9 janvier 2001 au 14 mars 2003. Wikipedia. Les fous d’Allah ou la grande peur de l’an 2000. 26546
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Publié par (l.peltier) le 20 août 2008 En savoir plus

9 01 2001  

En France, une vache née en 1998, c’est à dire étant censée n’avoir jamais ingéré de farines animales, se révèle atteinte d’ESB.

15 01 2001 

Jimmy Wales fonde l’encyclopédie Wikipedia, libre et participative, présente uniquement sur internet (Wiki : vite en hawaïen). Moins de dix ans plus tard, elle affichera plus d’1.5 millions d’articles, avec une croissance exponentielle qui la place, quantitativement loin devant toutes les autres encyclopédies qui ont commencé par l’édition papier. Wikipédia en français compte en 2007 plus de 550 000 notices, (l’Encyclopedia Universalis compte 27 000 articles]. Celle de Diderot comptait 72 000 articles.  Six ans plus tard, le succès est total.  Wikipédia se définit elle-même comme un projet collaboratif,… une encyclopédie, librement distribuable, que chacun peut améliorer. La subjectivité est de mise : la fiche Napoléon a été rédigée par 260 personnes, celle de Pétain par 400 personnes, celle du procès de Nuremberg est un livre à elle seule ! www.cite-sciences.fr

Le point, 13 ans plus tard : Wikipédia a beau être le cinquième site mondial en termes de fréquentation, il reste dirigé par une petite association à but non lucratif – la Wikimedia Foundation -, qui emploie à peine deux cents personnes, dont neuf en France. C’est très peu, pour une plate-forme qui compile 9 milliards de pages vues par mois et 4,5 millions d’articles dans sa version anglaise (respectivement 850 millions et 1,5 million pour le site français). Le financement dépend presque exclusivement de donations – en 2013, 52 millions $ (39 millions €).

Le contenu de l’encyclopédie en ligne est réalisé par des milliers de volontaires. L’idée, qui pouvait paraître hasardeuse à son lancement en 2001, a fait ses preuves. La qualité des articles est plutôt bonne : en 2012, une étude de l’université britannique d’Oxford a conclu qu’il y a moins d’erreurs dans Wikipédia que dans l’Encyclopaedia Britannica, et que les sources y sont plus clairement citées.

Ce succès est dû à des contributeurs comme le Québécois Benoît Rochon. Il a commencé en 2003 parce qu’il estimait qu’il n’y avait pas assez d’articles en français sur la Belle Province. La fiabilité  de Wikipédia ? Il la met sur le compte de la publication systématique des sources, et sur les débats parfois virulents entre contributeurs. Ce fut le cas, le 11 mars 2011, lors du séisme japonais à l’origine de l’accident nucléaire de Fukushima. Quelques minutes après l’annonce du tsunami – à 3 heures du matin, heure de Montréal -, M. Rochon était devant son ordinateur. Il a aussitôt commencé à apporter des informations parcellaires sur le tremblement de terre. Il se souvient que d’autres internautes essayaient de mettre la magnitude du séisme dans l’article. J’ai passé une partie de la nuit à surveiller ces modifications, en demandant que la source soit précisée. À 7 heures du matin, quand le New York Times a publié cette donnée, il a alors accepté de la mettre sur Wikipédia.

Mais les contributeurs comme M. Rochon se font rares. Depuis 2007, leur nombre a presque été divisé par deux. Au dernier pointage, il en reste 33 000 actifs (plus de cinq contributions par mois) pour l’ensemble du monde anglophone, une communauté pas si grande que cela. Côté français, on observe le même tarissement depuis un an. L’ONG qui entend apporter la connaissance gratuitement au monde entier est-elle en train de perdre son carburant ? Dans un entretien au Monde, Jimmy Wales, cofondateur de l’encyclopédie, relativise. Wikipédia est très exhaustif maintenant, et il n’y a plus d’articles faciles à écrire. Vous ne pouvez plus être le premier à écrire : l’Afrique est un continent.

[…] Surtout, Wikipédia n’est aujourd’hui que la partie émergée de l’iceberg. La Wikimédia Foundation mène en effet de très nombreux autres projets, qui ont tous la possibilité d’être aussi révolutionnaires que l’encyclopédie.

Il y a Wiktionary – le dictionnaire en ligne -, WikiVoyage – un guide touristique gratuit et ouvert à tous couvrant le monde entier -, ou encore WikiBooks, une bibliothèque de textes pédagogiques…

L’un des projets les plus prometteurs est WikiMedia Commons. C’est une gigantesque base de données de photos, de vidéos et de sons libres de droits. Avec 22 millions de fichiers, on y trouve des clichés de toutes sortes, utilisables gratuitement. Pour l’alimenter, l’association finance des projets parfois étonnants. En France, elle a ainsi aidé un groupe de volontaires à prendre des photos de l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Paris… depuis des drones. L’ONG propose aussi d’envoyer sur des événements sportifs des photographes amateurs, tous frais payés. Elle prête le matériel, fournit une formation, et récolte ensuite les images libres de droits. Le Critérium du Dauphiné et le Marathon de Paris ont déjà été couverts par ce biais ; le Tour de France [1] pourrait l’être aussi en 2015.

Certains concepts échouent. Sur WikiNews, qui devait réunir des articles gratuits de type journalistique, les contributions sont rares. Mais c’est la nature même d’une association comme la Wikimedia Foundation : elle dépend de l’engouement suscité et de la bonne volonté de groupes de passionnés.

Eric Albert. Le Monde du 9 08 2014

Wikipedia ressemble plus à une encyclopédie du Moyen Age, qui consiste en une simple accumulation de données, qu’à une encyclopédie des Lumières, dont l’objectif est le classement du savoir humain.

Un chercheur en histoire médiévale de la Sorbonne

L’accumulation de faits juxtaposés tend à mettre sur le même plan l’essentiel et l’anecdotique, à empiler des données que n’organise aucun esprit synthétique propre à hiérarchiser les informations et à guider la réflexion. C’est là surtout que Wikipedia est infidèle à la grande aventure de Diderot et d’Alembert auquel son nom fait référence.

Jean Noël Jeanneney, professeur des Universités à Sciences Po.

16 01 2001   

Laurent Désiré Kabila est assassiné par un de ses gardes, natif comme lui du Kivu. Son fils Joseph, 29 ans prend sa suite. C’est en fait avec lui que sera mis en place dans cet immense pays quelque chose qui ressemble à un gouvernement.

17 01 2001

Madame Bertelle Geffroy, juge d’instruction, mène des perquisitions dans 3 directions générales du ministère de l’agriculture :

  • DGAL : Direction Générale de l’Alimentation
  • DGS : Direction Générale de la Santé
  • DGCCRF / Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.

Loi sur l’archéologie préventive, dans le sillage de la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique signée à Malte le 16 janvier 1992. La loi va donner naissance à l’INRAP – Institut National de Recherches Archéologiques et Préventives – qui remplace l’AFAN, – Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales, née en 1973. L’INRAP va être à l’origine de la découverte de toute une histoire que n’avaient jamais écrite nos historiens, nos chroniqueurs ! Le quotidien de chacun, les ornements funéraires, ceux de fête, les traditions de tous ces peuples qui ont occupé ce qu’est aujourd’hui la France, la fantastique empreinte de Rome sur tout ce territoire etc…. Rarement loi emportera l’adhésion unanime de tous ceux qui s’intéressent au passé de leur pays.

25 au 30 01 2001

À Porto Alegre, Brésil,  se tient le premier Forum Social Mondial, à l’issue duquel il va se donner une charte dont les principes les plus importants sont :

  • l’opposition à l’ordre néolibéral qui caractériserait la mondialisation actuelle,
  • l’ouverture à tous les courants idéologiques pour les projets alternatifs,
  • l’absence des partis politiques en tant que tels.

Les avis seront partagés, parfois cinglants :

Cette foule en colère, épaulée par des intellectuels sud-américains magnifiques et inspirés, commençait à écrire le prologue d’une histoire collective. Il devait y avoir une alternative à l’acharnement maléfique du capitalisme à nous tuer pour survivre.

[…] Dans les rues de Porto Alegre, les Indiens Mapuche et les Inuits, suivis de bobos européens et américains, pactisaient, dansaient et, en buvant de la caïpirinha, rêvaient de défaire le système, de culbuter l’histoire. Cette liesse a enchanté des grands messes laïques, devant des autels dressés par de vieux prêtres au marxisme vieillissant , partageant leur doxa avec des esprits libertaires, leurs nouveaux alliés.

Comme toujours, le camp de l’espoir est envahi de gens qui veulent le préempter; à Porto Alegre, il y en avait aussi, comme ces vieux gourous qui voulaient faire oublier leurs aveuglements passés et, à coups de suffisance et de boursouflures fatiguées, se racheter sur notre dos.

Au bar de l’hôtel Rafael, transformé en succursale du café de Flore, je me querellais avec des fossiles français et américains, venus boire un lait de jouvence et prendre en otage une indignation universelle. Je les apostrophais obstinément ; l’urgence commandait de structurer toutes ces colères, d’inventer des stratégies inédites pour faire plier les prédateurs. On s’empaillait ; ils préféraient offrir un corpus politique à toutes ces communautés : l’action, me disaient-ils, viendrait après l’analyse. Toutes ces harangues sentaient l’opportunisme, celui qui escorte le vieux paternalisme gauchiste. À les en croire pour que ceux qui souffrent apprennent à agir, il faudrait des décennies, le temps de les éclairer.

Ce carambolage entre l’action et la réflexion  aura rythmé ma vie : la première n’est pas condamnée à succéder à la seconde, surtout quand celle-ci, théâtre d’illusion, paralyse ou aggrave la situation. Face à ces dinosaures , je n’étais pas seul ; de jeunes apôtres, nombreux, sentaient comme moi, qu’il fallait faire bien plus que chanter, scander, marteler nos convictions. Mais la joie était là aussi, celle d’une fraternité, nouvelle et mondiale, qui aujourd’hui encore, rend contagieuse la révolte. Elle fécondait mille ateliers de réflexion, où nous évoquions tout ce que nous avions mis trop de temps à apprendre et à faire.

Dans ces années-là, le grand absent fut le réchauffement climatique. Des vois prémonitoires criaient pourtant dans le désert. On sait maintenant que les plus grands pétroliers étaient déjà au courant, dans leurs laboratoires de recherche, du niveau que notre thermomètre atteindrait. Pour retarder l’émergence de cette vérité, ils ont dépensé des milliards, en corrompant des scientifiques, pour inoculer le doute partout sur la planète. Simultanément, comme les autres acteurs du marché mondial, ils nous ont seriné que le meilleur allié des générations futures et de la nature, c’était eux, que l’argent serait ce qu’il y a de plus utile pour enrayer les effets toxiques du réchauffement climatique. On n’est pas obligé de les croire.

Une nouvelle génération de charlatans s’est installée dans les palais présidentiels et dans les grandes entreprises. Des braconniers se présentent comme des garde-chasses. Dans quelques décades, les survivants et peut-être quelques animaux pourront jeter des fleurs sur une tombe qui portera cette seule épitaphe : Ci-gît l’intérêt général, qui s’est bien battu, mais n’a rein pu faire.

Malgré cette duplicité ravageuse, une nouvelle graine citoyenne a germé et les esprits les plus réfractaires concèdent aujourd’hui que, sans elle, nous irions encore plus vite vers ma tragédie. La rapport de forces entre citoyens et oligarchies est toujours très asymétrique et les peuples sont fatigués d’être constamment bernés. On se demande comment il n’y a pas plus d’éruptions de violence et de saccages à travers la planère. La non-violence, si responsable et courageuse, aura bientôt du mal à contenir les envies d’émeutes. Une hantise des politiques est que celles-ci explosent et se fédèrent. Il est douloureux de voir des citoyens demander un engagement sincère et courageux à ceux qui veulent être élus pour les sauver, et voter pour ceux qui n’en ont cure C’est une malédiction que l’esprit de Porto Alegre a voulu inverser.

William Bourdon Sur le fil de la défense. Le cherche-midi 2023

Dans ce même livre, William Bourdon écrit : Si je ne créé pas une ONG tous les dix ans, je déprime. Et ce n’est pas là vantardise légère : l’homme a compris que la justice a pour obligation d’instruire une plainte déposée par la personne morale qu’est une ONG. Et, pour s’affronter aux multinationales, aux chefs d’États, pilleurs en leur propre pays, il faut avoir une personnalité un peu hors du commun et l’on ne s’étonnera donc pas de son côté I’m the hero. Qu’on en juge :

  • 2002 : création de l’ONG SHERPA : les grandes forces de l’argent dont les engagements éthiques sont trop souvent monnaie de singe, doivent être redevables de leur forfaits. 
  1. Intervention au Cameroun pour y dénoncer les forestiers qui exploitent illégalement des bois précieux sur des parcelles paysannes.
  2. Intervention encore en Birmanie pour défendre les anciens salariés birmans de Total qui mettra fin aux poursuites en versant 10 000 € à chaque plaignant, pactole inespéré pour ces paysans. Auparavant Total avait acheté Bernard Kouchner qui avait pondu un rapport ahurissant en faveur de la multinationale.
  3. Développement de la notion de Bien Mal Acquis – BMA – qui va permettre de traduire en justice le président du Gabon, Omar Bongo, pour toutes ses propriété acquises en France, puis le fils du dictateur de la Guinée équatoriale Teodoro Obiang et sa caverne d’Ali Baba sise au 42, avenue Foch.
  • 2023 : création de la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique – PPLAAF -, lancée lors du procès de Hissène Habré, mené aux côtés de Henri Thulliez, de Human Rights Watch France. Elle permettra de démasquer l’origine de la fortune d’Isabel dos Santos, la fille de l’ancien président angolais, celle de Jacob Zuma, l’ancien président de l’Afrique du Sud. ALERTA sera sa sœur pour l’Amérique latine.

9 02 2001   

Patrick Berhault, 44 ans, termine sur la plage de Menton une traversée des Alpes, parfois en solo, parfois accompagné, principalement avec Patrick Edlinger ou Philippe Magnin. Il est parti de Slovénie 167 jours plus tôt, a gravi 22 sommets, couvert 1 300 kilomètres, fait 141 863 mètres de dénivelé positif dont 22 280 en parois. Les liaisons entre sommets distants se seront toujours effectuées à pied ou en vélo. Il mourra 3 ans plus tard sur l’arête qui joint le Täschhorn au Dom des Mischabel en Suisse. Il était avec Philippe Magnin. La corde était restée dans le sac…. peut-être la peur inconsciente de vieillir, c’est à dire de connaître l’inexorable altération de la symbiose qu’il entretenait avec la haute-montagne.

27 août 2000 face nord du Triglav, 2 863 m (Alpes juliennes) avec Patrick Edlinger et Tomaz Humar.
5 septembre  Cima ouest, 2 973 m (Dolomites) voie Cassin-Ratti, avec P. Edlinger.
6 septembre Cima Grande, 2 999 m (Dolomites) voie Brandler-Hasse, avec P. Edlinger.
11 septembre Civetta, 3 218 m (Dolomites) voie Solleder avec P. Edlinger.
12 septembre Civetta, punta Tissi (Dolomites) voie Phillip-Flamm avec P. Edlinger.
13 septembre Civetta, cima Su Alto, 2 958 m (Dolomites) voie Livanos-Gabriel avec P. Edlinger
16 septembre Marmolada, 3 342 m (Dolomites) voie du Poisson avec P. Edlinger.
18 septembre Marmolada di Rocca, 3 265 m (Dolomites) voie Vinatzer et variante Messner avec P. Edlinger.
25 septembre Crozzon di Brenta, 3 135 m (Dolomites) pilier des Français avec P. Edlinger.
26 septembre Brenta Alta, 2 960 m (Dolomites)  voie Detassis avec P. Edlinger.
4 octobre Cengalo, 3 370 m (Massif de la Bernina)
voie nord-ouest avec Ottavio Fassini.
24 et 25 octobre Grandes Jorasses, face nord, 4 208 m (Mont-Blanc),
voie Goussault-Desmaison avec P. Magnin.
28 octobre Mont Blanc, 4 807 m, Hypercouloir puis arête du Brouillard
 avec P. Magnin.
29 novembre Cervin, face nord, 4 478 m (Valais)
avec P. Magnin.
4 et 5 décembre Eiger, face nord, 3 970 m (Oberland)
avec P. Magnin.
13 décembre Grande Casse, face nord, 3 852 m (Vanoise)seconde ascension de la voie Boivin-Diaféria-Maurin 
avec Patrick Gabarrou.
19 et 20 décembre traversée des Aiguilles d’Arves, 3 510 m, 3 509 et 3 363 m (Maurienne)
avec Gaël Bouquet des Chaux.
22 décembre Meije, 3 983 m (Oisans), voie Pierre Allain (Face Sud)
avec P. Magnin.
27 décembre 2000 Dôme de neige des Ecrins, 4 015 m (Oisans), ascension par le versant Bonnepierre
avec Valérie Aumage.
8 et 9 janvier 2001  traversée du Viso, 3 845 m (Alpes cottiennes)
en solitaire.
17 janvier Corno Stella, face nord, 3 050 m (Alpes-Maritimes), voie Ughetto-Ruggeri (dite voie du Grand Dièdre Rouge)
en solitaire.
29 janvier Marguareis, pointe Scarasson, 2 651 m (Alpes-Maritimes), voie Gogna 
avec P. Gabarrou et P. Magnin
9 février 2001
arrivée sur la plage de Menton
GC6CN5B #2 Le bois des T5 : Patrick Berhault (Traditional Cache ...

Le titre de son dernier livre disait tout de lui : « Encordé mais libre ». Glénat 2001

16 02 2001 

912 réfugiés kurdes débarquent de l’East Sea sur une plage de Saint Raphaël : l’équipage syrien a pris la fuite. Dix jours plus tard, ceux qui restent – 360 se sont évaporés dans la nature – seront répartis dans plusieurs centres d’accueil dans les jours suivants. Dans les semaines précédentes, le génocide arménien avait été reconnu par la France, provoquant des mesures de représailles de la Turquie.

02 2001    

Les Talibans mettent à bas les Bouddhas de Bâmiyân : le plus grand avoisinait les 53 mètres, le second, 35. Avec cela ils étaient certains de voir leur barbarie passer à l’international.

Bâmiyân ? Les bouddhas, oui, les fameux bouddhas de Bâmiyân. On pleure presque à la vue des niches vides, sombres comme des catafalques, creusées dans l’ocre falaise. Les deux statues géantes – 55 mètres et 38 mètres – s’y dressaient face à la vallée avant que les talibans ne les pulvérisent à la dynamite un infâme jour de mars 2001. Le mollah Omar, le chef suprême des talibans – alors au pouvoir à Kaboul – avait condamné à mort ces idoles comme on livrerait des criminels au peloton. Les icônes châtiées avaient 1 800 ans. De leur pignon de glaise, elles avaient vu défiler le spectacle des siècles, s’ébranler les caravanes des routes de la soie, débarquer des moines chinois en quête de textes sacrés. Et bien plus tard, elles avaient cédé le ciel de la foi aux conquérants du Dieu unique – Allah – qui les avaient laissé tranquilles, si longtemps. Elles s’étaient laïcisées en figures de légende, recyclées dans le folklore populaire. L’allégorie de l’amour malheureux. Roméo et Juliette au pied de l’Hindou-Kouch. Lui, c’était Salsal. Elle, Shamana. Ils s’aimaient d’un amour impossible et, plutôt que de vivre séparés, se transformèrent en statues d’argile. Que n’a-t-on laissé le mythe nourrir les imaginations villageoises ? Les niches sont vides et leurs parois lézardées, outrage des talibans, du vent, de la neige, de la chaleur, des séismes.

Frédéric Bobin. Le Monde 5 septembre 2009

Les religions, comme les caravanes de chameaux, semblent éviter les cols de montagne. De la terre natale du Bouddha, au sud du Népal, le bouddhisme s’est ainsi vite répandu vers le sud, jusqu’au Sri Lanka, en traversant la plaie du Gange. Mais il lui a fallu un millénaire pour atteindre la Chine et, pour y parvenir, au lieu de traverser l’Himalaya, il a suivi une trajectoire parabolique de mille cinq cent kilomètres à l’est, puis de cinq cent kilomètres au nord, et, enfin, de nouveau deux mille cinq cents kilomètres à l’est. Cette ceinture religieuse a fini par s’étendre jusqu’à la Mongolie et au Japon, mais en Afghanistan, le bouddhisme occupa seulement une étroite langue de pays qui laissait les païens dans les vallées à l’est  et à l’ouest, à Kailash et à Ghor.

En se déplaçant, le bouddhisme évolua. Au Tibet, il incorpora la religion préexistante des Bön-Po et engendra de nouvelles démonologies. Dans l’Inde du Nord du VIII° siècle, il devint scolastique ; chez les moines de la forêt, au Sri Lanka, pragmatique ; à Newar, au Népal, les moines mariés pratiquaient un tantra inversé, tandis qu’au Japon, les adeptes du zen méditaient sur les paradoxes les plus minimalistes qui soient. L’Afghanistan était la pays où le bouddhisme avait rencontré l’art de la Grèce d’Alexandre. Là, dans le style du Gandhara, il développa pour la première fois l’expression artistique la plus caractéristique de cette religion : la représentation du Bouddha sous forme humaine. Les statues géantes de Bâmiyân constituaient l’héritage le plus monumental de cette innovation.

De la base de la niche orientale, j’escaladai un escalier de terre incliné pour déboucher, une douzaine de mètres au-dessus du sol, dans un long couloir ouvert bordé de pièces vides. Je montai d’autres marches. Des deux côtés, des balcons, des escaliers en colimaçon et des pièces octogonales au plafond voûté étaient taillées dans les parois de la falaise, s’élevant dans la roche étage après étage. Je poursuivis mon chemin, soixante mètres au-dessus du fond de la vallée, passant sur de fragiles portions de boue séchée, et ressortis à l’endroit où la tête du Bouddha se trouvait autrefois.

