

26 02 1819  

À Vienne, Isère, on a annoncé l’installation d’une grande tondeuse, une machine qui effectue le tondage des draps, dernière étape avant la commercialisation ; ce travail était jusqu’alors manuel… la machine répète le geste de l’ouvrier, mais en fait dix fois plus dans le même temps. Les maîtres tondeurs se sont plaints auprès du maire de cette machine qui offre le pernicieux moyen de tondre, lustrer et brosser mille aunes de draps par douze heures, étant conduite par quatre hommes seulement. La machine est acheminée de Lyon sous la protection de la gendarmerie, avec force de subterfuges pour éviter les tondeurs en colère. Mais ceux-ci la trouvent et aux cris de à bas la tondeuse, la mettent en pièces et le tout part à la rivière. On va faire venir 800 soldats de Lyon et 100 cavaliers pour calmer tout ce monde. On a vu et on reverra ce genre de manifestations à Castres, Lodève, Saint-Pons, Chalabre, Limoux, Clermont l’Hérault.

05 1819

John Franklin est chargé de l’exploration du passage du nord-ouest, par voie de terre. Parti de Fort York, sur la côte ouest de la Baie d’Hudson avec 23 hommes, il atteint les rivages polaires – golfe Coronation, rivière Hood – où il balise le littoral à l’attention de l’expédition maritime de Parry, après deux hivernages très durs. De retour à Fort York en juillet 1822, il a parcouru et relevé plus de 8 000 km. Sur les 23 partants, ils n’étaient que 5 survivants.

06 1819

Edward Parry prend le commandement d’une autre expédition avec deux navires : l’Hécla et le Griper. Il va explorer l’ouest du cap Lancaster, hivernant à Port Winter, où les cours du soir permettront aux hommes d’apprendre à lire et à écrire ; en juin 1820, il part avec 11 hommes pour traverser l’île Melville, fabriquant un gros traîneau, et inventant le man hauling sledging (tirage du traîneau par l’homme), technique qui n’évoluera que très peu : elle sera reprise par Scott, presque 100 ans plus tard, pour aller au pôle sud. Ses navires furent dégagés au mois d’août, mais il ne pût dépasser le cap Dundas : 113°47′ O. Ayant dépassé le 110° O, il assurait ainsi à ses équipages la prime de 5 000 livres. Il rentre en Angleterre en novembre 1820, persuadé que le passage devait être recherché ailleurs, alors qu’en fait, une fois dépassé l’île Banks, il ne restait plus qu’à faire cap au sud, et une fois en vue de la côte, cap ouest pour rejoindre le détroit de Behring. Il repartira en 1821, hivernera deux fois, dans le nord de la baie d’Hudson, où il découvrira les igloos esquimaux : L’étonnement s’accrut encore en voyant l’intérieur de ces demeures extraordinaires pour les Blancs, entièrement construites avec de la neige. On y entrait en rampant par deux passages cintrés d’environ trois pieds de hauteur. Après quoi l’on arrivait dans une chambre circulaire dont le haut formait un dôme parfait ; elle donnait entrée dans trois autres pièces semblables, l’une en face, les deux autres de chaque coté. Chacune de ces chambres ou dômes servait d’habitation à une famille (…). Deux hommes, dont l’un préparait les blocs de neige et l’autre les disposait, pouvaient bâtir une de ces chambres en dôme en moins de deux heures de temps.

De larges plates-formes de neige hautes de deux pieds couraient le long des murs, servant de siège et de lits ; ils étaient couverts de fanons de baleine, de menues branches d’andromède et de peaux de rennes ou de phoques. Un pilier de neige soutenait une lampe plate et ovale de pierre emplie d’huile de phoque qui brûlait grâce à une mèche de mousse bien séchée et tordue.

Il observe aussi la pratique du traîneau à chiens : quand le chemin est uni, et que la neige est durcie par le gel, sept à huit chiens traîneront un poids de 800 à 1 000 livres, et feront ainsi 50 à 60 milles par jour. Mais curieusement, il faudra encore attendre plus de 60 ans pour que le traîneau à chiens devienne habituel dans l’exploration polaire.

Il rentrera, repartira en 1824 et s’attaquera au pôle nord en 1827, depuis le Spitzberg, faisant de ses barques des traîneaux tirés par des rennes : il atteindra 82°45’N : c’était à peu près aussi pratique que si l’on avait pris une voiture pour circuler sur un sentier de Grande Randonnée.

7 08 1819

Les troupes de Simon Bolivar battent l’armée du roi à Boyaca, au nord-est de Bogota, en Colombie, marquant ainsi le début des indépendances sud-américaines. Plus que la bataille elle-même, la manœuvre qui a consisté à arriver là où on ne les attendait pas, a illustré le talent et l’audace de Simon Bolivar. Partis d’Angostura, [aujourd’hui Ciudad Bolivar] sur l’Orénoque, ses troupes partirent plein ouest, sur l’Orénoque et ses affluents avant d’atteindre le pied de la Cordillères des Andes, qu’ils franchirent parfois vêtus d’un simple pagne. Le chemin est indiqué par des ossements d’hommes et d’animaux qui ont péri, en tentant de traverser les paramos [landes humides et froides entre 3 500 et 4 500 mètres] par un temps défavorable. On voit sur les rochers une multitude de petites croix, plantées sans doute par quelques mains pieuses, en mémoire des voyageurs.

Vowell, officier irlandais engagé dans l’armée patriote.

Le Libertador et le Congrès projettent la constitution d’une Grande Colombie, rassemblant les pays actuels : Venezuela, Colombie, Panama et Équateur. Il voudrait aussi prendre le Pérou. Mais tout cela ne pourra dépasser le stade du projet

16 08 1819    

En Angleterre, 60 000 personnes se rassemblent à Sanct Peters Square à Manchester. Ils demandent une réforme démocratique de la représentation parlementaire : le droit de vote était jusqu’alors exclusivement réservé aux propriétaires fonciers mâles, qui représentaient à peu près 2 % de la population. L’orateur principal, Henry Hunt, est arrêté et la cavalerie reçoit ordre de disperser la foule : cela se fait au prix de 18 morts et de 700 blessés ! La journée sera ironiquement baptisée Peterloo.

11 09 1819  

Succès de l’aile libérale aux élections ; l’abbé Grégoire, élu à Grenoble, est exclu de la Chambre.

2 10 1819   

L’industriel lyonnais Vital Roux crée l’École spéciale de commerce et d’industrie, à Paris, d’abord sommairement installée dans l’ancien Hôtel des fermiers généraux, l’Hôtel des fermes, puis dans l’hôtel de Sully dès 1821. À une époque où le réseau ferré n’existait pour ainsi dire pas et où le télégraphe était encore considéré comme un objet de curiosité, le renom de l’établissement fut tel qu’en ces temps d’exubérance sentimentale l’École abrita 118  élèves désireux de  s’initier au positivisme du commerce et de l’industrie.

Alfred Renouard. Histoire de l’École supérieure de Paris de 1820 à 1920

Vital Roux ne boude pas son plaisir car il bataille en fait depuis la parution d’un rapport du professeur Pierre Boucher, en  1806, intitulé Projet d’établissement d’une école de commerce à Paris. De tels établissements ont déjà été créés dans les villes hanséatiques, au Portugal ou en Russie. En France, la chambre de commerce et d’industrie de Paris, née en  1803, réfléchit elle aussi à la création d’une école sur le modèle de l’Académie préparatoire au commerce fondée en  1781 à Mulhouse. Quelques tentatives, infructueuses, ont également été menées dans les foyers historiques du libre-échange et du négoce : à Lyon et Bordeaux.

Innovante par son objet, l’école est révolutionnaire par ses méthodes. Dès l’origine, ses étudiants, qui apprenaient au moins deux langues, passent de comptoir en comptoir (un comptoir dure un an), où ils simulent les activités de négoce, de comptabilité, de change, de crédit, de transport, de formalités douanières, de contrats, de transactions, de recours… Les élèves sont supposés établis dans diverses places de France et de l’étranger, explique le règlement de l’école en  1825, à propos des élèves du 3°  comptoir (3°  année). Ils correspondent en plusieurs langues et se livrent à toutes les opérations probables sous la direction de leurs professeurs ; ils ont la liberté de trafiquer entre eux, d’entreprendre toutes espèces d’opérations de banque ou de commerce, et les professeurs les laissent pendant quelque temps sans guide pour s’assurer de leurs capacités. S’ils se livrent à des spéculations folles ou mal combinées, les professeurs leur donnent tous les conseils que leur position exige, mais ils n’influent en rien sur leurs idées ; s’ils échouent, ils se trouvent dans la situation du négociant qui a le malheur de faillir et deviennent en quelque sorte passibles des mêmes conséquences.

