25 avril 1969 au 5 février 1971. Dernière ligne droite de de Gaulle. On a marché sur la lune. Woodstock. Gabrielle Russier. Accidents sous-marins. 18902
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Publié par (l.peltier) le 25 août 2008 En savoir plus

25 04 1969 

De Gaulle parle depuis l’Elysée pour présenter le référendum pour lequel les Français sont appelés à voter deux jours plus tard, précisant bien qu’en cas d’une majorité de NON, il quittera le pouvoir. Puis il quitte l’Elysée par le salon d’argent et demande à son chauffeur à la sortie du parc, de prendre à gauche. L’itinéraire est inhabituel : c’est celui emprunté par Napoléon I° lors de son abdication, au lendemain de Waterloo, le 25 juin 1815.

28 04 1969     0 h 11

Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui, à midi. 

Charles de Gaulle, communiqué de Colombey les Deux Eglises.

Clap de fin : le référendum sur la réforme du sénat et la création de régions a été refusé par 52.41 % des votants. Il partira en Irlande, accompagné de son aide de camp, l’amiral Flohic.

En 1940, vous avez rendu à la France l’honneur, puis l’indépendance, puis la liberté. Depuis lors, à plusieurs reprises, vous avez, vous seul, sauvé le pays des périls qui le menaçaient, désordre, asservissement, guerre civile, faillite et misère. Par votre politique africaine, vous avez épargné à la France d’innombrables guerres injustes et ruineuses. Les Français vous doivent tout : leur indépendance nationale, leurs libertés politiques, leurs institutions assainies, leur aisance matérielle, leur relèvement économique. Ils vous doivent surtout, à vous seul, que la France n’ait jamais cessé, depuis que vous êtes à sa tête, d’être respectée.

Anonyme. Une des quelques 50 000 lettres envoyées à l’Elysée ou à Colombey.

Plage de Derrynane, (co Kerry).De gauche à droite, Detective inspector Pat Doocey, Yvonne de Gaulle, Charles de Gaulle, aide de camp et amiral François Flohic. Pour la parenté irlandaise de de Gaulle avec les McCartan, voir à l’automne 1691.

29 04 1969     

Georges Pompidou se déclare candidat à l’élection présidentielle.

22 05 1969  

Partie de la terre quatre jours plus tôt, la mission Apollo X est une répétition générale d’Apollo XI qui déposera des hommes sur la lune. Pour l’heur, il ne s’agit que de s’approcher à 15 km de la lune. Tout s’est passé au mieux jusqu’à présent mais, lorsque le module lunaire (LEM), dans lequel se trouvent Eugene Cernan et Thomas Stafford, s’apprête à remonter après s’être approché à seulement 15 kilomètres de la surface lunaire, chacun des deux hommes, sans que l’autre s’en aperçoive, a actionné le même interrupteur : celui-ci est donc demeuré dans la position de départ. La commande ne s’exécute pas et le LEM se met à tourner sur lui-même : Eugene Cernan affirmera plus tard avoir vu huit fois l’horizon lunaire défiler sous ses yeux en quinze secondes.

Ils partent en cacahuète, passant à deux doigts du crashSans le sang-froid de Stafford, qui récupère le contrôle, ils auraient pu être les premiers hommes – morts – sur la Lune… Cela s’est joué à quelques secondes près.

Alain Cirou, directeur de la Revue Ciel et Espace

1 06 1969   

Le premier tour de l’élection présidentielle élimine les candidats de gauche : Duclos, Defferre, Rocard, Krivine.

8 06 1969    

Nixon retire 25 000 soldats du Viet Nam.

16 06 1969 

Georges Pompidou est élu président de la République, avec 58.21 % des voix : le centriste Alain Poher est largement battu. Nixon retire 35 000 soldats du Viet Nam. Les Américains se seront livrés de 1967 à 1972 à des essais de dérèglement du climat en déversant sur la piste Ho Chi Min des tonnes de iodure d’argent avec pour effet de la noyer sous les pluies ainsi provoquées : l’effet réel ne fut pas celui escompté.

Les vélos étaient confiés à des hommes d’âge mur, des pères de famille, des briscards. Longues files silencieuses impossibles à repérer sous la forêt. La nuit les yeux fixés sur le ver luisant attaché au casque de celui qui précède. Le fusil AK tenu par une lanière dans le dos, des chargeurs et des grenades sur le torse.

Chaque cycliste en autonomie est muni d’un sac de riz et d’un réchaud, d’un briquet-tempête, d’une sacoche d’outils, d’une lampe torche, d’un imperméable à capuche, de chambres à air, d’un hamac, d’une tente et d’un lot d’images pornographiques. Pas de BMC pour les bodoïs à vélo, pas d’attente debout dans la boue le savon et la serviette à la main. L’armée du peuple se branle vite fait le long du talus et remonte en selle. Peut-être la plus grande invention stratégique du convoyage depuis les éléphants d’Hannibal. Contre eux, les B 52 et les hélicos, la débauche de technologie inutile.

Patrick Deville. Kampuchéa. Le Seuil 2011

Le maître d’œuvre de cette armée de la nuit, le général Giap est certainement l’un des plus grands stratèges qu’ait connu le monde et sa stratégie incluait le choix de ses collaborateurs : parmi eux, Pham Xuân Ân, colonel des services de renseignements du Viet-Minh, et évidemment agent des services secrets du Sud Vietnam :

Pendant quinze ans, la taupe allonge ses galeries, fréquente Lansdale et la CIA, photographie tous les documents qu’il voie passer, consigne et analyse les indiscrétions. Ses notes remontent jusqu’au général Vô Nguyên Giap, le vainqueur de Dien Bien Phu et bientôt le vainqueur des Américains. Les deux hommes se rencontreront après la victoire. Le général confirmera avoir été, grâce à cet agent dont il ignorait le nom assis en permanence dans la salle de commandement américain. En quinze ans, jamais une erreur. Une vie méticuleuse de mandarin silencieux. Le journaliste pro-yankee travaille au milieu des correspondants de guerre, vit avec eux au Continental, il est l’ami des députés corrompus et des officiers, dîne avec eux, prend avec eux des verres chez Grival aux heures où l’attention se relâche, mais on est entre soi, loin des oreilles des Viêts. À la mort de Ho Chi Minh en 1969, il rédige une nécrologie reprise partout dans le monde sans commettre le moindre faux pas. Sa vie est cloisonnée, précise et efficace comme celle d’un Douch.

Ces deux-là sont les recrues idéales pour qui parvient à s’attacher leur fidélité.

Patrick Deville. Kampuchéa. Le Seuil 2011

23 06 1969

Nelson Mandela est en prison depuis le 5 août 1962. Il sera libéré le 11 février 1990. Il écrit à sa femme Winnie : […] Ce sont quelques diamants que contient cette lettre, et après l’avoir lue le 17 mai, je me suis senti à nouveau aux anges. Les désastres arriveront et s’en iront, laissant toujours leurs victimes soit complètement brisées, soit renforcées et plus expérimentées, capables de faire face à une nouvelle vague de défis. C’est précisément dans ce moment présent qu’on doit se souvenir que l’espoir est une arme puissante qu’aucun pouvoir sur terre ne peut vous enlever : rien ne peut-être aussi précieux que de prendre part à l’histoire de la formation d’un pays. Les valeurs éternelles de la vie sociale et de la pensée ne peuvent être créées par des gens indifférents ou hostiles aux véritables aspirations d’une nation. Ceux qui n’ont ni âme ni sens de l’orgueil national, ni aucun idéal, ne peuvent supporter l’humiliation ou la défaite. Ils ne peuvent élaborer aucun héritage national, ils ne sont inspirés par aucune mission sacrée et ne peuvent faire naître ni martyrs ni héros nationaux. Aucun nouveau monde ne naîtra grâce à ceux qui se tiennent à distance, les bras croisés ; il naîtra grâce à ceux qui sont dans l’arène, dont les vêtements sont déchirés par les tempêtes et dont le corps est mutilé par l’affrontement. L’honneur appartient à ceux qui ne renoncent jamais à la vérité, même quand tout semble sombre et menaçant, qui essaient encore et encore, que les insultes, l’humiliation ou la défaite ne découragent jamais. Depuis l’aube des temps, l’humanité  a respecté les hommes courageux et honnêtes, des hommes et des femmes comme toi, ma chérie – une jeune fille ordinaire née dans un village de campagne à peine indiqué sur les cartes, femme d’un kraal [le kraal, en afrikaans, est un groupe de huttes entourées d’une clôture pour garder le bétail] le plus humble même selon les critères paysans.

[…] Dans cette attente, je veux que tu saches que je pense à toi à chaque instant de la journée. Bonne chance, ma chérie. Un million de baisers et des tonnes d’amour.

Avec dévouement.

Dalibunga

13 07 1969

Les Russes lancent Luna 15, inhabitée, destinée à prélever des échantillons de la lune et les ramener sur terre. Elle va effectuer 52 révolutions autour de la lune, du 17 au 21 juillet, les Russes assurant les Américains qu’elle ne gênera en rien la mission Apollo 11.

Moon Race 1969 - Apollo 11 vs Luna 15 - YouTube

 

14 07 1969  

Un match de foot entre le Salvador et le Honduras se termine mal : 1 000 morts.

16 07 1969  

Lancement de la mission Apollo 11, qui emmène deux Américains sur la lune : Neil Amstrong et Bruce Aldrin.

21 07 1969 

Neil Amstrong est le premier homme à marcher sur la lune. Apollo XI s’est désolidarisé du LEM, qui alunit à 21 h 17, le 20 juillet. Les opérations à effectuer prendront presque 7 heures avant de pouvoir sortir. Il est 3 h 56’. Les deux hommes (le deuxième est Buzz Aldrin) passeront 22 heures sur la lune. Un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour l’humanité feront le tour du monde… à pas de géant.

Quand ils rentrent dans le module lunaire (LEM), Neil Armstrong demande à Buzz Aldrin : Et le paquet dans ta manche, tu l’as sorti ? La réponse est non. Aldrin, déjà remonté dans le LEM, sort le paquet et le jette par la porte ouverte. Armstrong, encore en bas, l’écarte du patin d’atterrissage avec le pied. Quid de ce paquet ? On y trouve l’insigne de la mission Apollo-1, qui porte les noms de Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee, morts en 1967. Il y a aussi deux médailles : la première en souvenir du premier homme dans l’espace, Iouri Gagarine, qui s’est tué dans un accident d’avion en 1968, la seconde à la mémoire de Vladimir Komarov, le sacrifié de Soyouz 1 ; hommage était ainsi rendu par les astronautes américains à leurs collègues morts deux ans plus tôt et à leurs deux homologues russes sur la Lune, reconnaissant que, tout Soviétiques qu’ils aient été, ils avaient comme eux l’étoffe des héros.

Ils en rapporteront 21.7 kg de roches qui prouvent une activité volcanique et établissent avec une quasi-certitude que la naissance de la lune est née d’un impact avec la Terre, simultanément à l’apparition de la vie sur Terre.

En 2000, lors d’une conférence devant le Press Club américain, il citera la 3° loi d’Arthur C. Clarke : Elle semble aujourd’hui particulièrement adaptée : toute technologie suffisamment développée est indiscernable de la magie. Vraiment, cela a été un siècle magique.

Une vingtaine d’heures après ces premiers pas de l’homme sur la lune, le Luna 15 des Russes s’écrase sur Mare Crisium – La mer des crises – Khrouchtchev se contentera, dans une langue de bois du plus pur style soviétique, du communiqué suivant : la Station a quitté son orbite pour atteindre la surface de la Lune dans la zone prévue …

Même si l’anecdote constitue une belle mise en abyme de l’échec du projet soviétique, tout n’a pas été à jeter dans cette aventure spatiale. Ce que la mission Luna-15 n’est pas parvenue à faire, Luna-16, 20 et 24 le réussiront, en rapportant sur Terre un total de plus de 300 grammes d’échantillons entre 1970 et 1976. C’est certes mille fois moins que la récolte des missions Apollo, mais il faut noter que les Soviétiques auront l’élégance de partager leur maigre butin avec des chercheurs occidentaux.

Pierre Barthélémy. Le Monde du 16 07 2019

Buzz Aldrin lança campanha para celebrar 45º aniversário do pouso na ...

Dans les mois précédant l’expédition, Neil Amstrong et Buzz Aldrin s’étaient entraînés dans un désert lunaire de l’ouest des États-Unis, qui abrite plusieurs communautés indigènes américaines. Un jour qu’ils s’entraînaient, les astronautes tombèrent sur un vieil indigène américain. L’homme leur demanda ce qu’ils fabriquaient là. Ils répondirent qu’ils faisaient partie d’une expédition de recherche qui allait bientôt partir explorer la Lune. Quand le vieil homme entendit cela, il resta quelques instants silencieux, puis demanda aux astronautes s’ils pouvaient lui faire une faveur.

  • Que voulez-vous ?
  • Eh bien, fit le vieux, les gens de ma tribu croient que les esprits saints vivent sur la Lune. Je me demandais si vous pouviez leur transmettre un message important de la part des miens.
  • Et quel est le message ? demandèrent les astronautes.

L’homme marmonna quelque chose dans son langage tribal, puis demanda aux astronautes de le répéter jusqu’à ce qu’ils l’aient parfaitement mémorisé.

  • Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
  • Je ne peux pas vous le dire. C’est un secret que seuls sont autorisés à savoir notre tribu et les esprits de la Lune.

De retour à leur base, les astronautes ne ménagèrent pas leurs efforts pour trouver quelqu’un qui sût parler la langue de la tribu et le prièrent de traduire le message secret. Quand ils répétèrent ce qu’ils avaient appris par cœur, le traducteur partit d’un grand éclat de rire. Lorsqu’il eut retrouvé son calme, les astronautes lui demandèrent ce que ça voulait dire. L’homme expliqua. Ce qu’ils avaient si méticuleusement mémorisé voulait dire : Ne croyez pas un seul mot de ce qu’ils vous racontent. Ils sont venus voler vos terres.

15 08 1969       

Woodstock

Bethel est une petite commune tranquille de 4 300 âmes à 160 km au nord-ouest de New-York. Michael Lang, producteur, Artie Kornfeld, John Roberts, Joel Rosenman  veulent organiser un festival et louent pour ce faire un terrain de 243 ha. à Max Yasgur, un fermier de White Lake, sur la commune de Bethel [Woodstock est le nom du lieu initialement choisi, mais l’opposition des habitants de la ville la plus proche n’avait pas permis au projet d’aboutir : trop tard pour corriger l’erreur : les affiches étaient déjà imprimées].

Trois jours de paix et de combats. Des centaines d’hectares à parcourir. Promène-toi pendant trois jours sans voir un gratte-ciel ou un feu rouge. Fais voler un cerf-volant. Fais-toi bronzer. Cuisine toi-même tes repas et respire de l’air pur, dit la pub qui avait complètement sous-estimé la jauge, – 50 000 – ils seront en fait dix fois plus, pas plus que les embouteillages colossaux qui en découlent, ni la pluie, ni la boue.