On avait là un exemple caractéristique d’architecture de montagne. En général, la sculpture bouddhique du Gandhara d’Afghanistan est renommée pour sa grâce et son équilibre. Mais les bouddhas de Bâmiyân étaient disgracieux et bouffis. Ils semblent avoir eu pour fonction principale de dominer le paysage. Il était impossible d’atteindre à la minutie et à l’élégance des formes dans la roche friable. Tout avait été sacrifié pour permettre aux statues d’escalader la face de la paroi de grès.

En descendant vers l’autre bouddha, je tournai dans un passage latéral, où je découvris une pièce encore ornée de traces de peinture dorée et bleu foncé représentant les têtes et les entrelacs de personnages en procession. Les derniers bouddhistes avaient sans doute vécu à Bâmiyân au tournant du I° millénaire. Leur religion, d’abord affaiblie par un renouveau hindouiste, a été anéantie par l’islam. À l’époque où les Ghorides se sont emparés de la vallée, au XII° siècle, il n’en restait guère, entre Bâmiyân et le Bangladesh. Nous ne savons pas grand chose aujourd’hui du genre de bouddhisme autrefois pratiqué à Bâmiyân. De dizaines de milliers de monastères, répartis sur plus d’un millier de kilomètres, ne nous restent que des fragments de stûpas, de sculptures, des inscriptions et des manuscrits, ainsi que les récits de voyageurs chinois.

Au bout d’un autre passage, je vis que les talibans avaient brûlé tout l’intérieur d’une pièce, vraisemblablement pour effacer une fresque, avant d’imprimer des traces de pas blanches au plafond à l’aide de chaussures. Cela avait du demander un certain effort, dans la mesure où la pièce faisait dix mètres de haut.

Il se  peut que les Ghorides, qui avaient élu la vallée de Bâmiyân comme seconde capitale après la Montagne de Turquoise, aient eu un certain attrait pour cette architecture de montagne alternative, parce qu’ils avaient laissé les bouddhas de la falaise intacts. Les talibans, eux, les avaient dynamités parce qu’ils désapprouvaient l’idolâtrie. Beaucoup de Hazaras [l’ethnie dominante du Hazaradjat, région qui a pour capitale Bâmiyân. ndlr]. Beaucoup de Hazaras semblaient avoir du mal à le croire. Peut-être qu’il cherchaient de l’or en dessous, suggéra d’un des hommes de la caravane lorsque je lui posai la question. Ils ne paraissaient pas s’en inquiéter beaucoup. Cela avait dû être étrange de découvrir l’absence de statues géantes, alors quelles avaient été visibles de tous les côtés de la vallée pendant mille cinq cents ans. Mais comme disait l’homme : Il y a des choses plus importantes pour nous. [2]

Je débouchai dans une cellule monacale de méditation située en retrait d’une longue galerie ouverte. Assis dans la pièce, je regardai, par delà la large vallée qui s’étendait devant moi, trente mètres plus bas, les sommets blancs enneigés. Autrefois, le paysage ressemblait peut-être à une version réduite du Lhassa d’avant l’invasion chinoise : tout l’édifice entourant les bouddhas peint de couleurs vives, des drapeaux de prières sur les pics et, les jours de fête religieuse, les processions de moines en robe safran dont les chants emplissaient la vallée. Les niches dynamitées, sans leur bouddhas, faisaient maintenant écho aux représentations antérieures à l’art du Ganhara, dans lesquelles le Bouddha est uniquement figuré par un siège vide, signalant l’endroit où il se tenait autrefois.

Rory Stewart. En Afghanistan. Albin Michel 2009

Docu. Le vide laissé par les bouddhas de Bamiyan

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Le grand Bouddha de Bâmiyân

Le poète grec Hésiode partage l’histoire de notre espèce en cinq âges successifs : l’âge d’Or, d’Argent, d’Airain, des Héros, et enfin l’âge de Fer, où nous sommes encore. Cette répartition était connue en Asie mais sans l’âge des Héros, qui semble une création grecque. Sur cette reconstitution, on peut voir la taille précise de ces cinq humanités. Avant leur destruction, les bouddhas de Bamiyan n’étaient plus que deux, le géant de 54 mètres, et, plus loin, un autre de 32 mètres. Jadis, il y en avait trois autres, visibles à l’échelle : un de 16 mètres, un de 4 mètres, et enfin un de 1,80 mètre. Ce sont de très anciennes sculptures donnant les tailles des cinq humanités.

Pour l’ordinaire, le massacre opéré sur les Afghans contentait les Talibans : Non, je ne suis pas belle… Bon d’accord, je suis belle ! J’étais belle. Je suis vieille maintenant, à cause des talibans. Tout ce mal et cette misère ont été causés par les talibans. Mon mari travaillait dur auparavant. Depuis qu’il est handicapé, il ne peut plus aller aux champs. Quand les talibans sont arrivés, nous avons fui dans la montagne. Lorsque nous sommes revenus, ma vie était détruite. Ils avaient tout brûlé, tout pris. Quatre jours et quatre nuits, nous avons fui sous les balles et dans le froid de la montagne. J’avais un nourrisson dans les bras à l’époque ; ses engelures ont mis des mois à guérir. Pour ne pas être tué, mon mari s’est caché dans la rivière, trop longtemps. Depuis, il est paralysé des mains et des pieds. Ma fille n’a pas survécu à la traversée du fleuve. L’eau était profonde. Un homme l’a aidée mais elle est restée mouillée. Nous n’avions pas de vêtements secs et elle est morte de froid. Ils nous ont tiré dessus sans arrêt, jusqu’en haut du col. Ma voisine marchait avec une balle dans la jambe, en portant  son enfant. Ma fille est morte en martyre. Son corps a été mangé par les loups. Il n’y avait que des rochers là-haut : beaucoup de corps de femmes et d’enfants étaient abandonnées comme ça, à demi enterrés.

Kobra, de l’ethnie hazara. Témoignage recueilli pat Titouan Lamazou

23 03 2001

La station Mir revient à celle qui l’a vu naître : la Terre. Mais comme elle avait été conçue seulement pour vivre loin d’elle, cela signifie sa mort, en quelques milliers de morceaux, au-dessus du Pacifique.

7 04 2001      

Lancement de la sonde Mars Odyssey, qui arrivera le 24 octobre 2001, pour analyser pendant trois ans la surface.

23 05 2001   

Le Norvégien Borge Ousland, 38 ans, arrive à Ward Hunt, au nord de la Terre d’Ellesmere, après 82 jours de traversée de l’Arctique, en passant par le pôle nord : il a quitté le cap Arktichevsky, dans les Terres du Nord, au nord de la Sibérie, et parcouru 1 744 km, en solitaire, sans assistance. Il constate que la couche de glace a rétréci, au cours des 10 à 15 dernières années, de 15 à 20 %. Ses extraordinaires performances, pôle nord, pôle sud, traversée de l’Antarctique, traversée de l’Arctique, le tout en solitaire et sans assistance, font de lui l’égal de Fridtjof Nansen et de Roald Amundsen.

1°semestre 2001   

Les États-Unis commandent 300 millions de doses de vaccins contre la variole : Bill Clinton a eu confirmation par des spécialistes des ses craintes en matière de tripatouillage génétique : la fabrication du porteur de la maladie est à la portée de bien des laboratoires.

13 07 2001   

Un problème d’allumage du 3° étage d’Ariane 5 entraîne une baisse de poussée du moteur, et donc une mise sur orbite beaucoup plus basse que prévue des 2 satellites transportés. Cet échec remet en question les engagements de Jean Marie Luton, patron d’Arianespace : équilibrer les comptes en 2001 après avoir perdu 1,3 milliard de Francs en 2000. Mark Albrecht patron de Sea Launch, se frotte les mains : cela arrange ses affaires, avec les deux fusées, concurrentes d’Ariane 5 : Delta 4 et Atlas 5, qui devraient être opérationnelles au printemps 2002. En attendant, les 7 lancements effectués ont tous été couronnées de succès.

Ariane - LAROUSSE

08 2001  

Helios est un drone, avion sans pilote, télécommandé, financé par la NASA, fabriqué par Aero Vironment, de Monrovia en Californie. Il atteint 29 410 mètres d’altitude. D’une envergure de 75,28 m, il mesure 3,6 m, pour une surface de 178 m². Son poids maximum est de 920 kg, sa vitesse en vol de 30 à 50 km/h. Sa vitesse de décollage est celle d’une bicyclette. Il est fait de fibre de carbone, de kevlar, et de graphite. Ses 14 hélices sont actionnées par des moteurs à énergie solaire de 1,5 kwh chacun : pas plus que la consommation d’un sèche-cheveux.

Bernard Ollivier, 63 ans, fait à pied la Route de la Soie, d’Istanbul à Xi’an. Il quitte l’Asie Centrale, pour entrer au Sinkiang, la province chinoise la plus occidentale : L’argent en Chine est une obsession. Durant mes deux premières années de marche, [d’Istanbul à Samarcande] j’ai souffert de la générosité généralisée. Comme tout un chacun, je suis sensible aux cadeaux qu’on me fait, mais j’accepte difficilement que des gens à l’évidence plus pauvres que moi me fassent des dons. Or presque partout en Asie centrale, y compris parfois dans les hôtels ou les restaurants, on a refusé mon argent, malgré mon insistance. Aux enfants, j’ai donné des pin’s ou des bonbons, mais je n’avais rien pour les adultes, mon mode de transport interdisant d’apporter des présents à tant d’amis de rencontre.

En Chine, le problème est exactement inverse. Depuis Touopa, j’ai pu constater que l’arrivée d’un Occidental dans un restaurant est perçue comme une manne dont il faut tirer le meilleur parti. Dans le premier restaurant où j’ai dîné après le passage de la frontière, le restaurateur m’écrit le prix du repas sur un papier : dix yuans. C’est, je le constaterai plus tard, le double du prix. Trois ou quatre consommateurs interviennent, lui expliquent quelque chose que je comprends vite ; il reprend le petit papier et écrit : vingt yuans. En Chine, la consigne de taxer les étrangers a été diffusée et largement appliquée par les services officiels jusque dans les années 1990. La prime allait de deux à cinq fois le prix pratiqué pour les habitants. Depuis quelques années, le gouvernement interdit officiellement de gonfler les prix pour les longs nez. Mais dans ce sens, l’information n’est pas passée. Dans les hôtels pour étrangers, les prix affichés sont ceux qui leur sont destinés et les employés divisent ce prix par deux, trois ou quatre pour les Chinois. Dans les restaurants, le prix est généralement le double du tarif normal. Il n’y a que les petits commerces de rue qui ne pratiquent pas cet ostracisme, plus agaçant pour le principe que pour les sommes en question.

[…]     À force d’être regardé comme un porte-monnaie et de ne pouvoir dialoguer avec les gens, j’ai le sentiment que la nature même de mon voyage a changé. Ne comptant plus guère sur l’accueil spontané des habitants, du promeneur que j’étais, je suis devenu randonneur. Marcher, camper, manger, dormir, puis marcher encore, tel est aujourd’hui mon voyage. Là-bas, en Asie centrale, je me promenais chez des amis. Me voici randonnant chez des fournisseurs.

Bernard Ollivier. Longue Marche. III Le vent des steppes. Phebus 2003

2 au 9 09 2001   

À Durban, en Afrique du Sud, les États Africains établissent le faire part de décès de l’Organisation de l’Unité Africaine – OUA – : les obsèques auront lieu le 9 juillet 2002, pour la remplacer par l’UA – Union Africaine – qui reprend les mêmes locaux, institutions etc… le tout toujours exprimé en langue de bois et incantation.

9 09 2001  

Attentat contre le commandant Massoud, dernier rempart en Afghanistan contre les Talibans. Le Lion du Pandjshir n’y résistera pas et succombera 5 jours plus tard, à 47 ans. Presque vingt ans plus tard, les choses n’ayant pas fondamentalement changé, c’est son fils qui prendra la relève, avec moins de succès.

La mort du Lion

11 09 2001 9 heure locale

La grande peur de l’an 2000    

Attentats suicides à New-York : 2 avions commerciaux détournés vont s’écraser à 18 minutes d’intervalle sur les Twin Towers du World Trade Center, hautes de 415 m. Une heure plus tard, l’incendie alimenté par le kérosène des avions vient à bout de la résistance de l’acier : les 2 tours s’effondrent à 20 minutes d’intervalle –  2 753 morts -. Pratiquement dans le même temps, un troisième avion détruit une aile du Pentagone. Un quatrième avion s’écrase ensuite près de Pittsburg : 224 morts. Plus d’1.5 millions de tonnes de débris seront évacués sur l’île de Staten Island. Au total on comptera 2 977 morts et 6 291 blessés. Le site commencera par être nommé Ground Zero, puis, au fur et à mesure de l’avancement de la reconstruction, Memorial ou One world Tower, 417 mètres de haut. Sur les 2 753 morts, on ne parviendra à en identifier que 1640 soit 1 113 non identifiés, 40%. Et il faudra encore compter les nombreux morts parmi le personnel qui sera en contact prolongé avec les débris : il y avait beaucoup d’amiante dans les Twin Towers.

Khalid Cheik Mohammed sera désigné comme le principal organisateur de ces attaques et reconnaîtra les faits, lors d’interrogatoires préliminaires à son procès, qui s’ouvrira le

Le Français Zacarias Moussaoui, né au pays basque de parents marocains, en prison au moment des faits, y restera à vie. Venu aux États-Unis pour apprendre à piloter, il avait éveillé les soupçons de ses instructeurs du Minnesota en ne s’intéressant qu’aux gestes à exécuter en vol et non au décollage pas plus qu’à l’atterrissage. Mohammed Atta se montera plus méfiant lors de son apprentissage à Miami.

Le vol American Airlines 11, un Boeing 767 transportant quatre-vingt-un passagers et onze membres d’équipage, décolla à h 59 de l’aéroport international Logan de Boston, dans le Massachussetts, avec, pour destination Los Angeles, en Californie. L’appareil fut détourné vers h 14, après quinze minutes de vol, par l’Égyptien Mohammed Atta et les Saoudiens Satam al-Suqami, Waleed al-Sheri, Wail al-Sheri et Abdulaziz al-Omari, présents parmi les passagers. Il percuta la face Nord de la Tour Nord (WTC 1), entre le 93e et le 99e étage du Worls Trade Center, à h 46 après 32′ de détournement.

Le vol United Airlines 175, un Boeing 767 transportant cinquante-six passagers et neuf membres d’équipage, quitta l’aéroport international Logan de Boston à h 14. Il devait également rejoindre Los Angeles. À h 45, après une demi-heure de vol, les Émiriens Marwan al-Shehhi et Favez Banihammad et les Saoudiens Mohand al-Sheri, Ahmed al-Ghamdi et Hamza al-Ghamdi détournèrent l’appareil. Dix minutes plus tard, un contrôleur aérien alerta le centre de contrôle de New York du détournement du vol, qui à son tour alerta à h 2 le FAA Command Center. À h 3, soit dix-huit minutes après la prise de contrôle de l’appareil par les terroristes, le vol 175 United Airlines percuta le côté Sud de la Tour Sud (WTC 2), entre le 78e et le 84e étage. Plus de deux cents personnes furent tuées sur le coup.

Nombre de personnes tuées par les attentats du 11 septembre
Lieu Total Détail
Civils Professionnels Terroristes
World Trade Center Tours 2 606 morts 2 203 civils 403, dont :

  • 343 sapeurs-pompiers de New-York ;
  • 23 officiers de police du NYPD ;
  • 37 officiers de la PAPD.
Vol AA 11 92 morts 76 passagers 11 membres d’équipage 5 terroristes
Vol UA 175 65 morts 51 passagers 9 membres d’équipage 5 terroristes
Pentagone Bâtiment 125 morts 125 civils et militaires
Vol AA77 64 morts 53 passagers 6 membres d’équipage 5 terroristes
Shanksville Vol UA 93 44 morts 33 passagers 7 membres d’équipage 4 terroristes
Total 2 996 morts 2 541 morts 436 morts 19 morts

Ce sont 2 977 personnes qui ont été tuées par les attentats. Une personne disparue la veille du  et trois personnes mortes après les attaques de maladies causées par le nuage de poussières toxiques créé lors des effondrements des tours du WTC ont été ajoutées au bilan de 2 973 victimes établi par la commission officielle. Sur les 2 977 victimes des attentats, 310 étaient de nationalité étrangère, dont 67 Britanniques41 Indiens28 Sud-Coréens24 Canadiens24 Japonais, quatre Français et un Belge. La plus jeune victime avait 2 ans, et la plus âgée avait 85 ans.

Falling Man Photographe : Richard Drew Associated Press

NEW YORK - SEPTEMBER 11: Hijacked United Airlines Flight 175 from Boston crashes into the south tower of the World Trade Center and explodes at 9:03 a.m. on September 11, 2001 in New York City. The crash of two airliners hijacked by terrorists loyal to al Qaeda leader Osama bin Laden and subsequent collapse of the twin towers killed some 2,800 people. (Photo by Spencer Platt/Getty Images)

Top 10 Conspiracy Theories

… La vraie foi, c’est celle qui pousse le croyant au sacrifice. La vraie foi est celle qui pousse le fidèle à abandonner ce qu’il a de plus précieux pour la voie d’Allah et de sa religion. (…) Mais le tribut à payer pour défendre cette foi est très lourd. Si une foi, une croyance n’est pas arrosée et irriguée par le sang, elle ne pousse pas. Elle ne vit pas. Les principes se renforcent par les sacrifices, les opérations suicides et le martyre pour Allah. C’est en comptant quotidiennement les morts, en additionnant massacres et charniers que la foi se propage. Peu importe si celui qui a été poussé au sacrifice n’est plus là. Il a gagné.

Ali Benhadj, ancien chef du FIS algérien.

… bref, nous sommes entrés dans un monde où le marché de la violence est complètement déréglementé. Du coup, même si cela coûte de le dire, il y a , depuis mardi, une égalité devant la violence.

… Si le terroriste se légitime par l’Islam, aussitôt ses victimes ou ceux qui en sont solidaires vont commettre, à leur tour, un second abus en assimilant cet acte à la culture empruntée pour le légitimer, l’islam. Cette autre forme de violence risque d’annoncer de nouvelles catastrophes.

… Et surtout, nous ne devons pas oublier cette règle d’or, qui va devenir l’aune des relations internationales : l’aspiration à l’égalité. Un homme vaut un autre homme. Je n’ai pas vu beaucoup de réactions, cette semaine, devant la mort de plusieurs Palestiniens… Et lorsque nous saurons réagir au génocide de  500 000 Rwandais comme nous avons réagi au sort tragique des victimes emportées à New York, nous aurons fait un progrès dans la régulation de la vie internationale. Or nous sommes encore dans un monde où un homme ne vaut pas un autre homme ; c’est en ces termes que le Sud réagit à la catastrophe de New York. La mondialisation aggrave les inégalités mais suscite une aspiration à l’égalité comme il n’y en a jamais eu. Parce que chacun a désormais les moyens de se comparer aux autres.

Bertrand Badie, professeur à Sciences Po. Libération du 16 septembre.

Ils (…les Américains) croyaient que le monde leur appartenait et découvrent qu’ils appartiennent au monde.

Un écrivain français, anonyme pour l’occasion, qui pourrait être Eric Orsenna.

Par compassion pour tous ces morts qui ne se croyaient pas menacés, par respect pour leurs familles, je veux bien être, le temps de la douleur, américaine. Mais quand on prostitue des enfants pour le plaisir des touristes, je veux être philippine ; quand l’Afrique crève du sida, que l’on y soutient des gouvernements insoutenables et que les laboratoires pharmaceutiques y cherchent des profits, je suis africaine ; quand le blocus affame l’Irak, je suis irakienne ; quand le napalm tue au Viet Nam, je suis vietnamienne ; et le jour où les États-Unis bombarderont, en représailles de ce triste 11 septembre, les populations civiles d’un pays, je serait citoyenne de ce pays-là.

Marie Latreille-Menechal. Gif sur Yvette. Le Monde 24.09.01

Nous défendons des demi-vérités contre un mensonge total

Arthur Koestler, parlant alors du communisme.

Il suffit de décentrer quelque peu son regard sur le monde pour comprendre à quel point le discours occidental sur le caractère sacré de la vie et des droits inaliénables de la personne peut apparaître comme une pure tartufferie. Constater ces processus ne revient pas à légitimer le terrorisme, mais à désigner et reconnaître ses racines politiques.

Rony Brauman. Le Monde 29 septembre 2001

…Les talibans n’ont pas construit de système étatique. Tout juste encadrent-ils de manière tatillonne et ridicule le comportement moral des habitants : barbe, burka, musique interdite… Encore que cette rigueur n’affecte réellement que les Kaboulis éduqués qui avaient vécu autre chose dans le passé. Les paysans, soit 85 % de la population, n’y voient pas grand changement. Mais en aucun cas le régime ne peut être assimilé à un régime policier et bureaucratique d’une civilisation ordinaire. Ce n’est pas un régime, tout juste une administration des mœurs ; c’est d’ailleurs bien la raison pour laquelle les talibans, à défaut d’être aimés des populations, sont au moins acceptés comme une fatalité passagère.

Georges Lefeuve, ethnologue ayant voyagé 10 jours en Afghanistan, du 7 au 17 septembre 2001. Le Monde 4 Octobre 2001.