Comme au Monopoly, les élèves échangent de la monnaie fictive. Occupent à tour de rôle la fonction de courtier ou d’agent de change. Se réunissent pendant une heure pour une séance de Bourse. Règlent leurs conflits devant un tribunal de commerce virtuel, où ils assument à tour de rôle les fonctions de plaignant, de défenseur, de juge ou de greffier. De quoi parfaire les connaissances de ces futurs héritiers des prospères négociants et banquiers, dont la puissance montante s’affirme avec la révolution industrielle naissante. Outre les cours de législation, de comptabilité, de géographie ou de statistiques, ils suivent aussi l’étude pratique des matières premières, des marchandises et des – objets fabriqués, qui sont entreposés dans un musée, et effectuent des travaux pratiques de chimie… L’école invente en somme la plupart des dispositifs dont les business schools américaines, à commencer par celle de Harvard, revendiqueront la paternité un siècle plus tard, notamment les business cases (études de cas) et les serious games (jeux sérieux).

L’École spéciale de commerce et d’industrie est également pionnière de l’internationalisation des cursus. Ses élèves, surnommés les fistici (on ne parle pas encore de fils à papa, mais on abrège l’expression le fils est ici), partent en voyage d’études, de trois ou six mois, dans les ports français et étrangers, et visitent des manufactures. L’école veut parer son enseignement du commerce de la même légitimité que celle dont jouissent les prestigieuses écoles d’ingénieurs depuis la Révolution. Lorsqu’ils sortent, les élèves revêtent un uniforme identique à celui des polytechniciens, orné, en plus, d’une bande blanche sur le pantalon.

En  1828, Adolphe Blanqui, disciple de Jean-Baptiste Say, un des piliers de l’école, reprend l’école, où il est titulaire de la chaire d’économie. Frère du révolutionnaire socialiste Auguste Blanqui, il ne s’est jamais désolidarisé de lui, allant jusqu’à le défendre aux assises : La fratrie a été plus forte que la respectabilité, – Gilles Gouteux – . Les années Blanqui marquent le début d’une période faste et emblématique où l’école, gérée comme une entreprise familiale, se sort de toutes les crises. En 1868 Jeanne Blanqui, héritière à 17  ans de l’école, n’a d’autre choix que de se tourner vers la chambre de commerce et de lui revendre l’école.

Simultanément, le modèle de l’ESCP essaime en province. Des écoles supérieures de commerce sont fondées au  Havre et à Rouen en  1871, et à Lyon et Marseille l’année suivante. En  1898, l’ESCP rejoint les majestueux bâtiments où elle siège aujourd’hui encore, avenue de la République, à Paris.

Désormais dans le giron consulaire, la première école de commerce française peut se croire à l’abri. C’est compter sans la vanité de certains membres de la chambre de commerce, qui déplorent que leur institution ait été réduite à racheter une école qui était née et avait grandi sans son concours. Ils plaideront pour la création d’un établissement maison, portant  des valeurs plus élitistes que l’ESCP, qui n’accueille plus seulement des fistici, mais aussi quelques boursiers méritants. Ce sera chose faite en  1881, avec la création de l’Ecole des hautes études commerciales : HEC.

Adrien de Tricornot. Le Monde 4 08 2017

1819 

Premières compagnies d’assurance vie. Exploitation des mines de sel gemme à Vic, en Lorraine. François-Louis Cailler, né à Vevey est de retour au pays après être allé à Turin y apprendre le métier de chocolatier chez un confiseur. Il crée une manufacture de chocolat mécanisée à Corsier-sur-Vevey. Il fera des émules, qui deviendront les grands noms du chocolat suisse : Philippe Suchard, Charles-Amédée Kohler, Rudolf Lindt, Henri Nestlé, Jean et son fils Théodore Tobler.

Le bateau à vapeur Savannah, effectue en 25 jours la première traversée de l’Atlantique, très aidé par les voiles : les premiers vapeurs gardaient un petit gréement. On doit à Marc Seguin le premier pont suspendu, à la Roche Guyon, puis à Tournon, les premiers tunnels ferroviaires, la première locomotive à vapeur et la ligne de train St Étienne Lyon, terminée en 1833. À Sébastien Bottin, on ne doit que le bottin.

En 1783 le traité de Versailles avait rendu la Floride à l’Espagne, qui la perd à nouveau avec le traité Adams Onis.

Thomas Arthur Stamford Bingley Raffles fonde la ville de Singapour. Entré à 14 ans à la Compagnies des Indes Orientales, il est nommé gouverneur de Java à 30, puis gouverneur de Sumatra. C’est de là qu’il part pour planter l’Union Jack sur la petite île de Singapour –  la cité des lions – peuplée de 150 hommes. Il en fait un port libre, sans droits de douane ni taxes, ce qui va attirer une importante colonie chinoise. Aujourd’hui, le plus grand hôtel de ce fleuron du capitalisme porte son nom.

Mehemet Ali soumet les Wahhabittes

28 01 1820  

Partis depuis six mois de Kronstadt, une expédition russe de deux navires arrive en vue de la côte antarctique par 69°21’28″ S, 2°14’50 ″ O : le Vostok commandé par Fabian Gottlieb Bellingshausen et le Mirnyi par Mikhaïl Petrovitch Lazarev. Ils seront de retour à Kronstadt le 4 août 1821, ayant fait le tour de l’Antarctique : 751 jours de mer, 29 îles découvertes, une moisson considérable de données sur la flore et la faune, les populations. Nombreuses mesures d’ordre scientifique.

Expédition Bellingshausen — Wikipédia

Fabian Bellingshausen, Russian explorer - Stock Image - C013/1266 - Science Photo Library

Fabian Gottlieb von Bellingshausen

Antarctica: Russia's Bellingshausen station Orthodox chirc… | Flickr

Eglise de la station Bellingshausen

the ice islands, March 4, 1820, from the P. Mikhailov’s album

RI44ANT - Bellinghausen Station - King George Island

Une épave de l’expédition russe ? Elle est sur l’île du roi George, dans les Shetland du Sud.

13 03 1820 

Les Jésuites sont expulsés de Russie. L’Ukase partit du palais comme la foudre part de la rue, écrira Joseph de Maistre. Une histoire à priori plutôt anodine de prosélytisme aggravé. Ils sont alors au nombre de 358, ils étaient 82 en 1783.

15 04 1820 

Yorgos Kentrotas, paysan de Milo, une île de la mer Égée, retourne son champ pour y trouver les pierres pour construire un mur : il découvre une statue brisée d’Aphrodite, en marbre de Poros : elle a déjà enlevé le haut, mais pas encore le bas : quand les deux parties sont assemblées – la séparation n’est pas accidentelle, mais d’origine -, il manque encore les deux bras. Olivier Voutier aspirant de la Marine française, amoureux fou de Catherine Brest, épouse du consul de France à Milo, découvre la statue brisée, pour laquelle il éprouve vite une dévorante passion : il lui est plus facile de la contempler tout à loisir que la femme du consul ; il en fait un dessin, le montre au consul, puis à Dumont d’Urville venu pour herboriser, lesquels ne se montrent guère émus par cette statue amputée des deux bras, accompagnée d’autres fragments – des piliers à tête sculptée, une main avec une pomme, un bras, un petit pied -.

La statue dont je mesurai les deux parties séparées, avait à peu de chose près, six pieds de haut [2 mètres]; elle représentait une femme nue, dont la main gauche relevée tenait une pomme, et la droite soutenait une ceinture habilement drapée et tombant négligemment des reins jusqu’aux pieds : du reste, elles ont été l’une et l’autre mutilées, et sont actuellement détachées du corps. Les cheveux sont retroussés par derrière, et retenus par un bandeau. La figure est très belle, et serait bien conservée si le bout du nez n’était pas entamé. Le seul pied qui reste est nu : les oreilles ont été percées et ont dû recevoir des pendants.

Mais ce dernier se dit tout de même que revenir en France aussi bien accompagné ne pourrait pas nuire à sa carrière. Il contacte l’ambassadeur de France qui lui envoie son secrétaire,  M. de Marcellus, qui, moyennant 1 300 piastres, conclue l’affaire : le 1° mars 1821, la Vénus de Milo fera  son entrée au Louvre où elle sera la bienvenue, car la disette d’œuvres prestigieuses s’y faisait douloureusement sentir : après la défaite de Napoléon : le Laocoon, l’Apollon du Belvédère, la Vénus Médicis etc… étaient repartis à la maison, qui en Italie, qui en Allemagne. Elle est datée d’à peu près -130 av. J.C., et le sculpteur n’a pas pu être identifié. Dumont d’Urville avait encouragé le très bon coup de crayon d’un jeune lieutenant, François Edmond Pâris, qui avait fait connaissance avec les bateaux des autochtones dans les récits de James Cook. Ses dessins talentueux joints à sa compétence professionnelle lui vaudront de terminer sa vie comme conservateur du Musée naval du palais du Louvre. Antoine Quatremère de Quincy, secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts décidera de la maintenir en l’état, sans lui remettre aucun des fragments retrouvés tout autour, dont on ne pouvait déterminer avec certitude s’ils lui appartenaient ou non.

