7 janvier 1991 au 14 juin 1992 Guerre du Golfe. L’URSS se délite. 17378
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Publié par (l.peltier) le 23 août 2008 En savoir plus

7 01 1991 

Le Soviet suprême de Géorgie a supprimé le statut d’autonomie de l’Ossétie du sud : Mikhaïl Gorbatchev annule par décret cette décision, et donc rend son autonomie à l’Ossétie du sud.

  12 01 1991     

Deux jours plus tôt, le parlement lituanien a refusé de rétablir les Constitutions d’URSS et de Lituanie. Les parachutistes soviétiques  prennent d’assaut les bâtiments publics de Vilnius : 14 morts et plus de 100 blessés.

         17 01 1991               

Tempête du désert : c’est le nom donné par les Américains au coup d’arrêt contre l’Irak de Saddam Hussein au Koweït. L’Irak se révélera être un très important fabriquant d’armes chimiques : anthrax, botulisme, peste  etc… Ils sont parvenus à entraîner à leurs cotés l’Angleterre, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, la Syrie, Israël et la France (d’où la démission de Chevènement de son poste de ministre de la Défense). Les forces en  présence : les Alliés ont 470 000 hommes, 1 311 avions, 2 767 chars, l’Irak, 350 000 hommes, 500 avions, 4 300 chars.

L’offensive terrestre sera lancée le 24 Février et la guerre prendra fin le 28. L’uranium appauvri sera très largement utilisé [1]. Le 13 mars, le Koweït demande aux Occidentaux de l’aider à éteindre les 732 puits de pétrole auxquels les Irakiens ont mis le feu en partant : ce n’est que le 6 Novembre que le dernier puits sera éteint. Le principal approvisionnement en pétrole de l’occident  (10 % du brut mondial) est sauvé ; il en coûte très cher à l’Irak, mis au ban des nations pour longtemps. L’embargo décrété par le Conseil de Sécurité ne déstabilisera pas du tout Saddam Hussein, mais coûtera très cher à toutes les victimes de la guerre ; au prétexte que des médicaments peuvent être détournés au profit d’une guerre bactériologique, ils seront refusés, dont ceux à même de soigner les cancers provoqués par l’uranium appauvri, et la mortalité due au cancer s’envolera ! On parlera de la mort de 500 000 enfants due à cette interdiction ! on interdira les crayons à papier, leur mine contenant du graphite ! Probablement le pire drame humanitaire de l’après-guerre ! On verra démissionner des responsables de l’ONU ayant 30 ans de maison :

La politiques des sanctions économiques est totalement dévoyée. Nous sommes en train de détruire une société entière. C’est aussi simple que cela : 5 000 enfants meurent chaque mois. Je refuse de diriger un programme qui a ce genre de chiffres pour résultat.(…)

J’avais pour mission de mettre en œuvre une politique qui correspond à la définition de génocide : une politique délibérée qui a effectivement tué plus de 1 million de personnes, enfants et adultes. Nous savons tous que le régime de Saddam Hussein ne paie pas le prix des sanctions économiques. Au contraire, elles n’ont fait que le renforcer. Ce sont les petites gens qui perdent leurs enfants et leurs parents par manque d’eau décontaminée. Ce qui est clair, c’est que désormais le Conseil de Sécurité échappe à tout contrôle, car ses actions sapent sa propre charte, ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme et les conventions de Genève. L’Histoire sera impitoyable envers les responsables.

Denis Halliday, démissionnaire en 1998 de son poste de coordinateur humanitaire de la Commission des sanctions du Conseil de Sécurité, après 34 ans de maison.

La guerre eut lieu, on n’en sut pas grand-chose. Il vaut mieux. Les détails que l’on en sut, pour peu qu’on les assemble, laissant entendre une réalité qu’il vaut mieux tenir cachée. Tempête du désert eut lieu, le léger Daguet gambadant derrière. On écrasa les Irakiens sous une quantité de bombes difficile à imaginer, plus qu’on en lâcha jamais, chacun des Irakiens pouvait avoir la sienne. Certaines de ces bombes perçaient les murs et exposaient derrière, d’autres écrasaient à la suite les étages d’un immeuble avant d’exploser à la cave parmi ceux qui s’y cachaient, d’autres projetaient des particules de graphite pour provoquer des courts circuits et détruisaient les installations électriques, d’autres consommaient tout l’oxygène d’un vaste cercle, et d’autres encore cherchaient elles-mêmes leur objectif, comme des chiens qui flairent, qui courent nez au sol, qui happent leur proie et explosent aussitôt qu’ils la touchent. Ensuite on mitrailla des masses d’Irakiens qui sortaient de leurs abris ; peut-être chargeaient-ils, peut-être se rendaient-ils, on ne le savait pas car ils mouraient, il n’en resta pas. Ils n’avaient de munitions que depuis la veille car le parti Baas, méfiant, qui liquidait tout officier compétent, ne donnait pas de munitions à ses troupes de peur qu’elles ne se révoltent. Ces soldats dépenaillés auraient pu être tout aussi bien équipés de fusils en bois. Ceux qui ne sortaient pas à temps étaient ensevelis dans leurs abris par des bulldozers qui chargeaient en ligne, qui repoussaient le sol devant aux et rebouchaient les tranchées avec ce qu’elles contenaient. Cela dura quelques jours, cette guerre étrange qui ressemble à un chantier de démolition. Les chars soviétiques des Irakiens tentèrent une grande bataille sur terrain plat comme  à Koursk, et ils furent déchiquetés par un passage simple d’avions à hélice. Les avions lents de frappe au sol criblèrent de boulettes d’uranium appauvri, un métal nouveau, qui a la couleur verte de la guerre et pèse plus lourd que le plomb, et pour cela, traverse l’acier avec encore plus d’indifférence. Les carcasses, on les laissa, et personne ne vint voir l’intérieur des chars fumants après le passage des oiseaux noirs qui les tuaient ; à quoi cela pouvait-il ressembler ? À des boites de raviolis éventrées jetées au feu ? Il n’en est pas d’images et les carcasses restèrent dans le désert, à des centaines de kilomètres de tout.

L’armée irakienne se décomposa, la quatrième armée du monde reflua en désordre par l’autoroute au nord de Koweit City, une colonne désordonnée de plusieurs milliers de véhicules, camions, voitures, autobus, tous surchargés de butin et roulant au pas, s’étirant pare-chocs contre pare-chocs. À cette colonne en fuite, on mit le feu, par des hélicoptères, je crois, ou par avions, qui vinrent du sud au ras du sol et lâchèrent des chapelets de bombes intelligentes qui exécutaient leurs tâches avec un manque très élaboré de discernement. Tout brûla. Les machines de guerre, les machines civiles, les hommes et le butin qu’ils avaient volé à la cité pétrolière. Tout coagula dans un fleuve de caoutchouc, métal, chair et plastique. Ensuite, la guerre s’arrêta. Les chars coalisés de couleur sable s’arrêtèrent en plein désert, arrêtèrent leur moteur, et le silence se fit. Le ciel était noir et ruisselait de la suie grasse des puits en feu, il flottait partout l’odeur ignoble du caoutchouc brûlé avec la chair humaine.

La guerre du Golfe n’a pas eu lieu, écrivait-on pour dire l’absence de cette guerre dans nos esprits. Il eût mieux valu qu’elle n’ait pas lieu, pour tous ceux qui moururent dont on ne connaîtra jamais le nombre ni le nom. Lors de cette guerre, on écrasa les Irakiens à coup de savate comme des fourmis qui gênent, celle qui vous piquent dans le dos pendant la sieste. Les morts du côté occidental furent peu nombreux, et on les connaît tous, et on sait les circonstances de leur mort, la plupart sont des accidents ou des erreurs de tir. On ne saura jamais le nombre des morts irakiens, ni comment chacun mourut. Comment le saurait-on ? C’est un pays pauvre, ils ne disposent pas d’une mort par personne, ils furent tués en masse. Ils sont morts brûlés ensemble, coulés dans un bloc comme pour un règlement de comptes mafieux, écrasés dans le sable de leurs tranchées, mêlés au béton pulvérisé de leurs bunkers, carbonisés dans le fer fondu de leur machine passées au feu. Ils sont morts en gros, on n’en retrouvera rien. Leur nom n’a pas été gardé. Dans cette guerre, il meurt comme il pleut, le  il désignant l’état des choses, un processus de la Nature auquel on ne peut rien ; et il tue aussi  car aucun des acteurs de cette tuerie de masse ne vit qui avait tué ni comment il le tuait. Les cadavres étaient loin, tout au bout de la trajectoire des missiles, tout en bas sous l’aile des avions qui étaient déjà partis. Ce fut une guerre propre qui ne laissa pas de tâches sur les mains des tueurs. Il n’y eut pas vraiment d’atrocités, juste le gros malheur de la guerre, perfectionné par la recherche et l’industrie.

On pourrait n’y rien voir et n’y rien comprendre ; on pourrait laisser dires les mots : il guerre comme il pleut, et c’est fatalité. La narration est impuissante, on ne sait rien raconter de cette guerre, les fictions qui d’habitude décrivent sont restées pour celle-ci allusives, maladroites, mal reconstituées. Ce qui s’est passé en 1991, qui occupa les télévisions pendant des mois, n’a pas de consistance. Mais il s’est passé quelque chose. On ne peut le raconter par les moyens classiques du récit mais on peut le dire par le chiffre et par le nom. Je l’ai compris au cinéma, plus tard.

[…] Dans ce film que je vis et qui m’effraya, dans ce film d’un auteur connu qui passa en salle, qui fut édité en DVD, que tout le monde vit, l’action se passait en Somalie, c’est-à-dire nulle part. Des forces spéciales américaines devaient traverser Mogadiscio, s’emparer d’un type et revenir. Mais les Somaliens résistaient. Et les Américains se faisaient tirer dessus, et ils tiraient en retour. Cela faisait des morts, dont beaucoup d’Américains. Chaque mort américain était vu avant, pendant, après l’événement de sa fin, il mourait lentement. Ils mouraient un par un, avec un peu de temps pour eux au moment de mourir. Par contre, les Somaliens mouraient comme au ball-trap, en masse, on ne les comptait pas. Quand les Américains se furent retirés, il en manquait un, prisonnier, et un hélicoptère alla au-dessus de Mogadiscio pour dire son nom, sono à fond, lui dire qu’on ne l’oubliait pas. À la fin, le générique donna le nombre et le nom des dix-neuf morts américains, et annonça qu’au moins mille Somaliens furent tués. Ce film-là ne choque personne. Cette disproportion ne choque personne. Bien sûr, on a l’habitude. Dans les guerres dissymétriques, les seules auxquelles l’Occident prend part, la proportion est toujours la même : pas moins de un à dix. Le film est tiré d’une histoire vraie – évidemment, cela se passe toujours comme ça. Nous le savons. Dans les guerres coloniales, on ne compte pas les morts adverses, car ils ne sont pas morts, ni adverses : ils sont une difficulté du terrain  que l’on écarte, comme les cailloux pointus, les racines des palétuviers, ou encore les moustiques. On ne les compte pas parce qu’ils ne comptent pas.

Après la destruction de la quatrième armée du monde, imbécillité journalistique que l’on répétait en chaîne, soulagés de voir revenir presque tout le monde, nous oubliâmes tous ces morts comme si la guerre effectivement n’avait pas eu lieu. Les morts occidentaux étaient morts par accident, on sait qui c’était et on s’en souviendra ; les autres ne comptent pas. Il fallut le cinéma pour me l’apprendre ; la destruction des corps à la machine s’accompagne d’un effacement des âmes dont on ne s’aperçoit pas. Lorsque le meurtre est sans trace le meurtre lui-même disparaît ; et les fantômes s’accumulent, que l’on est incapable de reconnaître.

Alexis Jenni. L’art français de la guerre. Gallimard 2011

Le 17, la guerre éclata. […] Comme tous les autres Français, je m’assis alors devant la télévision et regardais comment s’y prenait l’Amérique pour embobiner le monde. Altération de la réalité. Malversations sémantiques. Falsification des causes. Amplification des effets. Témoignages truqués. Contrefaçon des preuves. Détournement des buts. Déguisement de la souffrance. Dissimulation des morts. Ces gens d’outre-Atlantique incarnaient la forme civilisée de la barbarie. Manipulateurs de conscience, exterminateurs de pensée, inséminateurs d’idées prédatrices, ils avaient fait de l’image un miroir mensonger qu’avec la complicité de hâbleurs stipendiés, ils pouvaient déformer à leur guise et en fonction de leurs besoins. Si demain cela se révélait nécessaire, la guerre comme la paix, d’ailleurs, pourraient être menés dans un verre à dent.

Jean-Paul Dubois. Une vie française. Éditions de l’Olivier. 2004

En Irak, les campagnes massives de bombardement – le shock and awe rapid dominance, conçu en 1968 – annonçaient que l’ennemi, dont les infrastructures seraient rasées, demanderait grâce. On avait déversé sur le Nord-Vietnam, pays de 158 000 km², 47 tonnes de bombes au km², sans résultat, alors que les bombardements alliés sur l’Allemagne nazie étaient de 1.44 tonne / km². Appliquée à nouveau en Irak, cette stratégie amena la victoire militaire rapide sur l’armée régulière irakienne, mais suscita la résistance collective des Irakiens, tous atteints par les destructions systématiques et les cadavres. Victoire militaire occidentale certaine mais paix impossible, diront Harlan K. Ullman et James P. Wade. Et la guerre dure toujours. La résistance des populations locales à ces bonnes intentions militarisées était perceptible dès la Somalie. Les images des corps des GI tués et traînés derrière des 4 X 4 ont largement retourné l’opinion américaine. La dégradation de la situation au Darfour déclenche l’opération Dorca, mais Khartoum refuse toute action sur son territoire d’une troupe étrangère, de surcroît occidentale, même mandatée par l’Onu, acceptant seulement une Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS) d’un mandat très restrictif. On constate les mêmes phénomènes de rejet dans les pays du Sahel à l’encontre de soldats français aujourd’hui, pourtant le Mali est le pays africain le plus aidé par la France en matière de coopération. La forte communauté malienne qui vit en France a approuvé cette intervention qualifiée de salutaire, mais le problème central du Mali n’était pas au nord, mais au sud, en raison des dérives corruptrices de la gouvernance politique. Les Touaregs du nord, qui n’avaient jamais reçu les aides internationales lors des grandes sécheresses des années 1970 et 1980, sont en insurrection depuis plus de vingt ans.

Pierre Conesa. Vendre la guerre. L’aube 2022

             19 01 1991                

Signature à Kiev d’un accord sur les relations entre la RSFSR et l’Ukraine.