Ces dix jours de voyage n’ont pas été suffisants pour permettre à M. Lefeuve d’aller visiter quelques prisons, hôpitaux où croupissent de simples citoyens à qui l’on a coupé une main, un pied, parfois les deux, coupables qu’ils étaient d’avoir fait commerce de télévision et autres signes de ce progrès honni. Stephen Smith, qui coiffe la rubrique Afrique au journal Le Monde, faisant preuve d’antiaméricanisme primaire n’hésitera  pas à récupérer Tacite : Brigands du monde, ils sèment la désolation et l’appellent paix. Il est tellement plus simpliste de tout leur mettre sur le dos… et bon nombre de réactions tomberont dans ce travers vieux comme le monde : montrer du doigt une cause lointaine (évitons de parler de bouc émissaire, car ce dernier, par définition, est innocent, et on ne peut pas, tout de même, en dire autant des Américains) pour expliquer ses malheurs quand les causes sont dans sa propre maison, ou tout au moins, sur le pas de sa porte. Et puis, il y a encore la jalousie, vieille comme le monde…

… les commanditaires des pieux carnages du 11 septembre et leurs admirateurs n’ont aucunement le souci de remédier à la misère du monde ou de sauvegarder la planète : le réchauffement climatique est le cadet de leurs soucis. Ils haïssent l’Occident non pour ce qu’il a de haïssable ou de navrant, mais pour ce qu’il a d’aimable et même pour ce qu’il a de meilleur : la civilisation des hommes par les femmes et le lien avec Israël.

C’est le destin claquemuré qu’ils font subir aux femmes, le mépris où ils les tiennent et le désert masculin de leur vie qui rend fous les fous de Dieu : fous de violence, fous de hargne et de ressentiment contre le commerce européen des sexes, contre l’égalité, contre la séduction, contre la conversation galante ; fous, enfin, du désir frénétique de quitter la terre pour jouir de l’éternité dans les jardins du Paradis où les attendent et les appellent des jeunes filles parées de leurs plus beaux atours.

Alain Finkielkraut. Le Monde 9 octobre 2001

L’humanité a l’impression de vivre dans un état d’insécurité permanente où dominent la peur de la mort violente et la peur de l’autre – en l’espèce un autre mystérieux, multiforme et plus ou moins anonyme… C’est la lutte du fanatisme, du parti des purs, d’un totalitarisme religieux succédant aux totalitarismes idéologiques contre le même adversaire : le pluralisme, la relativisme, le règne de l’argent, la corruption de mœurs, et plus généralement contre la modernité et la démocratie.

Tout cela a pu se cristalliser dans l’Islam parce qu’il n’a pas connu l’équivalent de la Réforme protestante : la laïcisation de la vie politique et sociale et le retrait de la religion  dans la sphère de la conscience individuelle n’ont pas eu lieu.

Pierre Hassner, directeur du CERI – Centre d’Études des Relations Internationales.

Qui imagine qu’un autre l’a en haine et croit ne lui avoir donné aucune cause de haine aura à son tour cet autre en haine

Spinoza. Éthique

… Car Oussama Ben Laden est le fils légitime de nos échecs bien plus qu’une créature de la CIA ou de la politique américaine. Il n’est pas vrai qu’il ait réussi là où nous avons échoué. Ce qui est vrai, c’est qu’il a réussi parce que nous avons échoué.

Joseph Samaha. As Safir Beyrouth Novembre 2001

Un chef de guerre afghan ne se vend pas : il se loue.

Proverbe afghan

Maudissez tous ceux qui font des charniers ! La vie n’en sort pas. Le mal engendre le mal. Apprenons à être révolutionnaires obstinés et patients, jamais terroristes.

George Sand, sur son lit de mort. Juin 1876

George Tenet, le très influent patron de la CIA en aura bien conscience, qui arrosera tous azimuts, aussi bien chez les chefs de l’Alliance du Nord que chez les Talibans : 70 millions $ y passeront ! Le FBI, devenu autour des machines à café Federal Bureau of Inertia, ne sortira pas indemne de la remise en question : il s’avérera que les Américains avaient laissé se développer une bureaucratie de la pire espèce ; le résumé suivant circulait : Grosse affaire, gros problèmes ; petite affaire, petits problèmes ; pas d’affaire, pas de problème.

L’idée, c’est que l’inaction est, en un sens, la clé du succès.

Six ans et toujours guère de résultats probants. La guerre mondiale contre le terrorisme commencée le 12 septembre 2001, s’épuise. En Algérie, Al-Qaeda Maghreb frappe durement les populations et les symboles des Nations unies.

En Irak, malgré des progrès évidents, les Américains peinent à résorber le terrorisme. En Afghanistan, l’Otan redoute une offensive massive de la part de talibans requinqués. Au Pakistan, le président Musharraf semble incapable de contenir la violence. Bref, près de vingt ans après la création d’Al-Qaeda, la contagion des idées de Ben Laden s’étend dans le monde arabo-musulman et au-delà, si on en croit les récentes arrestations des apprentis terroristes en Europe.

Il est temps de se poser la question fondamentale : Voulons-nous vraiment résoudre ce conflit ?

La question n’est pas naïve. Depuis le triste 11 Septembre, on n’explique pas le terrorisme islamiste, on se contente de dénoncer les fous d’Allah. Or aucune étude médicale sérieuse n’indique que les terroristes sont cliniquement fous. Comprendre les terroristes, ce n’est ni excuser ni justifier leurs crimes, mais connaître l’ennemi pour mieux le combattre.

Il est temps de sortir du cadre étroit de l’islamisme pour élargir le champ de la recherche afin d’étudier les liens entre Al-Qaeda et la mondialisation. Le terrorisme islamiste n’est pas une bulle totalement déconnectée de la globalisation.

Remarquons d’abord qu’Al Quaeda a été créée à la suite de l’événement politique le plus important de ces vingt dernières années : la défaite, en 1989, de l’armée rouge en Afghanistan suivie, quelques mois  plus tard, de la chute du mur de Berlin. Ajoutons que le choix du terrorisme de Ben Laden a lieu en 1991. Soit deux ans après la création du groupe, deux années pendant lesquelles Ben Laden et consorts sont toujours considérés comme des freedom fighters.

Pourquoi alors 1991 ? Parce que le roi Fahd d’Arabie Saoudite refuse la proposition de Ben Laden d’expulser lui-même, avec l’aide de ses moudjahidin et des armées arabes, les troupes de Saddam Hussein qui viennent d’envahir le Koweït. Al Quaeda n’est donc pas née d’événements religieux mais politiques. Sa disparition sera aussi politique. Dans une guerre asymétrique, la victoire militaire est toujours partielle. Seul le succès  politique est total.

D’où la question essentielle : Que sommes-nous prêts à céder ou à donner pour faire la paix ? Certainement pas nos valeurs fondamentales . Il faut le dire, le répéter et surtout montrer que nous sommes prêts à mourir pour les défendre.

La paix peut se réaliser sur un autre terrain : celui de la mondialisation. Depuis son avènement, c’est-à-dire 1989 (autre coïncidence !) la mondialisation a profité à toutes les régions du monde. Toutes sauf une : le monde arabe. La puissance arabe n’existe pas. Friedrich Engels évoquait les nations-non-historiques, il faudrait parler, aujourd’hui, à propos des Arabes, de civilisation non historique.

Pourtant, avec la manne pétrolière, les pays arabes avaient les moyens de construire leur puissance économique. Entre 1970 et 2001, ils ont encaissé plus de 3 115 milliards de dollars en revenus pétroliers. À quoi ont servi ces sommes phénoménales ? Certainement pas au développement des pays arabes. Il suffit de prendre le classement des plus grandes multinationales publié par la CNUCED. Pas une seule entreprise arabe. Nos capacités économiques sont négligées, se lamente Yussef al-Qaradawi, figure mondiale des Frères musulmans. ( Où est la faille ? éditions Maison d’Ennour, 2004.) Nous vivons dans la partie du monde la plus importante en terme  de stratégie, la plus bénie, la plus fertile, et la plus riche en ressources, mais nous n’avons pas pour autant su mettre à profit nos richesses en travaillant nos terres et en développant l’industrie afin d’exploiter les métaux et les matières premières extraits de nos terres.

Avec du pétrole et sans idées, les pays arabo-musulmans subissent la mondialisation plus qu’ils n’en profitent. Obligés de s’intégrer économiquement, les peuples se désintègrent culturellement. Résultat, des groupes résistent et vont puiser dans l’islam la force de s’opposer. Le texte sacré apparaît alors comme l’unique élément de stabilité, totalement insensible aux changements d’un monde en constante évolution. Toute la question est de savoir si l’Occident, moteur et pilote de la mondialisation (mais pour combien de temps encore ?), souhaite véritablement que les autres peuples bénéficient du même niveau de vie et de la même liberté de choisir son destin ? Inconsciemment, la mondialisation occidentale ne se contredit-elle pas lorsqu’elle invite les perdants à copier les lois et à suivre le rythme de l’économie libérale des gagnants tout en les sommant de rester à leur place ? C’est le principe du double bind ( ou double injonction contradictoire) inventé par le psychiatre américain Gregory Bateson. Deux ordres contradictoires donnés par les gagnants aux populations défavorisés : imitez-nous mais n’essayez pas de prendre notre place. Ce qui donne en termes économiques : restez des consommateurs, pas des producteurs. Traduit en termes culturels, cela signifie pour eux l’impossibilité d’être des acteurs d’une globalisation qui prenne en compte leurs valeurs. À l’arrivée, ces deux injonctions antinomiques, alliées aux désirs frustrés de ces populations, aboutissent à la violence débridée des groupes terroristes.

Pour stopper cette violence, voilà ce que nous devons donner aux autres peuples (pas seulement arabo-musulmans) : le sentiment qu’ils participent à la construction de leur histoire, de leur destin. Politiquement, nous devons partager le pouvoir, accepter de piloter cette mondialisation avec eux.

Et s’interroger sur les limites de la globalisation. N’y a t-il pas un moment où trop d’échange menace l’identité des peuples ? Lévi-Strauss expliquait dans Race et culture que la seule façon de préserver sa culture, lorsque celle-ci est gravement menacée, est de refuser le contact et le dialogue avec les autres : Toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus sinon même leur négation… Même pleinement réussie, la communication intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l’originalité de sa et de ma création.

Ali Laïdi, chercheur à l’IRIS / Institut des Relations Internationales et Stratégiques. Libération du 27 décembre 2007

Les Américains vont faire de Guantanamo, leur base militaire à Cuba depuis la fin du XIX° siècle, une prison pour terroristes, où, bien entendu le détenu ne bénéficie d’aucun droit : nombre de présumés coupables y seront torturés, sans recours possible. Ils ouvriront aussi des succursales de par le monde : Salt Pit, au nord de Kaboul, en Afghanistan, Quartz, près du village de Kiejhuky, en Pologne, Site Green- Udor Thani, en Thaïlande, Andavillai, en Lithuanie, Temara, à 15 km de Rabat au Maroc, toutes ces prisons bénéficiant du statut d’extraterritorialité – comme une ambassade -, donc, au sein desquels le pays hôte n’a pas accès, n’a rien à dire, n’a rien à contrôler, rien à voir.

L’idée d’Oswald Spengler est que la volonté de conquérir le monde supposait que l’on vende son âme au diable, c’est-à-dire à la machine. Chez nous, la théorie est d’emblée une hypothèse de travail : le savant antique contemple le monde, le savant arabe cherche la formule magique qui va lui permettre de conquérir des trésors sans trop bouger, mais le savant occidental devient un ingénieur.

En Orient, on invente la poudre, et on en fait des feux d’artifice. En Occident, on en fait des canons. Il en va de même avec la boussole : on découvre l’Amérique. C’est l’Occident qui sait passer de la connaissance à la technique. Spengler a prévu que la nature finirait par se rebeller, ce sera l’écologie. Mais il s’est trompé sur un point : il n’a pas vu que le faustien pouvait devenir planétaire, que l’Inde et la Chine pourraient un jour se doter d’ingénieurs, de techniques, de brevets industriels.

Régis Debray. Le Monde  18 juillet 2014

19 09 2001  

On observe plus d’une trentaine de dysfonctionnements électriques majeurs, nécessitant une intervention humaine, sur les points d’alimentation du pole chimique de Toulouse.

20 09 2001

Usine AZF – AZote Fertilisants – de Toulouse.

  • 10 h 03’ Quelques kilos de balayures de DCCNa – un produit chloré – pour piscines, ajoutés par erreur à 500 kg de nitrate d’ammonium industriel, sont déversés sur un tas de 11 tonnes de nitrate d’ammonium, banal engrais agricole, dans le sas d’entrée du hangar 221.
  • 10 h 17’ 54’’ Un séisme d’une magnitude 3.4 avec un épicentre à plus de 2.5 km au sud-est du cratère AZF, sous la colline de Pech David, laquelle enfermerait des structures souterraines secrètes communiquant avec les sous-sols des deux usines AZF et SNPE. Si ces informations étaient fantaisistes, pourquoi donc le procureur de la République aurait-il fait fermer le site Internet sur lequel Pierre Grésillaud les avait mises ?
  • 10 h 17’ 55’’ Une série de perturbations électriques gagne le pôle chimique de Toulouse, entre le poste EDF Lafourguette, qui alimente l’usine AZF et la SNPE et l’unité de cogénération qui est en train d’être rebranchée sur le réseau. Des surtensions électriques échappent alors au réseau et gagnent deux sites de l’usine AZF contenant du nitrate d’ammonium, qui peut devenir explosif en cas d’apport massif d’énergie : la tour de prilling où on le fabrique et le hangar 221 où il est stocké. Un incendie ayant affecté un câble de 63 kV aurait provoqué un arc électrique de très forte intensité. De nombreux témoignages parlent aussi d’une première explosion dans le même temps, de phénomènes électromagnétiques comparables à des éclairs. D’autres témoignages parlent encore d’odeurs d’ammoniaque et de poisson pourri aux abords du site dès les premières heures de la matinée.
  • 10 h 18’ 3’’ Les 11 tonnes de nitrate du sas d’entrée explosent, entraînant aussitôt l’explosion du tas principal de 300 tonnes : 31 morts, des milliers de blessés, des logements soufflés tout alentour. On comptera au procès 2 949 plaignants.

Explosion de l'usine AZF : 15 ans après, les sinistrés toujours traumatisés

Huit ans plus tard, on ne connaîtra toujours pas les causes. On s’accordera sur l’existence de deux explosions et non d’une seule, mais on ne parviendra pas à connaître les motifs de la présence dans le ciel de Toulouse de plusieurs aéronefs à ce moment-là : au moins deux hélicoptères, – dont un Écureuil AS 350 – des drones et un satellite franco-suédois ODIN. EDF  et RTE – Réseaux de Transport d’Électricité – ne produiront jamais au juge les documents relatifs aux perturbations la veille de l’explosion. Les batteries alimentant le poste Lafourguette avaient huit ans d’âge ! L’usine voisine, la SNPE – Société Nationale des Poudres et Explosifs – est productrice de carburant pour Ariane, et, pour ce faire, utilise un gaz, l’hydrazine, ou plus précisément l’un de ses dérivés la Diméthylhydrazine, dont l’atelier de fabrication est à 750 mètres du hangar 221. Une fuite de ce gaz, inflammable et explosif à partir d’un seuil de 4.7 % dans l’air et qui dégage une odeur âcre et ammoniaquée, aurait provoqué la première explosion sur le site de la SNPE, qui se serait ensuite propagée par effet de chaîne, au hangar 221. Un médecin légiste s’étonnera de ce que l’une des victimes, d’origine tunisienne, ait porté cinq sous-vêtements sous son pantalon de travail. Une heure après l’explosion, des membres d’un groupe islamiste seront arrêtés à 100 km de Toulouse dans une voiture au pare-brise arrière explosé. Total se laissera accuser et ne produira jamais les études techniques abondant dans son sens !

Tolochimie, filiale de la SNPE, implantée depuis 1961 sur l’île voisine d’AZF, au milieu de la Garonne fabrique du gaz sarin, qu’elle livre à la SNPE par un pipe en verre, seul matériau résistant au sarin : des vannes de sécurité existent à chaque extrémité : le pipe en verre se casse, mais les sécurités fonctionnent… donc il y a tout de même des trucs qui sont opérationnels. Dépendant à 90 % du phosgène fourni par AZF, Tolochimie cessera immédiatement ses fabrications habituelles et disparaîtra du paysage toulousain début 2003.

54 000 pages de PV, 109 tonnes de documents, 1 399 constitutions de parties civiles, 3 000 plaignants, plus de 200 témoins, une soixantaine d’avocats et des dizaines d’experts ! Ce méga procès laissera-t-il émerger la vérité ? Début 2015, la justice tranchera : on recommence tout ! Le troisième procès, délocalisé à Paris, débutera le 24 janvier 2017 et le verdict sera rendu fin octobre 2017 :

  • L’ex-directeur de l’usine AZF à Toulouse, Serge Biechlin, sera condamné en appel à quinze mois de prison avec sursis et 10 000 € d’amende pour homicides involontaires.
  • La société Grande Paroisse, gestionnaire du site où a eu lieu, en 2001, l’explosion qui a fait 31 morts et environ 8 000 blessés, sera condamnée à 225 000 euros d’amende.
  • Les condamnés ont annoncé leur volonté de se pourvoir en cassation.

25 09 2001

Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie depuis moins de deux ans, est invité au Bundestag où il se livre à un grand exposé sur l’amitié franco-allemande, s’excusant de commencer son discours en russe, puis deux minutes et demi plus tard, passe à l’allemand, qu’il parle couramment et tout ça, – ficelle apprise sur les bancs du KGB -, lui vaut une ovation debout des députés, sous le regard ravi du chancelier Gerhard Schröder, qui l’avait jusque là plutôt regardé de haut. Les députés allemands, à l’exception des Grünen – les Verts – apprécient beaucoup d’être caressés dans le sens du poil. Et, pour souder une amitié, rien de tel qu’un ennemi commun, et il est tout trouvé : c’est le terrorisme islamiste.

Le cœur de la stratégie de Poutine, c’est le gaz [les gisements de la région d’Ourengoï, en Sibérie occidentale, est le plus grand du monde] et il va faire de l’entreprise russe qui gère le gaz – Gazprom – l’instrument de sa stratégie. Il a bien vu que les prix du pétrole se sont effondrés en raison de la difficile transition vers l’économie de marché et de la baisse de la demande mondiale. En revanche, il note que les prix du gaz, eux, se maintiennent : les gazoducs rendent les coûts de transport moins chers et moins volatils, et les contrats d’exportation sont généralement de long terme. L’Europe a diversifié ses sources d’approvisionnement en pétrole, ce qui n’est pas le cas avec le gaz, et elle dispose pour le pétrole d’infrastructures de transport variées qui la rendent moins dépendante d’un fournisseur unique. Les gazoducs ont l’avantage pour l’exportateur russe d’instituer une relation quai exclusive avec les pays clients, le gaz naturel (GNL) transporté par bateau entraînant pour eux des coûts plus élevés.

Marion Van Renterghem. Le piège NORD STREAM. Les Arènes 2023

Quel est le paysage énergétique de l’Europe de l’Ouest à ce moment-là ?

Les deux principales puissance européennes ont des situations très différentes. La France n’a pas d’intérêt vital en demande d’énergie, vivant plutôt confortablement avec son électricité issu à presque 80 % de ses centrales atomiques au très bon bilan carbone. Il n’en va pas de même pour l’Allemagne, qui a déjà programmé le ralentissement de son programme nucléaire lequel va s’accélérer brutalement après le séisme de Fukushima, au Japon, en 2011. Lui restent les vieilles énergies fossiles, essentiellement le charbon. Le développement des énergies renouvelables n’est pas suffisant pour assurer les besoins de l’avenir immédiat et donc, la nécessité de se fournir en gaz est impérieuse, en attendant la montée en puissance des énergies renouvelables. De 2013 à 2017, la dépendance au gaz russe doublera pour l’Allemagne. La part de la Russie dans les importations de gaz était de 34.6 % avant 2013 ; elle passera à 54.6 % en 2018. Les deux gazoducs Nordstream seront une affaire essentiellement  entre Allemagne et Russie. Les Russes ont déjà deux gazoducs qui approvisionnent l’Europe occidentale.

Quelles sont les infrastructures déjà en place  ? Deux gazoducs traversent déjà d’est en ouest le nord de l’Ukraine : Brotherhood, en 1973 et Soyouz qui, d’une part approvisionnent l’Ukraine et d’autre part desservent la Pologne, la Slovaquie, la République Tchèque, l’Autriche, l’Allemagne et le reste de l’Europe de l’Ouest. L’Ukraine cherche en permanence à obtenir le gaz le moins cher possible et à obtenir des droits de transit du gaz pour Vienne les plus élevés possible : le conflit est incessant entre le russe Gazprom et son collègue ukrainien Naftogaz. C’est certes la règle pour tout contrat commercial, mais Vladimir Poutine apprécierait beaucoup de ne pas y être contraint. D’où l’envie d’avoir des gazoducs qui contournent l’Ukraine. D’où la mise en chantier de Nord Stream fin 2005, mis en service en novembre 2011 (que l’on nommera plus tard Nordstream 1, pour le distinguer de Nordstream 2, démarré plus tard et achevé en septembre 2021). Mais il y a encore le Trans Balkans, qui passe dans le sud de l’Ukraine à Odessa, effleure la Moldavie et approvisionne la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie ; le Yamal-Europe, qui passe par la Biélorussie et la Pologne. Il y a encore le Blue Stream et le Turk stream, qui rejoignent la Turquie en passant sous la mer Noire. Le Power of Siberia, vers la Chine.

Le gaz, plus encore que le pétrole, est la clé de la stratégie. Le pétrole est la première source du budget russe et des exportations, mais il ne représente qu’une part relativement faible du mix énergétique de l’Union Européenne, quand le gaz en est la source d’énergie majeure. L’Europe a diversifié ses sources d’approvisionnement en pétrole, ce qui n’est pas le cas avec le gaz, et elle dispose pour le pétrole d’infrastructures de transport variées qui la rendent moins dépendante d’un fournisseur unique. Les gazoducs ont l’avantage pour l’exportateur russe d’instituer une relation quasi exclusive avec les pays clients, le gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par bateau entraînant pour eux des coûts plus élevés. Sur les 150 à 180 milliards de m³ de gaz naturel exportés chaque année de la Russie vers l’Europe, 60 à 80 %, selon les années passent par l’Ukraine Surtout, pour des Européens tout à la fois soucieux de leur confort, de leur compétitivité économique et de la lutte contre le réchauffement climatique, le gaz est l’énergie dont ils sont incapables de se passer : imbattable pour le chauffage des particuliers, pour le fonctionnement des industries pour sa pollution relativement faible comparée aux autres ressources fossiles, il est l’énergie idéale pour assurer la transition vers les énergie renouvelables.

