9 mai au 17 juin 1940. La défaite. 18552
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Publié par (l.peltier) le 8 septembre 2008 En savoir plus

9 05 1940 

À la veille de l’offensive des panzers allemands, on était encore dans la drôle de guerre ; Paul Reynaud s’était démené tant et plus pour obtenir de Daladier, ministre de la défense, le remplacement du chef d’État-major, le général Gamelin : il lui est surtout reproché l’échec de l’expédition de Norvège. Las, il lui faut revenir sur sa volonté la plus ardente… il est trop tard.

Pierre Peltier, affecté à la défense du terrain de secours de la base aérienne de Verneuil en Halatte, près de Creil, entre Compiègne et Paris, s’est installé : il a loué une chambre dans une propriété à la campagne et essaie de meubler l’inactivité du mieux qu’il peut : dessin et course au lièvre.

Je vous écris du jardin de ma propriétaire en voyage de 10 à 15 jours pour la 1° communion de sa nièce et depuis que je suis tout seul je trouve cette maison plus charmante que jamais, la vieille table un peu encombrée du vestibule, l’escalier avec sa grosse rampe de corde, les belles assiettes, les beaux étains, le chaud carrelage et cette bonne odeur de cire, tout cela m’est très bon. Je me suis donc installé dans l’allée centrale entre les groseilliers et les poiriers. Le ciel est un peu rosé et les feuillages semblent s’être immobilisés pour roupiller. Chants d’oiseaux, coucous et crécelle de grenouilles. Oh, si vous étiez là, que ce serait bon !…

… avec un sergent chef, nous chassons le lièvre en auto. Hier après midi, nous avons fait quatre poursuites très mouvementées : le compteur a marqué jusqu’à 70 km/h et en terrain assez varié : le lièvre filait, tendu tout en long, les oreilles couchées et quand nous étions à 2 ou 3 mètres, il faisait un brusque crochet et nous échappait. Certaines poursuites se sont faites pendant plus de 1 500 mètres. C’est passionnant : nous avions des battements de cœur après l’arrêt !

Pierre à Monique, Verneuil en Halatte.

10 05 1940

Winston Churchill devient premier ministre d’Angleterre. Stanley Baldwin, tout comme lui du parti conservateur, avait occupé le poste avant Neville Chamberlain et disait de lui : Quand Winston est né, les fées se sont penchées sur son berceau et l’ont comblé de dons : imagination, intelligence, faculté de travail, compétence. C’est alors qu’une autre fée est arrivée et a dit : Il n’est pas juste qu’une seule personne ait autant de dons. Elle l’a alors saisi et secoué si fort qu’il en a perdu toute sagesse et tout bon sens.

C’était là une manière plutôt élégante de rappeler l’énorme casserole – on pourrait parler de marmite – que Sir Winston traînait avec la catastrophique affaire des Dardanelles. [cf 18 03 1915]. Quelle que fût la fée, il valait mieux réfléchir longuement avant de le piquer, car le bonhomme avait le trait acéré : Lady Astor l’apostropha un jour : Monsieur Churchill, vous êtes ivre ! Et vous, Madame, vous êtes laide… Mais moi, demain, je serai sobre !

*****

Winston a cent idées par jour, dont quatre seulement sont bonnes… mais il ne sait jamais lesquelles !

Roosevelt

Début de l’offensive allemande. Dès 4 heures du matin, les Stukas apeurent l’armée et les populations, semant la terreur, préparant le terrain aux blindés de la Wehrmacht. Quelles sont alors les forces en présence [il importe de choisir le début effectif de la guerre, car la France a considérablement augmenté la production de chars depuis septembre 1939]

  
Divisions    Pièces d’artillerie Chars   Aviation
Allemagne     135  7 378      2 439   2 589
Alliés     151  13 974  4 174  1 453
France 104 10 700  3 254   879
Angleterre  15  1 280  610  384
Belgique  22   1 338  270 118
Pays-Bas  10 656 40  72

                                                                                      Karl-Heinz Frieser Le mythe de la guerre éclair. Belin 2003

Pour l’aviation, Frieser donne deux séries de chiffre : ceux qui figurent ci-dessus concernent les avions effectivement disponibles sur le front au 10 mai. Les chiffres totaux sont : Allemagne : 3 578, Alliés : 4 469, dont 3 097 pour la France, 1 150 pour l’Angleterre , 140 pour la Belgique et 82 pour les Pays-Bas.

Les blindés de Von Rundstedt, menés à vitesse grand V par Guderian et Rommel, se lancent sur les Pays Bas, la Belgique et le Luxembourg. La Blitzkrieg s’impose à la Wehrmacht : les Allemands n’ont que peu de réserve en carburant, pas de production : il faut aller vite pour trouver à l’arrivée le carburant que l’ennemi n’aura pas eu le temps d’emporter. Mais avec ce que l’on sait aujourd’hui des combats qui suivirent ce 10 mai, le terme de Blitzkrieg semble pour le moins inapproprié, voire même simplement un fruit de la propaganda.

Céline, grand maître du sarcasme, lancera : Six mois de belote, trois semaines de course à pied.

L’amiral Darlan écrira à sa femme : Je ne sais ce que cela donnera, mais en tout cas, il y aura plus de fantaisie et d’imagination

*****

Louis Poirier, – qui deviendra Julien Gracq en littérature – a 29 ans ; lieutenant au 137° régiment d’infanterie, il a fait la drôle de guerre en Moselle, puis  a été muté  à la frontière belge où commence l’incroyable débâcle [Marc Bloch]

Winnezeele, 10 mai

À quatre heures moins le quart le matin, je m’éveille dans ma chambre à carreaux rouges. Quel bruit ! La DCA tire vraiment beaucoup plus fort que d’habitude – n’arrête pas. Partout des vrombissements de moteur. Des mitrailleuses maintenant crachent tout près dans mes champs, autour de moi insistent. Il y a dans la persistance de ce fracas quelque chose d’insolite, ce matin.

Faut-il me lever ? Je suis vraiment bien couché dans ce lit de ferme, dans cette chambre fraîche. Tout de même – une demi-heure, trois quarts d’heure, et le vacarme ne cesse pas. Et voici qu’on tire à deux cents mètres : sans doute un de mes fusils mitrailleurs en DCA. Il fait un beau soleil tout neuf, maintenant. Pas trop tranquille pour sortir : j’ai l’impression que les éclats de DCA doivent pleuvoir partout.

Mes hommes sont tous affairés autour de leur FM, mais la dernière idée à leur venir serait bien de tirer. Ouvrir le feu, après huit mois de cantonnement tranquille. Ils ont le sentiment obscur, on dirait, que cela ne peut se faire sans un peu plus de solennité. Ils me regardent, perplexes. Pourtant, on voit des avions. Un gros trimoteur vient vers nous, dans le soleil, à cinq cents mètres. Je tire, sans trop viser – c’est évidemment symbolique. Les hommes ont l’air de trouver ça drôle, un peu incongru. Je brise un charme, on irait que j’ouvre la porte au malheur. Maintenant, tout le monde discute : il parait que des avions sont venus en rase motte mitrailler nos postes frontières. La troupe grouille un peu partout – le feu n’arrête pas de crépiter. Obscurément, chacun sent que la chose prend des proportions, l’événement s’organise, se dispose. Enfin le calme : nous nous décidons à aller prendre le café. Soudain, à une douzaine de kilomètres, une énorme explosion  finale, majestueuse. On saura plus tard, que c’est à Borre, le cantonnement que nous habitions il y a un mois. Un bombardier a explosé au sol avec toutes ses bombes, tuant une centaine de curieux.

Je me hâte vers la popote – j’ai un mauvais pressentiment, le cœur serré. Ça doit y être cette fois. À la porte, je rencontre De K. qui loge dans la ferme, l’air agité : Mon lieutenant, ça y est, ils ont envahi la Belgique. Il vient de l’apprendre par la radio. Allons, c’est fait. Quelque chose en moi se met à un autre cran : comment dire mieux. Mais c’est très vague. Comme si tout à coup on respirait un air plus raréfié – un autre régime pulmonaire, et plus moyen de redescendre.

Julien Gracq. Manuscrits de guerre. José Corti 2011

Les Pays-Bas étaient neutres pendant la première guerre mondiale. Depuis la seconde guerre des Boers, les sympathies des Néerlandais penchaient plus du côté allemand que britannique. Solidaires de leurs voisins belges, ils avaient accueilli des centaines de milliers de réfugiés au moment de l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes en 1914 ; c’est aussi aux Pays-Bas que l’empereur Guillaume II avait trouvé refuge après 1918, et il y était encore en 1940. Anthony Fokker, – créateur du célèbre avion de combat allemand de la Première Guerre mondiale -, est hollandais. 70 000 soldats allemands avaient pu s’échapper et regagner leur pays avec une facilité suspecte, au dire des Belges. La crise de 1929, les réparations que l’Allemagne était contrainte de payer amenèrent de nombreux enfants allemands, autrichiens et même hongrois dans des familles d’accueil néerlandaises.

Bien que toujours neutres, ils sont envahis par l’Allemagne qui veut contourner la ligne Maginot : la Bataille des Pays Bas ne dure qu’une semaine. La famille royale parvient à s’échapper en Angleterre avec le gouvernement.

Le 14 mai, les Allemands lancent un ultimatum exigeant la reddition du port de Rotterdam faute de quoi la ville serait bombardée. Peu de temps après la fin de l’ultimatum, la reddition est annoncée, mais les premiers bombardiers déjà en vol ne pouvant plus être rappelés, on comptera 800 morts et 78 000 sans-abri. L’armée néerlandaise se rend, seuls quelques combats disparates se poursuivent en Zélande, jusqu’au bombardement de Middelbourg, le 17 mai. Le premier ministre néerlandais Dirk Jan de Geer, s’efforcera de négocier depuis Londres une paix séparée avec les Allemands qui l’invitent à revenir dans son pays, mais la reine Wilhelmine l’en dissuadera.

La flotte néerlandaise ainsi que les réserves pétrolières des Indes orientales, – l’actuelle Indonésie -, sont un atout capital pour les Britanniques. Après la cession par la France au Japon des droits d’utiliser la base d’Haïphong et plusieurs aérodromes, la reine Wilhelmine renverra Dirk Jan de Geer pour éviter la reproduction de cette situation dans les Indes néerlandaises ; elle nommera Peter Gerbrandy, nouveau premier ministre, partisan de la poursuite de la lutte aux côtés des Britanniques.

Dans les Pays Bas occupés, les nazis du Reichskommissar Arthur Seyss-Inquart vont envoyer travailler de force en Allemagne quelque 400 000 ouvriers. À partir de 1941, ils organiseront une chasse aux juifs qui enverra à la déportation et à la mort 100 000 d’entre eux, sur les 140 000 que comptait le pays. Mais auparavant, on pouvait commencer par les dépouiller : les nazis mirent en place des commandos de protection des devises dont la mission était en fait de piller, à travers toute l’Europe, les fortunes privées, en réquisitionnant surtout l’or, les bijoux et les devises : les villes et villages de Hollande furent leur première cible : des pilleurs patentés ramassèrent 39 tonnes d’or. Les nazis avaient un souci certain de la légalité formelle : on remettait en général un reçu à la personne rackettée, on la payait souvent en Reichsmark ou dans la monnaie locale.

13 05 1940

Les chars allemands franchissent la Meuse à Sedan.

I have nothing to offer but blood, toil, tears and sweat
Je n’ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur.

Winston Churchill, devant la Chambre des Communes  pour son discours d’investiture à la fonction de premier ministre.

On serait tenté de dire : ce ne furent que des mots ; mais, aux moments importants de l’histoire, les mots sont des actes.

Clément Atlee

Plus tard, de Gaulle, renchérira : L’Angleterre a trouvé, à l’heure de l’épreuve suprême, son Clemenceau, un vieux lutteur dur, sarcastique, indomptable, de la trempe de ceux qui forcent la victoire et qui l’attachent à leur nom. […] L’aviation allemande, l’armada de Hitler a subi sa première défaite, l’Angleterre ne sera pas vaincue.

En sortant, Churchill affronte l’armada des journalistes auxquels, en s’engouffrant dans sa voiture, il fait le V de la victoire avec l’index et le majeur : la photo fait la une des journaux du lendemain, quand Churchill voit sa secrétaire prise de fou-rire avec une collègue en regardant justement cette une. Il la prend à part :
Eh bien, qu’y a-t-il ?
Monsieur, dans les classes dirigeantes, ce V cela signifie la victoire, mais dans de nombreuses classes populaires… non, je n’ose pas …
Eh bien dites, allez…
Le V, c’est Va te faire foutre.
Et Churchill partit d’un monumental éclat de rire qui n’était pas de trop pour faire baisser la tension.

15 05 1940  

Le maréchal des logis Joseph Peltier combattant dans le 2° RSA – Régiment de Spahis Algériens -, est sur le front, au sud de Charleville Mézières. Poix Terron est à 16 km au sud, sud-ouest de Charleville Mézières, sur la N 51. Vendresse est à 14 km est, sud-est de Poix Terron, sur la D 12. La Horgne est à 3 km, sud-est de Poix Terron, sur la D 28.

Le temps des parades est passé depuis longtemps pour le 2° Régiment de Spahis Algériens. Les burnous écarlates ont été pliés sur la selle arabe et sont devenus coussins. La drôle de guerre s’est traînée dans les Ardennes par un froid sibérien qui a vu pousser le poil de nos chevaux.