La programmation en est perturbée : à 17 h Richie Havens ouvre le festival à la place du groupe Sweetwater, bloqué dans la circulation. Le chanteur folk noir américain enchaîne des chansons avec sa guitare sèche et arrive à la fin de son répertoire mais le groupe suivant n’est toujours pas là. Il improvise alors Freedom sur un vieil air de gospel qui devient un hymne international. Les artistes qui ne peuvent accéder au site sont finalement amenés en hélicoptères de l’US Army, également utilisés pour apporter à la foule de l’eau, de la nourriture et des médicaments. On dénombrera trois décès (un à cause d’insuline, une appendicite non soignée et un accident de tracteur), quatre fausses couches ; deux naissances. Face  à ce qui commence à ressembler à une marée, les organisateurs décident de ranger les barrières et d’accorder la gratuité générale : come, come, that’s FREE !

Quarante groupes défilent sur la scène. Parmi eux, Joan Baez, Joe Cocker, Country Joe and The Fish, Crosby, Stills & Nash, Jefferson Airplane, Richie Havens, Jimi Hendrix, Santana, John B. Sebastian, Ten Years After et The Who. Mais les Beatles, Les Zeppelin, Jethro Tull refusèrent les conditions, les Doors n’ont pas pu venir à cause du procès de Jim Morrison à  Miami, Iron Butterfly est bloqué à l’aéroport, les Rolling Stones ne sont pas invités. Les organisateurs avaient écrit à John Lennon, offrant aux Beatles le cachet qu’ils désiraient pour se produire ; la contre-offre de Lennon, lui seul avec son nouveau groupe Plastic Ono Band, avait été rejetée. Jimi Hendrix terminera le festival à l’aube du lundi 18 août ; il ne restera alors plus que 30 000 spectateurs.

Certains plus que d’autres doivent leur carrière à Woodstock… dont Carlos Santana : Carlos Santana n’aurait pu imaginer un décor plus dingue pour voir son destin basculer. Le samedi 16 août 1969, un hélicoptère le dépose au milieu des champs de Woodstock où, en un tour de main, il va devenir une star alors qu’il vient de fêter ses 22 ans. C’est le deuxième jour du festival, et déjà l’apocalypse. A perte de vue, les voitures bloquent les routes, abandonnées par leurs passagers qui forment de longues colonnes à flanc de collines : un embouteillage surréaliste et monstrueux, une araignée hirsute dont les pattes de distendent à l’infini. Les organisateurs attendaient soixante mille spectateurs dans un écrin de verdure, ils sont cinq cent mille à venir de tous les horizons. Les clôtures sont tombées et la foule, sans discontinuer, entre sans payer. Partout, par les sentiers, par les forêts, par-dessus les clôtures effondrées. Une pluie diluvienne a tout balayé pendant les concerts folk du vendredi et transformé le site en un bourbier géant où plus personne n’a ses repères. Ce déluge inhabituel a retourné la campagne idyllique des Castkills, au nord de New York. Il est un peu plus de midi quand Santana découvre ce panorama affolant, des hordes de jeunes gens perdus, défoncés, détrempés, qui dévalent les pentes spongieuses, sortent des fourrés, et tournent en rond dans une ville surgie de nulle part, sans eau, sans commodités, sans rien à manger.

Dans les coulisses, séparé de la foule par une simple palissade, le guitariste mexicain traîne avec les musiciens regroupés sous une bâche tendue entre les arbres. Les rumeurs circulent à vitesse grand V. Les infirmeries sont pleines à craquer, certains paniquent, d’autres délirent. Il y aurait des morts, c’est pour cela que les ambulances et les motos foncent à travers champs, que les sirènes hurlent et que le ballet des hélicoptères se fait assourdissant. L’ambiance n’est plus au spectacle mais à la survie. Des bandes de hippies mouillés jusqu’aux os, habillées comme des gueux, seraient prêtes à en découdre dans la chaleur humide du nouveau jour. Les organisateurs ne contrôlent plus grand-chose. Santana racontera plus tard que cette marée humaine lui fait peur. Il est pourtant l’un des rares musiciens présents ce jour-là à connaître le vrai visage du chaos : il a grandi dans les baraquements de Tijuana, ville située à la frontière mexicaine où il jouait de la guitare, à 14 ans, dans une boîte de strip-tease. Il n’en est pas moins angoissé et décide de s’en remettre aux drogues hallucinogènes. Nous sommes à la fin des années 1960, il arrive de San Francisco, l’épicentre de la culture hippie, et croit en leur pouvoir apaisant. Après tout, il est venu à Woodstock pour le trip ultime : Trois jours de paix, d’amour et de musiqueLes hallucinogènes rendent la musique réelle et honnête, dira-t-il au magazine Rolling Stone. Ils m’ont fait connaître la splendeur et l’extase. Ce jour-là, il prend de la mescaline, la drogue psychédélique par excellence et en attend tranquillement les effets au cœur de la tourmente.

Son groupe doit jouer dans la soirée. Celle, phare du samedi, est consacrée à la scène californienne, qui domine le rock de l’époque. Jim Morrison, parano avant l’heure, a refusé de jouer avec les Doors de peur de se faire assassiner. Mais Janis Joplin, le Grateful Dead et le Jefferson Airplane tiennent leur rang de vedette du Flower Power. Une somme exceptionnelle de bonnes vibrations. Rien ne se passe comme prévu. Les organisateurs perdent pied, ils multiplient les annonces contradictoires et ne s’entendent pas. Ils sont effrayés à l’idée que le rassemblement tourne à l’émeute et modifient le programme à la hâte. Tous les médias du pays sont en alerte, les journaux du samedi perlent d’un cauchemar dans les Castkills et montrent en Une les hippies englués dans une mer de boue. Il faut de la musique pour calmer les esprits. Vers 13 heures, on donne une guitare à Country Joe Mc Donald, qui traîne du côté de la scène, et on le pousse vers le micro. Le chanteur s’en sortira triomphant en faisant épeler et reprendre à la foule un F.U.C.K. et un hymne anti Vietnam qui le propulse dans l’histoire. La fête est relancée et, dans la foulée, on appelle Santana à la rescousse. Il est 14 heures. Le guitariste est en pleine montée de drogue. Il comprend à peine ce qui se passe et voit la foule s’étendre, distordue devant lui, de hautes vagues qui bouchent l’horizon, comme un  océan effrayant de chair, de dents, de mains. Il prie Jésus de l’aider à jouer juste et dans le tempo. Dans ses hallucinations, sa guitare lui semble un serpent qui ondule étrangement et dont il essaie de dompter les mouvements.

Dans le public, personne ne connaît le bel efflanqué, torse nu sous son gilet noir, dont le visage parcheminé se creuse alors qu’il tire de sa guitare des stridences empruntées aux joueurs de blues de la baie de San Francisco. Son groupe commence tout juste à se faire une réputation dans sa ville et il est venu à Woodstock pour presque rien. En menaçant de retirer de l’affiche le Grateful Dead, dont il s’occupe aussi, leur manager les y a imposés et a obtenu un cachet de 1 000 $ [contre 15 000 pour les vedettes] L’annonce de leur nom ne fait pas passer le moindre frisson sur la foule. En quelques minutes pourtant, le tour est joué. Le public est debout. Santana s’impose comme le cocktail le plus détonnant que peut proposer l’époque à une nation de jeunes Blancs qui rêvent de liberté. Un groupe multiracial. Des musiciens latinos des faubourgs de San Francisco aux profils aiguisés comme des couteaux, et des jeunes prodiges blancs à gueule d’angelots qui s’ouvrent aux nouvelles sonorités du jazz. Un leader sexy porté sur la transe, la pensée transcendantale, l’esprit communautaire, la danse et le son des bongos sur lesquels sont scandés, dans les années 1960, les poèmes de révolte des beatniks. Du rock, du blues, du funk, des rythmes et des refrains mexicains. La world music avant l’heure, l’abolition des frontières, la liberté de l’improvisation et un guitariste qui trouve sa place entre Hendrix et Clapton.

L’avant-dernier morceau de leur prestation, Soul Sacrifice, dix minutes au rythme échevelé fait se lever la nation de Woodstock comme un seul homme. Une immense clameur descend des hauteurs. Santana triomphe et bascule dans un autre monde. La rumeur se propage, dans la foule, sur les ondes, tout au long d’une folle nuit qui verra Janis Poplin monter sur scène à 2 heures du matin, Sly and the Family Stone à 3 h 30, les Who à 5 heures et le Jefferson Airplane à 8 heures, dans le soleil levant. Le premier album du groupe sort juste après le festival. Un triomphe : deux millions d’exemplaires vendus et une critique extatique.

Il serait toutefois exagéré de résumer l’équation Woodstock+Santana à un sublime K.O en direct. En 1969, le festival est une grosse machine qui en annonce d’autres et qui pose les bases du grand commerce rock. Une solide équipe a été enrôlée par la Warner pour filmer les concerts et accompagner les ventes d’un triple album. La synergie est en place et, quand le long métrage fait un tabac dans le monde entier, la séquence consacrée à Santana est un des clous du spectacle. Le groupe bénéficie d’une publicité monstre. Le montage est réalisé par le jeune Martin Scorcese qui s’en donne à cœur joie, divisant l’écran en deux ou trois, entrechoquant les images, le son et les impressions. Il se régale de la furia percussive de Santana sur Soul Sacrifice, notamment de l’invraisemblable solo de batterie du très jeune Michaël Shrieve (17 ans) filmé sous tous les angles. Lui ne se remettra jamais vraiment de cette performance, qu’on lui fera rejouer toute sa vie. Les gros plans sur Carlos Santana montrent le visage christique d’un homme consumé par sa passion, tandis que la performance du groupe est enchâssée dans une série de plans d’un érotisme solaire où de beaux festivaliers se baignent nus dans le lac. La mise en scène de la liberté dont rêvaient les organisateurs et qu’ils vendent au monde entier paraît bien loin de la grande parano vécue en direct par le guitariste.

Le succès est un autre monde, les années 70 aussi. La grand messe de Woodstock ouvre les portes de la gloire amis laisse un goût amer : Woodstock était un Disneyland hippie, le triomphe de la publicité et du commerce à l’ancienne, perpétué par une bande d’arnaqueurs en Jean denim et tee-shirt  délavés, écrit David Dalton, un chroniqueur américain qui a vécu la folie en direct et ne goûte guère les images d’Epinal diffusées pour l’éternité : un défilé de seins et de fesses juvéniles, censés montrer à quel point nous étions libres et désinhibés. Mais que sont réellement ces images ? Rien d’autre qu’une vaste pub pour la vie selon Coca-Cola qui pourrait s’accompagner du slogan : Woodstock, la nature est en vous. Le film  édulcoré est également mal reçu par le noyau dur de la contre-culture. Quand vous quittez le cinéma et que son manager vous tend la brochure et un badge Peace and love, lit-on dans un fanzine, demandez-lui de vous accompagner dans les rues où le peuple de Woodstock se fait bastonner par les flics. Propulsé dans une autre dimension, Santana n’a pas tardé à se détacher de la culture hippie qui était son berceau. Le groupe s’est vite déchiré (à propos de la surconsommation de drogues notamment) et, dans la foulée de Woodstock, le guitariste a vécu le cauchemar d’Altamont, le concert gratuit organisé par les Stones où un spectateur fût tué par les Hell Angels. Le mal absolu, dira Carlos Santana, une sale vibration. Nous devions apparaître dans le film du concert, Gimme Shelter, mais nous avons refusé. L’harmonie avait disparu.

Laurent Rigoulet. Télérama 3624 du 29 6 au 5 07 2019

Thursday’s Thunder ~ Soul Sacrifice ~ Santana | Longshot's ...

Carlos Santana

 Woodstock en toc

Quand vous vous êtes retrouvé dans un champ au milieu de 300 000 personnes, face à un type barbu, moustachu, chevelu et nu, qui, l’air préoccupé, semblait régler le plus naturellement du monde une affaire de première importance avec son téléphone cellulaire à l’oreille; quand, un peu plus loin, vous avez croisé un adolescent immobile tenant à bout de bras, comme un supplicié, une pancarte où il était inscrit : I need more acid ; quand, au détour d’une tente portant l’écriteau suspect acupuncteur-chiropracteur vous avez une fille assise en position de lotus se faire cérémonieusement masser les seins par un zigoto tatoué auquel vous n’auriez même pas confié votre boite de vitesse ; quand les trombes d’un orage vous ont transpercé de part en part et que vous avez aperçu un Canadien assis dans la fange, moulant son sexe dans la  boue mangeant de la glaise à pleine bouche et hurlant qu’il était temps de redécouvrir le goût de notre mère, la Terre, alors, oui, raisonnablement vous avez pensé que le plus dur était fait, qu’il était temps de poser votre sac et que vous étiez arrivé à votre destination mythique : Woodstock 94.

Puisque vous aviez payé les 135 $ du ticket d’entrée, vous possédiez le privilège rare et le devoir indiscutable d’être là, sur ce champ, et pendant trois jours d’y vivre comme un réfugié. Certes, vous n’auriez pas le droit de sortir du campement, vous devriez dormir dehors quelles que soient les intempéries, ouïr de la musique nuit et jour,  faire la queue pour vous nourrir, vous laver, vous raser, et aussi patienter deux ou trois éternités devant des latrines diaboliques et portables appartenant à la société Johnny on the Spot. Sur le spot, vous aviez souhaité d’y être: eh bien vous y étiez.

Avant d’en arriver là, vous aviez dû abandonner votre voiture dans des parkings périphériques et ruraux situés à 5, 10, voire 30 kilomètres du lieu de concert. Ensuite, on avait fouillé votre sac, votre chemise, votre pantalon, et pour s’assurer de vos bonnes intentions, on vous avait fait passer sous des portiques détecteurs de métaux installés en plein champ. Il était temps alors de vous entasser dans des bus scolaires qui mettaient deux, trois, parfois quatre heures pour se traîner dans les embouteillages et vous conduire à destination.

Dans ce car, vous aviez voyagé à côté d’une garçon charmant d’une vingtaine d’année, pur produit de la génération X pour laquelle on avait organisé ce concert. Vous n’aviez pas échangé une parole – sans doute la différence d’âge – mais l’inscription que le jeune homme portait sur son T shirt ne vous avait pas échappé: Je n’ai pas peur. Je suis fort. Je suis un animal. Et je te boufferai, s’il le faut. Vous aviez alors pensé que ces cotonnades étaient des dazibaos intimes de l’Amérique, et qu’en leur prêtant une attention soutenue on pourrait flairer quelques chose. Comprendre par exemple que cette génération voulait sa place dans la vie, et vite. Comprendre aussi que ces messages personnels étaient parfois à cent lieues des slogans nunuches affichés sur les maillots de corps officiels distribués par Woodstock Ventures : Three more days of peace and music.

Vous aviez appris récemment ce qu’était Woodstock Ventures. Une société montée par Michaël Lang, Joel Rosenman et John Roberts, les trois promoteurs du concert de 1969 qui, d’un point de vue financier, s’était soldé par un désastre. Comme vous n’étiez pas tombé de la dernière pluie, vous saviez parfaitement ce qu’il fallait penser de tout ce baratin sur la paix et la musique. Il ne fallait pas être bien malin pour décoder les pensées secrètes des trois entrepreneurs : En 69, vous nous avez bien eus. Cette fois, on va vous tondre rasibus.