[…] Gazprom possède les plus grandes réserves de gaz naturel au monde, celles qui sont nichées dans les sous-sols de Russie. La société, qui est aussi actrice sur le marché du pétrole, emploie 450 000 salariés, contrôle toutes les étapes de la chaîne de valeur, de l’exploration du gaz à sa commercialisation, en passant par l’extraction, le traitement, le transport, le stockage. Les bénéfices sont maximisés et les chiffres ont de quoi donner le tournis à ses actionnaires : en 2020, le chiffre d’affaires consolidé du groupe dépasse les 80 milliards $. Gazprom produit plus de 90 % du gaz russe, contrôle 16 % des réserves mondiales, possède des dizaines de milliers de km de gazoducs à travers le monde. Gazprom n’a qu’un défaut au moment où Poutine parvient au sommet du pouvoir : il est incontrôlable.

Transformé en 1993 en société par actions, le principal producteur et distributeur de gaz est ainsi ouvert à la privatisation. Une filiale est créée, la plus juteuse : Gazprom Export, responsable de l’exportation de gaz naturel russe vers les pays étrangers. Dans la grande parie de Monopoly qui suit l’effondrement de l’URSS, les oligarques se battent pour arracher une part de cet invraisemblable magot. Ses dirigeants détournent du gaz à leur profit au moyen de structures parallèles privées. Le président Poutine sonne la fin de la récréation. La poule aux œufs d’or de l’économie russe doit n’avoir qu’un maître : lui-même.

Dès son arrivée au Kremlin, en 2001, Poutine limoge le PDG de Gazprom et nomme à sa tête un apparatchik sans odeur ni saveur nommé Alexeï Miller, […], dépourvu d’initiatives, loyal à son maître et qui a été son collaborateur à la commissions des affaires étrangères de la mairie de Saint Pétersbourg… Il va devenir rapidement multimillionnaire. En 2005, l’État russe sera actionnaire majoritaire de Gazprom : le patron de Gazprom, c’est Vladimir Poutine.

Marion Van Renterghem Le piège NORD STREAM Les Arènes 2023

1 10 2001    

Depuis sa dernière mesure, le Mont Blanc a poussé de 3,4 m, atteignant ce jour l’altitude de 4 810,4 m ; mais tout cela n’a guère d’importance puisqu’en 1912, l’éditeur Payot lui donnait déjà ce chiffre de 4 810 m dans son Manuel atlas des écoles des cantons de Vaud, Neufchâtel et Genève, et en 1924, Delagrave en faisait de même dans sa Géographie générale.

24 10 2001   

Accident dans le tunnel du Gothard : 8 morts. Il sera à nouveau en service trois mois plus tard. Le tunnel ferroviaire en construction ne sera livrable qu’en 2013.

fin octobre 2001 

Dans les années 1991-1992, Elon Musk, débarqué à 19 ans au Canada de son Afrique du Sud où il étouffait, avait obtenu une bourse à la prestigieuse University of Pennsylvania, à Philadelphie, où il avait rédigé un mémoire intitulé De l’importance d’être solaire, dans lequel on décelait déjà le cocktail de rêve et de rationalité scientifique, qui lui avait valu la note de 98 sur 100

Du haut de ses trente ans, il débarque à l’aéroport de Moscou avec une poignée de comparses : il s’est ni plus ni moins mis en tête d’acheter des missiles balistiques intercontinentaux russes, et de les modifier à sa façon, pour réaliser son rêve de la conquête de Mars. Il m’avait emprunté tous mes livres sur les fusées et missiles soviétiques, et pensait que c’était la solution la moins chère pour son lanceur vers Mars, dit Jim Cantrell, expert du spatial et membre de l’équipée.

Chez NPO Lavotchkine, l’accueil se fait à la mode cosaque : saucisses et vodka d’abord, business ensuite. Mais quand Musk demande aux Russes leur prix pour trois missiles, la délégation est mise à la porte. Un Russe crache même sur les pieds de Musk, le traitant de silly boy, garçon stupide. Dans le vol retour, la petite troupe noie sa déception dans l’alcool. Sauf Musk. Devant ses compères médusés, il dégaine un business plan sur son ordinateur portable : Cette fusée, nous allons la faire nous-mêmes.

Près de quinze ans plus tard, le patron californien aura tenu parole, avec Space X qui taillera des croupières à Arianespace : 60 millions $ le lancement, contre 200 millions avec Ariane 5 pour deux satellites. Musk a secoué le cocotier d’un Landerneau du spatial qui s’endormait un peu, reconnaîtra le numéro deux d’Airbus Group, Marwan Lahoud.

7 11 2001   

Reprise des vols commerciaux de Concorde.

24 11 2001   

La société américaine Advanced Cell Technology annonce avoir effectué le premier clonage humain, en vue de la production de cellules souches à des fins thérapeutiques. En fait, on n’est beaucoup plus prêt d’un effet d’annonce que du franchissement d’un seuil scientifique : le développement de ce clone n’est pas allé au-delà de 6 cellules quand il faudrait qu’elles se développent de plusieurs centaines pour que l’on puisse parler d’embryon.

11 12 2001

La Chine Communiste, après quinze ans de négociations avec les États-Unis et l’Europe, intègre l’OMC – l’Organisation Mondiale du Commerce -. C’est Jiang Zemin qui est alors au pouvoir en Chine. Les Occidentaux visaient essentiellement l’immense marché chinois pour doper leurs exportations ; en fait c’est le contraire qui se produira, ce sont les occidentaux qui seront envahis par le made in china.

19 12 2001

Révolte populaire en Argentine. Les banques ont fermé leurs guichets et les femmes ont sorti leur casseroles. Le président De la Rua démissionne et s’enfuit en hélicoptère. Deux partis se disputeront le pouvoir : les péronistes avec les époux Kirchner et les antipéronistes avec Mauricio Macri, Avec, en toile de fond, l’éternel problème du remboursement de la dette extérieure, -la Banque Mondiale et le FMI – Fond Monétaire International -. En 2015, Mauricio Macri empruntera au FMI 44 milliards $ (sur le contrat 57 milliards  dont 13 ne furent jamais décaissés).

26 12 2001 

Nicolas Figuerolles, plongeur amateur, découvre au large du Cap d’Agde un fabuleux cadeau de Noël pour sa ville : 2 statuettes de bronze vieilles de plus de 2 000 ans, représentant toutes deux un enfant : un Eros de 65 cm et un Enfant, richement paré, tenant sans doute (la main a disparu) un oiseau à la main. Après cette très longue baignade, les deux enfants iront rejoindre leur aîné, Ephèbe au musée du Cap d’Agde.

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12 2001                        

Le Minitel, non content de ne pas être mort conformément à de très nombreuses prédictions, affiche ostensiblement une excellente santé : les grands noms du web, tel Yahoo, y ouvrent des serveurs 3615 Yahoo. Le parc continue de perdre 250 000 terminaux par an, mais les passerelles avec le mail augmentent la fréquentation. Les Minitelistes sont encore plus nombreux que les Internautes : 15 millions contre 9. Si on y est à l’abri des pirates pourvoyeurs de virus, et c’est ma foi bien appréciable, on ne l’est pas des hackers, dont le talent permet la constitution de très coquettes fortunes ; ainsi de Xavier Niel, 34 ans, actif sur Minitel dès ses 23 ans. Il a déjà réussi à se procurer les numéros de téléphone de voitures utilisées par l’Elysée de François Mitterrand. Créateur d’un site du Minitel Rose, il a siphonné les clients des messageries concurrentes et aspiré les listings de France Télécom pour alimenter son propre service d’annuaire inversé – 3617 annu -. Son insolente réussite lui a valu, dans un premier temps, d’être battu froid par l’establishment du milieu des affaires en France : ce type qui se fait des couilles en or en jouant les proxénètes sur le Minitel, sans hésiter à pirater les filles des concurrents ! quand même il y a des limites à tout ! Mais le génie déployé à se faire de l’argent en proposant à ses clients des offres imbattables, finira par lui attirer le respect de la part de ceux dont le ressort le plus profond, est : premièrement, l’argent, deuxièmement l’argent et troisièmement, l’argent. Et comment mieux faire partie de l’establishment qu’en partageant, à partir de 2010, la vie de Delphine Arnault, fille de Bernard Arnault, patron et propriétaire de LVMH ? En 2014, il sera la dixième fortune de France. Le phénomène – il sera surnommé excel -, deviendra un des principaux acteurs de téléphonie mobile avec Free ; il aura en 2002 le coup de génie de la Freebox à trois usages, coactionnaire du Monde, reçu à l’Élysée, et même honoré de la visite de Steve Jobs, le génial patron d’Apple, à chacun des voyages en France. Qui oserait rêver de pareille success story ?

Si d’autres n’atteignent pas cette brillance, elles forcent tout de même le respect : l’histoire d’Olivier Aizac, patron du boncoin. 7 ans de moins que Xavier Niel, – il est né en 1974 – il va créer en 2006 le boncoin.fr : en quelque sorte un vide grenier en ligne. Fin 2013, leboncoin emploiera 200 personnes, pèsera 400 millions €, aura étendu son champs d’activités à la voiture et à l’immobilier, et, avec son look on ne peut plus ringard,  effacera ebay, son grand concurrent américain. Il fera 60 % de marge nette, uniquement avec les revenus des annonceurs sur l’espace publicité, les annonces elles-mêmes restant gratuites, sauf à demander une prolongation, et un retour en haut de page. D’autres projets ? Des rencontres entre adultes, mais là, ce sera une filiale qui laissera tomber le nom leboncoin pour devenir leboncoup.

2001

Ann Bancroft, américaine et Liv Arnesen, norvégienne traversent l’Antarctique en passant par le pôle sud : 2 700 km en 94 jours.

Ann Bancroft, the famed Minnesota explorer, and Liv Arnesen, who will... News Photo - Getty Images

Minnesota native and polar explorer Ann Bancroft will speak March 9 in St. Cloud.

Ann Bancroft

Liv Arnesen — Wikipédia

Liv Arnesen

Jérôme Valcke, 41 ans, 1.95 m., présentait en 1984, les journaux de la nuit sur Canal+ avant d’intégrer le service des sports de la chaîne cryptée. Il parvient à convaincre Pierre Lescure, directeur de Canal +, de créer une filiale Sport+ pour la commercialisation des droits télévisuels, activité embryonnaire à l’époque, qui va s’emballer avec l’achat et la revente des droits des championnats de football étrangers, de la NBA, de la boxe etc… Sport+ gagne énormément d’argent. En 2001, Valcke et Lescure veulent racheter ISL, qui détient les droits marketing et télévisuels de la FIFA – Fédération Internationales de Football et d’Athlétisme – pour les coupes du monde 2002 et 2006 : c’est une affaire de 1.37 milliards d’€ ! Les discussions, avec Sepp Blatter, patron de la FIFA, tournent au vinaigre, et le 30 avril 2001, Sepp Blatter met fin brutalement aux négociations :

Menaces inacceptables… La position de la FIFA ne variera jamais sous la pression de quelque menace ou quelque tentative de chantage que ce soit…

Que croyez-vous qu’il arriva ? En juin 2003 Jérôme Valcke sera embauché comme directeur marketing de la FIFA ! Il prendra alors tout son temps pour devenir l’ennemi juré de Michel Platini.

En 2006, Mastercard attaque la FIFA pour ne pas avoir respecté une clause de leur contrat leur donnant priorité pour renouveler leur contrat, et, de fait, Jérôme Valcke avait négocié en douce avec Visa. Sepp Baltter voit rouge et vire Jérôme Valcke : le premier jugement est accablant pour Valcke et la FIFA doit cracher 90 millions pour que MasterCard mette fin aux actions en justice.

Que croyez-vous qu’il arriva ? Le 20 juillet 2007, Jérôme Valcke devient secrétaire général de la FIFA.  Ah, qu’il est fort, ce type ! Se faire recruter au poste de n°2 par un organisme qui a du sortir 90 millions $ par sa faute ! En 2012, il déclarera : Depuis 2007, j’ai augmenté de 60 % les revenus de la FIFA qui atteignent plus de 4 milliards $.

Résumé pour le principal de Laurent Telo dans Le Monde du 24 mai 2012

Ce n’est pas fini : le 27 mai 2015, quand la justice suisse arrêtera dans l’hôtel Baur Au Lac de Zürich 7 dirigeants pour les extrader aux États-Unis pour corruption, et que, cinq jours plus tard Sepp Blatter, tout fraîchement réélu pour un cinquième mandat, démissionnera sous l’efficace pression du FBI,  Jérôme Valcke passera encore entre les mailles du filet. Il est très très fort, ce type !

Mais finalement, le voyou de haute volée tombera le 18 septembre 2015, sur une affaire de trafic de billets lors de la dernière coupe du monde au Brésil. Dès lors on peut s’attendre à ce que le bonhomme commence à causer en balançant des peaux de banane à droite à gauche et ça ne va pas tarder : dès le 24 septembre, par le biais d’une plainte contre Sepp Blatter, Platini a bien du mal à ne pas mordre la poussière à la nouvelle du chèque de 2 millions de Francs Suisses – 1.83 million € – reçu de Sepp Blatter en février 2011… pour des travaux effectués en janvier 1999 et juin 2002 !  Ah bon ! dix ans pour payer des travaux… et il est resté bien sage sans rien demander pendant dix ans !

23 02 2002    

Ingrid Betancourt, franco colombienne, candidate du parti écologiste Oxygène en Colombie à la présidence de la république,  est prise en otage  avec son amie et candidate à la vice présidence Clara Rojas par les FARC : Forces Armées Révolutionnaires de Colombie. Contre les objurgations des services secrets, elle a franchi 4 barrages de l’armée gouvernementale aux limites de la zone contrôlée par les FARC. Elle a 41 ans. Vingt ans plus tard, elle sera à nouveau candidate à l’élection présidentielle.

Ingrid Betancourt : l'interview - Elle

28 02 2002

Le onzième tir d’Ariane V est réussi : elle met en orbite le plus gros et le plus cher satellite jamais lancé par l’Europe : Envisat : plus de 8 tonnes, plus de 10 mètre de haut, le tout truffé de nouveaux instruments d’observation de la terre, des climats etc… Cette grosse merveille qui a coûté 2,3 milliards €, étudiera pendant au moins 5 ans la santé de la terre : hauteur et température des océans, évolution du trou de la couche d’ozone, nature des gaz présents dans l’atmosphère, niveaux de chlorophylle. Envisat détectera aussi et suivra les séismes, les inondations, les coulées de boue, les feux de forêt, les avalanches, tempêtes, éruptions volcaniques. La fabrication d’Ariane IV ayant cessé, les derniers lancements auront lieu sous peu, et Ariane V se doit d’être fiable.

9 03 2002   

Lors des 17° Victoires de la Musique, Bertrand Cantat lit une lettre ouverte à Jean-Marie Messier, patron d’Universal :

Camarade P.D.G

Tu permets que je t’appelle camarade ? Je suis obligé de te tutoyer par la même occasion, c’est d`usage. Et puis c’est mieux que Ô grand Jean-Marie Messier commandeur des communicants et puis des autres aussi par la grâce de la sainte trinité ; Ramification, Absorption, et Profit. Tu n’es pas le seul mais disons qu’on te voit beaucoup.

Et puis t’es pas comme ça, toi ? Toi tes intentions sont pures ; le bonheur pour tous dans le meilleur des mondes. Toi tu respectes les artistes, surtout les rebelles hein, pas ceux préfabriqués et formatés par l’industrie et pour l’industrie.

Fantastique ! Mais il te reste tout à prouver : que tu défends la culture au pluriel et pas seulement parce que le profit n’a pas d’odeur, que les petits labels et les petits disquaires pourront survivre à une telle hégémonie (le raz de marée Universal) , que tu ne sépares pas le monde entre bergers actionnaires et moutons payeurs, sachant que les bergers ont parfois des têtes de mouton et vice-versa. Il te reste aussi à prouver que tu n’es pas le roi du dégraissage de personnel et qu’une de tes missions principales est de rééquilibrer les échanges culturels et commerciaux entre l’Europe et les États-Unis. Tu as dit sur France Inter début janvier qu’un disque sur quatre partait à l’exportation. Selon toi c’est le cas de Noir Désir, de Zebda soit disant. Merveilleux mais entièrement faux, camarade patriote, chiffres à l’appui. J`en passe et des meilleures sur l’utilisation que tu fais de notre nom, entre autres.

Pour finir, saches que si tes pilules sont trop amères, tu trouveras d’autres que nous pour les faire passer. Nous n’avons pas demandé à faire partie de ce grand Tout que tu diriges, que tu manipules, que tu récupères : critiques, médias, missives comme la présente y compris. Allez, Salut à toi Camarade P.D.G de la Nouvelle Internationale d’Universal, nous ne sommes pas dupes de ton manège, et si nous sommes tous embarqués sur la même planète, on n’est décidément pas du même monde. 

Noir Désir

15 03 2002   

Un incendie se déclare dans une école de filles à La Mecque. Les moutawa’a – la police des mœurs – les empêche de sortir car elles ne portent pas l’abaya – le manteau – de rigueur et leur mahrem – toute femme saoudienne est sous la responsabilité d’un tuteur -, n’est pas là pour les emmener. Ces mêmes moutawa’a empêchent les pompiers de pénétrer à l’intérieur du bâtiment car ils verraient alors les filles sans leur vêtement obligatoire et sans leur tuteur, et empêchent aussi les filles d’enjamber les grilles de l’école et les repoussent à l’intérieur. Bilan : quinze filles mortes, et une cinquantaine intoxiquées… Aucune sanction ne sera prise contre qui que ce soit, personne ne sera jugé. Le prince Abdallah, régent de fait du royaume, retirera seulement l’éducation des filles aux zélotes salafistes

19 03 2002

Stanley Prusiner trouve des traces de prion dans les muscles d’une souris infectée : découverte qui viendrait mettre à bas le credo jusqu’alors en vigueur, selon lequel le prion ne touche pas les muscles ; mais dans l’immédiat, il n’y a rien de sûr quant à l’extension de cette découverte à la vache et à l’homme.

27 03 2002 

Richard Durn, 33 ans, pratiquant le tir sportif, avec un pet au casque fort prononcé – il veut, quel qu’en soit le prix, passer à la télé – assiste à un conseil municipal de Nanterre ouvert au public. À la fin, vers une heure du matin, il sort les armes cachées sous sa veste et se met à tirer sur les élus, un à un : 8 morts, 19 blessés en 50″. Le lendemain, il se défenestrera du quatrième étage du 36 quai des Orfèvres.

Jean-Marie Le Pen atteint le second tour de l’élection présidentielle.

21 04 2002    

Coup de torchon sur la douce France ; cette fois-ci, la tempête n’est pas celle des éléments en furie, mais bien en plein cœur de la politique : la brute Le Pen et son petit catalogue de Y’a qu’à ramasse près de 5 millions de voix au premier tour des présidentielles, coiffant ainsi Jospin au poteau pour la présence au 2° tour.

Tant qu’à avoir un gros tremblement de terre, autant que ce soit en Arménie, où ils n’ont rien plutôt qu’à Limoges, avec toute la porcelaine.

Jean Marie Gourio

J’aime mieux mes filles que mes nièces ; mes nièces que mes cousines ; mes cousines que mes voisins. Il en est de même en politique, j’aime mieux les Français.

Jean Marie Le Pen, 13 mai 1984

Si j’avais su quelque chose utile à ma famille et qui ne l’eut pas été à ma patrie, j’aurais cherché à l’oublier ; si j’avais su quelque chose utile à ma patrie et qui eut été préjudiciable à l’Europe ou qui eut été utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je l’aurais rejeté comme un crime.

Montesquieu

Cracher sur le bulletin que l’on s’apprête à glisser dans l’urne n’est peut-être pas une si bonne idée que ça. Certes, c’est une tentation pour l’homme de gauche, qui a le cœur gros après la mésaventure de dimanche. Aucun d’entre nous, c’est un  fait, ne fera dans l’enthousiasme son devoir républicain.

Mais le vote est un acte politique, non une profession de foi. Jamais l’adage : au deuxième tour, on élimine, n’avait été aussi vrai, aussi nécessaire. Foin donc des réticences, des restrictions mentales, des imprécations qui, de toute façon, ne sont pas plus comptabilisés lors du dépouillement que les blancs ou nuls. On ne vote pas pour sauver son âme.

Bon gré, mal gré, nous ferons plus le 5 mai que de dresser un barrage contre Le Pen. Nous allons bel et bien élire un président pour cinq ans. Mieux vaudrait ne pas trop l’amocher à l’avance. Ce serait une tactique destructrice, analogue à la guérilla ricanante que jour après jour les Guignols mènent contre la démocratie. Quand on fera les comptes de ce qui vient de se passer, on verra la part importante qui incombe aux marionnettes dans la lepénisation des esprits. Donc, accabler le président que l’on s’apprête à élire, massivement si possible, l’amener exténué, décrié, en lambeaux, pathétique et impuissant à l’orée de son second mandat quand nos institutions sont menacées, cela porte un nom : ce serait la politique de Gribouille. Ne trouvez-vous pas que depuis quinze jours nous avons assez donné comme cela ?

Naturellement, il faudra que Jacques Chirac, de son coté, y mette du sien. Puisque l’histoire, avec une mansuétude dont elle n’est pas coutumière, paraît disposée à lui repasser les plats, une deuxième chance pourrait lui être donnée de s’attaquer en 2002 au programme qu’il avait annoncé en 1995 : réduire la fracture sociale.