Le 10 mai 1940, par ce beau matin lumineux, les escadrons font route vers la chaleureuse Belgique en passant par la Semoy. Les 10, 11, 12 Mai, contacts avec l’ennemi, combats de retardements, décrochages, marches forcées de nuit pour éviter d’être repérés par les avions. Nous repassons en France le 13 Mai et arrivons à Poix Terron pour y subir, dans la matinée, un effroyable bombardement aérien. Le 14 Mai, ordre de prendre position pour arrêter les chars ennemis qui foncent sur Vendresse. Le 4° escadron y laisse la moitié de son effectif et son capitaine. Ordre de repli sous le tir précis des canons allemands. Hennissements de chevaux affolés, cavaliers épuisés et hagards, éclatements d’obus, rafales de mitrailleuses, cris des blessés. Les escadrons se regroupent et passent la nuit dans les bois environnants. Les hommes n’ont pas mangé depuis 24 heures et, depuis 4 jours, dorment à même le sol, au pied de leur cheval. Un ordre est arrivé dans la soirée : Portez-vous sur La Horgne et tenez le village sans esprit de repli. C’est tout simple ! Le matin du 5 Mai à 5 heures nous sommes à La Horgne, petit village évacué par ses habitants. Des barricades sont installées sur la route avec des charrues. L’Adjudant Fiève perce un trou dans le mur de la chapelle et y place son canon de 37 qui balaie la route en contrebas. Les 4 canons de 25 anti-char qui restent, abritent leur mince et long nez sous les arbres. Les FM (fusil mitrailleur) sont en batterie ainsi que les vieilles mitrailleuses Hotchkiss. Les chevaux ont été laissés dans un bois qui surplombe le village avec les garde-chevaux. Tout le monde est prêt. Il est 6 h 30. Un petit avion à croix noires qui brille dans le ciel, rompt le silence de son ronron tranquille. Malgré quelques rafales de FM, il poursuit son vol circulaire au-dessus de nous. 10 minutes plus tard, c’est le soudain déchaînement de l’artillerie allemande qui tire surtout sur le bois qui abrite nos montures. Des chevaux galopent en tous sens, les yeux exorbités, certains affreusement blessés. Une heure de tir, puis de nouveau ce silence insolite. Soudain, des grondements de moteur se font entendre au loin, menaçants et invisibles. Les nerfs se tendent. Anxieux, nous attendons. Des motocyclistes ennemis débouchent subitement du virage que fait la route, suivis de deux automitrailleuses prises aussitôt sous le feu du canon de 37 et incendiées. Les motos disparaissent. C’est alors le grand jeu ! L’artillerie, cette fois, nous prend à partie. Les chars qui suivaient les premiers blindés, quittent la route et entament un mouvement d’encerclement à travers champs. Nos 25 font mouche sur tous les engins visibles. Ils sont malheureusement vite repérés et détruits au canon par les chars allemands. L’infanterie qui les suit saute des véhicules chenillés et disparaît dans les hautes herbes. Nos FM tirent sur elle de longues rafales meurtrières et il faut jeter de l’eau sur les tubes brûlants. Des appels rauques montent des fourrés et des cris de blessés. Une courte accalmie, puis, surgis du sol à 50 mètres, des fantassins aux manches retroussées, au casque feuillu, se ruent sur nous en hurlant et tirant de la hanche. Les FM crépitent de tous cotés clouant sur place les assaillants. Ils reviennent de nouveau et nous lançons des grenades. Le vacarme est abrutissant. Ils se replient en laissant des morts puis reviennent encore, appuyés, cette fois, par les chars qui se sont rapprochés et tirent au canon. Nos tireurs au FM sont tués, les chargeurs les relèvent et sont tués à leur tour. Les munitions manquent, on tire au  mousqueton, on lance les dernières grenades. Il doit être 5 heures du soir, lorsque le capitaine De Tillières surgit près de nous : Baïonnette au canon, les enfants, il faut se dégager ! … l’ennemi est partout, dans les ruelles, dans les maisons, et nous avons fait à peine 20 mètres que nous sommes arrosés par les mitraillettes. Des spahis tombent devant, à gauche, à droite, on ne peut secourir personne. Il faut courir le plus vite possible et le plus longtemps possible. Nous traversons le cimetière comme des fous et montons la colline qui précède le bois. Notre dernier espoir est de trouver des chevaux échappés au massacre. Les chars ont pris maintenant le relais des mitraillettes et leurs tourelles crachent à une vitesse folle. Une balle fracasse mon mousqueton et m’érafle la main, une autre arrache la boucle de mon houseau (guêtre montante utilisée dans la cavalerie), puis je reçois comme un énorme coup de gourdin à la cheville et m’écroule. Le capitaine disparaît dans le bois et je hurle pour qu’on m’emmène ; personne ne peut m’entendre dans ce vacarme. Les balles se fichent dans la terre autour de moi et je parviens à ramper jusqu’au bois. Enfin le feu cesse, c’est soudain le silence et la solitude. Le temps semble suspendu et je crois m’éveiller après un cauchemar. J’ai dû m’endormir d’épuisement car je suis brutalement réveillé par des claquements de mitraillette et vois, comme en rêve, des Allemands qui nettoient le bois. Je fais le mort. Ils ne me voient pas. Je m’endors à nouveau et l’aube me surprend, grelottant de fièvre. Ma cheville fracassée me fait terriblement mal. Le sang s’est coagulé et forme une croûte noire sur mon brodequin. Je place avec précaution ma jambe gauche sur ma jambe droite et rampe sur le coté vers une mare que j’ai vue la veille en grimpant la colline. J’arrache au passage des touffes d’herbe et bois la rosée fraîche. J’ai dû mettre très longtemps pour atteindre mon but, rencontrant sur mon chemin des cadavres de spahis que les hautes herbes me dissimulent. Je les contourne lentement, à les frôler, ne pouvant détacher mon regard de ces visages cireux, de ces yeux ternis fixant le soleil. Je bois enfin de cette eau croupie qui me parait si bonne et, à bout de force, laisse retomber ma tête sur le sol. Mes yeux s’ouvrent sur la nuit et j’ai froid. Le jour est long à venir. Enfin l’aube à nouveau et le soleil qui illumine la pointe des herbes à mon horizon limité. J’attends qu’il me réchauffe, j’attends peut-être la mort. La fièvre a dû m’ôter la notion du temps et le soleil est déjà bas lorsque des voix au timbre heurté me tirent de ma torpeur. Je dois rêver ! Non, il y a là sept ou huit Allemands en uniforme noir des Panzer SS qui retournent nos morts et font entre eux des commentaires que je ne peux entendre. J’ai dû appeler car ils sursautent et viennent dans ma direction, surpris et méfiants, l’arme braquée. C’est ma fin sans doute mais je vois, tout près de ma bouche, une cigarette que l’un d’eux me tend, j’entends leurs voix, ils parlent de l’Angleterre que la France n’aurait pas dû suivre. Ils me transportent vers une voiture tout terrains et je vois avec terreur mon pied qui pend au bout de ma jambe comme prêt à s’en détacher. Ils me déposent sur le bord du chemin dans ce village que nous avons défendu l’avant veille. Le commandant Vuillemot de mon régiment est déjà étendu là, agonisant, les bords de son calot rabattus sur sa face émaciée. Un groupe d’Allemands se forme devant nous, l’un d’eux me demande quel est son grade. Je leur dis. Ils se mettent au garde à vous et saluent puis s’éloignent en silence. Une ambulance nous transporte enfin vers Sedan qui brûle et où les premiers soins me sont donnés. Le Commandant est mort avant d’arriver.

Et c’est la captivité dans un hôpital allemand. Mon cher régiment a laissé sur la terre ardennaise les trois quarts de ses meilleurs soldats pour retarder de quelques heures le déferlement ennemi. Je garde un espoir qui deviendra réalité et qui me permettra de reprendre les armes au débarquement de Sainte Maxime le 15 Août 1944.

Joseph Peltier, chevalier de la Légion d’honneur, Médaille militaire, Croix de guerre. Récit fait le 16 Mars 1971.

Le récit complet de ce combat de La Horgne se trouve dans Les Spahis de La Horgne, La Gandoura § CRLC, par le général Thierry Moné, 139, Rue du Faubourg Saint Denis 75010 PARIS. 0140382283, thierry.mone@wanadoo.fr. La 3° BS – brigade de Spahis – servait au sein des 2° RSA – Régiment de Spahis Algériens – et 2° RSM – Régiment de Spahis Marocains. Où il est précisé qu’à la fin des combats de ce 15 juin 1940, les Allemands rendirent les honneurs aux 86 prisonniers français, algériens et marocains, dont parmi eux, plusieurs blessés graves.

Char français Renault FT. Publié avec l’autorisation de M. Vieillot, dont l’oncle, attaché au 2° Régiment de Saphis a été tué.

Le même, en bon état. Le Char Renault FT a été le véhicule de combat blindé et chenillé le plus efficace de la Première Guerre mondiale. Environ 3 700 chars FT sortirent d’usine en 18 mois, la plupart fabriqués chez Renault, mais aussi chez Berliet, SOMUA et Delaunay-Belleville. Le Renault FT allait définir le type même du char de combat moderne : armement en tourelle pivotante tous azimuts, groupe moteur situé à l’arrière et chenilles débordantes à l’avant. Le char Renault FT a été fabriqué sous licence aux États-Unis (950 chars) à partir de 1918, puis utilisé par l’armée américaine pendant les années 1920-30 sous le nom de 6 Ton Tank. Enfin, il fut coopté et utilisé à la même époque par l’URSS sous le nom de Russki Reno. Le Renault FT est resté en service réduit dans l’armée française jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale. Il fut utilisé en petit nombre par la Wehrmacht, après 1940, à des tâches de maintien de l’ordre et d’entraînement.

Le char B1 bis Chambertin n° 378 de la 3e division cuirassée progresse dans une rue de Cauroy, Ardennes

Et il ne faudrait pas croire que ce combat soit à classer dans la rubrique des exceptions qui confirment une règle, celle qui voudrait que l’armée française se soit débandée : les combats furent nombreux, souvent farouches, fréquemment à armes égales ; si débandade il y eut, ce fut celle de l’État-major, et cela faisait quelques décennies que le maréchal Pétain était l’un des principaux responsables de sa composition, et, en 1939/1940, il n’y avait pas à la tête de l’armée un général Joffre, pour pratiquer comme il l’avait fait dès le début de la première guerre mondiale une purge drastique en limogeant 180 généraux sur 425.

Lors de la retraite au mois de mai, puis de la débâcle en juin, l’armée française a quand même connu des succès : la bataille De Hanut près de Gembloux menée par le général Prioux, la bataille de Flavion, près de Charleroi, menée par le général Bruneau qui eurent pour effet de retarder les chars allemands de 48 heures, tandis que des chars français dirigés par le capitaine Billotte reprirent dix-sept fois le village aux mains des Allemands durant une période de quatre jours. Mais, dans tous ces engagements, le soutien aérien français est insuffisant pour permettre une exploitation durable propre à stabiliser les lignes alliées. Ainsi, le 15 mai 1940, le colonel de Gaulle reçoit la mission de retarder l’ennemi dans la région de Laon. Sa division blindée n’est pas encore complètement opérationnelle, mais, malgré cela, sa contre attaque de Moncornet parvient à s’enfoncer de plusieurs dizaines de kilomètres dans le front ennemi avant de devoir retraiter par manque d’appuis au sol et de soutien aérien.

La ligne Weygand de résistance sur la Somme et l’Aisne fut l’objet de combats partout très durs et de succès défensifs locaux. Parmi eux, le fait d’armes du 18° régiment d’infanterie qui va tenir dans la village d’Attigny du 14 mai au 10 juin à l’issue de 25 jours de combats consécutifs. Il faut aussi mentionner le combat pour l’honneur des cadets de Saumur : moins de 5 000 hommes soutenant le choc de 30 000 à 40 000 soldats allemands pendant plusieurs jours. L’armée des Alpes a également tenu les Italiens en échec jusqu’au bout, avant que les Allemands n’attaquent à revers (bataille de la vallée du Rhône).

On peut aussi noter que, même après la signature de l’armistice, des unités françaises continuèrent à se battre, refusant de se rendre malgré la démission des chefs. De plus, il a fallu de nombreuses injonctions du nouveau gouvernement, menacé par les Allemands de représailles et de l’annulation de l’armistice, pour qu’ils déposent les armes seulement après le 10 juillet. L’armée française de 1940 n’a pas été vaincue sans combattre. Les hommes ont fait ce qu’ils ont pu avec les moyens qui leur ont été fournis et les exemples de courage et de sacrifice n’ont pas manqué.

Wikipedia. La Bataille de France

Mais qui sont donc ceux qui nous ont ainsi menti pendant 60 ans ? Dans l’intérêt de qui, de quoi ? De quelle tribune ont donc parlé ces gens qui n’ont pas hésité à flétrir la mémoire de millions d’hommes, à calomnier avec autant de légèreté, à nous seriner pendant 60 ans non sans une morbide délectation la lâcheté des pious pious français en débandade, se refusant au combat, au mental encore ankylosé des congés payés gagnés par le Front Populaire du Juif Léon Blum. Que Pétain et Weygand se soient ingéniés à travestir la réalité pour disculper l’état-major – Notre défaite est venue de nos relâchements. L’esprit de jouissance détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié. C’est à un redressement intellectuel et moral que, d’abord, je vous convie -, c’est une chose, mais qui ne vient que d’eux, mais que par après des générations et des générations aient repris cette antienne, voilà qu’il y a là comme un vilain et nauséeux parfum d’affaire Dreyfus. Qui rendra à ces hommes leur honneur perdu, qui leur fera justice ?

Pour les fantassins, il y a eu des combats méconnus avec néanmoins les victoires françaises d’Hannut et de Gembloux et pour connaître la vérité, il faut lire les déclarations des officiers allemands disant que l’effondrement de l’armée française n’est pas à imputer aux soldats mais au commandement.

À Stonne, au sud de Sedan, [13 km au sud de Sedan, 23 km au sud-est de Poix Terron] la ville changea de mains 17 fois en 3 jours. Le général allemand Paul Wagner dira : Il y a eu 3 batailles que je n’oublierai jamais ce sont Stonne, Stalingrad, Monte Cassino.

À Hannut en Belgique, le corps de cavalerie mécanisée du général Prioux fut opposé au XVI° Panzerkorps : 380 chars d’un côté (250 chars légers Hotchkiss, 130 chars légers Somua) 680 de l’autre (530 chars légers Panzer I et II, 150 chars lourds Panzer III et IV) appuyés par la Luftwaffe. Résultat : 164 blindés allemands sont détruits, contre 105 chars français. D’un point de vue tactique, écrit l’historien militaire allemand Karl Heinz Frieser, le succès a été total pour le général Prioux. La première bataille de chars de la Seconde Guerre mondiale s’est soldée par une victoire française. […] De même pour l’aviation, le ciel n’était pas vide. S’ils n’ont pas apparu en France, c’est que la plupart des combats avaient lieu en Belgique. Le 10 mai 40, la France avait engagé 1 300 appareils, elle en a perdu 900. Les pertes allemandes furent de 1 400 appareils, les Anglais se sont activement engagés, perdant 900 appareils dont 400 chasseurs.

Et on arrive après la percée de Sedan, à la chevauchée de Rommel et la course à la mer de Guderian, en mai 40 vers Abbeville et Boulogne.

La résistance de l’armée française à Lille et ses environs est vive.

Du 28 au 31 mai 40 des combats acharnés ont lieu dans la banlieue sud et ouest de Lille : au faubourg d’Arras, au faubourg des Postes, à Loos, à Haubourdin, à Canteleu Lambersart et c’est à bout de munitions que le général Molinié accepte de se rendre, après que le général allemand Reichenau, commandant la 6° armée allemande, lui fait savoir qu’il rend hommage à la défense héroïque des troupes françaises et qu’il est prêt à lui accorder les honneurs de la guerre. Seuls les défenseurs du Fort de Vaux en 1914-1918 eurent droit à ces honneurs.

Les troupes françaises engagées à Lille n’ont pas seulement sauvé l’honneur de l’armée mais aussi grandement facilité l’évacuation des troupes alliées à Dunkerque, dont le corps expéditionnaire britannique. Churchill le reconnaîtra lui-même dans ses mémoires de guerre.

