3 décembre 2013 au 1° mars 2014. Des géants s’en vont. Femmes de Syrie. Cœur Carmat. La réduction numérique. Place Maïdan. La NSA. 15827
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Publié par (l.peltier) le 17 août 2008 En savoir plus

3 12 2013 

La société américaine Space Exploration Technologies (SpaceX), réussit, après deux tentatives infructueuses le lancement de son premier satellite de télécommunications à bord de la version améliorée de sa fusée Falcon 9, depuis la base de l’US Air Force à Cap Canaveral. En réussissant ce lancement, SpaceX entend faire son entrée sur le marché de la mise sur orbite des satellites commerciaux, évalué à 190 milliards de dollars, où il pourrait jouer le trouble-fête avec ses prix très concurrentiels. SES, deuxième opérateur mondial de satellites, avait conclu ce premier contrat de lancement avec Space X en 2011, suivi en 2012 par un second contrat prévoyant la mise sur orbite de trois autres satellites. Le groupe luxembourgeois avait jusqu’à présent recouru exclusivement aux services des fusées européenne Ariane et russe Proton beaucoup plus chères que les 55 millions de dollars facturés par Space X, selon Martin Halliwell, directeur technologique du groupe SES. Space X dispose d’un carnet de commande de quatre milliards de dollars, dont 75 % des lancements prévus pour le compte de clients commerciaux. Le satellite SES-8 de 2,9 tonnes doit être placé sur orbite géostationnaire à 36.000 kilomètres d’altitude. Il fournira des services de télévision, de câble et de bande passante notamment en Chine, au Vietnam et en Inde. En réussissant ce tir, Space X espère également se placer sur le marché du lancement des satellites militaires et pour le compte des services du renseignement aux États-Unis largement dominé par United Launch Alliance, un partenariat entre Boeing et Lockheed Martin. La version non modernisée du Falcon 9 a déjà lancé à trois reprises avec succès la capsule Dragon de Space X vers la Station spatiale internationale (ISS). Dragon a été le premier vaisseau privé à s’amarrer à l’avant-poste orbital dans le cadre d’un contrat de 1,6 milliard de dollars avec la NASA prévoyant douze missions d’acheminement de fret à l’ISS.

5 12 2013  

Nelson Rolihlahla Mandela – Nelson était un nom donné par son institutrice quand il avait 9 ans -, s’en va. Quarante chefs d’État viendront lui rendre un dernier hommage. Un géant du XX° siècle, né au sein du clan royal des Thembu, de l’ethnie xhosa, il  avait été prénommé Rolihlahla par son père : Celui par qui les problèmes arrivent. Tout au long de ses longues années de détention, il s’était très profondément persuadé que la poursuite de l’apartheid, inversé, était une impasse, que l’oppression de l’ancien oppresseur ferait des anciennes victimes de nouveaux otages.

Le pardon libère l’âme, il fait disparaître la peur. C’est pourquoi le pardon est une arme si puissante.

Au jury du prix Nobel qui lui remettait le prix Nobel de la Paix, en 1993

As I walked out the door towards the gate that would lead to my freedom ...

9 12 2013 

Razan Zaitouneh, est enlevée à Douma, dans la Goutha orientale, tenue par l’opposition à Bachar el Assad ; on ne sait pas si l’enlèvement est le fait d’une faction de cette opposition ou des commandos de Bachar el Assad. À plusieurs reprises, on lui avait proposé de se réfugier à l’étranger : elle avait toujours refusé, s’en tenant à son serment initial : je ne quitterai jamais mon pays. Du haut de ses 36 ans, dans un pays où, le plus souvent la femme est la servante soumise de l’homme, elle est une des rares personnes à parler avec toutes les factions de l’opposition ; partout elle est estimée, respectée, parfois crainte. Elle a acquis cette stature par un travail titanesque de recueil d’informations sur les exactions commises depuis le début du conflit, par une aide au quotidien envers les innombrables victimes de cet enfer. Quand Eric Chevallier, ambassadeur de France – il ne sait pas lui dire non – lui apporte une tonne de médicaments, elle ne dit pas merci mais : C’est bien. Mais ce n’est pas assez. La première, elle a porté à la connaissance à l’international de l’utilisation par Bachar el Assad de gaz sarin, le 21 août de la même année dans la banlieue de Damas, qui ont fait près de 1 500 morts. Elle se désespère de l’impuissance des groupes de l’opposition à s’unir. Les cimetières sont peuplés de gens irremplaçables, dit-on. Si, irremplaçable, Razan l’est. Parlons d’elle au présent tant que l’on n’a pas de preuves de sa mort. Elle serait en terre chrétienne, italienne, que les foules seraient dans la rue à crier : Santo, subito… Mais en terre majoritairement musulmane, y-a-t-il des mots pour dire cela, et s’il y en a, y-a-t-il des hommes et des femmes pour leur donner chair en les prononçant ? En Afrique Noire, elle serait Géante. Ce n’est peut-être pas un hasard si sa disparition est quasiment simultanée de celle de Mandela : elle entre en détention quand lui entre dans l’éternité. Passage de relais ….

Entführung von Razan Zaitouneh: „Deutschland muss Druck ...

Razan Zaitouneh, née en 1977

En Syrie, les femmes résistantes se passent le flambeau. Samar Yazbek prendra le relais de Razan Zaitouneh : Elle brûle, Samar Yazbek. Et le feu qui, à la fois, la consume et l’anime, vous captive, vous atteint. Elle brûle des souvenirs atroces rapportés de Syrie, son pays tant chéri, aujourd’hui moribond.

Elle brûle de colère, d’indignation, d’écœurement. Et de fatigue aussi. Les larmes affleurent fréquemment, et elle s’agace quand il arrive qu’un sanglot mal contenu interrompe ses phrases saccadées. Elle s’en excuse. Et reprend d’une voix forte, cherchant des mots qui claquent, des mots de journaliste qui cernent la vérité, des mots de romancière qui savent la faire vibrer, agacée qu’ils ne coulent pas aussi facilement en français qu’en arabe, sa langue natale, alors que des torrents d’images, d’histoires rugissent dans sa tête, qu’elle voudrait partager. Comment faire ? Elle sait que les gens détournent désormais la tête quand on évoque la Syrie, trop complexe et si déprimante. Mais quand même, dit-elle, ce qui s’y est passé depuis 2011 et les débuts d’une révolution qui se voulait pacifique est si dantesque qu’on n’a pas le droit de le laisser sombrer dans un de ces trous noirs de l’histoire qu’on renonce à comprendre et expliquer. Pas le droit ! répète elle d’une voix brune  probablement acquise au fil de ses nuits blanches en fumant clope sur clope devant l’ordinateur qui la relie, depuis Paris, lieu de son exil, à ses frères et sœurs syriens. Il ne faut pas laisser se dissoudre la mémoire des événements survenus depuis les premières manifestations de mars 2011 pour demander plus de démocratie. La mémoire de ce qui fut vécu par les Syriens ébahis, piégés à la fois par un régime dictatorial et le fanatisme religieux. La mémoire de leur lutte, au quotidien, pour résister, survivre sous les bombes, s’organiser sous les décombres, rechercher les cadavres sous la mitraille en continuant d’éduquer les enfants dans les caves et en militant pour la vie. Il s’est passé tant de choses, dit-elle, magnifiques et cruelles, qu’il faut arracher à l’oubli. Et il y a tant d’autres éléments à montrer des Syriens que cette image de victimes fracassées, minées par l’amertume. Ils se sont battus. Ils ont agi. Ils ont espéré. Et la cause était noble. Il faut leur rendre justice. Dire la vérité ! Vite, avant que nous ne sombrions dans une amnésie collective. J’ai si peur que nous perdions tous la mémoire ! C’est son obsession. Depuis son départ de Syrie, en 2011, et son arrivée à Paris, la poétesse, romancière, journaliste n’a cessé de témoigner. Ses livres sont un apport inestimable à qui veut comprendre la descente aux enfers des Syriens. Dans Feux croisés (Buchet Chastel, 2012), elle tenait un journal fiévreux des trois premiers mois du soulèvement auquel elle a participé, à Damas, avant d’être arrêtée, interrogée par les services secrets, emmenée dans une prison afin qu’elle voie les tortures infligées aux contestataires et rentre ainsi dans le rang. C’était mal connaître cette femme téméraire qui, à 16 ans, avait déjà quitté sa famille bourgeoise alaouite pour vivre seule et élever sa fille, et qui avait acquis depuis une belle notoriété. Elle n’était pas du genre à se désolidariser du mouvement, mais plutôt à raconter son expérience. Dans Les Portes du néant (Stock, 2016), elle évoquait ses trois incursions clandestines, en 2012 et 2013, dans une Syrie désormais en guerre, en se faufilant sous les barbelés turcs, pour aider les femmes syriennes à travers une association qu’elle venait juste de créer, Women Now for Development, et collecter un maximum d’histoires auprès d’activistes, de combattants, de citoyens. Elle voulait tout enregistrer et prenait des notes sans relâche, angoissée d’avoir en face d’elle les futurs martyrs d’un pays défunt. Il lui a été impossible, depuis, de retraverser la frontière, mais sa tâche de scribe est devenue sa façon de résister. Mieux : elle est sortie de l’urgence sauvage qui la guidait jusqu’alors pour amorcer, sciemment, une sorte de grand œuvre : consigner la mémoire du conflit syrien. Rien de moins. Dans ses mots : raconter, par les femmes, la vraie histoire de la Syrie. La précision est d’importance : par les femmes ; mais elle ne rétrécit en aucun cas l’ambition de l’écrivaine. Au contraire, se récrit elle, il n’y a que les Syriennes à avoir la capacité – et le courage – de dire la vérité ! La vérité sur la dictature de Bachar Al Assad, ses violences et les viols commis dans ses geôles. Sur les groupes rebelles et djihadistes, leur radicalisation graduée, leurs rivalités devenues guerres, leurs trahisons. Sur l’organisation État islamique, bien sûr, et ses ignominies terrifiantes. Enfin, sur ce régime patriarcal ancestral qui a toujours fait des femmes des êtres mineurs pour mieux les enfermer, et dont les valeurs les plus machistes, les plus conservatrices, ont été importées dans la révolution par nos camarades hommes, ceux-là mêmes qui se disaient laïcs, démocrates et modernes ! Oui, insiste elle, les femmes ont affronté un monstre à têtes multiples. Elles sont entrées dans la révolution en rêvant d’une nouvelle société qui prônerait l’égalité hommes femmes. Et elles se retrouvent deux cents ans en arrière. Elles ont été piégées, cernées, assiégées. Les hommes, bien sûr, ne raconteront pas ça. La parole des femmes est donc la seule qui permette d’approcher la vérité. Alors, Samar Yazbek, 49 ans, a décidé de les faire témoigner. Longuement. Méthodiquement. Mais en liberté. Dans leur style et leur langage. Dans la diversité de leurs âges, confessions, histoires, niveaux d’éducation, classes sociales, origines géographiques et destins bouleversés par la guerre. Un travail de titan, étendu sur plusieurs livres, planifié sur des années. Jusqu’à ma mort je ferai ça ! La phrase est lancée sur le ton du défi.

J’alternerai romans et travail de mémoire. Mais je n’arrêterai plus d’interroger les femmes. C’est mon devoir d’intellectuelle et mon dû envers les morts. Voilà le sens du reste de ma vie : aider à comprendre la tragédie syrienne, contrer le récit qui s’emploie à justifier les crimes commis, raconter la juste révolution dont on nous a privées. Elle parle vite, vite, vite. Quand elle bute sur un mot, exaspérée, elle se tourne vers son amie traductrice et embraye sur l’arabe, un ton plus élevé. Mais elle ne lui laisse guère le temps de tout traduire. Elle la coupe. D’autres mots jaillissent en français qui, pense elle, affineront son propos. Voyez, je suis stressée, toujours à chercher mon souffle. Je travaille nuit et jour en lien avec mon pays. Peut-être mourrai je d’un coup ? Plusieurs de mes amies en exil sont parties brusquement, arrêt cardiaque ou dépression. Il ne faut pas. J’ai du boulot et je dois absolument survivre à la dictature. Elle esquisse un sourire. Vous savez, depuis l’âge de 7 ans je rêve de changer le monde grâce au pouvoir des mots. Je continue d’y croire. Mais je n’étais pas destinée à écrire toujours sur la mort… Avant donc un prochain livre consacré aux Syriennes des classes les plus vulnérables réfugiées dans des camps, un autre sur les femmes kurdes, un autre encore sur les femmes opposées depuis le premier jour à la révolution par certitude que le régime en place n’en ferait qu’une bouchée, Samar Yazbek publie cet automne [2019] le premier ouvrage de ce vaste projet, sobrement intitulé 19 femmes (Stock, 300 pages, 25,50 euros). Dix-neuf récits à la première personne derrière laquelle l’écrivaine s’efface, se refusant à utiliser sa patte de romancière afin de mieux garantir l’authenticité des propos. Dix-neuf histoires recueillies dans les pays d’exil de ces femmes (France, Allemagne, Liban…), à l’exception de deux, enregistrées par Skype depuis la Syrie. Et c’est un monument, on pèse le mot.