Encore faut-il s’entendre sur le sens des mots. La fracture sociale avait ceci de novateur qu’elle se désintéressait du clivage vertical entre la gauche et la droite pour mettre l’accent sur le clivage horizontal entre ceux d’en haut et ceux d’en bas.  Si l ‘apparition de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle revêt une signification si forte, ce n’est pas parce que le fascisme ni même le racisme seraient à nos portes, mais bien parce qu’elle est le symptôme de l’incommunication entre les diverses strates de la société. Aussi fort que celui de dimanche soir est le choc que j’ai ressenti mardi à la lecture d’un sondage Ipsos publié par le Figaro, qui révélait que 38 % des chômeurs, 30 % des ouvriers, et 20 % d’agriculteurs avaient voté Le Pen (contre  8 % seulement des professions libérales et des cadres supérieurs). Il y a encore autre chose. Il y a cette jeunesse (18-24 ans) qui, selon Ipsos (16 %) et le CSA (20 %), a placé dimanche soir Le Pen en tête de tous les candidats. Mais quelle jeunesse ? Celle des non-diplômés, des exclus de la culture, contre la jeunesse des étudiants et des futurs diplômés qui, elle, à notre grande satisfaction, défile dans les rues contre Le Pen.

Alors, salauds de prolos ? Depuis ce sondage, je l’avoue, je ressens comme une certaine gêne à l’égard de l’antifascisme caviar qui déferle aujourd’hui à pleines pages dans tous les journaux. Naturellement, je m’en réjouis. Quelles que soient les causes et les explications, il faut combattre la xénophobie et le racisme sans esprit de recul. Mieux que cela : il y a dans le refus de discuter avec l’ennemi, de composer et même de comprendre une vertu indispensable à court terme. Quelque chose comme une morale provisoire. Mais l’esprit de résistance ne saurait servir de substitut à l’esprit d’analyse. Puisque, depuis dimanche, tout le monde a honte de quelque chose, ma honte à moi, ce sont tous ces défavorisés, ces exclus, ces petits, ces sans-grade, auxquels nous n’avons, depuis des années laissé d’autres moyens de crier leur détresse que de glisser dans l’urne un bulletin au nom de Le Pen. Hé oui, il a su le voir, Le Pen, il a su le dire, lui ; il a bien compris de quel coté était sa chance. Que les mots de métallos, de mineurs, il ait été le seul au cours de cette campagne à les prononcer, c’est aussi cela ma honte. Et quand après avoir refusé de les entendre, après les avoir laissé si longtemps sur le bord de la route, nous venons la bouche en cœur leur faire honte de leur bulletin de vote, il y a quelque chose en moi qui se soulève contre tant de pharisaïsme social.

Je n’ai pas parlé jusqu’ici de l’électorat de Le Pen, parce que là est le problème, là est la blessure. Mais une partie de l’électorat d’Arlette Laguiller et d’Olivier Besancenot relève de la même analyse. Pas étonnant qu’ils se refusent à appeler nettement à voter contre Le Pen ! Je ne les accuse d’aucune complicité, je constate une consanguinité. Les électeurs trotskistes ne sont pas plus pour la révolution que ceux de Le Pen ne sont pour le fascisme : mais les uns et les autres protestent avec violence contre la situation qui leur est faite, ou plutôt contre l’absence de situation qui leur est faite dans cette société. L’ascenseur social est en panne : Chirac l’avait fort bien dit en 1995. Que n’en a-t-il, que n’en avons-nous, tiré les conséquences ? Les jacqueries extrémistes que nous avons trouvé au fond des urnes dimanche soir ont surpris. C’est notre étonnement qui devrait nous étonner. Jacqueries de la misère ? Non pas : aujourd’hui, la misère est subventionnée. Du désespoir ? C’est trop dire : l’absence d’espoir ne suffit pas à désespérer. Appelons cela l’inespoir social.

Nous sommes, comme l’avait dit un jour Pierre Mendes France, en 1788. Mais sans révolution pour l’année prochaine : le concept de révolution a épuisé dans les sociétés industrielles sa fécondité. Elle n’est plus dans le meilleur des cas qu’une réforme entreprise avec des moyens inappropriés. Rien de plus inquiétant qu’une situation prérévolutionnaire sans possibilité de révolution pour dénouer la crise. Cela s’appelle le pourrissement, cela s’appelle le lepénisme. Qu’on le dise dans les meetings, qu’on le dise dans les écoles, et spécialement dans les écoles de banlieue : ce n’est pas la misère qui provoque les révolutions, c’est l’absence de mobilité sociale. Le plus difficile dans la France d’aujourd’hui n’est pas la redistribution des revenus : c’est la redistribution du pouvoir. Quand les privilégiés de droite et les privilégiés de gauche ne sont séparés que par leurs opinions, dites-vous bien que du point de vue social, les opinions, c’est peu, et les privilèges, c’est beaucoup. Si vous ne me croyez pas, allez-faire un tour au Siècle, ce club qui symbolise à lui seul la solidarité de tous les privilégiés, toutes opinions, toutes professions confondues, contre le reste des Français. Vous verrez, ou plutôt non : vous ne verrez rien car on ne vous laissera pas entrer.

Alors, que faire ?  Il faut s’attaquer aux privilèges, à tous les privilèges, à commencer par ceux des Grands, à commencer par ceux des Gros. Quand Jean-Marie Messier se présente devant son assemblée générale avec un bilan de quasi-faillite et lui demande de doubler un salaire qui ferait vivre une famille modeste pendant un quart de siècle, ne me dites pas que nous ne sommes pas sous l’Ancien Régime ; ne me dites pas que nous sommes un pays capitaliste, dites que nous sommes le pays du collier de la Reine. Après quoi, on pourra parler des privilèges de la SNCF ou des fonctionnaires des finances auxquels il faudra bien devoir mettre fin, parce que cela fait beaucoup plus d’argent que le salaire de Jean-Marie Messier. Mais ne nous leurrons pas. La France reste un pays de privilèges réels autant que d’égalité formelle.

Il faut donc sans délai réformer. Ma conviction, c’est que la Réforme, avec un grand R, comme on disait au XIX° siècle, suppose une politique à la fois beaucoup plus à droite et beaucoup plus à gauche que celle que nous pratiquons depuis des années.

Beaucoup plus à droite, parce que toute réforme suppose au préalable le rétablissement de l’autorité de l’État. Quand ses agents d’autorité, gendarmes, policiers, douaniers, sont dans la rue à manifester contre lui ; quand les commissariats sont pris d’assaut, quand des centaines de zones de banlieue échappent à son autorité, il y a priorité au rétablissement de l’ordre et de ce que l’on appelle la continuité territoriale. Même un sociologue compassionnel devrait pouvoir comprendre cela : quand les plus défavorisés des Français réclament la priorité pour le rétablissement de la loi, cette exigence ne relève pas du fantasme sécuritaire, mais de l’urgence républicaine absolue.

Beaucoup plus à droite aussi, car la politique de lutte contre la pauvreté, l’exclusion et l’insécurité demandera pendant de longues années beaucoup d’argent. Et que cet argent, seul un capitalisme prospère est en état de le fournir. C’est là un paradoxe qui n’est qu’apparent : pour répondre à ses objectifs sociaux, qui sont à la fois ambitieux et nécessaires, la gauche doit être non moins, mais plus productiviste que la droite. C’est Blair et Strauss-Kahn qui ont raison. L’anticapitalisme compulsif et compensatoire de l’extrême gauche n’est pas autre chose qu’un programme de partage de la misère.

Beaucoup plus à gauche, car ce que je réclame, ce que la situation réclame, n’est pas autre chose que la reconstitution de l’unité de la nation et la fin des privilèges. Prenez le cas des immigrés. Si vous ne voulez pas que Le Pen fasse un tabac en réclamant leur renvoi dans leur pays d’origine ; si vous ne voulez pas non plus voir demain la France quadrillée, morcelée, libanisée en communautés homogènes qui finiront par se taper dessus, alors, il faudra intégrer les immigrés comme il faudra intégrer les exclus du travail et de la fortune. Ce n’est pas qu’une question d’argent : dans les banlieues s’entassent des subventions qui ne changent pas un iota à la situation réelle. Il faut de l’argent certes, mais il faut aussi de l’espoir. Comment les Américains ont-ils fait, eux qui se trouvaient il y a trente ans, devant un immense problème noir, réputé insoluble ? C’est simple : ils ont crée une bourgeoisie noire ! Quand il y aura en France des députés issus de l’immigration, des juges, des professeurs, des banquiers, des ministres issus de l’immigration, alors les immigrés se sentiront un peu moins claquemurés dans leurs ghettos de béton. Une bourgeoisie musulmane en France ? Hé oui, une bourgeoisie musulmane.

L’école doit cesser d’être une garderie. Elle doit redevenir le lieu de la mobilité sociale. Elle doit enseigner des valeurs communes, celles de l’honnêteté et de la fraternité. À condition que la télé ne défasse pas chaque soir par l’exhibition permanente de la violence, du sexe sale et de l’argent facile, de la bêtise lofteuse et de l’analphabétisme de ses animateurs ce que l’école aura construit chaque jour. L’école et la télé devraient dépendre d’un même ministre.

Tout cela, j’en conviens, sera plus long, plus exigeant, plus coûteux que les défilés de l’antifascisme ( cela n’empêche pas de défiler quand c’est nécessaire, comme pour le 1° Mai). Mais j’en ai assez du mensonge et de l’imposture. Dimanche soir, devant le désastre, je me suis fait à moi-même le serment d’essayer à chaque fois de dire toute la vérité. Car nous sommes beaucoup à penser que la France n’est pas ce pays pourrissant au miroir de ses élections successives. Nous avons besoin d’un nouveau Mai 68, non de la rue, mais de la vérité et du courage intellectuel. Cela pourrait être notre contribution à la lutte contre cette résignation molle, ce désespoir rampant qui n’est pas le seul fait des pauvres et des banlieues, mais qui guette notre louche consentement, tapi dans les recoins de nos âmes.

Jacques Julliard. Le Nouvel Observateur 2 au 8 mai 2002.

Faire la morale est plus facile que d’aller voir la réalité. Appliquer une grille préétablie à toutes les situations est plus pratique que d’essayer d’en pénétrer les arcanes. Répéter les jugements en vogue demande moins de caractère que de se forger une opinion et la défendre de son mieux. Faute d’accomplir leur travail d’information, de réflexion et de mise en perspective, les rédactions ont donc trouvé dans la réprobation de l’extrême droite et la vigilance à l’égard du fascisme d’hier et d’aujourd’hui les fondements d’un commode magistère clérical.

À différents degrés, elles ont martelé cette vision sommaire et falsifiée du monde tout comme, depuis le premier tour, elles assènent à leurs lecteurs, auditeurs et spectateurs le bobard de la menace fasciste. Les professions artistiques se sont faites le relais de ce brouet idéologique controuvé en soumettant volontairement leurs créations et leurs productions à des critères d’utilité politique et d’excellence morale. Dans leur ralliement aux forces du Bien, nombre d’artistes ont trouvé une façon de se présenter qui leur assure un crédit matériel et moral tout en décourageant la critique. Annoncer que l’on subordonne son œuvre à la lutte contre l’exclusion, affirmer qu’on la met tout entière au service de la reconstitution du lien social, proclamer qu’elle fait partie d’une entreprise citoyenne, telles sont quelques-unes des attitudes et des expressions toutes faites dont l’usage constant et répété a fini par effacer le ridicule, l’hypocrisie et l’inanité.

La rhétorique éthico-sociale est une vapeur constamment diffusée par l’École, par les institutions culturelles et par les médias. Elle enveloppe toute la vie publique. Du président de la République au plus modeste élu local en passant par les proviseurs et les directeurs de centre culturel, elle est la figure imposée des discours, la référence obligatoire des projets. Les garçons et les filles nés après 1975 n’ont été baignés que dans ce fleuve de vaine grandiloquence et dans ce brouillard de prescriptions déguisées. Cela leur vaut de se trouver idéologiquement bouclés à double tour dans la confusion entre la politique et la morale, entre l’action et l’incantation, entre l’entreprise et le verbe.

L’énergie avec laquelle leur rassemblement de ce 1° Mai exprime leur volonté – et leur plaisir –  de vivre dans un monde ouvert est utilisée comme combustible pour les faire marcher contre une chimère.

… Nous avons remplacé l’au-delà par l’en-deçà. Vichy, la nazisme et l’idéologie française sont utilisés par notre nomenclature comme l’étaient le péché et  l’enfer par l’appareil clérical… Les mêmes moyens, modernisés, sont mis en œuvre : on ne peut plus censurer les mauvais penseurs, on les noie de silence. S’ils surnagent, leurs opinions, leurs  propos, leurs travaux, leurs œuvres sont travestis, tronqués, amalgamés, obscurcis par des intentions, que l’on prétend dévoiler alors qu’on les a fabriquées.

Si ces méthodes n’aboutissent pas complètement, la calomnie vient achever le travail. Une société de secours mutuel se partage les tribunes médiatiques, laissant quelques colonnes et quelques minutes d’écran à des contradicteurs qu’elle utilise comme des alibis. Mieux que quiconque, Philippe Muray a démonté les mécanismes par lesquels le bourgeois se travestit en bohème, le normalisateur en rebelle, le conformiste en impertinent, le notable avide d’argent et d’honneurs en parangon du désintéressement et de la solidarité. C’est ce petit monde qui vient d’écrire le canevas de la comédie du fascisme au coin du bois et de la mobilisation citoyenne. Il en espère un élargissement de son assise, une pérennisation de son emprise, une reconduction de ses privilèges. Il s’accommode déjà de la victoire de Chirac. Mieux, il a compris que la reconduction de ce politicien fragilisé lui assurait pour cinq ans le monopole des grands principes et l’apanage de la morale.

… Le printemps 2002 a fait sortir le loup du bois. Mais quel loup ? Le démagogue rubicond au vocabulaire tantôt fielleux tantôt douceâtre ? Ou la nouvelle structure du pouvoir et cette élite décidée à asseoir et à accroître son emprise sur la société en pratiquant l’abolition de la politique et son remplacement par le gouvernement de la morale et de la communication ? Une communication qui se résume à empêcher ou à disqualifier la parole. Une morale qui consiste à éliminer l’inconfort que nous cause le malheur d’autrui.

Philippe Meyer. Démolition avant travaux. Robert Laffont. Septembre 2002

En matière d’hybrides, en effet, on n’a encore rien vu. Les hybrides vont croître et multiplier : homosexuels autoritaires, féministes catholiques, juifs bellicistes, musulmans voltairiens, racistes libertaires, nationalistes pacifiques, nietzschéens populistes, syndicalistes derridiens, orléanistes énergumènes, léninistes réactionnaires, trotsko-capitalistes, communistes précieux, gauchistes antigauche, antimondialistes sécuritaires, verts roses, verts rouges, et de toutes les couleurs de l’arc en ciel, hussards démocrates-chrétiens, humanistes néocéliniens, esthètes engagés, i tutti quanti. Le nuancier ira à l’infini.

Jacques Alain Miller, psychanalyste. Le Monde 4.12.2002

À 20 h 10, le chef de l’Etat, Jacques Chirac, appelle François Bayrou : Allo, François : je voulais te dire que je t’emmerde. Exit François pour un bon bout de temps.

propos rapportés par Christelle Bertrand, le Midi Libre du 6 septembre 2020

8 05 2002 

Des employés de la DCN – Direction de la Construction Navale – sont victimes d’un attentat dans le bus qui assurait leur transport à Karachi, où ils travaillaient à l’assemblage des sous-marins français Agosta 90B vendus au Pakistan : 11 morts et 12 blessés graves. Vingt ans plus tard, les commanditaires de l’attentat seront toujours inconnus, et le procès non encore achevé. Des histoires de rétrocommissions, quand les démocraties d’Occident rencontrent l’incontournable corruption. Les sommes en jeu sont énormes.

mai 2002

La Commission européenne rend publique un projet de réduction très important de la pêche européenne, qui mettrait en France pas loin de 25 000 personnes au chômage. Les réactions ne tarderont pas : La technocratie sans concertation tue l’Europe. Elle ne peut que nourrir les réflexes nationalistes, fussent-ils les plus régressifs. En dépit de tous les signes adressés après les citoyens, la Commission n’a toujours pas compris que les hommes et les femmes qui sont l’objet de ses initiatives ne sont pas des sujets mais des acteurs de la construction européenne, dont la dignité doit être prise en considération. … il est consternant de constater que la Commission n’a pas fait l’effort d’aller sur le terrain (…) avant de décider que l’argent communautaire servira à détruire demain les navires que cet argent communautaire a financé hier. … Cette profession n’a pas tort de se demander si les dieux ne sont pas tombés sur la tête.

Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement Européen

juin 2002

Le cabinet d’architectes norvégiens Snohetta livrent la Bibliotheca Alexandrina à la ville éponyme, en Égypte : un cylindre d’aluminium anodisé de 70 000 m² répartis sur treize niveaux ; joyau de la culture au coût avoisinant les 330 millions $. Elle a été conçue pour abriter 5 millions de volumes, l’informatique n’a évidemment pas été oubliée. Treize ans plus tard, le même cabinet gagnera le concours du futur siège du Monde, voisin de la gare d’Austerlitz, rive gauche.

Bibliotheca Alexandrina in Egypt:Behold see the largest ...

Bibliotheca Alexandrina Egypt Aerial view - 69 :: World All Details

 

Diapositive 19 sur 31

3 07 2002  

Jean Marie Messier arrive au ciel :

C’est bien ici le paradis ?

Oui, Monsieur Messier, entrez.

Derrière la porte, il n’y a que flammes et désolation. Messier se rebelle :

Mais je croyais que c’était le paradis, ici.

Ah ! Excusez-nous, on a oublié de vous prévenir : l’enfer et le paradis ont fusionné.

… Et une autre : Deux petits vieux sur un banc. Tiens, je prendrais bien une glace. – Bonne idée, moi aussi. Je prends deux boules vanille. Et toi ? – Deux boules chocolat. – Bon, j’y vais. Non, attends ! Note… note, sinon tu vas oublier. N’exagères pas, le camion est à 50 mètres ! Bon, bon, d’accord, comme tu veux ! Il y a de l’attente au camion et il ne revient qu’au bout de 20 minutes… avec deux hot-dogs. Le copain prend le hot-dog, croque dedans et s’étonne : Ben, et la moutarde ! Oh, flûte, j’ai oublié la moutarde ! Tu vois, je te l’avais bien dit : il faut toujours tout noter.

07 2002 

Xavier Niel lance la Freebox : avec Rani Assaf, il est l’initiateur en France des offres triple play et du concept de box. En 1999, il avait développé une offre d’accès à Internet sous le nom de Free, puis avait cherché à faire passer par la même ligne une offre de téléphonie et de télévision, ce qui supposait d’utiliser un boîtier électronique qui soit techniquement capable de le faire. Il avait alors décidé avec Michaël Boukobza, son bras droit, et Rani Assaf, son directeur technique, de mettre au point ce boîtier. Le Box mettait en œuvre une technologie récente : l’ADSL – Assymetric Digital Subscriber Line – Liaison Numérique de Débit Asymétrique sur une ligne d’abonné -.