À Dunkerque, les troupes terrestres anglaises n’ont guère coopéré à la défense de la poche de Dunkerque, mais il faut souligner que la flotte britannique, appuyée par la RAF, a permis l’évacuation des soldats alliés. On a extrait de la poche : 340 000 hommes dont 220 000 britanniques et, parmi eux, les futurs maréchaux Alexander et Montgomery.

Il est indéniable que le sacrifice de l’armée française causa de lourdes pertes aux forces armées allemandes. En couvrant le réembarquement des Britanniques à Dunkerque, il a permis à Churchill de poursuivre la guerre, en attendant l’entrée des États-Unis dans le conflit en décembre 1941

Edgard d’Hallendre. FFL. La Charte Nov Dec 2009

Il y avait deux armées dans l’armée française, une armée d’active, avec des divisions légères mécaniques, des divisions cuirassées, des chasseurs alpins, qui étaient de premier ordre et comparable à l’armée allemande et qui a admirablement bien combattu au prix de très lourdes pertes. Et une armée de réservistes mal formés qui s’est retrouvée dans une fournaise avec souvent des officiers incapables de faire face.

Jean Louis Crémieux-Brilhac. L’Histoire. n° 352 avril

William Bullit, ambassadeur des États-Unis à Paris, se trouve dans le bureau de Daladier, rue Saint Dominique, quand le général Gamelin téléphone à Daladier :
Une colonne blindée allemande croise entre Rethel et Laon.
Il faut attaquer aussitôt ! 
Attaquer ? Avec quoi ? Je n’ai plus assez de réserves… Entre Laon et Paris, je ne dispose pas d’un seul corps de troupes.
Alors… alors c’est la destruction de l’armée française.
Oui c’est la destruction de l’armée française.

6 06 1940   

Le général de Gaulle prend ses quartiers à Lutetia, un des grand hôtels parisiens :

C’est dans cette ambiance irréelle et agitée qu’un nouveau client s’installa pour quelques jours à Lutetia.

Près de deux mètres de long, qui lui faisaient naturellement prendre de haut les gens et les choses, des bras trop grands même pour lui, le nez aussi impérieux que le caractère, un maintien raide qui annonçait un tempérament inflexible. Pas du genre à transiger sur ses certitudes. […]  Un soit, il reçut son fils et sa fille à dîner au restaurant de l’Hôtel pour leur demander de rejoindre au plus vite leur mère dans le Loiret. À table, c’était toujours bœuf bourguignon, et mimolette au dessert. Pas bavard, l’échalas. Comme s’il voulait convaincre que rien ne rehausse mieux l’autorité que le silence. Mais c’était quelqu’un. Un grand soldat dans toute sa splendeur de croisé. Fait pour commander. Un animal à sang froid Du genre à tout sacrifier à son dessein. Colonel depuis trois ans, il avait été nommé, m’indiquèrent mes sources, général de brigade à titre temporaire le 1° juin. Quatre jours après, le président du Conseil Paul Reynaud en faisait son sous-secrétaire d’État à la Guerre. Le lendemain, il emménageait chez nous. Je ne savais pas grand chose de plus sur ce client sauf qu’il avait choisi Lutetia parce que sa famille y avait ses habitudes, que lui-même y logeait déjà trois ans auparavant, du temps qu’il commandait le 507° régiment de chars à Metz, que sa femme était une habituée du Bon Marché, qu’il possédait un compte à la succursale Croix-Rouge de la Banque de France juste en face, que son ministère se situait non loin, rue Saint Dominique, et qu’il s’appelait Charles de Gaulle.

Pierre Assouline. Lutetia. Gallimard   2005

2° quinzaine de mai 1940

L’exode des Français vers le sud a commencé : dix millions de personnes sur les routes. Le département de la Creuse, qui compte 220 000 habitants, verra arriver 350 000 réfugiés ! C’est le contexte de Jeux interdits, le chef d’œuvre de René Clément, sorti en 1952, inspiré du roman de François Boyer, Les Jeux Inconnus. Brigitte Fossey  y est inoubliable.

De gigantesques et sordides bivouacs apparaissaient en pleins champs, à l’entrée des villes, sur les places de foire. Les naufragés échoués là étaient livides sous leur emplâtre de crasse et de poussière, leurs vêtements pitoyables et déjà fanés de citadins qui tournaient à la défroque de trimardeur, le poil couleur de bête malade, beaucoup tordus de dysenterie. Des femmes avaient dormi sur la terre dans des manteaux de vison. Des couturières de la rue de la Paix se torchaient dans les fossés, retroussant leurs robes de dix mille francs. Des Packard et des Rolls Royce étaient devenues roulottes, avec des oripeaux pendus à leurs fenêtres. […] Nous voyions sous nos yeux se disloquer, s’anéantir d’heure en heure toute la civilisation […]. L’orgueilleuse et confortable guerre des riches, des ventres pleins, des fesses douillettement voiturées […] s’achevaient ainsi en innombrable sanie et en paralysie. Dans l’espace de trois jours, la France venait de sauter à reculons dix siècles et se trouvait aux portes d’une famine médiévale.

Lucien Rebatet. Les Décombres. Denoël 1942

Les convois d’évacués de Belgique et du Nord se déversèrent, déjà mitraillés, avec leurs blessés, les vieillards agonisant de fatigue ou de soif, les maternités pêle-mêle avec les bordels, les asiles de fous et les maisons de retraite. […] Puis les morts arrivèrent par grappes dans des décombres de wagons, des carrioles débordant de meubles, des automobiles couvertes de matelas. La démence crût. Une nuit, nous dûmes séparer deux femmes ivres qui se disputaient un bébé mort. Des policiers militaires anglais et français matraquaient des soldats dépenaillés qui désertaient dans cette cour des miracles et nous ramassions leurs victimes civiles. Nous trébuchions sur des corps ivres morts.

Pierre Daix. J’ai cru au matin. Il est alors, à 18 ans, en hypokhâgne à Rennes

Un journal du monde » Blog Archive » 9 mai au 17 juin 1940. La défaite. 18181

L'exode de mai - juin 1940 vu par des jeunes filles de 12-14 ans, élèves de cours complémentaire à Paris

A Puiseaux (Loiret) vers le 16 juin 1940 : « les Allemands étaient arrivés avant nous » / D. Vidal. – Inv. 1979.09324.11

1940 Exode Paris

Véronique Chemla: 1940 : Les Parisiens dans l'exode

Exode : un mot à forte connotation

Miroir de nos peines » : l'exode épique de Pierre Lemaitre

exode

En mai, fais ce qu'il te plaît" : quand l'exode de 1940 fait écho ...

Monique, femme de Pierre partira avec Bruno, né en mars, dans la 2° quinzaine de mai chez sa sœur Claude, à Haironville ; elle aurait aimé pouvoir alors rentrer à Megève et Pierre insistait en ce sens, ne croyant pas, dans un premier temps, à l’entrée en guerre des Italiens aux cotés des Allemands ; (à la fin mai, il évoquera la possibilité d’un hébergement chez sa sœur aînée Hélène Lascols, réfugiée à Belle Ile ou éventuellement chez Gisèle Riter à Montpellier).

Mais l’avis de la belle famille de Claude fut déterminant, insistant sur la difficulté du voyage et l’insécurité des voisinages de l’Italie et de la Suisse dont la neutralité demandait à être confirmée. Et c’est pratiquement contrainte et forcée qu’elle part en voiture pour Saint Cast, Bretagne, le 17 mai, chez un oncle de Claude : Julien Godinot (ou Madame Decairy) Villa Rochebelle. Plage de Pen Guen.

Nous avons fait un voyage éreintant avec Bruno et la Toupie installés derrière sur des amas de valises et de couvertures (Bruno dans le Moïse de Zytard) et Doucinette entre nous deux, n’arrêtant à peu près pas de remuer, sauf quand elle était abrutie de chaleur et de fatigue… (Doucinette : Marie Paule Godinot, 3 ans, et Toupie : Marie France Godinot, 1 an) Inutile de vous décrire les innombrables voitures de réfugiés rencontrées en route avec des matelas et des monceaux hétéroclites sur les toits : toute la Belgique et le Nord défilaient. C’était pitoyable. En cours de route, les gens s’apitoyaient sur Bruno et la Toupie qui étaient certainement les plus tranquilles de la bande.

Monique à Pierre, de Saint Cast 21 Mai 1940.

Saint Cast est encore loin des lignes ennemies… mais la vie n’y est pas plus drôle pour cela ; la maison de cet oncle se trouve à 3/4 d’heure à pied de Saint Cast, la voiture avec laquelle elles ont fait le voyage est tombée en panne… les nouvelles, quand il y en a, sont mauvaises et alimentent le cafard du moment, sans toutefois ébranler la certitude de la victoire prochaine ; François et Bernard Beaudoin, Gérard, Pierre et Joseph Peltier sont mobilisés… on est pratiquement sans nouvelles de Gérard et Joseph ; Suzanne et Nini, les sœurs de Pierre se trouvent au sein d’une unité hospitalière de l’armée, dans le nord ; du 21 mai au 13 juillet, elles vont suivre un parcours plutôt chaotique vers la Bretagne : Mers, Neuchâtel, Rouen, Prey, Elbeuf, Louviers ; le 30 mai, elles rendent visite à Bob, leur beau-frère hospitalisé à Caen à la suite d’une blessure à la tête, trouvent le temps pour une cueillette de fraises des bois, repartent pour Ancelys. Les 8 et 9 juin, elles sont prises sous le bombardement d’Evreux, repartent vers Damville, Planches, Vrigny, Cesson. Re-bombardement à Rennes. Meudon, Saint Anne d’Auray, Plumergat. Le 3 juillet, départ pour Vannes, puis pour Lyon le 11 juillet et le 13 pour Megève.

La mère de Pierre, sans nouvelles de Jo, son fils le plus exposé, ne peut s’empêcher de repenser à ce télégramme de 1918, lui annonçant la mort de son frère sur la Somme ; François (36 ans, 4 enfants) se bat près de Sedan : il recevra la Croix de Guerre aux environs du 6 juin ; Bernard aspirant dans les Chasseurs à Antibes, sera nommé à St Cyr, pour y organiser le flot des réfugiés.

Bruno, parfois nommé  le Miset, n’est pas du tout perturbé par tout cela : Bruno m’a prodigué aujourd’hui ses sourires les plus suaves entrecoupés de grimaces invraisemblables ; je voudrais que vous puissiez voir cela. En général, il dort les deux poings fermés et levés, tel un parfait militant communiste : c’est pourtant bien démodé.

Monique à Pierre, le 28 Mai 1940.

Pierre a conservé leur courrier de cette époque : il couvre la période du début mai à mi-juin 40. Ayant été démobilisé le 19 septembre 1940, c’est à ce moment qu’ils ont dû se retrouver. À lire ce courrier (dont l’acheminement continuait à fonctionner plutôt bien, à en juger par ces échanges), on a l’impression que personne n’évaluait correctement le rapport de forces, et que jusqu’à mi juin 40, la quasi totalité des Français étaient persuadés de l’imminente victoire de la France sur l’Allemagne ; les nouvelles données par la radio devaient tenir, un peu, (beaucoup ?) de la propagande, et personne ne voulait voir le naufrage : … Par contre, il parait qu’il y a des monceaux de tanks et de cadavres boches devant la ligne Maginot. Ils ont demandé une trêve pour les enterrer, et nous avons refusé – tout de même – !

Monique à Pierre, d’Haironville le 16 mai 1940.

Je suis plus au nord, ce qui nous vaut au moins de voir du boche, de constater leurs bombardements déplorables de peu d’effet… Ce que la démocratie a déjà coûté à la France, c’est fou. Heureusement que le pays a toujours les Hommes du moment et que nos vrais grands chefs militaires endossent si courageusement de telles responsabilités.

Pierre à Monique, Verneuil, 23 mai 1940.

La poussée est contenue, on a même regagné du terrain : les boches ont subi et subissent des pertes énormes, ils sont essoufflés. Notre armée est intacte, nous avons des chefs magnifiques, le matériel américain nous arrive et les événements peuvent changer très rapidement… Les Boches donnent tout ce qu’ils peuvent, tout ce qu’ils ont, tout de suite : on tient le choc et on a largement de quoi les battre.

Pierre à Monique, Verneuil, 26 mai 1940.

Je ne crois pas du tout exagéré le chiffre de 2 500 appareils descendus depuis le 9 mai, à en juger par ce qu’il est tombé dans nos parages. Et ça fait au moins 5 000 spécialistes navigants en moins. On les aura et on retrouvera notre chalet ma Douce.

Pierre à Monique, Verneuil, 30 mai 1940.

Pour la France, la Seconde Guerre mondiale  a commencé le 3 septembre 1939. Je suis né à Nice le 13 avril 1940. Les cinq premières de ma vie, je les ai vécu dans une guerre. Pour moi, cette guerre – toutes les guerres – ne peut pas être un événement historique. Je ne peux pas la comprendre comme un fait, dont j’analyserais les causes, dont je déduirais les conséquences. Je ne peux pas en parler objectivement, la relier à une situation politique ou morale, en faire un argument, en examiner le caractère inéluctable, en tirer les leçons philosophiques. Pour en parler,  je n’ai aucun recul. Seulement des sentiments, des sensations, ce flux mouvant qui porte un enfant entre le jour de sa naissance et le tout début de sa mémoire consciente, à l’âge de cinq ou six ans.

Il ne s’agit pas d’écrire des souvenirs d’enfance. D’autres ont fait cela, beaucoup mieux que je ne saurais le faire. Et puis, avec une certaine vanité, j’ai fait mien le motto du poète Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, dans Poésies : Je n’écrirais pas des mémoires. Comment en parler ? Peut-être simplement dire que la guerre est la pire des choses qui peut arriver à un enfant. La vie moderne nous a habitué aux images de la destruction. On les voit à chaque instant, aux actualités télévisées, à l’heure du déjeuner ou dans de grands reportages. Elles s’étalent à la une des quotidiens, elles font la couverture des magazines. Images choquantes, violentes. Une petite fille court toue nue sur une route, entourée des passants, elle fuit un bombardement au napalm effectué par un militaire américain, qui ne s’en soucie pas dans la cabine de son chasseur à trois mille mètres d’altitude. Sur des photos en noir et blanc, prises par un amateur, après le bombardement de Berlin, des enfants errent en haillons, sur fond de ruines fumantes. Dans cette imagerie de la guerre, il n’y a pas de bon ni de méchants. Il n’y a pas d’ennemis. Il y a d’un côté des enfants, de l’autre la machine aveugle et féroce, aux mains d’adultes que leur uniformes et leurs armes mettent à l’abri de toute identification.

