6 02 1939 au 8 mai 1940 La Retirada. Le Louvre cache ses chefs d’œuvre. La grande solitude du général Prételat. Shalom amigos. Elisabeth Eidenbenz. 20063
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Publié par (l.peltier) le 9 septembre 2008 En savoir plus

6 02 1939 

Les dirigeants et militaires républicains espagnols arrivent en France, à la suite des civils : ils sont rassemblés dans les camps d’Argelès sur mer : les trois cotés du camps sont délimités par des barbelés plantés à la va-vite sur la plage, le quatrième coté, c’est la mer. D’autres camps suivront, séparant femmes, enfants, vieillards, malades et les hommes et soldats.

Imaginez une sinistre frange de terre sablonneuse, d’environ deux kilomètres de long sur quatre à cinq cent mètres de large. Elle était balayée par la Méditerranée d’un coté et finissait dans un marais de l’autre. Toute la zone, divisée en corrals carrés, était entourée de barbelés. Des mitrailleuses étaient disposées le long du périmètre du camp. Des latrines, qui consistaient en une longue poutre fixée sur des piliers sous laquelle la marée passait, furent construites sur la plage. C’est ainsi que nous fûmes accueillis par la France républicaine et son gouvernement socialiste. En signe de gratitude pour cet accueil chaleureux, nous décidâmes de baptiser ces latrines boulevard Daladier […] Le sable paraissait sec, mais il ne l’était qu’en surface. Il nous fallait dormir dehors par groupe de cinq à dix hommes. Avec quelques une des capotes et des couvertures, nous faisions notre couche et avec les autres nous nous couvrions. Il fallait éviter de se retourner d’un coté sur l’autre, car la partie mouillée du corps gelait dans l’air froid et cela pouvait entraîner une pneumonie […]. Les hommes blessés et malades étaient aussi là. La mortalité était très élevée, elle atteignait une centaine de personnes chaque jour.

Emil Shteingold, brigadiste letton, au camp de Saint Cyprien, 90 000 hommes.

Barcelone est tombée aux mains des Franquistes le 26 janvier, Madrid tombera le 28 mars. Le maréchal Pétain viendra représenter la France pour fêter la victoire aux cotés de Franco ; dans la foulée, il sera nommé ambassadeur de France à Madrid. 100 000 hommes tombèrent sur les champs de bataille, 50 000 à l’arrière, de maladie et de malnutrition, 10 000 victimes, dans les bombardements de populations civiles. Mais ce sont les représailles qui firent le plus de victimes : Terreur blanche contre Terreur rouge. 49 772 de la part des républicains, dont 4 184 prêtres, 12 évêques, 2 635 moines et 283 religieuses, à peu près 13 % des ecclésiastiques d’Espagne. 200 000 de la part des nationalistes, dont la moitié après la fin de la guerre. Nombreux furent les républicains qui restèrent cachés, terrés chez des amis, le plus souvent dans leur famille pendant 30 ans, ne parvenant pas à accorder confiance aux différentes amnisties prononcées par Franco. Il fallut attendre la dernière, en 1969, pour qu’ils puissent reprendre une vie d’homme libre. On comptera 450 à 500 000 exilés : nombre d’entre eux rentreront, mais 280 000 resteront à l’étranger, principalement en France. Dans les années 2 000, le Midi-Libre se livrera à une enquête sur les noms de famille les plus courants en Occitanie et ce seront les Garcia, Lopez, Fernandez, Hernandez etc… qui arriveront en tête.

Le gangstérisme d’État pu sévir sans trop se cacher : se mirent alors en place des réseaux de trafics d’enfants alimentés par des détournements dans les maternités même : on choisissait des femmes seules ou en situation difficile et, après l’accouchement, on leur faisait croire que leur enfant était mort-né, pour pouvoir le vendre tranquillement. La mère faisait elle preuve d’un soupçon de méfiance en demandant à voir l’enfant ? On sortait alors d’un congélateur un nouveau-né mort en lui disant que c’était le sien ; puis on le remettait au frais en attendant d’avoir à le ressortir pour la demande suivante. Ce trafic dura des dizaines d’années. Le prix était d’environ 200 000 pesetas, – à peu près 2 400 € actuels -. Le trafic pourrait avoir concerné 300 000 enfants de 1940 à 1990. Ce qu’il en fallu de complicités assassines, de lâchetés, de peurs rentrées pour permettre tout cela : médecins, infirmières, prêtres, religieuses, employés à l’administration des hôpitaux, employés d’État Civil : que de registres truqués, de certificats de décès bidons, etc… tout cela avec l’argument fallacieux : mais c’était pour le bien de ces enfants : leurs mères n’avaient pas les moyens de les éduquer convenablement. [voir Courrier International n° 1102, du 15 au 21 décembre 2011]

Savez-vous ce qu’est la guerre d’Espagne, ce qu’elle a été vraiment ? Si vous ne le savez pas, vous ne comprendrez jamais rien au fascisme, au communisme, à la religion, à l’homme, vous ne comprendrez jamais rien à rien ; parce que toutes les erreurs, tous les espoirs du monde se sont concentrés dans cette guerre, comme une lentille concentre les rayons du soleil et met le feu, de même l’Espagne s’est allumée avec tous les espoirs et toutes les erreurs du monde, et c’est de ce feu que le monde crépite aujourd’hui.

Leonardo Sciascia. Les oncles de Sicile. Gallimard 2002

C’est cela, une guerre civile : la détestation à mort du frère pour la sœur, de la mère pour la fille. C’est cela, la vraie guerre, dès qu’on oublie les récits de la mémoire utile et de l’Histoire rangée : les assassinats sordides, les enlèvements, les cachots secrets, les sinistres paseos, les cadavres abandonnées dans la Casa Del Campo, les parloirs des prisons bondées, avec ces foules hurlantes ; et moi, à 3 ans, accroché aux barreaux, criant Maman, Mamita, me débattant entre deux miliciennes.

[…] C’est, pour un enfant d’à peine six ans, la route de l’exil dans une nuit gelée, en mars 1939, remplie de l’écho de la bataille perdue, avec, dans les voitures, cette peur sourde : Tiendront-ils ? et, à chaque barrage, la question angoissante : Qui est-ce ? Les nôtres ? Puis, dans les lueurs d’une aube surnaturelle, ces foules désemparées, vindicatives et terrorisées, entassées sur le quai devant le dernier cargo anglais surchargé de réfugiés. Et pour finir, la côte qu’on regarde s’éloigner dans un hébétement incrédule. Des cicatrices intérieures, oui : la peur, la faim, le froid, l’inguérissable mélancolie. Mais surtout l’aversion des idéologies, du lyrisme et du pathos. J’entendrai plus tard les récits, je lirai les plaidoyers et les apologies, République, fascisme ; je tenterai de m’y accrocher. Mon corps chaque fois me rappelait au désordre sanglant : où donc, dans ce Madrid de guerre, se trouvait la République ? Son gouvernement avait fui ; les anarchistes la rejetaient au nom de leur pureté révolutionnaire ; les socialistes de Largo Caballero s’unissaient aux communistes qui la défendaient en attendant de pouvoir l’étrangler. Dans les rues de la capitale, ce ne sont pas les portraits d’Azaña ou de Negrin que je voyais, mais ceux, immenses, de Marx, de Lénine et de Staline. De l’autre coté, carlistes, catholiques, phalangistes vouaient à cette Gueuse honnie une haine véritablement démente.

Michel del Castillo. Mes cicatrices intérieures. L’Histoire n°311. 2006

Ce n’est pas Franco qui a gagné la guerre ; ce sont les républicains qui l’ont perdue. […] Régime légal de l’Espagne, la République n’a pas été capable, en présence du danger, de sceller la coalition des citoyens. Tout le monde luttait contre tout le monde. La défaite des républicains est due à l’anarchie ; la victoire de Franco, à la discipline. La maladie de la Résistance est celle des républicains espagnols. Les chefs des mouvements devraient y prendre garde.

Jean Moulin, à Daniel Cordier. Août 1942

Des bourgeois européens qui, pour la plupart, ne songeaient plus beaucoup à l’éventualité d’une guerre où ils devraient tout sacrifier à la patrie, vinrent à Salamanque et à Burgos s’enrôler dans les rangs fascistes. Et beaucoup plus nombreux encore, des ouvriers de Tchécoslovaquie, d’Angleterre, d’Allemagne et de France qui eussent refusé de donner une goutte de leur sang pour la défense de leur pays capitaliste moururent en héros sous les murs de Madrid dans les Brigades Internationales. De tels états d’âme, qui rappelaient les mentalités des anciennes guerres de religion, eurent d’incalculables conséquences morales et politiques. Dans chaque pays, l’esprit national baissa de plusieurs crans au profit de la solidarité des classes et de la solidarité mystique.

On cessa de penser français, anglais, belge ou tchèque, pour penser fasciste ou anti-fasciste, communiste ou anti-communiste. Les doctrines d’intérêt d’État reculèrent non dans l’esprit du public, mais dans celui des élites et de leurs représentants autorisés, les diplomates, les hommes d’État et même les militaires. C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple frappant, que le grand État-major français, qui avait toujours été partisan de l’alliance russe – Foch a écrit que l’alliance russe avait sauvé la France d’une mort certaine en 1914 – perdit tout à coup de vue ses grandes raisons techniques et stratégiques, et ne retînt qu’une chose, c’est que les Russes étant rouges au lieu d’être blancs, il fallait se passer d’eux.

Henri de Kérillis. Français, voici la vérité. Éditions de la Maison Française New York 1942

Je vais vous raconter quelque chose que vous ne savez pas, quelque chose de la guerre. Il prit une gorgée de nescafé ; je fis de même : Miralles avait eu la main un peu lourde sur le cognac. Quand je suis parti au front en 1936, d’autres garçons étaient partis avec moi. Ils étaient de Terrassa, comme moi ; très jeunes, presque encore des enfants, comme moi ; j’en connaissais quelques-uns de vue ou pour avoir parlé avec eux, mais pas la plupart. C’était les frères Garcia Segués (Joan et Lela), Miquel Cardos, Gabi Baldrich, Pipo Canal, le gros Odena, Santi Brugada, Jordi Gudayol. Nous avons fait la guerre ensemble, les deux guerres : la nôtre et l’autre, mais c’était la même. Aucun d’entre eux n’a survécu. Tous morts. Le dernier était Lela Garcia Segués. Au début, je m’entendais mieux avec son frère Joan, qui avait le même âge que moi, mais, avec le temps, Lela est devenu mon meilleur ami, le meilleur que j’aie jamais eu : on était tellement amis qu’on n’avait même pas besoin de se parler quand on était ensemble. Il est mort à l’été 1943, dans un village près de Tripoli, écrasé par un char anglais. Vous savez, depuis la fin de la guerre, je n’ai pas passé un seul jour sans penser à eux. Ils étaient si jeunes… Ils sont tous morts. Tous morts. Morts. Morts. Tous. Aucun d’entre eux n’a jamais goûté les bonnes choses de la vie : aucun n’a jamais eu de femme pour lui tout seul, aucun n’a connu le bonheur d’avoir un enfant et de le voir, à trois ou quatre ans, se glisser dans son lit, entre sa femme et lui, un dimanche matin, dans une chambre ensoleillée…

À un moment donné, Miralles avait commencé à pleurer : son visage et sa voix n’avaient pas changé, mais quelques larmes, au-delà de toute consolation, coulaient, d’abord rapides, le long de la surface lisse de sa cicatrice puis, plus lentes, sur ses joues à la barbe clairsemée.

  • Parfois, je rêve d’eux et je me sens alors coupable : je les vois tous, intacts, ils me saluent en plaisantant, aussi jeunes qu’autrefois puisque le temps n’a plus cours pour eux, aussi jeunes qu’autrefois, et ils me demandent pourquoi je ne suis pas avec eux, comme si je les avais trahis, car ma véritable place était là-bas ; ou comme si j’usurpais la place de l’un d’entre eux ; ou comme si, en réalité, j’étais mort depuis soixante ans dans un quelconque fossé d’Espagne ou d’Afrique ou de France et que j’étais en train de rêver d’une vie future avec une femme et des enfants, une vie qui finirait ici, dans cette chambre d’hospice, pendant que nous causons.

Miralles continua à parler plus précipitamment, sans sécher les larmes qui coulaient le long de son cou et mouillaient sa chemise de flanelle.

  • Personne ne se souvient d’eux, vous savez ? Personne. Personne ne se souvient même pourquoi ils sont morts et pourquoi ils n’ont jamais eu ni femme, ni enfants, ni chambre ensoleillée ; personne, et encore moins ceux pour lesquels ils se sont battus. Aucune rue misérable d’aucun village misérable d’aucun pays de merde ne porte ni ne portera jamais le nom de l’un d’entre eux. Vous comprenez ? Vous comprenez, n’est-ce pas ? Ah… mais je m’en souviens moi, et comment ! de tous je me souviens, de Lela et de Joan et de Gabi et d’Odena et de Pipo et de Brugada et de Gudayol, je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme ça, il n’y a pas un seul jour où je ne pense à eux.

Miralles cessa de parler, sortit un mouchoir, sécha ses larmes, se moucha ; il le fit sans pudeur, comme s’il n’avait pas honte de pleurer en public, ainsi que le faisaient les vieux guerriers homériques, ainsi que l’aurait fait un soldat de Salamine. Il but ensuite d’un trait son nescafé refroidi. Nous gardâmes le silence, en fumant. La lumière du balcon faiblissait peu à peu ; à peine entendait-on les voitures passer. Je me sentais bien, un peu ivre, presque heureux. Je pensai : Il se souvient de ses compagnons pour la même raison que moi je me souviens de mon père et Ferlosio du sien et Miquel Aguirre du sien et Jaume Figueras du sien et Bolano de ses amis latino-américains, de tous les soldats morts dans des guerres perdues d’avance : il se souvient d’eux, décédés soixante ans plus tôt et pourtant pas encore morts, précisément parce qu’il s’en souvient. Ou peut-être n’est-ce pas lui qui se souvient d’eux, mais eux qui s’agrippent à lui, pour ne pas mourir complètement. Pourtant, après la mort de Miralles, pensai-je, ses amis mourront complètement eux aussi, car il n’y aura personne pour se souvenir d’eux et les empêcher ainsi de mourir.

Javier Cercas. Les soldats de Salamine. Actes sud. 2002

Le Gouverneur (…) n’en croyait pas ses oreilles. Avait-il fait la République pour qu’une défroquée pût impunément abuser de la liberté d’expression au point de s’exclamer devant un auditoire d’adolescents : Comme l’a dit Darwin, le masculin et le féminin, loin d’être des entités qui s’opposent, sont des faits de même valeur originaire qui se rapprochent très souvent. Hors du féminisme, la femme est condamnée à l’inaction. Ce qu’une sainte Thérèse a réalisé dans le cadre d’une époque de superstition, nous devons, nous, citoyennes de la démocratie espagnole, l’accomplir dans l’égalité des sexes au droit de l’amour (…) : J’ai assez étudié la religion pour pouvoir déclarer comme antichrétien l’esclavage espagnol qui, dans nos familles, place la femme sous la dépendance de l’homme. Les bravos accueillirent la fin de cette première partie. Pepito, sincère républicain, qui tout de même avait eu le courage de ne pas prendre pour maîtresse, au sortir de son île, cette fille naufragée sur le roc du Carmel, lut, épouvanté, l’annonce de la seconde partie de la conférence : L’avortement : droit ou devoir ?