Rosenman, le plus médiatisé, a essayé jusqu’au bout de donner le change en faisant jouer un humour très personnel: Je ne suis absolument pas un homme d’affaires. J’aine ma musique, c’est tout. D’ailleurs j’ai plus de quarante ans et mon père me demande toujours comment je gagne ma vie. Le promoteur vous prenait pour un imbécile. C’était la règle. Vous l’aviez accepté en payant les 135 dollars. Quant à M. Rosenman senior, s’il voulait être informé des activités de son fils, il lui suffisait d’ouvrir les journaux pour apprendre que son héritier qui n’entend rien aux comptes avait mis sur pied, avec ses petits camarades de jeu, une opération de 35 millions de dollars à laquelle Pepsi Cola, Häagen Dazs, Nobody Beats the Wiz, Gibson Guitars, PolyGram, Continental Airlines, Philips et Apple avaient absolument tenu à s’associer. Trente-cinq millions, c’est ce que devraient rapporter les seules entrées. Les promoteurs disposant ensuite des droits colossaux dégagés par les produits dérivés : films, disques, retransmissions télé, T-shirts, blousons, logos, foulards, bandanas, briquets, tapis, coupe-vent et même préservatif. Pour bien verrouiller leur affaire, pour irrémédiablement plumer le pigeon, Lang, Rosenman et Roberts avaient même décidé d’interdire aux spectateurs d’introduire de la nourriture sur le site, les obligeant par là-même à se ravitailler dans les stands de Woodstock Ventures.

Ces ventures – là, pour parler crûment, vous commenciez à les avoir dans le nez. Et ce ne sont pas les quelques mots échangés avec John Scher, patron de PolyGram, qui allaient modifier votre opinion. Pendant que sur la scène nord se produisait Melissa Etheridge et que vous demandiez au magnat derrière quel ampli pouvait bien se cacher l’esprit de Woodstock 69, Scher vous répondait de ce ton condescendant que l’on réservait autrefois aux communistes : Nous avons mis en place les trois jours pour que les jeunes aient du bon temps. Nous sommes aussi une société de disques travaillant en système capitaliste. Vous n’allez quand même pas nous reprocher de faire des bénéfices ?  Pour vous changer les idées, vous êtes allée visiter le centre de presse installé sous une tente. Et c’est là, par un communiqué laconique, que vous avez appris la mort de Joseph Roussel, un homme de 44 ans vivant à Long Island. On l’avait retrouvé face contre terre, le cœur à l’arrêt. Un type parmi 300 000 autres. C’était tombé sur lui. Il souffrait de diabète. Vous avez pensé que vous n’aimeriez pas finir comme ça. Pas dans une rock venture. Pas après avoir casqué 135 dollars.

Alors vous êtes revenu dans le champ. Et vous avez senti l’herbe. Elle embaumait l’air. Vous avez aussi remarqué qu’il y avait de plus en plus de types défoncés ou qui organisaient pour les plus vaillants des trafics bizarres, annoncés par des bouts de carton griffonnés : 3 cachets de Tylénol : 1 dollar ; un verre de whisky Aristocrat : 1 dollar. Mais ce qui vous intriguait le plus, c’étaient ces gars qui se baladaient comme des gosses, avec un ballon gonflé au bout des doigts. De temps en temps vous remarquiez qu’ils inspiraient le gaz dans la baudruche. On vous a expliqué qu’ils inhalaient la nouvelle dope de Woodstock 94 : le gaz hilarant. Ça vous a fait beaucoup rire. Et puis vous êtes allé faire un tour au village de Saugerties. La population locale, elle aussi, était gagnée par les fièvres de la venture, louant 30 dollars la journée un carré de pelouse pour garer les quelques voitures qui avaient eu le privilège d’arriver jusque là. Dans Church Land, la rue du cimetière, les Mowers, les Fogerty négociaient ferme. Mais ce sont les Dengler qui se montraient le plus entreprenant, donc les plus madrés. Sur leur clôture, ils avaient apposé cette affiche: Qui que vous soyez, donnez-nous votre autographe, dites-nous d’où vous venez, ce que vous faites. Ça nous intéresse. Parking surveillé : 30 dollars.

De retour au camp, la nuit, la pluie et le bruit vous sont passés dessus. Vous avez repensé au spectacle de Jackyl. Musicalement, ça ne valait pas un clou mais, titillé par la télé, Jessy James Dupree, le chanteur du groupe, avait dégoupillé. Au milieu d’un morceau, il avait baissé son pantalon et terminé son récital l’oiseau et les fesses à l’air. Un frisson avait parcouru la foule, et caleçons et soutien-gorge avaient volé en l’air. Ce qui eut pour conséquence d’exciter, ou pour le moins d’énerver Dupree, qui tira trois fois en l’air avec un fusil de chasse, enflamma un tabouret avec de l’essence, fracassa une guitare Fender et entreprit d’exécuter, à 18 h 15 précise, un magnifique solo à la tronçonneuse thermique. À 18 h 20, rayonnant, les miches sous les spots, Jessy James devenait une vedette. À 18 h 22, grisé par le succès, il se jetait dans la foule comme on plonge dans le grand bain d’une piscine.

Sous une pluie d’orage, le samedi fut long, mais vous avez apprécié la performance de Cypress Hill, surtout lorsqu’un des rappeurs a allumé un pétard de 12 mètres sous les acclamations du public. Pour sa part, Joe Cocker a chanté son légendaire With a Little Help from My Friends. Passant d’une scène à l’autre, vous avez observé que tout ce programme rock était ultra-majoritairement blanc et masculin. En revanche, plus bas dans le champ, les mariages, eux, étaient mixtes (une homme, une femme). Une vingtaine d’illuminés avaient en effet décidé de se marier ce 13 août sur le site même du concert, en plein barouf. Conrad Bourguignon contre Amy Repp, Sonyo Wingo contre Mark Denny, Jim Donaldson contre Stacy Fitzgerald. C’est le juge Daniel Lamb qui, en grande tenue, célébrait les unions. Vous avez observé Sean Brooks et Christina Capozzi quand ils ont dit oui. Ensuite, ils se sont embrassés et ont annoncé qu’ils allaient fêter ça au champagne sans alcool. Woosdstock Venture nous a offert des préservatifs, a ajouté Sean. Sur la tente, on a accroché un écriteau : Do not disturb. Honeytoon in progress. Cela vous a glacé le sang.

Et puis ce dimanche est arrivé. Il pleuvait tellement que vous avanciez aussi lentement qu’un ver dans la glaise. La boue était partout. Les gens s’y vautraient, s’y jetaient goulûment. Comme on revient aux sources. MTV, pathétique, encourageait les mateurs à ingurgiter les glaise en direct. Le Canadien avait raison : manger la terre avent qu’elle ne vous avale. Et puis les excentricités se sont un peu calmées. Vous l’avez regretté. Au fond, vous aimiez bien tout ce cirque. Avec Green Day, vous aviez été servi. Green Day est un groupe atypicopunk dont les figures sont le bassiste nommé Tre Cool et le chanteur Billie Joe. Tre Cool commença à tisonner le public : J’espère qu’il pleuvra tellement que vous resterez collés dans ce champ. Billie en rajouta un peu: Je ne veux pas finir en hippie boueux comme vous, et les mottes de marne ajoutées aux insultes commencèrent à voler. Une bagarre éclata entre spectateurs et service d’ordre, et c’est couvert de goudron et de plumes que Green Day abandonna la scène.

Ce dimanche, vous êtes allée traîner du côté des commodités et vous avez constaté que les 2 800 Johnny on the spot étaient au plus mal. À côté de vous, un type a dit : Ça fait trois jours que je n’ai rien avalé. J’ai trop peur d’être obligé d’aller faire un tour là-dedans. Comprenant alors que vous en aviez assez vu, vous avez ramassé vos affaire et, comme Joseph Roussel, 44 ans, diabétique et originaire de Long Island, vous êtes sorti sans bruit.

Jean-Paul Dubois. L’Amérique m’inquiète. Saugerties, New-York 10 08 1994  Editions de l’Olivier/Le Seuil 1996

 

Il y a 45 ans : le festival de Woodstock

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21 08 1969   

À Jérusalem, des flammes s’élèvent au-dessus du Mont du Temple : la Mosquée al-Aqsa est en feu. Aussitôt flambée de colère contre Israël dans tout le monde arabe mais l’enquête révélera que l’incendiaire n’était pas juif, mais australien : Michael Rohan qui se croyait, comme tant d’autres fadas, investi d’une mission divine. Et donc, à l’intérieur de la mosquée part aussi en fumée le minbar – l’équivalent de la chaire des chrétiens – installé là par Saladin en 1187 pour célébrer sa reconquête de Jérusalem, qu’il avait fait venir d’Alep…. en fumée… pas tout à fait car seront épargnés quelques fragments, bien noircis tout de même qui seront les premiers éléments d’une reconstitution qui va devenir une bien belle histoire :

Sous le dôme de la mosquée, les murs sont noircis, le toit de la grande salle de prières est endommagé, les tapis ont brûlé, et des fragments de meubles carbonisés jonchent le sol. Dans son  édition du 23 août, Le Monde évoque des dégâts limités : on déplore surtout la destruction d’un petit escalier en bois, écrit le correspondant. Le petit escalier est en fait une œuvre inestimable. Les morceaux de bois calcinés retrouvés sont tout ce qui reste du minbar du sultan Saladin, qu’il avait fait venir d’Alep pour célébrer sa reconquête de la Ville Sainte, en 1187. Les minbars, du haut desquels le khatib prononce son prêche, sont l’équivalent des chaires des églises chrétiennes. Celui qui vient de brûler avait été construit en 1168, il mesurait 6 mètres de haut et 4 de profondeur. L’écrivain Ibn Jubair, secrétaire du gouverneur de Grenade, confiait au XII° siècle, son émerveillement devant une création unique, qui comble le regard d’un spectacle des plus raffinés, au-delà de toute description. Le chef d’œuvre de sculpture sur bois se compose de quelques 16 300 pièces de noyer, de cèdre, d’ivoire et d’ébène, assemblées sans clou ni vis ni colle. Un gigantesque puzzle en relief, orné de calligraphies arabes, d’arabesques et de motifs géométriques dont l’art islamique médiéval avait le secret. D’autant plus unique qu’il est symbolique : Saladin l’a voulu à Jérusalem pour marquer le retour de la mosquée al-Aqsa dans le giron islamique – auparavant, le bâtiment servait de palais pour les Croisés chrétiens. Près de huit-cents ans après son installation triomphale, voilà donc le minbar détruit. Remplacé par un ersatz, un vilain escalier de métal verdâtre. Il ne doit être que temporaire : très vite, le royaume jordanien annonce vouloir reconstruire la chaire à l’identique… Mais le défi est titanesque. Il nécessitera plus de trente-sept années et 1.5 million $.

Car il n’existe pas de modèle. Aucun plan n’a traversé les siècles, et si certains monuments syriens réalisés à la même époque peuvent délivrer des indices stylistiques, ils sont loin d’être suffisants. Dans un premier  temps, le comité jordanien qui chapeaute la reconstruction demande à l’artiste palestinien Jamal Badran (1909-1999) de reconstituer les motifs qui ornaient le minbar et devront habiller son jumeau moderne. Dès 1971, et pendant cinq ans, cet expert en décoration islamique recopie et complète – à la main ! – les ornementations qu’il devine sur les morceaux de bois rescapés et quelques photos dénichées dans des musées. Mon père, qui avait son studio à Ramallah, a fini par aller tous les jours à Jérusalem pour dessiner, raconte sa fille, Samira Badran, elle-même artiste plasticienne. Il était obsédé par la minutie de certains détails, notamment les inserts d’ivoire. À la maison, il faisait les cent pas, ma mère lui demandait ce qu’il fabriquait et il répondait : c’est le minbar, c’est le minbar ! Des dessins, dont vingt-huit mètres de calligraphie, seront expédiés dans des tubes vers la Jordanie et serviront de point de départ aux cerveaux qui, à la suite de Jamal Badran, allaient cogiter sur ces lignes et ces angles. Le nom du Palestinien, pourtant, n’apparaît pas dans l’ouvrage consacré à la reconstruction ; The minbar of Saladin, publié en 2008 par Lynette Singer. Ses longues heures de travail sont peu à peu tombées dans l’oubli.

Dans les années 1980, malgré quelques tentatives en Turquie et en Syrie, la reconstruction stagne, et il faut attendre la décennie suivante pour que l’aventure se relance. Aux grands défis, les grands moyens : le roi de Jordanie annonce alors un concours international pour sélectionner l’équipe qui saura accoucher du design complet de l’objet. Après quelques bisbilles entre bureaux d’architectes, c’est finalement Minwer al-Meheid, un ingénieur saoudien, qui est choisi. De son propre aveu, il n’aurait jamais remporté la compétition s’il n’avait trouvé, par le plus grand des hasards, lors d’un voyage en Syrie, un petit ouvrage écrit par un professeur anglais, richement illustré de dessins. En plein ramadan, depuis son salon immaculé tapissé de calligraphies, il raconte : À cette époque, je faisais des recherches sur l’art islamique, j’étais en pleine quête métaphysique. Un jour, à Damas, je suis tombé sur un livre dans la librairie de mon hôtel: Islamic Patterns, de Keith Critchlow. C’était totalement improbable de le trouver là, car à l’époque, il y avait une sorte d’embargo qui empêchait l’import d’ouvrages étrangers. C’était le seul exemplaire ! Je l’ai acheté, j’étais très heureux car il expliquait en profondeur les principes proportionnels précis de la géométrie sacrée. J’avais lu d’autres livres sur cet art quasi oublié, mais ils n’étaient ni complets ni précis. Là, il y avait tout. Un an et demi après cette découverte, j’étais prêt à dessiner les plans du minbar.

Minwer al-Meheid finit même par passer un doctorat en Angleterre, accompagné par Critchlow, l’auteur du petit livre. Ce professeur d’architecture et de géométrie vient alors de créer un département académique consacré aux arts visuels islamique et traditionnels… qui allait devenir l’École des arts traditionnels du prince Charles, passionné par le sujet. Ce coup de pouce monarchique ne sera pas superflu. Car retrouver les savoir-faire artisanaux nécessaires à la reconstruction du minbar supposait de comprendre la science presque perdue qui les régissait au XII° siècle : la géométrie sacrée, utilisée aussi bien pour orner les mosquées médiévales que pour concevoir les cathédrales gothiques. On y retrouve la vision platonicienne d’un monde organisé selon des principes proportionnels précis. C’est cette science mi-artistique, mi-métaphysique que découvre Minwer al-Meheid en lisant Keith Critchlow. Jusqu’ici, on ne faisait que copier les motifs anciens. C’était la mauvaise approche, explique l’architecte Khaled Azzam. Lui-même ancien élève du Britannique, il dirige l’école princière depuis sa création. Keith nous a appris à comprendre les symétries et les proportions génériques à la base de ces motifs. Sans commencer par cela, on commettait des erreurs. Et dans le cas du minbar, la moindre petite erreur à l’étape du dessin s’étendait au fur et à mesure que vous travailliez. À la fin, ça ne collait pas.

