A propos de l’auteur 2393
Laurent Peltier, retraité à Clermont l’Hérault, petite ville d’Occitanie, à mi-chemin de Béziers et de Montpellier, où les gens ignorent tout de ce que peut être la méchanceté, présente une histoire du monde en donnant priorité à la chronologie, c’est-à-dire en mettant les uns à coté des autres des faits que rien ne relie sinon leur simultanéité : c’est le principe de tout journal. Il n’est pas inintéressant par exemple pour un Français de savoir que le 14 juillet 1789, il pouvait se passer quelque chose bien loin de la Bastille : l’Écossais Alexander Mackenzie arrivait à l’embouchure sur l’océan arctique du fleuve auquel la postérité donna son nom.
Il ne faut pas voir là travail original : dès 1808, Étienne Jondot, ancien professeur des écoles militaires, publiait un Tableau historique des Nations, en quatre volumes, avec, pour sous-titre Rapprochement des principaux événements arrivés, à la même époque, sur la surface de la Terre, avec un aperçu général des progrès des arts, des sciences et des lettres, depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours. Son but : Saisir et rapprocher simultanément les événements et les grands hommes de toutes les parties du monde, alors que, jusqu’à présent, les nations sont restées dans une sorte d’isolement. Plus récemment, Denoel a publié en 1975 sous la direction de Gérard Caillet Le journal du monde – de 50 000 avant J.C. à 1974 -, adaptation française de News of the World, chez Prentice-Hall, inc. par Sylvan Hoffman, New-york 1953. Et, de nos jours, on ne compte plus les chronologies illustrées et universelles : Larousse, Encyclopédia Universalis, Reader’s Digest, National Geographic etc… jusqu’à la toute récente Grande Histoire du Monde de François Reynaert, chez Fayard 2016.
Il ne faut pas chercher ici une présentation exhaustive, une énumération des différents souverains, une description des batailles, des traités etc : priorité a été donnée à la parole des acteurs, témoins, historiens, et même à la chanson, dont il est fait le plus grand usage possible : les citations sont mentionnées comme telles, en italique, les écrits de l’auteur étant en caractère droit.
Au fond de l’histoire, il y a les sentiments
Lucien Febvre
Quand on pense que les plus anciens manuscrits de Virgile sont de quatre siècles postérieurs à cet écrivain, ceux de Platon, de treize siècles, et ceux d’Euripide, de seize siècles !
Chanoine Dangoisse, Université de Namur
Citer, c’est faire usage de la bibliothèque de Babel ; citer, c’est réfléchir à ce qui a déjà été dit et si nous ne le faisons pas, nous parlons dans un vide où nulle voix humaine ne peut produire un son.
Alberto Manguel, La Bibliothèque, la nuit. (Actes sud 2006)
On s’exprime beaucoup mieux par les textes des autres, vis-à-vis de qui on a toute la liberté de choix, que par les siens propres, qui vous fuient comme s’ils le faisaient exprès au profit des parts de Dieu ou du diable.
Chris Marker, dans l’introduction de L’homme et sa liberté.1949
Je lis de vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids pour les yeux, parce que chaque exemplaire d’un livre peut appartenir à plusieurs vies. Les livres devraient rester sans surveillance dans les endroits publics pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux, puis ils devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d’un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l’hiver, déchirés par les enfants pour en faire des petits bateaux, bref ils devraient mourir n’importe comment sauf d’ennui et de propriété privée, condamnées à vie à l’étagère.
Erri De Luca. Trois chevaux. Gallimard 2001
J’ai longtemps voulu devenir un arbre, quand je serais grande, mais maintenant, c’est un livre que j’aimerais devenir. Un arbre-livre, dont chaque feuille serait une page écrite par le vent, les insectes, le soleil et la pluie, les oiseaux, les rayons de lune. Chaque printemps, une nouvelle histoire, s’inventerait, elle resplendirait en été, se défeuillerait en automne, s’effacerait en hiver, et ça recommencerait, sans fin.