Les enfants ne savent pas ce qu’est la guerre. Je ne me souviens pas d’avoir entendu ce mot, tout le temps qu’elle a duré, ni même dans les années qui ont suivi. Pour eux, tout ce qui arrive est normal, ils ne se doutent pas que leur vie pourrait être autrement. Ils ne s’en doutent pas parce que les adultes autour d’eux, n’en parlent pas, sauf pour dire des choses incompréhensibles, des on dit…, des il paraît… à demi-mot, pour ne pas effrayer, mais le silence est sans doute plus effrayant. Je ne me souviens pas d’avoir entendu le mot, mais je me souviens qu’il se passait quelque chose. Ailleurs, dehors, dans la rue. On ne pouvait pas sortir. On ne pouvait pas regarder par la fenêtre. Il y avait une menace, une interdiction, invisible et présente, il fallait rester derrière les murs, à l’abri. Était-ce très différent d’une enfance en temps de paix ? Je l’ignore. Peut-être. Je peux imaginer qu’il y avait une sorte de paix extérieure, non pas la peur qu’on peut ressentir à l’arrivée d’un orage violent, ni celle qu’on peut éprouver dans une situation imprévue, si quelqu’un frappe à la porte, si quelqu’un menace. Le genre de peur qu’entretiennent chez les enfants les histoires de démons ou de sorcières, les contes dans lesquels les loups rôdent alentour, les contes évoquant des légendes de cabanes dans la forêt, d’ogres et de sorcières. Les enfants devinent l’imaginaire. Ils l’aiment parce qu’il est parfois délicieux d’avoir peur. Pour l’enfant que j’étais dans la guerre, ce n’était pas une histoire de loups et de sorcières. C’était une peur sans visage, sans nom, sans histoire. Ce n’était pas délicieux. Cela ne l’a jamais été.

Jean-Marie Le Clézio. Chanson Bretonne, suivi de L’enfant et la Guerre. Gallimard 2020

16 05 1940 

La vérité étant trop dure, ne reste  que l’enfumage, le mensonge, et il en va ainsi de ce message radiodiffusé de  Paul Reynaud aux Français :

On a fait courir les bruits les plus absurdes. On a dit que le gouvernement voulait quitter Paris, c’est faux !  Le gouvernement est et demeurera à Paris.
On a dit que l’ennemi se servait d’armes nouvelles et irrésistibles, alors que nos aviateurs se couvrent de gloire, alors que nos chars lourds surclassent les chars allemands de la même catégorie.
On a dit que l’ennemi était à Reims, on a même dit qu’il était à Meaux, alors qu’il a seulement réussi à faire, au sud de la Meuse, une large poche que nos vaillantes troupes s’appliquent à colmater.
Nous en avons colmaté d’autres en 1918 ! Vous, anciens combattants de la dernière guerre, vous ne l’avez pas oublié ! 

17 05 1940 

Le colonel de Gaulle, à la tête de la 4° division cuirassée – rassemblement d’éléments épars – tente d’arrêter le 19° corps blindé du général Guderian, sur l’axe de Montcornet [33 km au NE de Laon] et sur les ponts de la Serre.

Le même Guderian voit arriver par avion le général von Kleist qui lui reproche d’être allé trop vite, d’exposer dangereusement ses troupes et lui transmet l’ordre du Führer, de stopper immédiatement la marche de ses chars et le relève de son commandement… qu’il retrouvera l’après-midi.

Journée désagréable, le Führer est terriblement nerveux ! Effrayé par son propre succès, il craint de prendre quelques risques et il préfère brider nos initiatives. Il prétexte ses craintes pour le flanc sud.

Général Hadler

L’amiral Darlan écrit à sa femme : J’ai la conviction que si nous étalons cette secousse et si nous ne laissons pas la cinquième colonne libre de faire des sabotages moraux et matériels, nous verrons assez tôt la fin rapide de la guerre et de la victoire.

Paul Reynaud rappelle en urgence de Madrid le Maréchal Pétain où il était ambassadeur pour le nommer vice-président du Conseil.

Ne partez pas Monsieur le Maréchal lui dit Franco, vous êtes le vainqueur de Verdun, n’associez pas votre nom à la défaite que d’autres ont subie.

Je sais cela Général, répond-t-il, mais ma patrie m’appelle et je me dois à elle, peut-être est-ce là le dernier service que je pourrai lui rendre.

18 05 1940  

Le Maréchal Pétain est désormais à nos côtés comme ministre d’État, vice-président du Conseil, mettant toute sa sagesse et sa force au service du pays. Il y restera jusqu’à la victoire.

Paul Reynaud, à la radio – TSF –

19 05 1940

Le général Weygand, revient de Beyrouth pour remplacer le général Gamelin, auteur de la surréaliste formule du repli élastique, à la tête de l’armée française.

Cérémonie de prières à Notre-Dame. Tout le monde en est : croyants, incroyants, francs-maçons, généraux, parlementaires, Paul Reynaud et nombre de ministres, fonctionnaires et on en appelle à toute la panoplie religieuse associée à la France : Saint Michel, Saint Louis, Sainte Geneviève, Sainte Jeanne d’Arc…. menez nous à la victoire. C’est un miracle que l’on demande.

20 05 1940 

En Pologne, les nazis mettent en service le camp d’Auschwitz. Les premiers déportés seront des Polonais, essentiellement enseignants et clercs. Le site a été choisi pour l’importance des voies de communication, fluviale d’abord mais surtout pour les voies ferrées, nombreuses à converger sur le site.

Au départ, un village, Oswiecim, toujours là, en marge duquel se trouve une caserne polonaise : c’est cette caserne qui va devenir le premier camp d’Auschwitz. Les bâtiments seront assez rapidement rehaussés d’étage, et quand le tout sera devenu trop petit, les nazis créeront le camp de Birkenau, 3 km au nord-est, en détruisant les villages polonais, dont celui de Brzezinka, les deux noms signifiant Site du Bouleau ; ils en utiliseront les matériaux pour commencer la construction de Birkenau, qui va s’étendre sur 170 ha de tourbe. Les nazis construiront encore le camp d’extermination de Monowicz, à l’est d’Auschwitz.

La diversité des témoignages des déportés qui en ont réchappé, tient principalement à ce qu’ils parlent fréquemment d’époques différentes : or ces camps ont évolué et n’ont pas rempli la même fonction d’un bout à l’autre de la guerre. Ils ont commencé par être des camps de travail avant de devenir des camps d’extermination avec chambres à gaz et fours crématoires. Mais il est une question sur laquelle ils ont tous la même réponse :

Qu’est-ce qui vous a le plus fait souffrir, entre la faim, le froid, les températures excessives, l’absence de confort, la privation de liberté ?
Rien de tout cela… ce dont nous avons le plus souffert, c’est l’humiliation permanente, systématique, volontaire.

http://www1.yadvashem.org/

Nous avons fait notre choix : nous parions contre la politique de Machiavel : nous sommes de ceux qui croient que l’homme échappe à la loi de l’entre-dévorement, et non seulement qu’il y échappe, mais que toute sa dignité tient dans la Résistance qu’il lui oppose de tout son cœur et de tout son esprit. Non, l’esprit humain ne s’abuse pas sur sa destinée. Non, il ne se trompe pas en protestant que la condition des termites et des fourmis ne l’éclaire en rien sur la sienne.

François Mauriac. Cahier noir. 1943

À la Charité sur Loire, Léopold Sédar Senghor, 34 ans, intégré dans le corps des Tirailleurs Sénégalais, futur président du Sénégal, ne doit qu’à l’intervention d’un collègue officier d’avoir la vie sauve : un officier allemand s’apprêtait à le fusiller, comme le furent près de 3 000 de ses compatriotes, que les Allemands ne voulaient même pas faire prisonniers, les considérant comme des Untermenschen – sous-hommes- et des Affen – singes – .

Ils sont là  étendus par les routes captives, le long des routes du désastre
Les sveltes peupliers, les statues des dieux sombres drapés dans leurs longs manteaux d’or
Les prisonniers sénégalais ténébreusement allongés sur la Terre de France

Léopold Sédar Senghor. Hosties noires

22 05 1940                       

Le caporal chef Pierre Peltier (qui sera nommé sergent faisant fonction de sergent chef le 1° Juin 1940) achève un avion allemand Dornier 17 : Je vous écris entre deux alertes pour vous dire tout de suite ma joie et mon orgueil d’avoir contribué ce matin à onze heures à descendre un gros boche. Pourchassé par deux de nos avions de chasse, il descendait pour leur échapper et vint droit sur moi. Je lui envoyai ma première giclée de mitrailleuse, il a alors aussitôt amorcé un virage à 100 mètres de moi et là je l’ai repris calmement en lui vidant tout mon chargeur. Il s’est posé non loin d’ici et l’équipage qui cherchait à s’enfuir a été aussitôt capturé. Trois fridolins à bord dont deux blessés et très probablement par moi car mes balles sont très apparentes sur le fuselage ; tandis que celles des chasseurs partaient de haut en bas, les miennes ont touché de bas en haut…

Pierre à Monique, Verneuil, le 22 Mai 1940

Le sous lieutenant Yvon Gouet, commandant sa compagnie, était accouru dès qu’il entendit la mitrailleuse : Peltier, vous  êtes fou, vous allez nous faire repérer ! Le même sous lieutenant, mettra plus tard à profit l’évacuation sanitaire de Pierre, le 2 Juin 1940, sur l’hôpital militaire de Ris Orangis (Fondation Dranem), avec un ulcère à l’estomac, pour s’attribuer ce fait d’armes et la Croix de Guerre qui s’en suivra. Pierre, dans ses courriers à Monique, l’appelait Yvonne, ce qui laisse bien entendre qu’il était homosexuel : on comprend dès lors un peu mieux le peu d’estime que Pierre leur portait.

Mon cher Pierre,

Bravo pour votre joli coup de mitrailleuse. C’est un peu mieux qu’un lièvre à Obreck et même qu’une oie sauvage à Prettigny. Rappelez-vous d’ailleurs que la bête puante se tire à tout plomb et à toute distance, même si l’on n’a qu’une chance sur mille de la toucher.  Ici nous sommes toujours relativement tranquilles, et contents de savoir Mone et le petit Bruno en parfaite sécurité ! Figurez-vous qu’avant son départ, je l’ai déjà vu esquisser un sourire : j’espère qu’il aura un heureux caractère. Inutile de vous dire combien nous avons été soulagés en recevant une carte de François. Meilleures affections de tous.

Charles Beaudoin (son beau-père) à Pierre, Belfort, le 30 Mai 1940.

Je t’envoie ci joint un petit mot un peu tardif. Mais depuis 21 jours que je n’avais pas enlevé mes souliers je n’avais guère le temps de mettre mon courrier à jour. Mais aujourd’hui que je me suis mis en pyjama et que j’ai couché dans un lit, je me sens plein de courage… et je m’y mets. J’ai reçu un mot de Mone qui m’a l’air pas trop mal à Saint Cast avec Zytard et les grouillots : espérons qu’ils seront tranquilles là bas. Elle me dit que tu as participé à la descente d’un Fritz. Je t’en félicite d’autant plus vivement que tous ces cochons là nous ont pas mal emmerdé dans tous les azimuts où nous avons traîné nos bottes. Nous avons trinqué dur depuis le début, mais comme c’était le rôle des cavaliers, il n’y a rien à dire, sinon que nous avons rempli notre mission du mieux possible et, je crois, à la satisfaction de tous.

François Beaudoin (son beau frère, cavalier et député, matricule Auschwitz 185033), à Pierre, le 4 Juin 1940.

Pour s’engager en septembre 1939 (père de quatre enfants, il n’était pas tenu à la mobilisation) il avait été relevé de son mandat de député de la Moselle. Après la disparition de son corps d’origine, le 5° RAM, il avait intégré un groupe reconstitué, essentiellement composé de soldats des 3° et 69° BCP sous les ordres du commandant de chasseurs Fernand PERSON [1892-1956]. Du 8 au 11 juin, ils se battirent tant et si bien dans les environs de Doudeville, au nord d’Yvetot, qu’en les faisant prisonniers, les Allemands leur rendirent les honneurs !  Il tuera le temps comme il pouvait dans des Oflags allemands pendant un an : les officiers prisonniers de guerre ne travaillaient pas contrairement aux hommes de troupe, dans les Stalag.  Parce que père de 4 enfants, il sera libéré en juin 1941,  probablement dans le cadre des protocoles de Paris cosignés par Otto Abetz et François Darlan. Les siens avaient dû évacuer la ferme d’Obreck, dont la maison d’habitation avait été bombardée et il les retrouvera à Frontenay, près de Voiteur dans le Jura. Sa formation d’agronome lui permettra de trouver un poste à Tours à la direction des services de l’agriculture.

Près de vingt ans plus tard, quand ses enfants auront l’âge de raison, Pierre Peltier leur dira : Si un jour vous oubliez que j’ai contribué à descendre un Fridolin, ce n’est pas pour autant que je me retournerai dans ma tombe. Mais, s’il vous plaît, n’oubliez jamais que vous avez deux oncles, un de mon coté, un du coté de votre mère, qui se sont vaillamment battu pendant la guerre, qu’ils ont été faits prisonniers, mais qu’auparavant, les Allemands leur avaient rendu les honneurs comme à tous leur camarades prisonniers : Joseph, mon frère cadet, à la Horgne le 15 mai 1940 et François Beaudoin, le 10 juin 1940, à Doudeville. N’oubliez jamais cela… qui vous aidera à vous tenir debout.

La vie familiale ne va cependant pas sans heurts : au sujet d’une dispute entre ses parents quant à l’opportunité d’entreprendre des travaux de toiture à Chant’Oiseau, à Megève : Ces Peltier sont impossibles et jamais plus je ne pourrai les aider d’aucune façon.

Pierre à Monique, Ris Orangis, le 8 juin 1940.

Vous êtes tous enragés mes Beaudoin, pour ne pouvoir quitter votre Est. (à propos du départ de Monique et Zytard de Belfort sur Haironville.)

Pierre à Monique, Verneuil, 14 mai 1940.

23 05 1940 

Le capitaine Antoine de Saint Saint-Exupéry, 40 ans, s’envole d’Orly aux commandes d’un Bloch 174, afin de délimiter les positions amies et ennemies entre Arras et Douai.

En trois semaines, son groupe a perdu  17 équipages sur 23. Il ne doit qu’à son obstination de voler encore ; il n’a été mobilisé en septembre 1939 que comme instructeur, à cause de son âge et de ses blessures.  Son escorte est dispersée par la chasse allemande et, à 200 mètres d’altitude, il se fait cribler de balles par la DCA ennemie. Réservoir d’huile percé par un obus, il parvient à regagner Orly en survolant la Normandie.