Une fois nommé à la tête de la reconstruction, Minwer al-Meheid et son équipe appliqueront donc la méthode de Critchlow. Nous avons corrigé les erreurs des premiers dessins, en recherchant les proportions géométrique exactes à partir des photos du minbar original. Puis, on a dessiné. On a mis entre dix et douze mois pour achever tous les motifs puis les réaliser sur ordinateur, se souvient l’ingénieur. Les machines étaient si lentes et les motifs si précis que pour charger chaque dessin on devait attendre quarante-cinq minutes. Puis une heure encore, le temps de l’impression. Avec mon équipe, on restait tous debout autour de l’imprimante à regarder le résultat sortir petit à petit. C’était long mais magnifique. Il faudra deux année supplémentaires pour obtenir les validations du Comité technique jordanien et trouver les artisans capables de transformer les milliers de lignes dessinées en pièces de bois sculptées. Les seuls qui savaient réaliser l’assemblage du bois sans clou ni colle  étaient les Turcs. Il y a en Turquie beaucoup de portes et de minbars à restaurer ; le savoir-faire s’était transmis. Une vingtaine d’artisans venus, outre la Turquie et la Jordanie, du Maroc, de Syrie, d’Indonésie et d’Égypte, finiront par rejoindre le projet. La Turquie offre le bois de noyer ; le Soudan, de l’ivoire et de l’ébène.

Au début des années 2000, l’équipe s’installe dans les ateliers de l’université al-Balqa, toute proche d’Amman. Venu de Londres, l’architecte Khaled Azzam est alors en train d’y lancer une formation aux arts islamiques traditionnels – qui existe toujours – sur le modèle de l’école britannique princière. Nos étudiants ont eu la chance d’assister à la fabrication du nouveau minbar. On avait tous conscience qu’il se passait dans ces ateliers quelques chose d’épique: le reconstruction en elle-même, mais aussi la renaissance d’une transmission artistique qui s’était perdue, avec la création de diplômes valorisant l’artisanat au même niveau que l’architecture. Pendant des mois, les artisans taillent, tournent, sculptent et polissent le bois, puis assemblent les panneaux un à un. On était un peu anxieux, confie Minwer al-Meheid, à la tête des opérations. Même mes architectes n’arrivaient pas à croire que tout ça allait tenir sans clou ni colle et pourtant… à la fin, ça tenait !  Le résultat est certes plus uniforme, moins énigmatique que l’œuvre originale, mais l’exploit est là : début 2007, juste après le seconde intifada et plus de trois décennies après l’incendie, le nouveau minbar est envoyé en kit à Jérusalem pour être installé dans la mosquée al-Aqsa. Mort, Jamal Badran, l’artiste palestinien, n’est pas là pour le grand jour. Minwer al-Meheid, lui, ne peut pas venir sur place à cause de son passeport saoudien. Il philosophe : Tout ça, ce n’était pas grâce à nous. C’était grâce à la géométrie.

Élise Racque. Télérama  n° 3783 du 16 au 22 juillet 2022

Al Aqsa (El Aksa) Mosquée, Jérusalem -- vue de l'intérieur. Date : vers 1910 Photo Stock - Alamy

Al Aqsa (El Aksa) Mosquée, Jérusalem, vers 1910

 

Minbar de la mosquée al-Aqsa

https://focus.telerama.fr/2022/07/06/0/0/2816/1880/1200/0/60/0/15e664d_1657113215216-91ed5df-1657113116378-minbar-of-saladin-in-al-aqsa-mosque.jpg

1 09 1969   

Gabrielle Russier, enseignante de 32 ans à Marseille avait une liaison avec l’un de ses élèves, 16 ans : elle ne résiste pas au poids de la mise à l’index et se suicide au gaz. Le 31 octobre 1968, elle avait eu la mauvaise surprise de voir sa demande d’un poste d’assistante en fac à Aix en Provence, acceptée mais pas à Aix, à Rennes ! Le 11 juillet 1969, elle avait été condamnée à douze mois de prison avec sursis, 1 500 francs d’amende et un franc symbolique pour les parents de Christian, mais le procureur de la République avait fait appel. Le recteur Claude Franck lui sucrera deux mois de traitement, correspondant à la période où elle était aux Baumettes.

Près de 50 ans plus tard, dans une situation analogue, Brigitte Auzière, née Trogneux deviendra première Dame de France en mai 2017, après avoir rencontré Emmanuel Macron quand il avait 16 ans et elle 41. Ils avaient frôlé, mais tout de même évité, le scandale. Cela n’aura été possible que parce que la société l’avait permis, quand la société de Gabrielle Russier, quinze mois après mai 68, était restée fondamentalement étroite, étriquée et mortellement conformiste : des parents  communistes qui font inscrire leur fils pour la rentrée 1969 au lycée d’Argelès-Gazost, dans les PO, loin, bien loin de Marseille, les mêmes parents qui traduisent la maîtresse de leur fils devant un tribunal, puis acceptent l’internement de ce fils en asile psychiatrique, un tribunal qui marche dans les pas des parents et condamne Gabrielle Russier…

J’en ai trop vu, trop entendu, je voudrais m’endormir dans un sommeil sans fin… J’ai tellement peur d’être marquée à jamais, de ne pouvoir oublier.

Gabrielle Russier et Christian Rossi: aimer son élève à en mourir ...

Les jumeaux, Joël et Valérie, 4 ans, avec le chat Frotadou, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), en 1963.

Joël et Valérie, ses jumeaux de 4 ans, avec le chat Frotadou, à Aix-en-Provence, en 1963. Collection privée.

Poème écrit par Gabrielle Russier en prison.

écrit par Gabrielle Russier à la prison des Baumettes

Dernière lettre de Gabrielle adressée à son ex-mari Michel Nogues, avant de quitter la clinique de la Recouvrance (Haute-Pyénées), le 29 août 1969.

à son ex-mari Michel Nogues

Christian Rossi, à Paris, le 27 mai 1970. Né en janvier 1952, il a alors 18 ans.

Christian Rossi, à Paris, le 27 mai 1970. Né en janvier 1952, il a alors 18 ans.

Cela commence avec un soupçon de mélancolie comme un roman de Stendhal ou de Balzac. Une femme mûre aime un jeune homme. Elle a 30 ans. Du temps de Balzac, elle ne pourrait plus prétendre à grand-chose. Aujourd’hui, l’âge l’a à peine effleurée. Elle est professeur de lettres. Pour un collégien rêveur, c’est la Sanseverina (…) Un jour, c’est le mois de mai, tout le monde est ivre. L’univers raisonnable n’est plus qu’un souvenir. Ils lancent ce dernier pavé sur le monde des adultes. Ils s’aiment, il n’a que 17 ans (…) Est-ce le nouveau roman de Christiane Rochefort, la version hollywoodienne de Phèdre ou de Chatterton ? Non. C’est simplement une histoire vraie. Il n’y manque que la fin. Dans un livre, l’auteur l’eût faite différente. Jugée à huis clos par le tribunal de Marseille, Madame X. a été condamnée à un an avec sursis. La vie ne sait pas terminer les histoires en beauté. 

Jean-Marie Rouart. Le Figaro du 17 juillet 1969

L’appareil judiciaire s’est comporté comme le plus froid des monstres froids.

Georges Pompidou, président de la République, en OFF à Jean-Michel Royer, RMC, quelques jours avant sa conférence de presse du 22 septembre 1969

Qui a tendu la main à Gabrielle.      Serge Reggiani

Qui a tendu la main à Gabrielle?
Lorsque les loups se sont jetés sur elle 
Pour la punir d’avoir aimé d’amour
En quel pays vivons-nous aujourd’hui?
Pour qu’une rose soit mêlée aux orties
Sans un regard et sans un geste ami

Qui a tendu la main à Gabrielle?
Même un voleur eût plus de chance qu’elle
Et l’on vous dit que l’amour est le plus fort
Mais pour chacun le soleil reparaît
Demain matin l’oubli sera complet
Et le vent seul portera son secret

Dans les bois dans les prés et jusqu’aux ruisseaux
Par les villes par les champs et par les hameaux
Suivez dans sa course folle
La légende qui s’envole

Qui a tendu la main à Gabrielle?
Lorsque les loups se sont jetés sur elle
Pour la punir d’avoir aimé d’amour
En quel pays vivons-nous aujourd’hui?
Pour qu’une rose soit mêlée aux orties
Sans un regard et sans un geste ami

Qui pensera demain à Gabrielle ?

Des fleurs pour Gabrielle                   Anne Sylvestre

N’en parlez pas
N’y touchez plus
Vous avez fait assez de mal
Il ne sera jamais normal
Que par tristesse l’on se tue
Mais avoir vu tout mélanger
De grosses mains dans votre cœur
Dans votre âme des étrangers
Il y a de quoi prendre peur

Et c’était un amour peut-être
Un amour pourquoi, un amour comment
Un qu’on ne met pas aux fenêtres
Un qui ne ferait pas même un roman
En brandissant votre conscience
Vous avez jugé au nom de quel droit
Vos poids ne sont dans la balance
Pas toujours les mêmes
On ne sait pourquoi

Monsieur pognon peut bien demain
S’offrir mademoiselle Machin
Quinze ans, trois mois et quelques jours
On parlera de grand amour

N’en parlez pas
N’y touchez plus
Mais savez-vous de qui je parle ?
Il ne sera jamais normal
Qu’on tue et qu’on n’y pense plus
Mais avoir vu tout saccager
Et dans son âme et dans son corps
Mais trouver partout le danger
Il y a de quoi prendre mort

Et c’était un amour peut-être
Un amour printemps, un amour souci
Un qu’on ne met pas aux fenêtres
Un qui pouvait faire du mal à qui ?
Si j’avais su, si j’avais su
Que vous vous penchiez au bord de ce trou
D’un coup d’avion serais venue
Pour vous retenir là au bord de vous

Monsieur pognon ne mourra pas
Mam’zelle Machin, la bague au doigt
Étalera son grand amour
Avec quelques diamants autour

Et le printemps déplie ses feuilles
La liberté nous berce encore
Nous qui sommes toujours dehors
Il se pourrait bien que l’on veuille

Nous couper les ailes aussi
Je vous dédie ces quelques fleurs
J’aurais pu être comme vous
Et tomber dans le même trou
Je vous comprends si bien, ma sœur
Vous restez un de mes soucis

On n’a pas arrêté la meule
Où d’autres se feront broyer
Et vous ne serez pas la seule
Ça ne peut pas vous consoler

En s’installant pendant trois mois dans un appartement de Marseille pour enquêter sur Gabrielle, Michel del Castillo écrira Les Ecrous de la haine, publié en octobre 1970 aux éditions Julliard. André Cayatte, sur un scénario écrit par Pierre Dumayet réalisera Mourir d’aimer où Annie Girardot est Gabrielle. 6 millions de spectateurs.

En Lybie, Mouammar Kadhafi renverse le roi Idriss I° et s’installe rapidement comme le seul chef en se débarrassant de ses comparses. Il restera au pouvoir jusqu’en 2011.

9 09 1969   

Eddy Merckx fait une chute sévère sur la piste de Blois : mais auparavant, quelle année ! l’homme a écrasé de son art, de sa classe tous ses adversaires : Paris-Nice, où il double Jacques Anquetil dans le contre la montre du col d’Èze, Le Tour des Flandres, Liège-Bastogne-Liège. Le Giro et le Tour de France, avec un Roger Pingeon second à 18’ ! Jacques Goddet, directeur du Tour titrera dans l’Equipe : Merckxissimo.

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29 09 1969

Une météorite de près de 100 kg tombe près du village de Murchison, à une centaine de km au nord de Melbourne, en Australie.

C’est une chondrite carbonée du groupe CM2. Cette météorite est célèbre pour avoir fortement influencé la conception des origines de la vie en raison de la présence de nombreux composés organiques en son sein, dont des acides aminés, des purines et des pyrimidines. Ces composés étant des briques essentielles du vivant, leur présence dans une météorite accrédite l’idée que les premiers constituants nécessaires à l’émergence de la vie ont eu une origine extraterrestre.

Début 2020, la datation de grains présolaires  de carbure de silicium extraits de la météorite montre qu’il s’agit de poussières d’étoiles vieilles de 7 milliards d’années, et suggère qu’il y a eu une intense formation stellaire dans notre galaxie à cette période. La composition isotopique des grains indique qu’ils proviennent d’une supernova de type II , produite par une étoile dont la masse est évaluée à 25 masses solaires.

Wikipedia

09 1969  

Jacques Chaban Delmas, premier ministre, lance son programme de nouvelle société, préparé par ses chefs de cabinet : Simon Nora et Jacques Delors. [Le texte se trouve dans Discours ]

10 1969 

Murray Gell-Mann, américain, reçoit le Nobel de physique : il a découvert de quoi sont faites les particules élémentaires de l’atome : des quarks. Il en existe six qui forment ce que les physiciens appellent l’étrangeté d’une particule : cette propriété permet au noyau de demeurer stable grâce à la force de cohésion dite interaction forte. C’est le véritable ciment qui lie les éléments de notre Univers.

3 11 1969

Au Caire, le général Émile Boustani, commandant en chef de l’armée libanaise signe avec l’OLP – Organisation de Libération de la Palestine – des accord secrets qui reconnaissent le droit de la résistance palestinienne à mener des actions à partir du territoire libanais et légalisent leur présence armée au Liban. Les Libanais n’ont pas fini de s’en mordre les doigts.

9 11 1969   

78 Indiens débarquent sur l’île d’Alcatraz, the Rock, une prison fédérale abandonnée, dans la baie de San Francisco. Fin novembre, ils seront 600, qui proposeront d’acheter Alcatraz avec des perles de verre et des chiffons de toile rouge comme les Blancs l’avaient fait pour Manhattan environ trois siècles auparavant.

Nous pensons que cette île que vous appelez Alcatraz est idéale pour recevoir une réserve indienne telle que les Blancs la conçoivent. En fait, nous pensons que cet endroit présente toutes les caractéristiques des réserves indiennes :

  • Elle est éloignée de tous services et n’est desservie par aucun moyen de transport adéquat.
  • Il n’y a pas d’eau courante.
  • Les services sanitaires sont défectueux.
  • Pas de pétrole ou de minerais.
  • Pas d’industrie et donc un chômage très élevé.
  • Aucun service de santé.
  • Le sol est rocheux, impropre à toute culture, et il n’y a pas de gibier
  • Pas d’équipements scolaires.
  • Il y a toujours eu surpopulation dans cette île.
  • La population a toujours été considérée comme prisonnière et tenue dans une totale dépendance des autres.