Quelle splendeur en ton beau torse, assis fermement sur tes jambes solides, et dans ces demi-teintes qui dorment sur tes seins, sur ton ventre splendide, large comme la mer ! C’est la beauté étale, comme la mer sans fin. Auguste Rodin 1910

13 07 1820   

Les troubles en Espagne, où la Charte de Cadix avait été imposée au roi par l’armée, se manifestent par ricochet dans le royaume de Naples : le général Pepe entre à Naples à la tête des insurgés : le roi Ferdinand n’est pas renversé mais un gouvernement libéral est mis en place qui libère les prisonniers politiques, réintègre dans l’armée les anciens officiers partisans de Murat, et doit réprimer l’insurrection en Sicile, rattachée à Naples depuis décembre 1816 pour devenir le Royaume des Deux Siciles. Palerme capitulera le 5 octobre. Mais tout cela était insupportable aux yeux de l’Autriche qui écrasera les révolutionnaires napolitains du général Pepe pour remettre un Bourbon à la tête du Royaume des Deux Siciles.

20 08 1820     

Premier accident de montagne lors d’une expédition scientifique au Mont Blanc, menée  par Hamel, un russe, et financée par le tzar. Plusieurs guides de Chamonix ont été engagés ; les rapports entre client et guide ne sont pas encore bien définis et ce sont donc les rapports existant de façon générale en la matière qui prévalent : celui qui paie commande, surtout si le premier est noble ou simplement bourgeois, et le deuxième paysan. Le temps se gâte, les guides recommandent de redescendre mais Hamel ne veut rien savoir et une avalanche emporte trois guides : Balmat, Carrier et Tairraz… dont quelques restes seront retrouvés dans une crevasse du bas du glacier des Bossons le 12 août 1861, venant ainsi confirmer les prévisions du glaciologue anglais Forbes, sur la vitesse de descente d’un glacier.

20 11 1820   

Moby Dick n’est pas vraiment un roman : un drame bien réel a inspiré Herman Melville : L’Essex, baleinier de Nantucket, en mer depuis quinze mois, 20 hommes, capitaine George Pollard Jr. 29 ans, est un navire plutôt petit dans sa catégorie – 30 mètres de long pour 238 tonnes -, mais il a, dit-on sur les quais, la baraka. L’homme de vigie signale un groupe de baleines. Là, elles soufflent ! Pollard fait mettre en panne et ordonne la mise à l’eau de trois baleinières. La chasse commence mal : le canot de Chase est abîmé par un coup de queue. Il lui faut donc retourner sur l’Essex pour réparer. Le cachalot attaque : les marins n’ont jamais vu cela ; certes, après avoir été harponnés, les cétacés se débattent et peuvent fracasser la baleinière à grands coups de queue, mais engager le combat sans avoir été blessé, c’est du jamais vu. L’animal est presque aussi long que le navire sur lequel il fonce : il le heurte à l’avant. Le choc est violent, à tel point qu’il provoque une voie d’eau. Owen Chase décrit le second assaut : Je découvris la baleine, apparemment prise de convulsions, à la surface de l’eau, à environ deux cents mètres sous le vent. Elle baignait dans de l’écume créée par ses mouvements violents et incessants. Je la voyais claquer ses mâchoires comme pour exhaler sa rage et sa fureur. Elle est restée un temps court comme cela avant de s’élancer à grande vitesse vers l’avant du navire, face au vent. Durant ce laps de temps, le bateau s’est enfoncé profondément dans l’eau, et je l’ai donné comme perdu. Néanmoins, j’avais donné l’ordre de continuer à pomper pour conserver l’allure, et je me suis alors efforcé de rassembler mes idées.

Le second fait alors remplir les deux canots à bord des provisions prévues en cas de naufrage. Le cri d’un homme dans l’écoutille me fit sursauter. Le voilà, il fonce à nouveau sur nous. Je me retournai et le vis à environ deux cents mètres droit devant, fonçant vers nous à deux sa fois sa vitesse ordinaire, et, pour moi, à ce moment, il m’apparut dix fois plus furieux et vengeur dans son aspect. Les vagues s’écartaient de lui dans toutes les directions, et sa course vers nous était marquée par une écume blanche de deux mètres de largeur qu’il faisait par de violents et continuels battements de sa queue, sa tête était à moitié hors de l’eau, et de cette manière il fut sur nous pour frapper à nouveau le navire.

L’Essex va couler, au milieu du Pacifique, à plus de 1 600 kilomètres de toute terre habitée. De chasseurs, les vingt hommes étaient devenus gibier. Le cachalot a disparu Les hommes embarqués sur les baleinières de chasse reviennent sur place, car ils ne voient plus le navire, ce qui n’arrive jamais par temps calme… pour le découvrir sur le point de couler. Pollard s’adresse à son second : Mon Dieu, monsieur Chase, que s’est-il passé ?Nous avons été attaqués par une baleine. Quelques hommes montent à bord pour y récupérer le maximum d’eau et de nourriture. Vers où se diriger ? Les îles Marquises sont les plus proches. Mais ni le capitaine ni les hommes ne veulent mettre le cap dessus par peur des cannibales. Alors Pollard et Chase proposent aux hommes de filer plein sud pour accrocher les vents soufflant d’ouest en est, vers l’Amérique du Sud. Le capitaine calcule que le trajet devrait durer 56 jours. Les marins se rallient à leur capitaine

Le 20 décembre, après un mois de navigation, les trois baleinières abordent un îlot désolé où leurs occupants ne trouvent quasiment rien à manger, et peu d’eau. Impossible d’y survivre à vingt. Aussi, six jours plus tard, les marins de l’Essex reprennent la mer, laissant derrière eux trois hommes qui préfèrent attendre les secours sur place. Les jours se suivent et se ressemblent dramatiquement : soleil, soif, faim : le 10 janvier un homme meurt. Le lendemain, un petit grain sépare le canot commandé par Chase des deux autres. Le 18 janvier, un deuxième marin meurt. Le 8 février, troisième décès, et celui-là, on décide de ne pas le jeter à l’eau, mais de s’en nourrir.

Après avoir passé la nuit à réfléchir à la question, j’abordai le difficile sujet de garder le corps pour la nourriture, raconte Chase. Nos provisions ne pouvaient pas tenir plus de trois jours, et, durant ce laps de temps, il n’y avait pas la moindre probabilité de pouvoir soulager nos souffrances, et la faim finirait par nous conduire à tirer au sort l’un d’entre nous. Il fut convenu sans aucune objection, et nous nous mîmes au travail aussi vite que nous le pouvions, pour le préparer afin d’éviter qu’il ne s’avariât. Nous avons détaché les membres du corps, et découpé la viande des os ; après quoi, nous avons ouvert le corps, sorti le cœur, et refermé, le recousant aussi décemment que nous en étions capables et nous l’avons jeté à la mer. Aussitôt, nous avons commencé par assouvir notre faim avec le cœur que nous avons dévoré avidement. Puis nous avons mangé avec parcimonie quelques morceaux de chair, et découpé le reste en fines lanières pour les faire sécher au soleil sur le bateau. On a fait du feu et rôti quelques morceaux, pour les utiliser le lendemain.

À bord des deux autres baleinières, leurs camarades vont faire de même. Neuf jours après la séparation, soit le 20 janvier, les morts se succèdent. Là encore, les hommes prennent la décision de ne pas gâcher la nourriture. Le 28 janvier, les deux baleinières se perdent de vue. L’une des deux disparaît à jamais. Le capitaine Pollard se retrouve avec trois hommes. Le 5 février, la faim est telle qu’ils acceptent le tirage au sort de celui qui sera mangé par les autres : et le sort désigne Coffin, jeune cousin du capitaine sur lequel ce dernier s’était juré de veiller : Ramsdell lui loge une balle dans la tête. Ray meurt d’épuisement quelques jours plus tard. Un navire retrouve les deux survivants le 20 février. Les trois marins restés sur leur îlot rocheux, seront récupérés le 5 avril 1821. Sur les vingt marins, cinq sont morts, sept ont été dévorés. Seuls huit ont survécu. Le second, Owen Chase, rédigera un récit du désastre qui inspirera Moby Dick à Herman Melville. Le mousse, Thomas Nickerson, 14 ans, donnera à son tour la version du drame vers la fin de sa vie. Elle ne sera retrouvée qu’en 1960 et publiée en 1984. L’Amérique n’a pas fêté Melville : on l’a rapidement pris pour fou, on lui a refusé ses poèmes… ces échecs répétés l’ont conduit à finir sa vie comme employé des douanes du port de New-York.

En France, nous avons aussi une histoire un peu comme ça, mais elle finit mieux : Il était un petit navire…

[…] Au bout de cinq à six semaines,
Les vivres vinrent à manquer  Ohé ! Ohé !
On tira z’a la courte paille,
Pour savoir qui serait mangé, Ohé ! Ohé !
Le sort tomba sur le plus jeune,
Qui n’avait jamais navigué, Ohé ! Ohé !