20 01 1991  

Un référendum sur le statut de la Crimée amène au rétablissement de la République autonome de Crimée.

24 01 1991  

Accord sur les relations entre la RSFSR et le Kazakhstan.

9 02 1991 

Référendum-sondage en Lituanie : 84 % de participation, 90.47 % de oui.

19 02 1991

À la télévision centrale, Boris Eltsine demande au président de l’URSS de démissionner.

24 02 1991

Meeting très important de soutien à Boris Eltsine.

1 03 1991  

Début des grèves politiques des mineurs du Kouzbass, soutenus par Russie démocratique.

3 03 1991

En URSS, signature d’un Traité de l’Union signé par 27 républiques, dont huit fédérées. Les républiques baltes – Lettonie, Estonie, Lituanie – la Moldavie, la Géorgie et l’Arménie, n’ont pas participé à sa rédaction.

Le projet amorce une confédéralisation de l’Union mais maintient des structures fédérales dominantes : le Soviet suprême de l’Union, qui exerce le pouvoir législatif ; la présidence de l’Union, qui assure le pouvoir administratif et exécutif suprême ; le Conseil des ministres, subordonné au Président et responsable devant le Soviet suprême

1° quinzaine de mars 

Boris Eltsine, président de la république de Russie, cherche à savonner la planche de Gorbatchev en tentant de trouver un accord entre les trois républiques baltes et le Kazakhstan pour concurrencer le traité

17 03 1991  

Le Soviet suprême avait annoncé le 16 janvier la tenue d’un référendum sur l’avenir de la Fédération : Estimez-vous nécessaire de maintenir une Union des républiques socialistes soviétiques qui serait une fédération rénovée de républiques égales et souveraines et dans lesquelles les droits et les libertés des individus de toute nationalité seront pleinement garantis ?

Les participants votent à 80 % et le oui l’emporte par 76.4 % des suffrages exprimés

Nous nous acheminons vers une fédération rénovée, une Union d’États souverains où les compétences du centre et des républiques seront rigoureusement délimitées. Le centre gardera ce que les républiques lui délégueront pour conduire les affaires dans la concertation et dans l’intérêt de tous […]   Aujourd’hui, nous avons la possibilité de signer le traité de l’Union avec les républiques qui y sont favorables et nous le ferons prochainement.  […] Les Russes se sont prononcés pour l’Union ; les dirigeants de la Russie doivent donc tirer les conséquences de cette réalité politique.

Gorbatchev

Le même jour, on élisait aussi le président de la Fédération de Russie.

25 03 1991

Jean-Paul Rappeneau est à Hollywood pour la cérémonie des Oscars où son Cyrano est présent, tout comme l’Australien Peter Weir (le Cercle des poètes disparus) pour Green Card. Cyrano est sorti sur les écrans américains le 1° décembre précédent, suivi de Green Card le 24 décembre. Gérard Depardieu a le rôle titre dans les deux films, mais il n’a pu être présent, retenu sur l’Île Maurice pour un tournage. Pour Green Card,  il a déjà triomphé aux Golden Globes sous l’égide de la HFPA – Hollywood Foreign Press Association [2] – le 19 janvier dernier, Cyrano recevant le prix du meilleur film étranger. La presse y est allé de son enthousiasme : Le Brando Français etc etc…

Mais voilà, … Gérard Depardieu feint d’ignorer que les States, ce n’est pas la France, que les codes y sont différents, – Obelix n’est populaire qu’en France – et donc il continue à se moquer des codes et à être lui-même, – bonnes bouffes, drague et cuites incluses, les ingrédients de la gauloiserie – et y compris devant la presse… tant et si bien que le 4 février Time a publié sur lui un article titré La vie dans un grand verre, que le 8 mars, – c’est la Journée des femmes animé entre autres par la puissante National Organization for Women, un influent mouvement féministe, journée suivie d’un article du Daily Mail qui titrera, toujours sur son compte : Est-ce violeur le plus célèbre de France, car ils ont exhumé une vieil interview dans laquelle il admet avoir participé à un viol collectif : Et cette histoire selon laquelle, à l’âge de 9 ans, il a participé à son premier viol, c’est vrai ? Oui, admet-il. Et, ensuite, il y a eu plusieurs viols ? Oui, reconnaît-il, mais c’était normal dans ces circonstances. Ça fait partie de mon enfance.[3]

Gérard Depardieu rate l’oscar et se saoule. Jean-Paul Rappeneau est amer. Toute la France culturelle se soulève d’indignation, mais rien n’y fait. Le puritanisme made in USA l’emportera :

 Monsieur, maintenant que l’Amérique est informée sur votre compte, vous ne ferez pas carrière ici.

Judy Mann, figure de la National Organization for Women, dans une lettre publiée par Time et le Washington Post. Elle demande de ne pas glorifier un acteur qui a commencé sa vie par un viol, et invite à boycotter ses films.

Il faut croire que, vingt ans plus tard Dominique Strauss Kahn, patron du FMI, n’en aura pas tiré de leçon puisque cela ne l’empêchera pas de tenter de violer Naffissatou Diallo au Sofitel de New-York.

mars 1991 

Premier cas de vache folle en France.

15 04 1991  

Les députés ont conseillé à Boris Eltsine, pour sa première sortie hors du territoire de se rendre au parlement de Strasbourg, ce qui lui permettra de se rendre compte du mode de fonctionnement d’un parlement démocratiquement élu. Et il se fait recevoir comme un chien dans un jeu de quille par Jean-Pierre Cot, président du groupe socialiste avec des noms d’oiseaux qui se mettent à pleuvoir : démagogue irresponsable, graine de dictateur, extrémiste de droite etc… et si mes propos ne vous conviennent pas, il ne fallait pas venir dans un parlement démocratiquement élu… la porte est ouverte. Bref, parfait dans son rôle de Saint Just donneur de leçons, indécrottablement goujat, définitivement irrécupérable pour toute attitude un peu diplomatique, c’est-à-dire avant tout,  polie.

23 04 1991    

Signature à Novo-Ogarevo entre Gorbatchev et neuf républiques dont la Russie sur les mesures indispensables pour stabiliser la situation. Ils reconnaissent  à 6 républiques indépendantistes le droit de ne pas signer le nouveau traité de l’Union.

29 04 1991 

Isabelle Autissier est la première femme à se lancer dans une course à la voile sur Écureuil Poitou-Charente autour du monde en solitaire : le BOC Challenge. Elle arrive septième à New-Port.

Pour le BOC Challenge, j’avais arrêté de bosser. Je m’étais mise à 100 % sur la préparation du bateau. J’avais  34 ans, c’était un tel rêve ! Bien sûr, j’avais tourné et retourné la question dans ma tête : moi qui ne suis jamais allée dans le Grand Sud, n’est ce pas me mettre la barre trop haut que d’y aller toute seule, et en compétition ? La réponse s’est imposée. Mais voyons, c’est maintenant ou jamais ! Je m’en serais voulu toute ma vie de ne pas avoir essayé. Alors, fonce ! Il faut suivre ses rêves de gamine.

L’arrivée à Newport, aux États-Unis, a été un moment très emblématique ! Il faisait beau. Je voyais se dessiner la côte américaine, encore seule sur mon bateau, et sans la myriade des bateaux accompagnateurs qui arriveraient plus tard. J’ai pris le temps de savourer. J’avais bouclé mon tour du monde, septième au palmarès. J’avais été à la hauteur de mon rêve de petite fille, et je comprenais que le reste de ma vie serait désormais du bonus. J’avais fait le job, et ça, personne ne me l’enlèverait jamais ! Je vous assure que ça confère une sérénité et une confiance incroyables. Ça constitue un socle. Et tout devient plus facile. Je n’avais plus peur de rien, même de l’échec. J’avais toute la force du monde pour pousser d’autres portes.

[…] J’ai eu la chance d’avoir des parents heureux et fiers d’avoir cinq filles. Et le privilège incroyable qu’ils ne nous aient jamais dit que, parce que nous étions des filles, il y avait des choses auxquelles nous n’aurions pas accès. Jamais la moindre réflexion du style : Voilà un métier idéal pour une fille, ou bien Ce job est trop masculin ! L’horizon était dégagé.

[…] Le bateau est un sport très cérébral. Vous gagnez beaucoup plus de temps par une bonne option météo que parce que vous manœuvrez une voile cinq minutes plus vite. Il faut bien sûr travailler son souffle et sa musculature, faire de la course à pied, du vélo, des abdos. Mais, à choisir, il vaut mieux préparer son bateau et travailler sa météo que fréquenter la salle de sport. C’est d’ailleurs pour compenser un manque de musculature que j’ai inventé, avec mon architecte, la quille pivotante. Montée sur des vérins, elle peut se mouvoir, par rapport à l’axe du bateau, et donc le redresser en cas de coup dur. Beaucoup plus facile à manœuvrer. Moins de force physique, plus d’ingéniosité.

[…] Je ne sais pas ce qui est de l’inné ou de l’acquis, du génétique ou du culturel, mais la différence entre navigateurs et navigatrices est frappante. Quand il faut se précipiter à l’avant du bateau parce qu’un truc ne marche pas, un garçon fonce, confiant en lui-même, sans rien demander aux autres. C’est seulement si cela ne marche pas qu’il se tourne vers le groupe : Eh, qu’est-ce que vous faites derrière ? Vite, actionnez…Les filles, c’est exactement le contraire. Si un truc ne va pas à l’avant, l’une va se tourner vers les autres : Bon, pendant que je vais faire ça à l’avant, il faut que tu fasses ça, et toi ça…  C’est si caricatural que j’en ris. Les filles jouent collectif.

[…] Tabarly était un militaire. Très vieille école. Ça ne lui venait pas spontanément à l’esprit qu’une femme puisse faire la course au large. Mais je n’ai pas le souvenir qu’il ait jamais fait une remarque sexiste. Kersauson survend son personnage de capitaine grognon, grossier, macho. Un dur à cuire, comme on décrit les marins depuis la nuit des temps. Il vaut évidemment mieux que cela, car il est intelligent et doté d’une immense culture maritime. Ce n’est pas un mauvais marin, même s’il est loin d’être le meilleur de sa génération. Il m’a dit une fois : J’aimerais bien naviguer avec toi. Mais je ne l’aurais jamais emmené ! Aucune envie de me coltiner ses gauloiseries et d’avoir à riposter à ses saillies machistes. En mer, en course, on a franchement autre chose à faire. Il y a, en France, trop de marins excellents et charmants pour que j’aille m’encombrer de quelqu’un qui poserait potentiellement problème.

Isabelle Autissier

04 1991 

Anne Marie Casteret, révèle dans L’Express le scandale du sang contaminé, 6 ans après les faits : la loi du silence avait jusque là fort bien fonctionné. En 1999, elle publiera L’affaire du sang.

15 05 1991  

Michel Rocard s’en va, Édith Cresson arrive, première femme premier ministre en France : elle va essuyer les plâtres de cette maison encore neuve qu’est l’émancipation féminine : la gauche aussi bien que la droite, réunis pour le coup dans le grand parti de la connerie, se livreront à une surenchère de bêtise et d’acharnement machiste pour la faire échouer, montrant bien que les idées avancées ne le sont qu’en surface et que la représentation nationale peut très bien ne pas refléter précisément cette nation qui est tout de même une de celles où les hommes et femmes s’entendent le mieux. On aura vu une poignée de députés, lorsqu’elle prenait la parole beugler À poil ! Et ces gens voudraient qu’on les respecte ! Elle avait certainement de quoi en énerver plus d’un, [la Bourse ? j’en ai rien à cirer – cela énerve certes les boursicoteurs mais la très grande majorité des Français pensent de même ; Un Anglais sur quatre est homosexuel, Les Japonais travaillent comme des fourmis, et si c’était vrai ?] mais on ne lui passa rien de ce que l’on passe aux mecs, les Pasqua, les Marchais, les de Villiers etc…, depuis des siècles. L’accompagnent dans cette galère Martine Aubry au ministère du Travail et Frédérique Bredin à la Jeunesse et aux Sports. Treize ans plus tard, Le Monde réunira les témoignages de sept des premiers ministres de la V° république :

Édith CressonDès les premiers jours, j’ai entendu le pire. On attaquait Mitterrand à travers moi, mais on attaquait aussi directement ma personne et non ma politique. Le député François d’Aubert m’a surnommé La Pompadour. Le Bébête Show me représentait de façon obscène. La presse a été incroyablement violente… Claude Sarraute, dans Le Monde a carrément écrit, en parlant de Mitterrand et de moi : Tu t’y entends, hein, la Cresson […] Bien qu’ignorant tout de vos rapports, j’imagine mal le Mimi te repoussant du pied, agacé par tes câlineries de femelle en chaleur ! Si tant est que tu l’exaspère, ce serait plutôt pour tes bourdes de charretier en fureur [4]… Remarquez, j’avais l’habitude des propos phallocrates. Lorsque j’ai conquis seule ma circonscription, à Châtellerault, Jean-Pierre Abelin, mon adversaire, avait lancé : Le PS a eu la gentillesse de m’envoyer une femme. Je l’aurais bien rencontré dans d’autres circonstances … lorsque j’étais ministre de l’Agriculture, les paysans défilaient avec des pancartes : Édith, on t’espère meilleure au lit qu’au ministère[le 22 mars 1983, en quittant le ministère de l’Agriculture, la bergère avait répondu au berger : Finalement, j’étais bien à l’Agriculture puisque j’avais affaire à des porcs.] Cela a dépassé toutes les bornes… Cela m’a rappelé, d’une certaine façon, la guerre et l’occupation, avec ses calomnies et ses lâchetés. Cela fait plus de dix ans ; jamais personne ne s’est excusé.

Michel RocardL’opinion publique est devenu consumériste, et, une certaine presse aidant, les responsables politiques, fussent-ils président ou premier ministre, peuvent être insultés à merci. Et cela, c’est insupportable pour les proches. Moi-même, si c’était à refaire, je ne referais pas ce métier. La rapidité des techniques, la mondialisation financière, font que l’espace de responsabilité du gouvernement de la République Française a considérablement diminué, alors même que les gens vous rendent responsable de tout. La profession politique ne bénéficie plus du respect qu’on avait pour elle du temps où elle passait pour efficace, c’est à dire, du temps du plein-emploi. Aujourd’hui, on nous insulte, on nous veut pauvre et on nous moque. Nos rois aussi avaient leurs bouffons. Mais le bouffon du Roi n’entrait pas dans la cathédrale. Aujourd’hui, les bouffons occupent la cathédrale et les hommes politiques doivent leur demander pardon. Ce qui fait que ne viendront plus à la politique que les ratés de leur profession.

Le Monde Supplément du dimanche. 8 mars 2004.