La guerre est détraquée … Il est des paquets de fantassins qui se font massacrer dans une ferme indéfendable, il est des groupes d’aviation qui fondent comme cire au soleil

*****

Un peuple de jongleurs vient d’entrer dans la danse. Un peuple de jongleurs égrène vers nous, par dizaines de milliers, ses projectiles. Ceux-ci, faute de variation angulaire, nous semblent d’abord immobiles, mais, pareils à ces billes que l’art du jongleur ne projette pas, mais délivre, ils commencent avec lenteur leur ascension. Je vois des larmes de lumière couler vers moi à travers une huile de silence. De ce silence qui baigne le jeu des jongleurs. Chaque rafale de mitrailleuse ou de canon à tir rapide débite, par centaines, obus ou balles phosphorescentes, qui se succèdent comme les perles d’un chapelet. Mille chapelets élastiques s’allongent vers nous, s’étirent à rompre, et craquent à notre hauteur. En effet, vus par le travers, les projectiles qui nous ont manqués montrent, dans leur passage tangentiel, une allure vertigineuse. Les larmes se changent en éclairs. Et voici que je me découvre noyé dans une moisson de trajectoires qui ont couleur de tige de blé. Me voici centre d’un épais buisson de coups de lances. Me voici menacé par je ne sais quel vertigineux travail d’aiguilles. Toute la plaine s’est liée à moi, et tisse, autour de moi, un réseau fulgurant de lignes d’or. Quelle survie puis-je espérer ? Dix secondes ? Vingt secondes ?  L’ébranlement des explosions me travaille déjà en permanence. Celles qui sont proches jouent sur l’avion comme la chute des rocs dans un tombereau. Après quoi l’avion tout entier rend un son presque musical. Drôle de soupir …

Mais ce sont là des coups manqués. Il en est ici comme de la foudre. Plus elle est proche, plus elle se simplifie. Certains chocs sont élémentaires : c’est que l’éclatement alors nous a marqués de ses éclats. Le fauve ne bouscule pas le bœuf qu’il tue. Il plante ses griffes d’aplomb, sans déraper. Il prend possession du bœuf. Ainsi, les coups au but s’incrustent-ils simplement dans l’avion, comme dans du muscle.

Antoine de Saint-Exupéry Pilote de guerre, qui paraîtra en février 1942 aux États-Unis, se classant dans les meilleures ventes, et en novembre 1942 en France, chez Gallimard.

Se tenant volontairement à l’écart des Gaullistes – on ne peut pas dire de de Gaulle puisque finalement il ne le rencontrera jamais – il le restera tout autant de Vichy, s’attirant la suspicion de chaque camp, qui aurait bien aimé compter dans ses rangs  pareille pointure.

24 05 1940   

Louis Poirier, alias Julien Gracq, est encore au combat : Près du Canal, dans un fourmillement d’arbres, deux mitrailleuses, en contrebas d’une digue peu élevée. Ils m’apprennent que des chars allemands apparaissent de temps à autre sur la berge en face et tiraillent entre les arbres. À gauche, haute construction à deux étages, qui semble abandonnée. À droite, un café avec une vieille femme, qui continue à servir des pernods à deux soldats au comptoir. Est-ce de l’inconscience ? (J’apprendrai quelques heures plus tard qu’un obus l’a étendue raide sur le carreau).

Nous nous installons en soutien, à trois cents mètres en arrière du canal. Plaine rase, coupée de canaux minuscules, et ça et là de petites lignes de haies naines et très claires […]

Vjoû, où, où, où !

J’ai l’impression qu’une main en une seconde parcourt délicatement la surface de ma peau et en fait lever un à un tous les poils. Cette fois, c’était tout près, à 30, 40 centimètres au-dessus de nous. Chute alanguie, paresseuse, de quelques branchettes.

Immobilité de mort. Une, deux minutes, puis avec des précautions infinies, j’essaie de me lever un peu sur les coudes, pour voir.

Vjoû, où, où, où !

Je me planque contre le sol, essayant d’y faire adhérer, pénétrer par pression chaque centimètre de ma peau. Le visage surtout, que j’essaie d’imprimer dans la terre. Le bord du casque s’arc-boute bêtement en avant et l’arrière se soulève comme une soupape. J’essaie de faire glisser ma musette devant moi. Ah, avoir au moins quelque chose. Ne fut-ce qu’un bout d’étoffe, devant la tête. Derrière moi, je sens l’infinie longueur de mes jambes à découvert. Moment d’angoisse pure, de passivité absolue. De seconde en mortelle seconde, j’attends la prochaine rafale dans le crâne – trois, quatre minutes. J’ai tout le temps d’y penser. Impuissance absolue – rigoureusement rien à faire – qu’une subtilité dans l’immobilité qui me fait pénétrer le génie des cailloux, des minéraux.

Je tourne le coin de l’œil vers mon chef de groupe, couché à deux mètres de moi, et vois qu’au même moment sans bouger même la paupière, il fait virer de même la prunelle vers le coin de l’œil de mon coté. Oui, c’est vraiment  passé tout près.

Julien Gracq. Manuscrits de guerre. José Corti 2011

Une vingtaine d’hommes revêtus d’uniformes de la police mexicaine, répartis dans quatre voitures, s’introduisent de nuit dans la villa de la rue Viena qu’occupe Trotsky et arrosent le tout à la mitraillette. Ils repartent en emportant et tuant le garde du corps Robert Sheldon Harte. L’enquête établira la responsabilité, à la tête du commando, du peintre muraliste David Alfaro Siqueiros, membre du Parti communiste mexicain et frère ennemi de Diego Rivera. Au demeurant, c’était là un travail de pied niquelé, avec mort d’homme mais pas de celui visé.

28 05 1940     

Des drames se nouent en France, sous les coups de butoir de l’ennemi. En Angleterre, la guerre n’est encore que sur le continent, mais, politiquement, les trois derniers jours ont été décisifs, dramatiquement denses : Churchill n’est premier ministre que depuis trois semaines, il n’a dû sa nomination de premier ministre qu’à sa marginalité au sein des conservateurs ; ses options de refus catégorique de toute négociation avec Hitler sont loin de rencontrer une adhésion massive au sein du cabinet de guerre qui ne réunit que les principaux leaders du ministère ; ouvert aux travaillistes – Clement Attlee, Arthur Greenwood – au nom de l’union nationale que requiert le péril européen, le cabinet au complet est trop divisé pour être représenté autour de Churchill ;  les hommes forts du parti, Chamberlain et Halifax, ne cachent pas leur envie de négocier avec le Führer, comme ce fut le cas à Munich à l’automne 1938, en prônant une nouvelle fois l’entremise de Mussolini. Le pouvoir de Churchill est donc fragile et ce n’est  qu’en doublant le cabinet de guerre et en convoquant en urgence le ministère au complet, en s’appuyant surtout sur quelques solides réalités : la Navy, le radar antiaérien, le secret du code nazi cassé par l’espionnage anglais, qui permet d’anticiper les actions de l’ennemi, les chasseurs de combat, fers de lance de la Royal Air Force, qu’il parvient à arracher par sa magistrale éloquence l’adhésion de ses pairs, pour finalement recevoir les congratulations de tous. Ce jour-là, le génie politique d’un homme seul a changé le cours de l’Histoire.

Capitulation belge. Du 27 mai au 4 juin. Les troupes franco anglaises se laissent enfermer dans la poche de Dunkerque et se replient tant bien que mal sur l’Angleterre.

30 05 1940

Dans son journal, Drieu la Rochelle vomit son fiel contre la NRF : Pendant vingt ans, la NRF a trôné au milieu de la littérature parisienne. Or, elle était soutenue par l’argent d’un bourgeois poltron et faiblement jouisseur, timidement accapareur, Gaston Gallimard. Ce bourgeois qui par peur, se faisait passer pour fou dans l’autre guerre a donné par lâcheté complice dans tous les godants de la gauche. Après le faible Jacques Rivière, il a pris comme directeur de la revue Jean Paulhan, un petit pion, un petit fonctionnaire, pusillanime et sournois, oscillant entre le surréalisme hystérique et le rationalisme gaga de la République des professeurs.

05 1940

La Banque de France donne l’ordre à ses succursales de rassembler leur or dans les ports de Brest, Verdon et Toulon : de là, il partira, en compagnie de l’or polonais et belge, sur des navires civils et militaires, vers Casablanca, puis Dakar, sans autre dommage que quelques chapardages en cours de route, dont le montant sera tout de même celui d’une caisse d’or.

3 06 1940   

Si l’on demande un jour l’armistice, je finirai ma carrière par un acte splendide d’indiscipline. Je prendrai le commandement de la flotte et nous rallierons l’Angleterre.

Amiral Darlan amiral de la flotte, à Jules Moch, parlementaire SFIO de l’Hérault

4 06 1940  

Churchill a envoyé aux abord des plages de Dunkerque 1 000 navires qui, en 9 jours, permettent d’embarquer 215 000 hommes de l’armée anglaise et 123 000 hommes de l’armée française, mais il y aura plus de 30 000 prisonniers et des tonnes de matériel sont abandonnées sur place, et comme le dit lui-même Churchill les guerres ne se gagnent pas avec des évacuations. Joseph Kessel est à bord du Gâtinais, un petit cargo qui a embarqué à Cherbourg des munitions pour Dunkerque, via Douvres :

La côte s’effaçait. C’était notre tour.
Alors, de tous côtés, surgirent des fumées et parurent des bâtiments qui prenaient le même chemin que nous. Ils semblaient naître de l’horizon et se multiplier à l’infini. Je renonçai à les compter. Mais, à mesure qu’ils grossissaient en rattrapant le convoi ou le dépassant, une émotion me gagnait qui me faisait oublier tout au monde.
Car, depuis le bâtiment de guerre puissant et rapide jusqu’à la barque de pêche qui marche aussi bien à la voile qu’au moteur, tout ce qui navigue et cabote et bourlingue se trouvait réuni sur cette mer étincelante.
Les contre-torpilleurs anglais, les torpilleurs français fonçaient dans une gerbe énorme d’écume. Les patrouilleurs allaient plus lentement. Les remorqueurs éventraient l’eau de leur masse trapue. Les chalutiers roulaient ainsi qu’ils en ont l’habitude. Les cargos de tout tonnage, de tout âge, de toute forme, s’éparpillaient comme un essaim. Et il y avait des paquebots. Et il y avait d’antiques bailles aux silhouettes incroyables. Et il y avait des bateaux à roue.
Certains de ces bâtiments pouvaient transporter des centaines et des centaines d’hommes. Sur d’autres, on n’en aurait pu mettre plus de dix. On voyait des ponts hérissés de défenses antiaériennes redoutables, et certains étaient nus. Les bâtiments les plus rapides atteignaient aisément une vitesse de trente-cinq nœuds. Les plus lents se traînaient péniblement à huit.
Mais tous allaient dans le même sens et je n’ai jamais senti, comme dans cette flotte éparse et disparate, l’unité et l’intégrité d’un même élan. Je n’ai jamais vu, réalisées sous une forme aussi singulière et aussi belle, la force et l’acceptation collective du sacrifice.
Une seule passion animait tous les hommes de cette invraisemblable armada qui naviguait dans une mer semée de mines, traversée de vedettes lance-torpilles, couverte de débris de navires rompus ou incendiés par les bombes d’avions : arriver jusqu’aux plages et aux quais où les attendaient, comme une suprême espérance, les derniers régiments de l’armée des Flandres.
Tous ces officiers et tous ces matelots savaient les noms et le nombre des torpilleurs coulés, des hôpitaux flottants envoyés par le fond, des transports foudroyés. Ils avaient tous des camarades morts à la tâche. Et aussi bien sur les vaisseaux aux bordages blindés que sur l’humble barque de pêche, chacun savait qu’il risquait sa vie.
Mais là-bas, sur la rive infernale, des hommes arrivés au seuil de la mer après trois semaines de combats, meurtris, harassés, sanglants, scrutaient cette mer avec une angoisse avide. Il semblait que l’on vît leurs bras tendus. Et il semblait qu’on entendît les armées lancées à leur poursuite, déjà sur leurs talons.
Alors, tous ces bateaux avec leurs cent formes et leurs cent visages prenaient un tel sens que l’on ne pouvait pas ne pas éprouver, au spectacle de leur course, le sentiment de l’épopée.
Moi, ce qui m’a fait vraiment quelque chose, dit le radio brun, c’est quand, la dernière fois, un des officiers de marine qui sont postés à Dunkerque m’a confié son chien pour le ramener, un joli petit cocker. Le cocker partait. Et lui, il restait.
Son camarade, qui était à l’écoute, demanda le silence, d’un geste. Le visage crispé dans une grimace d’attention désespérée, il écrivait à petits coups.
Je l’ai eu… dit-il enfin. Mais faible… faible. Ils ont dû bousiller le grand poste. On passe sur le petit.
Dunkerque tenait encore.
Or, à cet instant, un poste de radio privé qui appartenait à un des matelots du bord transmit les nouvelles de la BBC en langue française. Et la voix chaude, bien timbrée du speaker exaltait Dunkerque, le stoïcisme de ses défenseurs, la ruée des bâtiments lancés à leur secours et que rien ne pouvait arrêter.
Dans le petit carré, les visages étaient simples, débonnaires, un peu étonnés.
Nous voilà des héros, dit avec un sourire indécis le garçon rose, joufflu et blond qui servait à table.
Ouvre donc une boîte de singe, Mimile, dit le radio brun qui avait toujours faim.
Ce dîner restera célèbre dans les annales du Gâtinais parce qu’il y eut du poisson péché par le Dieppois et un gâteau de riz piqué de raisins de Corinthe, que l’équipage avait rapportés de son précédent voyage à Dunkerque.
À la fin du repas, le radio blond capta un message en clair, en anglais.
S.O.S. Blessés désespérés sur le navire-hôpital. N’avons plus de médicaments.
Sur le pont, le crépuscule épandait sa lumière orangée. Le soleil baissait rapidement. Des chasseurs anglais traversèrent le ciel, venant du continent. En sens inverse, passa un groupe de bombardiers.
On entendra bientôt ceux des Fritz, murmura le timonier. Le soleil d’un rouge incandescent toucha la mer, sembla se suspendre à sa surface. Souvent, un des innombrables bateaux se profilait sur son disque.
La nuit vint. Alors, on aperçut à l’horizon comme un feu de forge. Il allait grandissant. Des colonnes de fumée construisaient autour de lui un triangle sombre.
Le bûcher sacré de Dunkerque venait à nous.
Enfin, dans un éclairage d’enfer, parmi le grondement des obus, nous aperçûmes le long des quais les files d’hommes, de milliers d’hommes casqués, muraille sombre sans un mouvement, sans un bruit.
Le dernier embarquement allait commencer.
Qu’on imagine un port en feu, la nuit, couvert par-dessus le mur des flammes d’un moutonnement énorme de fumée noire et visqueuse. Qu’on imagine l’ébranlement des explosions, les forts de la ville tirant sur les colonnes allemandes et les batteries allemandes tirant dans les rues, sur la rive, et les fleurs pourpres des fusées dans le ciel. Et, déjà, le bruit saccadé des mitrailleuses.
Qu’on imagine encore un chenal étroit entre des champs infranchissables de mines, des jetées ébréchées par le bombardement, des carcasses de bateaux coulés trouant partout la surface de l’eau. Et, au milieu de cette sorte d’hallucination, dans l’ombre trompeuse d’un faux jour traversé de reflets sanglants, à travers le port tout pourri d’épaves et de pièges, des dizaines de bâtiments de tout rang et de tout âge, cherchant à accoster au plus vite pour emmener la masse humaine casquée et silencieuse qui se dresse dans la lumière de l’incendie, le long des quais.
Qu’on imagine tout cela et l’on aura une faible vision de ce que fut le suprême départ de Dunkerque, le dernier épisode d’une entreprise qui, racontée quelques jours auparavant, eût semblé surhumaine ou insensée.
Et pourtant, j’en voyais l’achèvement.
Dans les premiers instants qui suivirent l’arrivée de l’armada de salut, j’avoue que je désespérai. Il me parut impossible que le songe dramatique prît jamais fin, qu’une action cohérente et féconde se dégageât de ce tourbillon.
Cargos, chalutiers, barques de pêche, patrouilleurs, malles ventrues, torpilleurs, destroyers viraient, reculaient, avançaient, se faufilaient, s’élançaient dans un espace si exigu et si encombré que leurs coques se frôlaient sans cesse. Chacun des bateaux manœuvrait à sa guise, selon l’inspiration de son commandant. Chacun avait le même but : accoster, embarquer, appareiller. Il n’y avait ni temps ni possibilité matérielle d’organiser une chaîne convenable. Et les machines battaient, s’arrêtaient, repartaient. Et les navires de guerre venaient comme de sombres citadelles couper la route aux tout petits bateaux. Et les cris, les jurons, les encouragements montaient de chaque bord. Et les sirènes mugissaient. Et l’on savait que les minutes étaient comptées. Que l’aube allait pointer. Et avec elle, les Junkers, les Dorniers. Et que les batteries allemandes étaient tout près… et qu’un bâtiment pouvait être coulé dans le chenal et tout embouteiller.