[…] Au même instant un grand miracle :
Pour l’enfant fut réalisé Ohé ! Ohé !
Des p’tits poissons dans le navire
Sautèrent par plusieurs milliers. Ohé ! Ohé !
On les prit, on les mit à frire,
Le jeune mousse fut sauvé. Ohé ! Ohé !

 
***** 
On trouve aussi chez les Cadjins des rescapés de la pêche à la baleine : l‘homme était long, d’une ossature puissante, mais paraissait raccourci par la fatalité de son infirmité. Il était croche. Bossu, si l’on préfère. Et se tenait à cheval avec une si curieuse assiette que les enfants lui lançaient souvent des pierres au creux des reins, croyant qu’il était ivre.

Natif de Nantucket, frère de tous les marins, à quinze ans à peine, Northwood avait suivi l’apprentissage de ceux qui depuis des siècles s’attellent au plus étrange, au plus grandiose combat qui jamais opposât l’homme à l’animal. Le regard halluciné, il avait été de ceux, un homme de la baleine, qui comme Jonas ou le capitaine Achab ont vécu dans l’intimité des troupeaux de grands cétacés bleus.

Dans les premières années de la chasse, du cap de Bonne-Espérance aux îles Marshall, des Marquises aux Aléoutiennes, Palestine Northwood avait sillonné toutes les mers du globe.

Le novice avait hissé misaine et grand-voile. Brigantine et cacatois. Hunier, trinquette, perruche et perroquet de fougue. Il s’était aguerri à mâchouiller une maigre pitance faite de viande séchée, de biscuits rassis, de riz charançonné et de haricots rouges. Il avait appris à se taire, à se battre et à s’accommoder des cafards que le climat glacial du cap Horn semblait endormir alors que la tiédeur du Pacifique les réveillait plus nombreux que jamais.

Il avait fait escale à Swain et à Gardner, à Chase et à Coffin. Il avait baigné son corps endolori dans les eaux phosphorescentes et chaudes des atolls de Polynésie. Il avait déserté à dix-huit ans son bateau, un trois-mâts carré, le Holy Hope, Captain Fix, lors d’une escale aux îles Sandwich. Pendant presque six mois, par vingt degrés de latitude nord et cent cinquante-sept degrés de longitude ouest, il s’était pris d’amour fou pour une indigène, la belle Nouka-Hiva, que la variole avait emportée. Il avait été retrouvé dans un bar d’Honolulu, au printemps suivant, par le maître d’équipage Kérampon. L’âme damnée du Captain Fix l’avait rembarqué de force sur le Holy Hope. Ils étaient repartis sur le chemin de mille tempêtes. Ils avaient échappé de justesse durant l’été 71 aux tenailles des glaces polaires lorsqu’elles se refermèrent sur la flotte baleinière du détroit de Behring.

En ce temps-là, comment dire? le bruit de la mer couvrait le vol des années.

Pendant des nuits interminables, Palestine avait connu la voix des vents hurlants succédant à l’attrait des mers ouvertes et à la haine des rats au fond de la cale. Il avait également vécu pendant des semaines entières, ballotté par la tempête, dans le réduit du gaillard d’avant, un endroit si humide, si sombre et si pestilentiel que la vermine y grouillait plus que sur aucun autre navire, attirée par l’huile et le sang des baleines.

Avec ses compagnons de bord, Suédois ou Irlandais, Basques et Portos, réduits à l’état de bétail, il avait haï ses officiers, côtoyé des fils de famille fourvoyés sur la mer et joué du couteau contre des vauriens, afin de protéger sa paillasse si elle était plus sèche que la leur.

Avec ce salaud de Timothy Houssey, natif de New Bedford, il avait appris à aiguiser la pointe des harpons, à ramer sur la baleinière sans se retourner et à fumer six kilos de tabac par an dans sa pipe.

Avec une poignée de Mélanésiens déracinés que le capitaine Jonathan Fix avait affublés de noms tels que Slim, Jack ou Sam, il avait fait six campagnes et la dernière avait duré quatre ans.

Avec une fierté sans pareille, il était surtout devenu harponneur.

Les harponneurs sont des gens importants. De leur adresse dépend le sort de la campagne. Or, il se trouve que dès que Jonathan Fix (qui détestait le matelot Palestine mais, mystérieusement, l’enrôlait dans son équipage depuis plus de quinze ans) eut confié au marin ce poste prépondérant, il s’aperçut qu’aussi loin qu’il remontât dans le cours de sa longue vie de patron de pêche, personne n’avait encore jamais lancé le temple toggle iron avec une main aussi sûre.

Propulsé par les muscles secs de Northwood, le fer acéré de ce harpon à tête basculante inventé par un petit barbier de Dartmouth filait vers le cachalot avec une précision et une vélocité telles que ses barbes, profondément incrustées dans la chair de l’animal, ne lui laissaient aucune chance d’en réchapper.

— Baleine au vent! À nous! Hourra! Hourra !

Dès que la vigie avait repéré la baleine, Palestine Northwood s’avançait vers le bastingage.

— Souffle, là… Elle souffle !

La longue silhouette droite du harponneur se dressait au-dessus des épaules de ses équipiers. Un calme étrange habitait tout son corps. Ses yeux gris posés sur l’horizon, il cherchait à déchiffrer l’énigme des vagues.

Le guetteur dans la hune criait encore:

— Saute, là… Elle sau-au-aute!

— À vos pirogues, enfants! criait le capitaine Fix.

On lançait les baleinières à l’eau. Des bateaux de neuf mètres sur deux, capables de courir sur la crête des vagues et de transporter six hommes dont un officier pour diriger la manœuvre.

— Sonde là… Elle son-on-onde! La baleine venait de plonger.

Dos au monstre chimérique, respectant la consigne de ne pas se retourner, les rameurs entamaient la poursuite. Palestine Northwood se tenait à la proue de l’embarcation. Mains levées, il glissait au-devant de l’animal, regardait apparaître son front blanchi d’écume et rehaussé d’une tiare de bernacles. Fasciné par la proximité de son corps de grande vache marine, le harponneur s’avançait au-devant de son sourire menaçant, de ses lèvres tordues.

Soixante-dix tonnes! Elle était là, sa belle amoureuse!

Caressant les vagues, couleur suaire, semblable à une terre mouvante, d’un élan des nageoires elle faisait sauter le couvercle de l’océan vers le ciel.

Une joie sans pareille faisait battre les tempes de Palestine Northwood. Il interpellait sa fiancée des profondeurs : Salut, ô ma Mieux-Aimée ! Et la folie d’une chanson de marins français montait à ses lèvres:

Nous irons à Valparaiso ! / Haul away ! / Hé! Oula tchalez ! Où d’autr’ y laisseront leurs os ! HaV matelot ! Hé ! Ho ! Hiss’ hé ! Ho ! 

Au seuil d’un horrible gouffre qui se creusait sous lui, il se sentait devenir plus grand que jamais, plus fort que l’océan qui gronde et plus invulnérable que le rorqual bleu qu’il allait affronter. Il jetait sa lance vers l’abîme infini de la panse huileuse. Plus près du cœur et des poumons. Là où les artères se rejoignent. C’est là qu’il avait piqué. Au centre de l’endroit de vie.

Exactement.

Et de ce côté-ci de la mer, Palestine Northwood devenait Dieu Tout-Puissant. C’est lui qui repeignait les vagues avec le sang des cachalots.

Pendant trois années encore, qu’elles fussent grises, bleues ou de Biscaye, il affronta plus de baleines que n’importe quel autre harponneur. On aurait juré que sacrifiant à un rite qui voulait que deux forces s’opposent, l’une accourue de la terre et l’autre surgie des entrailles de l’océan, Dieu envoyait au-devant du harponneur des jouteurs de plus en plus féroces.

Quand l’issue du combat avait une fois de plus donné raison à l’homme sur l’animal et que, tête vers la poupe, amarrée par des cordes, la monstrueuse prise était disposée le long de la coque du navire, Palestine Northwood s’avançait sur le chaffaud pour saluer sa dépouille. Depuis la plate-forme de découpage, avant que les écorcheurs ne travaillent avec leurs tranchoirs et leurs pelles coupantes à long manche, il observait un long silence recueilli.

Et puis un jour où la poursuite avait été longue, ce fut la baleine qui triompha.

D’un élan de son épine dorsale, en pleine majesté de sa puissance, une femelle de cent vingt tonnes porta sur son dos la baleinière et les hommes. Haut dans l’air, elle catapulta l’épave démantelée. Imaginez cet insaisissable éclair du temps, les jets furieux de l’animal blessé, les hampes des harpons sautillant à l’oblique, les rameurs, bras déployés dans le ciel orageux, et le bond fantastique de la baleine retombant dans une gerbe d’écume rouge.