26 05 1991  

Israël monte une opération commando sur l’Éthiopie où ils récupèrent en 48 h pour les emmener en Israël, 14 000 Falachas, des juifs d’Éthiopie menacés par le régime.

31 05 1991    

1° cessez le feu dans la guerre d’Angola.

9 06 1991 

Éruption du Pitunabo, sur l’île de Luçon, aux Philippines. On comptera plus de  1 000 morts.

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12 06 1991   

Boris Eltsine est élu 1° président de la Fédération de Russie par le Congrès des députés du peuple, pour un premier mandat couvrant du 25 12 1991 au 2 juillet 1996. La Fédération est composée de 18 républiques et des régions autonomes. Le pays compte 150 M d’habitants sur les 280 M de l’ex URSS.

La chute inexorable de la démographie va représenter le problème majeur, car le plus difficile à résoudre de la Russie pour les années à venir. En 1999, elle comptera 148.7 millions, 143.8 en 2006, 142 en 2007. Les projections aux années 2050 s’étaleront sur une fourchette de 122 millions à 77, les plus sérieuses, celles de l’ONU et de Murray Feshbach, le meilleur connaisseur de la démographie russe, tournant autour de 100 millions. En 2022, le nombre des naissances sera celui de 1945, la population sera de 146 447 424… moins qu’en 1999 !  Comment rendre le goût de vivre à un peuple dont une effroyable proportion se saoule du soir au matin et du matin au soir ? Et peut-être les racines du mal sont-elles encore plus profondes ?

Nous avons tous grandi là-dedans. L’art aime la mort, et notre art à nous tout particulièrement. Le culte du sacrifice et de la mort violente, nous avons cela dans le sang. Vivre à se rompre l’aorte [c’est l’expression du poète Ossip Mandelstam dans Derrière Paganini aux longs doigts, et reprise par le chanteur Vyssotski] Ah, les Russes ils n’aiment pas mourir de leur belle mort, a écrit Gogol. Et Vyssotski chantait : Rester encore un peu au bord du précipice… Au bord du précipice ! L’art aime la mort, mais il existe aussi les comédies à la française, non ? Pourquoi n’avons-nous presque pas de comédies ? En avant ! Pour la Patrie ! La Patrie ou la mort ! J’apprenais à mes élèves qu’il faut se consumer au service des autres. Je leur parlais de l’exploit de Danko [héros de légende mis en scène par Gorki dans la Vieille Izerguil] qui s’était arraché le cœur de la poitrine pour éclairer le chemin de son peuple. On ne parlait pas de la vie… Ou très peu… Les héros ! Les héros ! La vie était faite de héros… De victimes et de bourreaux… Il n’y avait personne d’autre.

Svetlana Alexievitch. La fin de l’homme rouge. Actes Sud 2013

Et il y a encore ce fusionnel morbide entre bien des mères et leur fils qui fait dire à l’une d’elles : Je ne connais pas encore ma belle-fille, mais je la déteste déjà.

Qu-y a-t-il de plus triste qu’un enfant qui part ? un enfant qui reste. Denis Tillinac

L’ancien dissident polonais Adam Michnik était très lucide quand il disait que ce qu’il y a de pire dans le communisme, c’est ce qui arrive après. Après le communisme ne reste qu’un homme totalement égaré, qui ne sait pas comment vivre. Les leaders qui ont gouverné la Russie après la fin de l’URSS ont pillé le pays et ont rendu le peuple fou de rage. Du coup, les termes libéral et démocrate sont devenus des gros mots. Les gens ont alors décidé de recommencer l’expérience. L’histoire est tragique, ici : tous les trente ou quarante ans, il se passe quelque chose d’atroce. Mais les gens sont habitués à vivre ainsi. Ils n’ont jamais vécu autrement. Ils n’ont jamais été libres. Ils savent qu’à tout moment, on peut tout leur reprendre. Les sources de ce sentiment sont plus profondes que le communisme, d’ailleurs. Cela remonte au moins à Ivan le Terrible. Dans ce territoire asiatique, la culture chrétienne du sacrifice a été complétée par le culte communiste de la mort. Quant à la Biélorussie, ce qui s’y passe est vraiment incroyable. En décembre 2010, des gens sont sortis manifester pour protester contre la nième réélection de Loubachenko. La police a jeté six cent trente-neuf personnes en prison. Eh bien, la plus grande partie de la société a fait comme si rien ne s’était passé. Les gens sont davantage intéressés par les moyens de trouver un travail, de gagner de l’argent et sont prêtes à fermer les yeux sur tout le reste. Il existe en fait un contrat implicite avec le tyran : on a un travail, on peut voyager dans l’espace Schengen et, en échange, on se tient tranquille. Comme si, après le communisme, les gens n’étaient plus capables de répondre d’eux-mêmes. Les gens courageux sont très peu nombreux ici. On ne peut donc pas parler de terreur, mais d’une peur permanente.

Svetlana Alexiévitch. Philosophie Magazine novembre 2014

14 06 1991

La Suède est candidate officiellement à l’admission dans la CEE.

15 06 1991  

Boris Eltsine  est élu président de la Russie au suffrage universel. Le pays compte 150 M d’habitants sur les 280 M de l’ex URSS.

17 06 1991  

En Afrique du Sud, Frederic De Klerck obtient l’abolition des lois sur l’apartheid : Population Registration Act, en vigueur depuis 40 ans. La CEE lève alors son embargo.

20 06 1991  

Un vote très serré au Bundestag entérine le transfert des institutions allemandes de Bonn à Berlin ; mais dans le détail, les choses seront plus complexes : seront effectivement transférées à Berlin le Bundestag, la Chancellerie et huit ministères, mais Bonn conservera sept ministères et plusieurs grandes administrations fédérales, dont la Cour des Comptes, jusque là à Francfort.

22 06 1991    

Le harcèlement sexuel est inscrit dans le code pénal.

06 1991 

Les forces russes stationnées en ex Allemagne de l’Est sous l’acronyme ZGV – Zapadnaya Grouppa Voïsk – commencent à regagner le territoire russe. Cela va donner lieu à un gigantesque hold-up  perpétré par l’État major à des fins toutes personnelles. L’État soviétique avait prêté, sous conditions de remboursement avant avril 1992 100 millions de marks à ZGV : ils disparurent purement et simplement. Cette force était de 546 200 hommes, dont 338 800 militaires d’active, répartis sur 276 localités, dans 777 camps militaires. 123 000 armes et véhicules, plus de 2.6 millions de tonnes de matériel et de réserves techniques. Début 1992, Valéri Makharadzé, vice-premier ministre, fera parvenir au président Eltsine un rapport d’inspection de la ZGV : il va être expédié au Canada comme attaché commercial à l’ambassade russe. À l’été 1992, des journalistes allemands vont s’introduire à la ZGV en se faisant passer pour des acheteurs d’armes : tout de suite, on leur propose qui un MIG 29, qui un lot de 5 000 Kalachnikov, qui des blindés, qui des munitions, le tout avec présentation d’une autorisation du ministère de la Défense quand Eltsine avait interdit toute vente le 4 avril 1992 !

1 07 1991 

Fin du Pacte de Varsovie.

17 07 1991 

À Londres, sommet du G 7 devenu G 8 avec l’auto-invitation de Mikhaïl Gorbatchev, venu demander l’octroi de 10 milliards $ par an ! Il va repartir bredouille. Personne n’a été capable de faire preuve de vision stratégique, en pressentant que le plus judicieux pour l’Occident était d’aider Gorbatchev, pour éviter qu’un ploutocrate ou un voyou ne prenne sa place. C’est Gorbatchev qui incarnait au mieux la possibilité d’attacher la Russie au train de la liberté et les Européens n’ont pas su voir cela. Gorbatchev n’était pas un génie, mais il avait quelque chose d’unique dans le monde soviétique postérieur à la révolution de 1917 : pour la première fois, l’URSS avait à sa tête un dirigeant qui ne s’était jamais abaissé à tenir la langue de bois de l’appareil d’État. Gorbatchev disait la réalité telle qu’elle était, tout simplement, et cela seul faisait de lui un allié potentiel pour les tenants de la liberté. Boris Eltsine demandera sa démission en direct à la télévision. Aider Gorbatchev, c’était maintenir Eltsine l’alcoolique sur la liste d’attente – qui aurait pu ainsi être très longue -, c’était laisser Poutine, le nostalgique de la Grande Russie tsariste, menteur, cynique et criminel, au rang d’obscur colonel du KGB.  Octroyer alors quelques milliards $ à la Russie de Gorbatchev aurait été beaucoup plus profitable à l’Occident que fournir trente ans plus tard en armement l’Ukraine  – les seuls États-Unis ont déboursé 74 milliards $ de mars 2022 à août 2023 -, en sachant bien que ce pays ne serait jamais à même de payer ces armes. Qui étaient ces dirigeants du G 7 ? États-Unis : George H. W. Bush ; Canada : Brian Mulroney ; Angleterre : John Major ; France : François Mitterrand ; Allemagne : Helmut Kohl ; Italie : Giulio Andreotti ; Europe : Jacques Delors, Rudd Lubers. Il aurait fallu un Talleyrand pour pressentir l’ouverture fantastique que représentait Gorbatchev. Mais il n’y avait pas de Talleyrand, ni de Roosevelt ! Il n’y avait que des dirigeants qui ne savaient pas être autrement que le nez dans le guidon.

Il est vrai que Gorbatchev avait un handicap : il était impopulaire. Pourquoi ? Parce qu’il avait drastiquement réduit la consommation de vodka. Il suffisait de lui dire officieusement : OK pour les 10 milliards $, mais vous rouvrez le robinet de la vodka. Et sa popularité serait aussitôt remontée. De plus, la Russie était déjà un des premiers pays producteurs de gaz et de pétrole et cette manne allait augmenter sans cesse jusqu’en 2020, et cela, les Européens auraient du le savoir, s’ils avaient été bien informés sur le potentiel énergétique de l’URSS, sans rester scotché à l’instant parce que les cours mondiaux du moment ne jouaient pas en faveur de l’URSS. Juste avant d’attaquer l’Ukraine le 24 février 2022, la Russie encaissera 700 millions $ par jour pour ses exportations de pétrole et de gaz. De quoi largement rembourser n’importe quel prêt …

Voyez-vous, pour comprendre que Gorbatchev allait détruire l’Union Soviétique, on n’avait pas besoin de l’écouter ; il suffisait de le regarder. Il montait à la tribune et on lui apportait immédiatement son verre de lait. Les gens n’en croyaient pas leur yeux. Puis il doubla le prix de la vodka. Il voulait mettre tout le monde au lait. En Russie. Vous vous rendez compte ? Après on s’étonne que tout soit parti en vrille.

Giuliano da Empoli Le mage du Kremlin Gallimard 2022

25 07 1991  

Arrêt de la construction des navettes spatiales.

31 07 1991

Suppression des 1° classes dans le métro. Signature du traité Start prévoyant des réductions de 25 à 30 % des armements stratégiques.

4 08 1991  

Mikhaïl Gorbatchev part en vacances à Foros, au bord de la mer Noire, en Crimée.

11 08 1991

Libération d’Edward Tracy, otage américain détenu au Liban depuis le 18 11 1986.

16 08 1991   

Publication du nouveau Traité de l’Union des républiques souveraines soviétiques qui devrait être ouvert à la signature à partir du 20 août.

Alexandre Iakovlev, le plus proche collaborateur de Gorbatchev démissionne du parti et lance une mise en garde : Je voudrais prévenir la société que, dans le noyau dirigeant du parti, s’est constitué un groupe stalinien influent qui rejette la politique engagée en 1985 et freine ainsi le progrès social. En vérité, la direction du parti, en dépit de ses déclarations, cherche à éliminer l’aile démocratique et se prépare à une revanche sociale ainsi qu’à un coup de force dans le parti et dans l’État.

19 08 1991 

Tentative de coup d’État en Russie qui proclame sur tout le territoire la primauté de la Constitution et des lois de l’URSS. À Foros, Gorbatchev  est mis en résidence surveillée. Il aurait dû signer le lendemain le Traité de la Nouvelle Union des républiques souveraines soviétiques, qui allait réduire considérablement le rôle du KGB et de l’État Central.

Je suis un mauvais tzar. Un bon tzar est celui qui tue.

Les protagonistes ne sont pas des seconds couteaux :

  • Guennadi Ianaïev, vice-président de l’URSS
  • V. Pavlov, président du cabinet des ministres
  • O. Baklanov, premier vice-président du Conseil de Sécurité
  • des responsables de l’armée et de la milice, parmi lesquels B. Pougo et le Maréchal Akhromeev qui se suicideront.

L’enthousiasme et l’espérance des premiers jours de la perestroïka ont cédé la place à la méfiance, à l’apathie et au désespoir. Le pouvoir s’est aliéné la confiance à tous les niveaux… Toutes les institutions d’État commencent à être bafouées de manière pernicieuse. De fait, le pays est devenu ingouvernable.

À midi, Boris Eltsine déclare illégales les actions du comité et prend ainsi la tête de la résistance.

Dans les jours qui suivront, François Mitterrand, avec son habituelle absence de flair en matière internationale, toujours une génération de retard, lira à la télévision la lettre du chef des putschistes, Guennadi Ianaïev, vice-président de l’URSS, l‘assurant qu’il fallait à tout prix éviter la désintégration du pays, que Gorbatchev était en sécurité,  etc…

Pour François Mitterrand, ce coup de force, qu’il prévoyait depuis des mois, des années même, ne pouvait que réussir. Il téléphona à John Major, Giulio Andreotti, Felipe Gonzales, Vaclav Havel, Lech Walesa, Brian Mulroney et George Bush et fit publier un communiqué prenant acte du coup d’État et affirmant le prix que la France attachait à ce que la vie et la liberté de MM. Gorbatchev et Eltsine soient garanties. 

L’ambassadeur d’URSS remit à Hubert Védrine, devenu depuis peu secrétaire général de la présidence une lettre du chef des conjurés, Guennadi Ianaïev, affirmant que les réformes seraient poursuivies et que Gorbatchev était sain et sauf. Ce soir-là, interrogé  à la télévision, François Mitterrand prit de nouveau acte du coup d’État, parlant des dirigeants soviétiques actuels et tournant la page :  Le coup a réussi dans sa première phase, nous le constatons, puisque Mikhaïl Gorbatchev est écarté du pouvoir et sans doute aujourd’hui sous surveillance de la police, donc pratiquement arrêté. Puis il lut la lettre qu’il venait de recevoir de Ianaïev.