Adolphe de Falgairolle. La Milicienne 1937

A quoi bon tous ces bondieux ? le peuple n’en a pas besoin.
Ce que la brute immonde autant que Dieu déteste, c’est la beauté.
Au feu, grandes bibliothèques ! Léviathan de nouveau se vautre et des rayons de soleil il s’est fait litière et fumier !
Toutes ces bouches qui nous interrogent, tout ça, contre tout ça c’était trop difficile de garder son propre carreau !
Fer monsieur d’un coup de poing la gueule, c’est plus simple ! à bas le Christ et vive le taureau !
Il faut faire de la place pour Marx et pour toutes ces bibles de l’imbécillité et de la haine !
Tue, camarade, détruis et soûle toi, fais l’amour ! car c’est ça, la solidarité humaine !
Tous ces curés, vivants ou morts, qui nous regardent, ne dites pas qu’ils ne nous ont pas provoqués !
Ces gens qui nous faisaient du bien pour rien, à la fin c’est une chose qu’on ne pouvait pas tolérer !
Et ceux qui sont déjà morts, eh bien, on ira les chercher jusque dans la terre !
Tous ces squelettes, c’est joliment drôle comme ils rient ! Un malin a ôté sa cigarette de sa bouche et l’a mise entre les dents de ce cadavre qui fut sa mère.
Brûlons tout ce qui est capable de brûler, les morts et les vivants en un seul tas. Apportez le pétrole ! Brûlons Dieu ! ce sera un fameux débarras !
[…] L’heure du prince de ce monde, la voici qui est revenue à la foi !
L’heure de l’interrogation finale, l’heure de l’Iscariote et de Caïn !
Sainte Espagne, à l’extrémité de l’Europe, carré et concentration de la foi et masse dure, et retranchement de la Vierge Mère,
Et la dernière enjambée saint Jacques qui ne finit qu’avec la terre, Patrie de Dominique et de Jean de François le conquérant et de Thérèse
Arsenal de Salamanque, et pilier de Saragosse, et racine brulante de Manrèse,
Inébranlable Espagne, refus et la demi-mesure à jamais inacceptée
Coup d’épaule contre l’hérétique pas à pas repoussé et refoulé,
Exploratrice d’un double firmament, raisonneuse de la prière et de la ronde
Prophétesse de cette autre terre dans le soleil là-bas et colonisatrice de l’autre monde
En cette heure de ton crucifiement, sainte Espagne, en ce jour sœur Espagne, qui est ton jour
Les yeux pleins d’enthousiasme et de larmes, je t’envoi mon admiration et mon amour !
Quand tous les lâches trahissent, mais toi, une fois de plus, tu n’as pas accepté !
Comme au temps de Pélage et du Cid, une fois de plus tu as tiré l’épée
Le moment est venu de choisir et de dégainer son âme !
Le moment est venu les yeux dans les yeux de mesurer la proposition des infâme !
Le moment est venu, à la fin que l’on sache la couleur de notre sang !
Beaucoup de gens se figurent que leur pied va au ciel par un chemin facile et complaisant.
Mais tout à coup voici la question posée, la sommation et le martyre !
On nous met le ciel et l’enfer dans la main et nous avons quarante secondes pour choisir.
Quarante secondes, c’est trop ! Sœur Espagne, sainte Espagne,  tu as choisi !
Onze évêques, seize mille prêtres massacrés et pas une apostasie !
Ah ! puissé-je comme toi à voix haute témoigner dans la splendeur de midi !
On avait dit que tu dormais, sœur Espagne, comme quelqu’un, celui-là qui fait semblant de dormir :
Et puis l’interrogation tout à coup, et d’un coup ces seize mille martyrs !…
Et nous aussi, prières, salut du plus profond de mon âme, sainte Église exterminée !
Statues que l’on casse à coup de marteau et ces peintures vénérables, et ce ciboire, avant de le fouler aux pieds…
Salut, les cinq cents églises catalanes détruites…
Vous aussi vous avez su témoigner ! Vous aussi, vous êtes des martyres !
C’est fait ! L’œuvre est consommée, et la terre par tous ses pores a bu le sang dont elle était altérée.
Le ciel a bu et la messe des cent mille martyrs, toute la terre est profonde à la digérer.
L’assassin en titubant rentre chez lui et il regarde sa main droite avec stupeur,
Le saint a pris solennellement possession de sa part qui est la meilleure.
Tout une fois de plus est consommé et dans le ciel il s’est fait un silence d’une demi-heure.
Et nous aussi, la tête découverte, en silence, ô mon âme, fais silence devant la terre ensemencée !
La terre au fond de ses entrailles a conçu et déjà le recommencement a commencé.
Le temps du labourage est fini, c’est celui maintenant des semailles.
Le temps de l’amputation pour l’arbre a fini et c’est le temps maintenant des représailles.
L’idée sous la terre qui a germé, et de toutes parts dans ton cœur, sainte Espagne, la représaille immense de l’amour !
Les pieds dans le pétrole et le sang, je crois en Toi, Seigneur, et en ce jour un jour qui sera Ton jour !
J’étends la main droite vers Toi pour jurer entre l’action de grâces et le carnage.
Ton corps est véritablement une nourriture et Ton sang véritablement est un breuvage.
De cette chair qui a été pressée, la Tienne, et de ce sang qui a été répandu,
Pas une parcelle n’a péri, pas une goutte qui ait été perdue,
L’hiver sur nos sillons continue, mais le printemps déjà a fait explosion dans les étoiles !
Et tout ce qui a été versé, les anges respectueusement l’ont recueilli et porté à l’intérieur du Voile !

Paul Claudel. Aux martyrs espagnols. Brangues 10 mai 1937

Dès lors, chaque nuit, des équipes (…) opèrent dans les hameaux et jusque dans les faubourgs de Palma. Où que ces messieurs exerçassent leur zèle, la scène ne  changeait guère. C’était le même coup discret frappé à la porte de l’appartement confortable, ou à celle de la chaumière, le même piétinement dans le jardin plein  d’ombre, ou sur le palier le même chuchotement funèbre, qu’un misérable écoute de l’autre côté de la muraille, l’oreille collée à la serrure, le cœur crispé d’angoisse. Suivez nous !… Les mêmes paroles à la femme affolée, les mains qui rassemblent en tremblant les hardes familières, jetées quelques heures plus tôt, et le bruit du moteur qui continue à ronfler, là-bas, dans la rue. Ne réveillez pas les gosses, à quoi bon ? Vous me menez en prison, n’est ce pas, señor ? Perfectamente, répond le tueur, qui parfois n’a pas 20 ans. Puis c’est l’escalade du camion, où l’on retrouve deux ou trois camarades, aussi sombres, aussi résignés, le regard vague… Hombre ! La camionnette grince, s’ébranle. Encore un moment d’espoir, aussi longtemps qu’elle n’a pas quitté la grand’route. Mais voilà déjà qu’elle ralentit, s’engage en cahotant au creux d’un chemin de terre. – Descendez ! – Ils descendent, s’alignent, baisent une médaille, ou seulement l’ongle du pouce. Pan ! Pan ! Pan !

Georges Bernanos. Les Grands Cimetières sous la lune, de 1938

Dieu me garde de prononcer ici une seule parole qui risque de blesser une seule âme de bonne foi ! J’ai en Espagne des amis dans les deux camps, je sais que leur cœur est à vif et qu’un mot suffit à exacerber leur souffrance. D’hommes qui se  scandalisent qu’on ne tienne pas leur guerre pour une guerre sainte j’ai reçu des lettres d’insultes, elles m’importent peu. Mais j’ai reçu aussi des lettres de douleur, et celles-là m’ont navré. Pourtant, ce qui est, est. (…) C’est un sacrilège horrible de massacrer des prêtres – fussent ils fascistes, ce sont des ministres du Christ – en haine de la religion ; et c’est un autre sacrilège, horrible aussi, de massacrer des  pauvres – fussent-ils marxistes, c’est le peuple du Christ – au nom de la religion. (…) C’est un sacrilège de profaner les lieux saints et le Saint Sacrement, de pourchasser tout ce qui est consacré à Dieu, de déshonorer et torturer des religieuses, d’exhumer des cadavres pour les livrer à la dérision, comme on l’a vu dans les jours de ténèbres qui ont immédiatement suivi le déclenchement de la guerre ; et c’est un sacrilège de fusiller, comme à Badajoz, des centaines d’hommes en fêtant le jour de l’Assomption, ou d’anéantir sous des bombes d’avions, comme à Durango – car la guerre sainte hait plus ardemment que l’infidèle les croyants qui ne la servent pas -, des églises et le peuple qui les emplissait, et les prêtres qui  célébraient les mystères ; ou, comme à Guernica, une ville entière avec ses églises et ses tabernacles, en fauchant à la mitrailleuse les pauvres gens qui fuyaient.  

Jacques Maritain. De  la guerre sainte, 1° juillet 1937

Et l’on comprend (…) pourquoi les femmes ont embrassé avec tant de passion la cause du gouvernement, pourquoi les femmes ne se contentent plus, comme dans les autres guerres, des soins d’infirmière, ou des tricots au coin du feu, pourquoi cette fois les femmes sont montées en ligne, avec des fusils, c’est que cette guerre là décidera directement du sort de leurs enfants et d’elles-mêmes – on sait à quel point est asservie la femme en pays fasciste -, c’est que de l’issue de cette guerre là dépend la continuation de ces mesures qu’elles voient prendre autour d’elles pour organiser plus humainement la vie, ou une régression mortelle.

Edith Thomas, 11 décembre 1936

Madame Blanco, amis des parents de Françoise, quitte Barcelone, enceinte de 2 mois pour se réfugier en France : après avoir transité à Perpignan, elle est dirigée sur Besançon, puis Arc et Senans, dans les anciennes Salines Royales, où l’on regroupe des réfugiés espagnols. Aldo naît en août 1939. Madame Blanco ne peut pas le nourrir. Le bébé souffre de dénutrition et l’assistante sociale décide de leur évacuation sur l’hôpital de Besançon, tenu par des religieuses. L’une d’elles veut persuader Madame Blanco de le faire baptiser : elle refuse et se retrouve isolée sous le prétexte fallacieux d’une gale, puis renvoyée de l’hôpital vers le sud du pays, avec son enfant dénutri, sans nourriture, sans aucune recommandation pour le centre d’accueil de destination : le bébé est dans un cageot ; le convoi passe par Tarascon ; à Perpignan, on les loge dans une écurie de chevaux, dont on vient d’enlever grossièrement le crottin, pour finalement échouer à Argelès où Aldo meurt, 8 mois après sa naissance, en avril 1940. En décembre 1940 Madame Blanco retrouvera son mari qui, après avoir combattu dans les rangs républicains, avait été interné au camp de Vernet, en Ariège. L’attitude de ces religieuses n’était pas isolée… dans les années qui suivront, l’administration de Vichy pratiquera une ségrégation vis à vis des espagnols : les enfants espagnols seront tenus à l’écart des distributions de lait dans les écoles, ils n’auront pas le droit de monter le drapeau lors du lever aux couleurs, etc…

Désaffectées en 1895, rachetées par des entrepreneurs privés, les Salines tomberont en ruine ; le département se décida enfin à les prendre en charge en 1927 après que le dernier propriétaire, plutôt que de faire les frais d’une restauration, ait dynamité la maison du directeur. Il fut alors question de transférer les haras Nationaux de Besançon aux Salines Royales et quelques aménagements en ce sens furent effectués. C’est en l’état qu’elles furent transformées en centre d’accueil, au confort tout rustique, pour les réfugiés espagnols, à partir de février 1939. Des Tziganes – jamais plus de 200 – prendront leur suite de juillet 41 à septembre 1943.  Elles ont été aujourd’hui magnifiquement restaurées et classées au titre du patrimoine mondial de l’UNESCO. La fondation Claude Nicolas Ledoux en assure l’animation.

Ignorez-vous ce qu’il en coûte à ceux qui osent changer la masse des idées reçues ?

Claude Nicolas Ledoux

 

10 02 1939 

Pie XI meurt, pratiquement la veille de la publication de l’encyclique Humanis generis Unitas – L’unité du genre humain – Nous sommes spirituellement des sémites – qui était une condamnation ferme du racisme comme de l’antisémitisme. (le texte a été retrouvé presqu’intégralement, publié dans L’encyclique inaboutie de Pie XI, de Georges Passelecq, Bernard Suchecky Éditions la Découverte.)

Il n’existe pas de preuves mais de sérieuses rumeurs qu’il aurait été assassiné sur ordre de Mussolini, dont le bras armé n’aurait été autre que le Docteur Petacci, qui aurait fait une piqure mortelle sur Pie XI. Il est le père de la maîtresse (depuis l’été 1936) de Mussolini qui sera avec lui jusque dans la mort, puisque pendue à ses côtés en 1944. Pie XII, né Pacelli, son successeur ne prononcera pas cette encyclique. D’ailleurs Mussolini lui interdira tout commentaire d’ordre politique et il proclamera la neutralité de l’Église, mais pas au point de se priver d’un télégramme de félicitations à Franco, en date du 31 mars 1939 : Je rends grâce à Dieu, et je remercie sincèrement Votre Excellence pour avoir contribué à la victoire de l’Espagne catholique. Bien sûr, Mussolini fermera les yeux.

20 02 1939

Congrès nazi au Madison Square Garden, à New-York, à l’initiative du German American Bund, un mouvement nazi dirigé par l’américano-allemand Fritz Julius Kuhn. C’est bien plein, au moins 20 000 personnes et on ne sait pas s’il a fallu refuser du monde…

Kuhn, né en 1896 à Baden-Wurttemberg, en Allemagne, parti pour les États-Unis en 1928 et naturalisé citoyen américain en 1934, monte à la tribune dans l’uniforme de type militaire qui était porté par les membres du Bund. Dans un anglais teinté d’un accent allemand, il ridiculise les médias juifs et, sous de vifs applaudissements, réclame des États-Unis blancs, dirigés par des non-juifs… des syndicats contrôlés par les non-Juifs, libérés de la domination juive sous la direction de Moscou.

 

Au cœur de la scène, George Washington, le premier fasciste pour ces nazis américains

Capture d'écran d'une vidéo du rassemblement du mouvement German American Bund à Madison Square Garden, au mois de février 1939 (Crédit : YouTube/Field of Vision – A Night at the Garden)

Capture d'écran d'une vidéo montrant le chef du mouvement German American Bund, Fritz Kuhn, lors du rassemblement à Madison Square Garden au mois de février 1939. (Capture d'écran : YouTube/Field of Vision – A Night at the Garden)

Le chef du mouvement German American Bund, Fritz Kuhn, lors du rassemblement à Madison Square Garden au mois de février 1939. (Capture d’écran : YouTube/Field of Vision – A Night at the Garden)

27 02 1939 

La France et la Grande Bretagne reconnaissent le régime de Franco.

10 03 1939  

Felix Kersten, né en Estonie, de nationalité finlandaise, pourvu de dons de guérisseur coiffés par des études de médecine allopathique et l’enseignement très précis d’un lama tibétain sur 3 ans, entre pour la première fois au siège de la Gestapo à Berlin, Prinz Albrecht-Strasse, pour y soigner le Reichsführer Heinrich Himmler, ministre de l’Intérieur et donc à la tête des SS, qui souffre de maux d’estomac qu’aucun médecin jusqu’à présent n’est parvenu à soulager. Leur relation durera jusqu’à la défaite de l’Allemagne : Kersten fera du funambulisme pendant ces cinq années, parvenant à imposer à Himmler de troquer ses honoraires contre des élargissements de prisonniers, détenus etc… Himmler ne roulait pas sur l’or et le troc était bienvenu, mais surtout il avait physiquement besoin, et plusieurs fois par semaine de Kersten, seul à même de le soulager, sinon de le guérir. À ses dires, amplement vérifiés parait-il, il aurait ainsi fait échapper à la mort des dizaines de milliers de détenus… 3 millions de Hollandais auraient vu suspendu leur déportation en Pologne, 2 700 juifs déportés à Thérésienstadt, auraient vu leur train pour Auschwitz détourné sur la Suisse, etc…  Joseph Kessel, après s’être longuement entretenu avec Kersten, a publié le récit Les mains du miracle où l’on voit un Himmler réduit au rôle de simple marionnette aux mains de Kersten : difficile à croire…

14 03 1939      

Hitler convoque à Berlin le président tchèque Émil Hácha, et simule une colère telle que le tchèque s’évanouit et qu’il faut l’intervention du Docteur Morell, médecin d’Hitler pour le remettre sur pied, après quoi, terrorisé, il acceptera de remettre avec une pleine confiance le pays tchèque entre les mains du Führer.

15 03 1939 

L’Allemagne occupe la Tchécoslovaquie.

Pendant mille ans, les provinces de Bohême et de Moravie ont fait partie de l’espace vital du peuple allemand. […] Le peuple allemand ne peut tolérer l’existence de troubles continuels sur ce territoire. C’est pourquoi, en vertu de la loi d’autoconservation, le Reich allemand est maintenant résolu à intervenir et à employer des mesures décisives pour établir les bases d’un ordre raisonnable en Europe centrale. Au cours des mille années de son histoire, il a en effet déjà prouvé qu’en raison de la grandeur et des qualités du peuple allemand, le Reich est seul qualifié pour entreprendre cette tâche.

Hitler, à Prague le 16 mars

28 03 1939    

Peugeot sort la 202 : 4 portes, 4 places, 23 400 F (environ 8000 € de l’an 2000). La marque prendra l’habitude de nommer ses voitures par des chiffres choisis dans les centaines, ce qui laissait dans tous les cas un zéro au milieu du chiffre, lequel zéro était physiquement sur la calandre un trou qui permettait de passer la manivelle. La manivelle disparaîtra, mais le zéro restera.

Peugeot 202

19 04 1939  

Le paquebot Paris brûle au Havre.

30 04 1939     

Exposition universelle à New York.