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L’aube n’est pas encore levée, ce 20 novembre 1969, quand le chalutier quitte Sausalito pour se glisser dans la baie de San Francisco. Les étudiants se sont donné rendez-vous au milieu de la nuit dans un café proche du quai, le No Name Bar. Richard Oakes a rameuté ses camarades de l’université de Los Angeles. Le groupe est plus nombreux que prévu. Il faudra trois bateaux pour transporter les 89 premiers occupants, dont six enfants de 2 à 6 ans. Quarante minutes de traversée, le courant est fort, la nuit noire. Et voilà Alcatraz, l’île prison, la forteresse dont on ne s’échappe pas, même si – légende ou histoire vraie – trois détenus y sont parvenus en 1962, à moins qu’ils ne se soient noyés, car personne n’a plus jamais entendu parler d’eux. L’île est surnommée The Rock , le rocher. C’est un caillou en effet, de 9 hectares, sur lequel l’armée a érigé un fort, puis une prison militaire en 1907, avant de la remettre à la justice civile en 1934. Al Capone y a été incarcéré, et certains des criminels les plus endurcis de l’époque. En 1962, Bob Kennedy, ministre de la justice, a décidé de la fermer. Trop chère ; il faut tout acheminer par bateau. Le 21 mars 1963, les derniers détenus ont été transférés sur le continent, menottes aux poignets. Depuis, les pouvoirs publics tergiversent sur le sort du rocher. La municipalité de San Francisco penche pour le projet de casino-resort du pétrolier texan Lamar Hunt. Le cercle des Sioux de San Francisco a une autre idée : revendiquer l’îlot au nom du traité de Fort Laramie de 1868. Celui-ci prévoit que les tribus sont en droit de réclamer les terres en surplus : celles que le gouvernement des États-Unis n’occupe plus. A la bibliothèque de Berkeley, les étudiants ont retrouvé un exemplaire du traité. L’idée a germé.

En cette fin 1969, la jeunesse indienne est en ébullition, comme le reste du pays, déchiré par la guerre du Vietnam. Pour les Natives, c’est une question de survie. Depuis 1953, le gouvernement américain mène une politique dite de termination : de fermeture des réserves. Il veut vendre les terres et assimiler enfin les Indiens. Argument : les réserves sont dans un état de dénuement catastrophique. L’espérance de vie y est de vingt ans inférieure à la moyenne nationale, le chômage dix fois plus important. Il se trouve aussi que l’industrie minière s’agace que le sous-sol, qui recèle plus de richesses qu’on ne croyait (les tribus de l’Ouest contrôlent un tiers du charbon et 80 % de l’uranium), reste peu exploité. Les Indiens sont encouragés à quitter les réserves. On leur donne un aller simple vers l’un des centres de relogement, une allocation de 140 dollars par mois. Et un réveil, comme pour leur rappeler qu’il est temps de se mettre au travail. Sur 764 000 Natives, plus de 100 000 prennent le chemin des villes, soit davantage que pendant l’exode forcé du Trail of tears (18311837). L’adaptation est difficile. Un Indien sans terre, c’est comme un homme sans pays, dira La Nada Means, l’une des figures de l’occupation d’Alcatraz. Mais, en ville, ils rencontrent pour la première fois des compatriotes venus d’autres tribus. Ils confrontent leurs misères d’exilés, créent un journal sur le sentier de la guerre, le War Path. Le monde indien se découvre une conscience commune, nationale . Un sentiment inimaginable depuis la Ghost Dance, clamera Richard Oakes. En 1889, au plus bas de la destinée indienne, la danse des esprits était devenue la religion du désespoir. Elle affirmait la prophétie qu’un jour le bison reviendrait et, avec lui, le mode de vie indien. Un jour, les terres seraient rendues aux tribus… Quand les étudiants débarquent à Alcatraz, ce 20 novembre, le gardien Glenn Dodson ne s’y oppose pas. Il lance un appel de détresse Mayday ! Mayday ! Puis, se ravise – il a lui-même un huitième de sang indien – et leur recommande de s’installer dans les anciens quartiers des gardiens, deux bâtiments de trois étages, à la pointe du rocher. Richard Oakes promet de le nommer chef du bureau des affaires blanches s’il continue de coopérer. La forteresse est à eux et va le rester pendant dix-neuf mois. C’est un moment d’exaltation et de rébellion, à l’égal de la contreculture pour la jeunesse blanche ou des droits civiques pour les Noirs. Alcatraz n’est pas une île, lance Richard Oakes, c’est une idée. Une renaissance, dit aujourd’hui Alan Harrison, un Pomo de Clear Lake (Californie), qui avait 8 ans quand il a participé à l’occupation avec sa mère, Luwana Quitiquit, étudiante au premier département d’études amérindiennes de la San Francisco State University. Les jeunes sont vêtus de vestes à franges, coiffés de feutres, des bandanas retiennent les longs cheveux des filles et des garçons. Dès le premier jour, ils affichent un portrait de l’Apache Geronimo dans le salon de l’ancien gardien chef, peignent des proclamations à la peinture rouge. Ce rocher n’est plus un bâtiment fédéral, mais une indian property : une nouvelle réserve, celle des Indiens de toutes les tribus. Les occupants sont persuadés qu’ils vont être rapidement délogés. Alan Harrison – qui a fait carrière dans la décoration de plateaux de télévision à Hollywood – montre encore l’endroit où il se trouvait, dans la cour qui servait de terrain de sport aux gardiens. Un hélicoptère des garde-côtes s’est approché, tireur en position, le canon du fusil dirigé vers lui. Cinquante ans ont passé, le moment est resté gravé. Les craintes des occupants se révèlent infondées. Richard Nixon, le président, renonce très vite à l’usage de la force. Le massacre de My Laï, au Vietnam, en mars 1968, a été révélé par la presse huit jours plus tôt. Le gouvernement tient à éviter toute confrontation. Faute de mieux, les garde-côtes mettent en place un blocus. Qui ne va tenir que quatre jours : la ville de San Francisco a pris fait et cause pour les Indiens. A la voile, en barque, en bateau de pêche, les habitants essaient d’apporter des vivres aux rebelles et débordent sans peine les vedettes des garde-côtes qui ne savent plus où donner du tocsin. Une montgolfière décolle même de la marina, le 23 novembre, mais elle sera déviée par des vents hostiles. Des sympathisants arrivent de tout le pays. Ils sont bientôt 250 sur le rocher. Richard Oakes lit les revendications. Le texte s’adresse au Grand-père Blanc et à son peuple. Solennellement, il propose un nouveau traité par lequel les Indiens offrent 24 dollars de verroteries et de tissu rouge en échange d’Alcatraz. Dans la même veine sarcastique, la proclamation souligne que l’îlot est fait pour eux. Comme les réserves, il est isolé des installations modernes, dépourvu de moyens de transport et d’eau courante. Il n’y a ni école, ni hôpital, ni industrie ou ressources minérales. Et la population y a toujours été tenue prisonnière et dépendante. Les étudiants entendent faire d’Alcatraz  une université, un centre culturel. Un musée, qui ne cachera rien des bontés léguées par la civilisation : maladies, alcool, pauvreté, barbelés, boîtes de fer-blanc, containers de plastique. Et, bien avant la mode, un centre consacré à l’écologie où les jeunes apprendront à rendre à la terre et aux rivières leur état de pureté naturelle. Richard Oakes et ses amis veulent avoir accès à l’enseignement supérieur, comme les autres jeunes Américains. Assez des filières techniques et des éducateurs du Bureau des affaires indiennes qui n’aiment rien tant que de leur montrer des films sur la conquête de l’Ouest. Cela fait quatre cents ans que l’homme blanc nous éduque. Ça a été un échec total, dénonce La Nada Means. Richard Oakes est proclamé leader du groupe par les médias, ce qui ne va pas sans ressentiment dans un univers aussi égalitaire que le monde indien. Il est charismatique, parfois facétieux, et se pose à l’égal des négociateurs du gouvernement.

Né en 1942, il a grandi sur la réserve mohawk dans le nord de l’Etat de New York et, comme son père, il s’est joint à la confrérie des guerriers du ciel, les trompe-la-mort du fer et de l’acier qui construisent les gratte-ciel de Manhattan. Pourquoi Alcatraz ?, lui demande un reporter. Parce que c’est ce que l’on voit en premier en entrant dans la baie, répond il. Comme à New York, la statue de la Liberté. Le premier Thanksgiving est un triomphe. Le restaurant athskeller de Ghirardelli Square a donné 200 repas de dinde et prêté des cuisiniers. De toute la région, les familles arrivent chargées de mets supplémentaires et de tambours. Joseph Morris, un Blackfoot membre du syndicat des dockers, se procure un local sur le quai 40 qui servira d’entrepôt. Un compte en banque est ouvert au nom des Indiens de toutes les tribus : 4 000 dollars y parviennent dès la première semaine. Sur l’île, on se répartit les cellules. Loge des Cheyennes, chambre des Pomo. Il y avait un type qui était arrivé du Nebraska, raconte Alan Harrison. Il n’avait jamais si bien dormi. Chez lui, sur la réserve, ils étaient dix dans une chambre. Les occupants installent une fosse de  récupération des eaux usées, là où, depuis plus d’un demi-siècle, les autorités américaines rejetaient les déchets dans la baie. Une école, Big Rock School, ouvre dès le début décembre, dans l’auditorium de ce qui avait été le quartier  principal de détention. On y enseigne les maths et aussi l’art des perles et des parures de cérémonies. Pour les enfants,  Alcatraz est un paradis. Le fabricant de jouets Mattel a offert des centaines de jouets, des vélos. On n’en avait jamais vus autant, relate Alan. Le weekend, ils sont plus de 500 sur le rocher, émerveillés de se retrouver entre eux (les seuls non Indiens admis la nuit sont les médecins et les avocats). A l’exception des Ohlone, les maîtres originels de la baie de San Francisco, hostiles à l’idée de laisser à d’autres tribus la jouissance du rocher, l’opinion est conquise. Les célébrités accostent : Jane Fonda, Merv Griffin, Candice Bergen, Anthony Quinn. Le groupe Creedence Clearwater Revival offre un bateau. La Maison Blanche reçoit des centaines de lettres : Pour une fois, dans l’histoire de ce pays, laissons les Indiens obtenir quelque chose. Laissons leur Alcatraz ! Le 3 janvier 1970, c’est le drame. Yvonne Oakes, 13 ans, la fille de Richard, tombe du troisième étage dans le bâtiment communautaire. Elle succombe à ses blessures cinq jours plus tard. Chief Oakes, comme l’ont  surnommé les médias, soupçonne une main malfaisante et demande l’ouverture d’une enquête, mais le FBI ne trouvera rien qui contredise la thèse de l’accident. Richard, sa femme, Annie, et leurs enfants plus tard, le héros de l’occupation connaîtra lui-même une fin tragique, abattu par un vigile blanc à Sonoma, au nord de San Francisco. Richard Oakes, 30 ans, n’était pas armé mais l’assassin plaide la légitime défense. Et, scénario familier, l’homme sera acquitté. Il ne reste plus que 80 occupants réguliers mais les donations continuent d’arriver. L’équipe de football des Washington Redskins – à qui on ne demande pas encore de laisser tomber ce nom  dévalorisant de peaux-rouges – offre une télévision couleur, qui sera apportée par Ethel Kennedy, la veuve de Robert. Le 26 mai 1970, quand le gouvernement coupe l’électricité et saisit la barge d’eau douce qui alimente le rocher, l’Eglise unitarienne de San Francisco compense par l’envoi d’un générateur. Un jour d’été, une flèche est tirée en direction d’un bateau qui s’est approché à moins de 200 mètres, semant la panique. Les Indiens se moquent. Avec une flèche à 42 cents, achetée à l’embarcadère, ils ont fait reculer les ferries des touristes blancs. John Trudell, devenu le porte-parole de l’occupation, continue de donner des bulletins d’information emphatiques sur Radio Alcatraz. Le 20 juillet, il annonce que sa femme, Lou, vient de donner naissance au premier Indien né libre depuis cinq cents ans. Le bébé a été nommé Wovoka, du nom du medicine man qui a propagé la Ghost Dance, la danse messianique qui effrayait tant les Blancs. Mais l’hiver est long sur l’île des Pélicans (los Alcatraces). Le vent s’engouffre dans l’unique allée qui monte jusqu’au château d’eau ; le rocher est parfois coupé du monde, bien qu’il ne se trouve qu’à 5 kilomètres de la ville. Les étudiants ont dû retourner à l’université. Les autorités laissent filer le temps, parient sur le pourrissement. Clochards, hippies, dealers viennent s’installer pour la nuit. Les occupants dérivent vers le fractionnisme, les soupçons d’infiltration. On s’accuse de détourner l’argent qui arrive de tout le pays dans des enveloppes. Le groupe chargé de la sécurité, en treillis militaire, fait couler l’alcool à flots et régner la terreur. Il y avait beaucoup de coups de poignard dans le dos, soupire Eloy Martinez, 78 ans, un ancien de l’occupation qui porte un pin Red Power au revers de son blouson. Un incendie consacre le basculement de l’opinion publique. Dans la nuit du 1° juin 1971, le feu détruit trois bâtiments historiques et endommage le vieux phare. Les autorités décident d’intervenir avant qu’un nouveau contingent d’étudiants ne débarque à la faveur des vacances. Le 11 juin, une trentaine de policiers fédéraux accostent pour reprendre l’île. La photographe Ilka Hartmann n’a que le temps d’attraper son appareil pour saisir la scène à l’embarcadère. Ils ne sont plus qu’une quinzaine, dont quatre femmes et cinq enfants. Personne ne résiste. En une heure, la reddition est totale. Soulagé, le gouvernement offre une nuit d’hôtel aux ex-rebelles d’Alcatraz. Ainsi s’achève – à la va vite – l’un des événements majeurs de l’histoire moderne des Indiens. Les étudiants n’ont pas conquis le rocher, mais ils ont ouvert la voie au sursaut  indien ; provoqué l’étincelle qui a lancé l’un des grands mouvements sociaux de l’histoire américaine : le mouvement pour la souveraineté tribale, analyse l’historien Charles Wilkinson. Adam Fortunate Eagle, l’un des piliers du panindianisme, ne le réalisera que tard : Alcatraz, c’était la dernière bataille. Ils ne l’ont jamais admis, mais on l’a gagnée. Alcatraz n’est pas devenue le Las Vegas de la baie de San Francisco mais propriété du National Parc Service (NPS) en 1973. Elle reste un symbole puissant pour les Amérindiens. Tous les ans, à la mi-octobre, on y célèbre la Journée des peuples indigènes (fêtée ailleurs comme Jour de Christophe Colomb). Fin novembre, c’est l’anti Thanksgiving, pour nuancer la légende célébrée par les Américains : de bons indigènes  donnant quelques recettes de survie – et de maïs – aux gentils Blancs débarqués du Mayflower… Eloy Martinez est l’un des maîtres des cérémonies d’Alcatraz, et le gardien du feu. C’est lui qui apporte la sauge purificatrice qui ouvre le rituel. Il vient la veille pour préparer les chaises pour les anciens et le ciment de la cour où se déroule, pieds nus, un po wow rassemblant plusieurs milliers de personnes au lever du soleil. Eloy a commencé à initier Elijah Oakes, 17 ans, le petit-fils de Richard Oakes. On voit les jeunes changer, affirme-t-il. Il faut leur apprendre le respect. Eloy est un Southern Ute du Colorado. A 9 ans, il était déjà en délicatesse avec les autorités. A 14 ans, il s’est interposé pour  défendre sa cousine, harcelée par un patron blanc. Le type a placé une planche devant son torse et m’a mis au défi de le frapper, raconte-il. Je lui ai envoyé un coup de poing dans le nez. Après quoi, ça a été l’escalade. A 17 ans, Eloy a fui le contrôle judiciaire et s’est évadé vers la Californie. Sur la photo de groupe des occupants de 1969, on le distingue vaguement à l’arrière. J’essayais de ne pas trop me faire remarquer. A Oakland, Eloy Martinez a trouvé du travail grâce au syndicat de la construction. Dès qu’il a pu, il s’est mis à son compte et il a embauché des anciens  détenus. Sous le blouson, son teeshirt proclame Planting Justice : le nom d’un programme de réinsertion par le jardinage auquel il collabore. Eloy est pour l’éducation, pas l’incarcération. Quand il arrive à l’embarcadère pour Alcatraz, à San Francisco, au Pier 29, les employés du ferry s’écartent avec respect. Il y a des années que personne n’essaie plus de le faire payer. Depuis ce jour de 1993, très précisément, où il a forcé le passage en proclamant que la terre appartenait aux tribus et qu’il venait collecter le loyer. A force d’entrisme, il a même réussi à obtenir une place de parking réservée devant le quai. J’ai mis le pied dans la porte, rigole-il. A la descente du ferry, le ranger John Cantwell, du service des parcs nationaux, le salue. Les deux hommes se connaissent bien. A leur première rencontre, l’Indien a tout de suite pris le dessus. J’étais stagiaire, raconte le ranger. J’avais des cheveux jusqu’au milieu du dos. Eloy lui a signifié qu’il devait son job aux occupants d’Alcatraz, sans qui l’îlot serait devenu le Monte Carlo de San Francisco. Un demi-siècle plus tard, le vieux militant continue de bougonner contre la radinerie des États-Unis. Ce n’est qu’un morceau de rocher. Ils auraient quand même pu nous le donner. Depuis 2006, la direction des parcs a changé d’approche. Le coup de force des étudiants indiens est maintenant considéré comme partie intégrante de l’histoire nationale. On ne veut plus parler seulement d’Al Capone, explique le ranger Cantwell. Maintenant, on parle aussi de l’occupation. Après avoir essayé d’effacer les slogans de l’époque (c’est de l’encre indienne, rigole Eloy, c’est revenu), elle les restaure. Ça m’a pris des années pour qu’ils arrêtent de les appeler graffiti, souffle l’ex syndicaliste. Pour le 50° anniversaire, les anciens vont repeindre solennellement la proclamation qui accueille les ferries depuis 1969 : Indians Welcome. Les Indiens sont les bienvenus à Alcatraz. Du moins pour la journée. Eloy Martinez est chez lui à Alcatraz et il ne manque pas une occasion d’expliquer aux touristes ce qui a conduit les Indiens à revendiquer ce lieu d’incarcération. Le comble, plaisante-il. Occuper une prison ! Il parle à grande vitesse, les visiteurs se demandent qui est ce petit homme en blouson de cuir, une longue natte grise descendant de son chapeau, qui prétend les éduquer. A tout hasard, un jeune Coréen le sollicite pour un selfie. Eloy est ravi. Le message sera porté jusqu’en Asie : les Indiens sont toujours là.