Jacques Attali. Fayard 2012

21 08 1991  

A. Loukianov, président su Soviet suprême de l’URSS, part en Crimée rencontrer Mikhaïl Gorbatchev.

23 08 1991 

Gorbatchev est à la tribune du parlement de Russie, Boris Eltsine se lève, interrompt les débats et annonce que, pour détendre l’auditoire, il va signer un décret, qui n’est rien moins que la suspension des activités du Parti Communiste. Consternation dans l’assemblée, certains jubilent devant le fabuleux culot d’Eltsine, mettant à terre d’un trait de plume la force dirigeante du pays. Gorbatchev blêmit, proteste, mais, le comble ! se voit contraint par Eltsine à lire au parlement un document prouvant qu’à une exception, tous ses ministres soutenaient le coup d’État. Contraint à tous – sauf un – les virer,  Gorbatchev doit accepter pour les remplacer des hommes de Boris Eltsine.

24 08 1991   

Le secrétaire général du Parti Communiste demande l’autodissolution du Comité Central : c’est l’élimination définitive du Parti Communiste.

Ma foi dans les millions de membres du parti me faisait espérer qu’il serait possible de réformer radicalement le PCUS, de la transformer en une organisation démocratique, mais le coup d’État a anéanti cet espoir.

25 08 1991   

Échec du coup d’état tenté par les conservateurs contre Mikhaïl Gorbatchev, encore à la tête de l’URSS, grâce au soutien très conditionnel de Boris Eltsine, qui suspend les activités du PCUS. À Moscou, la statue de Dzerjinski, fondateur de la Tcheka, la police politique, est déboulonnée.

26 au 29 08 1991   

Le Soviet suprême est viré.

30 08 1991  

Le putsch a accéléré les tendances centrifuges. Si l’Union se désagrège, il est inutile de parler de réformes, c’est pourquoi je suis favorable à un amendement du Traité, mais son rejet serait une erreur. Je ferai tout pour éviter la désagrégation de l’Union, car je suis pour que s’accomplisse la volonté populaire exprimée par le référendum ; dans le cas contraire, je partirai.

Mikhaïl Gorbatchev

5 09 1991  

Le congrès des députés se saborde.

12 09 1991    

La France restitue à la Lituanie les 2,246 tonnes d’or que celle ci lui avait confiée en 1939.

20 09 1991   

Les troupes fédérales de Belgrade attaquent la Croatie.

23 10 1991  

Signés à Paris, les accords de paix au Cambodge mettent fin à 21 ans de guerre et placent le pays sous tutelle des Nations Unies jusqu’à la tenue d’élections libres, prévues pour le début 1993. Ce sera la plus grande, et la plus chère opération des Nations Unies, depuis 1945 : 22 milliards $, 22 000 hommes pendant 20 mois (plus 50 000 employés locaux). Les dollars ont vite été oubliés, mais les employés de l’ONU ont laissé aux Cambodgiennes environ 25 000 enfants, dont bon nombre sont porteurs du Sida.

6 11 1991 

Boris Eltsine dissout le PCUS.

14 11 1991 

Le prince Norodom Sihanouk, président du Conseil National Suprême du Cambodge, rentre à Phnom Penh après 13 ans d’exil en Chine.

18 11 1991

L’Américain Thomas Sutherland enlevé le 9 06 1985, et l’Anglais Terry Waite, enlevé le 20 01 1987, sont libérés… c’est toujours au Liban.

1 12 1991  

Les Ukrainiens votent en faveur de l’indépendance.

8 12 1991 

Les présidents de Russie – RSFSR -, Boris Eltsine, Biélorussie, Stanislaw Chouchkievitch,  et Ukraine, Leonid Kravtchouk, réunis dans une résidence de chasse au fond de la forêt de Bialovej, près de la frontière polonaise, signent l’acte de décès de l’URSS fondée en 1922. L’URSS devient tout d’abord, mais seulement pour quelques jours, la communauté des États slaves qui va céder sa place à la CEI : Communauté des États Indépendants, ouverte à tous les États membres de l’URSS qui voudraient la rejoindre. Dès le début, les États baltes et la Géorgie refusent de s’y joindre. Le remplacement d’États slaves par États indépendants a été voulue, voire imposée par Nursultan Nazarbaiev, prédisent du Kazakhstan, conscient de l’impossibilité de séparer brutalement des États aux intérêts et structures si imbriqués, depuis si longtemps. Le tout assorties d’une déclaration rédigée en faire part de décès :

… constatant que les négociations du nouveau traité de l’Union sont dans l’impasse ; que le processus de sécession et de formation d’États indépendants est un fait objectif, que l’URSS, en tant que sujet du droit international et réalité politique, n’existe plus.

 *****

Sept ans après son lancement, la perestroïka, que ses instigateurs avaient conçu comme une simple modernisation destinée à enrayer le déclin du pays, a abouti en définitive à un changement de régime. Plus, en mettant en mouvement des forces dont le contrôle leur a vite échappé (mouvement démocratique et mouvements nationaux), ils ont amené l’effondrement de l’URSS qu’ils voulaient plus que tout sauvegarder. En tout état de cause, la perestroïka  a provoqué une double rupture historique : elle a mis un terme non seulement à trois-quarts de siècle de communisme, mais aussi à l’empire pluriséculaire que le système était parvenu à maintenir.

Qui dit mort dit aussi héritage. Symbole et instrument de l’empire, l’Armée rouge était au premier chef, vouée au démembrement. Et de fait, à partir de 1990, la possession d’armées propres est devenue pour les républiques, avec la maîtrise du potentiel économique, le point central de l’exercice de la souveraineté. La parade des indépendances de l’après putsch devait tout naturellement aboutir à la constitution d’armées nationales. Certes, le 8 décembre 1991, les fondateurs de la Communauté des États Indépendants avaient bien reconnu la nécessité de maintenir un espace géostratégique et un commandement en chef communs, mais le poids spécifique de la Russie, tout comme la volonté des Occidentaux d’en faire le seul interlocuteur en matière de désarmement afin d’éviter la prolifération nucléaire, ne pouvait qu’alimenter la crainte des nouveaux États indépendants de voir un autre hégémonisme succéder à l’ancien. Les maigres résultats des sommets de la CEI, la querelle russo-ukrainienne sur le partage de la flotte de la Mer Noire, la recherche, enfin, par ces États  de nouveaux partenaires pour se soustraire à l’attraction exclusive de Moscou ne sont-ils pas autant d’indices des inquiétudes qu’ils nourrissent à l’égard du géant russe ?  En définissant clairement ses intérêts nationaux, celui-ci parviendra-t-il à vaincre les appréhensions des ses voisins les plus proches ?

Le passif économique constitue l’autre élément majeur de l’héritage. Dans sa longue résistance à l’introduction du marché, le pouvoir central a favorisé la segmentation de l’espace économique qui, ajoutée à la chute continue de la production et à l’hyperinflation, sont durement ressentis par la majeure partie de la population. Certes, le changement de régime a donné un élan à la libre entreprise, dessiné les linéaments d’une classe moyenne, mais le sentiment qui semble prévaloir pour le moment est celui de la dureté du quotidien et d’une accentuation des inégalités sociales génératrices de tension.

Roberte Berton Hogge

13 12 1991   

La tâche principale de ma vie est terminée. J’ai fait tout ce que j’ai pu. Je pense qu’à ma place, d’autres auraient renoncé bien avant.

Mikhaïl Gorbatchev

Nous sommes habitués à vivre ensemble. À communiquer. Nous sommes gens de communauté. Nous mettons tout en commun : et le bonheur et les larmes. Nous savons souffrir et parler de nos souffrances. Pour nous, la douleur est un art. Je dois avouer que les femmes s’engagent hardiment dans cette voie…

Svetlana Alexievitch. La guerre n’ a pas un visage de femme. 1985

O, nous aimions ces Russes. Chez nous, l’opinion commune les méprisait. La presse les tenait, au mieux, pour des brutes à cheveux plats, incapables d’apprécier les mœurs aimables des peuplades du Caucase ou les subtilités de la social-démocratie et, au pire, pour un ramassis de Semi-Asiates aux yeux bleus méritant amplement la brutalité des satrapes sous le joug desquels ils s’alcoolisaient au cognac arménien pendant que leurs femmes rêvaient de tapiner à Nice.

Ils sortaient de soixante-dix ans de joug soviétique. Ils avaient subi dix années d’anarchie eltsinienne. Aujourd’hui, ils se revanchaient du siècle rouge, revenaient à grands pas sur l’échiquier mondial. Ils disaient des choses que nous jugions affreuses : ils étaient fiers de leur histoire, ils se sentaient pousser des idées patriotiques, ils plébiscitaient leur président, souhaitaient résister à l’hégémonie de l’OTAN et opposaient l’idée de l’eurasisme aux effets très sensibles de l’euro-atlantisme. En outre, ils ne pensaient pas que les Etats-Unis avaient vocation à s’impatroniser dans les marches de l’exURSS. Pouah ! Ils étaient devenus infréquentables.

Je côtoyais les Russes depuis le putsch avorté de Guennadi Ianaïev en août 1991. Ils ne m’avaient jamais semblé rongés par l’inquiétude, le calcul, la rancune, ni le doute : vertus de la modernité. Ils me paraissaient des cousins proches, peuplant un ventre géographique bordé à l’est par la Tartarie affreusement ventée et à l’ouest par notre péninsule en crise. Je nourrissais une tendresse pour ces Slaves des plaines et des forêts dont la poignée de main vous broyait à jamais l’envie de leur redire bonjour. Me plaisait leur fatalisme, cette manière de siffler le thé par une après-midi de soleil, leur goût du tragique, leur sens du sacré, leur inaptitude à l’organisation, cette capacité à jeter toutes leurs forces par la fenêtre de l’instant, leur impulsivité épuisante, leur mépris pour l’avenir et pour tout ce qui ressemblait à une programmatique personnelle. Les Russes furent les champions des plans quinquennaux parce qu’ils étaient incapables de prévoir ce qu’ils allaient faire eux-mêmes dans les cinq prochaines minutes. Quand bien même l’auraient-ils su, ils n’atteignaient jamais leur but parce qu’ils le dépassaient toujours, précisait Madame de Staël. Et puis il y avait leur rugosité de premier abord. Un Russe ne faisait jamais l’effort de vous séduire : on n’est pas des portiers de Sheraton tout de même, semblaient-ils penser en vous claquant la porte au visage. En préalable, ils faisaient la gueule, mais il m’était arrivé de les voir m’offrir leur aide comme si j’avais été leur fils et je préférais ces imprévisibilités-là à celles des êtres qui décampaient au moindre nuage après vous avoir caressé le dos avec des familiarités de chatte.

Est-ce parce que l’Histoire s’était déchaînée sur eux avec la hargne de la houle sur un récif tropical qu’ils avaient développé une vision tragique de la vie, un goût pour la formulation permanente du malheur, une capacité à proclamer sans cesse l’inconvénient d’être né ?

Nous autres, latins, nourris de stoïcisme, abreuvés par Montaigne, inspirés par Proust, nous tentions de jouir de ce qui nous advenait, de saisir le bonheur partout où il chatoyait, de le reconnaître quand il surgissait, de le nommer quand l’occasion s’en présentait. Dès que le vent se levait, en somme, nous tentions de vivre. Les Russes, eux, étaient convaincus qu’il fallait avoir préalablement souffert pour apprécier les choses. Le bonheur n’était qu’un interlude dans le jeu tragique de l’existence. Ce que me confiait un mineur du Donbass, dans l’ascenseur qui nous remontait d’un filon de charbon, constituait une parfaite formulation de la difficulté d’être chez les Slaves : Que sais-tu du soleil si tu n’as pas été à la mine ?

Milan Kundera avait souvent déploré l’absence de rationalité dans la pensée russe. Il répugnait à ce penchant des compatriotes de Dostoïevski à toujours sentimentaliser les choses, à éclabousser la vie de pathos alors même qu’ils se rendaient coupables d’exactions. Et si c’était là la clé du mystère russe ? Une capacité à laisser partout des ruines, puis à les arroser par des torrents de larmes.

Ce voyage était certes une façon de rendre les honneurs aux mânes du sergent Bourgogne et du prince Eugène, mais aussi une occasion de se jeter de nids-de-poule en bistrots avec deux de nos frères de l’Est pour sceller l’amour de la Russie, des routes défoncées et des matins glacés lavant les nuits d’ivresse.

Sylvain Tesson. Berezina. Éditions Guérin. Chamonix. 2015

Cette rudesse russe n’est pas appréciée de tout le monde : Ils m’exténuent, ces Russes qui crachent leurs impressions comme on crache le sang, et c’est pourquoi, je n’use plus d’eux qu’à très petite dose, comme des liqueurs fortes.

Rainer Maria Rilke à Stefan Zweig, en 1904

16 12 1991  

Au Canada, le gouvernement octroie aux Inuïts un territoire dans l’Arctique baptisé Nunavut : ils y  ont les droits de pêche, chasse et exploitation du sous sol.

Les 15 anciennes républiques d’URSS ont proclamé à tour de bras leur indépendance et seront, pour la plupart admises à l’ONU en mars 1992. Mais le même mot peut avoir des sens différents selon les pays : une indépendance dans l’ex URSS, c’est une affirmation de souveraineté, mais ce n’est pas une autonomie totale, comme en Occident : la chose y serait tout simplement impossible.

9 02 91 : Lituanie ; 9 04 91 : Géorgie ; 9 09 91 : Tadjikistan ; 15 06 91 : Russie, Biélorussie ; 21 08 91 : Lettonie, Estonie ; 21 09 91 : Arménie ; 27 08 91 : Moldavie ; 27 10 91 : Turkménistan ; 30 08 91 : Azerbaïdjan ; 1 12 91 : Ukraine ; 31 08 91 : Ouzbékistan, Kirghizie ; 16 12 91 : Kazakhstan

Sur TF1, Patrick Poivre d’Arvor présente une interview de Fidel Castro dont il dit qu’il a eu l’exclusivité ; mais un mois plus tard, il s’avérera que c’était un gros mensonge puisqu’il était loin d’être alors seul journaliste avec Fidel Castro, qui donnait une conférence de presse. Il s’était fait filmer seul posant des questions et avait pris des réponses de questions posées par d’autres journalistes. Plutôt minable.

19 12 1991 

Le service militaire passe à 10 mois.

21 12 1991

À Alma Ata, les trois Slaves de la CEI – Russie, Ukraine, Biélorussie –  sont rejoints par l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Moldavie, le Kazakhstan et les quatre républiques d’Asie Centrale. La Géorgie n’a envoyé qu’un observateur. Il n’y a plus de pouvoir fédéral et Gorbatchev ne préside plus rien. Boris Eltsine a gagné.