Elles ont entre 20 et 77 ans, habitaient à Damas et la Ghouta, Idlib et sa campagne, Alep, Homs, Deir ez-Zor, Hama, Rakka, et elles ont en commun d’être issues de la classe moyenne, éduquées. Toutes se sont soulevées contre le régime syrien. Et toutes ont déchanté, contraintes, sous le feu des snipers, les bombardements d’armes chimiques ou les barils d’explosifs largués par les hélicoptères, d’entrer également en lutte contre leur propre camp, celui de la révolution, et devoir défendre leurs droits les plus fondamentaux. Une déchirure terrible pour ces résistantes prises en étau entre les différents dangers, réduites à n’être que des corps, et fréquemment prises en otage, tantôt par le régime, tantôt par les groupes armés de l’opposition, telle une marchandise sur laquelle se jouent des questions d’honneur. Une marchandise que le califat a jetée encore plus bas que terre. Pourtant, quel courage et quelle force de vie ! On est glacé, on est bluffé, à l’instar de l’écrivaine qui nous les cite pêlemêle, Sara, Dima, Zayd, Mouna, Zaina… Elles filment, écrivent, documentent le conflit ; elles se forment comme infirmières urgentistes et travaillent nuit et jour dans les cliniques et les dispensaires ; elles ouvrent des ateliers, improvisent dans des sous-sols des centres d’enseignement et d’aide psychologique pour les enfants ; et toujours, toujours, subissent l’opprobre, la critique, l’humiliation puis la diffamation de leurs compagnons, jaloux qu’elles prennent trop d’importance. Elles font du renseignement, deviennent ambulancières, se chargent de l’aide alimentaire, construisent des fours à pain quand menace la famine, mais se voient rackettées par des combattants qui préfèrent acheter des armes, exigent qu’elles se voilent et ne frayent avec aucun homme sous peine d’être dénoncées à leurs pères comme femmes de mauvaise vie. Elles ramassent les cadavres après les bombardements ; il en est même qui tentent désespérément de recoudre des membres éparpillés avant de les présenter aux familles, mais, après le bombardement à l’arme chimique, des hommes laissent mourir des femmes contaminées au motif que retirer leurs vêtements est haram – interdit-. D’ailleurs, la règle s’imposera peu à peu : les médecins hommes ne soigneront plus les femmes, fussent-elles gravement blessées, fussent-elles en danger de mort. Quand arrive l’organisation État islamique, et son délire totalitaire, l’obsession des femmes est alors à son comble : elles sont fouettées publiquement, emprisonnées, torturées pour une abaya non réglementaire, l’absence d’un gant noir, une chaussure à talon ou un peu trop sonore. La femme qui marche en faisant du bruit suscite le trouble chez l’homme. La femme n’est plus rien. Quelle gifle quand on sait ce que leur doit la résistance.

Nous nous sommes soulevées pour la vie et c’est la mort que nous récoltons, disait Sara. L’écrivaine, au fond, est la 20° femme du livre. Héroïne, bien sûr. Au même titre que les autres. Elle continue sans relâche son travail de greffière. Et son association qui réunit maintenant un réseau de 11 000 femmes organise des passerelles fécondes entre celles qui sont restées en Syrie et les exilées. Les femmes, c’est indéniable, cherchent toujours les clés pour maintenir ou construire la vie. En dépit des hommes. En rusant avec eux. Quelle triste conclusion. Au plus profond de la guerre, elles pensaient à nourrir, éduquer, alphabétiser et même donner des cours de démocratie. Je sais, c’est incroyable. Alors on a perdu, c’est vrai. Mais quand on les écoute, on en ressort tout de même plein d’espoir. Samar Yazbek a redonné leurs voix aux résistantes syriennes. Et fait un livre pour l’histoire.

annick cojean. Le Monde du 23 10 2019

Samar Yazbek — Wikipédia

Samar Yasbek, née en 1970

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Waad al-Kateab, née en 1991, réalisatrice du film documentaire Pour Sama sur Alep sous les bombes de Bachar el Assad et de Poutine, de 2011 à 2016.

InternationalFéminin on Twitter: "Must see sur @ARTEfr « si la femme réussie, la famille va bien, le pays prospère » la nouvelle maire de #Raqqa Leila Mustafa, 30 ans, femme #kurde, laïque

Leïla Mustapha, kurde syrienne, maire de Rakka, après la défaite de Daech.

Her Dream of Becoming a Doctor Turned Into a Nightmare ...

Amani Ballour, pédiatre, directrice d’un hôpital sous-terrain dans la Ghouta orientale, au cœur du documentaire The cave de Feras Fayyad, nommé aux Oscars 2020

La prison centrale de la ville d’Alep (Syrie).

La prison centrale d’Alep -Syrie-.

C’est un crime silencieux. Un crime massif, fondé sur l’un des tabous les mieux ancrés dans la société traditionnelle syrienne. Un crime perpétré depuis les premiers mois de la révolution, au printemps 2011, et qui se perpétue dans les nombreux centres de détention gérés par le régime de Bachar Al-Assad : le viol, une arme de guerre. 

[…] Un film, Syrie, le cri étouffé, réalisé par Manon Loizeau et coécrit avec Annick Cojean, avec l’aide de Souad Wheidi, donne la parole à ces femmes doublement victimes : du régime, donc, mais aussi de leurs propres familles, prêtes à les bannir, voire à les tuer, lorsqu’elles sortent de détention. La culture et la tradition patriarcales sont implacables : le viol déshonore l’ensemble de la famille, voire le clan, le quartier, toute une communauté. L’injustice est ainsi à son comble : la femme est coupable d’être victime, ou supposée victime, puisque la simple détention dans un centre de renseignement équivaut aujourd’hui à une présomption de viol.

Crimes d’honneur et suicides d’ex-détenues sont fréquents. Plusieurs de nos interlocutrices ont attenté à leurs jours. Les principales ONG, qui peinent à recueillir des informations sur ce sujet, estiment que c’est l’une des principales raisons qui poussent les familles syriennes sur les routes de l’exil. Hasna Al-Hariri, 54 ans, est l’une des très rares femmes prêtes à témoigner ouvertement. De quoi pourrais-je désormais avoir peur, puisque j’ai tout perdu ?  dit-elle.

Le Monde l’avait rencontrée en 2016 en Jordanie, tout près de la frontière syrienne et de la région de Deraa, où elle habitait avant la révolution avec ses dix enfants, ses beaux-parents âgés et trois petits-enfants. Elle s’y trouve encore, meurtrie à jamais par l’assassinat de trois de ses fils, de son mari, de quatre beaux-frères et de quatre gendres, et par les violences qu’elle a subies en détention. Mais combative, respectée et entourée, en tant que mère de martyrs, par de jeunes rebelles exilés, obsédée par la nécessité de traduire Bachar Al-Assad devant une juridiction internationale. Nous l’avons jointe par Skype, samedi 2 décembre, peu après son retour de la conférence de Riyad (Arabie saoudite) réunissant les différentes plates-formes de l’opposition syrienne, à laquelle elle assistait en indépendante. Voici ce qu’elle nous a dit.

Témoignage. C’est après la défection de l’un de mes fils, soldat dans l’armée syrienne, que ma vie a basculé et que toute la famille est officiellement devenue ennemie du régime. Il avait servi pendant onze ans, mais l’ordre de faire feu sur n’importe quel supposé révolutionnaire, fût-il pacifique, lui a été insupportable, et il a déserté le 20 avril 2011. Trois jours plus tard, notre maison, située dans un village de la région de Deraa, était investie par les militaires, fouillée, pillée, puis perquisitionnée à nouveau tous les deux jours, jusqu’à ce qu’un tir de lance-roquettes, le 10 mai, la détruise presque entièrement. Le 15 mai, un autre de mes fils, rebelle, qui était soigné dans un hôpital de Deraa, a été assassiné par des soldats du régime qui ont pris d’assaut le bâtiment et ont tué 65 hommes figurant parmi les blessés, cinq d’entre eux, réputés déserteurs, étant enterrés vivants.

J’ai ramené le corps de mon fils au village et me suis employée, dès lors, à chercher nourriture et médicaments pour ma famille, mais aussi pour les rebelles. Oui, bien sûr que je voulais les aider. Ils réclamaient le droit de s’exprimer, mais ne voulaient pas la guerre ! Comme j’étais surveillée et suivie, j’ai été arrêtée une première fois le 14 juin 2011, détenue d’abord dans une base des services secrets de Deraa, puis transférée à Damas, au centre 215 de la sécurité militaire. Celui qu’on appelle le centre de la mort, parce qu’il y meurt quotidiennement, sous la torture, un grand nombre de prisonniers.

On venait les chercher une par une. Elles revenaient déshabillées, tuméfiées, brisées, en pleurs. Au début, elles évoquaient gifles et tabassage, personne n’osait avouer avoir été violée

Ce que j’ai vu alors dans les couloirs du sous-sol, avant même d’entrer dans ma cellule, ressemblait à une vue de l’enfer. Le sol ruisselait de sang, il y avait des cadavres dans les coins, et j’ai assisté à des scènes de torture inconcevables, sous les hurlements, les menaces, les injures : des jeunes hommes nus frappés avec des bâtons ou des câbles tressés leur arrachant la chair, suspendus par les bras à des chaînes accrochées au plafond, crucifiés, coincés dans des pneus, empalés sur des pieux. J’ai vu découper des membres à la tronçonneuse sur des êtres vivants, pour effrayer les autres et les faire avouer des choses qu’ils n’avaient pas faites. Des cris résonnaient dans toute la prison.

Il y avait alors peu de femmes. Dès mon arrivée, et malgré mon âge, j’ai été mise à nu, et j’ai dû subir ainsi, sans vêtements, des jours et des jours d’interrogatoire. J’ai été profondément humiliée. Battue avec toutes sortes d’instruments. Soumise aux chocs d’une matraque électrique qu’on me passait sur tout le corps. Plongée des jours dans un bassin d’eau souillée dans laquelle on m’enfonçait la tête pour me forcer à répondre à leurs questions : Qui sont les terroristes que tu soutiens ? Quel argent reçois-tu d’Israël ? Quels réseaux avec les Qataris et les Saoudiens ? Ces questions étaient tellement absurdes, moi qui ne connaissais que des jeunes gens épris de liberté ! Un jeune soldat m’a enfoncé les doigts dans le sexe. J’ai hurlé : Je pourrais être ta mère ! Mais le viol était partout. Dans les actes, dans les menaces, dans les discours. C’était le maître mot. Viol. Pour me faire craquer, les gardes me faisaient entrer dans les salles de torture où des hommes nus se faisaient violer et ils me criaient : Regarde bien ! C’est ce qui arrivera à tes fils et tes filles si tu continues à comploter contre le régime. On vous violera tous ! Ils savent bien que dans nos sociétés, le viol est pire que la mort.

J’ai été relâchée. Mon fils déserteur a été tué. Comme le mari de ma fille, qui s’était simplement arrêté au bord d’une route pour prêter secours à des blessés qui se vidaient de leur sang. Puis on a retrouvé le corps de mon neveu, lui aussi déserteur, les yeux arrachés. De nouveau, j’ai été arrêtée et placée dans une cellule étroite avec une vingtaine de femmes de tous les âges. On venait les chercher une par une. Elles revenaient déshabillées, tuméfiées, brisées, en pleurs. Au début, elles évoquaient gifles et tabassage, aucune n’osait avouer avoir été violée. Mais l’angoisse de tomber enceinte était si atroce et obsédante que rapidement, on n’a plus parlé que de ça. Les viols. Les viols au quotidien. Les viols par cinq ou dix hommes, qui déchiraient les femmes en criant : Ton frère ou ton mari s’est révolté contre le régime ? Ils veulent la liberté ? Eh bien voilà ce qu’on leur répond ! Tiens ! Tiens ! Violée, tu ne vaux plus rien ! Voilà ce que récoltent les salauds ! 