En 1965, la sonde martienne Mariner IV ne pouvait transmettre que 8 bits par seconde, ce qui interdisait toute transmission d’images. Onze ans après, et presque uniquement en améliorant ses procédures de codage, Viking 1 put transmettre 16 200 bits par seconde. La mystérieuse image d’une colline en forme de visage apparut alors sur les écrans de la NASA. La sonde Mars Global Surveyor viendra finalement dissiper l’illusion optique, en envoyant à la vitesse de 85 000 bits par seconde une image plus détaillée de la zone.
La mise au point des procédures de codage ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line), peu avant l’an 2000, fut une autre illustration de l’efficacité technique des formules de Shannon. À la fin des années 1970, les ingénieurs qui avaient mis au point le Minitel étaient certains d’avoir exploité au mieux le rendement des câbles de cuivre du réseau téléphonique. Le Minitel représentait un idéal théorique, et il semblait inimaginable qu’on puisse un jour faire mieux, en termes de vitesse, d’interactivité ou de rendu visuel ; seul le remplacement du cuivre par la fibre optique permettrait un jour de s’affranchir des limitations techniques de la boucle locale. Gérard Théry déplorait encore, en 1994, la faiblesse structurelle du réseau cuivré : La capacité de transmission du téléphone reste limitée : le débit échangé est égal au huitième de celui de la voix dans un face-à-face et dégrade la qualité du son, empêchant une restitution fidèle de la voix. Face à un spectacle ou à un paysage, l’œil enregistre une quantité d’information mille à dix mille fois supérieure à celle d’une simple conversation orale. Ces images, porteuses de beaucoup d’informations, sont encore très imparfaitement transmises par nos réseaux de télécommunications. Enfin, transmettre le texte d’un livre par une ligne téléphonique prend au minimum une heure. À quelques mètres des laboratoires du CCETT où fut inventé le Minitel, une équipe de chercheurs de l’École nationale supérieure des télécommunications de Bretagne venait pourtant de mettre au point les turbo codes, des codes autocorrecteurs d’une remarquable efficacité, qui permettaient d’augmenter considérablement la quantité et la qualité des informations transmises par une voie de communication quelconque. Ils furent bientôt utilisés par l’Agence spatiale européenne pour communiquer avec ses sondes spatiales, puis repris par les opérateurs de téléphonie mobile et les fournisseurs d’accès à Internet.
L’ADSL vint ainsi démentir, au début des années 2000, la vision pessimiste de Théry, [ancien patron de France Télécom] en apportant des images et des sons d’excellente qualité à tous les abonnés téléphoniques, sans aucune modification des installations cuivrées de la boucle locale. La technologie ADSL consistait à utiliser au mieux la bande du signal électrique que la plupart des circuits téléphoniques traditionnels étaient capables de transmettre. Cette bande, comprise entre 0 et 1,1 MHz, était subdivisée en 255 intervalles de 4,2125 kHz. Sur chacun de ces intervalles, la fréquence était modulée indépendamment ; à raison de 4 000 symboles par seconde et par intervalle, on atteignait facilement un débit très élevé. L’échange de signaux tests, en début de transmission, permettait d’évaluer le degré de redondance qu’il fallait apporter à chaque caractère pour lever les équivocations possibles. Ainsi, les transmissions ADSL étaient très fiables.
Le déploiement de l’ADSL fut une révolution discrète qui, parce qu’elle ne touchait qu’à l’architecture du signal, et non à celle de la voie, permit aux FAI de transporter des contenus de plus en plus lourds, sans avoir à répercuter des coûts trop importants à leurs clients. Internet était entré, insensiblement, dans une dimension nouvelle. Le monde entier, quelle que soit l’immensité de sa trame et la profondeur de sa texture, put emprunter un réseau qui avait été, à l’origine, déployé pour permettre à deux humains de se parler.
Démon allait enfin pouvoir concurrencer sérieusement France Télécom.
La législation obligeait désormais l’opérateur historique à louer, sans restriction, des espaces libres de 60 centimètres par 60 dans des salles dites de cohabitation, afin que ses concurrents y installent leurs propres routeurs. Ils pouvaient, de là, accéder aux boucles locales. On parlait de dégroupage partiel : les abonnés gardaient leur numéro et leur abonnement téléphonique, mais pouvaient choisir librement leur FAI.Fournisseur d’Accès à Internet -.
Les boucles locales désignaient concrètement un enchevêtrement inextricable de câbles de cuivre fins comme des cheveux, tressés ensemble dans des gaines de plastique, et si nombreux qu’il avait fallu des dizaines d’années et plusieurs centaines de milliers d’hommes pour les interconnecter tous. Ce nœud impénétrable formait le cœur de la forteresse monopolistique de France Télécom. En 1995, Michel Bon, alors P-DG de France Télécom, avait ainsi déclaré que l’accès à Internet [était] un métier d’opérateur de boucle locale. Pendant les cinq années qui suivirent, Pascal s’était efforcé de démontrer l’inverse, au prix de nombreux sacrifices financiers et techniques, France Télécom ne lui garantissant, sur les portions de boucles locales qu’il louait, qu’un débit ridiculement faible de 3,6 Kbits par seconde. Pascal ne put jamais promettre beaucoup mieux aux abonnés de Démon.
L’arrivée de l’ADSL changeait brutalement cette donne. France Télécom garderait son lambeau de monopole sur les communications vocales, tandis que Démon allait pouvoir utiliser le reste de la bande passante pour vendre des accès haut débit à Internet.
Mais Démon ne pouvait se satisfaire du dégroupage partiel, qui entérinait sa dépendance vis-à-vis de France Télécom, tout en le privant arbitrairement de la téléphonie, une source de revenu substantielle. Pascal voulait à présent exploiter la totalité de la boucle locale pour commercialiser une offre triple play : téléphonie, télévision et Internet. Pascal exigea donc le dégroupage total : il réclamait le droit à la possession entière des boucles locales, parties vocales incluses. C’était la conclusion logique de l’ouverture du marché à la concurrence, la garantie d’une offre équitable.

Aurélien Bellanger. La Théorie de l’Information. Gallimard 2012

Aurélien Bellanger a choisi de classer son livre dans la catégorie roman. En fait il a adopté un plan ambivalent, commençant par une biographie de Xavier Niel et de Free, biographie à peine romancée qui foisonne de descriptions techniques d’un excellent niveau tout en restant dans le domaine de la très bonne vulgarisation, donc compréhensible par le commun des mortels. Dans le roman, Xavier Niel se nomme Pascal Ertanger, Free, se nomme Demon. Pour ce qui est de la seconde partie, dès lors que Pascal a vendu Demon, Aurélien Bellanger part dans un délire prétentieux, pathos indigeste qui finit dans la folie. À croire qu’il a terminé son livre en état d’ivresse proche du coma éthylique. Xavier Niel, lui dans la réalité a pris le chemin parfaitement contraire : fortune faite dans les messageries roses du Minitel, condamné presque symboliquement [3], il finira par se ranger au plus haut niveau, en épousant la fille de Bernard Arnault, première fortune de France, quatrième mondiale, en devenant actionnaire du Monde etc… Pourquoi ne pas avoir continué à rester au plus près de la réalité, beaucoup plus intéressante que ces délires de mauvaise BD ?

26 08 2002  

Monaco, ne pouvant trouver de la place sur les 2 km² de son territoire, s’étend sur la mer, et pour ce faire, agrandit son port avec une digue flottante de 352 m de long, 28 m de large, 19 m de haut, le tout pesant 160 000 tonnes ; 4 niveaux où l’on pourra trouver aussi bien garage à bateaux, parking de voitures, gares maritimes, restaurants, commerces et bureaux administratifs. La digue sera reliée à la terre par une rotule en acier de 8 m de diamètre, pesant 700 tonnes… coté mer, ce seront huit chaînes pesant 7 200 tonnes. Le tout a été fabriqué à Algésiras, à 1 480 km de Monaco : il a fallu 12 jours de remorquage à 5 km/h pour franchir la distance.

3 09 2002   

Abdelmoumen Rafik Khalifa, jeune homme d’affaires algérien, totalement ignorant de ce que pourrait bien être un scrupule, veut voir du monde pour l’inauguration de sa chaîne de télévision Khalifa dans un palace de Cannes, et encore dans le stade pour le match de foot Algérie-Olympique de Marseille, et pour être sûr du succès, il faut faire venir des gens connus : dans le monde du cinéma et du journalisme, on appelle ça faire des ménages : les heureux élus vont être Gérard Depardieu et Catherine Deneuve qui vont percevoir, chacun, pour leur prestation, c’est-à-dire juste faire acte de présence, 87 500 € en espèces – 47 500 € pour la télé, 40 000 € pour le match -. Le 23 juillet 2023, le Monde parlera pour Gérard Depardieu de 600 000 €… probablement une coquille.

8 09 2002    

Marco Siffredi, 23 ans, étoile filante pour les uns, petit prince de la glisse … James Dean des sommets  pour les autres, a déjà à son palmarès une impressionnante liste de descentes en surf de couloirs de haute montagne : essentiellement dans le massif du Mont Blanc – il vit à Chamonix -, mais encore en Amérique du Sud, en Himalaya : en mai 2001, il est descendu du sommet de l’Everest – 8 848 m.- par le couloir Norton. Dans le Mont Blanc, le dénivelés vont de 350 m à 2 000 m. sur des pentes de 45° à 55° voire 60°. Sa première descente aura été le couloir Gervasutti, à la Tour Ronde, en amont du glacier du Géant, – le haut de la Vallée Blanche -: il avait 18 ans, c’était en 1997. Cette fois-ci, il veut descendre par le couloir de près de 3 000 m de dénivelé, qui porte le nom de Tom Hornbein – le médecin américain qui est arrivé au sommet de l’Everest par cette arête de l’ouest de la face nord le 22 mai 1963 avec Willy Unsoeld, aussi sinistre et lugubre que celle de l’Eiger. Cela fait, jusqu’au camp de base, 3 425 mètres de dénivelé.

Pour ce faire, il faut que le couloir soit très enneigé. Et il a beaucoup neigé tous ces derniers jours. Ce qui a ralenti l’ascension : il arrive au sommet fatigué, fatigué. Trop de neige. Trop d’ascension. Au-dessus de 8 000 m. le cerveau, en manque d’oxygène, ne fonctionne plus aussi bien et cela n’est pas favorable à une prise de décision qui remettrait tout en question. Beaucoup de neige, c’est le danger maximum, car c’est dans ces conditions qu’elle est la plus instable. Il se lance, les sherpas qui l’accompagnaient le voient jusqu’à à peu près 350 mètres sous le sommet, et puis il disparaît : on ne le reverra plus.

Du snowboard en Himalaya : de Marco Siffredi à Jeremy ...

Marco était un esprit libre qui ne plaisait pas à tout le monde » – Alpine Mag

 

9 09 2002 

Des trombes d’eau s’abattent sur le Gard : 24 morts.

12 09 2002

Michel Bon, patron de France Telecom, est débarqué, après avoir magistralement constitué un trou financier, fait de pertes et de dettes, sans précédent : 70 milliards € d’endettement, soit plusieurs fois les chiffres faramineux du Crédit Lyonnais. C’est un record du monde en la matière. C’est Thierry Breton qui relèvera le gant…ça ne manque pas de panache…on lui souhaite bien du plaisir… Pas de procès, pas d’informations. Le trou gigantesque sera comblé en quelques années grâce au faramineux filon qu’est le portable.

26 09 2002 

Le Joola, ferry construit en 1990 en Allemagne, est exploité par une société d’État pour assurer la liaison entre Dakar et la Casamance. Il a été prévu pour 540 passagers. Le capitaine marocain a 21 ans d’expérience sur cette ligne. Immobilisé pendant près de 12 mois en 2000 et 2001 pour une révision complète, il avait été remis à l’eau à la hâte le 10 septembre 2002, et avait terminé la journée avec un des deux moteurs cassé. Ce 26 septembre, outre son moteur cassé, l’électricité et la climatisation étaient en panne : il embarque malgré tout pas loin de 2 000 passagers, pratiquement 4 fois ce qu’autorisent les normes : 550. Le vent forcit et à 22 h 45, un coup plus fort que les autres couche le bateau sur le flanc : le navire coule très rapidement ; seuls 64 passagers survivront. On comptera 1 953 victimes – dont 18 Français. Un peu moins de 600 corps seulement seront récupérés. En août 2003, l’affaire sera classée sans suite au Sénégal ; seule une association française des familles des victimes parviendra à faire ouvrir une instruction en France, qui conclura par un non-lieu en 2014. Le CEDH refusera de poursuivre la France. Ne restent plus qu’aux plaignants l’ONU. Des orphelins seront pris en charge par la gouvernement sénégalais.

3 10 2002 

Mike Horn entreprend de faire le tour du cercle polaire arctique : cela signifie qu’il va faire du vélo, du kayak, de la voile, du ski, du ski tracté par cerf-volant : il en finira 808 jours plus tard, le 21 octobre 2004.

12 10 2002   

Une voiture bourrée de 1 100 kg de TNT et de produits chimiques explose devant une discothèque de Kuta, une station balnéaire de Bali, en Indonésie. Pas bien loin de là, un homme à la veste bourrée d’explosifs se fait exploser à l’intérieur d’un restaurant : 202 morts en tout, plus de 300 blessés. L’attentat est attribué à la Jamaah Islamiyah, un réseau islamiste d’Asie du Sud-est lié à Al-Quaïda.

23 10 2002   

Les Tchétchènes prennent en otage le public du théâtre Doubrovka de Moscou. Le dénouement est sanglant : 129 otages et 38 Tchétchènes tués.

1 11 2002   

Les prisons françaises disposent de 47 933 places mais comptent 54 438 détenus, dont s’occupent 24 503 personnes (dont 21 749 gardiens). Ces détenus se partagent en 201 258 prévenus et 34 310 condamnés. Les femmes, au nombre de 2 061, ne représentent que 3,8 % du total. La durée moyenne de détention, de 4,3 mois en 1975, est passée à 8,4 mois en 2001. La détention provisoire, elle, est passée de 2,4 mois en 1975 à 4,4 mois en 2001.

13 11 2002  

Le Prestige, venant de Saint Petersbourg, via Ventspils, en Lettonie transporte 77 000 T de brut, résidu de raffinage utilisé dans les centrales thermiques asiatiques. À l’ouest de la frontière atlantique entre l’Espagne et le Portugal, une brèche de 50 m s’ouvre sur  le flanc, laissant échapper 7 000 T qui vont souiller les côtes espagnoles ; il se fait remorquer vers le large, aucun port espagnol pas plus que portugais n’ayant accepté de le recevoir. Il se casse en deux le 19 et coule avec ses 70 000 T par 3 650 mètres de fond : il les relâchera lentement mais sûrement, à raison de 125 tonnes par jours, qui viendront faire le désespoir des Galiciens. Sa carte d’identité est impressionnante :

  • Construit en 1976 au Japon, c’est un pétrolier à simple coque.
  • Propriétaire libérien : Mare Shipping Inc.
  • Armateur immatriculé au Libéria, et domicilié à Athènes : Universe maritime.
  • Affréteur russe : Crown Ressources AG, avec un siège social à Zug, en Suisse. C’est lui le propriétaire de la cargaison. Après la catastrophe, il poursuivra ses activités, en changeant simplement de nom. L’équipage est composé de Grecs, Roumains, et Philippins.
  • Une agence de classification texane : ABS : American Bureau of Shipping.

Les Espagnols se débrouilleront comme ils le pourront avec ces cochonneries, dans l’indifférence terrifiante des pouvoirs publics. Juan Carlos seul, viendra les réconforter. Un an après, près de 64 000 tonnes de fioul s’étaient déversées en mer, polluant 2 600 km de côtes. 30 000 personnes vivant de la pêche avaient dû cesser temporairement leurs activités. Dans les mois suivant la catastrophe, les prises auront chuté de 80 %. 300 000 oiseaux de mer, mammifères marins et poissons étaient morts. Le coût global pour l’Espagne, le Portugal et la France est estimé à plus d’un milliard d’€. En juin 2003, les pétroliers à simple coque seront interdits dans les ports des pays de l’UE.

The Sinking of the Prestige off the Coast of Spain @shippingwrecks / Facebook.com

17 11 2002    

C’est le congrès fondateur de l’UMP, au Bourget. Le très jeune – 31 ans -Edouard Philippe, fils de Juppé est là en tant que directeur général de l’UMP. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, est arrivé avant Alain Juppé et veut en profiter pour lui glisser une peau de banane, ce qu’a bien vu Édouard Philippe, qui l’en empêche ; Sarkozy viendra par la suite le menacer, mariant le geste  à la parole : Toi, tu ne me refais jamais çà ! Edouard Philippe le rembarre du bras : il s’en est fallu d’un cheveu qu’ils n’en viennent aux mains. Comme le futur premier ministre de Macron mesure à peu près deux fois l’ancien président, l’issue du pugilat n’aurait laissé planer aucun doute, et Sarkozy ne serait peut-être jamais devenu président : dans quelle république élit-on un bras cassé ?

22 11 2002   

Send her victorious, happy and glorious

Ellen Mac Arthur, avec son mètre cinquante huit, ses 26 ans et son monocoque Kingfisher de 16,28 mètres, gagne la Route du Rhum en 13 jours, 13 heures et 31 minutes, pulvérisant de plus de 2 jours le précédent record en monocoque d’Yves Parlier, en 1994. Les grands trimarans, pour n’avoir pas voulu admettre qu’on ne peut pas faire le Paris-Dakar avec une Formule 1, sont allé quasiment tous au tapis : il n’y aura que trois rescapés sur les 18 partants… La violence des éléments poussera Bertrand de Broc, à abandonner : Après en avoir parlé avec mon routeur, j’ai fait demi-tour à Ouessant. Je n’avais pas envie de casser le bateau. Ce sera sa dernière course avec Banque Covefi, son sponsor d’alors. Ils m’ont viré parce que je ne l’avais pas cassé : ils pensaient qu’on en aurait plus parlé dans les médias si ça avait été le cas. Difficile de mieux faire pour montrer la perversion sur laquelle se base la réalisation de tels projets.

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4 12 2002   

Les supérieurs majeurs d’ordres religieux représentés en France, hommes et femmes, se réunissent à Lourdes : l’ordre du jour n’a rien de miraculeux. À la une : La violence dans les communautés !

11 12 2002     

2° échec consécutif d’Ariane V, version 10 tonnes pour lancer 2 satellites : la tuyère d’un des moteurs Vulcain du 1° étage s’est déformée sous la température des gaz de la chambre de combustion, entraînant une dérive de la fusée, d’où l’obligation de la détruire en vol.

14 12 2002  

À Copenhague, les 15 pays membres de l’Europe acceptent leur élargissement qui se fera après signature des traités d’adhésion le 16 avril 2003 et, chez certains ratification par référendum ; l’entrée effective est pour le 1°mai 2004 : les nouveaux venus sont au nombre de dix : Pologne, Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Slovénie, Chypre, Malte, Estonie, Lettonie, Lituanie. L’ensemble pèsera plus de 400 millions d’habitants ; les nouveaux venus ne passeront à l’Euro qu’en 2006.  La Turquie a été priée d’attendre deux ans pour ouvrir des négociations, le temps pour l’Europe de savoir si d’autres critères que géographiques et culturels peuvent entrer dans la définition qu’elle se donne d’elle-même. Bulgarie et Roumanie ont elles aussi été priées d’attendre… au moins jusqu’à 2007.

26 12 2002

Ève voit le jour à 11 h 55′ heure locale, mais on ne connaît pas le lieu ; elle pèse 3,100 kg, elle est raëlienne, c’est à dire déjà un peu fada, et en plus clonée pur jus.

2002     

Giulio Andreotti est condamné par la justice de son pays à 24 ans de prison. Mais la justice décidera que la décision était injuste et l’innocentera l’année suivante    :

Au printemps 1993, le scandale éclate : une dizaine de parrains repentis accusent Giulio Andreotti d’avoir eu partie liée avec la Mafia. La justice retient les accusations. Pour la première fois l’Inoxydable fera l’objet d’un  procès.

Du coup, ce sont les plus sombres pages de l’histoire de l’Italie qui s’éclairent d’une lumière inquiétante, comme l’assassinat du général Dalla Chiesa, criblé de balles à Palerme en septembre 1982. Une Palerme où l’on aurait envoyé se faire tuer plus commodément ce spécialiste de la lutte antiterroriste qui aurait eu le tort de retrouver des carnets secrets tenus par Aldo Moro durant sa captivité aux mains des Brigades Rouges. Des carnets très compromettants, croit-on savoir, pour le haut personnage de l’État qu’était alors Giulio Andreotti. Celui-là même qui prôna le refus de négocier avec les Brigades Rouges pour sauver Aldo Moro. Pour la même raison, le journaliste Mino Pecorelli, qui s’apprêtait à publier des extraits de ces carnets, aurait été assassiné à Rome en mars 1979, et le sénateur à vie est retenu comme l’instigateur du crime. Condamné à 24 ans de prison en 2002, il est innocenté l’année suivante.

Marie-Claude Decamps. Le Monde du mercredi 8 mai 2013

Le bonhomme mourra à 94 ans le 6 mai 2013, après avoir symbolisé toute une politique italienne où le non-dit pèse plus lourd que le dit… et pourtant, il s’en dit beaucoup ! Sa carrière politique aura été d’une exceptionnelle longévité :

  • 7 ans sous-secrétaire à la présidence du conseil, notamment sous de Gasperi, en 1952.
  • 15 jours ministre de l’Intérieur sous Fanfani en 1954
  • Ministre du trésor en 1958
  • Ministre de la Défense trois fois : 1960 et 1964
  • Ministre de l’Industrie en 1966
  • Ministre des Affaires étrangères.
  • Sept fois président du conseil de 1972 à 1991.

Il prendra rapidement de la distance, proportionnelle avec l’humour :

  • Si on veut garder une confidence, il ne faut en faire part à personne, pas même à soi-même.
  • En Italie, on me tient pour responsable de tout, sauf des guerres puniques !
  • J’ai conscience d’être de stature moyenne, mais je ne vois pas de géant autour de moi.
  • Le pouvoir n’use que ceux qui ne l’ont pas.
  • Personne n’est à l’abri de certaines fréquentations. Même Jésus-Christ, parmi ses douze apôtres, avait Judas
  • De Gasperi, son père spirituel avait dit de lui : C’est un jeune homme capable, tellement capable que je le crois capable de tout.

Et, dans le même temps les technocrates italiens, obsédés d’hygiénisme, assassinent par étouffement l’élevage du Centre-sud, seule vraie richesse  des Apennins : Le véritable alpage est ici, dans les terres lunaires du sud. Au cours de mon présent voyage, ce n’est qu’à partir des Marches, en direction du sud, que j’ai trouvé des animaux à la pâture. Brebis dans le Montefeltro, vaches dans les monts Sibyllins, hordes de porcs fouillant la terre sous les Monti delle Laga, de nouveau des ovins sur les flancs du Gran Sasso, et à présent encore des bovins dans le Molise. Plus au nord, je n’ai rien vu de semblable, rien d’autre que des campagnes désertes et des bêtes claquemurées dans des hangars puant l’ammoniaque. Ici, dans le Sud profond, tout change. Le vrai lait est jaune, parce que les bêtes broutent aussi les fleurs. Et non pas blanc, comme nous le fait croire la Padanie souveraine, pour mieux nous refiler une camelote insipide, produite avec du foin.

[…] Dès le milieu du XV° jusqu’au début XIX° siècle, lors de chaque transhumance, plusieurs millions de têtes d’ovins empruntent ce vaste réseau de communication constitué de tratturi dont la largeur est fixée à 60 pas napolitain (111,6 mètres). Les voies de moindre importance sont nommées tratturelli et bracci. Leurs itinéraires sont jalonnés de nombreux édifices religieux, bornes de territoire, quelques riposi (espace dédié à la halte du bétail) ainsi que de plusieurs grottes liées au culte de Saint Michel Archange vénéré à Monte Sant’ Angelo.

Propriétés de la dogana delle pecore, les tratturi tombent progressivement en désuétude, dès 1806, lorsque le régime de cette autorité est aboli.

L’ensemble du réseau des tratturi de Foggia est cartographié et publié en 1912, puis mis à jour en 1959. Aujourd’hui, selon une circulaire du 17 mai 1993 du Corps forestier d’État, sont recensés 11 tratturi pour 1 149 km, 6 tratturelli pour 116 km et 6 bracci pour 79 km.

Wikipedia

Représentation graphique des principaux tratturi

Principaux itinéraires. En rouge le tratturo L’Aquila – Foggia (244 km).