L’accord fondant la CEI, signé à Alma Ata le 21 décembre 1991, ne couvrait pas tout l’espace ex-soviétique, Baltes et Géorgiens ayant refusé de s’y joindre. On voit ici l’utilité du concept étranger proche : il supplée à l’absence, dans la famille post-soviétique, de quelques-uns de ses membres, et précise que ce qui est tenu pour proche, c’est bien tout l’espace ex-soviétique dont, en dépit des indépendances reconnues, la Russie n’entend pas être exclue.

La communauté créée en 1991 est caractérisée dès le début par le nombre élevé d’instances mises sur pied et par le détail des procédures qui confèrent à l’ensemble au mieux l’allure d’une alliance parfaitement organisée, au pis – et plutôt – tous les traits d’une lourde bureaucratie condamnée à l’inefficacité. Au départ, l’organisation semble remarquable. Deux organes exécutifs – Conseil des chefs d’État, Conseil des chefs de gouvernement -, siégeant le premier deux fois l’an, le second tous les trimestres, sont complétés par un Conseil économique et un Conseil des ministres des Affaires étrangères. La CEI incarnant avant tout l’indépendance des Etats, tous les organes représentatifs de l’URSS dans les républiques sont dissous et remplacés par des organes de coordination et de coopération permettant d’harmoniser les intérêts nationaux et les objectifs de la CEI.

À partir de là naissent de multiples instances, destinées à transformer la CEI, forgée dans l’improvisation, en une véritable alliance. En mai 1992, c’est la signature du traité de sécurité collective de la CEI à Tachkent. L’année suivante, les membres de la Communauté adoptent une Charte et s’accordent sur le principe de la création d’une union économique. En 1994, Nursultan Nazarbaiev, le très actif président du Kazakhstan, propose la formation d’une Union eurasiatique dotée d’une monnaie unique, le rouble, et d’un commandement militaire intégré. Cette union a connu au fil des ans plusieurs variantes, toutes échouant à organiser une véritable coopération économique entre les Etats de la région. Mais la volonté conjuguée du président Nazarbaiev, attaché à faire vivre l’Union eurasiatique, et plus tard de Vladimir Poutine, inquiet de la politique du cavalier seul pratiquée par l’Ouzbékistan, a finalement abouti à une consolidation de cette communauté eurasienne. Appuyée sur L’Organisation de sécurité collective, elle pourrait, de l’avis du président russe, constituer à terme une CEI rénovée, ou prendre la forme d’une nouvelle union.

L’économie et la sécurité sont sans aucun doute, dans ces années initiales, les plus sûrs éléments de renforcement de la CEI. L’accord conclu à Moscou le 21 octobre 1994 sur l’Union de paiement montre l’importance du facteur économique. Mais les nouveaux Etats indépendants s’inquiètent aussi des problèmes de sécurité : frontières mal définies (Sud-Caucase, Transnistrie), ou dangereuses car menacées de l’extérieur (Tadjikistan de 1992 à 1997). La Russie croit trouver la réponse à leurs alarmes en proposant des projets d’intégration militaire, aussitôt repoussés par la plupart des États membres. Et lorsque, en 1999, se pose la question de la reconduction du pacte de sécurité collective signé en 1992, l’Ouzbékistan, l’Azerbaïdjan et la Géorgie (cette dernière avait, malgré ses réticences, rejoint la CEI en octobre 1993 et adhéré au pacte en 1994) décident de s’en retirer, alors que six autres Etats membres (Russie, Biélorussie, Arménie, Kazakhstan, Kirghizstan et Tadjikistan) sont favorables à sa prolongation et à la création d’une organisation de sécurité à contenu militaire.

C’est sous la présidence de Vladimir Poutine que cette organisation va enfin prendre forme. Il aura fallu deux rencontres à Chisinau, en 2001 et 2002, pour que naisse l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), que le président russe espère voir accepter comme un partenaire de l’OTAN. Les organes exécutifs politiques et militaires de l’Organisation sont installés à Moscou. Des forces communes de déploiement rapide sont mises en place et doivent être complétées par des forces de maintien de la paix. L’OTSC a pour vocation affichée d’assurer la défense de ses Etats membres, ainsi que la sécurité et la paix dans la région, de lutter contre le terrorisme et la criminalité internationale. Mais ces objectifs ambitieux n’ont jamais reçu les moyens militaires propres à les mettre en œuvre. Pourtant, on a bel et bien rêvé d’en faire l’OTAN de l’étranger proche. Au fil des années, la modestie des moyens militaires mobilisés a reporté sur la Russie et sur son armée l’essentiel des responsabilités. Le secrétaire général de l’Organisation est d’ailleurs un général russe, Nikolaï Bordiouja, qui avait commandé auparavant les gardes-frontières russes et assumé, entre 1999 et 2002, la protection des frontières d’un Tadjikistan sortant péniblement d’une longue guerre civile.

Le général Bordiouja se montre très prudent lorsqu’il décrit les objectifs de l’OTSC : Elle n’est pas supposée intervenir dans les affaires internes des Etats membres. Elle ne peut jouer pour eux au gendarme. Si des conflits internes surgissent, nous n’intervenons que par des mesures politiques. L’élément militaire de l’Organisation a pour seule raison d’être la défense des Etats membres contre une agression extérieure conduite par des tiers. Rassurer les membres de l’OTSC sur les ambitions et les pouvoirs de l’Organisation, prouver qu’il ne s’agit en aucun cas d’un Pacte de Varsovie ressuscité sous de nouveaux habits, telle a été la préoccupation constante du président russe, qui s’est employé à montrer que la liberté des membres d’aller et venir au sein de l’Organisation, de s’en séparer, d’accepter certaines de ses missions mais non pas d’autres, relevait de leur souveraineté, et que l’adhésion au traité ne limitait en rien leur indépendance. Dans une interview récente, Andrei Denissov, premier vice-ministre des Affaires étrangères de Russie, a précisé que la CEI tout entière fonctionnait sur la base du consensus. Chaque État membre dispose d’un droit de veto sur chaque décision. En pratique, tout repose sur le principe de la géométrie variable, chaque Etat étant libre de décider à quel projet il souhaite participer et à quel projet il refuse de prendre part.

Au début des années 2000, alors qu’il arrive à la direction de la politique russe, Vladimir Poutine hérite donc d’une CEI au bilan très incertain. Malgré les ambitions affichées à l’aube de son existence, malgré la lente mise en place d’une instance de sécurité collective dont il hésitera toujours à préciser les tâches, le président russe semble alors peu enclin à accorder à l’étranger proche une place privilégiée dans sa stratégie. Peut-être juge-t-il la CEI peu efficace, trop instable dans sa composition ? Certains observateurs russes disent carrément qu’elle ne sert à rien ; qu’elle obère, au contraire, les relations bilatérales avec les pays de l’étranger proche, et qu’elle serait dans un état voisin de la mort.

L’une des grandes faiblesses de la CEI a toujours été la variabilité constante de sa composition : l’Ukraine, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan ont, par moments, bruyamment manifesté à son endroit une volonté de séparation et ignoré de manière ostentatoire les projets et structures de sécurité collective. Plus grave encore : le 13 octobre 1997, la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie se sont unis pour former un groupement nouveau, le GUAM, qui devient GUUAM le 23 avril 1999 avec l’adhésion de l’Ouzbékistan. Le GUAM, avec un ou deux U, constitue pour la Russie un véritable défi. Entente entre Etats soucieux d’affirmer leur différence avec elle, ses membres le présentent volontiers comme une alliance anti-CEI, en quête d’appuis occidentaux. Au sein de cette instance, le rôle central de l’Ukraine, qui ne cherche pas à dissimuler son hostilité à la CEI et à la Russie, est particulièrement troublant pour Moscou. Au cours de cette même période, la Russie n’a pourtant pas ménagé les efforts de rapprochement avec Kiev, concluant le 28 mai 1997 un accord de partage sur la flotte de la mer Noire, puis, trois jours plus tard, lors d’une rencontre au sommet entre présidents russe et ukrainien, signant un traité d’amitié et de coopération que renforcera, le 28 février 1998, la signature d’un accord décennal de coopération économique. En apparence, les tensions entre les deux pays tendent alors à s’apaiser, mais la naissance du GUAM témoigne de la précarité de ce rapprochement. Ne serait-ce pas une version politique du meurtre du père ? suggèrent des observateurs russes, tels Andranik Migranian ou Alexandre Tsipko, inquiets de la perte continue du prestige de la Russie dans cet étranger proche.

[…] C’est de ce décalage entre les ambitions affichées par la CEI et les relations réelles en son sein que Vladimir Poutine doit prendre la mesure au début des années 2000. Est-ce cela qui explique l’indifférence qu’il manifeste dans un premier temps à l’égard de l’étranger proche ? ou bien cette indifférence est-elle la conséquence d’une orientation qui privilégie alors les relations avec les Etats-Unis ? C’est l’époque d’un premier Poutine qui n’a pas encore déploré la catastrophe géopolitique que représente la fin de l’URSS. Et le 11 septembre 2001 n’est pas loin, qui va lui permettre de mobiliser tous les moyens pour tenter d’édifier le partenariat rêvé avec les Etats-Unis. Mais l’idylle sera assez brève et, en 2004, l’heure des comptes est venue. L’attention du président russe se reporte dès lors sur l’étranger proche qu’il a imprudemment ouvert aux Etats-Unis et qui est en train de devenir une zone privilégiée de l’activisme américain, symbole de l’union sacrée contre le terrorisme. Se pose désormais pour de bon la question du statut de la Russie dans cet étranger proche. Sans doute, dès son premier mandat, Vladimir Poutine avait-il déclaré qu’il accordait la plus grande attention aux Etats de la CEI. À la veille de son élection, il s’était rendu au Tadjikistan et en Ouzbékistan ; puis il était revenu à Tachkent, en mai 2000, en poursuivant son périple au Turkménistan. Il avait alors proposé aux Etats de l’Asie centrale d’organiser des actions communes contre le terrorisme qui les menaçait directement, l’Afghanistan étant à leurs frontières. Mais il faut attendre la déception de 2003 pour que Poutine passe des déclarations d’intentions à de réels efforts dans la région. Deux raisons expliquent ce changement de comportement vis-à-vis de l’étranger proche. Vladimir Poutine a pu constater que les Etats-Unis avaient tiré un avantage considérable des facilités qu’il leur avait offertes en Asie centrale : utilisation des bases militaires de Manas, en Kirghizie, et de Kharchi-Khanabad, en Ouzbékistan. Jusqu’alors, les Etats-Unis n’avaient guère manifesté d’intérêt pour cette région. Mais soudain, en y prenant pied, ils en ont découvert l’importance stratégique et la richesse énergétique. D’autre part, et c’est peut-être le constat le plus amer pour lui, Poutine aura vraisemblablement considéré que les facilités concédées en Asie centrale à Washington faisaient partie d’un marché tacite impliquant la reconnaissance par les Etats-Unis du rôle propre à la Russie dans l’étranger proche. En d’autres termes, il a certainement pensé que Washington reconnaîtrait l’étranger proche comme zone d’influence de la Russie. Si ce marché ne fut jamais explicité, il n’est guère douteux qu’il ait été ainsi entendu à Moscou. Et que, à Washington – la suite des événements en témoigne -, il n’ait jamais été question de reconnaître à la Russie une quelconque zone d’influence. Malgré le coup tragique reçu le 11 septembre 2001, les États-Unis restaient convaincus d’être toujours la seule puissance mondiale.

Hélène Carrère d’Encausse. La Russie entre deux mondes. Fayard 2010

Hélène Carrère d’Encausse publiera en 2015 un Six années qui ont changé le monde 1985-1991 chez Fayard. Jean-Louis Thiériot, dans le Figaro Histoire de décembre 2015-Janvier 2016 N° 23 en fait le résumé : Crise en Ukraine, héritage de la dissolution de l’Union soviétique ; annexion de la Crimée, héritage de la politique soviétique des nationalités ; débats sur la poussée de l’Otan vers l’est, héritage du démembrement du pacte de Varsovie ; base russe de Lattaquié et de Tartous en Syrie, héritage de la diplomatie soviétique. Le fantôme de feu, l’URSS, hante le présent. La disparition de l’empire édifié par Lénine a changé le visage du monde.

Le dernier livre d’Hélène Carrère d’Encausse, Six années qui ont changé le monde, 1985-1991, la chute de l’Empire soviétique, est un passionnant traité de décomposition. Avec l’esprit de synthèse qui est le sien, l’historienne brosse la chronique d’un éclatement que nul ne se serait risqué à pronostiquer sérieusement, à l’exception notoire d’un Soljenitsyne qui, dans une interview à Bernard Pivot en 1976, avait fait part de sa certitude prophétique qu’un jour il reverrait la Russie, libre. Lire Carrère d’Encausse, c’est comprendre comment finissent les empires en trois leçons.

Il faut d’abord qu’ils soient fatigués. L’URSS des années 1980, c’est le paradis des spectres blanchis. C’est un monde qu’on a oublié. Des vieillards cacochymes règnent sur le Kremlin, Brejnev jusqu’en 1982, puis Andropov, ancien chef du KGB jusqu’en 1984, Tchernenko enfin jusqu’à sa mort en mars 1985. La puissance militaire semble formidable. Face à la trouée de Thuringe et au corridor de Fulda, les forces de l’Otan craignent le déferlement de celles du pacte de Varsovie. Mais l’économie marque le pas, l’agriculture ne nourrit plus le pays, l’alcoolisme ronge la population et la démographie s’effondre. La guerre d’Afghanistan et la relance de la course aux armements engagée par Ronald Reagan, avec notamment l’initiative de défense stratégique, épuisent des maigres ressources encore réduites par la baisse des prix du pétrole. Le géant est un colosse aux pieds d’argile. C’est le temps de la stagnation, duzastoïen russe. Les privations auraient pu être surmontées si les masses avaient cru encore aux espérances radieuses du socialisme ou si la répression avait été aussi sévère qu’elle le fut sous Staline. Mais le mensonge ne trompe plus personne. Une anecdote fait alors fureur dans l’espace soviétique. Le maître de l’URSS se trouve à bord d’un train qui tombe en panne. Lénine aurait dit : Fusillez le conducteur ; Staline : Tous les passagers au goulag ! ; Brejnev, lui, se contente de dire calmement : Baissez donc les rideaux, on ne verra plus que le train est arrêté. Mikhaïl Gorbatchev trouve le pays dans cet état lorsqu’il est nommé secrétaire général du parti communiste le 11 mars 1985.