corine lesnes. Le Monde du 7 08 2019

Native Americans expelled from Alcatraz Island, ending 19-month ...

 

thewolf - Page 291

19 11 1969  

2° alunissage américain : c’est Apollo XII, avec Gordon et Bean ; ils y passeront 30 h. 30’.

Pas d’atmosphère sur la lune ? Cela veut dire pas de vent, ce qui est embêtant pour un drapeau ; ce n’est pas grave : ils l’équiperont d’une latte horizontale pour donner l’impression qu’il flotte.

Pelé marque son 1 000° but avec un penalty lors du match du championnat brésilien entre Santos et Vasco de Gama au stade Maracana, à Rio de Janeiro. La stade chavire, mais, Dieu merci, il n’y a pas de  mort.

25 12 1969 

La guerre des six jours a modifié la donne entre Israël et la France, qui a décidé de ne pas livrer les cinq vedettes lance missile Misvatch qu’Israël avait commandées, et de plus presque intégralement payées. Israël n’apprécie pas ces manières, et charge le Mossad – ses services secrets – de récupérer ce qu’ils estiment être leur bien : mission accomplie 5/5 : au petit matin, les garde côtes français, les yeux encore baignés du merveilleux de Noël et l’estomac empli de dinde, s’aperçoivent que les dindons, ce sont eux : les vedettes sont bien parties. Israël avait monté un bobard de société norvégienne qui prétendait vouloir racheter ces bateaux désarmés pour faire de la recherche pétrolière en mer du Nord. Sitôt sorti de Cherbourg, cap au sud, où les Anglais les laissent franchir Gibraltar sans difficulté. La presse locale se taira pendant deux jours, de mèche avec le constructeur Félix Amiot, président des Constructions mécaniques de Normandie.

12 1969 

Arrivée en Europe de la seconde vague de grippe H3 N2, (initialement pris pour un H2 N2) qui va toucher toute l’Europe occidentale : en France, elle fera de 30 000 à 35 000 morts, dont 90 % concernent des personnes de plus de 65 ans. Cinquante ans plus tard, il sera très difficile de trouver quelqu’un qui s’en souvienne.

1969     

1° tronçon du RER. Achèvement de l’autoroute Lyon-Marseille, un an avant Lyon-Paris. Le SMIG devient SMIC : Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance. Le minimum légal doit pouvoir assurer une progression et non pas seulement un maintien du pouvoir d’achat. A Megève, l’hôtel du Mont Blanc brûle ; le feu est parti d’une chambre de Manitas de Plata [Ricardo Ballardo à l’état-civil]. Henri de Lumley reprend les recherches du pasteur Bicknell et du sculpteur Conti dans la Vallée des Merveilles, dans le Mercantour. Les très nombreuses gravures du Bronze ancien, vers – 1 760, conduiront à la protection rigoureuse du site. Les inévitables auteurs de graffiti – qui en fait ne font que prendre la suite de leurs ancêtres du Bronze, mais sans que cela représente un quelconque intérêt, n’ont pas attendu le XX° siècle pour se manifester : bon nombre d’entre eux datent du milieu du 19°.

Le stalinisme n’en finit pas d’agoniser : un des derniers soubresauts : l’exclusion de Jacques Lacan de l’École Normale supérieure. Il y reviendra le 6 septembre 2011, et ne manquera pas de s’exprimer là-dessus lors d’une réunion organisée à Paris par Jacques-Alain Miller : Althusser et Derrida s’étaient tous les deux employés à rétablir l’ordre des choses qui était l’ordre communiste… Philippe Sollers ne parlera jamais autrement d’eux qu’en mentionnant les propriétaires de la Rue d’Ulm.

L’Anglais William Robert Patrick Robin Knox-Johnston effectue le premier tour du monde à la voile, en solitaire et sans escale.

Sir Robin Knox-Johnston's (pictured) gripping 1969 adventure to become the first person to sail around the world has been reprinted

Sir Robin Knox-Johnston (pictured) had to jam his feet in the saloon to keep himself upright at one point in his exploration

Ce qui deviendra dans les années 90 le réseau Internet commence à se mettre en place, dans le département des projets avancés de l’armée américaine, né en 1957, en réaction au Spoutnik russe : ARPA : Advanced Research Project Agency. La firme BBN préconise un mode de communication par paquets doté de son protocole propre, le Network Control Protocol. Un ordinateur chargé de gérer le réseau a également été conçu : IMP : Interface Message Processor. Un an plus tard, on aura un réseau entre quatre universités : Stanford, Californie(2), Utah. En 1971, ARPANet a 23 connexions, 111 en 1977.

On s’émerveille devant des start-up qui seraient nées dans des garages, mais on oublie de dire que le garage se trouve en fait sur un porte-avions.

Pierre Bellanger, patron de Skyrock

22 01 1970 

Mise en service du Boeing 747 : 416 passagers en trois classes, 524 passagers en deux classes ou 660 passagers en classe unique. Il va avoir un quasi monopole de fait dans cette gamme, jusqu’à la sortie de l’Airbus A 380 en 2007.

Un Boeing 747-100 de la Pan American World Airways, client de lancement du 747, vu à l'approche de l'aéroport de Rome en septembre 1978.

4 02 1970

Coup de grisou dans une mine de Fouquières-lez-Lens (Pas-de-Calais, France), appartenant à la Compagnie des mines de Courrières : 16 morts, 12 blessés.

10 02 1970

À Val d’Isère, une avalanche détruit le chalet de l’UCPA – Union des Centres de Plein Air -: 39 morts.

4 03 1970 

Le sous-marin S 644 Eurydice, de la classe des Daphné, coule au large du cap Camarat : 57 morts. L’implosion de sa coque vers 600 m. de profondeur sera ressentie à Toulon, et enregistrée par le sismographe de Nice, à 7 h 28′. En restant au conditionnel, il pourrait y avoir eu une collision avec le cargo tunisien Tabarka. Son épave a été repérée et photographiée par le Mizar, muni d’un poisson, de la marine américaine :

coordonnées Minerve : 42°45’54 » N, 5°40’19 » E.

Eurydice

L'Eurydice, il y a ans... - PressReader

Il est tout de même bien étrange que la Marine Nationale n’ait pas mis tout en œuvre pour aller récupérer cette épave, une fois repérée,  ce qui aurait probablement permis de connaître les causes du drame : le sous-marin Nautile est bien allé chercher quelques belles pièces du Titanic par 3 870 m de fond ! quand l‘Eurydice repose entre 700 et 1 000 m. de fond, par 43°16′ N et 6°81′ E, grosso modo la longitude de Saint Raphaël et la latitude du cap Saint Tropez.

5 03 1970

Une quarantième signature du traité de non prolifération nucléaire permet son entrée en vigueur. La France et la Chine ne donneront leur signature qu’en 1992. En 1963, John Kennedy avait déclaré : Nous sommes actuellement quatre puissances détentrices de l’arme nucléaire. Si nous ne faisons rien, nous serons 20 ou 25 dans vingt ans. L’explosion de la bombe chinoise en août 1964 avait accéléré les négociations et le traité avait été mis à la signature le 1° juillet 1968. Il avait donc fallu presque deux ans pour parvenir aux quarante signatures nécessaires à son entrée en vigueur.

18 03 1970   

À Phnom Penh, au Cambodge, le général Lon Nol renverse Norodom Sihanouk et fonde la république khmer du Cambodge. La corruption généralisée, le soutien indéfectible des campagnes à Norodom Sihanouk, la diminution de l’aide américaine au Viet Nam et les bombardements du Cambodge, donneront des ailes à la résistance des khmers rouges qui le chasseront 5 ans plus tard. Sihanouk se réfugie à Pékin où il forme un gouvernement en exil et une coalition armée avec ses anciens opposants communistes.

Le Cambodge jouait un rôle crucial dans la guerre du Vietnam. Y passait l’extrémité méridionale de la piste Ho Chi Minh : on appela ainsi l’ensemble des sentiers qui reliaient le Vietnam du Nord communiste à celui du Sud, dirigé par Nguyen Van Thieu, soutenu par les Américains, pour ravitailler en nourriture et en armes les communistes vietnamiens au Sud ; ainsi que la piste Sihanouk, en particulier depuis le port de Kompong Som (Sihanoukville). La bordure orientale du pays abritait des sanctuaires pour les troupes de Hanoï, celles du Front national de libération du Sud Vietnam (les communistes du Sud) et les Khmers Rouges.

Antoine Coppolani. L’Histoire n° 410 Avril 2015

Les Khmers rouges ont émergé des cratères semés par les B 52.

Ben Kiernan

Voilà une vie pleine et riche, longue, insaisissable, essayons pourtant de dénombrer ses circonvolutions, ses retournements, ses contorsions de boa affable et souriant, le boa de Kipling : aie confiance… Sihanouk l’hypnotiseur essaie sans résultat d’étouffer les Khmers rouges, puis accepte de devenir le premier prince de sang nommé chef d’État d’un régime communiste.

Voilà ce que peut être une vie quand elle embrasse l’histoire de tout un siècle. Sa diplomatie serpentine avait préservé la paix au Cambodge pendant près de vingt ans au cœur du brasier de l’Indochine en guerre. Lorsque les vichystes l’assoient sur le trône, les Siamois viennent à nouveau d’amputer le royaume. C’est un roi triste. Derrière le sourire des Khmers se dissimule l’abîme de la mélancolie. Il est l’héritier d’un trône nostalgique. C’est une manière de saudade khmère. Tout a disparu, Angkor Thom, la Grande ville du X° siècle, puis Angkor Vat, la Ville pagode du XII°, la puissance de Jayavarman le Roi lépreux. Son royaume est pris en tenaille entre les ennemis siamois de l’Ouest, envahisseurs qui se sont emparés d’Angkor, et les ennemis vietnamiens à l’Est, envahisseurs qui se sont emparés du delta du Mékong. Maintenant c’est lui le souverain divinisé, le roi-père qui fait tourner la Roue du monde dont le diamètre ne cesse de diminuer. Il veut agir, ne plus regarder en arrière vers les splendeurs passées. Il ne lancera plus son armée au combat à dos d’éléphant. Le roi effectue un stage à l’école militaire de Saumur, en sort avec le grade de capitaine de cavalerie blindée et un brevet d’artilleur de char. C’est un souverain de vingt-six ans, déjà marié à quatre femmes et père de huit enfants, qui reçoit l’année suivante les jeunes amis avant leur départ pour Paris, et remet à chacun cinq cents piastres.

Au palais, ce jour-là, se tiennent côte à côte, inclinés devant lui, respectueux, le futur Pol Pot et Phung Ton, le père de Sunthari.

Puis d’un coup le petit roi lunatique descend du trône, abdique, crée un parti politique, la Communauté socialiste populaire, remporte les élections. Il n’est plus roi, le voilà prince à nouveau, et chef du gouvernement.

Dans son aveuglement pour la modernité et l’Occident, Sihanouk, poète, saxophoniste et cinéaste, veut faire de Phnom Penh le Paris de l’Extrême-Orient. Il interdit aux paysans qui entrent en ville de se promener le torse nu ou en sarong et les pieds nus. Ils ne pourront livrer leurs produits au marché que de nuit et sur des itinéraires prévus. Il interdit aux conducteurs de cyclo-pousse le port du short. Dans les films du prince, dont il écrit lui-même les scénarios, et qu’il réalise, et dans lesquels il interprète les premiers rôles, de longues limousines glissent en silence dans les avenues propres de Phnom Penh. Leurs occupants en descendent pour se rendre, smokings et robes longues, à des réceptions données dans des appartements meublés à l’européenne, lèvent leur coupe de Champagne. Le prince est l’éditeur de la revue pornographique Pseng Pseng. Voilà les civilaï dont se vengeront les Khmers rouges.

Le prince est un magicien, un illusionniste sur la scène du grand music-hall de l’Histoire. Il essaie de neutraliser d’un coup de baguette les jeunes intellectuels de gauche. Ces ingrats disparaissent et gagnent le maquis. Il rejette l’aide américaine. Tout s’accélère. Ses gesticulations, il conviendrait de les filmer en accéléré comme les aventures d’un équilibriste débordé. Les Vietnamiens envahissent le Laos et le Cambodge. Le Viêt-minh trace la piste Hô-Chi-Minh sous la forêt. Sihanouk reçoit au Stade olympique avec les plus grands honneurs le général de Gaulle comme lui opposé à la guerre du Vietnam. Toute la ville entend la grande voix du général et son éloge du Cambodge écrit par Malraux : une histoire chargée de gloire et de douleurs, une culture et un art exemplaires, une terre féconde aux frontières vulnérables entourée d’ambitions étrangères et au-dessus de laquelle le péril est sans cesse suspendu.