À part un baquet à lignes à demi vide et la proue de l’embarcation restée intacte, la mer avait tout avalé. L’équipage et la baleine. Seul elle épargna Palestine Northwood, mais il resta escarcassé dans l’eau glaciale avant qu’un autre navire de la flotte le trouvât, crampe après trois planches vaillantes, qui avaient constitué l’avant de sa barque.
Quand on le hissa, il était croche. Tordu pour de bon. Jamais plus navigua.
Et bossu, il resta. Bossu et méchant.
Ainsi était Palestine Northwood qui poursuivait Farouche Ferraille Crowley sur la terre.

Jean Vautrin. Un grand pas vers le Bon Dieu. Grasset 1989

1820

Le château de Faverges [Haute Savoie] qui a accueilli Henri IV en 1600, abrite la plus importante soierie des Alpes du Nord : 142 métiers, 442 brodeuses sur mousseline. En 1828, on y monta une pierre à mesurer et lisser la soie de près de 10 tonnes. Création de l’Académie royale de Médecine. Joseph Colin, confiseur nantais, met les sardines en boîte selon le procédé d’Appert. Elles vont nourrir les chercheurs d’or de Californie et d’Australie. Les pharmaciens Joseph Pelletier et Joseph Bienaimé Caventou isolent la quinine et construisent une usine à Neuilly pour produire le fébrifuge. Le Danois Hans Christian Ørsted découvre l’électromagnétisme, en constatant qu’une aiguille aimantée disposée au voisinage d’un fil électrique est déviée. Il reviendra à Ampère de développer la théorie.

Les hommes clairvoyants sont toujours en avance sur les autres : L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot, par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement des moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce.

Lamarck, [Jean Baptiste de Monet, chevalier de] naturaliste.

En Prusse, le catholicisme reçoit une existence légale, mais avec des restrictions : l’université, l’armée, la fonction publique sont fermés aux catholiques. Contre l’agitation libérale et nationale, et surtout universitaire, les conférences de Carlsbad et Vienne, prennent des mesures pour que l’Allemagne se remit à dormir paisiblement sous la protection de ses trente six monarques. [Heine].

Les ouvriers chantent beaucoup dans les goguettes – Sociétés chantantes – qui se multiplient  à Paris comme fleurs au printemps : les Lapins, le Gigot, les Gamins, les Lyriques, les Joyeux, les Francs-Gaillards, les Braillards, les Bons Enfants, les Vrais-Français, les Grognards, les Amis de la Gloire… et cent autres… la loi interdisait les réunions et associations de plus de 20 personnes… d’où le grand nombre… de petites associations. Béranger était le poète national, le plus connu des écrivains français dans le monde, jaloux de sa liberté et bien admis de la bourgeoisie.

Il est bien difficile, aujourd’hui, d’imaginer ce que put être la popularité de Pierre Jean de Béranger, de son vivant, et son influence sur ses contemporains. Considéré comme l’un des plus grands poètes de son temps, non seulement par les gens du peuple, mais aussi par ses pairs en littérature, il était traité d’égal à égal par Chateaubriand, qui l’appelait mon illustre ami et par Lamartine, qui célébrait en lui notre ménétrier national, tandis que, de son côté, Stendhal écrivait en 1826, ses écrits font battre tous les cœurs. On dit même que Victor Hugo écrivit ses Chansons des rues et des bois pour tenter d’égaler son succès en ce domaine. Surtout – consécration suprême – Flaubert le cite (et en quelle compagnie !) dans Madame Bovary, lorsqu’il fait dire à Homais, le pharmacien athée : Mon Dieu à moi, c’est le Dieu de Socrate et de Franklin, de Voltaire et de Béranger…

Un événement donne, à lui seul, la mesure de l’importance du chansonnier : lorsqu’il mourut, le 16 juillet 1857, le gouvernement de Napoléon III décida de lui accorder les funérailles nationales. Honneur posthume auquel n’eurent droit ni Chateaubriand, ni Lamartine, ni Vigny, et qui, parmi les poètes de ce XIX° siècle – qui furent pourtant nombreux à être talentueux – ne fut plus rendu qu’à Hugo. C’est dire… À l’enterrement de Béranger, une foule innombrable se pressait dans les rues de Paris, prenant d’assaut les arbres, les grilles et les toits des maisons, et débordant rapidement les vingt mille hommes du service d’ordre mobilisé pour la contenir.

Pourtant, Béranger n’eut pas toujours les faveurs du pouvoir, et ses chansons lui valurent plusieurs séjours en prison, assortis d’amendes conséquentes. Mais, apprécié aussi bien des bourgeois que des humbles, il représente l’achèvement parfait du véritable chanteur populaire en qui tout le monde peut se reconnaître, au-delà des différences sociales et des divergences politiques.

Marc Robine. Anthologie de la chanson française. Albin Michel 1994

Au sein des goguettes, en milieu ouvrier le grand chansonnier était Paul Émile Debraux, intarissable et auteur du très connu En avant, Fanfan la Tulipe. Le principal de l’inspiration, – quand il ne s’agissait pas de chansons grivoises – venait de l’immense vivier qu’était la nostalgie de la gloire napoléonienne : une légende [5] naissait… des plus grandes.

Te souviens-tu ! (1819 ou 1821) Auteurs : Emile Debraux, Joseph-Denis Roche.

Te souviens-tu, disait un capitaine,
Au vétéran qui mendiait son pain,
Te souviens-tu, qu’autrefois dans la plaine,
Tu détournas un sabre de mon sein.
Sous les drapeaux d’une mère chérie,
Tous deux jadis nous avons combattu :
Je m’en souviens, car je te dois la vie,
Mais toi, soldat, dis-moi t’en souviens-tu ?

 

Te souviens-tu de ces jours trop rapides,
Où le Français acquit tant de renom ;
Te souviens-tu que sur les Pyramides
Chacun de nous aura gravé son nom.
Malgré les vents, malgré la terre et l’onde,
On vit flotter, après l’avoir vaincu,
Nos étendards sur le berceau du monde,
Dis-moi, soldat, dis-moi t’en souviens-tu ?

 

Te souviens-tu que les preux d’Italie,
Ont vainement combattu contre nous ;
Te souviens-tu que les preux d’Ibérie,
Devant nos chefs ont plié les genoux !
Te souviens-tu qu’aux champs de l’Allemagne,
Nos bataillons, arrivant impromptu,
En quatre jours ont fait une campagne ;
Dis-moi, soldat, dis-moi t’en souviens-tu ?

 

Te souviens-tu de ces plaines glacées,
Où le Français abordant en vainqueur
Vit sur son front les neiges amassées
Glacer son corps, sans refroidir son cœur !
Souvent alors au milieu des alarmes,
Nos pleurs coulaient, mais notre oeil abattu
Brillait encore lorsqu’on volait aux armes,
Dis-moi, soldat, dis-moi t’en souviens-tu ?

 

Te souviens-tu qu’un jour notre patrie,
Vivante encor, descendit au cercueil,
Et que l’on vit, dans Lutèce flétrie,
Les étrangers marcher avec orgueil ?
Grave en ton cœur, ce jour pour le maudire,
Et quand Bellone enfin aura paru,
Qu’un chef jamais n’ait besoin de te dire
Dis-moi, soldat, dis-moi t’en souviens-tu ?

 

Te souviens-tu… mais ici ma voix tremble,
Car je n’ai plus de noble souvenir ;
Viens-t’en, l’ami, nous pleurerons ensemble,
En attendant un meilleur avenir,
Mais si la mort, planant sur ma chaumière,
Me rappelait au repos qui m’est dû,
Tu fermeras doucement ma paupière,
En me disant : soldat, t’en souviens-tu ?

 

L’entretien jaloux du souvenir permettait d’oublier aussi la tristesse du présent, avec ces possessions d’outre-mer réduites comme peau de chagrin : la France ne possède plus que la Guadeloupe, Martinique, Saint-Pierre et Miquelon, des enclaves : les comptoirs des Indes,  Saint-Louis et Gorée au Sénégal… et la Guyane : on décide alors de relancer l’exploration de cette dernière, en la colonisant avec des Blancs, puisque la traite des Noirs est désormais interdite. Les échecs vont se cumuler… qui finiront par aboutir à la création d’un bagne en 1858.

En 1814, les Anglais, prétextant que la Hollande, alliée de la France, était devenue ipso facto leur ennemie, avaient récupéré la colonie du Cap : les premiers colons s’étaient installé, fondant Port Élisabeth, à l’est de Capetown… cinq ans plus tard ils fonderont Port Natal… les conflits ne vont pas tarder avec les colons hollandais, sur les lieux depuis 70 ans.

13 03 1821

Dans le royaume de Piémont-Sardaigne, la garnison d’Alexandrie s’est soulevée les jours précédents, entraînant à sa suite des soulèvements à Asti, Casal, Ivrea : les insurgés, proches du prince héritier Charles-Albert de Carignan exigent de Victor Emmanuel I° l’octroi immédiat d’une charte semblable à celle de Cadix : il refuse. À Turin les insurgés le contraignent à abdiquer en faveur de son frère Charles Félix. Absent, la régence est donnée à Charles-Albert, qui se désolidarise pleinement de la révolution libérale, renonce à la régence et s’exile … en Toscane. Charles Felix rallie à sa cause les partisans de la contre-révolution et écrasera les insurgés à Novare le 8 avril 1821, avec le concours autrichien.