Pour une surprise, c’en fut une. Â travers la brume, c’était tellement étonnant ce qu’on découvrait soudain que nous nous refusâmes d’abord à y croire en plein devant les choses, tout à travers qu’on était on s’était mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous…

Figurez-vous qu’elle était debout leur ville ; absolument droite. New-York, c’est une ville debout. On en avait déjà vu des villes, bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux même. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là, l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.

On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle, forcément, une ville bâtie en raideur. Mais on n’en pouvait rigoler nous du spectacle qu’à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose, et rapide et piquante à l’assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la ville, où les nuages s’engouffraient aussi à la charge du vent. Noter galère tenait son mince sillon juste au ras des jetées, là où venait finir une eau caca, toute barbotante d’une kyrielle de petits bachots et remorqueurs avides et cornards.

Pour un miteux, il n’est jamais bien commode de débarquer nulle part mais pour un galérien c’est encore bien pire, surtout que les gens d’Amérique n’aiment pas du tout les galériens qui viennent d’Europe. C’est tous des anarchistes qu’ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d’Europe, c’est des fils à Dollar.

J’aurais peut-être dû essayer, comme d’autres l’avaient déjà réussi, de traverser le port à la nage et puis une fois au quai, de me mettre à crier Vive Dollar ! Vive Dollar ! C’est un truc. Y a bien des gens qui sont débarqués [sic] de cette façon-là et qui après ont fait des fortunes. C’est pas sûr, ça se raconte seulement. Il en arrive dans les rêves de bien pires encore. Moi, j’avais une autre combinaison en tête en même temps que la fièvre.

À bord de la galère, ayant appris à bien compter les puces (pas seulement à les attraper, mais en faire des additions, et des soustractions, en somme des statistiques), métier délicat qui n’a l’air de rien, mais qui constitue bel et bien une technique, je voulais m’en servir. Les Américains, on peut en dire ce qu’on voudra, mais en fait de technique, c’est des connaisseurs. Ils aimeraient ma manière de compter les puces jusqu’à la folie, j’en était certain d’avance. Ça ne devait pas tâter selon moi.

J’allais leur offrir mes services quand tout à coup on donna l’ordre à notre galère d’aller passer une quarantaine dans une anse d’à côté, à l’abri, à portée de voix d’un petit village réservé, au fond d’une baie tranquille, à deux miles à l’est de New-York.

Et nous demeurâmes tous là en observation pendant des semaines et des semaines, si bien que nous y prîmes des habitudes. Ainsi chaque soir après la soupe se détachait de notre bord pour aller au village l’équipe de provision d’eau. Il fallait que j’en fasse partie pour arriver à mes fins.

Les copains savaient bien où je cherchais à en venir mais eux ça les tentait pas l’aventure. Il est fou, qu’il disaient, mais il est pas dangereux. Sur l’Infanta Combitta on bouffait pas mal, on les triquait un peu les copains, mais pas trop, et en somme ça pouvait aller. C’était du boulot moyen. Et puis, sublime avantage, on les renvoyait jamais de la galère et même que le Roi leur avait promis pour quand ils auraient soixante et deux ans d’âge une espèce de petite retraite. Cette perspective les rendait heureux, ça leur donnait de quoi rêver et le dimanche pour se sentir libres, au surplus, ils jouaient à voter.

Louis-Ferdinand Céline. Voyage au bout de la nuit. 1932

4 05 1939  

Flanquer la guerre en Europe à cause de Dantzig, c’est y aller un peu trop fort, et les paysans français n’ont aucune envie de mourir pour les Poldèves.

Marcel Déat. L’Œuvre

11 05 1939  

Un petit incident de frontière proche de l’est de la Mongolie extérieure entre agents japonais et russes serait resté sans conséquences si les deux pays n’avaient disposé dans cette région des forces impressionnantes : les soviétiques en Extrême-Orient étaient passées de 100 000 hommes en 1931 à 531 000 en 1939, et l’armée du Kwantung [ou Guangdong, nom japonais de la Mandchourie] de 65 000 à 270 000. Et évidemment tout ce monde ne rêvait que d’en découdre, et finalement se passeront de toute déclaration de guerre pour se battre. Déjà en juillet 1938, la bataille du lac Khassan, 120 km au SO de Vladivostok, rive gauche du fleuve Tumen, près de son embouchure, avait donné lieu à une difficile victoire russe sur les Japonais quand les premiers disposaient d’effectifs nettement supérieurs. Staline en avait conçu une colère telle qu’il avait fait fusiller le général Blücher et son état-major. S’engage maintenant la bataille de Khalkhin Gol, ou bataille de Nomohan, avec pour enjeu le contrôle de la Mongolie, alors protectorat russe. Les russes – 57 000 hommes –  ont à leur tête Joukov, qui a la prudence de s’attendre à une guerre longue et se prépare d’autant plus qu’il est loin de ses bases. À l’opposé, les Japonais, – 75 000 hommes – proches de leurs bases, surs de l’emporter rapidement ne consolident pas leurs arrières. On verra des combats aériens mettant aux prises 200 avions ! et encore des chars par centaines. En fin de compte les Russes l’emporteront mais laisseront près de 9 000 morts sur le terrain. Un armistice sera signé  le 15 septembre, chaque armée revenant sur ses positions d’avant le mois de mai. Les Japonais, face à cette résistance russe à leur volonté d’expansion au nord, changeront de stratégie et s’orienteront sur le sud.

13 05 1939

Le paquebot allemand Saint Louis, commandé par Gustav Schröder, appareille de Hambourg avec 963 Juifs, sortis pour les uns du camp de Dachau, pour presque tous de leur domicile où ils ont abandonné tous leurs biens ; mais ils ont l’accord des autorités nazis. Le but : les États-Unis, via un détour par Cuba où ils attendront leur visa pour le pays de la liberté. Mais ils ne pourront même pas débarquer à Cuba, où les autorités avaient commencé à se livrer à un trafic sur les visas. Le 4 juin Roosevelt interdira au Saint Louis l’accès aux ports américains ; il en ira de même au Canada. Le Saint Louis n’aura plus qu’à retraverser l’Atlantique dans l’autre sens, en accostant à Anvers, où la Belgique accueillera 250 réfugiés, les Pays-Bas 200, la France 200 et l’Angleterre 282. On en fera un téléfilm en 2021

22 05 1939

Pacte d’acier entre l’Italie et l’Allemagne.

05 1939  

Le dernier Livre Blanc anglais, sous le gouvernement de Neville Chamberlain, donnant les directives sur l’immigration juive en Israël, renie la déclaration Balfour, en prévoyant de créer avant dix ans un État Palestinien unique. Il s’ensuit que l’immigration juive est limitée à 75 000 arrivants pendant cinq ans, au bout desquels elle sera soumise au consentement arabe : les neurones de Neville Chamberlain n’étaient sans doute pas assez développées pour réaliser que ce document était un arrêt de mort pour tous les Juifs d’Europe pris au piège hitlérien.

15 06 1939

Le sous-marin océanique Phénix – 92.30 mètres de long, 8.10 de large, 1 572 tonnes de déplacement en surface, plongée maximum : 80 mètres – appartient aux forces navales d’Extrême Orient : il a  quitté Toulon précipitamment le 4 novembre 1938 en compagnie de son sister-ship, l’Espoir, en raison des menaces que fait peser le Japon sur les colonies françaises d’Extrême Orient. Précipitamment… car de nouvelles batteries auraient dû remplacer les siennes, défaillantes. Il est en manœuvres, simulant une attaque contre leur navire amiral, le La Motte-Piquet au large de Cam Ranh. L’Espoir refera surface à la fin de l’exercice. Le Phénix, non, emportant dans la mort ses 71 hommes d’équipage. On ne connaîtra jamais les raisons précises de l’accident. Il repose par 105 mètres de fond. Toutes les opérations de sauvetage lancées à partir du 22 juin échoueront.

17 06 1939 

L’exécution sur le parvis de la prison de Versailles d’Eugen Weidmann, repris de justice allemand auteur de six meurtres, à cause de retards inexpliqués, ne peut avoir lieu qu’au petit matin. La foule se presse devant l’échafaud, les photographes mitraillent, un film est tourné. Service d’ordre, bousculade. Tout cela donne lieu à tant d’indécence – on vit les paumés du petit matin venir là terminer leur nuit arrosée, en costume de soirée, certains allant jusqu’à tremper leur mouchoir au pied de la veuve – que décision fut prise de les faire désormais à l’intérieur des prisons.

Est-il sain d’esprit, sain à la manière féroce, le garçon aux longs cils qui soignait ses rosiers, saluait le voisin, serrait le col d’une jeune fille, puis jouait à saute-mouton ? Ou bien est-il sadique, porteur d’un invisible cilice qui le brûle de félicité ?

[…] Mon métier d’écrivain ne consiste pas à accabler un être que tout et ses propres aveux condamnent, mais bien à dénoncer le drame humain, en quelque lieu qu’il éclate, et plutôt que de passer légèrement sur le pathétique d’une audience comme celle-ci, de taire qu’un assassin a rarement montré – à défaut d’autre scrupule – le souci de la scrupuleuse vérité autant que le Weidmann d’hier, j’aimerais mieux ne plus écrire.

Nous n’acceptions pas sans nous débattre qu’un assassin hideux ait, d’un bout à l’autre des audiences, conservé sa dignité corporelle, la mesure dans les mots, le refus de s’apitoyer sur lui-même, qu’il ait pris soin de ne jamais en appeler à notre compassion, voire à notre intérêt ; mais en débattant, nous l’acceptions

Colette. Paris-Soir, 2 avril 1939

2 07 1939

Le général Maxime Weygand déclare à Lille : L’armée française a une valeur plus grande qu’à aucun moment de son histoire

19 07 1939

Une locomotive électrique atteint 204 km/h de Milan à Florence. En France, l’État Major ne veut pas entendre parler d’électrification du chemin de fer : énergie trop fluide, invisible, subtile quand la mécanique, elle, fait le poids.

A 19 heures, Fritz Wiessner et Pasang Dawa Kikuli se trouvent à 8 370 m. sur l’arête sommitale du K2, sans oxygène : ils ne leur reste plus que 240 m de dénivelé à faire pour vaincre le deuxième sommet du monde : 8 611 m. Fritz Wiessner est né à Dresde en 1900, il a émigré aux États-Unis en 1929. Sa force, son talent, sa puissance d’organisation font de lui un insurclassable alpiniste sur le continent américain. Pasang Dawa Kikuli est sherpa, bien sûr, mais aussi lama bouddhiste. Dans son pays, la nuit, on jette des pierres sur les ponts pour en chasser les esprits malins, on croit que les montagnes sont les demeures des divinités. Il a peur de la nuit près des sommets ; il ne veut pas poursuivre : Tomorrow, Sahib, tomorrow. Fritz Wiessner ne pourra le faire revenir sur sa décision, et, tomorrow, cela ne sera pas possible. Ils commencent à descendre et Pasang perd ses crampons ; pour un sherpa, le danger, c’est la descente, lorsque la Déesse Blanche de la Montagne lâche ses chiens, [les avalanches]. Ce n’est qu’à deux heures du matin que les deux hommes arrivent au dernier camp à 7 900 m. Ils font une nouvelle tentative le lendemain, mais la paire de crampons manquante est un trop gros handicap et ils ne peuvent continuer. Fritz Wiessner est un adepte du by fair means, – peu de pitons en montagne, pas d’oxygène au K2, pas non plus de radio -. Il a mis sur pied une logistique impeccable : 8 camps avec duvets, vivres et réchauds, sont échelonnés sur l’arête des Abruzzes. L’absence de radio va l’empêcher de demander des crampons, pire… elle va laisser se propager le défaitisme de la plupart de ses compagnons. Il retrouve Dudley Wolfe au camp 8 à 7 700 m, furieux d’être bloqué là depuis une semaine sans qu’aucun ravitaillement ne soit arrivé du bas. Tous trois repartent vers le camp 7, et c’est la chute, que Wiessner parviendra à enrayer par un plantage de piolet : Je ressentis un choc fantastique. J’eus l’impression d’être cassé en deux. À l’époque, j’étais incroyablement costaud. Blessé, Dudley Wolfe reste au camp 7, qui a été déserté, ainsi que tous les autres camps, jusqu’à la base : de la chaîne mise en place pendant des semaines, il ne reste plus rien. Les malentendus, l’inexpérience, la malchance aussi, ont eu raison de cette belle logistique : Wiessner passé pour mort, la débandade commençait. Quatre sherpas repartent alors chercher Dudley Wolfe au camp 7, le trouvent délirant. Refusant de descendre le jour même, les sherpas redescendent au camp 6, puis trois d’entre eux remontent pour emmener Wolfe : on ne les reverra jamais. Les ennuis ne sont pas finis pour Wiessner : à son retour à New York, (la guerre est déclarée en Europe), l’American Alpine Club, plutôt que de saluer l’exploit, ouvre une enquête… le FBI fera de même. On lui reprochera principalement d’avoir engagé pour cette expédition des hommes particulièrement inexpérimentés. Il restera un paria pour l’alpinisme officiel américain pendant vingt ans, et ne sera réhabilité qu’en 1966. Il mourra en 1988.

Camp VI

Fritz Wiessner sulla via del ritorno dal K2

22 07 1939 

Le roi d’Angleterre George VI et la reine Elizabeth visitent le collège le plus huppé d’Angleterre, le Britannia Royal Naval College ; leurs deux filles Elizabeth, 12 ans et Magaret sont placés sous la garde du plus titré des garçons de l’établissement, Philip, 18 ans petit-fils de roi, certes détrôné, mais membre à part entière des familles royales de Grèce et du Danemark, et, à part cela, complètement fauché : quand la révolution grecque en 1923 avait chassé ses parents, ils s’étaient réfugiés à Saint Cloud, fortune confisquée ; ce sont les oncles maternels qui payaient la scolarité des enfants. Les deux fillettes du roi d’Angleterre, qui n’avaient jusqu’alors quasiment jamais fréquenté les garçons, vont tomber sous le charme  de ce garçon, beau comme un dieu grec, blond comme un Viking et qui sentait si bon le sable chaud de la mer Egée. Philip de Grèce truquera son nom contre celui de sa mère : Mountbatten – traduction du Battenberg d’origine -. Philip épousera Elizabeth le 20 novembre 1947 : ce n’est pas un beau roman, (puisque c’est la réalité) mais c’est une belle histoire.

Le prince Philip à 18 ans, le 1er décembre 1939

Le 1° décembre1939

Reine Elizabeth II et prince Philip, une photo de leur lune de miel pour leurs 73 ans de mariage

just married

30 07 1939

Crise ouverte entre la Pologne et l’Allemagne, à propos du corridor polonais de Dantzig, port de la mer Baltique, aujourd’hui Gdansk, berceau du syndicat Solidarité.

2 08 1939   

Les physiciens nucléaires Leó Szilárd, Edward Teller et Eugene Wigner – tous trois réfugiés hongrois aux États-Unis -, convaincus que l’énergie libérée par la fission nucléaire pourrait être un jour utilisée dans des bombes par l’Allemagne nazie, persuadent Albert Einstein, le plus célèbre physicien de l’époque, d’avertir de ce danger Franklin Roosevelt. Szilárd fait le brouillon de la lettre. Dans les semaines suivantes, Roosevelt autorisera  la création du Advisory Committee on Uranium, dont les membres se réuniront dès le 21 octobre. À sa tête se trouvera Lyman Briggs, alors directeur du National Bureau of Standards. Un budget de 6 000 $ sera alloué à Enrico Fermi de l’Université de Chicago pour ses expériences sur les neutrons. La bombe atomique est en route.

Monsieur,

Certains travaux récents d’E. Fermi et L. Szilárd, dont les manuscrits m’ont été communiqués, me conduisent à prévoir que l’élément uranium peut devenir une source nouvelle et importante d’énergie dans un futur immédiat. Certains aspects de la situation qui est apparue me semblent demander une attention, et si nécessaire, une action rapide de la part de l’Administration. Je pense donc qu’il est de mon devoir d’attirer votre attention sur les faits et recommandations suivants :

Ces quatre derniers mois, il est devenu possible grâce aux travaux de Joliot en France ainsi que ceux de Fermi et Szilárd en Amérique, de déclencher une réaction en chaîne nucléaire avec de grandes quantités d’uranium. Grâce à elle, une grande quantité d’énergie et de grandes quantités de nouveaux éléments similaires au radium pourraient être produits. Maintenant, il semble presque certain que ceci pourrait être atteint dans un très proche avenir.