On discute pour savoir comment relancer la transhumance, bloquée en 2002 par les services sanitaires dans tout le Centre-Sud, pour des raisons de maladie de langue bleue. Ils savent qu’un nouveau départ ne relève aucunement du rêve. Les tratturi sont là, il suffit de les parcourir. Ce sont des routes qui appartiennent de droit aux bergers. Il est temps de retourner dehors avec les vaches et les brebis : la honte imbécile des Italiens à l’idée d’être des pauvres pequenauds de bergers, ça va bien comme ça. C’est une honte qui fait justement le jeu de la grande production du Nord, mieux protégée par les pouvoirs publics.

Carmelina, la fille de la maison, sert à table et raconte : Depuis que je suis toute petite, j’ai haï la transhumance. Mon père n’était jamais là. Je pleurais chaque fois que le troupeau repartait. Et puis, avec le temps, ma haine est devenue amour. Vous ne savez pas ce que ça représente de voir sortir cinq cents vaches dans la poussière, cinq cents vaches qui ne tiennent plus en place. On a envie de pleurer. Elle s’émeut et cette émotion la rend belle comme le jour. La chose paraît si évidente : la force de ces terres, ce sont les femmes. Quand le moment arrive, personne ne peut les retenir, nos vaches. Elles sont toujours dehors, elles sont entraînées à marcher, pour elles, ce déplacement est un appel irrésistible, une joie.

Le médecin, Beppe Battista, a suivi les Colantuono lors d’un mémorable retour des pâturages du Gargano et il ne l’oubliera jamais. Après un voyage pareil, dit-il, tu as des visions. Tu rêves, ti entends, tu vois tout de manière différente. Quand je suis revenu, je n’ai pas conduit ma voiture pendant des semaines. Je ne supportais pas la télé, ni même mon lit. C’est incroyable d’être au milieu du troupeau, avec les vieilles vaches qui connaissent déjà le parcours par cœur et font la route, et les jeunes qui vont derrière, un peu dépaysées, mais se laissent conduire en douceur. Un concert de sonnailles qui devient une vraie musique, qui te rend dépendant et ne te lâche plus jamais.

Il se rappelle la route, mètre par mètre, parcourue en quatre jours seulement, presque toujours de nuit. Le frisson du départ, Nicola Colantuono, qui marche devant, tout seul, du pas millénaire d’Abraham, court, déhanché, régulier. Le pont sur le fleuve Fortore, la pierre en latin avec les tarifs du péage, dont ne sont exemptés, par décret impérial, que les prêtres et les putains. Le torrent Tona, Santa Croce Magliano, Femmina Morta, Ripa di Mosani, la taverne de Torella. Les petites églises des tratturi, qui comportaient jadis une auberge pour les étapes, comparable aux restoroutes d’aujourd’hui. Puis l’arrivée, avec les femmes qui sortaient du village avec le premier repas chaud.

Nous repartons à contrecœur, nous avons déjà l’impression d’être de la famille. L’auto prend d’instinct la direction des troupeaux, elle cherche son tratturo vers les espaces ouverts de la plaine du Tavoliere, elle voyage dans le crachin au milieu de pâturages, de forêts de hêtres séculaires et d’une surprenante Suisse terrona qui descend vers les Pouilles et la Basilicate. Jusqu’au moment où, à Torella, en haut d’un col, juste avant Campobaso, elle rencontre un berger très spécial : Mario Boracco, quarante-quatre ans, globe-trotter campanien aux mille métiers, ex-instructeur de vol libre en Californie, qui, à l’âge de quarante ans, a décidé de prendre racine en retournant au pays. Un autre héros de la résistance oubliée.

Nous sortons sous le crachin avec le troupeau de brebis. Quand l’étable s’ouvre, on dirait qu’une digue se rompt. Et puis, tout se déroule en silence. Comment décrire l’allure feutrée d’une masse d’animaux qui se déplace dans des champs trempés. Les bêtes ne bêlent pas et on se trouve dans un fleuve qui bruit, bouchonne, dévie, s’éparpille, se resserre, se répand dans les prairies et dans la boue, tandis que les chiens, aux aguets, canalisent cette masse fluide et chauds dans la direction voulue. Avec la neige, me garantit Mario le berger volant, le silence est encore plus parfait et tout est de la même blancheur laiteuse : les brebis, les chiens, le ciel et la campagne.

Dans l’étable, à côté des fromages, dorment une dizaine de deltaplanes, enfermés chacun dans sa housse. Un peu plus loin, avec les agneaux qui viennent de naître, baille le vieux border collie, grand organisateur de troupeaux. Il peut se permettre de paresser après quarante mille kilomètres de transhumances, soit à peu près le tour du monde. Il est presque aveugle, mais il court à son maître, répond toujours aux ordres, part, s’immobilise, tourne sur lui-même comme un cheval lipizzan, dit le berger, ému. Whisp, quel joli nom. Il irait bien aussi à ma vieille guimbarde au long cours.

Les Apennins, c’est la terre des brebis, peut-être ont-ils été un troupeau. De la Toscane au Gargano, l’allure lente et bêlante de la montagne, c’est celle-là. Une terre patiente, peuplée d’animaux, faite pour eux. Et au milieu des collines ocres des basses terres de la région de Sienne, aussi, à deux pas de viticulteurs milliardaires de Montalcino, sur une verte colline proche de Tornieri, il existe encore des gens qui se tuent de fatigue avec leurs brebis et leurs chèvres. Tamara Amaddii et sa fille, restauratrices, qui vivent là toutes seules à s’occuper de leurs bêtes. Je les aie devant les yeux : mains rugueuses, voix douce, sourire tendre et une immense quiétude dans le paysage au coucher du soleil.

Sous un gigantesque parapluie avec un manche en bois, Mario s’en va récupérer Éthan, un jeune Californien qui garde ses bêtes et qui est venu travailler à mi-temps pour le plaisir d’être en Italie, puis il me montre comment on fabrique de caciocavallo. C’est comme d’assister à un accouchement, la créature toute trempée sort du liquide tiède, elle est manipulée avec effort, le fromager, qui sert de nourrice, garde les yeux fermés pour mieux se concentrer. Dehors, sous la pluie, le Molise [une région d’Italie du sud, née de la séparation avec la région Abruzzes et Molise le 27 décembre 1963. Elle a comme capitale Campobasso et compte 310 000 habitants] n’est qu’un grand troupeau de brebis en mouvement. Quand cala lu sole (tombe le soleil), et que nous devons repartir, Boracco salue mon fils Andrea comme s’il le connaissait depuis toujours. Quand un berger était sur le départ, on lui disait : Je t’accompagne par la pensée. Eh bien, moi, Andrea, je te le dis aussi : T’accumpagno c’o pensiero. Grande âme du Sud.

Paolo Rumiz. La légende des montagnes qui naviguent. Flammarion 2017

20 01 2003   

Le château de Lunéville brûle.

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Château

restauré, ouvert au public en 2015

chapellechateau

la chapelle, ouverte au public dès septembre 2010

5 02 2003   

Colin Powell, Secrétaire d’État américain, a vu le président Georges Bush en tête à tête à la Maison Blanche le 13 janvier. Officiellement il doit exprimer son soutien au bellicisme du président vis-à-vis de l’Irak, officieusement il s’est essayé à le persuader du contraire : Vous allez être l’heureux détenteur de vingt-cinq millions de personnes. Vous serez détenteur de tous leurs espoirs, de toutes leurs aspirations, et de tous leurs problèmes. Tout cela sera à vous. You break it, you own it – vous le cassez, il est à vous mais vous le payez.

Il s’adresse maintenant au Conseil de Sécurité de l’ONU. Son discours a été rédigé par Lewis Libby, conseiller du vice-président Dick Cheney. Il y affirme que son rapport contient les preuves que l’Irak dispose d’armes de destruction massives, et il brandit un petit flacon d’on ne sait pas quoi, le disant arme bactériologique et met à l’écran à l’appui de ses affirmations quelques images… qui ne prouvent rien du tout etc… Toute cette argumentation se révélera par la suite dénuée de tout fondement. Plus… on avait les preuves que ces armes de destruction massive ne relevaient que du mensonge d’État : Hans Blix, diplomate suédois, avait été missionné par l’ONU entre 2002 et 2003, pour enquêter sur l’existence de ces armes et il avait mené plus de 700 missions sur40 sites sans jamais en trouver trace !

Il présente sa source principale, un transfuge surnomme Curveball, répondant au nom de Rafid Ahmed Alwan al-Janabi, comme ingénieur chimiste. Les informations communiquées par al-Janabi avaient pourtant été jugées peu fiables par les services secrets allemands, le BND, qui avaient approché le transfuge en 2000. Les services de communication du 10 Downing Street ont transmis elles aussi des informations très légères, puisées directement dans des sources universitaires non vérifiées.

Dix ans plus tard, le même Colin Powell déclarera à la presse occidentale – The Guardian, L’Observateur :

On savait depuis des années que la source appelée Curveball n’était absolument pas fiable.

[…] Quand j’ai demandé aux services de renseignement des éléments concrets pour étayer certaines parties de ce document, ils m’ont répondu qu’ils n’avaient jamais vu ces informations-là ! 

Évidemment je pensais que la CIA avait vérifié ses informations. Aussi, quand, quelques semaines plus tard, l’Agence nous a dit que l’information sur les laboratoires biologiques ambulants venait d’Allemagne et qu’aucun agent américain n’avait interrogé la source principale de ce canular, j’ai été stupéfait.

[…] George Tenet, le directeur de la CIA ne m’a jamais dit que les Allemands l’avaient prévenu que cette source n’était pas sûre et je ne sais toujours pas ce qu’il savait en réalité. Plus tard, il est apparu qu’un certain nombre de personnes dans les services de renseignement étaient au courant de cette alerte des Allemands et d’autres mises en garde. Ils ont dit : Nous sommes allés voir Tenet mais il ne voulait pas nous écouter. Est-ce vrai ? Je ne sais pas. En tout cas, lors de ma présentation à l’ONU, je voulais qu’il soit à mes côtés, que la présence du patron de la CIA signifie au monde que ce que je disais reflétait ses conclusions. Dix ans plus tard, Tenet n’a toujours pas reconnu que celles-ci étaient fausses ! Pas une fois, il a expliqué pourquoi ses services avaient écrit, par exemple, que Saddam Hussein avait des centaines de tonnes d’armes chimiques, dont la plupart avaient été fabriquées l’année passée alors qu’il n’en possédait pas un gramme !

Les commentaires a postériori de Colin Powell sont quelque peu contradictoires : certains laissent entendre qu’il s’est fait abuser et qu’il pensait que le contenu du rapport qu’il avait lu était honnête, d’autre laissent entendre qu’il savait pertinemment que tout cela n’était qu’enfumage et intox… De toutes façons, autant les Américains peuvent-ils se montrer inflexibles en matière de mensonge concernant la vie privée, autant ont-ils tout au long de leur courte leur histoire abondamment pratiqué le mensonge d’État : guerre du Viet-Nam, affaire du Lusitania, de la conquête de Cuba etc…

En 2021, on verra Pierre Conesa, ancien haut-fonctionnaire de la Défense, déclarer bien franchement sur la chaine Thinkerview que si quelque personne physique ou morale s’avisait un jour de traduire George Bush Junior devant la Cour Pénale Internationale pour crime contre l’humanité, il applaudirait des deux mains.

ET SI… Colin Powell avait eu du courage…

Et si Colin Powell, ce 5 février 2003 s’était présenté devant le Conseil de Sécurité de l’ONU en déclarant :
Mesdames, Messieurs,
Je mets à la disposition de chacun de vous un exemplaire du rapport que j’aurais dû vous lire intégralement. Evidemment je l’ai lu avant de venir devant vous.
Je ne suis pas en mesure d’affirmer que son contenu est faux en totalité. Mais je suis en mesure de dire qu’il ne satisfait en aucun cas à la probité exigée pour l’établissement d’un rapport de cette importance. La gravité des accusations portées contre le régime de M. Saddam Hussein, le président de l’Irak, n’est en rien confortée par des preuves irréfutables : celles qui sont avancées peuvent n’être aussi bien qu’un simple trucage d’images aériennes qu’un commentaire parfaitement faux du contenu de ces images. Les sources à l’origine de ces accusations sont d’une fiabilité douteuse.
Ma conscience comme le respect que j’ai pour la vérité m’empêchent de faire mien ce rapport ; aussi ai-je joint à la copie qui vous est destinée copie de ma lettre de démission adressée il y a une heure au président de mon pays, George Bush.
Mesdames, Messieurs, le respect que j’ai pour les peuples que vous représentez m’imposait cette décision. Une guerre juste ne peut être menée qu’à partir d’éléments indiscutables : tel n’est pas le cas. Je ne puis accepter d’aller plus loin sur cette voie.
Le tollé médiatique, mondial que suscita cette démission fit trembler la Maison Blanche qui se retrouva complètement isolée sur la scène internationale : Georges Bush dut se résigner à remiser ses volontés belliqueuses et l’Irak ne fut pas envahi par les Américains. Colin Powell pourra se livrer à son occupation favorite : la pêche en rivière ; c’est ce qu’il était en train de faire quand il entendra un hélicoptère survoler sa propriété, puis se stabiliser au-dessus en perdant de l’altitude et finalement atterrir. Un homme en descendra qui venait l’informer qu’il allait recevoir le prix Nobel de la paix et qu’il lui fallait en conséquence préparer un discours : il l’en remercia chaleureusement puis une fois l’oiseau envolé, rentra chez lui où seul l’attendait son chien et laissa se rompre les digues qui contenaient ses larmes : il faillit se noyer dans le bonheur !

Nobel de la Paix 2003 : Shirin Ebadi, première femme à devenir juge en Iran, elle œuvre pour la défense des droits des femmes et des enfants dans une société musulmane ultra conservatrice, et fournit une aide juridique aux personnes persécutées.

1 02 2003   

La navette américaine Columbia explose à 63 km d’altitude dans le ciel du Texas : elle amorçait sa descente en arrivant dans les premières couches d’atmosphère. 7 morts : 6 américains dont deux femmes (l’une d’entre elles était d’origine indienne, fraîchement arrivée aux ÉU) et un Israélien. Des membres de la NASA avaient tiré la sonnette d’alarme quelques mois plus tôt… et ils s’étaient fait licencier.

Au décollage, un panneau de protection en mousse pesant 750 grammes se détache du réservoir et vient frapper le bord d’attaque de l’aile gauche de Columbia. Certains techniciens réalisent immédiatement le danger que court le fragile avion spatial, mais la kafkaïenne NASA n’entend rien, ou plutôt ne veut rien entendre. À l’observatoire de Haleakala, à Hawaï, comme à celui de la discrète Kirtland Air Force Base, non loin d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique, l’armée américaine dispose de télescopes de 3,5 mètres munis d’optiques adaptatives capables de percevoir des détails de 10 centimètres sur la navette en orbite. Ils ne seront pas utilisés pour établir un diagnostic, ni d’ailleurs les satellites espions du département de la Défense, capables de performances similaires, voire, dans certains cas, supérieures. Si quelqu’un avait pris la décision d’observer l’aile gauche de la navette avec l’une ou l’autre de ces optiques, il aurait découvert un trou béant large de 30 centimètres.

Serge Brunier. Impasse de l’espace. Seuil 2006

Lorsqu’elles avaient déjà volé plusieurs fois, les caractéristiques du bord d’attaque des ailes, en fibre de carbone, changeaient : il était fragilisé. Les trois navettes qui restaient, Discovery, Endeavour, Atlantis, avaient toutes un problème de vieillissement.

Jean-Yves Legall

L’accident de Columbia en 2003 a achevé de confirmer que le programme des navettes n’était ni viable économiquement, – même réutilisables, c’étaient les véhicules les plus coûteux de l’histoire en matière d’accès à l’espace -, ni fiable.

Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique

On a aussi retrouvé sur un débris une trace de peinture orange, témoin d’une éventuelle collision avec un autre objet…

La perte de "Columbia" compromet l'avenir des vols habités

14 02 2003  

Dominique de Villepin, ministre des Affaires Étrangères de la France, intervient à l’ONU sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’Irak. [le texte se trouve dans la rubrique discours de ce site]

15 02 2003 

Après 116 missions réussies en 15 ans contre seulement 3 échecs, Ariane IV tire sa révérence en lançant le satellite Intelsat-907.

16 02 2003   

Des millions de personnes dans le monde descendent dans la rue pour dire non à la guerre de G.W. Bush en Irak, et du coup, la position de la France qui se retrouvait plutôt isolée dans le front du refus aux cotés de l’Allemagne et de la Belgique, reprend de la vigueur et Dominique de Villepin se fait applaudir au Conseil de Sécurité de l’ONU. Enfin quelques jours au moins de sale temps pour les faucons, au credo borné : Le mode de vie des Américains n’est pas négociable !

17 02 2003  

Airbus Industrie procède à l’assemblage de la plus grande charpente métallique au monde, pour couvrir le hangar Star où sera assemblé l’A-380 : 490 m de long, 250 m de large, 8 000 t de charpente hissés à 46 m de hauteur, un poids total de 32 000 tonnes, près de 5 fois celui de la Tour Eiffel. Une nouvelle route à grand gabarit sera construite pour le transport des éléments qui arriveront des autres pays constructeurs à Bordeaux, ainsi qu’un métro, un nouveau pont sur la Garonne. Financièrement, le point d’équilibre pour l’A 380 se situe à un niveau de commandes de 250 avions ; en février 2003, il y en a déjà 103 commandés.

La version de base permet de transporter 555 passagers. Des versions futures pourront être pourvues de 800 sièges. Pour une autonomie de 15 000 km, il emportera 310 000 litres de kérosène à une vitesse de Mach 0.89 ; ramené aux 100 km par passager, la consommation est alors de 3 litres aux 100 par passager… tout à fait comparable aux meilleurs moteurs automobiles. Le tout est assemblé à Toulouse, mais en provenance de l’Europe entière : Finlande, Espagne, Allemagne, France, faisant appel à encore plus de sous-traitants : EADS, Eurocopter, BAE Systems, Latécoère, Spekon, Lhotellier, Composite Technology Research , en Malaisie, KAI, en Corée, Hawker de Havilland, en Australie, Shin Maywa, au Japon…

On peut dire que Concorde aura été le triomphe des ingénieurs, bien boostés par la mégalomanie de de Gaulle et l’A 380, celui des commerciaux, tant le premier s’est avéré incapable de résister au premier coup venu du dehors, le premier choc pétrolier – tout comme le paquebot France -, avec certes des bâtons américains dans les roues, mais sans concurrence, et tant le second semble à même de tenir le coup face à d’autres chocs, tout aussi redoutables : dévaluation constante du $ par rapport à l’€, une concurrence américaine de Boeing avec son Dreamliner etc … aux caractéristiques cependant très différentes, selon les modèles :

Boeing Dreamliner Hauteur : 17 mètres. Longueur : 55.4 mètres. Masse à vide : 78. Masse maximum au décollage : 165. Nombre de passagers : 100. Vitesse de croisière : 0.85 mach. Altitude maximale de croisière : 13 100 mètres. Consommation de carburant en croisière : 20 t/h. Rayon d’action maximal :   13 620 km

Airbus A 380      Hauteur : 24 mètres. Longueur : 72.8 mètres. Masse à vide : 277. Masse maximum au décollage : 540. Nombre de passagers : 555. Vitesse de croisière : 0.85 mach. Altitude maximale de croisière : 13 100 mètres. Consommation de carburant en croisière : 12.5 t/h. Rayon d’action maximal : 14 800 km.

Sizing up the Boeing 787 Dreamliner and the Airbus A380 (With ...

Etihad Airways Boeing 787-9 Dreamliner Airbus A380-861 A6-… | Flickr

Mais, le 13 février 2019, Airbus, face à la minceur du carnet de commande des A 380, mettra fin au programme. Les dernières livraisons devraient avoir lieu en 2021.

24 02 2003  

Dans les années 1990, Michel Henriquet, vieux pape de l’équitation en France, d’un intégrisme farouche, a lancé l’idée de la réhabilitation des Écuries de Versailles. L’idée a fait son chemin, auréolée de curiosité intellectuelle, de goût pour la nouveauté – Versailles est un Établissement Public qui ne doit plus compter que sur lui-même – et, le 26 novembre 2001, les décisionnaires – ÉP de Versailles, le ministère de la Culture [Catherine Tasca] et les collectivités locales – ont rendu leur jugement : Grandes et Petites Écuries de Versailles iront à Bartabas. Après tout, Louis XIV n’a pas fait de Versailles une reconstitution historique, mais bien au contraire un lieu d’expression des artistes contemporains : Lully, Molière, La Fontaine… Gardons en donc l’esprit, non la lettre. Tollé dans le monde du cheval… piaffements et hennissements à n’en plus finir, les uns de plaisir, les autres de dépit ! Mais Bartabas est heureux, et il se met au travail : le premier spectacle sera donné dans un peu plus d’un an :

En moins d’un an, il confia à Patrick Bouchain, l’architecte du Théâtre équestre d’Aubervilliers, le soin d’édifier un manège en bois et de restaurer les écuries voûtées de Mansart pour y installer, dans de larges boxes réalisés en acier et en bois d’ipé, la trentaine de lusitaniens cremolos aux yeux bleus et au nez busqué. Après avoir épluché une centaine de candidatures venues du monde entier, il recruta dix élèves de niveau Saint-Georges, une reprise de dressage de niveau international. Neuf filles (dont une Russe, une Américaine, une Hawaiienne et une Finlandaise) et un seul garçon, tous âgés d’une vingtaine d’années. Il demanda au couturier belge Dries van Noten de leur dessiner un costume : pantalon gris, ceinture en soie rayée, vestes de lin vieilli aux couleurs automnales et aux manches brodées à l’indienne. Il obtint, de la maison Hermès, une sellerie en cuir clair. Il engagea des professeurs de danse (Larrio Eksson), d’art (Jean-Louis Sauvât), d’escrime (Claude Cariiez), d’ostéopathie équine (Do­minique Giniaux), de chant (Hélène Myara), désigna de célèbres parrains, champions de saut d’obstacles, toreros, anciens du Cadre noir…

Enfin, le spectacle d’ouverture fut présenté le 24 février 2003. Une double haie de flambeaux disposés dans l’axe de la place d’Armes et de la statue équestre de Louis XIV conduisit les invités, issus pour la plupart du monde du cheval, jusqu’au manège de la Grande Écurie. Même les écuyers du Cadre noir de Saumur, menés par le colonel de La Porte du Theil, avaient tenu à être présents. Leurs bottes cirées claquaient sur le vieux pavé. On découvrit d’abord la salle, inspirée du théâtre Farnèse à Parme : six cents places en gradins, loges et balcons montés comme d’éphémères échafaudages, face à un écrin de bois blond, chaud, que d’immenses miroirs légèrement inclinés vers la piste semblaient agrandir. Sur les murs, des esquisses de chevaux exécutées au fusain ou à la craie par Jean-Louis Sauvât, qui avait sculpté également deux hauts reliefs. Au sol, une tourbe ocre posée sur l’ancien pavage. Un parfum de pin naturel, une lumière dorée diffusée par les lustres de feuillages en verrerie de Murano, un mélange de simplicité absolue et de virtuosité baroque, un lieu très ancien et très moderne, une douce impression d’intemporalité.