Les ordres, les contre-ordres sonnaient plus nerveusement et la flotte invraisemblable continuait à mener sa nocturne sarabande, aux lueurs de l’incendie, dans le port mutilé, autour d’un phare aveugle.
Derrière cette ronde fantastique, derrière le premier rideau de fer que nourrissaient le mazout, le pétrole et l’essence en flammes, la ville n’était que ruines et décombres calcinés, embrasés, tordus, pulvérisés. Un carrousel incessant de jour et de nuit avait déversé sur Dunkerque les bombes explosives et les bombes incendiaires. Sauf quelques pans de murs, il ne restait rien debout.
Or, des milliers d’hommes et de femmes et d’enfants désarmés vivaient encore dans ce massacre d’une cité. Blottis dans les caves, sans vivres ni eau, ces malheureux écoutaient gronder l’enfer au-dessus d’eux. Quand ils sortaient quelques instants pour essayer de se procurer la plus maigre des subsistances, ils ne reconnaissaient plus la forme des rues, des places, des carrefours. Et, partout, il y avait des morts. Et partout gémissaient des blessés. Et partout les soldats des Flandres, sous les bombes et les obus, se dirigeaient vers les plages et, couchés dans les dunes, attendaient l’improbable sauvetage.
Je ne sais par quel prodige cette apparente démence portait ses fruits, mais quand tout semblait confondu, heurté, embouti, fracassé, un bateau soudain quittait une jetée avec des grappes humaines suspendues à son pont. Puis un autre… Et d’autres encore. Leur place était prise aussitôt et, cependant que continuait le chaos, un nouveau bâtiment enlevait sa frémissante cargaison.
Que n’ai-je la place pour citer tous les hauts faits que j’ai vus ou qui m’ont été racontés, pour dire tous les traits que je connais de l’épopée dans les eaux de Dunkerque, pour donner une idée juste de ce sacrifice à la pièce, de cet héroïsme à la chaîne.
Voici quelques histoires au hasard.
La Diligente n’a plus d’essence. Son commandant avise un camion abandonné sur le quai, fait transvaser le combustible. Une bombe éclate à quelques mètres. Le camion s’effondre sur la passerelle du bâtiment. La Diligente part tout de même.
Le Cyclone a son avant défoncé par une bombe. Il rentre en Angleterre ramenant des évacués, les marins à leurs postes et les servants de mitrailleuses nus jusqu’à la ceinture, tirant, tirant sans cesse sur les avions qui piquent vers eux.
Le Jaguar est coulé. Ce qui reste de son équipage débarque à Dunkerque et demande à servir dans le port.
Un enseigne de vaisseau commandait un patrouilleur au début de la guerre. Il coule un sous-marin. On hésite à l’homologuer. Il descend en scaphandre et rapporte les preuves de sa victoire. Puis son bateau heurte une mine. Il le conduit, désemparé, à Boulogne et, pendant qu’on le répare, sert d’officier de liaison sur un torpilleur anglais. Bataille de Dunkerque. Le torpilleur coule. Sur une embarcation de fortune, l’enseigne rejoint Boulogne. Les Allemands sont dans les faubourgs. Son patrouilleur n’est pas encore en état de reprendre la mer. L’enseigne réquisitionne un chalutier, y embarque son équipage, s’échappe du port. Depuis, sans cesse il va de Douvres à Dunkerque. Bombardé, mitraillé, passant partout, de nuit comme de jour, et ramenant chaque fois une telle cargaison que son chalutier manque de couler.
Le torpilleur Bourrasque est coupé en deux par une bombe et ses sauveteurs voient le commandant debout sur la passerelle, agitant sa casquette pour saluer ses morts. Il refuse de se laisser prendre à bord d’une embarcation, coule avec son bateau, et c’est uniquement parce qu’il remonte évanoui à la surface qu’on peut le crocher avec une gaffe et le ramener.
À bord du Branlebas, un projectile a éclaté en l’air,  fauché vingt-cinq hommes.
On se fout de la souffrance, dit l’un des matelots qui a la jambe tranchée. Comment va le bateau ? Comment vont les copains ?
Et un autre, qui a dix-sept ans, l’épine dorsale traversée, le ventre atteint, trouve en lui la force de monter à son poste de combat.
Je pensais à tout cela au milieu de l’enfer et à cause de cela l’enfer paraissait supportable. Et je pensais aussi aux défenseurs des forts, aux hommes qui tenaient encore aux lisières de la ville, aux sacrifiés de toute nécessité. Et aux combattants de Gravelines qui, avec un char et quelques pièces de marine, firent une hécatombe de tanks allemands et à cette division nord-africaine dont il ne revint qu’une poignée d’hommes. Et aux gars de la Division Légère Mécanique qui se battirent à un contre cinq. Et à cet officier d’artillerie chargé de mettre le feu aux réserves de pétrole que l’incendie n’avait pas encore atteintes et qui, pour aller jusqu’au bout de sa mission, s’était laissé atrocement brûler le visage et les mains.
Les explosions accumulaient leurs fracas, les fusées flottaient dans le ciel souillé de suie comme de géantes tulipes rouges.
Soudain, le cargo sur lequel je me trouvais, fut à quai. Je reculai instinctivement pour ne pas être étouffé par la ruée frénétique à laquelle je m’attendais, par la marée humaine dont j’étais certain qu’elle déferlerait.
Rien n’eût été plus naturel de la part d’hommes qui avaient combattu pendant des semaines, avaient été harcelés sans trêve, avaient fait des marches de soixante-dix kilomètres par jour et qui, depuis trois jours, attendaient sous les bombes qu’on vînt les chercher, sentant l’étau se resserrer sur eux, d’heure en heure.
Or, quand le Gâtinais accosta – et il était l’un des derniers et le jour, avec toutes ses menaces, n’était pas loin – tout se passa dans l’ordre le plus strict, avec une méthode et une rigueur à quoi les circonstances donnaient une grandeur saisissante. Les soldats, casques en tête, masques sur le visage, fusils en bandoulière, montèrent deux par deux, lentement et sous la conduite de leurs officiers. Section par section, ils gagnèrent l’arrière du bâtiment, laissant la place aux autres.
Seulement, quand ils franchissaient le bordage, chacun d’eux poussait un soupir d’une qualité indicible et murmurait quelques mots peu distincts où l’on devinait:
Ça y est…
On ne nous a pas laissé tomber.
Merci, les gars.
On ne peut décrire ni l’accent de ces voix ni, à la clarté de l’incendie, l’expression émerveillée, abandonnée, absente de ces visages épuisés et barbus.
Comme je disais à quelques-uns l’admiration qu’avait suscitée leur combat opiniâtre, ils me regardèrent avec incrédulité.
C’est vrai, ça ? me demanda un gars normand aux épaules carrées.
Il hocha la tête et poursuivit :
Nous, eh ben, nous, on croyait plutôt qu’on serait engueulés en rentrant…
Ils le croyaient peut-être aussi les hommes qui, dans les forts, tiraient leurs derniers obus ou qui, dans les arrière-gardes, brûlaient leurs dernières cartouches cependant que l’incendie de Dunkerque s’éloignait pour nous et que chalutiers, cargos, remorqueurs, torpilleurs et bateaux de pêche cinglaient vers la côte anglaise avec des milliers d’hommes sauvés.

Joseph Kessel. Dunkerque

Photographs of Dunkirk during World War Two and stills from the new ...

French destroyer L'Adroit grounded and broken in the Dunkirk area ...

Le destroyer français l’Adroit détruit par la Luftwaffe

La seconde Guerre mondiale 1939 1945 5 KNA

Nous irons jusqu’au bout, nous nous battrons en France, nous nous battrons sur les mers et les océans, nous nous battrons avec une confiance et une force croissantes dans les airs, nous défendrons notre île, quel qu’en soit le prix, nous nous battrons sur les plages, nous nous battrons sur les aires d’atterrissage, nous nous battrons dans les champs et dans les rues, nous nous battrons dans les montagnes ; nous ne nous rendrons jamais, et même si, ce que je ne crois pas un seul instant, cette île ou une grande partie de celle-ci était soumise et assiégée, alors notre Empire au-delà des mers, armé et gardé par la Flotte britannique, continuerait la bataille, jusqu’à, quand Dieu le voudra, le Nouveau Monde, avec tout son pouvoir et sa force, s’avance au-devant pour secourir et libérer l’ancien.

*****

…We shall fight in France. We shall fight on the seas and oceans. We shall fight with growing confidence and growing strength in the air. We shall defend our Island, whatever the cost may be. We shall fight on the beaches. We shall fight on the landing grounds. We shall fight in the fields, and in the streets, we shall fight in the hills. We shall never surrender !

Winston Churchill à la BBC

Quelques secondes plus tard, off the record  il ajoutera et nous les frapperons à la tête avec des bouteilles de bière, car c’est là tout ce que nous possédons vraiment…

Trois cent cinquante ans plus tôt, Elisabeth I°, qui, en août 1588, face à la menace que représentait encore l’invincible armada de Philippe II d’Espagne, avait eu les mêmes accents marqués par la même inébranlable détermination, galvanisant ses troupes au camp de Tilbury près de Londres : Que les paysans laissent leurs champs, les moissons attendront.[…] Seul un miracle pourrait nous sauver. […]  Je n’ai peut-être que le corps fragile d’une femme mais j’ai le cœur et l’âme d’un roi d’Angleterre, et je m’en prendrais à quiconque oserait envahir mon royaume, qu’il soit de Parme et d’Espagne ou un autre prince d’Europe.

Avec ses mots, Churchill a remporté sa bataille personnelle contre la classe politique anglaise car il était jusqu’alors dramatiquement seul, si ce n’est quelques soutiens, certes de poids, mais qui se comptaient sur les doigts d’une main : le roi et Clémentine, son épouse aimée et aimante.

5 06 1940     

Le général de Gaulle est nommé sous secrétaire d’État à la Défense dans le cabinet de Paul Reynaud, président du conseil depuis le 28 mars.

Au spectacle de ce peuple éperdu, de cette déroute militaire, au récit de cette insolence méprisante de l’adversaire, je me sens soulevé d’une fureur sans borne. La guerre commence infiniment mal, il faut donc qu’elle continue. Il y a pour cela de l’espace dans le monde. Si je vis, je me battrai où il faudra, tant qu’il faudra, tant qu’il faudra jusqu’à ce que l’ennemi soit défait et lavée la tâche nationale.… Ce que j’ai pu faire par la suite, c’est là que je l’ai résolu.

Mémoires de guerre.

7 06 1940

La Marine nationale avait réquisitionné en 1939 trois Farman 223-4, avions de ligne long-courriers d’Air France, qu’elle avait convertit en bombardiers à long rayon d’action. L’un d’eux, le Jules Verne, piloté par le commandant Daillière, s’en va sur Berlin au-dessus duquel il lâche ses 2 800 kg de bombes. Ils seront de retour à Orly au petit matin du 8 juin. Une embellie au milieu du drame.

Farman NC.223.4 "Jules Verne" — Каропка.ру — стендовые модели, военная ...

9 06 1940

Paul Reynaud envoie de Gaulle à Londres pour y rencontrer Churchill. Il sera de retour à Paris le lendemain.

10 06 1940    

L’Italie déclare la guerre à la France. Ce coup de poignard dans le dos [1], incitera Monique à retarder son retour à Megève ; il se vérifiera plus tard que les Italiens ne s’imposeront pas à la façon des Allemands.  Les ambitions de Mussolini étaient immenses : occupation de toute la rive gauche du Rhône, restitution de la Savoie et du comté de Nice, la Tunisie, la côte française des Somalis, Alger, Oran et Casablanca. La très efficace défense des chasseurs alpins depuis les forts de la ligne Maginot construits aussi sur ce front vint réduire ses prétentions comme peau de chagrin : le 24 juin, jour de l’armistice, la seule ville importante conquise sera Menton ; les autres conquêtes ne sont que des villages de montagne. Les Italiens avaient perdu 642 hommes, ils comptaient  4 782 blessés et 616 disparus. Les Français comptaient 62 morts, 37 blessés et 155 prisonniers

La Luftwaffe bombarde un cargo dans le Raz de Sein. Quelques heures plus tard arrive une épaisse fumée noire et la mer se couvre de mazout : pour que les Allemands ne puissent s’emparer des stocks de carburants, les marins de Brest ont ouvert les vannes des réservoirs et y ont mis le feu. Des années plus tard, les rochers de l’île restaient encore souillés.

Les populations fuyaient dans l’épouvante, poursuivies par des avions qui mitraillaient les convois. L’armée belge avait capitulé. Les armées françaises et anglaises de Belgique avaient été taillées en pièces et rejetées sur Dunkerque. […] La confusion était à son comble et donnait lieu à des faits hallucinants, comme par exemple la fuite éperdue à travers la campagne des 5 000 fous de la maison centrale de Clermont.

Le 10 juin, le Gouvernement s’était enfui après que pendant un long jour et une longue nuit on ait vu sortir des cheminées des Ministères d’épaisses colonnes de fumée : les archives brûlaient.