Sylvie Germain. L’inaperçu. Albin Michel 2008
Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis et l’esprit critique, moteur du progrès, n’existerait même pas. Tout comme écrire, lire, c’est protester contre les insuffisances de la vie.
Mario Vargas Llosa, écrivain péruvien, à la remise de son Nobel de littérature, en 2010
Un après-midi, [on est à Bujumbura, la capitale du Burundi] j’ai croisé par hasard Mme Economopoulos devant sa haie de bougainvilliers. On a échangé quelques mots sur la saison des pluies et le beau temps, puis elle m’a invité à entrer dans sa maison pour m’offrir un verre de jus de barbadine. Dans son grand salon, mon regard a tout de suite été attiré par la bibliothèque lambrissée qui couvrait entièrement un des murs de la pièce. Je n’avais jamais vu autant de livres en un seul lieu. Du sol au plafond.
- Vous avez lu tous ces livres ? j’ai demandé.
- Certains plusieurs fois, même. Ce sont les grands amours de ma vie. Ils me font rire, pleurer, douter, réfléchir. Ils me permettent de m’échapper. Ils m’ont changée, ont fait de moi une autre personne.
- Un livre peut nous changer ?
- Bien sûr, un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis.
Mes doigts couraient sur les rayonnages, caressaient les couvertures, leur texture si différente les unes des autres. J’énonçais en silence les titres que je lisais. Mme Economopoulos m’observait sans rien dire, mais alors que je m’attardais particulièrement sur un livre, intrigué par le titre, elle m’a encouragé.
- Prends-le, je suis sûre qu’il te plaira.
Ce soir-là, avant d’aller au lit, j’ai emprunté une lampe torche dans un des tiroirs du secrétaire de Papa. Sous les draps, j’ai commencé à lire le roman, l’histoire d’un vieux pêcheur, d’un petit garçon, d’un gros poisson, d’une bande de requins… Au fil de la lecture, mon lit se transformait en bateau, j’entendais le clapotis des vagues taper contre le bord du matelas, je sentais l’air du large et le vent pousser la voile de mes draps.
Le lendemain, j’ai rapporté le livre à Mme Economopoulos.
- Tu l’as déjà terminé ? Bravo, Gabriel ! Je vais t’en prêter un autre.
La nuit d’après, j’entendais le bruit des fers qui se croisent, le galop des chevaux, le froissement des capes de chevaliers, le froufrou de la robe en dentelle d’une princesse.
Un autre jour, j’étais dans une pièce exiguë, caché avec une adolescente et sa famille, dans une ville en guerre et en ruines. Elle me laissait lire par-dessus son épaule les pensées qu’elle couchait dans son journal intime. Elle parlait de ses peurs, de ses rêves, de ses amours, de sa vie d’avant. J’avais l’impression que c’était moi dont il était question, que j’aurais pu écrire ces lignes.
Chaque fois que je lui rapportais un livre, Mme Economopoulos voulait savoir ce que j’en avais pensé. Je me demandais ce que cela pouvait bien lui faire. Au début, je lui racontais brièvement l’histoire, quelques actions significatives, le nom des lieux et des protagonistes. Je voyais qu’elle était contente et j’avais surtout envie qu’elle me prête à nouveau un livre pour filer dans ma chambre le dévorer.