Le funambule offre le port de Kompong Som aux Viêt-congs et indique aux Américains leurs positions, puis dénonce à la radio les bombardements. Le grand écart est intenable. Il sait que chacune des bombes impérialistes renforce la guérilla. Son armée fait preuve d’une efficace cruauté. Les combattants khmers rouges capturés sont attachés à des arbres et éventrés, jetés de falaises pas trop hautes afin qu’ils meurent lentement, disloqués ou éviscérés, comme une mise en garde filmée par ses équipes de télévision et présentée aux actualités, entre deux reportages sur des concours d’élégance automobile au casino de Kep.

On regarde en l’air le fildefériste, on sait bien qu’il va tomber. Sihanouk est renversé en 1970 par le général Lon Nol et ceux qu’il appellera la Bande des traîtres. Il pourrait jeter l’éponge, se retirer en France, peaufiner ses œuvres dans sa propriété de Mougins au-dessus du chatoiement de la Méditerranée. C’est l’embrasement, la guerre du Cambodge. Les combattants du Viêt-minh brandissent devant les paysans illettrés son portrait à l’entrée des villages, s’installent jusqu’aux temples d’Angkor. Sihanouk est conspué par la République. Ce sont les insultes qui lui font quitter sa retraite, une certaine idée de sa place dans l’Histoire. Lon Nol est soutenu par les Américains et les Vietnamiens le sont par l’Union soviétique. Sihanouk invente une triangulaire. Le 1° Mai il est à Pékin, à la tribune officielle, à la droite de Mao, lequel déclare le soutenir.

Après le glorieux 17 Avril, il fait monter les enchères, part en Corée du Nord, compose à Pyongyang le poème Adieu Cambodge comme Essenine avait écrit Adieu Bakou. L’ancien souverain accepte, bon prince, de rentrer à Phnom Penh à la condition d’être nommé chef d’Etat à vie. Il est aussitôt confiné dans son palais désert au milieu de la capitale déserte. Il découvre la ville silencieuse, les barbelés, les chauves-souris. Dès le printemps il démissionne, lit à la radio un texte qui déjoue par son habileté la censure de l’Angkar : La Bande des traîtres m’abreuvait d’injures et me traînait dans la boue de leurs calomnies et humiliations. Je resterai éternellement reconnaissant envers le peuple du Kampuchea, ses héros et ses héroïnes et son Angkar révolutionnaire qui m’ont lavé de toute cette boue, et m’ont complètement réhabilité aux yeux du monde et de l’Histoire.

Son honneur est sauf et la tragédie oubliée, il disparaît, n’est plus qu’un citoyen assigné à résidence dans son palais au milieu d’une petite cour effarouchée. Il regagne Pékin avant la Troisième guerre d’Indochine. Le dernier paradoxe de la Guerre froide. Les Chinois et les Américains alliés des Khmers rouges contre les Vietnamiens et les Soviétiques. Les chars et les avions de combat, les dizaines de milliers de morts ajoutées aux millions, jusqu’à ce que Moscou mette genou à terre. L’Inusable réapparaît après le départ des Vietnamiens. Il publie Prisonnier des Khmers rouges.

Le magicien qu’on a vu coupé en deux, à chaque extrémité de la scène les deux boîtes où pointaient la tête et les pieds, salue son public et les lumières se rallument. Norodom Sihanouk redevient roi en 93, finit par abdiquer en 2004, place son fils Norodom Sihamoni sur le trône. Le voilà Père du roi. En ce mois d’avril 2009, à l’ouverture du procès des Khmers rouges, on ne sait pas trop où est Sihanouk, lequel vient de léguer ses archives personnelles à la France, sans doute dans sa villégiature chinoise. [† 15 10 2012 à Pékin. ndlr]

Patrick Deville. Kampuchéa. Le Seuil 2011

11 04 1970                       

Apollo 13 part pour la lune. Trois jours plus tard, à 322 000 km de la terre, un réservoir d’oxygène du module de service explose. La première information qu’en aura le contrôle au sol sera un laconique Houston, we’ve had a problem de Jack Swigert. La conception du voyage imposait que le vaisseau poursuive son voyage jusqu’à la Lune pour utiliser son attraction gravitationnelle afin de revenir vers la Terre. Le module de commande et de service Apollo étant devenu inhabitable, l’équipage se réfugia dans le module lunaire, Aquarius, dont l’occupation par les trois hommes de l’équipage n’avait pas été prévue sur une période prolongée. Les astronautes et le contrôle au sol trouveront des méthodes pour récupérer de l’énergie, économiser l’oxygène en quantité suffisante et éliminer le dioxyde de carbone. Jim Lovell, Jack Swigert, Fred Haise seront récupérés sains et saufs le 17 avril.

Ce réservoir aurait dû voler sur Apollo 10 mais on l’avait retiré pour réparer un problème. Une succession invraisemblable d’erreurs s’est alors produite lors de sa préparation pour Apollo 13, notamment des tests avec un mauvais voltage, qui ont malmené le thermostat du réservoir et cuit les gaines isolantes de certains câblages. Quand les astronautes ont fait fonctionner ce réservoir, des étincelles sont apparues, qui l’ont fait exploser. 

Philippe Henarejos, rédacteur en chef de Ciel & Espace

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The crew of Apollo 13 photographed the Moon from their Lunar Module « life boat » as they passed by it. The shut-down Command Module is visible out the overhead rendezvous window.

Le module de service endommagé, photographié peu après son largage, près de la Terre, alors que l'équipage est toujours à bord du module lunaire (17 avril).

Le module de service endommagé, photographié peu après son largage, près de la Terre, alors que l’équipage est toujours à bord du module lunaire (17 avril).

Le module lunaire, qui a servi de chaloupe de sauvetage à l'équipage, photographié juste avant que celui-ci n'entame son retour sur terre à bord du module de commande.

Le module lunaire, qui a servi de chaloupe de sauvetage à l’équipage, photographié juste avant que celui-ci n’entame son retour sur terre à bord du module de commande.

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Apollo 13’s successful splashdown after a harrowing trip.

16 04 1970

En Haute Savoie, terre, neige, pierres, arbres se détachent de la Chaîne des Fiz et ensevelissent un sanatorium du Plateau d’Assy, deuxième bâtiment au-dessus de celui de Praz-Coutant : 72 morts, dont 56 enfants.

04 1970   

À 22 ans, Patrice Chéreau s’était vu confier la direction du Théâtre de Sartrouville. Il s’était démené pour que le théâtre sorte de la salle, aille dans les écoles, les usines sans trop se soucier des coûts… qui avaient explosé : d’où la faillite malgré le succès des Soldats de Lenz. Tout en commençant à rembourser les dettes de Sartrouville – il en aura pour 15 ans -, il s’en va en Italie, invité par Giorgo Strehler au Piccolo Teatro de Milan : il donne Splendeur et mort de Joachim Murieta de Pablo Neruda, qui lui vaut 22 rappels d’une salle debout !

C’est le premier Jour de la Terre : William Arrowsmith, professeur de littérature à l’université du Texas, lit un texte, quelque peu arrangé par Henri Smith, journaliste au Seattle Sunday Star à partir de notes prises en 1854, et publiées dans le journal du 29 octobre 1887. Ces notes relatent le discours que Seattle, (qui laissa son nom à la ville) le chef des Suquamish et des Duwamish adressa en 1854 à Issac Stevens, commissaire des affaires indiennes pour le nouveau territoire de Washington chargé de concrétiser des arrangements territoriaux. Dans la salle se trouve Ted Perry, scénariste d’un film sur l’environnement commandé par la Southern Baptist Television Commission. Il estime qu’il faut garder l’esprit du discours, mais qu’une réécriture est nécessaire et qu’en même temps il faut continuer à l’attribuer à Seattle. Ce discours fut cité par Al Gore dans son livre Sauver la planète Terre en 1992.

En avril 1992, le New York Times révélera qu’il était bien éloigné de la réalité de 1854 : à cette époque, il n’y avait pas de bisons dans cette région ; et ils ne pouvaient pas avoir été tués depuis un train, puisque le train n’existera qu’à partir de 1870 : Ted Perry a adapté, arrangé ce texte comme les réalisateurs d’Hollywood traficotaient la réalité historique pour faire des peplums dans les années 60. Mais le petit tour de passe-passe sera couronné de succès, au delà de toute espérance, puisque ces paroles deviendront pour tous les écologistes le legs de la sagesse écologiste indienne aux hommes blancs destructeurs… Se non e vero, e ben trovato….

On trouvera le texte original de Henri Smith reproduit sur le site Internet de la tribu Suquamish : www.suquamish.nsn.us/ On peut lire un recueil de textes indiens exprimant la même sensibilité dans le recueil Pieds nus sur la Terre sacrée, Denoël, 1971.

Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? L’idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter ? Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple. Chaque aiguille de pin luisante, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume dans les bois sombres, chaque clairière et chaque bourdonnement d’insecte sont sacrés dans le souvenir et l’expérience de mon peuple. La sève qui coule dans les arbres transporte les souvenirs de l’homme rouge. Les morts des hommes blancs oublient le pays de leur naissance lorsqu’ils vont se promener parmi les étoiles. Nos morts n’oublient jamais cette terre magnifique, car elle est la mère de l’homme rouge. Nous sommes une partie de la terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos sœurs ; le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et l’homme, tous appartiennent à la même famille. Aussi lorsque le Grand chef à Washington envoie dire qu’il veut acheter notre terre, demande-t-il beaucoup de nous. Le Grand chef envoie dire qu’il nous réservera un endroit de façon que nous puissions vivre confortablement entre nous. Il sera notre père et nous serons ses enfants. Nous considérons donc votre offre d’acheter notre terre. Mais ce ne sera pas facile. Car cette terre nous est sacrée. Cette eau scintillante qui coule dans les ruisseaux et les rivières n’est pas seulement de l’eau mais le sang de nos ancêtres. Si nous vous vendons de la terre, vous devez vous rappeler qu’elle est sacrée et que chaque reflet spectral dans l’eau claire des lacs parle d’événements et de souvenirs de la vie de mon peuple. Le murmure de l’eau est la voix du père de mon père. Les rivières sont nos frères, elles étanchent notre soif. Les rivières portent nos canoës, et nourrissent nos enfants. Si nous vous vendons notre terre, vous devez désormais vous rappeler, et l’enseigner à vos enfants, que les rivières sont nos frères et les vôtres, et vous devez désormais montrer pour les rivières la tendresse que vous montreriez pour un frère. Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c’est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n’est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu’il l’a conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l’oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu’un désert. Il n’y a pas d’endroit paisible dans les villes de l’homme blanc. Pas d’endroit pour entendre les feuilles se dérouler au printemps, ou le froissement des ailes d’un insecte. Mais peut-être est-ce parce que je suis un sauvage et ne comprends pas. Le vacarme semble seulement insulter les oreilles. Et quel intérêt y a-t-il à vivre si l’homme ne peut entendre le cri solitaire de l’engoulevent ou les palabres des grenouilles autour d’un étang la nuit ? Je suis un homme rouge et ne comprends pas. L’Indien préfère le son doux du vent s’élançant au-dessus de la face d’un étang, et l’odeur du vent lui-même, lavé par la pluie de midi, ou parfumé par le pin pignon. L’air est précieux à l’homme rouge, car toutes choses partagent le même souffle. La bête, l’arbre, l’homme. Ils partagent tous le même souffle. L’homme blanc ne semble pas remarquer l’air qu’il respire. Comme un homme qui met plusieurs jours à expirer, il est insensible à la puanteur. Mais si nous vous vendons notre terre, vous devez vous rappeler que l’air nous est précieux, que l’air partage son esprit avec tout ce qu’il fait vivre. Le vent qui a donné à notre grand-père son premier souffle a aussi reçu son dernier soupir. Et si nous vous vendons notre terre, vous devez la garder à part et la tenir pour sacrée, comme un endroit où même l’homme blanc peut aller goûter le vent adouci par les fleurs des prés. Nous considérerons donc votre offre d’acheter notre terre. Mais si nous décidons de l’accepter, j’y mettrai une condition : l’homme blanc devra traiter les bêtes de cette terre comme ses frères. Je suis un sauvage et je ne connais pas d’autre façon de vivre. J’ai vu un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés par l’homme blanc qui les avait abattus d’un train qui passait. Je suis un sauvage et ne comprends pas comment le cheval de fer fumant peut être plus important que le bison que nous ne tuons que pour subsister. Qu’est-ce que l’homme sans les bêtes ? Si toutes les bêtes disparaissaient, l’homme mourrait d’une grande solitude de l’esprit. Car ce qui arrive aux bêtes, arrive bientôt à l’homme. Toutes choses se tiennent. Vous devez apprendre à vos enfants que le sol qu’ils foulent est fait des cendres de nos aïeux. Pour qu’ils respectent la terre, dites à vos enfants qu’elle est enrichie par les vies de notre race. Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Si les hommes crachent sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes. Nous savons au moins ceci : la terre n’appartient pas à l’homme ; l’homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Toutes choses se tiennent comme le sang qui unit une même famille. Toutes choses se tiennent. Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Ce n’est pas l’homme qui a tissé la trame de la vie : il en est seulement un fil. Tout ce qu’il fait à la trame, il le fait à lui-même. Même l’homme blanc, dont le dieu se promène et parle avec lui comme deux amis ensemble, ne peut être dispensé de la destinée commune. Après tout, nous sommes peut-être frères. Nous verrons bien. Il y a une chose que nous savons, et que l’homme blanc découvrira peut-être un jour, c’est que notre dieu est le même dieu. Il se peut que vous pensiez maintenant le posséder comme vous voulez posséder notre terre, mais vous ne pouvez pas. Il est le dieu de l’homme, et sa pitié est égale pour l’homme rouge et le blanc. Cette terre lui est précieuse, et nuire à la terre, c’est accabler de mépris son créateur. Les Blancs aussi disparaîtront ; peut-être plus tôt que toutes les autres tribus. Contaminez votre lit, et vous suffoquerez une nuit dans vos propres détritus. Mais en mourant vous brillerez avec éclat, ardents de la force du dieu qui vous a amenés jusqu’à cette terre et qui pour quelque dessein particulier vous a fait dominer cette terre et l’homme rouge. Cette destinée est un mystère pour nous, car nous ne comprenons pas lorsque les bisons sont tous massacrés, les chevaux sauvages domptés, les coins secrets de la forêt chargés du fumet de beaucoup d’hommes, et la vue des collines en pleines fleurs ternie par des fils qui parlent. Où est le hallier ? Disparu. Où est l’aigle ? Disparu. La fin de la vie, le début de la survivance.

4 05 1970 

Des étudiants de la Kent State University manifestent pacifiquement contre la guerre du Vietnam. Pendant 13 secondes, la Garde Nationale de l’Ohio leur tire dessus à 67 reprises : bilan, quatre morts et 9 blessés.

Les soldats de plomb et Nixon arrivent
Nous sommes enfin seuls
Cet été j’entends les tambours
Quatre morts dans l’Ohio

Neil Young

Teenager Mary Ann Vecchio kneels over the body of Kent State University student Jeffrey Miller who had been shot during an anti-war demonstration on...