J’ai vu naître des bébés issus des viols. Qui a jamais parlé de cette infamie ? Oui, ce que les femmes redoutaient le plus au monde arrivait inévitablement : elles tombaient enceintes

Dans ma salle d’interrogatoire, j’ai vu violer une fille de 13 ans sous les yeux de sa mère. Violer des femmes de 18, de 30 ans, de 55 ans. Et j’ai vu mourir devant moi une jeune fille, bras et jambes écartelés, ficelés à des chaises qu’une dizaine d’hommes ont massacrée. Le plus fou, c’est qu’au-delà de la souffrance physique, ces femmes détruites affrontaient une souffrance morale qui leur paraissait pire, en comprenant que leur futur venait d’être anéanti. Qu’elles ne pourraient plus se présenter devant leurs frères, leurs pères ou leurs maris. Qu’elles étaient souillées, à jamais déshonorées aux yeux de leurs proches. Et que Bachar, cette ordure, avait réussi ça : disloquer leur famille, comme il disloquait toute la société. C’est ce qu’il a fait de plus atroce dans sa guerre contre nous. Il nous a tiré dessus avec des fusils et des lance-roquettes. Il nous a bombardés avec des tanks et des avions. Il nous a balancé des gaz chimiques. Mais le pire, c’est ce qu’il a fait à nos filles.

Ma troisième détention a duré dix-huit mois, au cours desquels mon mari a été assassiné en essayant de me faire libérer moyennant une grosse somme d’argent qu’ils lui ont bien sûr volée. Je suis sortie en janvier 2014, grâce à un échange de prisonniers.

Pendant tous ces mois, j’ai été transférée dans plusieurs endroits, dont le centre de renseignement de l’armée de l’air de l’aéroport de Mazzeh et une unité de la sécurité politique de Damas. Mais c’est à la section 215, désormais pleine de femmes issues de toutes les villes – Deraa, Alep, Homs, Idlib, Deir Ezzor – que j’ai assisté aux pires atrocités.

J’ai vu des femmes mourir, au cours d’un énième viol. J’ai vu des femmes essayer d’avorter et mourir d’hémorragie. J’ai vu une fillette de 13 ans, suspendue par les poignets et la poitrine lacérée. J’ai vu des gardiens entrer dans notre cellule et tordre la bouche des filles en exigeant des fellations. J’ai vu une femme pleine du sang de ses règles à qui, en se moquant, on a jeté des rats qui lui ont bouffé le sexe. Oui, j’ai vu ça. Elle est morte. J’ai voulu la secourir, j’ai hurlé, réclamé une couverture sur son corps. On me l’a refusée : Ce serait bien trop beau pour elle ! Les Kurdes, les chrétiennes et les Alaouites – car il y en avait – étaient victimes d’un acharnement particulier, traitées de putes et de salopes. Et j’ai vu naître des bébés issus des viols. Qui a jamais parlé de cette infamie ? Oui, ce que les femmes redoutaient le plus au monde arrivait inévitablement : elles tombaient enceintes et accouchaient au milieu de nous toutes, dans la crasse, les poux, les infections, à même le sol.

J’ai dû m’improviser sage-femme. Quand on vit dans un village, on sait faire ces choses-là. J’ai fait ce que j’ai pu. Soulagé, assisté, encouragé, rassuré. Accueilli des bébés ensanglantés entre mes mains, sans même savoir où les poser, horrifiée. Nous n’avions ni draps ni couvertures. Et on ne nous laissait même pas opérer près des toilettes, où on aurait disposé d’un peu d’eau. Rien, nous n’avions rien, si ce n’est un bout de tissu donné par une femme qui, solidaire, venait de déchirer son voile et les ciseaux qu’un gardien nous prêtait pour couper le cordon ombilical et qu’il reprenait aussitôt en repartant avec le bébé hurlant. Le bébé de la honte. Le bébé du malheur. Un petit être vivant qui n’avait pas demandé à venir et dont on ne saurait rien…

Au début, ils nous les arrachaient dès l’accouchement. Puis, curieusement, ils les ont laissés aux mamans près de trois mois, afin qu’elles les nourrissent au sein. Certaines éprouvaient une répulsion immédiate pour l’enfant de l’ennemi. D’ailleurs, qui était le père ? Un Syrien ? Un Iranien ? Un Irakien ? Un type du Hezbollah ? Il y en avait parmi nos bourreaux. Mais les mères finissaient par s’attacher au bébé. Jusqu’au jour où, sans prévenir, on le leur arrachait. Elles hurlaient de douleur et imploraient la mort.

Certains accouchements étaient tragiques, des bébés sont mort-nés, d’autres se sont éteints quelques jours après leur naissance, faute de soins et de médicaments. Ils étaient aussitôt jetés. Je me souviens d’une très jeune fille qui, après trois jours de travail, ne parvenait pas à évacuer son enfant. Il aurait fallu pratiquer une césarienne. J’ai dû lui déchirer le périnée, la plaie s’est infectée, a putréfié. J’ai supplié qu’on la soulage, un gardien compatissant m’a juste apporté du sel de table…

Lors de mes différents séjours, j’ai croisé dans ce sous-sol sordide des centaines de femmes enceintes. J’ai personnellement aidé à naître cinquante enfants, vu mourir dix bébés, cinq mamans… Des femmes retombaient rapidement enceintes après l’accouchement. Ma cousine de 20 ans a donné ainsi naissance à un garçon. Elle est encore détenue. Cela fait quatre ans et trois mois… Peut-être a-t-elle eu d’autres enfants. Alors, qu’on ne me parle plus de l’ONU ni des droits de l’homme ! Ça n’existe pas ! Le monde n’a rien fait pour nous. Le monde nous a laissés tomber. Nos filles entrent en prison, pures comme de l’argent. Elles en ressortent détruites et mortes-vivantes. Mais y a-t-il une seule voix forte, en Occident, qui se soit élevée pour les défendre et exiger leur libération ? Citez-m’en seule une ? Eh bien non.

Personne ne songe aux femmes ! Je veux que le monde entier sache jusqu’où Bachar Al-Assad est allé dans l’horreur et comment il a martyrisé son peuple. Un haut gradé de son armée m’a téléphoné, ici, en Jordanie, pour me dire que je serai assassinée si je révélais ce secret. Je m’en fous ! Il croyait me faire peur, mais c’est lui qui devrait trembler. Car j’ai tout retenu : les dates, les actes, les gestes, les insultes. Et les noms ! Oui, j’ai mémorisé les noms des officiers, des gardiens, des violeurs et de tous nos bourreaux. Je garde des preuves. Je documente. Car je veux pouvoir raconter aux jeunes générations ce qui a été vécu par leurs aînés, pourquoi ils se sont révoltés, pourquoi ils ont dû s’exiler. Et surtout, je veux confondre un jour le despote de Damas et tous les salauds à sa solde. Car ils seront jugés un jour, Inch’Allah ! Et je serai la première à témoigner contre eux devant un tribunal international. La première ! Inscrivez-moi ! C’est ça qui me tient debout.

Quatre ans plus tard, réfugiée en Jordanie, Hasna Al­ Hariri y a été arrêtée et risque l’expulsion. Je représente un danger et le régime de Damas rêve de me faire taire.

Réfugiée depuis 2014 en Jordanie après deux longs séjours dans les geôles syriennes, Hasna Al­ Hariri, 58 ans, est une figure de la révolution syrienne. Le long récit qu’elle a livré au Monde, en 2017, sur les atrocités commises dans les prisons du régime de Damas, notamment les viols, sujet immensément tabou, lui vaut d’être particulièrement détestée dans les cercles pro­ Assad. Début avril 2021, des informations faisant état de sa prochaine expulsion vers la Syrie avaient suscité une vive émotion parmi les opposants et une forte mobilisation sur les réseaux sociaux. Le royaume hachémite avait démenti toute intention en ce sens, tout en demandant à la quinquagénaire de suspendre ses activités illégales. Mais mardi 4 mai 2021, Hasna Al­ Hariri a été arrêtée par la police jordanienne et conduite au camp de réfugiés d’Azraq, à 80 km au nord d’Amman. Elle redoute que ce transfert soit le prélude à son expulsion en Syrie. Nous avons pu la joindre par téléphone, dans la soirée du 4 mai. Qu’est-ce qui explique votre soudaine arrestation ? Une pression ultra-forte du régime syrien qui profite d’une complicité retrouvée avec le gouvernement jordanien pour formuler ses exigences. À ma sortie d’une prison syrienne en 2014, grâce à un échange de prisonniers, j’ai découvert la mort de treize personnes de ma famille, dont mon mari, trois fils et mes gendres. Mes proches ont été dispersés, mais j’ai trouvé refuge en Jordanie. Fin 2018, j’ai été contactée par les services secrets de ce pays m’avertissant que le régime syrien demandait mon transfert en Syrie. C’est simplement pour vous prévenir, m’a-­t-­on dit. Je me sentais alors protégée en Jordanie par le droit international. Début avril 2021, j’ai été convoquée par ces mêmes services : Les Syriens vous réclament à nouveau avec insistance. On vous donne quatorze jours pour quitter la Jordanie. J’étais abasourdie. Mais le régime syrien a confirmé avoir officiellement demandé à la Jordanie que quarante réfugiés syriens lui soient livrés, dont moi et Hamza Al Salkhadi, mon camarade révolutionnaire qui connaît d’ailleurs le même sort que moi.

Qu’avez-­vous fait de cet ultimatum jordanien ? J’ai d’abord protesté : c’est contraire au droit des réfugiés ! Et puis, où aller, sans argent, sans passeport, sans visa ? Pour toute réponse, je n’ai obtenu qu’un implacable : On vous donne quatorze jours.  Au bout de ce délai, ils se sont pointés chez moi :  Si vous ne dégagez pas, on vous reconduit à la frontière et on vous livre au régime syrien. J’ai paniqué, contacté le monde entier et j’ai fini par avoir un entretien fouillé avec le Haut­-Commissariat aux réfugiés qui a évoqué l’asile dans trois pays possibles : l’Allemagne, la Norvège ou la Suède. Je préférais l’Allemagne mais le processus n’a pas eu le temps d’aboutir : j’ai été arrêtée et conduite avec mon fils, ma belle­-fille et leurs jeunes enfants dans ce camp immense en plein désert. La fournaise est telle dans le baraquement d’accueil, plein d’insectes, que nous allons passer la nuit dehors.

Que vous annonce­-t-­on ? Un transfert dès ce mercredi dans le village 5 du camp, une prison à ciel ouvert, où l’on parque derrière des barbelés ceux dont qu’on veut mettre hors d’état de nuire. Et particulièrement les révolutionnaires, les agitateurs politiques, ceux qui restent en contact avec l’opposition syrienne ou demeurent une source d’inspiration.

Que redoutez­-vous le plus ? D’être transférée et éliminée en Syrie. La mort a toujours été une option quand j’ai décidé de lutter contre ce dictateur. Mais pas celle de mes enfants. Et pas ainsi, gratuitement, alors que j’ai encore tant de choses à raconter sur les atrocités commises par Bachar Al­ Assad. C’est ça qui me terrifie : disparaître sans avoir pu témoigner devant un tribunal international. Sans avoir eu le temps de raconter comment on a martyrisé des enfants, électrocuté, noyé, flagellé, amputé des rebelles, comment on a violé et détruit à jamais des femmes de tous âges. J’ai vu ! Et j’ai mémorisé les noms des officiers, des gardiens, des violeurs, des bourreaux. Je n’ai cessé de documenter les exactions, j’ai gardé des preuves, je ne veux pas les emporter dans ma tombe. Bien sûr que je représente un danger et que le régime de Damas rêve de me faire taire ! Il n’est même pas exclu que ses sbires sévissent à l’intérieur du camp. C’est pourquoi il est crucial que les Nations unies accélèrent le processus pour un asile politique. Je veux confondre un jour le tyran. C’est l’unique espoir qui me tient debout.

propos recueillis par annick cojean. Le Monde du 5 mai 2021

En novembre 2023, Ken Loach sortira The Old Oak, le quotidien de réfugiés syriens dans le nord de l’Angleterre : poignant. C’est Ebla Mari qui joue Yara.

4 12 2013  

La Chine pose sur la lune Le Lapin de Jade, – 120 kg – porté par la sonde Chang’e-3 à bord d’un lanceur Longue Marche. Le lapin lunaire – ou lièvre de la Lune – vit sur la Lune, où il pile l’élixir d’immortalité dans son mortier. L’animal apothicaire a pour compagne Chang’e, la déesse chinoise de la Lune.

18 12 2013   

Un cœur artificiel est implanté sur un homme. Cela se passe à l’hôpital européen Georges Pompidou – APHP – à Paris sur Claude Dany, un homme de 75 ans. Cela n’est pas une mince affaire. Il y faut d’abord une idée, des compétences. Il y faut bien sûr de l’argent. Il y faut une technicité. Et, last but not least – surtout pour la France – il y faut des autorisations.