Pour éviter la dissolution de l’empire, il aurait fallu un dirigeant résolu, doté d’une vision claire. C’est la deuxième leçon. Le grand intérêt du livre d’Hélène Carrère d’Encausse est le portrait en creux qu’elle brosse de Gorbatchev. Pur produit de la nomenklatura soviétique, il apparaît hésitant, fin manœuvrier, mais dépourvu de stratégie à long terme. Intelligent, cultivé, amateur des génies frappés d’interdit par le régime comme Akhmatova, Pasternak, Boulgakov ou Berdiaev, époux de l’élégante Raïssa, le contraste est saisissant avec les gérantes auxquels il succède. Son règne sera celui du malentendu. Les Occidentaux croient que c’est un libéral. En fait, c’est d’abord un communiste qui s’efforce de sauver le système en le réformant. La perestroïka – la réforme – est une tentative désespérée de préserver ce qui peut l’être. Publié en 1987, Perestroïka, une nouvelle pensée pour notre pays et pour le monde, revendique encore Lénine comme source d’inspiration. Mais en même temps, répugnant à la violence, à la répression, à la censure, il subit les événements. La catastrophe de Tchernobyl en 1986 l’oblige à révéler les dysfonctionnements du système. La glasnost – la transparence – devient le nouveau mot d’ordre. La parole se libère. C’est le temps de la libération de Sakharov en décembre 1986. L’élite intellectuelle est aux avant-postes du combat. Quelques mois plus tard, lors de la XIX° conférence du parti en 1988, Gorbatchev est contraint d’ouvrir la voie au multipartisme. Il faut lire l’opus entier pour suivre les péripéties et les soubresauts de la fin de l’URSS.

Ce qui frappe, c’est le contraste entre l’impopularité de Gorbatchev à l’intérieur, combattu par les progressistes et les membres les plus conservateurs du parti et sa popularité à l’extérieur. Ce sont les affaires étrangères qui le préoccupent au premier chef. S’appuyant sur le Géorgien Edouard Chevardnadze, il met un terme à la guerre froide dont il mesure qu’elle ne peut plus être gagnée. En 1987, à Washington, il signe le premier accord de désarmement stratégique. En 1988, il proclame son intention de quitter l’Afghanistan dans les neuf mois. En 1989, s’ouvrent les premières négociations sur le désarmement conventionnel en Europe. Très vite, l’histoire s’accélère. Le bloc soviétique s’effondre. En un an, de Varsovie à Bucarest, en passant par Prague, Budapest, et surtout Berlin, une à une, les démocraties populaires cèdent la place. La doctrine Brejnev est abandonnée. Le temps des chars russes écrasant le printemps de Prague est terminé. Le 3 octobre 1990, l’Allemagne est réunifiée. Fêté dans le monde entier, Gorbatchev reçoit le 15 octobre 1990 le prix Nobel de la paix. C’est la fin de la séquence glorieuse. Car pendant ce temps, l’URSS se délite. La question nationale fait son grand retour.

La troisième leçon est le rôle crucial que peut jouer un adversaire résolu s’appuyant sur un profond ressort populaire. Boris Eltsine est cet homme-là. Depuis 1988, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et surtout les pays Baltes revendiquent la souveraineté que leur reconnaît théoriquement la Constitution fédérale de l’URSS. Mais l’irruption de la question russe sur la scène politique précipite la fin de l’empire. Le 29 mai 1990, Boris Eltsine est élu triomphalement à la tête du Parlement de Russie. Il est en tout point le contraire de Gorbatchev. Massif, brutal, porté sur la vodka, proche du peuple, mystique à ses heures, il sent d’instinct l’esprit du peuple russe. C’est à l’extérieur, où sévit la Gorbymania, que Gorbatchev se sent le plus à l’aise. C’est à l’intérieur que Boris Eltsine est chez lui. Le 12 juin 1990, il proclame la souveraineté de la Russie. L’Ukraine et la Biélorussie lui emboîtent le pas. Le 12 juillet 1990, il démissionne avec fracas du parti communiste, expliquant qu’ayant été élu président du Soviet suprême d’une Russie où le pluripartisme est instauré, il craint que sa fonction n’entre en conflit avec les décisions du PC d’Union soviétique. Le parti communiste ne s’en remettra pas. Le XXVIII° congrès sera le dernier. L’URSS entre en agonie. Le 12 juin 1991, Boris Eltsine est élu président de la Russie avec près de 60 % des voix, avec l’onction du suffrage universel que n’a jamais détenu son rival du Kremlin. Alors que Mikhaïl Gorbatchev conserve ses habits de chef nommé par le parti d’une fédération qui se vide de sa substance, Eltsine fait le plein de symboles. Le 10 juillet, lors de son discours d’intronisation, il invoque l’histoire de la Sainte Russie, saint Vladimir qui la christianisa, saint Serge de Radonège qui anima la résistance contre les Tatars, Pierre le Grand et Catherine II qui forgèrent l’Etat. Le patriarche de toutes les Russies bénit cette renaissance, l’hymne Gloire à notre tsar russe clôt la cérémonie. Le putsch du 19 août 1991 achève de discréditer Mikhaïl Gorbatchev. Ce jour-là, le Premier ministre d’URSS Pavlov, le chef du KGB Krioutchkov et le ministre de la Défense lazov tentent de refaire le coup qui avait permis de démettre Khrouchtchev en 1964. Ils déclarent Gorbatchev malade et prennent la tête d’un comité d’Etat pour l’état d’urgence. Réfugié à la Maison-Blanche, le siège du Parlement de Russie, Eltsine tient bon. L’image du président russe haranguant la foule, juché sur un char fait le tour du monde. L’armée ne suit pas. Le coup d’Etat échoue. Boris Eltsine s’offre le luxe de faire libérer son rival assigné à résidence dans sa villa de Foros. Mais le 23 août, le parti communiste est interdit. Gorbatchev, qui raisonne toujours en termes d’organisation politique tente de rester dans le jeu en invoquant son statut de président de l’URSS. Sans succès. L’empire qui a fait trembler le monde finit sans gloire le 8 décembre 1991. Réunis dans la forêt de Beloveje près de Minsk, les trois présidents des républiques d’Ukraine, de Biélorussie et de Russie proclament que l’URSS, comme sujet de droit international et réalité géopolitique, cesse d’exister. La Russie se déclare Etat continuateur de l’URSS. Mikhaïl Gorbatchev n’a même pas été convié pour donner l’absoute. Le 25 décembre, les codes de l’arme nucléaire soviétique sont transmis au président de la Russie. Le moujik a triomphé de l’apparatchik. Amputée de son empire, la Russie, comme nation, est de retour.

Jean-Louis Thiériot. Le Figaro Histoire N° 23 Décembre 2015-Janvier 2016

25 12 1991     

Boris Eltsine envoie ses gardes au Kremlin pour intimer l’ordre à Gorbatchev de quitter les lieux. Prenant acte de son impuissance à faire aboutir un Traité de l’Union, celui-ci démissionne de ses fonctions : En raison de la situation qui s’est créée avec la formation de la CEI, je mets fin à mes fonctions de président de l’URSS. Je prends cette décision en raison de la situation actuelle. J’ai défendu fermement l’autonomie, l’indépendance des peuples, la souveraineté des républiques. Mais je défends aussi la préservation d’un État de l’Union, l’intégrité du pays. Les événements ont pris une tournure différente. La ligne du démembrement et de la dislocation de l’État a prévalu, ce que je ne puis accepter. Et après la rencontre d’Alma-Ata ma position à ce sujet n’ pas changé. En outre, je suis convaincu que des décisions d’une telle envergure auraient dû être prises sur la base de l’expression de la volonté du peuple.

Mikhaïl Gorbatchev. Allocation télévisée du 25 décembre 1991.

26 12 1991 

Le 1° tour des législatives en Algérie apporte 48 % des voix au FIS, c’est à dire une victoire assurée au deuxième tour : celui-ci, prévu pour le 16 01 1992, va être annulé. Le 12 janvier 1992, le président Bendjedid démissionne, le processus électoral est stoppé. Un haut comité d’Etat de cinq membres, présidé par Mohamed Boudiaf, un historique du FLN, est mis en place pour assumer les pouvoirs du président. et le 4 mars, le FIS sera dissous : 4 ans plus tard le pays s’enfoncera dans le cauchemar quotidien des assassinats aveugles. C’est le coup d’Etat des janviéristes qui va plonger l’Algérie dans une décennie de guerre entre l’armée et les islamistes armés faisant, selon les sources, entre 60 000 et 150 000 morts et des milliers de disparitions forcées. On est en droit de s’interroger sur l’origine de ce FIS, l’Algérie s’étant jusqu’alors beaucoup plus fait remarquer par une farouche volonté d’indépendance que par une lecture intégriste du Coran. C’est beaucoup plus simple que ce l’on pourrait croire : le gouvernement, s’étant soucié d’une arabisation des contenus d’enseignement avait remercié les coopérants techniques français et, pour les remplacer, n’avait trouvé mieux que les Frères Musulmans, venus qui d’Egypte, qui de Syrie, que Nasser avait déjà cherché, en vain, à mettre au pas !

31 12 1991   

Dépôt de bilan de La 5. (5° chaîne de télévision française)

Les Banques suisses ne s’attendaient pas à être concernées par la décomposition si rapide de l’URSS. La Russie  hébergeait alors environ 7 millions de Juifs du silence comme les nomme Elie Wiesel, 7 millions de juifs apparentés aux victimes de l’Holocauste, lesquels avaient des comptes en Suisse :

Avant l’effondrement de l’Union soviétique, la moindre tentative de prise de contact avec une banque suisse était une entreprise mortellement dangereuse. La fille ou le fils d’un juif victime de l’Holocauste qui téléphonait à Zurich et y prenait un avocat, ou se rendait lui-même en Occident, devenait automatiquement suspect au yeux du KGB.

Tout a changé depuis 1991. C’est la libre circulation des personnes, tout le monde a le droit de voyager. Et, depuis cette date, toutes les semaines, des dizaines de descendants de pères, de mères, de frères et sœurs ou de grands-parents assassinés à Maidanek, Buchenwald, Treblinka ou Babi-Yar se présentent à Zurich… où ils se font refouler pour des finasseries juridiques.

[…] À la demande du gouvernement israélien, le Congrès juif mondial a pris depuis 1992 la défense de ces créanciers éconduits, faisant de ce sinistre passé, de l’hypocrisie et du mensonge des gnomes un sujet de débat international.

[…] Nul n’a plus exactement ni plus intelligemment décrit que Durrenmatt le subconscient des puissants en Suisse, leur hybris, leur insondable hypocrisie.

Jean Ziegler. La Suisse, l’or et les morts. Seuil 1997

Création de la BERD : Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement… des pays de l’ex Europe de l’Est. En fait Jacques Attali, ex conseiller de François Mitterrand, nommé directeur, ne fera guère que donner libre cours à ses goûts fastueux, ce que n’apprécieront pas du tout les Anglais, choqués de voir ce parvenu se conduire ainsi au cœur de la City. Il sera remplacé le 18 08 1993  par un banquier beaucoup plus respectable : Jacques de Larosière, ancien gouverneur de la Banque de France.

On n’est pas encore sûr que l’Europe puisse reconstruire l’Est, mais on l’est déjà pour ce qui est de ses capacités à détruire l’ouest : Marx Tharaud est né à l’île d’Yeu. Il navigue sur La Gorgone. La France s’est engagée vis à vis de l’Europe à réduire le nombre de ses bateaux de pêche. Contre de l’argent, les patrons pouvaient les casser, les donner à la plaisance ou les couler sans autre forme de procès. Marc choisit la dernière solution, pour rembourser ses dettes. Il prit 40 millions de centimes et partît à la pointe du Châtelet  noyer La Gorgone. Un jour sans vent, mais un jour terrible :

Toute ma vie, on m’avait appris que couler un bateau était un délit. Et là, on nous donnait des sous pour le faire, c’était horrible. C’est comme si on vous payait pour brûler votre commerce, mais c’est pire. Un bateau, c’est plus qu’un stock, un engin ou un magasin. Il a une âme, c’est notre vie. J’ai eu mal, surtout qu’il ne voulait pas couler. Avec mon père, on a attendu 5 heures, toute la journée à le regarder flotter à demi-plein d’eau. Tu débarques de ton bateau qui t’a fait vivre depuis vingt ans, et t’attends sur un autre. T’as pas l’air fin, tu penses. C’est l’épreuve la plus douloureuse de ma vie.

Propos recueillis par Télérama du 16 juillet 1997. N° 2479.

Je vous accorde que les pays riches sont loin d’en faire assez, mais c’est quand même étonnant de constater que, trois mois à peine après la fin de la guerre froide, chez les Occidentaux, il n’était plus question que d’aide à la Russie. Il y a là une grande première dans l’histoire humaine.

René Girard. Quand ces choses commenceront. Arléa 1994

Normalisation au Liban, sous influence syrienne. 39 pays s’engagent à ne pas exploiter l’Antarctique pendant 50 ans.

Françoise et Laurent se baladent en Andalousie et rendent visite à un oncle maternel de Françoise. Vieux républicain, il se retrouve dans une maison de retraite tenue par des religieuses, et y est fort bien : le temps de la haine est passée, celui de la réconciliation est arrivé. Et il n’est pas besoin de passer des années dans le pays pour voir que c’est là une évolution générale : le partage d’un pouvoir quasiment symbolique, – mais un symbole peut peser très lourd, en la personne de Juan Carlos, le roi, – avec un gouvernement de gauche, démocratiquement élu, en la personne de Felipe Gonzales aura rarement eu plus d’effets bénéfiques : ils ont tiré un trait sur la guerre d’Espagne, sur le franquisme, et toute l’Espagne, joyeuse et libérée, a suivi.

Des amis des parents de Françoise, vivent à St Affrique depuis la fin de la 2°guerre mondiale ; M. Blanco est un ancien capitaine de l’armée républicaine : dans les années 83, le consulat d’Espagne de Montpellier l’a contacté lui demandant de remplir un dossier pour faire valoir ses droits à la retraite d’ancien combattant ; bien sûr, la mesure valait pour tous les anciens combattants républicains émigrés à droite à gauche ! Existe-t-il un gouvernement français qui aurait su faire cela ?

Prabhakaran, le chef des Tigres Tamoul, – LTTE, mouvement indépendantiste du Sri Lanka -, commandite l’assassinat de Rajiv Gandhi, pour être intervenu militairement au Sri Lanka en 1987 et 1989 pour une mission de maintien de la Paix. Il se prive ainsi de son plus précieux soutien : l’Inde, dans le sud-est de laquelle se trouve une forte minorité Tamoul.

En France, principalement dans le sud, nombreuses révoltes d’enfants de harkis.

15 01 1992 

La CEE reconnaît l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie, et le 6 04, de la Bosnie. Ces républiques seront admises à l’ONU le 22 05.