Ce nouveau phénomène pourrait conduire à la construction de bombes et il est concevable, quoique bien moins certain, que des bombes d’un nouveau type et extrêmement puissantes pourraient être assemblées. Une seule bombe de ce type, transportée par bateau et explosant dans un port, pourrait très bien détruire l’ensemble du port ainsi qu’une partie de la zone aux alentours. Toutefois, de telles bombes pourraient très bien s’avérer trop lourdes pour un transport aérien.

Les États-Unis n’ont que du minerai pauvre en uranium et en quantité modérée. Il y a de bons filons au Canada et dans l’ancienne Tchécoslovaquie mais les sources les plus importantes se trouvent au Congo belge.

Eu égard à ces éléments, vous pouvez penser qu’il serait désirable d’avoir un contact permanent entre l’Administration et l’équipe de physiciens qui travaillent sur les réactions en chaîne en Amérique. Une manière possible de réaliser cela serait de donner mission à une personne qui a votre confiance, et qui pourrait peut-être jouer ce rôle à titre officieux. Sa tâche pourrait consister à :

a) se mettre en rapport avec les départements gouvernementaux, pour les informer des développements à venir, et faire des recommandations pour l’action du Gouvernement, en portant une attention particulière au problème de la préservation de l’approvisionnement en minerai d’uranium pour les États-Unis ;

b) accélérer le travail expérimental, qui n’est à présent accompli que dans les limites des budgets des laboratoires universitaires, en fournissant des fonds, si nécessaire, par des contacts avec des mécènes privés ralliés à cette cause, et peut-être aussi en obtenant la coopération de laboratoires industriels possédant les équipements requis.

Il paraît que l’Allemagne a actuellement mis fin à la vente d’uranium des mines tchèques qu’elle a annexées. Une telle action précoce de sa part peut sans doute être mieux comprise quand on sait que le fils du sous-secrétaire d’État allemand, von Weizsäcker, est attaché à l’Institut du Kaiser Wilhelm à Berlin où une partie du travail américain sur l’uranium est en train d’être reproduite.

Très sincèrement vôtre

Albert Einstein

La réponse arrivera le 19 octobre.

Mon cher Professeur

Je tiens à vous remercier de votre récent courrier et de son contenu, des plus intéressant et important.

J’ai trouvé le sujet d’une telle gravité que j’ai convoqué un conseil constitué des responsables du Bureau des Normes, et choisi un représentant de l’armée et de la marine pour approfondir les champs ouverts par votre proposition concernant l’uranium.

Je suis heureux de constater que le Docteur Sachs [à la tête du National Policy Committee. ndlr] ait manifesté sa volonté de coopérer avec ce comité et je pense que c’est la méthode la plus pratique et la plus efficace pour traiter le sujet.

Merci d’accepter mes sincères remerciements.

Très sincèrement vôtre.

Franklin Delano Roosevelt

Dr. Albert Einstein. Old Grove Road. Nassau Point. Peconic. Long Island. New York.

Mais tout cela était sans compter avec le tout puissant patron du FBI, Edgar Hoover, qui, dans sa haine incontrôlable du communisme, ne pouvait pas laisser la peur du Rouge aux bêtes à corne : aussi n’avait-il pu s’empêcher depuis longtemps de prendre Einstein, – avec ses longs cheveux, n’est ce pas ? – pour un espion communiste et le faisait surveiller en conséquence, sans avoir jamais rien trouvé, et en commettant sur son compte nombre de grossières erreurs ; mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose disait Voltaire : Roosevelt ne prendra pas au pied de la lettre toutes les calomnies d’Hoover, néanmoins Einstein ne sera jamais directement associé à Fermi, puis à Oppenheimer, dans les études pour la réalisation de la bombe atomique.

23 08 1939  

Pacte germano soviétique, dit encore Ribbentrop-Molotov, qui prévoit entre autres, le partage de la Pologne. Dans le protocole secret attaché au pacte, les deux dictateurs se partagent les territoires : Dans l’éventualité d’une transformation territoriale et politique des territoires appartenant à l’Etat polonais, les sphères d’intérêt de l’Allemagne et de l’URSS seront délimitées approximativement par le cours des fleuves Narew, Vistule et San.

Point 2 du protocole secret additionnel.

27 08 1939   

Les Allemands font voler leur premier avion à réaction : le Heinkel HE 178 : le turboréacteur a été conçu par Hans Pabst von Ohain. En fait, le réacteur avait déjà été testé sur un autre avion, le bombardier en piqué He 118, pour le vol lui-même, mais l’avion continuait à décoller et atterrir avec son moteur classique à hélice le réacteur étant placé sous la carlingue, au centre, et mis en route seulement après le décollage. Suivront le Heinkel He 280 entre 1940 et 1942. Mais la Luftwaffe n’était pas intéressée par ces fabuleuses nouveautés et ces trois premiers avions resteront des prototypes, intégralement financés par le patron, M. Heinkel. En 1944 le He 162 A2 sera le premier produit en série… mais trop tard pour inverser le cours des choses.

27 August 1939 | This Day in Aviation

Heinkel HE 118 V1

 

He 176, … oublié de la postérité

einkel HE178 devient le premier avion à réaction à décoller le 27 août 1939 | Jet aircraft, Heinkel he 178, Aviation art

HE 178

Heinkel He 178 (1939)

He 178

He 280

Messerschmitt Me-163B-1a Komet Replica - Untitled (Messerschmitt Stiftung) | Aviation Photo #2225798 | Airliners.net

Messerschmitt Me-163B-1a Komet, conçu par Alexander Lippisch, le seul avion-fusée de chasse opérationnel de l’Histoire.

28 08 1939 

Les tableaux et la statuaire du Louvre reprennent la route, pour être cachées dans une trentaine de châteaux, pour la plupart proches de la Loire : Chambord, Valençay, Cheverny, Brissac dans un premier temps, puis plus au sud au fur et à mesure de l’avancée des Allemands. Une partie restera à Paris, dans les caveaux du Panthéon et de Saint Sulpice.

La victoire de Samothrace s’éclipse vers le château de Sourches, dans la Sarthe

On a beau avoir établi des plans méticuleux… le caractère exceptionnel de l’opération rend les imprévus inévitables : on n’avait pas prêté particulièrement attention au Radeau de la Méduse, qui s’avérait être le plus grand des tableaux, au moins dans une dimension : il lui fut impossible de passer sous un pont et il dut rebrousser chemin pour être débarqué au château de Versailles, accrochant au passage les fils du tramway, ce qui valut heures d’obscurité à une partie de la ville !

La Joconde avait déjà une longueur d’avance sur les autres avec un aller-retour à Chambord  un an plus tôt ; elle n’en a pas terminé avec les pérégrinations : de Chambord au château de Louvigny, dans la Sarthe, puis retour à Chambord et, en juin 1940 l’abbaye cistercienne du Loc-Dieu, proche de Villefranche de Rouergue, suffisamment spacieuse pour abriter non seulement des œuvres d’art, mais aussi de nombreuses familles des employés du Louvre ; mais elle présente un inconvénient majeur pour l’art : trop d’humidité. Accompagnée de La Dentellière de Vermeer et des Noces de Cana de Véronèse, elle intègre le musée Ingres de Montauban le 3 octobre 1940, puis avec l’insécurité régnante après l’invasion de la zone libre par les Allemands, ce sera le musée Ingres de Montauban, puis le château de Montal, sur la commune de Saint Jean l’Espinasse, dans le Lot, propriété de l’État depuis 1913, sous la haute protection de René Huyghe, conservateur et responsable du département des peintures. Elle regagnera Le Louvre le 15 juin 1945. Les voyages forment la jeunesse…  même cantonnée… à la vie de château.

31 08 1939  

L’Allemagne exige la cession de Dantzig et l’organisation d’un plébiscite dans le corridor : depuis 1918, le couloir de Dantzig séparait l’Allemagne de la Prusse orientale. Se refusant encore à passer pour l’agresseur, Hitler monte un simulacre d’attaque de la station de radio de Gleiwitz, en territoire allemand, par des troupes polonaises… qui ne sont autres qu’un commando allemand revêtu d’uniformes polonais ; il a ainsi son article dans le journal qui lui permet de jouer les victimes.

16 000 écoliers parisiens sont envoyés en province.

08 1939  

L’écrivain/diplomate Paul Morand est nommé chef de la Mission française économique de Londres.

M. Hitler est par nature artiste et non politique et, une fois réglée la question de la Pologne, il se propose de finir ses jours en artiste et non en faiseur de guerres.

Neville Chamberlain, premier ministre de Grande Bretagne.

Mais comment donc pareil niais a-t-il pu arriver au pouvoir ?

1 09 1939     4 h 45′     

Le cuirassé allemand Schleswig-Holstein, sans déclaration de guerre, bombarde la garnison polonaise de Westerplatte, le port de Gdansk ; la Luftwaffe se chargera de la suite : c’est ainsi qu’Hitler envahit l’ouest de la Pologne ; Staline envahit l’est.

Cuirassés allemands Schles12

Le Schleswig Holstein le 1er septembre 1939 lors de l’attaque allemande de Westerplatte

En France, mobilisation générale. Premier dégât collatéral : annulation du 1° festival de Cannes, prévu précisément ce jour.

La France ressent dès l’exposition universelle de 1937 le désir de consolider son prestige culturel en organisant une compétition internationale de films. À la fin des années 1930, choqués par l’ingérence des gouvernements fascistes allemand et italien dans la sélection des films de la Mostra de Venise – inaugurée en août par le docteur Joseph Goebbels, Les Dieux du stade de Leni Riefensthal a été récompensé -, Philippe Erlanger (directeur de l’Association française d’action artistique) et les critiques de cinéma Émile Vuillermoz et René Jeanne (tous trois membres du jury international de la Mostra) soumettent à Jean Zay, ministre de l’Éducation, des Beaux-Arts et des Sports, l’idée d’un festival international de cinéma, politiquement indépendant, en France. Jean Zay, intéressé par la proposition, donne une réponse favorable le 26 décembre 1938 et est encouragé par les Américains et les Britanniques qui ont boycotté la Mostra de Venise : Harold Smith, représentant à Paris de la Motion Picture Association of America et Neville Kearney, délégué officiel du cinéma britannique en France, s’engagent à soutenir ce festival du monde libre et à y amener des vedettes. Le festival se veut un partenariat franco-américain qui crée le plus grand marché du film mondial. Plusieurs villes sont candidates, notamment Vichy, Biarritz, Lucerne, Ostende, Alger et Cannes, dont Henri-Georges Clouzot apprécie l’agrément et l’ensoleillement. Le comité de coordination composé des représentants des différents ministères concernés par le festival, après avoir étudié les atouts de chaque ville et envoyé ses représentants sur place, retient finalement Cannes. Deux personnalités cannoises, les directeurs de palaces Henri Gendre, propriétaire du Grand Hôtel, et Jean Fillioux, propriétaire du Palm Beach, ont en effet mis en avant leurs chambres, leurs équipements ainsi qu’une salle de projection pouvant accueillir un millier de spectateurs. De plus, la ville de Cannes s’est engagée à augmenter sa participation financière à 600 000 francs, à mettre à la disposition du comité ses salles de réception et a promis de construire un palais spécialement dédié au festival.

Philippe Erlanger est le premier délégué général du Festival.

En juin 1939, Louis Lumière accepte d’être le président de la première édition du Festival qui doit se dérouler du 1er au 20 septembre. Il avait alors déclaré vouloir encourager le développement de l’art cinématographique sous toutes ses formes et créer entre les pays producteurs de films un esprit de collaboration. La sélection française est arrêtée et comprend L’Enfer des anges de Christian-Jaque, La Charrette fantôme de Julien Duvivier, La Piste du nord de Jacques Feyder et L’Homme du Niger de Jacques de Baroncelli.

Parmi les films étrangers, on retrouve Le Magicien d’Oz de Victor Fleming, Pacific Express (Union Pacific) de Cecil B. DeMille, Au revoir Mr. Chips (Goodbye Mr Chips) de Sam Wood et Les Quatre Plumes blanches (The Four Feathers) de Zoltan Korda, un film tchèque interdit par Hitler.

Le peintre Jean-Gabriel Domergue, cannois par adoption, crée la célèbre affiche du 1er Festival.

Dès le mois d’août, les vedettes affluent et la Metro-Goldwyn-Mayer affrète un paquebot transatlantique pour amener les stars d’Hollywood : Tyrone Power, Gary Cooper, Annabella, Norma Shearer et George Raft. On prévoit des fêtes ; inspirés par le film Quasimodo, les Américains projettent de construire une réplique de Notre-Dame de Paris sur la plage de Cannes. Le 1° septembre, jour de l’ouverture, les troupes allemandes pénètrent en Pologne, et le Festival est annulé.

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Festival de Cannes 1939 par Jean-Gabriel Domergue Art Print image 2

Jean-Gabriel Domergue Art Print image 2

ET SI …

Imaginons l’échange qu’auraient pu avoir au téléphone Louis Lumière, président de ce premier festival avec Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale, des Beaux-Arts et des Sports, dans le gouvernement Daladier, ce 1° septembre 1939…

Louis Lumière : Monsieur le ministre, j’ai appris comme tout le monde que le chancelier Hitler venait d’envahir la Pologne et que le gouvernement français avait ordonné la mobilisation générale. Dans ces conditions, il m’est impossible de maintenir  ce festival : le cinéma est par trop assimilé à un monde de vie facile, engendrant le vedettariat, et ce qui reste dans le champ du critiquable en temps de paix devient insupportable en temps de guerre. Aussi ai-je pris la décision de l’annuler, et je tenais à vous donner la primeur de cette information.

Jean Zay : Monsieur Lumière, j’entends bien votre propos et vos sentiments vous honorent. Mais il se trouve que si je suis ministre de l’Éducation Nationale, des Beaux-Arts et des Sports dans ce gouvernement c’est pour m’occuper de l’aspect politique de ces activités. Vos amis Philippe Erlanger, Émile Vuillermoz et René Jeanne sont venus me voir il y a quelques mois pour me soumettre l’idée de ce festival dont vous êtes aujourd’hui le président. Si j’ai vivement encouragé cette initiative, c’est dans une optique essentiellement politique, celle de présenter un front solide et cohérent sur le plan artistique au nazisme allemand et au fascisme italien qui n’ont pas hésité à mettre la main sur la Mostra de Venise, pour en faire l’instrument de la diffusion de leur poison. Et aujourd’hui plus que jamais, je suis convaincu de la nécessité de se battre aussi sur ce front, je suis convaincu que la défense de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ne sont pas seulement au bout des fusils, mais aussi dans les bobines de films qui sont au programme de votre festival.

Votre combat est essentiel, aussi je vous demande de revenir sur votre décision. Il y aura évidemment quelques aménagements à faire, quelques festivités voyantes à éviter, mais le champagne se garde longtemps ; il faudra se montrer un peu plus discret sur ce point.

Mais je vous en prie, ne changez rien d’essentiel au programme ; pour ma part, je vais faire en sorte d’élargir le débat pour que tout le monde de la culture participe à ce festival : je me charge de faire venir dans les 48 heures à Cannes des représentants du monde littéraire, du théâtre, de la culture, de la peinture pour qu’ils y prennent la parole, qu’ils proclament haut et fort qu’il ne peut y avoir de culture là où il y a la censure, les autodafés, la prison pour délit d’opinion.

Que ne ferait-on pas avec des SI ? Jean Zay démissionnera du gouvernement dès le lendemain pour rejoindre le front. Nul ne pouvait savoir que la guerre allait attendre et que l’on allait s’installer pendant neuf mois dans une drôle de guerre. L’union sacrée du monde des Beaux-Arts ne se constituera pas et on assistera même, impuissants à son éclatement, quand des artistes renommés accepteront l’invitation des nazis à se rendre en Allemagne pendant la guerre, y cautionner la culture nazie, quand l’extrême droite prendra la direction d’organes de presse antisémites etc…

3 09 1939  

La France et la Grande Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne.

La France compte 41 millions d’habitants, l’Allemagne, 80. Le Français se fait rare, dira Giraudoux. Conséquence de la saignée de la 1° guerre, il y a 1 586 000 femmes de plus que d’hommes. On compte encore peu de voitures : 2 500 000 ; elle restent chères, plus que le salaire annuel d’un cadre. Par contre il y a trois fois plus de vélos : 8 millions. La Radio reste encore un privilège essentiellement urbain – elle exige l’électricité – : 5 220 000 à la fin 1938.
Si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, a ruiné un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille.