  • L’idée, elle est du professeur Alain Carpentier qui en a déposé le brevet il y a vingt cinq ans : une bioprothèse entièrement implantable mimant le cœur naturel, avec son adaptation à l’effort. Déjà célèbre pour avoir inventé des valves biologiques issues de tissus animaux, le professeur Carpentier reprend cette approche pour son cœur artificiel.
  • L’argent, c’est celui de la société Carmat, créée en 2008 [de Carpentier, et de la société Matra-Défense]. Le docteur Philippe Pouletty, cofondateur, dirige le fonds d’investissement Truffle Capital. Marcello Conviti en est actuellement le directeur général. Le projet initial a été financé à hauteur de 10 à 15 millions d’€ par Matra-Défense, qui détient un tiers du capital. Après la création de Carmat, grâce au financement de Truffle Capital, 16 millions d’€ ont été levés en 2010 lors de l’introduction en Bourse et 30 millions en 2011, lors d’une augmentation de capital.
  • La compétence, c’est celle du professeur Christian Latrémouille, de l’hôpital Georges Pompidou et du professeur Daniel Duveau, du CHU de Nantes.

Carmat a aussi reçu le soutien d’Oseo (BPI France Financement), qui a accordé 33 millions d’aide à l’innovation. Carmat pourra faire appel, le moment venu, à de nouveaux investisseurs, mais son objectif est de rester si possible indépendant. Plusieurs générations de pompes cardiaques se sont heurtées à de nombreux obstacles : défaillances mécaniques, formation de caillots dans la prothèse à l’origine d’accidents thrombo-emboliques… Autant de complications potentiellement mortelles. Quelques dispositifs d’assistance ventriculaire ont été autorisés, et sont principalement utilisés dans l’attente d’une transplantation cardiaque. Mais leurs performances et leur encombrement sont loin d’être satisfaisants. En 1993, le professeur Carpentier s’était allié avec Jean-Luc Lagardère, PDG de Matra – aujourd’hui filiale d’EADS -, séduit par le défi. Un premier prototype avait été mis au point en 2000 : il pesait 1 900 grammes, soit 6 à 8 fois plus qu’un cœur adulte normal. Progressivement, le volume, le poids et la consommation d’énergie ont été  optimisés. Le cœur Carmat a été implanté chez des veaux. Le prototype actuel pèse environ 900 grammes, ce qui, selon ses concepteurs, le rend compatible avec 70 % des thorax d’homme, et un quart des thorax féminins. Le cœur artificiel de Carmat s’adresse aux patients atteints d’une d’insuffisance cardiaque biventriculaire terminale. Cela pourrait représenter environ 100 000 malades en Europe et aux Etats-Unis. Aujourd’hui, seulement 5 % à 7 % des patients qui ont besoin d’une transplantation cardiaque en bénéficient, faute de donneurs. Le cœur artificiel de Carmat pourrait coûter environ 150 000 euros – à peu près le coût d’une transplantation. Il permet cependant d’économiser le prix des traitements immunosuppresseurs (qui évitent le rejet de la greffe), soit environ 20 000 euros par an en moyenne, la vie durant. Le besoin médical est considérable, avec un marché potentiel de plusieurs milliards d’euros. La question de la prise en charge par les systèmes de santé est bien sur capitale. Des cœurs artificiels beaucoup moins sophistiqués et d’un coût comparable sont déjà autorisés et remboursés dans plusieurs pays.

  • L’autorisation. Un feu vert d’un comité d’éthique pour une première implantation chez l’homme en France a été obtenu fin 2011, mais pas grand-chose par après… jusqu’en mai. Plutôt que de piétiner dans les antichambres ministérielles, Carmat avait fait comme la chèvre de Monsieur Seguin : aller voir dans le champ d’à coté si l’herbe y est plus verte : et effectivement l’herbe y était plus verte : c’est la sensation avec l’annonce des autorisations de tester sa bioprothèse en Arabie saoudite, en Slovénie, en Pologne et en Belgique. Ceux qui ne sont pas dans le sérail s’étonnent : pourquoi ne pas faire les premiers tests en France, où ce fleuron de la technologie et de la recherche a été développé ? La situation est d’autant plus surprenante que des contacts sont noués depuis 2004 avec l’Agence du médicament (Afssaps, devenue ANSM), qui délivre les autorisations d’essais cliniques, et que des équipes chirurgicales françaises sont impliquées dans le projet.

Mais l’ANSM n’a en fait à cette date pas encore donné son feu vert, estimant que les éléments du dossier n’étaient pas suffisants pour apprécier les conditions de sécurité des patients… L’Agence du médicament, probablement bousculée en douceur par quelques décideurs conscients de l’enjeu, finit par se bouger et accorde l’autorisation en septembre 2011.

Résumé de Sandrine Cabut et Chloé Hecketsweiler. Le Monde du 22 décembre 2013

Finalement, Claude Dany mourra le 2 mars, 75 jours après l’opération. On ne saura pas tout de suite de quoi précisément. Le cœur artificiel lui-même lui-même est-il en cause ? Un second patient, de 68 ans, sera opéré le 5 août à Nantes. Il quittera l’hôpital le 2 janvier 2015, menant une vie normale, conduisant sans aucune assistance, jusqu’au 2 mai 2015, quand le cœur Carmat aura un dysfonctionnement fatal. Le 12 octobre 2016, l’ANSM – Agence Nationale de Sécurité des Médicaments et des produits de santé – suspendra ce premier essai clinique, dont elle autorisera la reprise pour une seconde phase le 2 mai 2017. D’autres essais auront lieu, un au Kazakhstan en octobre 2017, un en Tchéquie en novembre 2017, sans autre information. Le 5 avril 2018 Carmat annoncera avoir implanté 3 autres patients sans préciser le lieu. La durée de survie serait supérieure à 1 mois pour les 6 premiers patients de la seconde phase. Ces patients étaient plus jeunes et plus stables que ceux de la première phase.

Quand le business, la com envahissent la médecine, les couacs se multiplient : L’euphorie qui a suivi la première implantation du cœur artificiel Carmat, en décembre 2013, a laissé la place à l’émotion lors du décès du patient, Claude Dany, le 2 mars, et à des dissonances dans les discours des acteurs de cette aventure industrielle et médicale. Depuis sa création, en 2008, la société française Carmat a largement misé sur la communication, devenue un élément à part entière de sa stratégie. L’arme s’est révélée précieuse pour  séduire les investisseurs et décrocher l’autorisation d’effectuer les  premières implantations en France, en septembre 2013. Mais elle devient plus délicate à manier maintenant que des vies humaines sont en jeu et que la froide réalité scientifique doit prendre le dessus sur l’émotion. Ainsi, la conférence de presse organisée par la ministre de la santé Marisol Touraine, quelques jours seulement après l’opération qui a fuité dans les médias, prend quelque peu la société et l’équipe médicale au piège. Alors que tous s’étaient engagés à ne rien dire avant la fin de l’essai portant au total sur quatre patients, Mme Touraine convoque les caméras, tandis que le président François Hollande salue une prouesse médicale et  une action exceptionnelle au service du progrès humain. Embarrassés, les médecins de l’hôpital Georges-Pompidou, où a eu lieu cette première, rédigent alors des bulletins de santé, plutôt laconiques. Ils font systématiquement l’impasse sur toutes les complications post-opératoires et passent sous silence le fait que le patient a été réopéré à plusieurs reprises. Il s’alimente et ne nécessite plus d’assistance respiratoire continue. Il se soumet volontiers aux exercices de rééducation physique qui lui permettent d’augmenter progressivement son périmètre de marche, indique ainsi un communiqué daté du 18 février. Une version totalement contredite par la famille de Claude Dany dans un long entretien au JDD du 16 mars. Après le 10 janvier, ça a été la dégringolade, raconte sa femme. Il n’est jamais sorti de réanimation. En outre, il a été trachéotomisé le 24 février et placé sous respirateur artificiel. Lors d’un entretien accordé le 3 mars au Monde, le président de Carmat, Jean-Claude Cadudal, évoque  les étapes suivantes comme si de rien n’était, alors que le patient est décédé la veille. Sa mort ne sera annoncée que cinq heures plus tard, par un communiqué de l’hôpital Georges-Pompidou envoyé dans la soirée aux rédactions. Une hésitation qui traduit un certain malaise, alors qu’il est à ce stade impossible de déterminer avec certitude si un dysfonctionnement de la prothèse est en cause. La communication un peu désordonnée n’arrange rien. Le 16 mars, le concepteur du cœur et cofondateur de Carmat, Alain Carpentier, émet l’hypothèse d’un court-circuit… ce que réfute l’autre cofondateur de Carmat, Philippe Pouletty.  Plusieurs proches du dossier confirment cependant la thèse d’une défaillance d’un composé électronique. Ausculté en temps réel et sous les feux des projecteurs, le cœur Carmat fait aussi des montagnes russes en Bourse, où la moindre inflexion de la communication se traduit en euros. Introduite à un peu moins de 20 euros à l’été 2010, l’action en vaut près de 90 ce 19 mars après avoir frôlé les 180 euros à l’été 2011.Cette envolée avait fait suite aux déclarations très optimistes du directeur général de Carmat, Marcello Conviti, qui prévoyait alors une première implantation avant la fin de l’année 2011. L’engouement et le cours retombent ensuite, jusqu’à mai 2013, lorsque Carmat annonce avoir obtenu l’autorisation de mener les premières implantations humaines dans quatre centres de chirurgie cardiaque à l’étranger. Depuis le 1° janvier, l’action a perdu un quart de sa valeur et après le flottement suscité par le décès du premier patient, sa cotation a même été suspendue toute la journée, le 4 mars. Ce parcours chaotique s’explique aussi par le profil des actionnaires, très sensibles aux promesses de la start-up. Environ 9 000 petits porteurs détiennent des actions Carmat. C’est une histoire qui parle à chacun, commente Daniel Anizon, analyste pour Invest Securities. Peu après l’introduction en Bourse, l’engouement était tel qu’il était difficile de trouver des actions à acheter, se souvient-il. Malgré les aléas, les investisseurs de la première heure ont fait une bonne affaire. Mais dans ce domaine, rien n’est jamais gagné, comme le montre l’exemple de la société de biotechnologies Nicox qui a perdu, en 2009, la quasi-totalité de sa valeur lorsque l’agence de santé américaine, la puissante FDA, a refusé le dossier d’enregistrement de son unique médicament. Carmat n’en est pas là, mais doit surveiller de près sa trésorerie. Il n’y a pas de raison de s’inquiéter à court terme, car la société n’est pas du tout à court de cash, avec un an d’autonomie devant elle, estime Daniel Anizon. Carmat garde la confiance de ses principaux financeurs. La Banque publique d’investissement (Bpifrance), qui finance le projet à hauteur de 33 millions d’euros, relativise les événements récents. Il s’agit d’un essai clinique, pas d’une opération chirurgicale banale, insiste Laure Reinhart de Bpifrance. L’institution publique doit encore débloquer 7 millions de subventions et d’avances remboursables. De son côté, Truffle Capital, cofondateur de Carmat et investisseur, souhaite mettre fin à la polémique en donnant le bon exemple. Le 5 mars, le fonds a renforcé sa participation dans la société en achetant un lot d’actions.

En cause, la panne d’un composant électronique ?