20 01 1992

Un Airbus en provenance de Lyon Saint-Exupéry a commencé sa descente sur Strasbourg et s’écrase en forêt, près du sommet du Mont Sainte Odile ; les arbres ont amorti en partie le choc ; sur les 96 passagers et membres d’équipage, on compte 87 morts et 9 survivants qui attendront les secours plus de quatre heures, dans la nuit. Près de quatre ans plus tôt un autre Airbus s’était déjà écrasé sur le Mont Sainte Odile.

29 01 1992 

Bernard Tapie s’invite à un meeting du FN, à Orange (Vaucluse), auquel il n’a pas été convié, et se paie les supporters de Le Pen, qui mettent un temps certain à se rendre compte qu’il se font rouler dans la farine. L’écrivain André Bercoff – son ami – racontera la scène. Tapie prend le micro, les huées couvrent presque son discours. Il attaque, sur le thème de l’immigration, provocateur : On prend tous les immigrés, on les met sur un bateau, on les emmène très loin d’ici. La foule acclame, surprise. Tapie reprend : Et quand ils sont loin, pour être sûrs qu’ils ne reviennent pas, on coule les bateaux. Le public est aux anges. Soudain, Tapie adopte un autre ton, et lance : Je ne me suis pas trompé sur vous. J’ai parlé d’un massacre, et vous avez applaudi. Demain, au moment de vous raser ou de vous maquiller, lorsque vous vous verrez dans la glace, gerbez-vous dessus… La fin du meeting est assez houleuse, évidemment… Habes duas et bene pendentes, disaient au Moyen-Âge les cardinaux en examinant les roustons du pape, histoire de vérifier que ce n’était pas une femme.

janvier 1992 

L’inflation en Russie est de 200 %. Sur l’ensemble de l’année, elle va être de 2 600 %, et sur l’ensemble de l’année 1993, de 1 000 % ! Evidemment, les revenus légaux ne suivent pas, et les plus à la traîne sont les retraites. Ne peuvent suivre pareille inflation que les escrocs, les voyous et les corrompus.

6, 7 02 1992  

Boris Eltsine est reçu en France : François Mitterrand a mis les petits plats dans les grands en le logeant au Grand Trianon, lui servant du chef d’un vieux et grand pays, et d’une jeune démocratie à l’aube d’une renaissance. En privé, il tenait un autre langage : Vous verrez, cela finira très mal. Même la Russie s’en ira en morceaux. À moins qu’un général ne la ramasse. Là, il n’était pas trop loin de ce qui arrivera, sinon que ce ne sera pas un général, mais un KGbiste… choisi par Eltsine.

7 02 1992    

Signature du Traité sur l’Union Européenne : Traité de Maastricht : une date butoir est fixée pour l’institution de la monnaie unique : UEM, et de la création de la Banque Centrale : 1999.

8 02 1992   

16° JO d’hiver à Albertville. On aura coulé beaucoup de béton, construit pas mal d’autoroutes mais l’accès aux stations de la Maurienne restera encore difficile en période d’affluence et de mauvais temps. Le roi de la journée, c’est Philippe Decouflé, petit zozo passionné de 30 ans, ainsi se qualifie-t-il lui-même : Je ne me retourne jamais sur mon passé, mais oui, sincèrement, ce 8 février 1992 reste l’un des plus beaux jours de ma vie. Jamais on ne fait confiance à un artiste de 30 ans en lui filant les clés de la réussite avec 100 millions de francs. J’avais quatre thèmes à respecter : la couleur, la jeunesse, le dynamisme de la France et la pureté du geste sportif. J’étais jeune, dynamique, j’adorais les couleurs. Je me suis dit : inutile de traiter ces sujets, ils seront induits. Je vais me concentrer sur la pureté du geste sportif et la beauté du mouvement. Et on a déliré. Pendant un an. Avec une équipe géniale.

Ce jour-là, il faisait beau ! Pas un nuage ! C’était un pari insensé, hein ? Sous la pluie, c’était cuit ! Quand j’ai vu le soleil le matin, j’ai su qu’on avait gagné. Quelle joie !

L’impression que tout mon univers graphique et musical, de Devo à Jean-Paul Goude, en passant par Alvarez et Cunningham, tous ces spectacles que j’avais vu avec ferveur, ces influences que je revendiquais, à la fois américaines, surréalistes, punk-rock, ces artistes formidables, dont je m’étais entouré, ces troupes jusque là obscures qui avaient adhéré au projet, soudain, j’en étais le catalyseur et je balançais tout ça à la face du monde. Et ça lui plaisait, au monde. Et c’était merveilleux.

Philippe Decouflé. Le Monde magazine n° 71. 22 01 2011

03 1992 

Création de la Coalition pour la Défense de la République (CDR), qui rassemble les ultras hutus du Rwanda : elle organise des milices (milices interahamwes). Massacre de Tutsis dans le Bugesera.

12 04 1992    

La France se laisse coloniser sans résistance : Disneyland se pose à Marne La Vallée.

2 05 1992

La CEE et l’AELA – Association Européenne de Libre Échange (Autriche, Finlande, Islande, Liechtenstein, Norvège, Suède, Suisse) signent le traité qui instaure l’EEE : Espace Économique Européen.

5 05 1992   

Philippe Séguin [1943-2010] dépose une exception d’irrecevabilité au projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht par référendum fixé pour le 20 septembre prochain. Celle-ci est rejetée, et le oui l’emportera de justesse avec 51.04 % des voix pour une participation de 69.07%. Il aura tout de même mouillé sa chemise pendant près de deux heures.

[…] La logique du processus de l’engrenage économique et politique mis au point à Maastricht est celle d’un fédéralisme au rabais fondamentalement antidémocratique, faussement libéral et résolument technocratique. L’Europe qu’on nous propose n’est ni libre, ni juste, ni efficace. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution : 1992 est littéralement l’anti-1789. Beau cadeau d’anniversaire que lui font pour ses 200 ans les pharisiens de cette république qu’ils encensent dans leurs discours et risquent de ruiner dans leurs actes […]

Philippe Seguin

De plus amples extraits figurent dans la rubrique Discours

23 05 1992 

La Mafia règle son compte au juge Falcone et à quelques autres, dont Francesca Morvillo, son épouse et trois hommes de son escorte. Il  était parvenu à faire parler le mafieux Tomasso Buscetta, donnant ainsi naissance au statut des repentis.

Ce 23 mai 1992, il était 16 h 40 lorsque le jet des services secrets, un Falcon 50, atterrit à Palerme avec Falcone et son épouse à bord. Très peu de personnes connaissaient les allers et venues de ce magistrat devenu le pourfendeur de la Mafia depuis le maxi-procès de 1987 dans lequel comparurent près de cinq cents accusés, dont Toto Riina, le parrain des parrains.

À 17 h 50, Falcone prit le volant d’une Fiat Croma blindée. Un convoi de trois Croma banalisées s’engagea discrètement sur l’autoroute, en direction de Palerme. Tout paraissait tranquille. Dans tous les pays du monde, les soirées des samedis sont particulièrement douces et ensommeillées lorsque pointent les premières chaleurs. Trois policiers avaient pris place dans la Croma marron qui ouvrait le convoi et trois autres dans la Croma bleue qui le fermait. Le juge Falcone conduisait la Croma blanche, Francesca était à ses côtés tandis que son garde du corps, Giuseppe Costanza, se tenait à l’arrière, prêt à toute éventualité. Les Fiat étaient blindées, car on ne sait jamais quand et là où la pieuvre pouvait frapper dans un pays tel que la Sicile… Les trois voitures roulaient à faible distance les unes des autres, les compteurs marquaient cent-soixante kilomètres à l’heure. Les faubourgs n’étaient plus qu’à quelques minutes.

À 17 h 59 exactement, une explosion titanesque ébranla la campagne. Les Croma furent projetées dans un cratère de huit mètres de profondeur et de cent mètres de diamètre. Les quatre occupants de la Fiat marron périrent sur le coup ainsi que Francesca, l’épouse du juge. Giovanni Falcone, relevé dans un état désespéré, décéda lors de son transport vers l’hôpital, tandis que Giuseppe Costanza en réchappa miraculeusement.

Une charge de 400 kg de tolite avait été placée sous la chaussée, dissimulée à l’intérieur d’une canalisation, au lieu-dit Capaci. Des témoins avaient d’ailleurs remarqué quelques jours plus tôt, qu’une équipe d’ouvriers d’entretien des autoroutes italiennes, en tenue jaune, s’affairaient sous un passage piétonnier. D’autres avaient noté qu’un avion de tourisme survolait les lieux au moment de l’attentat et l’hypothèse d’une déflagration commandée à partir de ce mystérieux aéronef nourrissait la rumeur.

Selon la télévision italienne, le juge enquêtait sur une affaire de pots-de-vin versés pour l’attribution de marchés publics milanais et dont une partie avait été transférée sur des comptes en Suisse. La quotidien milanais Corriere della Sera titra même L’ombre des comptes bancaires suisses plane sur l’attentat de Palerme

Maurice Gouiran. Les sang des Siciliens. Éditions Jigal 2009

23 mai 1992, le Juge Falcone est assassiné… – ANTIMAFIA.net

Le maxi procès de 1987 à Palerme s’était terminé sur 465 condamnations dont 19 à perpétuité incompressible. Mais, cette condamnation n’était pas acquise tant qu’elle n’aurait pas été confirmée par le procès en cassation, à Rome. Mais là, les arrangements avec la mafia assuraient celle-ci de voir les peines prononcée à Palerme annulées par Rome, en cassation ; c’était la situation à ce moment-là ; mais, peu après, Giovanni Falcone avait été nommé à Rome, à la direction des procès contre la mafia, et s’était empressé de désorganiser le système en place en remplaçant la stabilité des juges par un système de rotation qui mettait à bas les grands et petits arrangements avec la mafia. Il avait déclaré à ses proches : tant que la mafia est en attente du verdict de la cassation, nous sommes tranquilles… après, c’en sera fini de la tranquillité. À des journalistes qui lui demandaient comment il s’arrangeait de la peur, il avait répondu : personne ne peut évacuer la peur… elle est là, il faut faire avec… le seul bouclier, c’est le courage. Toto Riina, de la famille des Corleonesi, avait commandité cet attentat contre le juge Falcone pour prouver sa puissance militaire et ainsi se mettre en position de discuter avec le pouvoir politique pour mettre fin aux attentats. Le juge Paolo Borsellino avait fait savoir son opposition à cette discussion avec la mafia : il le paiera aussi de sa vie le 19 juillet suivant : sa voiture explosera à Palerme, tuant aussi cinq membres de son escorte. Toto Riina sera arrêté le 15 janvier 1993 et mourra en prison en 1997. Après son arrestation, la police et la justice laisseront à ses tueurs le temps de vider son appartement avant de procéder à une perquisition, qui se fera donc quand l’appartement sera vide !

31 05 1992 

18 des 21 républiques signent le traité de fédération de Russie [5]

      Peuples du Caucase 

1)     Adyguès
2)     Karatchaï-Tcherkesses
3)     Kabardino-Balkarie
4)     Ossétie du nord
5)     Tchétchénie
6)     Daghestan
7)     Ingouchie
8)     Kalmoukie

Peuples turcs

9)   Tchouvachie
10) Tatarstan
11)  Bachkirie
12) Altaï
13) Khakassie
14) Touva
15) Sakha

Peuples ouraliens

16) Carélie
17) Komis
18) Maris
19) Mordovie
20) Oudmoulie

            Peuples mongols

21) Bouriatie

1 06 1992                    

Appel de Heidelberg : à l’approche du 3° sommet mondial sur l’environnement à Rio, nombre de scientifiques signent le texte suivant : Nous soussignés, membres de la communauté scientifique et intellectuelle internationale, partageons les objectifs du Sommet de la Terre qui se tiendra à Rio de Janeiro sous les auspices des Nations Unies et adhérons aux principes de la présente déclaration. Nous exprimons la volonté de contribuer pleinement à la préservation de notre héritage commun, la Terre. Toutefois, nous nous inquiétons d’assister, à l’aube du XXI° siècle, à l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social. Nous affirmons que l’état de nature, parfois idéalisé par des mouvements qui ont tendance à se référer au passé, n’existe pas et n’a probablement jamais existé depuis l’apparition de l’homme dans la biosphère, dans la mesure où l’humanité a toujours progressé en mettant la nature à son service, et non l’inverse. Nous adhérons totalement aux objectifs d’une écologie scientifique axée sur la prise en compte, le contrôle et la préservation des ressources naturelles. Toutefois, nous demandons formellement par le présent appel que cette prise en compte, ce contrôle et cette préservation soient fondés sur des critères scientifiques et non sur des préjugés irrationnels. Nous soulignons que nombre d’activités humaines essentielles nécessitent la manipulation de substances dangereuses ou s’exercent à proximité de ces substances, et que le progrès et le développement reposent depuis toujours sur une maîtrise grandissante de ces éléments hostiles, pour le bien de l’humanité. Nous considérons par conséquent que l’écologie scientifique n’est rien d’autre que le prolongement de ce progrès constant vers les conditions de vie meilleures pour les générations futures. Notre intention est d’affirmer la responsabilité et les devoirs de la science envers la société dans son ensemble. Cependant, nous mettons en garde les autorités responsables du destin de notre planète contre toute décision qui s’appuierait sur des arguments pseudo-scientifiques ou des données fausses ou inappropriées. Nous attirons l’attention de tous sur l’absolue nécessité d’aider les pays pauvres à atteindre un niveau de développement durable et en harmonie avec celui du reste de la planète, de les protéger contre les nuisances provenant des nations développées, et d’éviter de les enfermer dans un réseau d’obligations irréalistes qui compromettrait à la fois leur indépendance et leur dignité. Les plus grands maux qui menacent notre planète sont l’ignorance et l’oppression, et non pas la science, la technologie et l’industrie, dont les instruments, dans la mesure où ils sont gérés de façon adéquate, sont des outils indispensables qui permettront à l’humanité de venir à bout par elle-même et pour elle-même, de fléaux tels que la surpopulation, la faim et les pandémies.