Montesquieu

En oubliant Montesquieu, on fouillera les décombres de la défaite à la recherche de catégories sociales ou raciales que l’on puisse charger du fardeau du désastre : instituteurs de l’école sans Dieu, généraux gâteux, juifs, fantassins, aviateurs, officiers premiers fuyards, ouvriers gâtés par les congés payés, patrons sans conscience.
Mais la cause générale ?
Qu’il suffise de rappeler que nous sommes une nation de 41 millions d’hommes et de femmes, dont plus de 2.5 millions d’étrangers, face à une Allemagne de 80 millions d’habitants. Notre natalité décroit tandis que la population allemande augmente de 400 000 personnes chaque année.
En 1939, lorsque les Allemands peuvent mobiliser 485 000 hommes, la classe 1919 ne représente que 280 000 Français. Pour la classe 1940, les chiffres sont respectivement de 636 000 et 360 000. Au 1° septembre 1939, nous aurons donc 101 divisions (grâce à l’apport colonial) face aux 150 divisions allemandes ; au 10 mai, l’écart se sera creusé : 113 divisions françaises contre 190 allemandes.
Nous travaillons peu – semaine des 40 heures [qui deviendront 41.5 avec Paul Reynaud] oblige et les syndicats refusent les heures supplémentaires – sur des machines âgées ; les Allemands produisent beaucoup sur des machines modernes.
Alors que le rapport entre les populations actives est de 1 à 2, la France, au cours des années 1937, 1938, 1939, produit 130 000 tonnes d’aluminium et l’Allemagne 474 000 tonnes, soit un rapport de 1 à 3.6 ; 20 millions de tonnes d’acier contre 68 millions, soit 1 à 3.4 ; 137 millions de tonnes de houille contre 564 millions, soit 1 à 4.2.
À la veille de la guerre, le rapport moyen de l’industrie lourde française par rapport à l’industrie lourde allemande, est à peu près de 1 à 3.6 ou 3.8. Le nombre de Français engagés dans la production industrielle est de 5 millions, celui des Allemands de 14 millions. En 1938, 42 000 ouvriers français, travaillant 1 680 000 heures par semaine sans l’industrie aéronautique, sont naturellement surclassés par 120 000 Allemands travaillant 6 900 000 heures. À la lecture de ces chiffres, les disproportions entre les deux aviations (1 à 3.5), entre les deux armées, entre les deux nations, s’explique aisément et sans qu’il soit besoin d’invoquer, à gauche ou à droite, les fantômes de complots contre la république ou contre la nation.
On peut citer, je l’ai fait, des exemples plus ou moins pittoresques, plus ou moins scandaleux, de désordre, d’incurie, d’impréparation.
Rappeler que, dans les trois années qui précédèrent la guerre, on réduisit de 20 à 30 % les allocations de munitions pour le tir ; que le directeur du Museum d’Histoire naturelle et le ministre de l’Éducation nationale réussirent, en 1936, à empêcher les saint-cyriens d’aller manœuvrer sur un terrain proche de l’École, terrain que le Museum s’empressa, quelques mois plus tard, de louer… à un marchand de bestiaux ; que, lorsque l’on voulut inaugurer, à Strasbourg, la casemate du pont de Kehl, au début de l’année 1936, en présence du ministre de la Guerre, le général Maurin, on s’aperçut que le canon n’entrait pas dans son alvéole ! 
C’est égrener des histoires qui, outre-Rhin, ont sans doute leur correspondantes, car toutes les administrations se ressemblent. On peut dire, par ailleurs, qu’entre octobre 1939 et mai 1940, des progrès considérables seront faits dans la production, celles des fusils mitrailleurs ayant augmenté de 420 % ; celle du canon de 25 anti-aérien de 610 % ; celle des chars B1 bis de 358 % mais c’est ne refléter que fort imparfaitement la vérité : une augmentation de 610 % pour les canon anti-aériens, cela signifie, en effet, que nous sommes passés de sept canons par mois en août 1939 à 336 en mai 1940, alors qu’il en faudrait des milliers et que notre carence en DCA permettra à la Luftwaffe d’agir presque en toute impunité. Une augmentation de 358 % pour les chars B1 bis, cela signifie que la moyenne mensuelle, qui était de 10 avant la déclaration de guerre, est de 43 en mai 1940.
En vérité, rien ne répare notre infériorité démographique, cause générale de tous nous malheurs, dès l’instant que nos alliés anglais n’apportent, ni sur terre ni dans les airs, un concours digne du chiffre de leur population comme de leur puissance économique. Le 10 mai 1940, il ne se trouvera que 10 divisions anglaises sur le sol de France. En 1917, il y en avait 40, au début de 1918, 61 contre 105 françaises.
Trop peu de soldats, trop peu d’armes, trop peu de Français. Et trop peu d’alliés.
Plus encore que le Front Populaire, ou que la médiocrité intellectuelle des généraux, qui ne concevront pas la stratégie nécessaire, la cause de nos malheurs est là.
[…] Aucun de ceux qui dirigent la France ne manque d’intelligence. Intelligent Gamelin, intelligents Reynaud et Daladier et Herriot, dont la culture et la mémoire font l’admiration de ses contemporains, et Léon Blum, et Georges Bonnet et de Monzie et Chautemps et Jean Zay et Albert Lebrun, mais d’une intelligence plus apte à s’exercer dans les couloirs de la chambre et du Sénat qu’à maîtriser les données d’un conflit mondial et plus habituée à comprendre les problèmes des électeurs que ceux des généraux. Aucun de ceux qui dirigent ne manque d’intelligence. Presque tous, par contre, manquent de volonté et de caractère, fonctions depuis longtemps atrophiées chez des hommes qui ont l’habitude de ne rien brusquer, d’effleurer les difficultés de peur de les faire bouger, de veiller à ce que les actes ne soient que rarement en conformité avec les paroles. L’on songe alors, au mot de Valéry: Une trop grande intelligence est plus nuisible qu’utile dans la conduite des affaires… Elle s’accommode mal au désordre des événements.
En juin 1940, à Londres, Charles de Gaulle sera, physiquement et moralement, un homme seul.

Henri Amouroux. Le peuple du désastre. Robert Laffont 1976

374 000 personnes commencent à évacuer l’Alsace, vers Périgueux et Clermont Ferrand. Cela n’ira pas sans plaintes : il y a bien longtemps que les Alsaciens ont perdu l’habitude de coucher sur la paille, comme de faire leur cuisine dans un chaudron accroché à la cheminée : ils avaient déjà des cuisinières !  Et pourtant, le sort qui leur était fait était tout de même autrement plus enviable que celui des Républicains espagnols réfugiés en France. Le gouvernement fait venir d’Indochine 19 750 hommes – linh tho : travailleur soldat -, pour soutenir l’économie de guerre, seulement pour la durée des hostilités, en s’appuyant sur une instruction de la M.O.I.Main d’œuvre indigène, nord-africaine et des colonies -, service rattaché au Ministère du Travail, datant de 1934 : Dans le cas d’agression manifeste mettant la métropole en danger […] des unités de travailleurs coloniaux encadrées peuvent être employées en dehors de leur territoire d’origine, dans les services publics ou exploitations privées travaillant pour les besoins de la nation.

L’expérience de 1914-1918 a montré que les tirailleurs africains et maghrébins font de la bonne chair à canon, tandis que les Indochinois – 50 000 pendant la grande guerre – s’avèrent une main d’œuvre habile et docile.

Pour activer la réquisition, il était dit que toute famille qui avait deux garçons entre 17 et 40 ans devait en donner un. À leur arrivée à Marseille, les 20 000 Nha qué, [ainsi qualifiés par les colons], vont commencer par inaugurer la toute nouvelle prison des Baumettes, à peine achevée. La plupart d’entre eux travailleront dans les poudreries, – Sorgues, Saint-Chamas, Bergerac, Toulouse – à remplir obus et autres munitions, vite menées à l’inaction par la défaite et l’armistice de juin 1940. 15 000 d’entre eux parviendront alors à quitter la France, mais les 5 000 restant seront disséminés dans des camps d’internement, dont celui d’Agde. Et puis, le gouvernement de Vichy pensera à eux pour les mettre à la disposition des entreprises et des domaines agricoles, et c’est ainsi que 500 d’entre eux travailleront le riz en Camargue – 250 ha en 1945 – : le delta du Rhône n’est il pas comparable à celui du Mékong ? Ils apporteront leur savoir-faire, améliorant la qualité du riz, mais ne verront jamais la couleur d’un salaire : les propriétaires étaient censés louer cette main-d’œuvre au gouvernement qui était censé leur verser un salaire, mais rien de cela n’aura été fait, et l’arrivée de la IV° République n’y changera rien : pour nombre d’entre eux, l’enrôlement durera jusqu’en 1952 ! seuls une quinzaine d’entre eux s’établiront en France.

3 09 1939   

Heinrich Harrer et ses coéquipiers sont à Karachi, de retour d’une expédition de reconnaissance au Nanga Parbat pour trouver une nouvelle voie d’accès au sommet. À cette époque, pareille expédition ne pouvait être composée que de sympathisants ou plus si affinités avec le régime nazi en place. Heinrich Harrer avait adhéré à la SA en octobre 1933, puis à la SS, avec le grade d’adjudant, en 1938 et au parti national-socialiste le 1° mai 1938.

Le bateau qu’ils attendent pour les mener dans un premier temps en Iran, est en retard… et ils se font cueillir par des soldats indiens sitôt connue la déclaration de guerre : ils sont probablement les premiers prisonniers de cette deuxième guerre mondiale. Après différentes étapes, ils vont être envoyés au camp de Prem Nagar, près de Dehradun, sur les contreforts himalayens. Il fera une première tentative d’évasion en compagnie de Marchese, un Italien en bonne santé physique comme financière, qui durera 18 jours au bout desquels ils seront reconnus et … retour à la case départ. Il faudra attendre le 29 avril 1944 pour une seconde tentative d’évasion… qui sera la bonne.

8 09 1939 

À Kutno, l’armée polonaise met en échec la Wehrmacht dans leur première offensive contre Varsovie. Par ailleurs l’aviation et la défense antiaérienne polonaises envoient au tapis 285 avions de la Luftwaffe et en esquintent sérieusement 279, quand elle-même en perd 260.

9 09 1939  

Le 2° groupe d’armées, commandé par le général Prételat, [sorti major de promotion de l’École de Guerre en 1905] comprenant les 3° armée du général Condé, la 4° du général Edouard Réquin et la 5° du général Bourret, soit un total de 10 Divisions, entre en Sarre – c’est l’offensive de la Sarre – sans rencontrer la moindre résistance allemande, à l’exception d’une mitrailleuse : elles sont déployées le long de la ligne Maginot en Alsace Lorraine, de Petit-Xivry près de Longuyon à Diebolsheim près de Sélestat. La Wehrmacht est alors bien occupée en Pologne. Les Français arrêtent de progresser le 14 et le 21 septembre, le général Gamelin donne l’ordre de la retraite, à la fureur du général Giraud. Puis, très vite, il ne se passera pratiquement plus rien sur le front occidental : on s’installe dans la drôle de guerre – Phoney war – pour les Anglais.

Le général en chef Gamelin aurait été plus à sa place en grand chef scout : Allez, mes braves louveteaux, vous avez très bien joué jusqu’à présent, mais maintenant, il faut rentrer à la maison… la soupe va refroidir. Préparons nous plutôt à une drôle de guerre qu’à une vraie.

*****

En traversant les villages allemands, les Français ne rencontrent aucune résistance frontale, mais certains secteurs sont minés par les Allemands, ce qui occasionne des pertes. Les troupes françaises sont parfois retardées durant deux jours. La lente offensive française atteignit son sommet le 12 septembre avec une pénétration de 8 kilomètres en Allemagne. Dans un village, une seule mitrailleuse allemande contint l’avance française pendant plus d’un jour. Le 21 septembre, Maurice Gamelin donne l’ordre de retraite en direction de la Ligne Maginot, certains généraux comme Giraud ne sont pas d’accord voyant une occasion incroyable pour les forces françaises dans la Sarre. Le 17 octobre, les dernières forces françaises de couverture quittent le territoire allemand.

Bernard Zins a étudié les pertes françaises dans le secteur de la Blies, 39 soldats ayant été inhumés au cimetière de Weidesheim dans la commune de Kalhausen. En tout, l’opération de la Sarre aurait fait dans l’armée française environ 2 000 victimes – morts, blessés, malades -.

La Pologne étant battue, les divisions allemandes seront transférées du front de l’Est vers le front Ouest. L’artillerie allemande sera alors à portée des éléments avancés de la Ligne Maginot, et les avions de chasse de la Luftwaffe reviendront dans le ciel occidental.

La première armée allemande de Erwin von Witzleben mènera du 16 au 24 octobre une contre-offensive. Épaulée par une division d’infanterie, la Wehrmacht entrera en France mais n’occupera que quelques kilomètres carrés et ne progressera pas jusqu’au 10 mai 1940, date du début de la Blitzkrieg allemande. Cette contre-offensive, seul combat d’une certaine envergure sur la frontière durant la drôle de guerre, fera 196 tués et 114 disparus dans les troupes allemandes

Le général allemand Siegfried Westphal a lui-même reconnu que la situation à l’Ouest était dangereuse et risquée et a estimé que les Français auraient pu atteindre le bassin de la Ruhr en deux semaines.

Wikipedia

Il n’y avait eu aucune résistance vigoureuse des Allemands qui s’étaient repliés sur la ligne Siegfried après des escarmouches presque sans effusion de sang… Pas une seule division, un seul char, un seul avion allemand ne fut prélevé sur le front polonais pour renforcer celui de l’ouest.

William L. Shirer, général allemand. La chute de la IIIe république, p. 546

Quand nos troupes prirent l’offensive en Alsace au lendemain de la déclaration de guerre, l’État-Major français alla de surprise en surprise. Des mines d’une puissance extraordinaire éclataient sous les pas de l’infanterie. Des bombes à retardement tombaient du ciel dans les villages. Des avions contre-attaquaient avec des sirènes hurlantes qui brisaient les nerfs des soldats. Quand sur le terrain conquis on appuyait sur la porte d’une maison vide ou quand on y déplaçait une chaise, la maison explosait. L’ennemi utilisait pour franchir les rivières des embarcations plates en caoutchouc d’un modèle inédit. Toute la machinerie utilisée par lui était imprévue, nouvelle et souvent merveilleuse. Pour la première fois, on eut conscience que l’invention, facteur redoutable, allait jouer contre la France. Les cervelles allemandes avaient travaillé cependant que les autres s’étaient engourdies.

Henri de Kerillis Français, voici la vérité ! … Éditions de la Maison Française New-York 1942

Forum Le Monde en Guerre - Que faisaient-ils en 1914-1918

Le général Prételat

Septembre 1939 : l'armée française envahit l'Allemagne à l'ouest

Des R-35 du 5e BCC dans la forêt de Warndt.

Maurice Chevalier offre ses fleurs à cette drôle de guerre :

Et tout ça, ça fait d’excellents Français

Le colonel était d’Action Française, 
Le commandant était un modéré, 
Le capitaine était pour le diocèse,
Et le lieut’nant boulottait du curé.

Le juteux était un fervent socialiste,
Le sergent un extrémiste convaincu, 
Le caporal inscrit sur toutes les listes
Et l’deuxième classe au P.M.U.

Le colonel avait de l’albumine
Le commandant souffrait du gros côlon,
Le capitaine avait bien mauvaise mine
Et le leiut’nant avait des ganglions.

Le juteux avait des coliques néphrétiques,
Le sergent avait le polype atrophié
Le caporal un coryza chronique
Et l’deuxième class’ des cors aux pieds.

Et tout ça ça fait d’excellents Français
D’excellents soldats
Qui marchent aux pas ; 
Ils n’en avaient pas l’habitude.

10 09 1939  

Le Canada déclare la guerre à l’Allemagne.

16 09 1939 

Daladier, président du Conseil, écrit au général Gamelin, chef d’Etat Major de l’Armée de terre :

La cause profonde (du malaise français) est l’inutilité écrasante d’un grand nombre de dispositions prises sans aucun intérêt véritable pour la Défense nationale, mais au détriment de la vie économique du pays…

J’insiste à nouveau sur la gravité des erreurs commises, explicables pendant la période de mobilisation mais dont la persistance est incompréhensible. Les corps et les services de l’arrière regorgent d’officiers qui n’ont rien à faire. À Melun, quatre officiers sont chargés de censurer six journaux hebdomadaires. Je pourrais citer d’autres faits aussi ridicules. Ils me sont signalés de tous les départements.

Surtout les récoltes ne sont pas rentrées et les abattages non terminés. On ne peut assurer arrachage des betteraves et la mise en marche des sucreries et distilleries sans main d’œuvre. De même, un grand nombre de petites industries, ont été réquisitionnées sans qu’on leur ait passé aucune commande. Comment remplacera-t-on les stocks de matière première qui se détériorent tous les jours ? Et comment concevoir qu’il puisse subsister une production nationale sans chevaux, sans camions, sans autocars, sans téléphone, sans une certaine facilité de circulation ? 