Deux semaines après le décès du premier patient greffé du cœur artificiel Carmat, le 2 mars, les causes de sa mort ne sont pas encore complètement élucidées, du moins officiellement. Le cas est d’autant plus particulier qu’à l’autopsie du corps s’ajoute celle, cruciale, de la prothèse cardiaque. Au-delà des conclusions du légiste, les regards sont surtout tournés vers les ingénieurs de Carmat, chargés de disséquer la prothèse et ses composants et d’analyser les millions de données enregistrées pendant les 74 jours où Claude Dany a vécu avec ce cœur artificiel bourré d’électronique. Celui-ci a-t-il défailli ? Dans Le Journal du dimanche du 16 mars, le professeur Alain Carpentier a évoqué un arrêt cardiaque brutal dû à un  court-circuit. Quelques heures plus tard, le docteur Philippe Pouletty, l’autre cofondateur de Carmat, a tenté de rectifier le tir en déclarant qu’il n’y avait pas d’explication unique mais seulement des hypothèses, une analyse approfondie étant en cours. L’hypothèse d’une panne paraît toutefois de plus en plus plausible, selon plusieurs médecins proches du dossier. Un composant électronique a dysfonctionné, entraînant une mort subite. Quand les ingénieurs l’ont remplacé, après explantation de la prothèse, le cœur est reparti, explique le professeur Bernard Cholley, anesthésiste-réanimateur qui a pris en charge Claude Dany à l’hôpital Georges-Pompidou. Mais le médecin insiste, comme d’autres, sur un élément très rassurant : Aucun caillot n’a été retrouvé sur les parois du cœur, ni sur les valves ni à l’autopsie, alors que le patient n’avait plus de traitement anticoagulant depuis longtemps. Cela signifie que  le concept de prothèse biocompatible est validé. Une telle panne électronique, si elle est confirmée, pourrait-elle remettre en cause la poursuite de l’essai, prévu au total chez quatre patients ? Ventilateurs, systèmes d’assistance ventriculaire… Tous les appareils suppléants à des fonctions vitales peuvent dysfonctionner, assurent, unanimes, plusieurs spécialistes. J’ai eu un patient avec un Jarvik – un des premiers cœurs artificiels – qui s’est arrêté au bout de six mois ; le problème du cœur Carmat nécessite d’être résolu mais il n’y a pas de raison d’arrêter l’essai ; le malade était en fin de vie, la machine a été mise en place dans les pires conditions, où l’on aurait même pas proposé un système d’assistance ventriculaire, et elle a tenu pendant deux mois et demi, raconte ainsi le professeur Yves Juillière, cardiologue à l’Institut lorrain du cœur et des vaisseaux de Nancy. Le professeur Philippe Dartevelle, du centre chirurgical Marie-Lannelongue, au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine), l’un des trois centres retenus pour la première phase d’essais cliniques, est sur la même ligne.  Aucun des dispositifs d’assistance ventriculaire ne donne de résultats parfaits, on ne peut pas imaginer qu’une machine aussi complexe que Carmat fonctionne du premier coup. En attendant les résultats de l’ensemble des analyses, la société a suspendu toute nouvelle inclusion de patients. La reprise de l’essai sera décidée au vu du rapport final et nécessitera une autorisation à trois niveaux, indique Brigitte Heuls, chargée des dispositifs médicaux à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Outre l’avis des experts de Carmat, il faudra le feu vert du comité d’essais cliniques et, enfin, celui de l’ANSM.  Dans l’intervalle, les formations de chirurgiens continuent ainsi que des implantations chez des veaux, précise M. Dartevelle. Reste la délicate question du choix des malades pour cette première phase d’études cliniques. L’enjeu est de recruter des malades en insuffisance cardiaque terminale, dans une situation irréversible et rapidement fatale, et qui ne sont pas éligibles à une greffe. Mais il faut aussi que leur cage thoracique ait un gabarit suffisant, et que leurs autres organes ne soient pas trop défaillants, explique Bernard Cholley. Notre premier patient avait une fonction rénale altérée, qui a été aggravée par l’intervention sous circulation extracorporelle, par les transfusions et par des médicaments néphrotoxiques. En clair, si les médecins sont trop restrictifs sur leurs critères, ils risquent de ne pas trouver de candidats. Inversement, si leur état est trop précaire, le danger est d’enchaîner les complications.

Sandrine Cabut et Chloé Hecketsweiler. Le Monde du 20 mars 2014

La médecine est un art. L’art de l’observation et de la description, l’art de la relation avec le patient. Il faut que cet art résiste à l’invasion de la technologie, et au danger qui consiste à traiter les patients comme de vulgaires paquets passés sous un scanner, et non comme des êtres vivants. C’est négatif aussi pour les médecins, réduits au statut de machines à diagnostic. Nous devons humaniser la technologie avant qu’elle nous déshumanise. La science ne doit pas se départir de l’art, de la poésie. J’allais vous parler de Mozart, mais en fait j’opte pour Bach, puisque c’est lui que je joue en ce moment, – à l’âge de 75 ans, j’ai décidé de reprendre des cours de piano… Je travaille sur les fugues avec un soin, une précision que je n’avais jamais connus avant, moi qui ne faisais que jouer à l’oreille. Il est évident que plus on analyse, plus on dissèque, plus on est capable d’apprécier la beauté de l’ensemble. Blake pensait que Newton, en divisant les couleurs du spectre, avait fait perdre sa magie à l’arc en ciel. Cela en accroît au contraire le charme. Je ne trouve pas le soleil moins fascinant quand j’apprends qu’il est un gigantesque réacteur thermonucléaire, changeant l’hydrogène en hélium. Connaître la physiologie de l’homme renforce pour moi sa beauté.

Oliver Sachs, neurologue. Télérama 3340 du 18 au 24 janvier 2014

Mozart… Bach…  Olivier Sachs s’en nourrit. Ils ne sont pas les seuls … même  dans notre monde moderne, on peut lire d’étranges et merveilleux témoignages sur des musiques modernes, entre autres un Spiegel im Spiegel, for Cello and piano d’Arvo Pärt, compositeur estonien né en 1935, avec au violoncelle Leonhard Roczek et au piano Herbert Schuch.

Ten years ago my brother’s first grandchild was born. She was not thriving, her body could not get rid of fluids and her breathing was not regulated, it was ragged and on and off. The family was told to not hope. My brother got a recording of this music and told the staff in the infant ICU to play it constantly next to her. Gradually her breathing came to match the steady slow rythm of this music and her body began to function normally. He acredited this music. She is now a healthy beautiful girl who loves to dance.

19 12 2013   

Lancement depuis Kourou à bord d’une fusée Soyouz de la sonde Gaïa de l’Agence Spatiale européenne, qui devrait localiser avec précision 1 milliard d’étoiles. Depuis le point dit de Lagrange L2 à 1,5 million de kilomètres de notre planète où il sera positionné, ce satellite de l’Agence spatiale européenne (ESA) s’apprête, en effet, à cartographier, pour la première fois en trois dimensions, 1 % des étoiles de la Voie lactée. Au total, 1 milliard d’objets, parmi les plus brillants du ciel, dont on connaîtra l’emplacement et le déplacement sur la voûte céleste, l’éloignement et même, pour 150 millions d’entre eux, la vitesse à laquelle ils s’écartent ou se rapprochent de nous […]     C’est que la lumière constitue la seule source d’information sur les étoiles, rappelle Frédéric Arénou, du laboratoire Galaxies, étoiles, physique et instrumentation (GEPI, CNRS – Observatoire de Paris – université Paris-Diderot) à Meudon. Or pour déduire de l’éclat apparent d’un astre sa luminosité vraie ou intrinsèque, et donc pour obtenir des renseignements sur certaines de ses propriétés physiques, la connaissance de l’éloignement est indispensable.  » Si l’on admet que la quantité d’énergie  » rayonnée  » par les objets stellaires dépend de leur masse et de leur âge, tout le savoir sur les populations et sur la nature des corps lumineux du cosmos est fondé sur ce laborieux ouvrage de géomètre ! […]     Le but de Gaia, une mission de 1 milliard d’euros, est de faire beaucoup mieux. [que ce qu’a pu faire jusqu’alors l’astrométrie] Là où le catalogue d’Hipparque recensait 1 000 étoiles au II° siècle avant J.-C., celui d’Hipparcos, publié en 1997, 120 000 (auxquels se sont ajoutées, plus tard, 2,5 millions de positions), cet engin spatial de deux tonnes doit en référencer 1 milliard ! Pour atteindre cet objectif, l’ensemble du satellite a dû être pensé comme un système au service des instruments de mesure, explique Eric Béranger, le PDG d’Astrium, la filiale du géant européen de l’aéronautique EADS qui a été chargée de sa conception et de sa réalisation. Outre deux télescopes pointant dans des directions différentes du ciel, séparées par un angle constant de 106,5 le vaisseau a été équipé d’un banc de détecteurs CCD (charge-coupled devices, ou DTC, dispositifs à transfert de charge en français), unique en son genre. Réalisant à elles toutes un plan focal d’un gigapixel (1 milliard de pixels), ces 106 caméras, maintenues à 170 °K (– 106,5 °C), occupent une superficie de 0,39 m². Ce qui dote la vision de Gaia de la sensibilité nécessaire pour lui permettre de discerner des étoiles 400 000 fois moins brillantes que celles perceptibles à l’œil nu ! Durant cinq ans, Gaia va tourner en permanence sur lui-même en six heures afin de balayer l’ensemble du ciel, par un léger mouvement de précession et en suivant l’orbite de la Terre. Au cours de cette période, ses trois instruments astrométrique, photométrique et spectroscopique analyseront 70 fois la lumière de tous les objets les plus brillants (à l’exception de 6 000 étoiles) produisant une quantité d’informations gigantesques, équivalentes à 1 pétabit (1 million de gigabits), soit la capacité de stockage de 200 000 DVD ! […]     Selon une première approximation, la Voie lactée peut être définie comme un ensemble de 100 milliards d’étoiles en rotation autour de son centre. Mais à une nuance près : ces objets – qui, pour beaucoup, se déplacent dans des bras spiraux dont les caractéristiques seront précisées au cours de la mission (tout comme d’ailleurs celles de la barre du bulbe) – ne tournent pas tous de la même manière. Notamment, la présence de matière noire fait que les vitesses des astres dans le  » disque  » augmentent anormalement au fur et à mesure que l’on se dirige vers sa périphérie. En enregistrant avec plus de précision le phénomène, les scientifiques pourraient en apprendre un peu plus sur la répartition dans la galaxie de cette étrange substance, et peut-être en déduire certaines de ses propriétés physiques. Du moins lorsque le catalogue de Gaia sera publié. Il faudra patienter pour cela jusqu’en 2021 ! Un temps respectable à l’échelle humaine mais un simple clignement d’œil pour notre galaxie.

Vahé Ter Minassian. Le Monde 18 12 2013

2013

Big Brother n’a jamais été aussi big : c’est dans l’Utah, aux États-Unis.