8 06 1970   

À sa demande, de Gaulle est reçu par Franco à Madrid. Que se sont-ils dit ? Nul ne le sait. Néanmoins Claude Sérillon estimera pouvoir en faire un livre qui sortira en 2018 : Un déjeuner à Madrid, au Cherche Midi.

13 07 1970  

Thor Heyerdahl, parti de Safi, au Maroc, sur son bateau Râ II, construit exclusivement de feuilles de papyrus, arrive à l’île de la Barbade après 57 jours en mer.

 

Le navire Ra II après son départ du Maroc. / Ph. Kon-tiki.no

 

17 07 1970  

Georges Pompidou, président de la République, écrit à Jacques Chaban Delmas, premier ministre. Ses détracteurs dauberont avec beaucoup trop d’empressement sur son amour de la voiture – c’est lui qui fera construire les voies sur berge à Paris – pour en faire le parangon du tout bagnole. Ce courrier vient montrer que sa passion pour les arbres voulait mettre un frein aux aménageurs bornés.

Mon cher premier ministre,

J’ai eu par le plus grand des hasards communication d’une circulaire du Ministre de l’Équipement, Direction des Routes et de la Circulation Routière, dont je vous fais parvenir photocopie.
Cette circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son application, puisque c’est par l’un deux que j’en ai appris l’existence.
Elle appelle de ma part deux réflexions :
La première, c’est qu’alors que le conseil des ministres est parfois saisi de questions mineures telles que l’augmentation d’une prime versée à quelques fonctionnaires, des décisions importantes sont prises par les services centraux d’un ministère en dehors de tout contrôle gouvernemental.
La seconde, bien que j’aie plusieurs fois exprimé en conseil des ministres ma volonté de sauvegarder partout les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l’égard des souhaits du président de la république. Il en ressort en effet que l’abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité.
Il est à noter par contre que l’on envisage qu’avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques. C’est que là il y a des administrations pour se défendre.
Les arbres eux, n’ont, semble t-il, que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas.
La France n’est pas faite uniquement pour permettre aux français de circuler en voiture, et quelle que soit l’importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage.
D’ailleurs, une diminution durable des accidents de la circulation ne pourra résulter que de l’éducation des conducteurs, de l’instauration des règles simples et adaptées à la configuration de la route, alors que la complication est recherchée comme à plaisir dans la signalisation sous toutes ses formes. Elle résultera également des règles moins lâches en matière d’alcoolémie, et je regrette à cet égard que le gouvernement se soit écarté de la position initialement retenue.
La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes, et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes, est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d’un milieu humain.
Je vous demande donc de faire rapporter la circulaire des Ponts et Chaussées et de donner des instructions précises au ministre de l’équipement pour que, sous diverses prétextes, vieillissement des arbres, demandes de municipalités circonvenues à tout souci d’esthétique, problèmes financier pour l’entretien des arbres et l’abattage des branches mortes, on ne poursuive pas dans la pratique ce qui n’aurait été abandonné que dans le principe et pour me donner satisfaction d’apparence.
La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d’évasion, de nature et de beauté.
L’autoroute sera utilisée pour les transports qui n’ont d’autre objet que la rapidité. La route elle, doit revenir pour l’automobiliste de la fin du XX° siècle ce qu’était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l’on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France.
Que l’on se garde de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté !

L’homme avait la tête certainement bien pleine, mais aussi, ce qui est de plus en plus rare, bien faite et savait mettre les choses à leur place, sans céder à l’amalgame et à la confusion : ainsi de l’art dont il disait qu’il doit discuter, doit contester, doit protester. L’intelligence terrienne, celle qui se refuse à mettre le bon sens à l’écart, cohabitait avec un intérêt profond pour l’art moderne, dont l’envers était une allergie certaine à l’académisme, à la lourdeur du pompier.

21 07 1970  

En Égypte, inauguration du barrage d’Assouan, financé par les Russes.

Les risques naturels dans le gouvernorat d'Assouan (Égypte) : le rôle du Haut Barrage

Le barrage d'Assouan | Legypte Antique.com

 

Ancien barrage d'Assouan — Wikipédia

20 08 1970   

À la sortie de la rade de Toulon, le sous-marin, de la classe des Daphné, S 646 Galatée heurte le sud-africain Maria Van Ruymbeke, lui aussi de la classe des Daphné : endommagés, les groupes mettent l’atmosphère en sous-pression et nombre de marins s’évanouissent pas anoxie. Pour éviter de couler, il va s’échouer près du cap Cepet, – un des deux caps sud de la presqu’île de Saint Mandrier : six hommes mourront à l’hôpital.

2 09 1970 

Création du Parc National des Cévennes – massif des Cévennes et du Mont Lozère -. 2 973 km²

4 09 1970

Salvador Allende, candidat de l’Union Populaire au Chili, est le premier socialiste à accéder démocratiquement au pouvoir dans un pays d’Amérique latine, avec 36.6 % des suffrages, soit 39 300 voix d’avance. C’est la quatrième fois qu’Allende se présente aux élections présidentielles ; la dernière fois, en 1964, il était arrivé second avec 38.9 % des voix, derrière Edouardo Frei qui avait obtenu 56 %. La constitution interdisait à ce dernier de se présenter pour un deuxième mandat. Installé deux mois plus tard au palais de la Moneda, il nationalise les principales entreprises du pays, – textile, banque, chimie, sidérurgie, charbon, mines de cuivre – poursuit une réforme agraire déjà entreprise par son prédécesseur Edouardo Frei en expropriant les grands domaines, bloque les prix. S’ensuivent des grèves nationales. Le journal Le Monde  du 7 septembre voit déjà s’annoncer les gros nuages noirs : Les clameurs du triomphe qui ont salué, la nuit dernière à Santiago, la victoire du candidat du Front populaire n’annoncent-elles pas les cris de colère de ceux qui songent à étouffer une démocratie exemplaire ? 

La haine viscérale que vouait Edouardo Frei au communisme pèsera bien lourd dans la balance pour les mois à venir, en faisant rentrer dans le jeu le FBI américain – Nixon traitait Allende de fils de pute –  pour préparer un coup d’état, qui aura lieu trois ans plus tard.

28 09 1970  

Mort de Gamal Abdel Nasser, président de l’Égypte.

Sans doute en voulait-on inconsciemment à Sadate d’avoir succédé à Nasser, comme on peut détester le nouvel époux d’une mère du seul fait qu’il a pris la place d’un père adoré. En France par exemple, tous ceux qui ont tenu les rênes du pouvoir après Napoléon I° ont pâti de la comparaison avec lui, et plus que tous, celui qui portait le même nom ; que le règne du grand empereur ait été ruineux et se soit achevé par une défaite et par une occupation étrangère n’y change rien, les peuples sont reconnaissants à celui qui leur offre l’épopée, le rêve, l’admiration des autres et un brin d’orgueil. L’instant napoléonien fut le dernier où la France occupa la première place parmi les nations de la terre, où elle tenta de réunir l’Europe autour d’elle par la force combinée de ses armes et de ses idées. L’instant nassérien fut moins ambitieux, mais à l’aune de ce qui semblait encore possible pour les Arabes, il joua un rôle similaire ; et il demeure dans les mémoires comme une ultime chevauchée.

[…] Dans la mesure où le combat nationaliste – celui des Égyptiens, des Algériens, des Iraniens, des Tchétchènes comme des Palestiniens – a surtout opposé des peuples musulmans à des adversaires chrétiens ou juifs, il pouvait être mené au nom d’une communauté de religion plus facilement encore qu’au nom d’une communauté de langue. Et dans la mesure où l’attrait du socialisme pour des masses réside dans sa promesse de réduire le fossé entre les possédants et les démunis, un tel objectif pouvait parfaitement se traduire en termes religieux ; l’islam, comme le christianisme, a toujours su s’adresser aux pauvres et les attirer vers lui. Tout ce qui, dans le nationalisme et dans le socialisme, était spécifique, irréductible, non soluble allait être écarté, ou bien tomber de lui-même ; tout ce qui était permanent et substantiel allait être intégré en une sorte d’idéologie totale, à la fois nationaliste et globaliste, et prétendant répondre à tous les besoins de ‘homme, qu’ils soient identitaires, spirituels ou matériels. Une idéologie de combat vers laquelle ont convergé tous ceux qui, quelques décennies auparavant, se seraient plutôt reconnus dans le nassérisme ou même dans le communisme.

Amin Maalouf. Le dérèglement du monde. Grasset 2009

9 10 1970

Proclamation de la République du Cambodge, après 11 siècles de monarchie.

15 10 1970 

Le Boehlen sombre dans la tempête au large d’Ouessant. 25 des 32 hommes d’équipage meurent. 9 500 tonnes de pétrole s’échappent des soutes. Il repose par 100 mètres de fond.

18 10 1970 

Au Canada, l’état d’urgence est déclaré contre le Front de Libération du Québec, après que quelques uns de ses membres aient kidnappé, puis tué Pierre Laporte, ministre du travail du Québec.

29 10 1970  

Mise en service du dernier tronçon qui permet d’aller de Lille à Marseille par autoroute.

1 11 1970  

Une discothèque brûle à Saint Laurent du Pont : 146 morts.

4 11 1970 

Concorde vole à mach 2.

9 11 1970  

À Colombey les deux Églises, le général de Gaulle s’assied vers 19 h pour une réussite : une rupture d’anévrisme le foudroie en quelques secondes. Hara Kiri sera interdit pour avoir titré, en référence à l’incendie de Saint Laurent du Pont, huit jours plus tôt : Bal tragique à Colombey : un mort.

Il est une chose que je ne pardonnerai jamais à la gauche : c’est d’avoir fait croire que de Gaulle était de droite.

Michel Onfray

12 11 1970     

Un cyclone ravage le Golfe du Bengale : 500 000 morts.

17 11 1970

Les Russes parviennent à poser sur la Lune le rover Lunokhod, dans la mer des Pluies. Ils recommenceront deux ans plus tard, le 15 janvier 1973, dans le cratère Le Monnier. À eux deux, ils enverront des dizaines de milliers d’images de la Lune et parcourront une cinquantaine de kilomètres, inaugurant l’ère de l’exploration des autres corps du Système solaire par des robots mobiles.

C’était un très bon programme, qui est arrivé trop tard ; trop tard parce que la course à la Lune est achevée et l’enjeu idéologique qui la sous-tendait, dépassé ; à ce moment-là, plus personne ne croit que le modèle soviétique est le bon modèle. Les Américains ont gagné.

Alain Cirou, Isabelle Soubès-Verger

27 11 1970 

Le pape Paul VI est à Manille. Benjamin Mendoza y amor, peintre bolivien déguisé en prêtre s’approche de lui et lui donne deux coups de couteau, dont le second passe bien près du cœur. L’évêque américain Paul Marcinkus, organisateur des voyages du pape, aux larges épaules n’est pas loin et vole au secours de son patron, voyant ainsi  se dessiner une promotion inattendue.

Les finances de l’Église sont au plus mal, essentiellement gérées par la banque vaticane l’IOR – Institut des Œuvres Religieuses –  qui n’a été jusqu’à présent que l’organisme collecteur des quêtes, dons, héritages etc… gérant plus de 6.3 milliard €. C’est surtout la mort de Jean XXIII qui avait réduit le débit du robinet. Paul VI nomme Paul Marcinkus patron de l’IOR, avec autorisation d’ouvrir la banque à des investisseurs étrangers : il n’est pas banquier pour un sou mais il ne manque pas d’air : n’étant pas du métier, il va voir ses nouveaux collègues, qui eux, le sont : les grands banquiers italiens, Michel Sindona, banquier de Sicile à la tête de la Banca Unione, Roberto Calvi, numéro 2 de la banque Ambrosiano, lesquels compères lui déroulent le tapis rouge : mais bien sur, venez donc nous rejoindre : est-il une meilleure occasion de blanchir l’argent sale de la mafia ! Et c’est à partir de là que l’affaire va devenir scabreuse et que Paul VI autant que son successeur Jean-Paul II, fort peu incommodés par les vilaines odeurs se contenteront de se réjouir de tout cet argent qui rentre à flots dans les caisses vaticanes. Monseigneur Paul Marcinkus n’est pas exactement en odeur de sainteté mais il n’en est pas loin.

1970  

Le congé maternité est étendu à l’ensemble des salariées : il passera à 16 semaines en 1980.

5 02 1971 

Alunissage réussi d’Apollo 14, troisième mission habitée à se poser sur la lune ; elle compte trois astronautes : Alan Shepard, Edgar Mitchell et Stuart Roosa. C’est la première mission à caractère exclusivement scientifique. Le module lunaire s’est posé dans la formation géologique Fra Mauro, destination originelle de la mission Apollo 13 qui n’avait pu aboutir.

Pour leur seconde sortie extravéhiculaire, les astronautes de la NASA, arrivés la veille sur la Lune, devaient atteindre le cratère Cône, distant de 1,5 km. Traînant derrière eux le MET, une charrette à bras conçue pour transporter les échantillons et le matériel, les deux hommes ont marché longtemps en direction du nord-est, grimpé  péniblement une côte, mais ne sont pas parvenus à découvrir leur cible dans ce paysage sans point de repère. Arrivés à 17 mètres de l’objectif, caché par une ondulation de terrain, ils ont été contraints de faire demi-tour après avoir néanmoins prélevé un morceau d’un gros rocher blanc et ramassé quelques blocs gisant à son pied. L’un d’eux pesait près de neuf kilos : c’est la Grosse Bertha.

[…] l’un des morceaux de la Grosse Bertha pourrait ne pas avoir été formé sur la Lune mais sur la Terre. Jeremy Bellucci, du Muséum d’histoire naturelle de Suède, et ses collègues affirment que ce fragment de deux grammes, âgé de 4 milliards d’années, a peut-être été arraché au sol de notre planète par un impact de météorite avant d’être transporté jusqu’à notre satellite.

[…] Parmi les 382 kilos d’échantillons rapportés de la Lune, beaucoup sont des brèches, des assemblages de roches d’origines diverses fusionnées entre elles à la suite d’une ou de plusieurs chutes de météorites. Tel est le cas de la Grosse Bertha. Retrouvée dans la formation géologique du cratère Fra Mauro, elle correspond presque certainement à un éjecta (projection de matière) de l’impact qui, voilà 3,8 milliards d’années, a formé le bassin de la mer des Pluies. La roche étudiée par Jeremy Bellucci et ses confrères est l’une de celles qui y furent alors piégées : un morceau de quartz, de feldspath et de zircon, dont l’âge avait précédemment été estimé à 4 milliards d’années. Ces chimistes ont voulu établir dans quelles conditions d’oxydation, d’humidité, de pression et de température, ce minuscule fragment avait été cristallisé. Et ont découvert que ces conditions étaient réunies à une profondeur de 170 km sur la Lune, et seulement de 19 km sur la Terre.

vahé ter minassian. Le Monde du 13 02 2019

Ce qui pourrait confirmer l’hypothèse de la formation de la lune, morceau de la Terre prélevé à la faveur de la collision avec une météorite.

Apollo 14 Demonstrated Spaceflight Challenges Are Solvable

 

antares-LEM-Apollo-14 – Rêves d'Espace