*****

Plaintes qui font écho aux plaintes que tous les parlementaires rapportent des circonscriptions rurales.

Il est vrai que pour remplacer deux chevaux payés par la réquisition 15 000 francs, il faut 38 000 francs, que, dans le Nord, les terres ne sont ensemencées qu’à 10 %, à 15 % dans le Pas-de-Calais, à 35 % ou 30 % dans l’Aisne.

La question des chevaux est d’ailleurs l’une des plus irritante qui soit pour les paysans qui ont l’impression d’un prodigieux gaspillage.

La moitié des hommes étaient déjà partis et les moissons à demi-achevées, déclare un paysan bourguignon, quand il a fallu conduire nos chevaux à la réquisition. On savait bien qu’il fallait des chevaux pour l’armée, mais on aurait voulu que chacun ait sa chance égale et qu’il n’y ait point de jaloux.

D’autant plus que ces chevaux aimés, indispensables au travail et qui font, sinon partie de la famille, du moins de l’univers du paysan, tout le monde sait qu’ils sont mal soignés, mal nourris, plus encore que maltraités et meurent en grand nombre inutilement. Incapables, au bout de quelques mois, de servir aux besoins de la troupe, quatre fois sur dix ils n’arrivent même pas jusqu’aux abattoirs de l’armée. Après avoir cité l’exemple de deux convois où 15 chevaux sur 38, et 22 sur 50, ont péri dans les wagons qui les transportaient, Joseph Aveline, député de l’Orne, pourra dire, le 30 décembre 1939 : En moins de deux mois, des animaux achetés en général jeunes, en bon état, sont [ainsi] devenus des déchets, des squelettes et cela sans que l’on puisse invoquer les moindres accidents de guerre.

Henri Amouroux. Le peuple du désastre. Robert Laffont 1976

17 09 1939 

L’armée rouge entre en Pologne. Du 9 au 22 septembre, la l° division polonaise du général Bernard Mond bloque à Bruza la 2° division des panzers, puis la III° armée allemande, sans victoire possible faute d’un appui allié. La marine polonaise neutralise deux destroyers de la Kriegsmarine et coule un sous-marin U 35.

18 09 1939

Le sous-marin polonais 85 A de classe ORZEL ORP, construit en Hollande en 1938, en réparation à Tallinn, Estonie, se voit pratiquement prisonnier du gouvernement estonien, en cours de désarmement ; le commandant Jan Grudziñski, nommé trois jours plus tôt en remplacement du précédent hospitalisé à Tallinn, décide qu’il n’en sera pas ainsi, fait prisonnier les deux estoniens à bord chargés de faire appliquer les décisions de leur gouvernement, donne l’ordre de plonger en semi immersion, et adieu Tallinn, cap sur l’Angleterre où il arrivera le 14 octobre, sans cartes ni instruments de navigation. Il ne reviendra jamais d’une patrouille dans les environs du détroit de Skagerrak le 23 mai 1940.

illustration de ORP Orzeł (1939)

Polish submarine ORP Orzeł in Rosyth in early 1940

26 09 1939  

Dissolution du PCF. Les défections, qui avaient commencé dès la signature du pacte, se transforment en hémorragie. Les arrestations se multiplient. Le 2 octobre, Jacques Duclos passe en Belgique, et dans les jours qui suivent, 41 députés communistes sont arrêtés.

27 09 1939  

Varsovie capitule : 900 000 prisonniers.

4 10 1939  

Le soldat Maurice Thorez, premier secrétaire du PCF et sapeur à la 4° compagnie de navigation fluviale de Chauny, dans le Pas de Calais, déserte pour la Belgique, puis la Russie où il restera jusqu’au 26 novembre 1944.

6 10 1939 

Énième partage de la Pologne : Zone allemande autour de Dantzig et Poznan ; zone polonaise autour de Varsovie, Cracovie, Radom et Lullin, soit 10 M. d’habitants sur 98 000 km², dirigée par le Reichsleiter Hans Frank, zone russe – rattachée aux républiques d’Ukraine et de Russie blanche – : 280 000 km², occupée par plus de 10 M. d’habitants, dont 3,5 M. de Polonais.

11 10 1939

Daladier repousse les propositions de paix de Hitler.

16 au 24 10 1939  

La première armée allemande de  Erwin von Witzleben mène une contre-offensive. Épaulée par une division d’infanterie, la Wehrmacht entre en France mais n’occupe que quelques kilomètres carrés et ne progressera plus jusqu’au 10 mai 1940.

19 10 1939  

Création du CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique, dans un hangar d’Ivry où il abrite un laboratoire de synthèse atomique.  La cellule mère est l’Institut de biologie physico-chimique, fondé en 1927 et le principal animateur de la nouvelle structure est Jean Perrin, prix Nobel en 1926.

14 10 1939 

L’amiral Dönitz, à la tête de la Kriegsmarine veut faire la preuve de l’efficacité des sous marins allemands : il envoie le U Boot 47 – U pour Unterseeboot – commandé par Günther Prien à Scapa Flow, la rade au nord-est de l’Ecosse qui abrite une bonne partie de la flotte anglaise : le U 47 va envoyer par le fond les HMS Royal Oak et Pegasus, causant la mort de 800 hommes, qui reposeront aux côtés des navires allemands sabordés en 1918 et non renfloués. Puis il repartira comme il était venu : subrepticement. Günther Prien reviendra en Allemagne en héros.

HMS Royal Oak (08) — Wikipédia

HMS Royal Oak

22 10 1939      

Le colonel de Gaulle écrit à Paul Reynaud, président du Conseil : À mon avis l’ennemi ne nous attaquera pas, de longtemps. Son intérêt est de laisser cuire dans son jus notre armée mobilisée et passive […] Puis, quand il nous jugera lassés, désorientés, mécontents de notre propre inertie, il prendra en dernier lieu l’offensive contre nous.

8 11 1939 

Georg Elser fait exploser une bombe dans la grande salle de la brasserie Bürgerbräu, à Munich où auraient dû se trouver les dirigeants du parti nazi, venus là pour fêter l’anniversaire du putsch raté de 1923 : mais Adolf Hitler, Joseph Goebbels, Hans Frank, Joachim von Ribbentrop, Philipp Bouhler, Martin Bormann, Rudolf Hess, Julius Streicher, Fritz Todt, Heinrich Himmler, Alfred Rosenberg avaient quitté la salle treize minutes avant l’explosion. Ouvrier menuisier et horloger, communiste, il voulait mettre fin à la guerre. Il avait très longuement et minutieusement préparé son attentat, programmant l’explosion entre 21 h 15’ et 21 h 30’. Mais Hitler n’a parlé que de 20 h 08 à 20 h 58,  soit 40’ de moins de d’habitude, ayant un train à prendre pour Berlin à 21 h 30’. L’explosion fait huit morts, dont 7 membres du parti nazi, 63 blessés dont 16 grièvement. Georg Elser sera arrêté dès le lendemain, prisonnier à Orianenburg, puis Dachau où il sera abattu le 9 avril 1945.

9 11 1939 

Heinrich Böll fait partie des troupes allemandes stationnées en Pologne ; il écrit à ses parents : C’est dur ici, et j’espère que vous comprendrez si je ne peux vous écrire qu’une fois tous les deux ou quatre jours dans les temps à venir. Aujourd’hui, je vous écris surtout pour vous demander du Pervitin (…). Je vous embrasse, Hein.

Quid de ce Pervitin ? Ni plus ni moins qu’une méthamphétamine, disons une drogue, communément nommée par les soldats de la Wehrmacht Panzerschokolade, dont ils ont produit pendant la guerre 200 millions de comprimés ! Dans un autre courrier de mai 1940, Böll explique à ses parents qu’il est devenu froid, sans réaction. Une seule pilule de Pervitin est aussi efficace que des litres de café pour rester en alerte.

En Janvier 1942 un groupe de 500 troupes encerclées par l’armée rouge tentera d’échapper à des températures de moins de 30 degrés. Le médecin de l’unité écrira alors : J’ai décidé de leur donner du Pervitin quand ils ont commencé à s’allonger dans la neige, voulant mourir. Après une demi-heure, les hommes ont commencé à montrer spontanément qu’ils se sentaient mieux. Ils ont recommencé à marcher de façon ordonnée, leurs esprits étaient meilleurs, et ils étaient plus vigilants.

Hitler en prenait en intraveineuse. Bien sûr, il y a des effets secondaires : vertiges, hallucinations, dépression …

Pendant la première guerre mondiale, Pétain avait vanté le vin Mariani, mais ce n’était tout de même que du vin, certes additionné d’une décoction de feuilles de coca. Mais avec le Pervitin on est dans la drogue [1] dure, et la drogue dure a la vie dure : en 1953, le médecin Karl Maria Herrligkoffer, chef d’expédition au Nanga Parbat, au Pakistan, en prescrira à Hermann Buhl qui parviendra seul au sommet – 8 125 m.-

En face, dans le camp allié, on faisait usage d’un produit analogue – la benzédrine – largement utilisé par les aviateurs anglais, américains, et encore par les troupes américaines du débarquement du 6 juin. Elle circulait encore dans les années 60, en usage chez les étudiants pendant les périodes de révision, à la veille des examens.

25 11 1939  

Albert Camus, – il a alors 26 ans – exclu du Parti Communiste trois ans plus tôt, aurait voulu publier dans le Soir Républicain – le journal qu’il dirige à Alger avec Pascal Pia et qui se limite à un recto-verso – un manifeste adressé principalement aux journalistes. Le texte ne paraîtra pas, car censuré, mais sera retrouvé en février 2012 par Macha Séry, journaliste au Monde, aux Archives Nationales d’Outre-Mer, à Aix en Provence. Il figure dans la rubrique Discours de ce site.

30 11 1939 

La Russie envahit la Finlande.

1 12 1939 

Le parlement accorde les pleins pouvoirs au gouvernement pour la durée de la guerre.

7 12 1939  

La Norvège, la Suède et le Danemark sont neutres dans le conflit Russie Finlande.

9 12 1939   

La conférence de juillet 1938 à l’initiative de Roosevelt pour trouver des pays qui puissent accueillir les quelques 650 000 Juifs que l’Allemagne voulait expulser s’était close sur un constat de faillite, la proposition de la République Dominicaine d’en recevoir 100 000 n’ayant pas retenu l’attention générale… sauf celle du Joint pour lequel cette proposition n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd – American Jewish Joint Distribution Committee – créé en 1914 par des Juifs américains pour venir en aide aux Juifs d’Europe victimes de la famine et de persécutions et aux Juifs de Palestine. (C’est aujourd’hui la plus importante organisation juive humanitaire au monde, présente dans 70 pays). Le Joint décide d’activer le proposition de la République Dominicaine en créant la Dorsa – Dominican Republic Settlement Association -, qui signera, deux mois plus tard, un accord avec la République Dominicaine qui se dira prête à accueillir des Juifs. Et c’est ainsi qu’arriveront, par petits groupes, des pionniers, dès mars 1940 et ce jusqu’au-delà de la fin de la guerre, en 1950, jusqu’à former une communauté de plusieurs milliers de personnes.

En France, le journal antisémite Je suis partout cite des chiffres de 46 663 juifs en 1808, 180 000 en 1914, 400 000 en 1939.

15 12 1939    

À Hollywood, première du film Autant en emporte le vent, adaptation du roman de Margaret Mitchell, avec Clark Gable dans le rôle de Rhett Butler, et Vivian Leigh, dans celui de Scarlett O’Hara. Le 29 février suivant, elle aura l’oscar de la meilleure actrice et le réalisateur Victor Fleming raflera 7 autres oscars. En l’an 2000, le tirage du roman – le titre français est de Jean Paulhan -, atteint 28 millions d’exemplaires. [En 2012, J. K. Rowling aura fait 450 millions d’exemplaires avec ses Harry Potter.]

17 12 1939

Le cuirassé allemand de poche Admiral Graf Spee interné à Montevideo après une bataille contre trois croiseurs britanniques se  saborde faute de sauf conduit accordé par les alliés qui réclamaient son internement en Argentine ou en Uruguay. La Bataille a fait 70 morts à bord de l’Admiral Graf Spee, et le navire avait un impératif absolu de réparations. L’ultimatum que lui adresse le gouvernement de l’Uruguay, neutre en principe, en fait très dépendant de la Grande Bretagne le contraint à quitter le port de Montevideo. Il va le faire avec un équipage réduit à 40 hommes, les autres quittant Montevideo pour Buenos Aires, sur l’autre rive du Rio de la Plata. Les 40 hommes mettent à feu le dispositif de sabordage – un incendie- puis quittent le navire sur des remorqueurs. Le cuirassé mettra trois jours pour couler, par 34°30′ Sud, 58°14′ Ouest.

Le cuirassé de poche Admiral Graf Spee se saborde à Montevideo le 17 décembre 1939

27 12 1939

La terre tremble à Erzincan, 39°46′ N, 39°32′ E, à mi-chemin entre Sivas et Erzurum, dans l’est de la Turquie, à 1 h 57′, suivie dans les trois heures de six autres secousses, dont l’une atteint 8.2 sur l’échelle de Richter. Catastrophique, le bilan se monte à près de 33 000 morts. C’est toute la ville d’Erzincan, épicentre, qui est détruite ; 10 000 morts sur les 16 000 habitants. Elle sera reconstruite un peu plus au nord.

1939

Saint Gobain sort le Duralex, – Dura lex, sed Lex : La loi est dure, mais c’est la loi – le verre incassable.

En Allemagne, toutes les jeunes filles de moins de 25 ans, feront un an de service civil. Toujours en Allemagne, mise en œuvre de l’opération T4 : en l’espace de 2 ans, ce sont quelque 70 000 malades mentaux qui sont mis à mort par gazage au monoxyde de carbone.

En Italie, création de l’ICR : Institut Central pour la Restauration : à l’origine, l’entêtement de trois hommes : Giulio Carlo Argan, Giuseppe Bottai, alors ministre de la culture et Cesare Brandi, qui en devient le directeur. Il gagnera ses premiers galons en s’opposant à la restauration maladroite des marbres du Parthénon. Il deviendra au cours des ans l’autorité la plus universellement reconnue en matière de restauration de monuments historiques. Dans les années 1990, voyant venir les talibans en Afghanistan, il parvint à faire mettre en lieu sur les pièces les plus intéressantes du musée national de Kaboul : elles sortiront de leur cachette vers 2008. En 2004, l’UNESCO considère l’Italie comme chef de file de toutes les opérations de protection du patrimoine culturel mondial endommagé à la suite de guerres ou de catastrophes naturelles.

Après 1926, Bugatti renoue avec la victoire au Mans.

28 1925 Bugatti Type 35

12 1938 Bugatti Type 57 Atlantic

12 1938 Bugatti Type 57 Atlantic

Paul Müller invente le DDT : Dichloro Diphenyl Trichloréthane.

Identification de la fission nucléaire par l’Autrichienne Lise Meitner et l’Allemand Otto Frisch, en bombardant l’uranium de neutrons. Les Curie prouvent le phénomène de réaction en chaîne.

Dans une note non publiée, le Père Couturier, dominicain qui s’est octroyé la régence de l’Art Sacré en France livre ses vœux dans la revue l’Art Sacré, qu’il dirige avec le Père Régamey : ils éclairent la virulente querelle qui l’opposera 12 ans plus tard à Pierre Peltier, au sujet de l’Église du plateau d’Assy. Pierre avait négrifié pour Pierre Barbier qui monopolisait pratiquement les Chantiers du Cardinal, et l’avait apprécié, et c’était tout le contraire de la part du Père Couturier :

Le jour où Dufy, Segonzac, Picasso, Derain, Matisse, Bonnard, auront des commandes pour Saint Sulpice, pour Notre Dame, ou pour le Faubourg Saint Honoré, le jour où Perret, Le Corbusier, Mallet Stevens, auront à bâtir dans les chantiers du Cardinal autant d’églises que M. Barbier ou M. Tartempion, une grande partie de notre tâche sera faite. Non point qu’à notre avis, cela suffise à assurer la renaissance de l’art chrétien (ni même que nous soyons très sûr que les œuvres sorties de ces mains illustres soient toutes très religieuses) mais une chose essentielle sera restaurée : l’Église aura retrouvé dans ce domaine le sens de la grandeur, l’habitude de s’adresser aux grands, aux véritables maîtres et non plus à des médiocres plus ou moins spécialisés.

Archives de M. A. Couturier, O.P. citées par Marcel Billot dans : Paris, 1937-1957. Centre Georges Pompidou.