[…] Là, au milieu de nulle part, non loin de la bourgade de Bluffdale, à 40 km au sud de Salt Lake City, doit être inauguré cet automne le plus grand centre d’interception des communications des États-Unis et probablement du monde. […] Au-delà d’un périmètre de sécurité puissamment gardé, plusieurs milliers d’ouvriers, de techniciens et d’ingénieurs font sortir de terre en toute discrétion depuis deux ans un gigantesque complexe, baptisé par euphémisme Centre de données de l’Utah. Photographies strictement interdites. Surface de plancher disponible : 100 000 mètres carrés. Coût : 2 milliards de $ (1,5 milliard d’€). Le centre doit abriter les calculateurs parmi les plus puissants et rapides du monde, capables de conserver un volume de données équivalant à… plusieurs siècles de l’actuel trafic mondial d’Internet. Bluffdale, ce sera non seulement le disque dur de la NSA, mais aussi son cloud et son entrepôt, résume James Bamford, journaliste au magazine Wired spécialisé dans les technologies de pointe et auteur d’un livre de référence qui qualifie la NSA d’usine fantôme. Pour protéger ce cœur stratégique de la NSA, rien n’a été laissé au hasard. Le centre est doté de dispositifs de protection antiterroriste à 10 millions de dollars comprenant une enceinte conçue pour stopper un véhicule de sept tonnes, un système d’identification biométrique et un circuit fermé de caméras. Pour refroidir ses ordinateurs titanesques, a été installé un réseau de pompage capable de traiter 6,5 millions de litres d’eau par jour. Le centre, qui consommera 65 mégawatts d’électricité, disposera d’une autonomie de trois jours grâce à ses réserves propres de carburant. L’ensemble, situé en pleines montagnes Rocheuses, sur le terrain d’aviation de Camp Williams, un site d’entraînement de la garde nationale, concrétise un rêve qui, récemment encore, relevait de la pure fiction : stocker l’ensemble des communications échangées sur la planète, depuis les courriers électroniques et les coups de fil privés jusqu’aux recherches sur Google, les achats de livres, les trajets en avion, les transactions commerciales, sans parler des secrets industriels ou diplomatiques. Vers le centre de données de l’Utah convergera l’ensemble des données collectées par les satellites de la NSA, ses postes d’écoute internationaux situés aux États-Unis (Géorgie, Hawaï, Texas, Colorado) et à l’étranger (Yorkshire, au Royaume-Uni, et Australie), sans compter les branchements posés sur tous les grands réseaux téléphoniques et les fournisseurs d’accès Internet américains. Stocké, ce monceau presque illimité d’informations sera mis à la disposition des collaborateurs de la NSA, du FBI, de la CIA et de toutes les agences traquant le terrorisme, les Cyberattaques, ou espionnant les activités politiques ou économiques partout dans le monde. L’endroit, isolé entre les massifs montagneux d’Oquirrh et de Wasatch, n’a pas été choisi au hasard. Si le pays mormon – une secte de 9 000 membres pratiquant la polygamie est implantée à proximité du centre – a été choisi parmi 38 implantations possibles, c’est non seulement que l’électricité y est bon marché et l’eau abondante, mais surtout que la population, marquée par cette religion conservatrice qui enseigne le patriotisme et le respect de l’autorité, était réputée y faire bon accueil. Aux yeux des services de renseignement, l’environnement mormon est doté d’une vertu décisive : l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours envoie systématiquement ses adeptes en mission aux quatre coins du monde, au point que l’Utah possède la plus haute densité de polyglottes des États-Unis. Un atout décisif lorsqu’il s’agit de décrypter les communications du monde entier. […]  Gardant profil bas sur ses activités, jamais la NSA n’a indiqué de façon explicite quels types de données seraient stockés, évoquant seulement la lutte contre la cybercriminalité. […] En juin, Edward Snowden a confirmé et précisé les déclarations d’autres whistle-blowers [lanceurs d’alerte] : la NSA stocke non seulement les métadonnées (numéro appelé, durée de l’appel…) des abonnés au téléphone américains, mais aussi le contenu des communications internationales sur le Web. Pour continuer de le faire alors qu’Internet connaît une expansion exponentielle, le data center de l’Utah sera doté de capacités de stockage inédites, mesurées en yottabits (10 puissance 24 bits), selon James Bamford, le journaliste de Wired. Un volume si énorme qu’aucun nom n’existe encore pour désigner une grandeur supérieure (un yottabit équivaut à 1 000 années du trafic mondial sur Internet prévu en 2015, ou à 500 milliards de milliards de pages de textes). Ultraperfectionnés, les algorithmes de formes de communication diverses et de révéler des relations inattendues entre des personnes. Il s’agit de trouver des connexions entre un achat à tel endroit, un appel téléphonique à un autre, une vidéo, des informations collectées par les services des douanes et de l’immigration, a expliqué le général David Petraeus, alors directeur de la CIA, dans un discours public en mars 2012. L’analyse des données téléphoniques et des informations postées sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook est aussi censée permettre de prévoir les mouvements d’opinion, voire les révoltes; celle des vidéos de surveillance, elle, est supposée repérer les comportements suspects. La CIA et les partenaires de notre communauté du renseignement doivent être capables de nager dans l’océan du big data [1], a poursuivi le général Petraeus. Nous devons vraiment être des nageurs de classe internationale. Les meilleurs, en fait. Les grandes oreilles de Bluffdale n’enregistreront pas seulement la partie publique de la Toile. Elles se tourneront aussi vers le Web profond, autrement dit les données protégées par des mots de passe que contiennent les bases de données de sociétés ou de gouvernements. Notamment, les secrets d’un adversaire potentiel, selon les termes d’un rapport de 2010 du Défense Science Board, une commission consultative du Pentagone, cité par Wired. Pour casser les codes secrets qui protègent ces informations financières et industrielles, diplomatiques ou militaires cryptées, il est déterminant de disposer d’ordinateurs ultrarapides et d’un grand volume d’informations collectées sur chaque cible. Bluffdale devrait bénéficier évidemment des machines dernier cri nées de la compétition que Chinois, Japonais et Américains se livrent en matière de rapidité des ordinateurs. La capacité du XT5 américain, surnommé Jaguar a été récemment portée à 2,33 petaflops, soit 2.33 millions de milliards de calculs par seconde. Quant au Cray XC 30 développé au sein du programme Cascade du Pentagone, il vise l’exaflop (un milliard de milliards d’opérations par seconde). Encouragée par l’augmentation vertigineuse des capacités de stockage et l’abaissement consécutif des coûts, l’idée d’une conservation systématique des données est devenue un dogme pour la NSA. Dans l’une des rares explications publiques à ce sujet, Gus Hunt, patron de la division technique de la CIA, le justifiait ainsi en mars : La valeur de chaque information n’est connue qu’au moment où l’on est en mesure de la connecter avec une autre donnée qui peut surgir plus tard, à n’importe moment, a-t-il expliqué devant une assemblée d’informaticiens. Comme il n’est possible de relier des données que l’on ne possède pas, nous avons été conduits à un genre de on  s’efforce de collecter tout, et de le conserver pour toujours. Pareil appétit justifie les installations cyclopéennes de l’Utah, mais aussi les inquiétudes face à un système qui transforme en cible potentielle tout citoyen lisant un moyen de communication. […]  En attendant, le méga data center de  l’Utah s’apprête à engloutir son océan d’informations. Pour l’avenir, ses concepteurs se disent confiants : modulables, les gigantesques bâtiments ont été conçus pour permettre des agrandissements successifs. Et cette vallée de l’Utah offre, comme les superordinateurs, un espace proche de l’infini.

Philippe Bernard. Le Monde 29 08 2013

Sans les révélations d’Edward Snowden, le monde entier continuerait probablement d’ignorer les activités et même l’existence de l’Agence nationale de sécurité (NSA) américaine, une institution à laquelle le culte du secret avait épargné jusqu’à présent la notoriété tapageuse du FBI ou de la CIA. Mais les révélations de son ancien collaborateur, tout en forçant le président Obama lui-même à annoncer une révision des politiques américaines de renseignement, ont révélé les desseins secrets d’une institution qui fait tout pour mériter son surnom de No Such Agency [une telle agence n’existe pas]. Au point que même les données concernant l’effectif de ses employés et son budget sont invérifiables. Avec 30 000 à 40 000 employés et 8 à 10 milliards de $ de budget – 6 à 7,4 milliards d’€ -, la NSA se présente comme un maillon essentiel du système américain de renseignement. Interrogé en 2012 sur ses effectifs, son sous-directeur, John Inglis, a confirmé ce culte du secret en présentant l’agence comme le plus grand employeur d’introvertis. Plus sérieusement, la NSA serait aussi le plus gros employeur de mathématiciens du monde. Les racines de l’agence plongent dans l’humiliation de l’attaque surprise de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, qui mit en lumière l’incapacité américaine à percer les codes de communication de l’aviation japonaise. Face à la nécessité de centraliser les mécanismes de recueil des renseignements et de décryptage, le président Truman, par une décision secrète, créa la NSA en 1952. L’agence dépend du ministère de la défense. Elle détient l’exclusivité de la collecte et du traitement des renseignements provenant de l’interception des communications. Elle centralise aussi les activités de décryptage et a pour mission d’assurer la protection des systèmes d’information du gouvernement américain. Dès les années 1950, elle obtient d’accéder aux communications téléphoniques et télégraphiques internationales circulant par câbles (projet Shamrock). Longtemps resté dans l’ombre, son rôle est apparu a posteriori dans plusieurs situations dramatiques. L’agence a aussi été mise en cause, comme le FBI ou la CIA, dans le scandale des écoutes téléphoniques sous Richard Nixon. Mais c’est après le 11 septembre 2001 que l’agence a pris l’ampleur qu’on lui devine aujourd’hui. Son budget a doublé, ses effectifs ont grossi d’un tiers, et le nombre de firmes qui collaborent avec elle est passé de 150 à 500. Par sa puissance financière et humaine, elle entretient d’étroites relations avec les sociétés du secteur de l’informatique et de l’Internet dont elle emploie, en sous-traitance, des dizaines de milliers de salariés. Ceux-ci, comme Edward Snowden, bénéficient d’une habilitation au secret-défense. Ce complexe militaro-industriel d’un nouveau type unissant l’agence aux grands des télécommunications et de l’Internet s’est constitué de facto depuis que les partenaires se sont découvert un intérêt commun pour le stockage massif de données, les big data. La NSA, dont le gigantesque siège est situé à Fort Meade (Maryland), à 30 km de Washington, déploie satellites et antennes depuis au moins six autres sites situés aux États-Unis, ainsi qu’en Grande-Bretagne et en Australie. Dans l’après 11 Septembre, la NSA s’est imposée comme le réseau capable de fournir des renseignements sur Al-Qaida et a bénéficié de la législation nouvelle facilitant l’interception des communications, aujourd’hui au cœur de la controverse. Dès 2005, le New York Times a révélé que l’agence, mandatée secrètement par George W. Bush, écoutait les communications internationales sans mandat judiciaire. Mais les recours contre ces écoutes n’ont pas abouti faute de preuves. En 2002, onze ans avant qu’Edward Snowden ne décrive le programme Prism de surveillance généralisée de l’Internet, un mathématicien ayant travaillé pour la NSA pendant près de quarante ans, William Binney, avait révélé l’existence du programme Stellar Wind. Selon lui, un milliard et demi d’appels par jour étaient surveillés grâce à des raccordements chez les grands opérateurs comme AT&T et Verizon. Nous sommes à deux doigts d’un État totalitaire, dénonça-t-il sans recueillir beaucoup d’écho. Avec Edward Snowden [2], la polémique a pris une autre dimension, parce que l’ex-analyste a pris à témoin la planète entière. Les documents diffusés pour étayer ses dires fournissent la matière de controverses politiques et de recours judiciaires. La machine à tout enregistrer de la NSA est-elle efficace ? La sécurité qu’elle procure vaut-elle les énormes budgets qu’elle engloutit ? Quel sens a un système de renseignement dont le fonctionnement suppose que des milliers de personnes aient accès à des documents secrets ? Comment la justice peut-elle contrôler des écoutes ? Le grand débat entre sécurité et respect de la vie privée ne fait que commencer.

Philippe Bernard. Le Monde 29 08 2013

On écoute des millions de citoyens avec une préférence pour les VIP et, galanterie oblige, les femmes : Angela Merkel est aux premières loges. Elle fera savoir qu’elle s’en serait bien passée.

L’administration française affine tous les jours les mailles du filet qui asphyxie l’ensemble des acteurs économiques : c’est le diktat, l’impérialisme de la norme : La France est-elle vraiment malade de ses normes? Totalement et dans les deux sens du terme. Elle est la championne du monde des normes et réglementations. Il existe dans ce pays 400 000 règles disséminées dans 137 219 articles de décrets répartis dans 64 codes ! Et elle s’en rend malade car elle se fabrique un enfer. Certaines normes possèdent une justification, mais c’est leur empilement qui tourne au délire. Nos fonctionnaires qui les inventent répondent à trois préoccupations. La sécurisation des gens, (Il ne faut plus qu’on tombe dans un escalier, qu’on se prenne les pieds sur un trottoir, qu’on tombe malade avec les tatouages…), l’exigence environnementale absolue et le politiquement correct. La bien-pensance qui veut éradiquer tout ce qui s’assimile de près ou de loin à la discrimination. La quintessence dans le domaine, c’est la loi Handicap. Ensuite, on projette partout, dans le logement, la sécurité incendie, l’industrie… On réglemente tout. La largeur des allées de supermarché, la couleur des gommes à effacer, la pression des bas de contention et même la taille des draps de lit. N’est-ce pas l’Europe qui nous oblige à appliquer davantage de normes et de directives? L’Europe impose des directives en laissant le soin à chaque État membre de les traduire dans leur propre droit. Mais la France va plus loin. Outre les siennes, elle applique celles de Bruxelles en les durcissant. Résultat, ce sont nos fabricants d’aérosols, seuls en Europe, à être classés Seveso dès que leur stock contient plus de 50 tonnes de gaz… Du coup, on produit trois fois moins d’aérosols que les Allemands ou les Anglais. C’est l’industrie du bois (meubles, jouets…) condamnée à limiter l’atmosphère de ses ateliers à 0,1 milligramme de poussière par mètre cube, quand tous les autres pays tolèrent 0,5 mg. On ne nous fera pas croire que Suédois et Hollandais sont irresponsables ! Le cas des stations essence est aussi emblématique. On leur a imposé des nouvelles contraintes que l’Europe ne demandait pas par peur d’une explosion. Depuis 1958, on compte 11 morts… autant que sur la route durant le week-end de Pentecôte ! Du coup, les stations services ferment. Près de 1 600 sur 12 000 sont condamnées à brève échéance. Je crains qu’un jour, un Torquemada de la réglementation fasse raser les remparts de Carcassonne qui sont tout sauf aux normes. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne pourrait plus aujourd’hui construire la Tour Eiffel ou Notre-Dame ! Ce trop-plein de normes, dites-vous, met en péril l’économie française… Est-ce à ce point ? J’ai débusqué des centaines d’exemples dramatiques. Ce sont ces piscines publiques que des municipalités vont devoir raser sous prétexte que la surface de leur cafétéria est inférieure au minimum légal. C’est l’histoire de la dernière entreprise de cars français qui a failli fermer pour une fausse histoire d’amiante. Ce sont les trois restaurants de la plage de Royan (un Sahara de 2,2 km de long sur 70 m de large !) qui, à cause de la Loi Littorale appliquée partout uniformément quel que soit la taille de plage, vont disparaître, alors que ce sont des institutions de près d’un siècle. Ce sont toutes ces entreprises qui renoncent à s’agrandir en raison de contraintes absurdes. Au-delà de cette avalanche de normes, il y a un jusqu’au-boutisme de l’application. Cela donne des centaines de chômeurs, des dépenses astronomiques pour les contribuables quand il faut agrandir les trottoirs ; des secteurs entiers obligés de déménager à cause du surenchérissement des coûts des mises aux normes. Ainsi, il n’y a plus aucune usine de traitement des métaux en France. Elles sont toutes parties en Allemagne. Le pire, c’est que les normes sont tellement kafkaïennes que l’administration crée des usines à gaz pour ensuite gérer les dérogations. Vous citez dans le livre l’exemple de cet hôtel de Montpellier, le Colisée-Verdun, aux prises avec l’absurdité des normes… Oui, l’histoire de Fabio Gentileschi est emblématique et exemplaire du jusqu’au-boutisme qui touche des centaines de milliers de commerçants de ce pays. Afin de répondre à des nouvelles normes incendie, il a dû débourser l’an dernier, 80 000 €, l’équivalent de deux mois et demi de son chiffre d’affaires. Et le voilà sous le couperet de la loi Handicap qui doit s’appliquer dans tous les lieux recevant du public au 1° janvier 2015. Vu la taille de son hôtel, il doit réserver deux chambres à des clients handicapés. L’aménagement de chaque chambre va lui coûter 15 000 €. Mais elles sont au 1° étage. Son ascenseur est trop petit pour un fauteuil roulant et il ne peut pas l’élargir pour des questions techniques. Il a alors suggéré à la Commission d’accessibilité qui examine les dossiers, de faire passer les handicapés par la porte arrière de l’hôtel qui donne, ô miracle, directement sur le premier étage. Non, lui répond-on, c’est discriminatoire.  On lui demande donc de construire un nouvel ascenseur pour un coût de 80 000 €. Mais les éventuels handicapés qui viendront chez lui ne pourront de toute façon jamais circuler à l’étage, car les portes coupe-feu, exigées par les normes incendie, réduisent la taille du couloir et empêchent un fauteuil de passer !