La répression antilibérale gagnera toute l’Italie : de 1821 à 1823 on comptera au moins 3 000 italiens qui devront prendre le chemin de l’exil.

Charles Felix il introduit le système métrique… fait endiguer l’Arve, et reconstruire l’abbaye de Hautecombe que le statut des abbés commendataires avait beaucoup affaiblie, bien avant la révolution ; celle-ci s’occupa de détruire ce qui restait et en fit une fabrique de faïences qui dura jusqu’en 1807. Le souverain fit réaliser la reconstruction par Ernest Melano, et après sa mort, son épouse Marie Christine poursuivit son œuvre, s’y réservant même des appartements royaux. Mais, en 1855, une loi piémontaise dissout les ordres contemplatifs et place leurs biens sous séquestre : c’est le rattachement de la Savoie à la France, 5 ans plus tard, qui sauvera l’abbaye. Des bénédictins de Marseille y reviendront de 1922 à 1992 : ils partiront alors pour fuir la pression du tourisme, vers Ganagobie où ils s’aperçurent très vite que le problème, qu’ils croyaient ainsi réglé, avait été seulement déplacé.

25 03 1821 

Germanos, archevêque de Patras, proclame en Grèce la guerre de libération nationale : cela commence par la révolte des montagnard klephtes, ardemment soutenue de par le monde par la diaspora grecque. Mais entre les deux communautés vont vite apparaître des oppositions fondamentales : la communauté autochtone, avec Germanos à sa tête, veut retrouver l’éclat byzantin d’une orthodoxie rayonnante ; la diaspora, avec à sa tête Adamántios Koraïs, figure parisienne majeure, n’aspire qu’à construire un État nation moderne. Les minorités grecques en Turquie vont vite être livrées au massacre, – toute la population de l’île de Scio en avril 1822 -, et les minorités turques en Grèce de même.  Au congrès de Laybach, Metternich empêche que soit abordé la question de l’aide aux insurgés grecs. Le 9 novembre 1821, sous les ordres de l’amiral Constantin Kanaris, la flotte grecque parviendra à incendier la flotte turque mouillée à Ténédos, mais ce sera la seule victoire.

L’enfant

Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil,
Chio, qu’ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un chœur dansant de jeunes filles.

Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;

Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.

Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l’onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tète blonde,

Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?

Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d’Iran borde le puits sombre ?

Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu’un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?

Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ?
Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.

Victor Hugo, Les Orientales, 1829

Dans ce pays, le ciel ne diminue jamais un seul instant la flamme de nos yeux
Dans ce pays, le soleil nous aide à soulever le poids
De pierre que nous avons toujours sur nos épaules
Et les tuiles se brisent net sous le coup de genou de midi
Les hommes glissent devant leur ombre

Comme les dauphins devant les caïques de Skiathos
Et leur ombre devint un aigle qui tient ses ailes dans le feu du couchant
Et se perche ensuite sur leur tête en songeant aux étoiles
Quand ils se couchent sur la terrasse aux raisins secs et noirs.

Dans ce pays, chaque porte possède un nom taillé dans le bois depuis trois mille ans
Chaque pierre possède un saint dessiné avec des yeux farouches et des cheveux hirsutes
Chaque homme possède une sirène rouge tatouée sur son bras gauche
Chaque fille possède sous sa jupe une brassée de lumière saumâtre
Et le cœur de nos enfants est marqué de petites croix
Comme les traces laissées par les mouettes, au crépuscule, sur le sable.

Ritsos Yannis (1909-1990)

16 04 1821

Je désire que mes cendres reposent sur les bord de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé.

Napoléon. Vie de Napoléon par lui-même. Compilation d’André Malraux Gallimard 1930

5 05 1821

Mort de Napoléon à Sainte Hélène.

Son dernier et tendre amour  n’aura été autre que la femme du comte de Montholon : Albine, née Vassal, lesquels avaient construit aux portes de Montpellier, à St Jean de Védas, le château de l’Engarran. Une petite Joséphine naquit de cette union en 1819, qui mourut  à Bruxelles, dès l’année suivante. Le corps d’Albine est dans un sarcophage dans la chapelle des Pénitents Bleus, rue des Étuves, à Montpellier. Vers le mois de mai 1944, Hitler, – grand admirateur de Napoléon – apprend cette histoire  et ordonne que son corps soit transféré aux cotés de celui de Napoléon, aux Invalides. Les autorités françaises feront traîner les choses et Hitler aura d’autres soucis… donc, Albine restera à Montpellier, et hélas, trois fois hélas, personne ne donnera l’ordre de transférer le corps de Napoléon dans la chapelle des Pénitents Bleus, à Montpellier.

Les hypothèses fleuriront régulièrement quant aux causes de sa mort : cancer de l’estomac, empoisonnement à l’arsenic par son sommeiller, le comte de Montholon… la dernière en date – 2009 – vient du Professeur Arne Soerensen, médecin danois en retraite, qui parle d’intoxication rénale, causée par un rétrécissement du canal urinaire et une vessie atrophiée.

Les Anglais, en choisissant cette île, avaient bien regardé la carte : difficile d’être plus isolée : 122 km² à plus de 1 100 km de sa plus proche voisine, l’île d’Ascension, l’Afrique à 1 930 km et l’Amérique du Sud à 2 900 km. Île volcanique surgie de l’océan il y a quatorze millions d’années, flore et faune s’y installèrent portées par vents et marées. Le portugais João da Nova Castella découvrit le 21 mai 1502 ce catafalque de rochers. (Chateaubriand)

Vivant il a manqué le monde ; mort, il le possède

François René de Chateaubriand (1768-1848), Vie de Napoléon, livres XIX à XXIV des Mémoires d’outre-tombe (posthume)

LE CINQ MAI

Peut-être il dort ce boulet invincible Qui fracassa vingt trônes à la fois. Ne peut-il pas, se relevant terrible, Aller mourir sur la tête des rois.

Béranger

LUI

J’étais géant alors, et haut de cent coudées.

Bonaparte.

Toujours lui ! lui partout ! – Ou brûlante ou glacée,
Son image sans cesse ébranle ma pensée.
Il verse à mon esprit le souffle créateur.
Je tremble, et dans ma bouche abondent les paroles
Quand son nom gigantesque, entouré d’auréoles,
Se dresse dans mon vers de toute sa grandeur.

Là, je le vois, guidant l’obus aux bonds rapides ;
Là, massacrant le peuple au nom des régicides ;
Là, soldat, aux tribuns arrachant leurs pouvoirs ;
Là, consul jeune et fier, amaigri par des veilles
Que des rêves d’empire emplissaient de merveilles,
Pâle sous ses longs cheveux noirs.

Puis, empereur puissant, dont la tête s’incline,
Gouvernant un combat du haut de la colline,
Promettant une étoile à ses soldats joyeux,
Faisant signe aux canons qui vomissent les flammes,
De son âme à la guerre armant six cent mille âmes,
Grave et serein, avec un éclair dans les yeux.

Puis, pauvre prisonnier, qu’on raille et qu’on tourmente,
Croisant ses bras oisifs sur son sein qui fermente,
En proie aux geôliers vils comme un vil criminel,
Vaincu, chauve, courbant son front noir de nuages,
Promenant sur un roc où passent les orages
Sa pensée, orage éternel.

Qu’il est grand, là surtout ! quand, puissance brisée,
Des porte-clefs anglais misérable risée,
Au sacre du malheur il retrempe ses droits ;
Tient au bruit de ses pas deux mondes en haleine,
Et mourant de l’exil, gêné dans Sainte-Hélène,
Manque d’air dans la cage où l’exposent les rois !

Qu’il est grand à cette heure, où, prêt à voir Dieu même,
Son œil qui s’éteint roule une larme suprême !
Il évoque à sa mort sa vieille armée en deuil,
Se plaint à ses guerriers d’expirer solitaire,
Et, prenant pour linceul son manteau militaire,
Du lit de camp passe au cercueil !

À Rome, où du Sénat hésite le conclave,
À l’Elbe, aux monts blanchis de neige ou noirs de lave,
Au menaçant Kremlin, à l’Alhambra riant,
Il est partout ! – Au Nil je le retrouve encore.
L’Égypte resplendit des feux de son aurore ;
Son astre impérial se lève à l’orient.

Vainqueur, enthousiaste, éclatant de prestiges,
Prodige, il étonna la terre des prodiges.
Les vieux scheiks vénéraient l’émir jeune et prudent ;
Le peuple redoutait ses armes inouïes ;
Sublime, il apparut aux tribus éblouies
Comme un Mahomet d’occident.