Parmi les signataires et soutiens figurent environ 4 000 scientifiques et universitaires, dont 72 récipiendaires du prix Nobel.  98 pour la France :

Pierre AIGRAIN Académie des Sciences, Louis ALBOU biologiste, Jean-Michel ALEXANDRE pharmacologue, Michel ALLIOT Président d’Université, Manan APFELBAUM nutritionniste, Henri ATLAN professeur en médecine nucléaire, Maurice AUBERT océanographe, Marc AUGE anthropologue, Jean-François BACH immunologue, Jean-Pierre BADER professeur de médecine, Jack BAILLET psychiatre, Raymond BARRE ancien premier ministre, Jacques BARROT ancien ministre, Etienne BAULIEU endocrinologue, Per BECH psychiatre, Jean BIGNON pneumologue, Jean-Paul BINET, chirurgien, Jean-Noël BIRABE, démographe, Alain BOMBARD océanographe, Pierre BOURDIEU sociologue, André BOURGUIGNON psychiatre, Odile BOURGUIGNON psychologue, Jean-Claude BOUVIER linguiste, Constant BURG Institut Curie, P. BUSER Académie des Sciences, Henri CAILLAVET ancien ministre, V.CAPUT chercheur au CNRS, Jean-Claude CHERMANN virologue, Pierre CORNILLOT université Paris XIII, François DAGOGNET philosophe, André DANZIN président du Ceselec, Jean DAUSSET prix Nobel de médecine immunologue, Quentin DEBRAY Psychiatre, Pierre DEBRAY-RITZEN professeur, Claude DEBRU philosophe, Jean DORST ornithologue, Pierre DOUZOU biologiste, Jean-Pierre EBEL biochimiste, Mosche FLATO mathématicien, Etienne FOURNIER toxicologue, Marc FUMAROLI historien, G. GACHELIN Institut Pasteur, Pierre-Gilles de GENNES prix Nobel de physique, Paul GERMAIN secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, Herbert GESCHWIND cardiologue, James GOLDBERG cancérologue, François GROS biologiste, Marianne GRUNBERG-MANAGO biologiste, Marie Elisabeth HANDMANN anthropologue, Claude HURIET néphrologue, Eugène IONESCO écrivain, François ISAMBERT sociologue, Lucien ISRAEL cancérologue, Liliane ISRAEL psychologue, Claude JASMIN cancérologue, V.P. KAFTANDJIAN université de Provence, Sergueï Petrovich KAPITZA physicien, Philippe KOURILSKY Institut Pasteur, Henri LABORIT pharmacologue, Yves LAPORTE Collège de France, Raymond LATARJET radiobiologiste, Hervé LE BRAS démographe, Marcel LEGRAIN neurologue, Jean-Marie LEHN prix Nobel de chimie, Pierre LELONG mathématicien, Jean-Paul LEVY virologue, André LICHNEROWICZ mathématicien, Michel MAFFESOLI sociologue, Nicole-Claude MATHIEU maître de conférence, Yves MATILLON gérontologue, Antoine MERLE D’AUBIGNE université Paris I, Philippe MEYER biochimiste, L. MONNERIE, Gabriel NAHAS toxicologue, Guy OURISSON chimiste, Jean-Claude PECKER astrophysicien, Yves PELICIER psychiatre, Pierre PIGANIOL physicien, A.PROCHIANTZ Ecole Normale Supérieure, Claude RAFFAELLI CPA, François RAVEAU professeur de médecine, François REGNIER synthélabo laboratoires, J.RUFFIE Académie de médecine, Michel SALOMON directeur de “Projections, Evry SCHATZMAN astrophysicien, Jean SCHERRER hôpital La Pitié-Salpétrière, Gérard SIEST pharmacologue, Dominique STEHELIN Institut Pasteur, François STEUDLER université de Strasbourg, Lionel STOLERU économiste, Jean SUTTER psychiatre, Haroun TAZIEFF vulcanologue, Maurice TUBIANA cancérologue, Alain-Jacques VALLERON biomathématicien, Bernard VANDENBUNDER directeur de recherches CNRS, Daniel WIDLOCHER psychiatre, Etienne WOLFF Académie Française, Edouard ZARIFIAN psychiatre.

Interrogés longtemps après, nombre de signataires, diront : Si c’était à refaire, je signerai à nouveau. Certains ajoutant, à quelques mots près. Le texte donnera lieu à de bien rudes empoignades, les scientifiques tenant à ce que leur signature vienne cautionner toute prise de position qui pourrait entraîner des choix politiques essentiels.

Par son ampleur, par le nombre et le prestige des personnalités enrôlées à leur insu, par l’effet qu’elle a eu dans la structuration du débat public, c’est sans doute l’une des plus brillantes opérations de communication jamais menées. Qu’on en juge : des dizaines de Prix Nobel de toutes disciplines (Hans Bethe, Linus Pauling, Ilya Prigogine, Jean-Marie Lehn, Pierre-Gilles de Gennes, Elie Wiesel, etc.) aux côtés de centaines de scientifiques de premier plan, de médecins, d’intellectuels ou d’écrivains (Pierre Bourdieu, Hervé Le Bras, Marc Fumaroli, Eugène Ionesco, etc.) signant dans un même élan un appel solennel aux chefs d’Etat et de gouvernement.

Le 1° juin 1992, ce texte-massue est rendu public à la veille de l’ouverture du Sommet de la Terre à Rio (Brésil). C’est l’appel d’Heidelberg. Sitôt rendu public, il fait couler des tombereaux d’encre : il est présenté comme une grave mise en garde des savants, enjoignant les dirigeants réunis à Rio à la plus grande méfiance face aux défenseurs de l’environnement animés par une idéologie irrationnelle qui s’oppose au développement scientifique et industriel.

La présentation et la médiatisation du texte – bien plus que son contenu stricto sensu – ont à l’évidence pour objectif de ramener les préoccupations environnementales et les sciences de l’environnement, qui émergent à Rio, à des pseudo-sciences. Des scientifiques s’inquiètent du tout-écologie, titre Le Figaro. Rio contre Heidelberg, ajoute Le Monde. Rio : faut-il brûler les écologistes ?, s’interroge Libération à sa une.

Initiative spontanée de la communauté scientifique ? L’appel d’Heidelberg est en réalité le résultat d’une campagne habilement orchestrée par un cabinet de lobbying parisien lié de près aux industriels de l’amiante et du tabac…

Le premier indice est un mémo confidentiel de Philip Morris, daté du 23 mars 1993 et rendu public dans le cadre d’une action en justice contre le cigarettier. La note interne présente l’appel d’Heidelberg, se félicitant qu’il a maintenant été adopté par plus de 2 500 scientifiques, économistes et intellectuels, dont 70 Prix Nobel.

À quoi tient l’existence de cette coalition internationale de scientifiques basée à Paris ? Le mémo de Philip Morris l’explique sans ambages : elle a son origine dans l’industrie de l’amiante, mais elle est devenue un large mouvement indépendant en un peu moins d’un an. Nous sommes engagés aux côtés de cette coalition à travers la National Manufacturers Association française [Groupement des fournisseurs communautaires de cigarettes], mais nous restons discrets parce que des membres de la coalition s’inquiètent qu’on puisse faire un lien avec le tabac, ajoute la note de Philip Morris. Notre stratégie est de continuer à la soutenir discrètement et de l’aider à grandir, en taille et en crédibilité.

Pourquoi soutenir l’appel d’Heidelberg ? Comment ? Un nouvel organisme, le Centre international pour une écologie scientifique [ICSE, pour International Center for a Scientific Ecology], a été fondé, à Paris, comme une continuité de l’appel d’Heidelberg, pour fournir aux gouvernements du monde entier des opinions sur ce qui constitue une science environnementale solide, à propos de certains problèmes, explique la note. Certains problèmes, mais surtout ceux qui concernent les industriels du tabac et de l’amiante…

L’ICSE est domicilié avenue de Messine, à Paris, dans les locaux d’un cabinet de conseil aux entreprises, Communications économiques et sociales (CES), et n’en est qu’une émanation. Or c’est précisément le CES qui organise et supervise, en France, le lobbying des industriels de l’amiante entre 1982 et 1996. Un lobbying qui permettra de retarder à 1997 l’interdiction de la fibre cancérigène, qui devrait causer, selon l’Inserm, environ 100 000 morts prématurées entre 1995 et 2025…

Pour promouvoir une écologie scientifique l’ICSE, cette continuité de l’appel d’Heidelberg, organise des conférences. La première se tient le 10 mai 1993, à Paris. Le thème est celui des risques réels associés à la présence de cancérogènes à faible dose dans l’environnement : pesticides, fibres d’amiante, fumée ambiante de tabac… Mais les intervenants sont soigneusement choisis pour minimiser le plus possible ces risques. L’examen de documents internes de l’industrie du tabac – déclassifiés par la justice américaine depuis le début des années 2000 – montre que plus de la moitié des douze scientifiques intervenant ont des liens financiers avec l’industrie cigarettière américaine, soit à titre de consultant, soit par le biais de crédits de recherche. Les autres sont liés à d’autres secteurs… Quant au seul Français présent, c’est le toxicologue Etienne Fournier, membre de l’Académie nationale de médecine et… du Comité permanent amiante – un groupe informel désormais célèbre, mis sur pied par CES pour appuyer le lobbying en faveur de la fibre minérale.

L’inféodation des conférences de l’ICSE à l’industrie va bien au-delà du choix des intervenants. Un courrier confidentiel du 10 juin 1993, adressé par un cadre de Rothmans International à sa représentante en France, montre que les responsables de l’industrie cigarettière américaine ont eu accès à la version provisoire de la déclaration de consensus prise à l’issue de la conférence de l’ICSE à Paris. La semaine dernière, Sophie Valtat, de l’ICSE, m’a envoyé la version provisoire du consensus, écrit ce cadre de Rothmans. Cela convient pour la plus grande part. Cependant, la deuxième phrase pourrait conduire à condamner l’ICSE pour dogmatisme... Rothmans suggère ensuite un changement de formulation de la phrase contestée.

Le lien avec l’appel d’Heidelberg apparaît en toutes lettres dans les plaquettes de présentation de l’ICSE : Notre but est de répondre à la requête de nombreux signataires de l’appel d’Heidelberg, dans l’objectif d’étendre son impact à l’examen de questions réelles, auxquelles est confrontée la communauté scientifique. Le programme de la conférence de Paris est, de plus, annoncé comme ayant été préparé par le docteur Michel Salomon, coordinateur de l’appel d’Heidelberg. Comme le rapporte à l’époque la presse française, c’est en effet Michel Salomon, médecin et journaliste, éditeur de la revue Projections, qui réunit, en avril 1992 à Heidelberg (Allemagne), le petit noyau des premiers signataires de l’appel… Comment, avec les nombreuses et prestigieuses cautions du célèbre appel, pouvait-on suspecter l’ICSE d’organiser des fausses conférences scientifiques sous la tutelle des industries du tabac et de l’amiante ?

Pourtant, dès avant la publication de l’appel, de premiers soupçons se font jour. Avant mon départ pour Rio, un certain Marcel Valtat est venu me voir au journal pour me proposer l’exclusivité de l’appel d’Heidelberg, raconte le journaliste Roger Cans, alors chargé de l’environnement au Monde. Patron et fondateur de CES, Marcel Valtat est alors connu pour ses liens avec les industriels de la pharmacie et de l’amiante. J’ai lu le texte et j’ai tout de suite soupçonné qu’il y avait des intérêts économiques derrière, poursuit Roger Cans. Par déontologie, je l’ai refusé. Je savais que, si Le Monde le publiait en exclusivité, on penserait qu’il en épousait le point de vue. C’est Le Figaro qui a finalement eu le scoop… Bien sûr, l’écrasante majorité des signataires ignore tout de l’origine du texte et des motivations de ses commanditaires.

Jean-Pierre Hulot, ancien collaborateur de Marcel Valtat (décédé en 1993) et actuel PDG de CES, confirme au Monde que l’appel d’Heidelberg est bien parti de CESMichel Salomon travaillait en free-lance pour nous, ajoute M. Hulot, qui a été mis en examen en janvier 2012 pour son rôle au sein du Comité permanent amiante. Cependant, M. Hulot assure que le texte n’a pas été commandé par une ou plusieurs entreprises, et qu’il était une initiative bénévole née après des discussions tenues avec des membres de l’Académie des sciences. Quant à l’ICSE, poursuit-il, cela partait d’une volonté de diversifier l’activité de CES et d’organiser des congrès scientifiques. Des congrès dont les documents sont relus et amendés par les cigarettiers ? Je ne suivais pas cela personnellement, je ne suis pas au courant, répond M. Hulot.

Stéphane Foucart. Le Monde 16 06 2012

2 06 1992 

Le Danemark, par référendum dit non aux accords de Maastricht.

C’est jour de fête nationale en Italie. Sa célébration avait été supprimée en 1977, dans un climat de grande contestation antimilitariste. En 1982, Bettino Craxi avait rétabli la parade. Cette fois-ci, on a installé des tribunes sur la via dei Fori Imperiali, à Rome, mais… surprise, aucun officiel ne les honore de sa présence ! personne ! On va démonter le tout en vitesse et l’année prochaine, on commencera par y réfléchir. Le régionalisme est au premier rang dans l’ADN des Italiens.

3 au 14 06 1992  

Fin de la Conférence de Rio de Janeiro sur l’environnement : on a causé de tout et pris quelques décisions, dont le mise en place d’un Agenda 21 [21 : soit le  XXI° siècle] qui comprend 2 500 recommandations concernant la mise en œuvre concrète des principes de la déclaration.

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[1] En 1991, un document de l’autorité sur l’énergie nucléaire du Royaume Uni signalait que si 8 % de l’uranium appauvri utilisés dans le Golfe était inhalés, cela pourrait causer 500 000 décès. (Courrier International p 35, N° 644 du 6 au 12 mars 2003).

[2]Les Golden globes Awards récompensent chaque année les meilleurs films, les meilleures œuvres de fiction télévisuelles et les meilleurs professionnels du cinéma et de la télévision américaine. Ce sont les équivalents télévisuels des Oscars, exclusivement pour le cinéma, des Emmy Awards, exclusivement pour la télévision, des Grammy Awards, pour la musique et des Tony Awards, pour le théâtre.

Wikipedia

[3] De toutes façons, quelle qu’ait été sa précocité, commettre un viol  à 9 ans, c’est pathologique mais presque, aurait dit Coluche, et comment des Américains ont-ils pu gober pareille salade ?

[4] Mais comment donc Le Monde a-t-il pu laisser passer pareil torchon, littérature de caniveau, méprisable, haïssable ? Claude Sarraute se comporte en mère maquerelle, à jamais empêguée dans la grossièreté. Mystère ! 

Claude Sarraute : découvrez la surprenante raison qui l'a... - Télé Star

Claude Sarraute, épouse, entre autres, de Jean-François Revel

[5] Sur les passeports intérieurs soviétiques (c’est-à-dire les cartes d’identité), la nationalité, ou plutôt l’ethnie, était précisée : arménien, russe, juif, azerbaïdjanais, etc. Cette mention a disparu des passeports en 2000 en dépit de certaines protestations, entre autres de l’Église orthodoxe. Il est juste écrit désormais : citoyen de Russie.