Propos recueillis par Laure Joanin auprès de Philippe Eliakim, auteur de  Absurdité à la Française, Enquête sur ces normes qui nous tyrannisent, éd. Laffont. 2013. Le Midi Libre du 22 décembre 2013

Le principe de précaution est principe affairiste. Il faut le dire, la complexité juridique, avec sa masse réglementaire, produit de la dépendance technologique et de l’insécurité juridique, laquelle, à son tour, active le marché du principe de précaution.

Ce désastre existentiel est une nouvelle version du cartésianisme. On ne peut arbitrer ce débat à partir de grands principes de précaution indiscutables : le nucléaire, le sang contaminé, différents drames écologiques, il n’y a pas de débat. Néanmoins, le principe de précaution permet de fabriquer des marchés. Marketing et communication, il faut désigner les choses comme elles se présentent : un nouveau consumérisme avec, à la clé, un désastre environnemental. Les abus du principe de précaution provoquent l’augmentation du consumérisme technologique et, donc, de l’empreinte environnementale.

Lorsque l’on surclasse les besoins en acier, aluminium ou Inox, les conséquences en termes d’empreinte environnementale sont critiquables. Si le béton correspond à un niveau 1 d’empreinte environnementale, l’acier est à 80, l’aluminium à 220 et l’Inox équivaut à un horizon inconnu. Voilà des réalités scientifiques !

Architecte ingénieur, je n’ai pas de certitudes, mais des lucidités, du moins des anxiétés. L’anxiété et la paranoïa peuvent être des moteurs d’analyse des risques. Cependant, le principe de précaution vient augmenter la pression sur les enjeux environnementaux, où l’on navigue à vue sans aucune expertise tels les écoquartiers, qui seront très vite, d’ici dix ans, par leurs faiblesses structurelles, le déficit de masse, le bling-bling technologique, les engazonnements de terrasses facteurs de consommation d’eau, des quartiers à rénover à grands coûts.

Je me souviens avoir remis un rapport, en novembre 2009, au ministre de l’environnement de l’époque, Jean-Louis Borloo, où nous préconisions de baisser la température confort des constructions de deux degrés. En effet, les conséquences en termes d’investissement, de dimensionnement des équipements, d’économie d’énergie pour le pays, pour la nation, sont incalculables. Le rapport est passé directement à la trappe !

L’Occident, toujours plus arrogant, voulant donner exemple au monde entier, a décidé d’augmenter ses performances et ses précautions sans changer les conditions qui les sous-tendent. Le principe de précaution peut aussi porter atteinte au principe de beauté, c’est-à-dire participer à la dynamique de l’exil de la beauté. Celui-ci est le résultat d’une violence réglementaire plutôt associée à une démarche mercantile soutenue par les pouvoirs qu’à un respect envers les besoins des usagers et l’environnement.

À terme, tout s’enlaidit. Demain, l’on mettra des garde-corps le long de tous les quais et fleuves et rivières et lacs de France, au titre de la précaution. Et surtout en Inox, pour éviter l’oxydation ! L’on n’arrête plus la prospérité du désastre. Un colonel de la Légion étrangère me disait : On ne sait plus comment combattre, parce que nous avons un principe de précaution par rapport à nos forces armées mais également par rapport aux adversaires. Nous ne pouvons réagir qu’après le premier feu, à condition qu’il nous ait ratés et que nous en ayons la preuve.

Comme toutes les sociétés évoluées, nous sommes devenus suicidaires car la régression et la peur collective sont liées. La bureaucratie, structure idéalisée de précaution, aura donc compris que produire de la nuisance redéploie son territoire existentiel.

En urbanisme comme pour les théâtres d’opérations militaires, le suicide collectif, ultime preuve d’une société évoluée, est irréversiblement engagé. L’exil de la beauté est son accompagnant naturel dans une indifférence collective tout aussi suicidaire.

Rudy Ricciotti, architecte du MUCEM de Marseille. Le Monde octobre 2014

Il est des rencontres qui ne débouchent sur rien… il en est d’autres qui ouvrent des univers, jusqu’alors fermés sur eux-mêmes : Deborah Waldmann, brésilienne, est musicienne, mère de deux enfants ; elle a eu une enfance faite de ruptures, car dans les pas d’une mère dotée d’une grande aptitude à changer de compagnon, et par là-même, de pays, quand ce n’était pas de continent. Elle est en quête d’une direction d’orchestre mais se heurte à un machisme qui ne dit pas son nom – tout de même, on est dans un monde cultivé ! – et qui l’empêche de réaliser son rêve. Elle rencontre au Pradet, (entre Hyères et Toulon) François Henri Labey, directeur de conservatoire qui lui parle de sa grand-mère, Charlotte Sohy, compositrice dont les œuvres – essentiellement la Symphonie Grande Guerre, composée en 1917 – tombent dans l’oubli. Deborah Waldmann étudie la partition, les archives, recueille toutes les données biographiques disponibles et, le 9 juin 2019, dirige à Besançon la symphonie Grande Guerre. En septembre 2020, à 42 ans, elle prendra la direction de l’orchestre national Avignon-Provence. Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous, aurait dit Eluard.

Rémi Fromont, architecte de 37 ans, a répondu à un concours de la Fondation des Monuments Historiques doté d’une bourse de 4 000 € en présentant un projet de relevé de la charpente de Notre Dame de Paris, car il sait que les plans existants sont plutôt succincts. Il emporte le concours et effectue donc le relevé de cette charpente : ce n’est pas là une mince affaire : 100 mètres de long, une porté de 13 mères pour dix mètres de haut, avec une inclinaison de toiture de 55°. De plus, les bois d’origine étaient souvent plutôt jeunes, posés verts : on n’avait pas facilement des arbres centenaires de grande dimension ; le nombre compensait la taille. On estime le nombre d’arbres à 1 000, de 60 ans environ : c’est moitié moins que le nombre d’arbres qui ont été nécessaires pour construire l’Hermione.

L’obtention de cette bourse me permettrait (…) de mener à bien un projet de recherche portant sur une œuvre universelle. L’étude des charpentes de la cathédrale Notre-Dame de Paris présente un réel intérêt scientifique et patrimonial. Les fonds de cette bourse serviront donc bien plus que mon seul intérêt personnel. 

Rémi Fromont

Et effectivement, ce relevé sera particulièrement précieux quand Notre Dame brulera, cinq ans plus tard et que l’on décidera d’une restauration à l’identique. Rémi Fromont deviendra architecte en chef des Monuments Historiques, adjoint direct de Philippe Villeneuve, le patron.

Nuage de points 3D, de la coupe longitudinale sur la partie sud de la cathédrale Notre-Dame de Paris. En rouge, relevé effectué par Andrew Tallon quelques années avant l’incendie de 2019. VIOLETTE ABERGEL/LIVIO DE LUCA/MAP/VASSAR COLLEGE/GEA/LIFE 3D/CHANTIER SCIENTIFIQUE NOTRE-DAME DE PARIS/Ministère de la Culture/CNRS

Relevé architectural d’un chevron-maître du chœur. Rémi FROMONT ET Cédric TRENTES AUX/MINISTÈRE DE LA CULTURE

9 01 2014 

L’espace se privatise. La capsule non habitée Cygnus de la société américaine Orbital Sciences, lancée avec succès  jeudi pour sa première mission d’approvisionnement de la Station Spatiale Internationale s’est amarré dimanche à l’avant-poste orbital. Cygnus a été saisie par le bras télémanipulateur de la station, Canadarm 2, manœuvré de l’intérieur par deux des six membres d’équipage de l’ISS, et ce après une approche finale délicate qui a commencé quelques heures avant. Cygnus livre 1.260 kilos d’équipements scientifiques pour des expériences dont, entre autres, des fourmis pour observer leur comportement en microgravité, ainsi que du matériel pour étudier la résistance microbienne aux antibiotiques. Les occupants de l’ISS, trois Russes, deux Américains et un Japonais, commenceront au cours des prochains jours à transférer le chargement dans l’ISS et à charger Cygnus avec 1,8 tonne de déchets et d’équipements usagés. Cygnus, qui restera amarré à la station jusqu’au 18 février, se désamarrera alors et sera détruite en retombant dans l’atmosphère au-dessus de l’océan Pacifique. Contrairement à la capsule Dragon de la société Space X, Cygnus ne peut pas revenir sur Terre. Initialement prévu en décembre, le lancement de Cygnus depuis le centre des vols de Wallops, situé sur une île près de la côte de Virginie (est), avait été une première fois reporté au 8 janvier en raison du remplacement, jugé urgent fin décembre, d’une pompe à ammoniaque défectueuse sur un des deux circuits de refroidissement de la station spatiale. La réparation avait été effectuée par deux astronautes lors de deux sorties dans l’espace juste avant Noël. Le vol avait été ensuite repoussé de 24 heures à jeudi après que des éruptions solaires mardi eurent créé des radiations magnétiques susceptibles d’affecter les systèmes électroniques du lanceur Antares. Il s’agit du cinquième vol d’un vaisseau privé vers l’ISS. Orbital Sciences est une des deux firmes américaines, avec Space X, à avoir été choisie par l’agence spatiale américaine pour approvisionner l’avant-poste orbital. Orbital Sciences avait déjà effectué un vol de démonstration vers l’ISS en septembre 2013. La Nasa parie sur des partenariats dans le secteur privé pour réduire le coût d’accès à l’orbite basse. Aux termes d’un contrat de 1,9 milliard de dollars avec Orbital Sciences, cette firme doit livrer 20 tonnes de fret à l’ISS au cours de huit vols prévus jusqu’au début 2016, dont trois en 2014. SpaceX a de son côté déjà effectué trois missions vers la station avec sa capsule Dragon, dont deux de livraison de fret dans le cadre d’un contrat de 1,6 milliard de dollars avec la Nasa. Elle doit encore mener dix vols de fret vers l’ISS d’ici 2015. SpaceX lance Dragon avec sa fusée Falcon 9 depuis la base de Cap Canaveral en Floride (sud-est).

MY TF1News. 12 01 2014

Orbital Sciences Corporation, est une société américaine de Dulles en Virginie crée en 1982,  spécialisée dans la réalisation de satellites légers de tous types placés en orbite basse, de satellites de télécommunications en orbite géostationnaire et de lanceurs légers. Elle développe le lanceur Antares (ex Taurus II) d’une capacité de 6 tonnes en orbite basse et le vaisseau cargo Cygnus pour assurer le ravitaillement de l’ISS. Elle employait environ 3 700 personnes en 2011. Fin 2011, elle avait construit 135 satellites ; elle assemble des satellites scientifiques comme NuSTAR, des satellites d’observation pour la défense ou le secteur privé. Orbital Sciences Corporation a également développé trois lanceurs adaptés à des charges utiles allant de 450 kg à 1 750 kg : Pegasus, Taurus, Minotaur. De 1990 à 2011,  la société a effectué 40 lancements. Orbital a participé au programme de navette spatiale automatique Orbital Science X-34 lancé en 1996 jusqu’à son arrêt en 2001. Elle est également impliquée dans le développement de la future capsule spatiale Orion dont elle conçoit la tour de sauvetage qui doit permettre de sauver l’équipage en cas de dysfonctionnement du lanceur.