Invité à prêcher le carême à la paroisse française de New-York, le Père Couturier y restera pendant la durée de la guerre, créant l’École des Hautes Études de New-York, l’Institut Français d’Art Moderne.

Patrick Leigh Fermor poursuit sa route, prenant la vie comme elle vient, et ma foi, si les nuits dans un bon lit de plumes, dans un château plutôt que dans une chaumière, sont plus nombreuses qu’à la belle étoile, pourquoi s’en plaindre ?

Je choisis une meule de foin à l’approche de la brume. Une large corniche avait été taillée aux deux tiers de sa hauteur, où une échelle oubliée permettait de monter facilement. J’y fus bientôt juché et déballai le pain beurré, le porc fumé et les poires qu’on m’avait donnés à O’Kigyos. Après quoi je finis le vin entamé à midi. Cette solitude soudaine, le fait de se coucher avec les poules, tout cela semblait un peu triste après toute une semaine de soirées pleines de gaieté ; mais l’impression était contrebalancée par le plaisir de dormir à la belle étoile pour la quatrième fois, et parce que je savais approcher du commencement d’un nouveau chapitre de mon voyage. Enveloppé dans ma capote, la tête posée sur mon sac, je m’étendis, fumai, – avec précaution, étant donné l’inflammabilité de mon nid parfumé – et m’abandonnai à d’enthousiastes pensées. C’était comme cette première nuit passée sur les bords du Danube : j’avais le même sentiment, presque extatique, que personne ne savait où je me trouvais, pas même un porcher, cette fois ; bien que j’eusse un petit regret à l’idée de quitter la Hongrie, tout me souriait. D’ailleurs, ce n’était pas un adieu définitif aux Hongrois, Dieu merci : des haltes préétablies saupoudraient déjà les marches occidentales de la Transylvanie. Un vague souci, toutefois, associé à un soupçon de culpabilité, flottait dans l’air : moi qui avais prévu de mener la vie d’un vagabond, d’un pèlerin ou d’un goliard, de dormir dans les fossés, sur les meules, et de ne frayer qu’avec les oiseaux de ce plumage, je flânais de château en château, sirotais du tokay dans des verres de cristal taillé et fumais des pipes longues d’un mètre avec des archiducs, au lieu de partager des sèches avec des clochards. On aurait difficilement pu attribuer ces déviations à de l’arrivisme : le mot implique à tout le moins un effort répété, alors que mes changements imprévus de niveau s’étaient produits aussi facilement qu’une ascension en ballon. Mes remords ne durèrent pas longtemps

[…] Le rythme de mon voyage s’était ralenti, tout sentiment de durée s’était évanoui, et c’est seulement aujourd’hui, un demi-siècle trop tard, que j’éprouve des remords soudains et rétrospectifs d’avoir accepté si souvent l’hospitalité ; mais ils ne sont pas très vifs.

[…] J’ai une idée, s’exclama István pendant le déjeuner. Nous allons tous nous associer et t’acheter une génisse ! Tu pourrais la pousser devant toi sur la route. Quand elle aura suffisamment grandi, tu pourras la présenter à un taureau, et tu auras une autre génisse ; un peu plus tard,  une autre. Tu pourrais arriver à Constantinople avec un énorme troupeau, au bout de quelques années…

Patrick Leigh Fermor. Entre fleuve et forêt. Payot 1992

1 01 1940   

Le colonel de Gaulle envoie à 80 personnalités civiles et militaires un mémorandum, L’avènement de la force mécanique, réquisitoire très dur contre la stratégie définie par l’État-major. Il y a déjà comme un avant goût de rébellion.

Les Allocations familiales accordent 3000 F pour le 1° enfant, soit 860 € 2000. Quelques prix en francs 1940 convertis en € 2000 :

Essence 5,80 1,70 €
Kg de pain 3,15 0,90 €
Km SNCF 2°cl. 0,45 0,13 €
Ticket de métro 1,30 0,37 €
Traction 7 CV 28 500,00 8 212,00 €
Salaire horaire à Paris 10,50 3,00 € 

16 01 1940   

Les 44 députés communistes sont déchus de leurs mandats.

01 1940 

Élisabeth Eidenbenz, belle brune suisse de 26 ans, institutrice, n’a d’autre expérience en matière de santé que celle acquise aux côtés des Républicains espagnols à Madrid et à Valence, auprès desquels elle a été missionnée par le Secours Suisse aux enfants, une organisation protestante pacifiste. Après la Retirada, son association lui a demandé de continuer à s’occuper des réfugiés espagnols en France où elle est arrivée en décembre 1939 : Saint-Cyprien, Argelès, Rivesaltes, Gurs : elle aide les réfugiés à s’établir, seuls ou en famille, dans des baraquements en toile ou en bois édifiés à la hâte ; ils doivent y affronter le froid, la faim, les épidémies, la saleté, autant dire une perspective d’échecs sans fin à décourager les plus braves. Élisabeth perçoit vite qu’elle ne pourra pas rester ainsi, impuissante devant les mères qui accouchent dans les pires conditions et souvent, perdent leur bébé. À l’hôpital de Perpignan, les bonnes sœurs refusent d’accoucher les rouges. Convaincue qu’il faut d’urgence les mettre à l’abri, elle est parvenue à convaincre son organisation de restaurer En Bardou, un petit château en ruine, sur la commune d’Elne, (dans les années 1900, les Bardou fabriquaient le papier à cigarettes Nil) pour le transformer en maternité et en dispensaire infantile.

Les premières pensionnaires emménagent début janvier 1940, alors que les travaux ne sont pas encore terminés. Au rez-de-chaussée, les cuisines et la buanderie. Au premier étage, le réfectoire et un espace pour les enfants convalescents. Au deuxième, une grande salle réservée aux accouchements et aux nouveau-nés. Tout en haut, les chambres du personnel. L’ensemble est équipé avec du matériel de récupération. Un potager fournira des légumes aux petits. Travail harassant pour lequel Élisabeth et les quatre infirmières ne reçoivent aucun salaire, juste un peu d’argent de poche.

Élisabeth Eidenbenz étend bientôt son activité à l’ensemble des camps de la région, en y créant des pouponnières et des cantines. Aidée d’autres volontaires, elle y dispense des soins quotidiens et distribue du lait. Très vite, les Espagnols sont rejoints dans ces prisons à l’air libre par des Tziganes et des juifs ciblés par le gouvernement de Vichy. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont ainsi internées dans le sud de la France. La maternité d’En Bardou accueille les jeunes mamans, et Élisabeth va enregistrer elle-même les bébés à la mairie. Sommée de déclarer les enfants juifs, elle refuse, quitte à travestir les noms des petits David Levi en Juan Gonzales, et falsifier des papiers. Elle sauvera ainsi 400 Espagnols et 200 Juifs. Les rappels à l’ordre de la Croix-Rouge, qui a pris le contrôle de son organisation, n’y changent rien. En février 1943, la direction de l’ONG hausse le ton, en adressant à ses volontaires une circulaire leur enjoignant de ne rien faire contre les autorités : Les lois du gouvernement de la France doivent être exécutées exactement et vous n’avez pas à examiner si elles sont opposées ou non à vos propres convictions. La doctoresse s’obstine, prenant même le risque d’aider certaines familles à passer à la clandestinité.

À Pâques 1944, la Gestapo décidera de réquisitionner le petit château. Élisabeth Eidenbenz sera sommée d’évacuer à la hâte les mères et leurs enfants. La maternité trouve un temps refuge dans une ferme, au Chambon sur Lignon, en Haute Loire avant que l’aventure ne cesse quelques mois plus tard, faute de vivres. La volontaire suisse, elle, est congédiée par la Croix-Rouge : elle ira s’occuper en Autriche d’un hospice pour enfants de réfugiés des pays de l’Est.

En  1991, alors qu’il travaille comme fonctionnaire aux Nations unies, Guy Eckstein découvrira le nom d’Élisabeth Eidenbenz sur son acte de naissance : il va tout faire pour retrouver sa trace et la sortir de l’anonymat. Il conte l’histoire au nouveau maire, Nicolas Garcia, lui-même fils de réfugiés espagnols, communiste et qui en ignorait tout : il en reste espanté. Guy Eckstein retrouvera Élisabeth Eidenbenz, la convaincra de revenir à Elne. Les retrouvailles seront, on le pense bien, bouleversantes. Une cinquantaine d’adultes nés à la maternité rencontrent madame Élisabeth, qui leur avoue : Je n’ai jamais pensé que tous ces enfants me devaient la vie. Jusqu’à 1991, nulle autorité dans quelque pays que ce soit, ne songera à honorer cette femme. Mais après les démarches de Guy Eckstein, elle recevra de la reine Sofia d’Espagne la Croix d’or de l’Ordre civil de la solidarité, du gouvernement catalan le Creu de Sant Jordi, la France lui décernera la Légion d’honneur, Israël la fera Juste parmi les nations et la municipalité d’Elne finira par racheter le château, en juillet  2005, pour en perpétuer la mémoire : La maternité d’Elne. Elle s’éteindra à 97 ans, le 23 mai 2011 à Zürich.

Histoire de la CRS online - Du Cartel à la Croix-Rouge suisse – Secours aux enfants

28 02 1940   

1° voyage du paquebot Queen Elisabeth, de Liverpool à New York.

29 02 1940  

Mise en service des cartes d’alimentation.

5 03 1940  

Les dirigeants soviétiques estiment que les officiers d’active polonais qu’ils ont fait prisonniers en septembre 1939, représentent une bonne partie de l’intelligentsia, et forment un foyer nationaliste. Staline, Molotov, Khrouchtchev et d’autres membres du Politburo ordonnent au NKVD – la police politique soviétique – d’examiner le cas de 25 700 prisonniers polonais internés dans plusieurs camps selon une procédure spéciale, sans faire comparaître en jugement les détenus et sans formuler d’accusation, appliquant à leur égard la plus haute mesure punitive – la fusillade – . 21 857 officiers polonais sont ainsi exécutés, principalement près de Katyn, à l’ouest de Smolensk  – 421 tués d’une balle dans la nuque.

Avant même le massacre de Katyn, Khrouchtchev avait ordonné la déportation au Kazakhstan de 60 000 polonais, membres des familles d’officiers.

J’allais vers Smolensk et la Russie était partie il y a peu de temps. Des hommes avaient vécu là, cela se sentait. La maison derrière, l’étable du kolkhoze en ruine, quelques vaches, même, broutant dans la steppe et leur gardienne allongée, immobile, dans l’herbe jaune. La vague de déroute m’avait précédé et je la suivais jusqu’à Moscou, à quelques semaines, quelques mois d’intervalle, Moscou, j’attendais de revoir la Russie à Moscou. Le pays revenait à ce qu’il était avant la présence humaine. Marais, étangs, forêt et vent. Je passai devant une grosse usine abandonnée, laissée dans la précipitation, me dis-je, et sur son mur de briques figuraient les inscriptions 1967, KPCC, dans une marqueterie anguleuse en pierres claires posées de façon inégale.

Et la forêt. Je savais ce qui m’attendait, dans cette forêt et lorsque je parvins, sur la gauche, à hauteur d’un sanatorium, je compris que j’étais arrivé, car Katyn avait toujours passé pour un sanatorium. Mais ce n’était pas le bon. Un infirmier me demanda ce que je cherchais. Je le lui dis. En bas de la route, à trois, quatre kilomètres, vous verrez.

J’avais le sentiment que la forêt, de part et d’autre de la route, devenait de plus en plus silencieuse. J’entendais craquer chaque branche sur laquelle marchait un cueilleur de champignons, puisque on ramassait les champignons aussi dans cette forêt. Au bout d’une quarantaine de minutes, la chaussée s’élargit en un parking pour visiteurs, sur la droite, et une pancarte apparut : Complexe national du souvenir. L’entrée était un remblai couvert de gazon, assez monumental pour aller avec le musée, lequel faisait penser tour à tour à un dispositif de défense celte ou à un stand de tir. Un groupe d’anciens combattants arrivait dans l’autre sens, portant leurs décorations de guerre, selon l’habitude, beaucoup étaient venus avec leur femme mais ils avaient le visage figé, marqué, comme s’ils venaient d’enterrer leurs fils dans cette forêt. Et tel était presque le cas, car ils avaient mis leur jeunesse au tombeau, leur glorieuse victoire, leurs années d’héroïsme aux grandes décorations ; serrés les uns contre les autres, ils se taisaient, regardaient à terre ou dans le vide, se hâtant de rejoindre le parking où leur car attendait. J’étais ému de croiser tous ces hommes âgés qui venaient de perdre la foi. Cela me mettait en colère, contre qui, difficile à dire. À qui cela pouvait faire plaisir ? Qui pouvait se réjouir de les voir ainsi, à quoi cela servait ?

Je pénétrai dans le musée, une jeune femme me montra des photos au grain grossier de la fin des années trente et ressortit avec moi. Elle s’appelait Oxana et travaillait là. Faisant le guide pour les visiteurs. Je lui racontai les hommes âgés. C’est douloureux, pour ces anciens combattants, et pourtant, ils viennent nombreux. Tout le monde savait, ils savaient, tout ce temps. La vallée de la mort, c’est ainsi que les gens appelaient cette forêt. Maintenant, ils ouvrent les yeux et ils voient.

L’endroit le plus sacré de Katyn est une immense tombe de la taille d’un bloc d’immeubles dans laquelle est encastrée une cloche. Elle sonnait pendant que je fis le tour des quatre parois de cette fosse commune sur lesquelles étaient apposées 4 421 plaques d’un rouge brunâtre, comme des carreaux, sur lesquelles figurait, à chaque fois, un nom polonais. Szymanski, Szymski, Szymanowski, Smid, Szubert. Le docteur. en médecine Berlinerblau, Leopold. Né le troisième jour après la veillée de Noël en 1901, fusillé sur ordre de Staline, quarante ans plus tard, dans la forêt de Katyn, comme 4 420 autres officiers et ce qui restait d’élite polonaise. Comme le père de la comtesse Mankowska, qu’on avait enlevé à son château galicien pour l’amener là.

Le complexe avait été maquillé en sanatorium du KGB et réellement utilisé comme tel. Gagarine y était venu en cure, me dit Oxana, Khrouchtchev, aussi, ainsi que Gorbatchev. Un jour, une vieille femme avait visité le musée. Elle racontait qu’un été, elle avait grimpé en cachette avec d’autres enfants sur la clôture, à cause des fraises qui poussaient en grand nombre dans la forêt du sanatorium, et ils en avaient tellement mangé qu’ils avaient tout vomi. Nous quittâmes ce complexe du souvenir soigneusement entretenu pour faire quelques pas dans la forêt. Oxana me montra nombre d’endroits fouillés par les pilleurs de tombes. Tout le sol de la forêt était douteux. Je pris une branche, à peine avais-je ôté un peu de mousse et de terre que je tombai sur des os, une semelle cousue, une ceinture de cuir, une côte noircie.

C’était une forêt d’exécution, la gare était proche, situation propice, j’avais marché tout ce temps parallèlement aux rails. Des milliers, dizaines de milliers d’hommes, peut-être, avaient été transportés là, conduits sur cette route à travers la forêt pour être fusillés, enterrés. Le musée avait identifié trois cents tombes, avec, dans chacune, soixante à quatre­-vingt-dix cadavres. Les noms des Polonais fusillés avaient été recensés avec précision sur instigation polonaise, pour leurs victimes compatriotes, les Russes donnaient le chiffre de dix mille tandis que les successeurs du KGB rendirent trois mille noms publics. Si l’élite de la Pologne n’avait pas été abattue dans cette forêt, gisant là, si les Polonais n’avaient pas exigé en masse l’édification de ce grand mémorial, Katyn serait, aujourd’hui encore, une forêt morte comme il s’en trouve sur les bretelles de sortie d’autres villes soviétiques, celui qui sait sait, celui qui ne sait pas passe ou va cueillir des fraises ou des champignons.

Considérant le nombre de morts, Katyn fut d’abord un crime perpétré par les Russes contre eux-mêmes. Mais il fallut que le crime concernât les Polonais pour qu’on s’y intéresse. Il fut découvert par les Allemands au cours de leur progression. Les soldats de Hitler déterrèrent le Katyn de Staline en 1943, c’est-à-dire qu’ils firent creuser la population. Cinq cents Russes furent fusillés là, qui reposent aussi dans la forêt. Une grande croix orthodoxe rappelle leur mémoire et les Russes, en quête de lieux sacrés de visite, à l’occasion de leur mariage, viennent ici ; en passant, nous vîmes une mariée déposer des fleurs devant la croix, et la famille faisant une photo du couple. La légende tardive selon laquelle c’étaient les Allemands qui avaient organisé le massacre de Katyn fut répandue par les commissaires de Staline, qui utilisaient des cartouches de fabrication allemande pour ces exécutions massives. Oxana m’en montra une. Y figurait le nom de la firme Gerka. Calibre 7,65.