Ce fut une nuit magique. Dans la première partie, Bartabas, tout de noir vêtu, en selle sur le Caravage, un lusitanien de six ans en cours de dressage, reçut, lue par des comédiens, la précieuse leçon des grands maîtres (La Guérinière, Baucher, L’Hotte, Beudant, Oliveira), pour mieux donner lui-même, sur des pièces de Couperin et de Forqueray, une magistrale démonstration de légèreté au passage et, en ombre chinoise, un piaffer arrière sur le bel Horizonte. Zingaro nous avait habitués à la géométrie circulaire, on le découvrait dans un espace frontal. On quittait le cirque pour le théâtre. C’était moins grandiose, plus intime. Dans la deuxième partie apparurent les élèves écuyers pour un carrousel tout en élégance rythmé par Bach et Charpentier qu’interprétaient les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. On vit alors Soulages, Goya, Farinelli, Neptuno, Maravilha, Gaudi, Gitan, Périodista, Rejoneo, Luz, Picasso, les lusitaniens nattés de Triptyk qu’il avait achetés chez l’écuyer et marchand de Lisbonne Luis Valença, danser avec la même allégresse au son de l’orgue que sous la baguette de Pierre Boulez.

On eût pu croire le Grand Siècle revenu si Bartabas n’y avait ajouté sa touche. Un contre-ténor noir, montant à cru un cheval de trait qui ratissait la piste avec méticulosité, chanta Purcell a cappella et annonça le tableau suivant : une ludique improvisation des lusitaniens en liberté qui cabotinèrent, se mirèrent dans les glaces, s’envoyèrent de gentilles croupades, se mordillèrent et se taquinèrent sur les notes allègres du Sacre du printemps, de Stravinski. Un moment de grâce absolue, et comme une morale à l’histoire de Versailles : car aucun traité d’écuyer, si génial fût-il, aucun exercice de haute école, même admirablement exécuté, aucun carrousel, fût-il chorégraphié à la perfection, ne saurait reproduire l’insolente, primitive et acrobatique beauté des chevaux nus livrés à eux-mêmes. Ce sont les seuls artistes à ignorer qu’ils font de l’art. Cette nuit-là, Bartabas n’a pas seulement réconcilié, sous un abri en bois brut, le XVII° et le XXI° siècle, les fastes du monarque et la solitude du poète, il a aussi rendu aux chevaux leurs quartiers de noblesse et leur éternelle sauvagerie.

Quelques semaines plus tard, je suis revenu assister, dans ce théâtre à l’italienne où l’on se sent chez soi, aux matinales des écuyers, ces séances de travail quotidien. Les robes crème des cremolos se confondaient avec la pâleur du bois. Les cavalières, aux visages de pages blonds, écoutaient leur professeur et se jugeaient plus durement encore dans les miroirs. Elles étaient appliquées dans leurs exercices d’échauffement, d’assouplissement. À la fois seules dans leurs efforts et unies dans le désir de perfection. C’était attendrissant comme une reprise à l’ancienne, dans un manège oublié du temps. À une différence près : là où les hommes paradaient, les femmes règnent, désormais, avec douceur et fermeté. Les chevaux, eux, avaient déjà gagné en amplitude, en rondeur, en précision. Ils étaient à bonne école.

Et je me disais, en quittant sans faire de bruit la Grande Écurie : ces danseurs à quatre jambes nés sous le soleil pour les airs de haute école que Louis XIV avait anoblis, la Révolution, répudiés, et les républiques, oubliés, c’est donc un nomade mal rasé, un bohémien de la banlieue qui a su les restituer, fringants et graciles, au château de Versailles, où l’équitation était jadis l’égale de l’opéra et du théâtre, et où elle pourrait aujourd’hui s’apparenter à une manière de métaphysique.

[…écrit sur l’air de Vous êtes bien belle, et je suis bien laid, de Victor Hugo] : J’avais une vie, Bartabas un destin. J’ai été consciencieux, il a été déraisonnable [sois déraisonnable, préconisait Franconi, mais ne fais rien que le cheval ne veuille. Oppose-toi à tes maîtres, mais pas à lui]. Je me suis protégé, il a pris des risques. J’ai écouté tout le monde, il n’a écouté que lui-même. J’ai pactisé avec mon époque, il l’a réfutée. Je m’encombre, il se décharge. J’ai muséifié mon passé, il a mis en scène son avenir. Après la mort de mon frère jumeau, j’ai établi que le temps m’était compté ; lui a toujours agi comme s’il était éternel et invincible. J’ai eu très tôt besoin de m’installer, il a su très vite que toujours il nomadiserait. Je me suis éloigné du spirituel, il va de plus en plus vers le sacré. J’ai cru que la vérité était dans les livres, il a choisis le geste contre la parole et l’image contre le texte. J’ai maintes fois rêvé de changer le monde, il n’a cessé de vouloir le recréer à sa manière. J’ai tardé à me réconcilier avec les chevaux, il les a, dès l’enfance, préférés aux hommes. Ils ont changé ma vie, ils ont fondé la sienne. J’ai aimé le théâtre comme un merveilleux divertissement, il a compris que c’était une des dernières grandes aventures humaines et qu’elle seule méritait, à une époque où le cinéma en 3D l’emporte pourtant sur la scène vivante, qu’on lui sacrifiât sa vie. Toute sa vie.

[…] Je guette aujourd’hui un nouveau spectacle de Bartabas comme, autrefois, j’espérais un film de Fellini : sans jamais savoir où il me conduira, ni sur quelles musiques, ni sur quels chevaux, ni dans quels décors, ni pour quelles raisons, mais ce sera, magnifique et bouleversante, la revanche tant attendue du rêve sur la vie, du subconscient sur le conscient, du beau sur le laid, de l’enfance retrouvée sur la vieillesse menaçante et, malgré l’assourdissante cacophonie des temps modernes, montant d’un puits obscur, la voix très pure de la lune.

Jérôme Garcin. Bartabas, roman. Feryane 2005. Gallimard 2004

Portrait of Bartabas 05/06/2022 ©Philippe Matsas/Leextra via opale.photo -- Les justificatifs des parutions concernant les photos telechargees apres le 1er Janvier 2022 sont a envoyer par courrier a l'agence opale.photo 18, rue des Quatre-Fils 75003 Paris ou par email a contact@opale.photo

26 02 2003  

Pierre Péan et Philippe Cohen publient La face cachée du Monde. Du contre-pouvoir aux abus de pouvoirs. Le tintamarre qui s’en suit dépasse largement le Café de Flore : cris de vertu outragée, anathèmes staliniennes… pour les uns, enfin ! ! ! pour les autres  : le pavé dans la marre. Un des défenses les plus fréquentes du Monde sera de dire : S’il n’est pas prouvé que cela soit vrai, c’est pour le moins vraisemblable : on voit que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis que Descartes affirmait haut et fort : ce qui n’est que vraisemblable doit être tenu pour faux. Ils ne sont cependant pas les premiers à ouvrir les yeux :

…Ceux qui se réclament de lui (Zola) (…) ont instauré un Tribunal de Salut public.  Ils n’en appellent pas au forum d’une décision inique rendue dans un prétoire, ils emplissent le forum du seul vacarme de l’accusation. Ils pratiquent la pénalisation du politique et non la politisation d’une affaire pénale. Quand ils croient se référer à l’époque du dreyfusisme, ils renouent avec la logique de la Terreur, et quand ils disent Zola, c’est Robespierre qu’il faut entendre.

Alain Finkielkraut. L’imparfait du présent. Gallimard Mai 2002

1 03 2003 

Ernesto Bertarelli, – qui a de l’argent à ne savoir qu’en faire -, son équipe internationale et ses immenses talents, remportent sur Alinghi, la plus prestigieuses compétition du monde : la Coupe America. Sur le plan médiatique, il y a bien longtemps qu’on n’avait vu pareil pied de nez : la petite Suisse, toute continentale, ne pouvant donner naissance qu’à des marins d’eau douce, qui vient faire la pige à toutes ces vieilles nations marines : l’Angleterre, les États-Unis, la Nouvelle Zélande… les vieux loups de mer vont tous manger leur casquette et Tabarly se retourner dans sa tombe.

Le tout nouveau «bijou» d'Alinghi a pris son envol sur...

Alinghi 5 entame son voyage en cargo - rts.ch - Voile

Alinghi 5

7 03 2003   

L’homme joue les apprenti-sorciers et il ne veut pas le voir : Il y a quinze mois, c’était une hypothèse. Face à la progression inquiétante du nombre de bébés garçons arrivés avec une malformation génitale dans son service d’endocrinologie pédiatrique, au CHU de Montpellier, face à l’apparition de pubertés de plus en plus précoces chez les filles, le professeur Charles Sultan mettait en cause les pesticides, soupçonnés de copier l’activité des hormones femelles – les œstrogènes – ou d’annihiler l’action des hormones mâles, les androgènes. L’équipe du CHU avait alors été frappée par la fréquence de ces anomalies dans le milieu agricole. Les rares études épidémiologiques engagées sur le sujet, comme l’observation du monde animal, l’hermaphrodisme des ours polaires ou la féminisation des panthères, allaient dans ce sens.

Depuis, des taux anormalement élevés de pesticides ont été retrouvés dans les couches de glace polaire, et de plus en plus d’animaux sont concernés : les grenouilles américaines, constatait en octobre, la revue Nature, qui dénonçait l’atrazine, un herbicide.

Depuis, surtout, l’équipe du professeur Sultan a engagé avec le soutien  de l’Europe une étude épidémiologique sur le sujet : 2 043 naissances ont été suivies en 2002 à la maternité montpelliéraine Clémentville, dont la moitié (1 033) de garçons. Vingt cinq ont une malformation : 4 micropénis (verge courte), 12 cryptorchidies (testicules non descendus), 7 hypospadias (l’orifice de l’urètre n’est pas au niveau du gland), 2 pseudo-hermaphrodismes

Bilan : Il existe une augmentation de la prévalence des malformations génitales du garçon. Les taux sont dix fois supérieurs aux données habituelles, cent fois plus pour le pseudo-hermaphrodisme. C’est énorme, s’inquiète le professeur Sultan, d’autant que l’étude a été menée dans une maternité qui n’accueille pas de grossesse à risques.

Autre constat : parmi ces 25 enfants, 8  d’entre eux (32 %) avaient un parent exposé aux pesticides. Dans un échantillon témoin de 50 enfants normaux tiré parallèlement au sort, seulement 4 avaient des géniteurs exposés. Un enfant d’agriculteur a quatre fois plus de risques d’avoir une malformation génitale conclut le professeur Sultan. Des analyses plus poussées sur le pseudo-hermaphrodisme montrent une activité biologique anormalement élevée des œstrogènes. L’étude vient d’être présentée à Copenhague. Pour la première fois, on dispose de données de prévalence vraies, souligne le professeur Sultan, encouragé par un début de prise de conscience, même si un certain nombre d’autorités minorent le problème, si les responsables de santé publique n’ont pas conscience de l’ampleur du phénomène : les grandes revues de pédiatrie s’intéressent au sujet. Les pesticides auraient aussi une incidence sur la croissance, le développement neurologique… C’est un problème de société, un cri lancé pour susciter une prise de conscience. On balance 22 produits chimiques sur les pêches  du Gard, 15 000 tonnes de pesticides sont stockées en France. Il faudrait déclarer un moratoire sur leur utilisation.

En attendant, Charles Sultan s’apprête à lancer une nouvelle étude sur la puberté précoce. Pour lui, pas de doute, les pesticides sont en cause. À l’automne,  son service a reçu une petite d’un mois, avec les seins d’une gamine de 12 ans. Il y a deux ans deux tonnes d’arsenic étaient découvertes sur le site, ancien entrepôt d’insecticides de Metaleurop dans les années 60. Le propriétaire a porté plainte pour empoisonnement et tentative d’empoisonnement. L’affaire s’est soldée par un non lieu… un appel est en cours.

Sophie Guiraud. Le Midi Libre. 7 Mars 2003.

Pourquoi les Montpelliérains sont-ils l’équipe de référence en France sur la question, alors que d’autres régions sont plus sensibles, la Bretagne, par exemple ? Les interlocuteurs de Charles Sultan posent parfois insidieusement la question. D’abord parce que, exceptionnellement, le service associe recherche clinique (Charles Sultan, Claire Jeandel) et génétique (Unité Inserm 439 de Françoise Paris). Ensuite parce que le professeur Sultan a acquis une notoriété internationale, invité exceptionnel d’une revue spécialisée américaine fin 2002 ou, en 2001, prix de la recherche de la société européenne d’endocrinologie pédiatrique.

Dans un ordre d’idée identique mais concernant un domaine d’investigation plus vaste, la journaliste free-lance Stéphane Horel publiera en 2015 Intoxication. Perturbateurs endocriniens, lobbyistes et eurocrates, une bataille d’influence contre la santé. La Découverte. Découverts en 1991, les perturbateurs endocriniens  sont présents dans le quotidien de chacun, soit sous forme d’aliments soit dans la composition chimique de l’emballage de l’aliment… autant de perturbateurs qui agissent sur la vie de l’embryon, venant perturber la mise en place des différenciations sexuelles -, la testostérone par exemple – le résultat le plus remarquable et probablement le plus grave étant la diminution par deux en l’espace de quarante ans de la stérilité masculine. Bien entendu ils agissent aussi sur les enfants et les adultes : les cancers les plus fréquents chez les garçons dans la tranche d’âge 18-25 ans sont les cancers des testicules.  Paracelse disait que c’est la quantité qui différencie le remède du poison ; dans le cas des perturbateurs endocriniens, ce n’est pas leur quantité qui fait leur toxicité, mais la plage de temps d’efficacité : s’ils se présentent avant ou après la formation par exemple de la testostérone, ils resteront neutres ; s’ils se présentent au bon moment : ils font un malheur.

Stéphane Horel trace l’histoire de la réglementation  politique mise en place par la Commission Européenne pour lutter contre ces perturbateurs endocriniens ; c’est en quelque sorte l’histoire du lobbyisme, qui remet en service les vieilles recettes des industriels du tabac et qui ne sont finalement que l’application du vieux dicton de Voltaire : mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ! Et les eurocrates de se laisser embobiner, ou plutôt corrompre, avec un sens du bien commun entièrement volatilisé, et donc inopérant face aux pressions des industriels de la chimie.

14 03 2003 

En Allemagne Gehrard Schroeder a commencé un second mandat à la chancellerie le 22 octobre 2002. La situation était franchement mauvaise : 4 millions de chômeurs, une croissance économique au point mort, un État qui s’alourdit tous les jours du poids des dépenses sociales. Sa première grande décision est de fusionner le ministère fédéral de l’Économie avec celui du Travail pour créer un super-ministère sous la direction de Wolfgang Clément. Ce nouveau mandat, placé sous le signe de la morosité économique est celui de la mise en œuvre de l’agenda 2010, une série de réformes destinées à réduire les dépenses de l’État providence, notamment en fusionnant les allocations sociales avec celles du chômage, comme le préconisait la commission de réforme présidée par Peter Hartz.

Il présente au Bundestag, le 14 mars 2003, un programme de réformes connu sous le nom d’agenda 2010 visant à restaurer la compétitivité de l’économie allemande grâce à une libéralisation du marché du travail, une baisse des prestations sociales et une réforme des retraites. L’agenda 2010 provoquera une levée de boucliers dans la gauche social-démocrate et dans les syndicats allemands, qui obtiendront quelques assouplissements, sans pour autant empêcher la mise en œuvre des principales mesures. L’agenda 2010 comprend essentiellement deux grandes catégories de mesures : les lois dites Hartz sur le marché du travail et une réforme des prestations sociales. Gerhard Schröder a confié la présidence de la commission chargée de la modernisation du capitalisme rhénan à son ami Peter Hartz, directeur des relations sociales de Volkswagen, qu’il a connu quand lui-même était ministre-président de Basse-Saxe – le siège de Volkswagen est à Wolfsburg -.

Peter Hartz donnera son nom à quatre lois.

La première oblige les chômeurs à accepter un emploi, y compris si le salaire est inférieur à l’indemnité-chômage.

La deuxième crée les mini-jobs à moins de 400 € mensuels, avec exonération des charges et facilite les Ich-AG, c’est-à-dire la création d’entreprises individuelles par les chômeurs.

La troisième limite à un an le versement des allocations chômage pour les travailleurs âgés et durcit les conditions d’attribution (un emploi d’un an au cours des deux dernières années). Elle prévoit également la fusion de l’agence pour l’emploi et du service des allocations-chômage dans le but de mieux accompagner les demandeurs d’emploi dans leur recherche d’une place.

La quatrième, celle qui donnera lieu aux critiques les plus nombreuses, fusionne les allocations-chômage de longue durée avec l’aide sociale, pour un montant de 345 € par mois, au lieu de l’indemnité qui représentait 57 % du dernier salaire. À cela s’ajoutent les aides au logement mais l’allocation peut être réduite si le conjoint travaille ou si le ménage dispose d’un patrimoine supérieur à 13 000 €. Un complément de moins de 3 € par jour est prévu par enfant à charge.

La loi Hartz IV sera contestée par le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe. L’obligation faite au gouvernement de réévaluer le complément enfant a donné lieu à un vif débat au sein de la démocratie chrétienne entre les modernes, prêts à revaloriser les aides, et les conservateurs, partisans d’offrir des prestations en nature (sport, musique, etc…) afin, disaient ces derniers, que les familles pauvres ne soient pas tentées de gaspiller les allocations.

L’autre volet de l’agenda 2010 a trait à la réforme des retraites. Les cotisations sont augmentées, ainsi que l’âge minimal pour la liquidation de la retraite des chômeurs. L’âge légal passe de 63 à 65 ans et sera prolongé jusqu’à 67 en 2017. Les avantages fiscaux dont bénéficiaient les retraités seront progressivement réduits. Déjà en 2000, le gouvernement composé de sociaux-démocrates et de Verts avait institué une retraite complémentaire par capitalisation, dite retraite Riester, du nom du ministre du travail de l’époque, un ancien dirigeant syndical.

Enfin, l’agenda 2010 prévoit une augmentation des cotisations de l’assurance-maladie, une baisse des prestations et l’instauration pour les assurés sociaux d’une taxe fixe de 10 € par trimestre, qui sera augmentée par la coalition entre Angela Merkel et les libéraux en 2009.

Au cours de la campagne électorale de 2005, les sociaux-démocrates s’opposeront à une hausse de la TVA défendue par les chrétiens-démocrates. Après la formation de la grande coalition, sous la direction d’Angela Merkel, la TVA sera été augmentée de 3 points (de 16 % à 19 %), deux tiers des recettes supplémentaires étant destinés à réduire le déficit public et un tiers à compenser une baisse des charges sociales, tant patronales que salariales.

Cette profonde refonte du système social allemand s’est accompagnée, du temps du chancelier Schröder, d’une baisse des impôts sur le revenu, par abaissement des taux. Elle a été remise en cause sous la grande coalition qui a donné la priorité à la réduction du déficit, comme l’actuel gouvernement Merkel, alors que les libéraux militaient pour de nouvelles réductions fiscales.

Daniel Vernet

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[1] Étant donné la puissance de l’omerta qui règne sur la face noire de cette manifestation, il est d’emblée exclu qu’un documentaire soit un jour réalisé sur les heures qui suivent la fin d’une étape, avant que ne soit passé le service de nettoiement : c’est une ahurissante poubelle, chaque spectateur se disant : puisqu’ils vont le faire dans les heures qui viennent, pourquoi me comporterais-je comme un citoyen et non comme un consommateur ? Évidemment, les canettes et autres emballages jetés par les coureurs ne représentent quasiment rien dans cette masse. Comme si, en ville, chaque habitant jetait tout et n’importe quoi par terre sous prétexte que cela sera ramassé un jour !

[2] Babur a traversé Bâmiyân au cour de son voyage, mais, même s’il ne peut pas avoir manqué les bouddhas, il ne les mentionne jamais. Il ne s’intéressait pas du tout, semble-t-il au passé préislamique. Ce manque d’intérêt reflète peut-être l’opposition islamique aux idoles païennes. Au XIX° siècle, les habitants de la région n’avaient apparemment aucune idée de ce que les statues représentaient, et il a fallu l’étude de chroniques chinoises et de statues apparentées pour qu’une équipe anglaise établisse qu’il s’agissait de bouddhas.

Rory Stewart

[3] Il tâtera tout de même un peu de la prison, aura le même avocat que Mimi Marchand, grande maîtresse de la presse people, trafiquante occasionnelle de drogue etc… Avec son futur beau-père Bernard Arnault, 4° fortune mondiale en 2020, ils formeront le trio qui mettra Emmanuel Macron sur orbite pour atteindre l’Elysée en 2017.