La thèse du Généralissime était que tout était perdu, et qu’on ne pouvait pas redresser la situation parce que les armées ne pouvaient plus se déplacer sur les routes envahies par les fugitifs. Mais il ne faisait rien pour arrêter l’exode des fugitifs, et pour interdire les distributions de combustible au public, en sorte que les colonnes motorisés allemandes s’engouffraient dans le cœur du pays, mêlées aux files de voitures en fuite, et se ravitaillaient librement aux mêmes postes d’essence. D’autre part on ne détruisait pas les usines. Tout se passait comme si une volonté mystérieuse agissait pour que les Allemands s’emparassent de celles-ci en ordre de marche. La radio donna aux ouvriers l’ordre stupéfiant d’attendre l’envahisseur à leur poste de travail. Ainsi les Allemands prirent possession des usines géantes de la région parisienne – dont Renault et Citroën -, des usines Schneider au Creusot, de toutes les entreprises colossales qui fabriquaient tanks, avions, canons et fusils, sans qu’un seul outil ait été détruit ou enrayé. Quelques temps plus tard, la Russie envahie faisait sauter à la dynamite et anéantissait par le feu plus de mille usines occupant plus de deux millions d’ouvriers. Et cette fois, le monde comprit qu’un grand pays se défendait.

Henri de Kerillis. Français, Voici la vérité ! … Éditions de la Maison Française New York 1942

Il ne faut oublier personne… le 10 juin on sort les prisonniers de la prison de la Santé, le 12, ceux du Cherche-Midi : ce sont 1 865 détenus qui devraient être acheminées pour Avord, dans le Cher. Le 15, six d’entre eux seront tués pour rébellion, le lendemain, 7 autres. Quant aux évasions, elle seront sans nombre : 845 comptabilisées le 21 juin à Giers…

Paul Reynaud quitte Paris à 22 h, accompagné du seul général de Gaulle. Rejoint à la sortie de Paris par le général Villelume, conseiller militaire de Reynaud, ils seront à Orléans trois heures et demi plus tard ; c’est dire que l’itinéraire, pour être aussi rapide n’était pas celui emprunté par tous ceux qui encombraient les routes. Le cabinet rose qui accompagnait le président Lebrun dira lui aussi plus tard n’avoir absolument rien vu de l’exode, n’ayant emprunté que des routes que la gendarmerie réservait au seul usage des membres du gouvernement.

11 06 1940  

Conseil des ministres à la Préfecture de Tours. Le général Weygand parle de l’urgence qu’il y a à signer un armistice pour conserver une armée capable de réprimer une éventuelle révolution communiste  :

À l’heure où nous parlons, les communistes sont les maîtres du pavé de Paris… le député Thorez a constitué un gouvernement provisoire… Paris va être livré à la canaille sanglante.

Georges Mandel, ministre  de l’Intérieur, l’interrompt brusquement et décrochant le téléphone, il demande la communication avec la Préfecture de Police de Paris.

Est-il vrai, Monsieur le Préfet, que les communistes tiennent le pavé de Paris ?

Je ne sais, répondit M. Langeron à quoi vous faites allusion… Dans Paris, le calme est impressionnant… Tout le monde attend avec une tristesse poignante et avec douleur l’entrée des Allemands.

Alors Georges Mandel se tourna vers le Général Weygand qui avait été victime d’une fausse information de quelque cinquième colonniste ou de la psychose collective anti-communiste qui détraquait les cervelles, et d’une vois tranchante, il lui lança :

Général, vous nous avez transmis une fausse nouvelle alarmiste bien à la légère… Que diriez-vous d’un sous-lieutenant qui serait coupable d’un tel acte en de pareilles circonstances ?

Henri de Kerillis. Français, Voici la vérité ! … Éditions de la Maison Française New York 1942

Georges Mandel parvient non sans mal à persuader le général Charles de Gaulle de ne pas démissionner.

Churchill est à Tours. Il interroge Darlan :
Darlan, si vous demandez l’armistice, il ne faut pas rendre la flotte aux Allemands.
Il n’en est pas question. Nous coulerons la flotte plutôt que de la livrer.

*****

Darlan, venu avec la flotte et les colonies et l’or de la France eût été reçu en sauveur. […] Il ne se serait pas présenté comme le fit le général de Gaulle avec seulement une âme indomptable et quelques hommes animés du même esprit… Rien n’eut pu l’empêcher de devenir le libérateur de la France. La gloire et la puissance qu’il avait tant désirées étaient à portée de main.

Churchill

12 06 1940

Opération de la RAF – Royal Air Force –  Squabble, dont l’objectif était de tromper les Allemands en leur faisant croire que les Britanniques avaient établi une base aérienne dans la région de la Somme, à l’ouest de la zone de combat réelle. L’opération a été menée en larguant des leurres en forme de parachutes et en effectuant des vols de reconnaissance dans la région, dont celui d’Alfred Ken Gatward, un ancien journaliste de 27 ans qui a intégré la RAF au début de la guerre et Gilbert Fern, son navigateur, à bord d’un Bristol Beaufighter. À 12 h 27, ils remontent les Champs Élysées, larguent une bannière tricolore sur l’Arc de Triomphe, puis s’en retournent à la maison.  Tralalère…

13 06 1940

Albert Lebrun et l’ensemble du gouvernement  se trouvent au château de Cangé, sur le Cher. Weygand y a solennellement déclaré la veille que l’armistice ne pouvait être évité. Le vice-président du Conseil, le vieux – 84 ans – maréchal Pétain demande la parole, et c’est pour soutenir la position de Weygand, en parlant du réduit breton – une éventualité envisagée par plusieurs – comme d’une illusion, et en se refusant à quitter le territoire : Priver la France de ses défenseurs naturels dans une période de désarroi général, c’est la livrer à l’ennemi. C’est tuer l’âme de la France, c’est par conséquent rendre impossible la renaissance. […] Je déclare, en ce qui me concerne, que, hors du gouvernement s’il le faut, je me refuserai à quitter le sol métropolitain. Je resterai parmi le peuple français pour partager ses peines et ses misères. […] L’armistice est, à mes yeux, la condition nécessaire de la pérennité de la France éternelle.

Les 11 et 12 juin s’est tenue au château du Muguet la conférence de Briare qui réunit le Conseil Suprême Interallié –  les principaux responsables civils et militaires anglais et français – , laissant apparaître des points de vue différents dont les écarts ne vont cesser de se creuser. La dernière séance de cette conférence se tient le 13 juin à la préfecture de Tours : Paul Reynaud demanda à Winston Churchill de relever la France de la parole d’honneur qu’elle [ce n’était pas vraiment la France, mais Paul Reynaud seul] avait donné le 29 mars, parole selon laquelle les deux pays s’engageaient à ne faire ni armistice ni paix séparée. Winston Churchill se montra inflexible : Puisque vous ne pouvez plus empêcher les armées allemandes d’envahir votre territoire tout entier, au moins continuez la lutte partout où vous le pouvez. Votre flotte n’est pas vaincue. Votre armée d’Afrique est intacte. Votre armée de Syrie également. Votre empire colonial d’Afrique et d’Asie constitue un ensemble de bases stratégiques d’une valeur inappréciable. Ne les livrez pas à l’ennemi. Mettez-les à la disposition de l’Angleterre qui continue la lutte et la continuera jusqu’au bout. Vous savez bien que seule la victoire de l’Angleterre peut désormais libérer et sauver votre malheureuse patrie !

Mais les forces obscures étaient déchaînées. Une vague de fureur anglophobe roulait dans les âmes. Le plus grand chef de l’armée française allait répétant : L’Angleterre ? Elle en a pour huit jours !

[…] Finalement, cependant, Winston Churchill se leva avec la promesse que si les Français demandaient l’armistice, ils auraient préalablement donné à la flotte l’ordre de se ranger aux côtés des Britanniques. On le vit sortir livide et douloureux de la salle du Conseil. Son fidèle ami, le Brigadier-Général Spears l’accompagnait. Il serra les mains qui se tendaient vers lui. Chère France ! … Dieu la protège ! …  murmura-t-il d’une voix étranglée, alors que Paul Reynaud refermait la porte de la voiture qui les séparait pour toujours.

Mais à peine Winston Churchill était-il parti que les Ministres se réunissaient à Saint Avertin, au château de Cangé, résidence du président de la République et reniaient la promesse faite. L’Angleterre en a pour huit jours ! répétait-on sans cesse. Elle en a pour huit jours ! Alors ? Et l’on décida de reprendre la fuite en direction de Bordeaux.

Henri de Kerillis. Français, Voici la vérité ! … Éditions de la Maison Française New York 1942

La Banque de France brûle ses vaisseaux : Douze boueux, gagnant environ 1 200 francs par mois, sont chargés de brûler 3 milliards de billets en provenance de la Banque de France. À eux douze, ils détournent 1 million qui n’iront pas dans la gueule des fours d’Issy les Moulineaux. Un million. Un million seulement est-on tenté d’écrire.

Henri Amouroux. Le peuple du désastre. Robert Laffont 1976. Éditions France loisirs p. 415.

C’est en Touraine que de Gaulle, bousculant le président du Conseil, le pressant de prendre des décisions courageuses, conseillant aux Anglais de ne rien accorder qui pourrait apaiser les scrupules des partisans de l’armistice, songeant même à donner sa démission lorsqu’il apprend que Churchill a montré une trop grande compréhension pour les épreuves de la France et vient de dire à Reynaud que l’Angleterre ne ferait pas de récriminations dans le cas où la France cesserait le combat. Oui, c’est en Touraine que de Gaulle devint un homme politique. 

C’est en Touraine que Philippe Pétain, muré jusqu’à présent dans un silence qui n’inquiétait plus personne, fait soudain figure de chef d’État. Ayant entendu, au cours du conseil des ministres du 13 juin, Weygand déclarer avec plus de violence encore que de coutume que l’armée ne peut continuer une lutte inégale, l’ayant entendu dire qu’il est facile, depuis un château de province, d’ordonner aux hommes de se faire massacrer, mais, qu’en ce qui le concerne, il ne suivrait pas un gouvernement qui abandonnerait la France, Pétain se lève, quelques minutes après le départ du général en chef, et devant des ministres peu habitués à voir lire des notes, tire de sa poche un papier dont, la veille, il a donné connaissance à Weygand ainsi qu’à Bouthillier [ministre des finances et du commerce, et qui restera dans cette fonction sous Pétain]. D’une vois un peu tremblante, il commence la lecture du texte qui deviendra sa charte, réglera désormais sa vie, expliquera ses actes les plus inexplicables : 

Nous reconnaissons tous que la situation est aujourd’hui très grave. Elle est telle que, si le gouvernement français ne demande pas l’armistice, il est à craindre que les troupes, n’écoutant plus la voix de leurs chefs, ne se laissent entraîner à une panique qui mettrait l’armée hors d’état d’entreprendre la moindre manœuvre.

Il faut bien examiner les conséquences qui résulteraient de la continuation de la lutte. Si l’on admet l’idée de persévérer grâce à la constitution d’un réduit national, on doit reconnaître que la défense de ce réduit ne pourrait être organisé par les troupes françaises en débandade, mais par des troupes anglaises fraîches. Mais, si ce réduit, établi dans un région maritime, pouvait être organisé, il ne constituerait pas, à mon avis, une garantie de sécurité et exposerait à la tentation d’abandonner le refuge incertain.

Après le constat du soldat, voici la phrase essentielle : prise de position morale et politique capitale dont il faudra se souvenir aussi bien le 11 novembre 1942, lorsque Pétain refusera de partir pour l’Afrique du Nord, que pour mieux comprendre dans quel esprit seront reçues les humiliations, acceptés les renoncements.

Or, il est impossible au gouvernement, sans émigrer, sans déserter, d’abandonner le territoire français. Le devoir du gouvernement est, quoiqu’il arrive, des rester dans le pays, sous peine de n’être plus reconnu pour tel. Priver la France de ses défenseurs naturels, dans une période de désarroi général, c’est la livrer à l’ennemi. C’est tuer l’âme de la France, c’est par conséquent rendre impossible sa renaissance.

Le renouveau français, il faut l’attendre en restant sur place, plutôt que d’une conquête de notre territoire par des canons alliés, dans des conditions et des délais impossibles à prévoir.

Henri Amouroux. Le peuple du désastre. Robert Laffont 1976

14 06 1940   

Les Allemands sont à Paris. L’ensemble du gouvernement se retrouve à Bordeaux : La ville grouillait de parlementaires, de fonctionnaires, de journalistes surmenés, de réfugiés hagards, d’affairistes avides, de fuyards terrifiés. Plus de chambres dans les hôtels, plus de tables dans les restaurants : les édifices publics étaient tous réquisitionnés par les ministères. Les Bordelais eux-mêmes voyaient leurs maisons envahies par les Parisiens.

Emmanuel Berl. La fin de la III° République. 1968

François Mitterrand, 24 ans, sergent dans le 23° RIC – Régiment d’Infanterie Coloniale -, est touché par deux éclats d’obus au lieu-dit Mort-Homme sur la cote 304, bien connue depuis 1916 . Il est blessé en-dessous de l’omoplate : ensanglanté, sur une civière roulante, il est mêlé à la foule des réfugiés : une attaque d’avions fait s’enfuir son infirmier… qu’il ne reverra pas. Après avoir cherché en vain un médecin dans cinq hôpitaux, il est accueilli à l’hôpital de Bruyères dans les Vosges, sans savoir qu’il est déjà prisonnier. Il va passer par Lunéville avant d’être emmené en train dans la Hesse, près de Cassel, au stalag II C, à Bad-Sulza, puis au stalag IX A de Zingenheim.

15 06 1940      

Les 26 bidons d’eau lourde – oxyde de deutérium – évacués à Bordeaux en mars ont rejoint Brest, pour être mis en lieu sûr en Angleterre, selon un ordre de mission de Jean Bichelonne, chef de cabinet du ministre de l’armement Raoul Dautry, à bord du contre-torpilleur Milan ; on compte parmi les convoyeurs Irène et Frédéric Joliot-Curie ; ils côtoient le général de Gaulle qui est du même voyage pour regagner Plymouth. De Gaulle était allé de Bordeaux à Brest en voiture. De Londres où il arrivera le 16 au matin, il refera un aller-retour Londres-Bordeaux-Londres, avec l’avion prêté par Churchill, un De Havilland DH.95 Flamingo : il sera à nouveau à Londres le 17 juin au soir. L’eau lourde repartira aux États-Unis, à  Oak Ridge, dans le Tennessee, où elle servira au projet Manhattan, où était mise au point la bombe atomique américaine.

L’exode est un traumatisme pour tous. Il est, au milieu de tous ces drames, des situations qui aggravent encore les difficultés : c’est le cas des asiles d’aliénés. Ceux du nord et de l’est du pays ne sont pas vraiment concernés, car ils ont été évacués vers le sud dès le début de la drôle de guerre au moins pour les cas les plus graves. Les autorités civiles et militaires oublient tous les établissements en bloc, et aucune directive du ministère de la Santé n’arrive aux directeurs, qui prennent donc eux-mêmes les décisions qu’ils jugent les plus appropriées. Ainsi, à Auxerre, quand on apprend que le camp militaire de Chemilly, à 15 km au nord, a été bombardé, le départ généralisé se fait dans la panique : de 36 000 habitants, la population va passer à 850 en quelques jours ! Au cœur du désastre, il arrive parfois que l’on ne sache plus très bien si mieux vaut en rire qu’en pleurer :

Parmi nos malades, ce fût surtout les hommes qui partirent [sur 800 malades, seulement 100 partirent le 15 juin]. Pour beaucoup de femmes, l’hôpital était un refuge. C’est ainsi que l’une d’elles, déprimée simple, sortie avec d’autres, était allée s’asseoir sur un banc […], à peu de distance. Une passante se pencha vers elle et lui dit : Ne restez pas là, c’est dangereux, ils ont lâché les fous ! Et la malade, affolée, s’empressa de rentrer dans son pavillon !