Leur féerie a déjà réclamé son histoire.
La tente de l’Arabe est pleine de sa gloire.
Tout Bédouin libre était son hardi compagnon ;
Les petits enfants, l’œil tourné vers nos rivages,
Sur un tambour français règlent leurs pas sauvages,
Et les ardents chevaux hennissent à son nom.

Parfois il vient, porté sur  l’ouragan numide,
Prenant pour piédestal la grande pyramide,
Contempler les déserts, sablonneux océans ;
Là, son ombre, éveillant le sépulcre sonore,
Comme pour la bataille y ressuscite encore
Les quarante siècles géants.

Il dit : debout ! soudain chaque siècle se lève,
Ceux-ci portant le sceptre et ceux-là ceints, du glaive,
Satrapes, pharaons, mages, peuple glacé.
Immobiles, poudreux, muets, sa voix les compte ;
Tous semblent, adorant son front qui les surmonte,
Faire à ce roi des temps une cour du passé.

Ainsi tout, sous les pas de l’homme ineffaçable,
Tout devient monument ; il passe sur le sable,
Mais qu’importe qu’Assur de ses flots soit couvert,
Que l’Aquilon sans cesse y fatigue son aile,
Son pied colossal laisse une trace éternelle
Sur le front mouvant du désert.

Histoire, poésie, il joint du pied vos cimes.
Éperdu, je ne puis dans ces mondes sublimes
Remuer rien de grand sans toucher à son nom ;
Oui, quand tu m’apparais, pour le culte ou le blâme,
Les chants volent pressés sur mes lèvres de flamme,
Napoléon ! soleil dont je suis le Memnon !

Tu domines notre âge ; ange ou démon, qu’importe !
Ton aigle dans son vol, haletants, nous emporte.
L’œil même qui te fuit te retrouve partout.
Toujours dans nos tableaux tu jettes ta grande ombre ;
Toujours Napoléon, éblouissant et sombre,
Sur le seuil du siècle est debout.

Ainsi, quand du Vésuve explorant le domaine,
De Naples à Portici l’étranger se promène,
Lorsqu’il trouble, rêveur, de ses pas importuns,
Ischia, de ses fleurs embaumant l’onde heureuse
Dont le bruit, comme un chant de sultane amoureuse,
Semble une voix qui vole au milieu des parfum ;

Qu’il hante de Paestum l’auguste colonnade ;
Qu’il écoute à Pouzzol la vive sérénade
Chantant la tarentelle au pied d’un mur toscan ;
Qu’il éveille en passant cette cité momie,
Pompéi, corps gisant d’une ville endormie,
Saisie un jour par le volcan ;

Qu’il erre au Pausilippe avec la barque agile
D’où le brun marinier chante Tasse à Virgile ;
Toujours, sous l’arbre vert, sur les lits de gazon,
Toujours il voit, du sein des mers ou des prairies,
Du haut des caps, du bord des presqu’îles fleuries,
Toujours le noir géant qui fume à l’horizon !

Victor Hugo. Les Orientales. 1829

Pareil génie historique ne pouvait rester à l’écart du cinéma… plus de 700 apparitions sur le grand écran, 300 sur le petit. La première fois, dans un film des frères Lumière en 1897 qui reprend son entrevue avec Pie VII, puis bien sur, l’inoubliable Napoléon d’Abel Gance en 1927 avec Albert Dieudonné et encore, plus tard, Marlon Brando, Patrice Chéreau etc etc… Le projet le plus ambitieux sera déjà bien avancé avant que d’avorter : celui de Stanley Kubrick, dont le tournage était prévu en 2011, mais, le flop de Waterloo de Sergueï Bondartchouk aidant, les producteurs d’Hollywood se désengageront. Et ne parlons pas de littérature … les livres se comptent par milliers, à peu près un par jour, dit-on, depuis cette année 1821 : cela fait en 2015 autour de 70 000  !

24 06 1821  

Les troupes de Bolivar remportent la victoire sur les troupes royalistes à Carabobo, assurant ainsi au Venezuela son indépendance définitive.

28 07 1821

Le Pérou proclame son indépendance. Pour ce faire, San Martin a reçu un inestimable coup de main de Lord Thomas Alexander Cochrane, corsaire anglais à la tête d’une véritable flotte qui a transporté ses troupes du Chili au Pérou, jusqu’au port de Callao, proche de Lima. Mais il faudra encore batailler contre les Espagnols : c’est le général Antonio José de Sucre qui les défait à Ayacucho en 1824. Sucre, premier lieutenant de Simon Bolivar, sera le premier président de la Bolivie.

28 09 1821 

Le Mexique proclame son indépendance. Trois ans plus tard, il se dotera d’une constitution dans laquelle le Texas, le Nouveau-Mexique et la Californie seront nommés provinces pionnières.

29 12 1821

Soulèvement bonapartiste manqué des garnisons de Belfort et de Neuf Brisach.

1821    

En Islande, éruption de l’Eyjafjallajökull : il attendra presque 190 ans pour faire à nouveau parler de lui en paralysant le trafic aérien dans l’Europe du Nord pendant 15 jours en 2010.

Clement Clarke Moore, pasteur américain, dans un poème intitulé La visite de Saint Nicolas, fait évoluer en Père Noël le personnage de Saint Nicolas : jusqu’alors, ce dernier offrait des cadeaux et du pain d’épices aux enfants sages : la tradition avait voyagé avec les immigrants hollandais. Sinter Klaas devint Santa Claus : le bonnet remplace la mitre, le sucre d’orge la crosse, et voilà un personnage jovial se déplaçant en traîneau tiré par 8 rennes pour distribuer ses cadeaux.

9 01 1822

Le roi du Portugal Joao VI, après le traité de Vienne en 1815, avait décidé de rester au Brésil, où il se trouvait à la tête d’un puissant empire, quand le Portugal comptait pour quantité négligeable en Europe, devenant ainsi le grand perdant de l’affaire : il n’est plus l’entrepôt entre le Brésil et l’Europe, ses privilèges commerciaux lui ont été retirés… bref, il est devenu en quelque sorte la colonie du Brésil ! En septembre 1820, une révolution libérale avait gagné l’ensemble du pays : des Cortes comptant des députés venus du Brésil avaient été élues, attribuant au roi un rôle de fantoche. Sous la pression des Cortés, le roi finit par rentrer au Portugal en avril 1821, nommant son fils  dom Pedro régent du royaume du Brésil ; mais pour les Cortés la situation n’est pas acceptable : Lisbonne est la capitale des provinces du Brésil comme de celles de la métropole et le poste de régent du Brésil est superflu : en décembre 1821, des décrets des Cortés ordonnent à dom Pedro de quitter le Brésil et abolissent les cours suprêmes de justice de Rio, mesures très mal accueillies au Brésil où une pétition lui demande de rester : dom Pedro annonce alors sa décision : Fico – Je reste – premier acte de désobéissance aux Cortés. Il proclame l’indépendance du Brésil le 7 septembre 1822, et est sacré empereur le 1° décembre. Les provinces de Rio, du Minas Gerais, de Sao Polo, lui étaient acquises ; celles qui étaient plus éloignées avaient pris goût à l’indépendance : aussi, réunissant un Conseil des représentants des provinces, il convoqua une assemblée constituante qui commencera ses travaux en mai 1823 ; seules les provinces du nord – Para et Maranhão – et la Cisplatine méridionale, annexée en 1817, restent fidèles aux Cortés. À Bahia, des affrontements opposent l’armée portugaise aux populations locales, mais le gros des troupes portugaises évacuent la ville le 2 juillet 1823. Dom Pedro a alors les coudées franches et dissout la récente assemblée constituante pour modeler en 1824 une charte constitutionnelle sur mesure : le régime est monarchique, héréditaire, constitutionnel et représentatif. Il va susciter une industrie du caoutchouc, vite devenue florissante : chaussures, sacs, capes étanches, et bouteilles en forme de poire, que les Portugais nommeront Seringua. L’hévéa se nommera communément Pao de Seringua et ses exploitants les Séringueros.

File:Pedro II of Brazil 1850.jpg

Pedro II à 24 ans par François René Moreau, 1807-1860

19 02 1822   

À Quimper, sur les bords de l’Odet,  Nicolas Le Marié fonde une manufacture de papier à cylindre – les papeteries d’Ergué-Gabéric -. Mais en 1861, victime d’un grave accident, il sera contraint à transmette sa papèterie à Jean René Guillaume Bolloré, son neveu – aïeul de Vincent Bolloré -. La papèterie fabriquera entre autres, à partir de 1918 le papier à cigarette OCB – Odet-Cascadec (lieudit de la commune de Scaër) –Bolloré -. En 1855, Corentin Le Couedic, avait rapporté du siège de Sébastopol sa trouvaille : il avait remplacé sa pipe fracassée par une balle par du tabac enroulé dans une lettre de sa fiancée. Pour fabriquer du papier aussi fin, ils utiliseront des filets de pêche usagés et des roseaux abaca philippins, ce qui leur permettra de régner sur le papier carbone, et aussi, d’être les fournisseurs de l’éditeur Gallimard pour sa prestigieuse collection La Pléiade.