Et puis, j’ai commencé à lui dire ce que je ressentais, les questions que je me posais, mon avis sur l’auteur ou les personnages. Ainsi je continuais à savourer mon livre, je prolongeais l’histoire. J’ai pris l’habitude de lui rendre visite tous les après-midi. Grâce à mes lectures, j’avais aboli les limites de l’impasse, je respirais à nouveau, le monde s’étendait plus loin, au-delà des clôtures qui nous recroquevillaient sur nous-mêmes et sur nos peurs. Je n’allais plus à la planque, je n’avais plus envie de voir les copains, de les écouter parler de la guerre, des villes mortes, des Hutu et des Tutsi. Avec Mme Economopoulos, nous nous asseyions dans son jardin sous un jacaranda mimosa. Sur sa table en fer forgé, elle servait du thé et des biscuits chauds. Nous discutions pendant des heures des livres qu’elle mettait entre mes mains. Je découvrais que je pouvais parler d’une infinité de choses tapies au fond de moi et que j’ignorais. Dans ce havre de verdure, j’apprenais à identifier mes goûts, mes envies, ma manière de voir et de ressentir l’univers. Mme Economopoulos me donnait confiance en moi, ne me jugeait jamais, avait le don de m’écouter et de me rassurer. Après avoir bien discuté, lorsque l’après-midi s’évanouissait dans la lumière du couchant, nous flânions dans son jardin comme de drôles d’amoureux. J’avais l’impression d’avancer sous la voûte d’une église, le chant des oiseaux était un chuchotis de prières. Nous nous arrêtions devant ses orchidées sauvages, nous faufilions parmi les haies d’hibiscus et les pousses de ficus. Ses parterres de fleurs étaient des festins somptueux pour les souimangas et les abeilles du quartier. Je ramassais des feuilles séchées au pied des arbres pour en faire des marque-pages. Nous marchions lentement, presque au ralenti, en traînant nos pieds dans l’herbe grasse, comme pour retenir le temps, pendant que l’impasse, peu à peu, se couvrait de nuit.
Gaël Faye. Petit Pays. Grasset 2016
comme vous le dites si bien …
Beaucoup plus que du travail d’auteur, ce site tient de la compilation, effectuée par un DJ qui a pris ses sources chez Françoise AUTRAND, Jacques BAINVILLE, Yves BALLU, Jean-Claude BARBIER, Alessandro BARICCO, François BAYROU, Antony BEEVOR, John BERGER, Laurence BERGREEN, SAINT BERNARD, Simone BERTIERES, André BESSIERES, Jean Yves BLOT, Walter BONATTI, Daniel BOORSTIN, Nicolas BOUVIER, Fernand BRAUDEL, Dino BUZZATI, Albert CAMUS, André CHASTEL, Gabriel CHEVALLIER, Ivan CLOULAS, Philippe de COMMYNES, Joseph CONRAD, Anita CONTI, James COOK, Pierre CORNEILLE, CREVECŒUR, Alain DECAUX, Régis DEBRAY, Michel de DECKER, Jean DELUMEAU, Emilienne DEMOUGEOT, Patrick DEVILLE, DIDEROT, Marc DUGAIN, Alexandre DUMAS, Claude DUNETON, Umberto ECO, Jean FAVIER, Robert FAWTIER, Max FERRRO, Alfred FICHELLE, Gustave FLAUBERT, Robert FOLZ, Françoise GANGE, Charles de GAULLE, Maurice GENEVOIX, André GIDE, Raoul GLABER, Jacques GODECHOT, Jacques le GOFF, Pierre GOUBERT, Julien GRACQ, Graham GREENE, Serge GRUZINSKI, Rodolphe GUILLAND, Francis HALLE, Sebastian HAFFNER, Jacques HEERS, Eric J. HOBSBAWM, Victor HUGO, Père HUC, Bruno JACOMY, Jean JACQUART, JOINVILLE, Bernard KAPP, Maylis de KERANGAL, François KERSAUDY, Pascal KOBER, Jacques LACARRIERE, Gilles LAPOUGE, Patrick LEIGH FERMOR, Emile G. LEONARD, Jean Claude LIGEON, Albert LONDRES, Emmanuel LEROY LADURIE, Albert LONDRES, Pierre LOTI, Erri de LUCA, Mathilde MAIJE LEFOURNIER, Jean MALAURIE, Maurice Constantin MEYER, Gilles MORATON, Laure MOULIN, Irène NEMIROVSKY, Jean-Marie PELT, Georges et Régine PERNOUD, Philippe PETAIN, Marco POLO, Gontrand de PONCINS, Ayn RAND, Marc ROBINE, SAMIVEL, Yves le SCAL, Alfonso SCIROCCO, Tim SEVERIN, Jean SEVILLA, Joe SIMPSON, Jacques SOUSTELLE, Simone VEIL, Paul et Germaine VEYRET, Paul Émile VICTOR, Léonard de VINCI, VOLTAIRE, Gaston WIET, Howard ZINN, Émile ZOLA …
La liste n’est pas exhaustive…, elle s’agrandit chaque jour ou presque, pierre après pierre ; toutes les citations portent le nom de leur auteur. Si toutefois, certains, ou leurs ayants-droits s’estimaient atteints dans leur droits au nom de la propriété littéraire, l’auteur s’engage à retirer les citations concernées.