Wolfgang Büscher Berlin-Moscou, un voyage à pied. L’esprit des péninsules  2003

Nul ne sait de quoi hier sera fait.

Sentence des historiens russes.

8 03 1940  

À St Nazaire, lancement du cuirassé Jean Bart.

Revue rapide - Le Jean bart - YouTube

13 03 1940 

Le traité de Moscou met fin à la guerre Russie-Finlande. Les Finlandais avaient lutté contre les Russes à un contre quatre, mais paradoxalement, ils ont perdu beaucoup moins d’homme que les Russes : 25 000 morts et 44 000 blessés, contre 127 000 morts chez les Russes et 250 000 blessés. En janvier 1940, la température est descendue à – 50°. La Finlande est amputée de 10 % de son territoire et de 20 % de son potentiel industriel, et elle cède Vyborg, une des plus grandes villes du pays. Staline remerciera les prisonniers de guerre russes libérés des camps finlandais en les envoyant, pour nombre d’entre eux au goulag de Vorkouta.

20 03 1940  

Daladier démissionne, remplacé par Paul Reynaud. Mais il prend le portefeuille de la Défense et, dès le lendemain, ordonne le rachat de tout le stock mondial d’eau lourde  – 185 kg – qui se trouve alors en Norvège, détenu par la société Norsk Hydro, dont les capitaux sont en majorité français ; le directeur, Georges Aubert est d’origine française, pro-alliés et vend le stock pour 36 millions de FF. Ce sera chose faite avant le déferlement des blindés allemands en mai.

La démission de Daladier tenait pour une grande part au grand écart qu’il avait pratiqué quant au soutien de la France à l’endroit de la Finlande, attaquée par les Russes : il avait à maintes reprises promis l’envoi du meilleur équipement, du meilleur matériel et pas grand chose de tout cela n’avait réellement été fait : 145 avions, 500 canons de gros calibre, 5 000 mitrailleuses et 400 000 fusils. Et une partie de cet équipement était parvenu après le cessez-le-feu.

28 03 1940

Les gouvernements français et anglais conviennent de ne pas conclure de paix séparée sans l’accord de l’autre partie.

30 03 1940 

Wang Jingwei, une des personnalités de premier plan du Kuomintang, longtemps rival de Tchang Kaï Chek, président du Yuan exécutif, c’est à dire premier Ministre de janvier 1932 à novembre 1935, ministre des Affaires étrangères par intérim de 1933 à 1935, en place à Shangaï depuis 1938 pour négocier avec les Japonais, devient chef d’un État fantoche basé à Nankin, soumis directement au pouvoir japonais jusqu’en 1945. Il avait été victime d’une tentative d’assassinat le 1° novembre 1935.

03 1940 

Un car de Juifs pour la plupart allemands et autrichiens arrive à Sosúa, en République Dominicaine, rejoignant les pionniers, présents depuis dix mois pour les premiers. Quelle est leur situation ? physiquement, ce sont des gens épuisés par un voyage qui aura duré pas loin d ‘un an : plusieurs mois dans un camp en Suisse, sans chauffage avec parfois des nuits à – 15°…  plusieurs mois, car les Suisses ont vite vu que leurs visas pour les États-Unis étaient des faux, établis quand le pays avait déjà dépassé son quota d’immigrants ; une traversée de la France avec de multiples changements de train, quatre jours dans le sinistre camp de Gurs, quelques jours de bon repos à Lisbonne, puis une traversée de l’Atlantique par mauvaise mer, plusieurs semaines à Ellis Island, où l’Amérique parque les immigrants pour lesquels la dureté des conditions de vie soude en leur cœur une solide antipathie pour les yankees, antipathie d’ailleurs partagée par d’autres :

Le caractère propre de l’Américain du Nord, c’est la vulgarité sous toutes les formes : morale, intellectuelle, esthétique et sociale ; et non pas seulement dans la vie privée, mais aussi dans la vie publique : elle n’abandonne pas le Yankee, qu’il s’y prenne comme il voudra.

Schopenhauer, philosophe allemand, 1788-1860

Dire que la République dominicaine les accueille est un bien grand mot : elle leur remet une zone rachetée par l’État à la United Fruit qui faisait jusqu’aux années antérieures de la banane, et avait plié bagage après que les sols se furent épuisés, abîmés en plus par des remontées salines, ne laissant sur place que quelques baraquements et rien d’autre. Donc, tout était à faire et prédominait l’esprit du kibboutz, battu en brèche dès que l’on commencera à parler de l’éducation des enfants que les parents refusaient de voir remise à la collectivité. Tous ces intellectuels se mettaient avec entrain au maniement de la scie, du marteau, de la truelle. Mais  il faut bien souligner que leur sort ne pouvait être comparé avec celui d’autres réfugiés, par exemple les républicains espagnols, dont toute la richesse tenait dans les quelques ballots qu’ils avaient pu emporter avec eux. Ici, la Dorsa – voir au 9 décembre 1939 – s’occupait de leur sort, finançait le matériel de construction etc… ces gens menaient un vie très dure, mais en même temps se trouvaient très loin du théâtre des opérations. Ils avaient commencé par se faire paysans, cultivateurs, mais les échecs se succédaient et rien ne poussait – leur graines venaient de Monsanto : cela tenait-il à ce qu’aucun d’eux n’avait la main verte ? ou bien y aurait-il eu un plan pour les mener droit dans le mur ? certains y pensèrent ; de toutes façons, ce qui avait été vrai pour la United Fruit, l’était pour eux ; ils changeront leur fusil d’épaule, et se feront éleveurs, avec un vrai succès, finissant par vendre leur lait à la moitié de l’île. Les drames étaient loin, mais le courrier apportait des nouvelles, rarement bonnes au début, souvent accablantes : la famille gazée à Auschwitz.. Fallait-il aussi fréquenter, ne serait-ce que du bout des lèvres ce régime dictatorial de Trujillo ? Cela encore divisait la communauté. Quand celui-ci proposa aux Juifs la nationalité dominicaine, certains, conquis par la gentillesse de la population, la prendront et resteront dans le pays après la guerre.

Trone venait évaluer les compétences des futurs colons. Il cherchait en priorité des hommes jeunes, de préférence célibataires, ayant quelques notons d’agriculture ou, à défaut, d’accord pour suivre une formation agricole accélérée avant de s’établir en république dominicaine. Ils devaient être organisés, désireux d’apprendre, peu attachés aux conventions et capables de supporter des conditions de vie rudimentaires. De bonnes graines de fermier.

Trone ne leur dora pas la pilule : il s’agissait purement et simplement de faire sortir de terre une communauté rurale à l’image de Degabia et Kinneret, les premiers kibboutzim de Palestine. Ce serait dur, sans aucun doute, mais ils seraient libre, en sécurité, indépendants. Il leur offrait une aventure exceptionnelle, exaltante, comme on en vit qu’une fois dans une vie. Les moyens de production et de consommation seraient collectifs, les décisions se prendraient de concert et à la majorité, droits et devoirs seraient équitablement partagés. Trone leur proposait tout simplement de se mesurer à eux-mêmes et de réinventer leur vie. […]

Pendant les premiers temps, j’avais voulu croire aux objectifs altruistes du Joint. Désormais, je les mettais sérieusement en doute. J’observais et je recoupais des informations glanées ici et là. J’entrevoyais que la colonie dominicaine était assez loin d’être une œuvre charitable désintéressée. La philanthropie, c’était la face immergée de l’iceberg Sosúa. Sans le savoir, une population fragilisée de Juifs apatrides dont aucun État ne voulait se prêtait à une expérimentation sociologique d’envergure. Sosúa n’était ni plus ni moins qu’un laboratoire grandeur nature dans la perspective de la création de l’État d’Israël ou de sa faillite ; ça marchait dans les deux cas de figure. Les têtes pensantes du sionisme préparaient une immigration massive et se posaient une question fondamentale : pouvait-on sans casse transformer de jeunes intellectuels citadins habitués à une vie confortable en pionniers bâtisseurs et paysans? Avec ses corollaires : quels ajustements, quelles concessions à l’idéal pionnier ? Étions-nous une espèce de brouillon, de test à l’implantation en terre vierge des Juifs urbains ? 

[…] Unis par les épreuves, l’exil et l’abandon de nos vies, nous vivions dans une atmosphère de gaieté des relations saines faites de complicité, de partage, de franche camaraderie, d’une compréhension mutuelle qui se passait de mots. Nous menions une vie simple et paisiblement harmonieuse. Aux privations et à l’inconfort, nous opposions une joie bruyante, parfois un peu forcée. Le sentiment de précarité laissait peu à peu la place un sentiment de bien-être. C’en était fini de baisser les yeux, d’essayer de passer inaperçu, de nous fondre dans le décor, de perdre de la substance. Nous n’étions plus ces mendiantes gris. Nous avions retrouvé notre dignité, nous avions une nouvelle vie et une nouvelle famille, et c’était vertigineux. Nous savions que nous vivions un  moment unique suspendu dans le cours de nos vies. C’était à la fois enivrant, exaltant et émouvant,  Je me sentais en sécurité dans cette existence de pionnier à laquelle rien ne m’avait préparé. Un puissant sentiment de liberté m’habitait.

[…] Ce n’est pas en regrettant le passé qu’on le fait revivre. Il n’y a que le présent qui se construit et il se réinvente à mesure que le passé lui cède la place.

Nous pouvons nous réinventer et nous enrichir ici si nous avons la force et la lucidité de vivre dans le présent. Je refuse d’être emmuré dans la nostalgie, notre exil peut aboutir à une nouvelle forme d’enracinement.

C’est un révélateur. Nous sommes arrivés sans illusions et maintenant nous partageons un rêve. Mais nous ne pouvons pas vivre dans ce pays comme une verrue, même si ce n’est qu’une escale. Si nous voulons que le greffon prenne, il faut parler leur langue, connaître leur histoire et les coutumes.

J’ai bien du mal à me projeter dans un avenir ici. Il faut sans cesse que je m’agrippe au présent, sans me laisser contaminer par la nostalgie.

Et si nous nous appliquions tout simplement à être heureux ? 

Sans nous laisser ronger l’âme jusqu’à la moelle par cette maladie qui s’appelle la culpabilité. C’est en s’attachant à ceux que l’on rencontre là où l’on refait sa vie, c’est à travers eux que l’on accède à une nouvelle identité.

Catherine Bardon. Les Déracinés. chez Les Escales Domaine Français 2018.

Un documentaire sera réalisé : Shalom amigos.

15 04 1940

La moitié du fer importé allemand vient de Suède ; l’Angleterre en importe aussi mais seulement à raison de 10 % du total de ses importations. Ce fer vient de la mine de Kiruna, à 450 km à l’est de Narvik : la ligne de chemin de fer Malmbanan/Ofotbanen relie les deux villes dès 1903. Narvik est le port le plus septentrional de la Norvège qui n’est pas pris par les glaces en hiver. Les Alliés décident donc d’une opération sur Narvik pour barrer aux Allemands l’accès au fer suédois. La marine anglaise a contraint la Kriegsmarine allemande à se saborder dans le port de Narvik en Norvège : les survivants allemands se sont réfugiés dans les montagnes alentour. Des troupes franco-anglo-polonaises – 24 500 hommes, des chasseurs alpins pour les Français – débarquent alors ; ils essuieront un revers à Lillehamer, contre les troupes allemandes du général Dietl, moins nombreuses mais mieux entraînées aux conditions arctiques. Et, essentiellement en raison de l’éloignement de leurs bases, ils finiront par rembarquer et rejoindre l’Angleterre. Les Allemands tiendront donc Narvik jusqu’au 8 mai 1945.

30 04 1940 

L’attaché militaire français en Suisse reçoit le renseignement suivant : L’Allemagne attaquera entre le 8 et le 10 mai. Stop. Axe principal d’effort Sedan Stop. Occupation prévue de la Hollande, de la Belgique et du Nord de la France en dix jours Stop Occupation totale de la France en un mois.

Huit jours plus tard, dans la nuit du 7 au 8 mai, le colonel François rentrera d’une mission de jets de tracts sur Duisbourg et apercevra au sol la traînée lumineuse de nombreux convois. Il descendra pour s’en assurer et ce qu’il verra d’assez près confirmera ce qu’il avait vu de haut. Sitôt atterri, il informera son supérieur qui lui rétorquera : vous vous êtes trompé, une colonne de chars tous feux allumé en direction des Ardennes, ce n’est pas possible ! 

Il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

1 05 1940

À Berlin, Richard Walther Darré, ministre de l’Agriculture, détaille la politique de mise en œuvre du nazisme dans les territoires conquis : Ce sera notre devoir d’organiser économiquement les territoires conquis qui progressivement seront inclus dans le territoire allemand. Nous introduirons dans notre nouvel espace vital des méthodes absolument nouvelles. Toute propriété foncière ou industrielle d’habitants d’origine non allemande sera confisquée sans exception et distribuée tout d’abord aux membres méritants du parti et aux soldats qui auront obtenu des honneurs pour actes de bravoure dans cette guerre. Ainsi une nouvelle aristocratie des maîtres allemands (Herrenvolk) sera créée. Cette aristocratie aura des esclaves qui lui seront assignés. Les maîtres allemands auront la propriété de ces esclaves qui consisteront en nationaux non-allemands privés du droit de posséder la terre. Je vous prie de ne pas interpréter le mot esclave comme une métaphore ou comme un terme de réthorique. Nous avons dans l’esprit une forme moderne de l’esclavage médiéval que nous devons et voulons instaurer parce que nous en avons un besoin urgent pour pouvoir accomplir nos grandes tâches. À ces esclaves ne seront refusées en aucune manière les bénédictions de l’ignorance. La plus haute éducation sera à l’avenir réservée seulement à la population allemande de l’Europe.

Nous avons choisi cette forme d’esclavage pour plusieurs raisons. La plus importante est que nous abolissions l’étalon-or et le remplacions par le travail. Ce travail doit être aussi bon marché que possible afin que notre conquête économique puisse s’étendre largement et rapidement. Nos futures générations doivent même en temps de paix recevoir une éducation telle qu’elles puissent, en cas de nécessité, être capables de défendre fortement et énergiquement ce que nous avons acquis. Ici aussi, la forme d’esclavage mentionnée ci-dessus prouvera sa valeur. Les maîtres allemands habitués à commander et en cas de nécessité à frapper sans aucun égard là où il sera nécessaire, seront de solides piliers pour soutenir le gouvernement du Monde par l’Allemagne.

[…] Dès que nous aurons battu l’Angleterre nous vous détruirons définitivement, vous autres Anglais. Les hommes valides et les femmes entre 16 et 45 ans seront envoyés comme esclaves sur le continent. Les vieux et des faibles seront exterminés. Tous les hommes restants comme esclaves en Angleterre seront stérilisés ; un ou deux millions de jeunes femmes de type nordique seront envoyées dans un certain nombre de fermes de reproduction où, inséminées pendant 10 à 12 ans par des mâles allemands sélectionnés, elles pourront produire chaque année des petits nordiques qui seront élevés comme des Allemands. Ces enfants formeront la future population britannique. Ils seront en partie éduqués en Allemagne et seuls ceux satisfaisant aux critères nazis seront autorisés à retourner en Angleterre pour y résider de manière permanente. Les autres seront stérilisés et iront rejoindre les groupes d’esclaves en Allemagne. Ainsi, en une ou deux générations, les Britanniques auront disparu.

7 05 1940 

Un rapport de la Sureté Nationale rédigé par Émile Chevalier, peintre du dimanche,  refuse la naturalisation française à Picasso.

8 05 1940 

Les Anglais aimeraient bien mettre à la porte Neville Chamberlain, qui est de moins en moins l’homme de la situation. Le conservateur – le parti de Neville Chamberlain – Leo Amary avait fait au plus court mais aussi au plus féroce en citant CromwellVous siégez ici depuis trop longtemps pour le peu de bien que vous avez fait. Partez, vous dis-je, que nous soyons débarrassés de vous. Au nom du ciel, partez !

David Lloyd George, ancien premier ministre enfoncera le clou : Il a réclamé des sacrifices. Il ne pourrait mieux servir la victoire dans cette guerre qu’en faisant lui-même le sacrifice de son mandat.

Mais le vote va lui renouveler sa confiance et il faudra attendre un arbitrage du parti travailliste de Clément Atlee, deux jours plus tard, pour que Winston Churchill, jusqu’alors premier lord de l’amirauté,  devienne Premier ministre.

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[1] du hollandais droog : herbe séchée