6 06 1822   

En 1820, un charpentier marin des bords de la Clyde, en voyant flotter un chaudron, avait eu l’idée de construire une petite embarcation en métal : 2 ans plus tard, le premier navire en fer et à vapeur le Aaron Manby, navigue sur la Seine.

26 et 27 07 1822 

Les deux Libertador de l’Amérique du Sud, celui du nord, Simon Bolivar et celui du sud, San Martin se rencontrent à Guayaquil, en Équateur : rien ne filtrera des entretiens, aucun mot fameux ou explicite, si ce n’est l’impression que l’Argentin, humble et magnanime, ne voulut pas s’opposer au Vénézuélien, autoritaire et ambitieux. Voulurent-ils redonner corps à leur mutuelle volonté d’unification de l’Amérique du Sud, ou bien se contentèrent-ils de faire le constat des indépendances difficilement acquises et déjà en proie aux divisions ? Fatigué de la puissance des forces de division, San Martin jettera l’éponge et finira sa vie à Boulogne sur mer. Au moment de l’émancipation, les colonies espagnoles devinrent d’une certaine manière des colonies anglaises.

Chateaubriand, alors ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII

14 09 1822

Sur un moulage en plâtre de la pierre de Rosette, Champollion décrypte les hiéroglyphes égyptiens : il peut être satisfait : je tiens mon affaire ! Son génie fût de deviner que les signes contenus dans les cartouches exprimaient tantôt des sons, ils se nomment alors phonogrammes, tantôt des images, ils se nomment alors idéogrammes. Le texte en question est celui du Décret de Memphis, écrit en hiéroglyphe, en démotique et en grec. Sa maîtrise de cette dernière langue lui avait permis de situer les noms propres et c’est eux qu’il reconnut en premier dans le hiéroglyphe et dans le démotique. Il exposera sa découverte dans sa Lettre à M Dacier, secrétaire perpétuel de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles Lettres, en date du 27 septembre 1822. [Le texte se trouve dans la catégorie Discours].

L’homme avait du génie, mais cela ne l’empêchait pas de faire preuve de la prudence nécessaire pour ne pas s’attirer les foudres du Vatican : ainsi, chaque fois que ses découvertes l’emmèneront à des périodes antérieures à celle fixée par l’Église pour la naissance du monde  – 1313 avant notre ère – il les taira tout simplement. Il faudra attendre le tremblement de terre provoqué par l’Origine des espèces de Darwin  en 1859 pour ébranler les dogmes de l’Église en matière scientifique. Du 16 juillet 1828 au 6 décembre 1829, à 39 ans, il dirige une expédition franco-toscane en Égypte, quelque peu déçu par la découverte physique de Égypte – je me sentais humilié de ce que l’effet de ces prodigieux monuments diminue à mesure que l’on approche –. Jean-Pierre Guéno commentera : comme si le recul et la distance lui avaient toujours indispensables pour identifier les traces du passé. Il meurt de phtisie à 41 ans.

1822

L’indépendance de fait de la Grèce est proclamée par l’Assemblée nationale d’Épidaure, soutenue par l’opinion publique européenne. À la tête de l’État, Jean Capo d’Istria, qui avait été ministre des Affaires étrangères du tzar Alexandre I°. Pendant deux ans, les Grecs multiplieront les victoires, puis se chamailleront en même temps que le  Sultan négociait avec Méhémet Ali en Égypte, qui enverra son fils Ibrahim Pacha à la tête d’une armée pour mettre les Grecs au pas. Ibrahim accostera dans le Péloponnèse en février 1825 et conquerra rapidement la majeure partie de la région. Missolonghi, assiégée par les Ottomans depuis avril 1825, tombera en 1826, Athènes en juin 1827.

Pierre Berthier découvre  aux Baux de Provence un minerai qui contient de l’alumine monohydratée ou trihydratée : il le nommera bauxite. Il faudra attendre plus de 30 ans, avec les recherches de Sainte Clair Deville, et l’arrivée de l’électricité en 1854 pour en obtenir par électrolyse de l’aluminium.

Mary Mantell se promène dans la forêt de Tilgate, dans le Sussex, pendant que Gideon, son mari médecin visite un patient : elle trouve une grande dent – 28 cm – dans un talus de chemin ; expédiée au naturaliste français Cuvier, celui-ci l’attribue à un rhinocéros. Samuel Sutchbury, de la société géologique de Londres, parle de poisson. Mantell, paléontologue amateur, penche  pour un gigantesque iguane herbivore et, poursuivant les fouilles, trouve des os qui confirment la très grande taille de l’animal : en 1825, il expose le tout à la Royal Society de Londres qui, avalise la reconnaissance de l’iguanodon, que l’on nommera dinosaure à partir de 1841, dès lors promis à une fulgurante carrière post mortem : muséum, cinéma, BD, romans etc …

Iguanodon trouvé à Bernissart en Belgique.

trouvé à Bernissart, en Belgique

Le jour du Mardi-Gras, la terre tremble dans toutes les Alpes.

L’Anglais Thomas de Quincey découvre l’opium, qu’il prend comme antalgique : […] j’en pris, et, dans l’espace d’une heure, ô ciel ! quelle révolution ! Quelle surrection de l’esprit intérieur du tréfonds de ses abîmes ! Quelle apocalypse du monde que je portais en moi ! Que mes douleurs eussent disparu était maintenant une bagatelle à mes yeux : cet effet négatif était englouti dans l’immensité des effets positifs qui venaient de s’ouvrir devant moi, dans l’abîme de plaisirs divins ainsi révélés tout à coup. Je tenais une panacée pour tous les maux humains : je tenais tout à coup le secret du bonheur dont les philosophes avaient disputé durant des siècles ; voici que le bonheur s’achetait pour deux sous, qu’on pouvait le garder dans la poche de son gilet.

[…] Il communique sérénité et équilibre à toutes les facultés, actives ou passives.

[…] Le mangeur d’opium ressent que la partie divine de sa nature est souveraine : ses sentiments moraux connaissent une sérénité sans nuages, et, au-dessus de tout, brille avec majesté la grande lumière de l’intelligence.

[…] L’océan, avec sa respiration éternelle, mais aussi par son grand calme, personnifiait mon esprit et l’influence qui le gouvernait alors… L’océan m’apparût pavé d’innombrables têtes tournées vers le ciel, des visages furieux, désespérés, se mirent à danser à la surface, par milliers, par myriades, par générations, par siècles.

[…] Je me sauvais dans des pagodes, et j’étais, pendant des siècles, fixé au sommet, ou enfermé dans des chambres secrètes. J’étais l’idole, j’étais le prêtre, j’étais adoré, j’étais sacrifié…

[…] Devant la parole sacrée, chaque cité ouvrait toute grande ses portes. Les rivières étaient conscientes que nous les passions. Toutes les forêts, quand nous courrions à leur lisière, frémissaient en hommage à la parole secrète. Et l’obscurité nocturne la comprenait

[…] Ce n’est pas la pensée qui découvre l’art, mais c’est l’art qui découvre la pensée.

Thomas de Quincey. Les confessions d’un mangeur d’opium anglais. 1822

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[1] des chiffres plus anciens donnaient 19°36′ N et 19°45′ O (Auguste Bailly, dans Le Radeau de la Méduse. 1929)

[2] ensemble des pièces de rechange de la mâture

[3] On est tenté de croire que l’information circule avec difficulté dans le milieu marin, tant les trouvailles des uns semblent ne jamais bénéficier aux autres : c’est vrai des différents remèdes trouvés contre le scorbut et c’est vrai aussi du mal de mer, dont la recette retenue par Alexandre de Rhodes, un jésuite du XVII ° siècle – 1591-1660-  semble n’avoir bénéficié à personne : Très tourmenté d’une incommodité d’estomac fort ordinaire à ceux qui vont sur la mer […] je fus instruit d’un beau secret : prendre un de ces poissons qui ont été dévorés et qu’on trouve dans le ventre des autres poissons, le bien rôtir, y mettre un peu de poivre et le prendre en entrant dans le navire. L’estomac a alors tant de vigueur qu’il ne craint plus d’être ébranlé.

[4] Thomas Jefferson, ambassadeur en France de 1785 à 1789, président des États-Unis de 1800 à 1808, auteur de la Déclaration d’Indépendance, aimait bien les esclaves… à tel point qu’en l’an 2000, les tests d’ADN sont venus multiplier par 6 les rumeurs murmurant qu’après le décès prématuré à 34 ans de sa femme, Martha Wayles Skelton Jefferson, il avait eu un enfant avec son esclave Sally Hemings, choisie parmi les 300 autres : ce n’était pas un enfant, mais six….

[5] littéralement : ce qui doit être lu – legenda -. Le mensonge d’État, l’intoxication, l’endoctrinement, le bourrage de crâne, sont bien de vieilles affaires : la légende est mère de la propagande.  L’Histoire est un mensonge que plus personne ne conteste, disait Churchill.