De même que l’universel se dit toujours dans un langage particulier, on regarde toujours d’une fenêtre et le fait de parler de cette fenêtre peut faire partie du sujet : ainsi les origines savoyardes de l’auteur sont-elles très largement commentées, jusqu’à l’histoire de sa famille : l’histoire d’une région, d’une famille est une partie de l’histoire d’une nation et les choix ont porté sur les événements qui avaient une portée nationale : rattachement de la Savoie à la France en 1860, développement de l’activité touristique au début du XX° siècle, histoire de la famille pendant la tragique débâcle de la France en mai et juin 1940, etc…
L’européocentrisme ne peut être évité. Je suis le nombril du monde, tu es le nombril du monde …, on est tous le nombril du monde, disait le poète belge Norge, chanté par Jeanne Moreau.
Depuis que le monde est monde, l’histoire a toujours été écrite par les vainqueurs, qui sont le plus souvent ceux qui avaient à leur disposition les outils pour la transmettre : l’écrit. L’Europe n’a pas le monopole du centrisme : les Musulmans l’ont pratiqué : Al-Masudi, encyclopédiste arabe du X° siècle, disait : Dieu, en faisant le partage de la Terre, a privilégié certaines contrées au détriment des autres, et la plus favorisée fut l’Irak, ce pays roi du monde, ce séjour de tant de races, de tant de peuples illustres. [d’abord l’Éden, puis la Mésopotamie, puis les Mille et Une nuits de Bagdad]. La Chine l’a eu : Matteo Ricci a du repositionner la Chine au centre des représentations du monde – l’Empire du Milieu – pour continuer à être admis à la cour. Donc, nous avons bien un sinocentrisme… plus vaillant que jamais.
On doit certes s’efforcer d’aller voir ce qu’ont dit les autres… Arabes, Asiatiques, mais on ne peut faire parler ceux qui n’ont rien écrit avant le X° siècle, et c’est le cas de toute l’Afrique noire. Seule en Afrique, l’Éthiopie a possédé une langue écrite pratiquement sans interruption. La repentance érigée en pratique systématique ne peut tenir lieu de rigueur historique. On peut toujours affirmer que ce n’est pas Christophe Colomb qui a découvert l’Amérique, que ce n’est pas Vitus Behring qui a découvert le détroit éponyme etc, etc…, et après avoir affirmé cela haut et fort, que fait-on ? On remet toute l’Histoire entre les mains des paléontologues, des archéologues, de tous les paléo pour déterminer qui a été le premier, en espérant pouvoir faire parler l’ADN ? Cela n’est pas sérieux. Il n’est malheureusement que d’entériner les inexactitudes qui ont fini par être communément admises, et faire avec ou bien, l’on n’en sort plus. L’Histoire-monde n’est qu’une vue de l’esprit, à base d’incantation et de bons sentiments, mais la réalité est bien là, qui la maintient dans sa place de rêverie mondialisante : la fenêtre d’où l’on voit l’universel n’existe pas.
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Le ton général de cette chronique pourrait se résumer à une tentative pour garder en ligne de mire les deux citations suivantes :
On voudrait toujours que la réalité soit blanche ou noire, quand, en fait, elle est toujours grise.
François Mitterrand
J’aime éprouver ma force en démolissant ce que je juge faux, inauthentique, néfaste. J’éprouve un plaisir désintéressé, quasi sportif à pratiquer ce que les Anglais appellent le debunking, le déboulonnage des idoles et cela dans tous les domaines, notamment dans le domaine politique.
Jean-Louis Curtis