Pierre Scherrer. Un hôpital sous l’Occupation. Atelier Alpha bleue 1989

Le capitaine Philippe de Hauteclocque – il deviendra Leclerc plus tard – est blessé à la tête d’un éclat d’obus, au sud de Troyes. Sa guerre avait déjà été plutôt rocambolesque jusque-là : participant à la défense de Lille par le sud, son régiment s’était trouvé encerclé par la Wehrmacht et, se retrouvant sans hommes et avec l’autorisation du général Musse, il s’était échappé pour rejoindre le front plus au sud : du 28 mai au 4 juin, il s’était débrouillé seul, dormant à la belle étoile, traversant des rivières à la nage, se nourrissant comme il le pouvait, avec pour premier objectif d’éviter l’ennemi.

Blessé, il est évacué chez des religieuses qui sont proches d’une propriété de la belle famille de sa sœur : il s’y rend… pour y trouver des Allemands qui fêtent leurs succès avec le champagne du propriétaire. Parmi eux, un tchèque avec qui il sympathise, qui lui conseille de rester pour la nuit et qui s’engage à lui trouver des vêtements civils pour le lendemain. Et, donc, le jour suivant, civilement vêtu, il va faire un tour dans la cour et voit un Allemand sur un vélo de femme : S’il vous plait, c’est le vélo de ma femme, et j’aimerai bien m’en servir ! Aussitôt dit, aussitôt fait, et c’est avec ce vélo  qu’il va chercher à se diriger vers le sud, pour y rejoindre sa famille, mais, tous les ponts sur la Loire ayant déjà sauté, il lui faudra repasser par Paris et de là, muni de faux papiers, rejoindre la frontière espagnole : refoulé à Biarritz, il parvient à passer à l’est à Cerbère. De là, Madrid, puis le Portugal et il rejoindra de Gaulle à Londres le 25 juillet. Le 6 août, il quittera Londres à bord d’un hydravion normalement affecté au roi avec Pleven, Boislambert et Parant : objectif : Douala, via Lisbonne, Bathurst, Freetown, Lagos. C’est ainsi que naquit ce qui va devenir une épopée, celle de la 2° DB.

16 06 1940  

La majorité des ministres considérant l’armistice comme inéluctable, Paul Reynaud, partisan d’un départ en Afrique du Nord du gouvernement démissionne et propose à Albert Lebrun d’appeler le maréchal Pétain, qui accepte, en sortant de sa poche la liste de ses ministres, dans laquelle figurent deux socialistes – Rivière aux Colonies et Février au Travail, avec l’assentiment de Léon Blum – !  Pétain refuse de quitter le territoire métropolitain.

Peu après de Gaulle arrive de Londres, porteur d’un accord des Anglais pour l’union des deux pays, sur l’initiative de Jean Monnet. Trop tard, donc… et c’était finalement préférable : imaginons un peu : la France et l’Angleterre en guerre contre l’Allemagne et en plus tous les éléments nécessaires pour une guerre civile entre la France et l’Angleterre… non, vraiment, non.  Il ne figure pas sur la liste des ministres du nouveau gouvernement et il sait qu’il lui sera impossible de s’entendre avec Pétain : il avait été envoyé en Grande Bretagne par Paul Reynaud, pour sonder les Anglais sur leur attitude vis à vis d’un armistice demandé par la France ; il va reprendre l’avion de Sir Edward Spears dès le lendemain matin, pour rentrer à Londres… et y rester. Il déclare au général Spears : C’est bon, ils ne veulent pas de moi ! Dans ces conditions je fous le camp à Londres. Pour que les apparences soient sauves, il se conforme à un protocole de départ qui signifie que c’est le Secrétaire d’État à la Défense qui poursuit sa mission, mais la lourde malle qui l’accompagne signifie bien qu’il s’agit d’un départ sans espoir de retour proche.

Considéré comme déserteur devant l’ennemi (Il est important de signaler que ce 16 juin 1940 l’armistice n’est pas encore signé, que donc la France est toujours en guerre et que la fuite de De Gaulle est une désertion face à l’ennemi en temps de guerre, acte pour lequel des dizaines de soldats ont été fusillés) le gouvernement français lui ordonne de revenir immédiatement en France. De Gaulle répond au général Weygand, chef des armées, le 20 juin 1940 : Mon général, j’ai reçu votre ordre de rentrer en France. Je me suis donc tout de suite enquis du moyen de le faire car je n’ai, bien entendu, aucune résolution que de servir en combattant (Mémoires de guerre – 1954). Depuis 1958 cette lettre a été supprimée, occultée, par tous les historiens officiels du gaullisme qui nous livrent donc une histoire de France revue et corrigée.

Je m’apparaissais à moi-même, seul et démuni de tout, comme un homme au bord d’un océan qu’il prétendrait franchir à la nage.

Mémoires de guerre. T 1. L’Appel Plon p. 67

Mari et femme étaient alors très souvent séparés, et c’était le cas des de Gaulle : Yvonne, sa femme, était alors à Carentec, via Orléans depuis le 11 juin avec Philippe, Elisabeth, leur petite Anne, 12 ans et trisomique et Mlle Potel, la gouvernante ; le général passera la voir le 15. L’amirauté britannique enverra un hydravion les chercher le 18, mais il s’écrasera à Ploudaniel, causant la mort des quatre membres de l’équipage. Ils enverront alors un bateau sans savoir que la famille de Gaulle était parvenue à gagner Brest le 18 au soir, prenant d’un des derniers ferries pour l’Angleterre : ils avaient presque devancé l’appel.

Dans le malheur de la patrie, on n’a pas le droit de séparer la flotte du pays.

Amiral Darlan ministre de la Marine à Jules Moch, député SFIO qui refusera de voter les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet

Aristides de Souza Mendes Do Amaral e Abranches est consul du Portugal à Bordeaux ; il a déjà reçu des consignes de son gouvernement de ne délivrer de visas qu’avec parcimonie ; il en tombe malade pendant 3 jours et se lève, guéri : il avait décidé de passer outre… et pendant quelques jours, il va signer, 12 à 15 heures par jour, des milliers et des milliers de visas, sauvant ainsi environ 30 000 personnes. Sa vie à lui s’en trouvera brisée par les bons soins de Salazar et il mourra dans la misère en 1954.

17 06 1940   

À midi et demi, le Maréchal Pétain, s’adresse aux Français à la radio :

Français,

À l’appel de Monsieur le Président de la République, j’assume à partie d’aujourd’hui la direction du gouvernement de la France. Sûr de l’affection de notre admirable armée, qui lutte avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires contre un ennemi supérieur en nombre et en armes, sûr que par sa magnifique résistance, elle a rempli ses devoirs vis à vis de nos alliés, sûr de l’appui des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France don de ma personne pour atténuer son malheur.
En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C’est le cœur brisé que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec moi, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n’obéir qu’à leur foi dans le destin de leur patrie.

*****

Michel Audiard est alors dans un village du Limousin – je dirai pas le nom du patelin, à quoi bon faire de la peine -.

Un dernier grésillement dans le bouzin, puis, sur la place, comme une extravagante décompression, un énorme pet d’enthousiasme : Vive Pétain ! Vive la France !  suivi presqu’aussitôt, à l’instigation de M. le Maire, tout pâle, d’une Marseillaise chantée faux, ringarde, nasilleuse, perniflarde, mais spontanée, qui a laissé les Fritz pantois.

Depuis, on a raconté bien des choses, transposé un peu, enjolivé beaucoup, mais je me souviens très bien, j’y étais sur la petite place, à 12 h 30, quand les gens ont crié Vive Pétain ! j’suis pas sourd.

Je répète : ça se raconte plus comme ça, plus du tout, la mode a changé, mais je parle du 17 juin 1940. Eh bien, le 17 juin 1940 de l’armistice, ç’a été d’abord un grand ouf ! Unanime ! Massif ! Comaco ! … parce que tout le monde en avait plein le cul, avec même un bout qui dépassait, parce que tout le monde attendait ça depuis des semaines et des semaines, 10 millions de nomades, de migrateurs fourbus, d’improvisés gitans, à bout de vivres, à bout d’essence, à bout de rouleau.

Michel Audiard. Le p’tit cheval de retour. Julliard 1975

Mais, puisque Michel Audiard se montre si friand de vérité, pourquoi ne nous a-t-il jamais dit-il comment lui et ses deux potes, Bébert et Gédéon, se sont débrouillés pour échapper à la mobilisation générale, à l’armée, sous les drapeaux  ?

Les cinq jours qui séparent l’annonce de cet armistice de sa signature démobiliseront complètement l’armée : plus de la moitié des prisonniers de guerre – 1 million sur 1.8 millions au total – le seront pendant ce court intervalle.

Voilà, c’est fini. Un vieil homme qui n’a même plus la voix d’un homme, mais parle comme une vieille femme, nous a signifié à midi trente que cette nuit il avait demandé la paix … Je ne croirai jamais que les hommes soient faits pour la guerre. Mais je sais qu’ils ne sont pas non plus faits pour la servitude.

Jean Guéhenno Journal des années noires

Parce que construit sur ce socle, on ne peut passer sous silence le très beau roman de Joseph Kessel, Les Maudru, chez Julliard 1945, Quarto 2010.

Jean Moulin, préfet d’Eure et Loir, attend les Allemands sur le perron de sa préfecture de Chartres en grand uniforme et en compagnie de Mgr Lejards, vicaire général de l’archevêché, et de M. Besnard, conseiller municipal. Tous ces jours derniers, il s’est épuisé à porter secours aux innombrables réfugiés, parfois blessés des suites des bombardements, parfois malades, toujours affamés, épuisé à mettre un peu d’ordre, c’est-à-dire d’efficacité dans cette gigantesque pagaille. Et il s’est retrouvé de plus en plus seul.
Les Allemands arrivent ; la journée se passe sans accroc majeur, mais vers 18 h, ils veulent lui faire signer un protocole qui accuse les troupes noires françaises de s’être livrées à des atrocités sur des femmes et des enfants. Jean Moulin refuse et reçoit aussitôt une pluie de coups de crosse, de pied, qui durent jusque tard dans la nuit, l’amenant aux dernières extrémités : il se taillade la gorge avec un tesson de bouteille. En découvrant cela le lendemain, les Allemands prennent peur et le libèrent : ils le ramènent à la préfecture où il trouvera encore du personnel pour le soigner.

Pendant sept heures j’ai été mis à la torture physiquement et mentalement. Je sais qu’aujourd’hui je suis allé jusqu’à la limite de la résistance. Je sais aussi que demain, si cela recommence, je finirai par signer . (…)

Et pourtant, (…) je ne peux pas être complice de cette monstrueuse machination [l’accusation des troupes sénégalaises de violences sur les populations civiles] (…) Je ne peux pas sanctionner cet outrage à l’Armée Française et me déshonorer moi-même. (…)

Je sais que le seul être humain qui pourrait encore me demander des comptes, ma mère, (…) me pardonnera lorsqu’elle saura que j’ai fait cela pour que des soldats français ne puissent pas être traités de criminels et pour qu’elle n’ait pas, elle, à rougir de son fils.

Jean Moulin. Premier combat. Journal posthume de Jean Moulin, publié en 1947

Ce texte a été repris sur une plaque apposée sur le cabanon de La Taye où Jean Moulin a été torturé, commune de Saint Georges sur Eure, en Eure-et-Loir

Edmond Michelet, 40 ans, père de famille nombreuse et figure de la démocratie chrétienne, distribue à Brive des tracts  appelant à refuser l’armistice, et quelques uns, passant de la parole aux actes, partent pour Londres où ils apprennent la présence d’un général français – Charles de Gaulle – qu’ils rejoignent spontanément, plutôt que de s’engager au sein des troupes anglaises, sans même avoir eu vent de son appel du lendemain.

15 h 38’ 

Le transporteur anglais de troupes Lancastria est bombardé par 4 Junker JU 88 de la Luftwaffe, escadrille 4 G 30, venus directement de la base de Chèvres, en Belgique, au large – 10 milles – de Saint Nazaire. Touché par 4 bombes, dont l’une dans la cheminée, il coule en 24’. On dénombrera 2 477 survivants, mais ne connaissant pas le nombre de personnes transportées – 5 000 pour Winston Churchill, 5 310 selon la Lloyd, 9 000 selon certains rescapés qui mentionnent la présence de nombreux civils, femmes et enfants, on estime de 3 000 à 6 000 le nombre de morts. Il s’agissait de troupes anglaises repliées dans l’ouest de la France depuis le désastre de Dunkerque, au total 57 000 hommes.

Les attaques aériennes allemandes sur les convois [transport de troupes] étaient très violentes. Un épisode effroyable se déroula le 17 juin à Saint Nazaire. Le Lancastria, paquebot de 20 000 tonneaux, fut bombardé et incendié avec 5 000 hommes à son bord, juste au moment d’appareiller. Plus de 3 000 hommes périrent. Les autres furent sauvés, grâce au dévouement des petites unités, sous le feu continu de l’aviation ennemie. Lorsque ces nouvelles me parvinrent au cours de l’après-midi dans la paisible salle du conseil, j’en interdis la publication au motif que les journaux ont bien assez de désastres à se mettre sous la dent, au moins pour aujourd’hui. J’avais l’intention de laisser publier la nouvelle quelques jours plus tard, mais des événements lourds de menaces s’amoncelèrent si rapidement au-dessus de nos têtes que j’en oubliais de lever l’interdiction et il s’écoula un certain temps avant que la nouvelle de cette effroyable catastrophe ne devint publique.

Winston Churchill. Mémoires de guerre 1919 1941

La Luftwaffe bombarde la gare de Rennes où stationne depuis deux, trois jours un train de munitions, voisin de plusieurs trains de réfugiés et de troupes : le train de munitions explose et les voisins meurent dans l’incendie : pendant plusieurs jours, les odeurs de chair brûlée se répandront en ville… on ne connaîtra pas le nombre de victimes, mais elles sont des milliers…

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[1] Mettons sur le compte de la révolte d’un pays déjà abattu, cette phrase de la vertu outragée, qui, en fait, ne reflète en rien la réalité : il n’est que de voir le nombre impressionnant de fortins de la ligne Maginot construits avant la guerre sur la frontière franco italienne pour réaliser que l’on s’était grandement préparé à une attaque de leur part, et qu’elle n’était donc en rien une mauvaise surprise.