10 01 2014   

Closer, un people parmi tant d’autres publie une photo de François Hollande se rendant chez sa maîtresse Julie Gayet. L’affaire n’est pas démentie, donc la liaison est reconnue… qui ne dit mot consent.  Selon Christine Clerc, dans le Midi Libre du 28 janvier, Valérie Trierweiler, – née Massonneau – de rage, s’en serait pris aux porcelaines de l’Élysée, c’est-à-dire de la marquise de Pompadour qui avait reçu la maisonnette en cadeau de Louis XV. Évacuée promptement sur la Pitié Salpêtrière, où il est infiniment plus difficile de faire des ravages, elle reçut en camisole chimique ce qu’il fallait pour un retour au calme. C’est qu’il paraîtrait qu’il y en aurait pour 3 millions € ! Mazette ! Espérons que les salles concernées étaient munies de caméras : celui qui récupérera les images pourra les vendre à prix d’or. On la savait mauvaise, on la découvre furie, et nous saisit une belle envie de reprendre, derrière La Tulipe, le refrain qu’il adressait précisément à la locataire de l’Élysée, Madame de Pompadour au lendemain de la défaite de Rossbach :

Mais quand nous n’aurons plus de larmes,
Quand nous serons à bout de tout,
Nous saurons bien à qui, Madame,
Il nous faudra tordre le cou,
Comprenez-vous ?

Les vœux de la Tulipe ne seront pas exaucés, mais la mue parfaitement réussie, quittant la peau désormais hors service de Première Dame de France pour se vêtir de celle de Première Garce de France, avec des arrières assurées pour le reste de ses jours grâce aux 500 000 exemplaires de littérature de caniveau sortis 9 mois plus tard… le journal d’une femme de chambre congédiée, disait Pierre Viansson Ponté de ce genre de prose.

7 02 2014 

Inauguration des XXII° Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi : Les Jeux olympiques d’hiver qui vont se dérouler dans la ville russe de Sotchi marquent une nouvelle et déplorable étape dans la triste tradition olympique consistant à procurer aux dictatures une formidable tribune de propagande et une voie royale pour des opérations de corruption. La critique s’adresse à juste titre au Comité international olympique (CIO) depuis les Jeux de Berlin de 1936 jusqu’à ceux de Pékin en 2008, mais aux préoccupations liées aux droits de l’homme, les Jeux de Sotchi ajoutent celles de la sécurité, de l’environnement et des difficultés économiques qui auraient dû rendre ce site inéligible. J’espère naturellement que les Jeux seront un succès pour les athlètes et se dérouleront dans des conditions de sécurité satisfaisantes, mais le fait est qu’ils ont d’ores et déjà causé d’importants dégâts. Des montagnes de déchets et des bassins d’eau polluée souillent les environs de ce qui était jusqu’alors une pittoresque station balnéaire subtropicale abritant un fragile écosystème. Des milliers d’habitants ont été déplacés, des maisons et des quartiers entiers démolis. Les régions du Caucase voisines, notamment le Daghestan, sont des foyers d’activité terroriste où pas une semaine ne se passe sans une attaque ou un attentat-suicide. Caution à des voleurs Et tout cela se déroule sur fond de despotisme croissant de la part du président russe, Vladimir Poutine, qui continue à porter atteinte à la Constitution russe, tout en réprimant violemment les dissidents et en bafouant les droits de l’homme. Il est clair que le périmètre de sécurité baptisé stalnoye koltso, ou cercle de fer, censé protéger Sotchi, servira aussi à tenir à distance militants et protestataires, du moins ceux qui n’ont pas été emprisonnés à titre préventif. Le nouveau président du CIO, Thomas Bach, continue à se ridiculiser en répétant que les dirigeants mondiaux, dont certains ont voulu marquer leurs distances en annonçant qu’ils ne viendraient pas à Sotchi, ne devraient pas utiliser les Jeux comme une tribune politique. Cette opportunité est apparemment réservée à leur hôte, qui a consenti à d’énormes dépenses pour avoir ce privilège. Les 37,8 milliards d’euros, le budget des Jeux de Sotchi, ont été prélevés sur le Trésor russe et se sont sûrement évaporés vers des comptes privés en Europe et dans les Caraïbes, après avoir fait une courte escale pour financer la construction de quelques stades et hôtels de mauvaise qualité dont la plupart seront abandonnés sitôt les compétitions terminées. Que le peuple russe soit habitué à être ainsi dépouillé ne rend pas la chose plus acceptable ni ne justifie que le CIO apporte sa caution à des voleurs. Le rêve de M. Poutine était de transformer sa station balnéaire préférée en une vitrine capable d’inspirer la Russie et d’épater le monde. En réalité, même les Russes vivant loin de Sotchi sont furieux devant des dépenses et un gaspillage dont le montant excède le budget annuel de l’éducation. À l’étranger, les lois bigotes visant les homosexuels ont suscité une large condamnation et provoqué des manifestations qui utilisent Sotchi comme une caisse de résonance. Il n’y a rien de choquant à cela, mais depuis que Poutine est arrivé au pouvoir, il y a quatorze ans, il a fait passer des dizaines de lois restreignant les droits de l’ensemble des citoyens russes. Les couvertures de magazines internationaux, comme The Economist ou The Times, s’en prennent régulièrement à l’arrogance de Poutine. Les dirigeants mondiaux entendent faire savoir ce qu’ils pensent du cirque olympique de Poutine au travers d’une série d’initiatives, depuis le choix de tenues arc-en-ciel pour les athlètes jusqu’à l’envoi de délégations officielles bourrées de membres de la communauté homosexuelle. De telles actions ne peuvent cependant réparer les dégâts causés à l’environnement ni rapatrier les milliards détournés, mais ils sont autant de signes réconfortants montrant que, pendant les Jeux de Sotchi, le monde ne se contentera pas de regarder les épreuves de ski et de bobsleigh. Reste à savoir si cette attention se poursuivra au-delà des Jeux. Jusqu’à présent, la chaîne de télévision américaine NBC a pris grand soin de donner une image positive de Sotchi, afin de plaire aux autorités du pays hôte. Voyons si elle osera lever un tant soit peu le voile sur certains aspects moins reluisants de la Russie de Poutine, ou si elle ne montrera que la réalité virtuelle de stabilité et de prospérité que le président russe cherche à imposer. Au XVIII° siècle, le prince Grigori Potemkine lui-même n’aurait pu édifier une façade aussi grandiose que Sotchi. Il est vrai qu’il ne pouvait compter sur des partenaires comme le CIO ou NBC.

(Traduit de l’anglais par Gilles Berton) Garry Kasparov, Ancien champion du monde d’échecs, président du conseil de la Fondation Human Rights à New York. Le Monde du 8 février 2014

Sur les derniers jours de la fête, en Ukraine, le président Janoukovitch réprimera dans le sang les manifestations de son peuple et les morts se compteront par dizaines. France TV s’honorera d’avoir interviewé Bogdana Matsotska, une skieuse ukrainienne qui décidera de quitter Sotchi, ne pouvant continuer à jouer quand on assassine ses frères, ses sœurs, ses parents. Sergueï Bubka, président du comité olympique d’Ukraine, ne fera rien pour s’y opposer. Et France TV diffusera en même temps des images de cette répression à Kiev. Mais de là à boycotter ce qui reste des jours de la fête, il y a un pas que ne franchiront ni les athlètes ni les médias. La répression et la violence ne peuvent étouffer les moments de bonheur, de fascination au spectacle des fées d’artifice en programme libre sur la glace : elles se nomment Adelina Sotnikova, Yulia Lipnitskaya : elles ont encore l’air poupin, comme étonnées de leur propre grâce, de leur propre génie… qui n’enlève pas une seule heure aux innombrables journées d’entrainement, de régime, de discipline de fer. Elle se nomme encore Kim Yu-Na, qui n’a qu’un seul tort, celui de ne pas être russe. Et puis, une très significative seconde manche de slalom spécial chez les hommes, à la hiérarchie très respectueuse de l’équilibre entre progrès et tradition : en or, un géant – plutôt spécial -, Mario Matt – 1.90 m – dans le circuit depuis  quinze ans, bientôt 35 ans, en argent le meilleur slalomeur du monde aujourd’hui, Marcel Hirscher et en bronze un prodige norvégien de moins de vingt ans, Henrik Kristoffersen.

Cinq ans plus tard, en décembre 2019, l’AMA – Agence Mondiale de l’Antidopage – suspendra pour quatre ans la Russie de Jeux Olympiques : elle mettra entre autres à jour un système sophistiqué de permutation d’échantillons d’urines, les vraies, chargées,  étant remplacées par des fausses, exemptes de tout dopage, pendant toute la durée des Jeux de Sotchi.

15 02 2014   

À Donets, au saut à la perche, Renaud Lavillenie franchit en salle, 6 m.16 et prend ainsi à  Sergueï Bubka son record du monde, vieux de vingt et un ans. Il gardera ce record pendant six ans, jusqu’à ce qu’Armand Duplantis 20 ans, suédois de naissance mais ayant passé toute sa jeunesse aux États-Unis, le lui prenne en passant 6.17 m à Torun, en Pologne le 8 février 2020, puis 6.18 m à Glasgow le 15 février 2020.

vers le 20 02 2014   

À Louisville, aux États-Unis, un bébé de 14  mois est né avec quatre malformations congénitales du cœur, qui au quotidien se traduisent par un sommeil difficile, un manque d’appétit, des difficultés respiratoires, une faiblesse générale. Une opération avait été programmée pour le 10 février au Kosair Children’s Hospital. Mais les médecins n’étaient pas chauds :  avec les scanners disponibles, la visibilité était compliquée, les avis contradictoires, et l’opération s’annonçait difficile avec trop d’inconnus. Le chef radiologue de l’hôpital a alors sollicité l’université de Louisville qui possède un centre de prototypage utilisant les imprimantes 3D. Il l’avait visitée voilà peu et était revenu impressionné par les possibilités de cette technologie. Pour un prix de revient de 600 $, à partir d’un simple scanner, l’équipe de l’université de Louisville – pionnière en la matière – a fourni à l’hôpital en 20 heures seulement une réplique du cœur de l’enfant. Dans une texture proche de celle d’un cœur humain, le modèle a été grossi une fois et demie et découpé en trois parties, permettant de visualiser précisément l’intérieur du cœur de l’enfant. Grâce à ce modèle, le chirurgien cardiologue a pu élaborer un plan chirurgical et réparer le cœur avec succès et en une seule opération ! Ce modèle a transformé ma façon de préparer une telle intervention. Dès que j’ai eu le modèle, j’ai su exactement ce que je devais faire et comment. Les gens pensent que lorsqu’on opère un cœur, on peut tout voir parfaitement, ce qui est faux, car, pour cela, il faut couper à travers des structures vitales. Parfois, le chirurgien doit deviner quel est le meilleur geste à faire. Grâce à la reproduction de son cœur en 3D, une seule opération a suffi pour le petit garçon et la durée d’intervention a pu être réduite. Aujourd’hui, le bébé dort et mange à sa mesure, mais rit autant que sa maman.

22 02 2014 

Matteo Renzi, maire de Florence, 39 ans, est nommé président du Conseil. Quelque vingt ans plus tôt, son confesseur lui avait dit : Reste un peu tranquille Matteo, Dieu existe et ce n’est pas toi.

Sur la place Maïdan de Kiev, les manifestants se heurtent aux forces de l’ordre : ils disent leur désir de se rapprocher de l’Europe, de l’OTAN, ils disent leur raz-le-bol de la corruption. Dans la foulée, le parlement destitue Viktor Ianoukovitch, le président pro-russe par 328 voix contre 0 (72,8 % des 450 membres du parlement) et revient à la Constitution de 2004. Il y a 108 morts parmi les manifestants, 13 parmi les policiers.  Petro Porochenko est élu président.

De ce jour naît chez Vladimir Poutine une froide colère contre ce qu’il estime être une trahison. De ce jour naît le désir de rétablir par la force ce qu’il considère comme un insupportable atteinte à la grandeur de la Russie, grandeur dont il garde une inguérissable nostalgie au plus profond de lui-même. Cela va commencer par l’annexion de la Crimée, puis le soutien aux séparatistes de l’est de l’Ukraine, dans le Donbasss et le Donetz, et explosera avec l’invasion de l’Ukraine, huit ans plus tard, le 22 février 2022.

Ce que les moutons de Poutine n’ont pas voulu voir, ce que la plupart des experts européens n’ont pas voulu voir, ce que les partisan de Nord Stream, les politiques et les industriels allemands n’ont pas voulu voir, ce que tous ceux qui ne croyaient pas à la guerre n’ont pas voulu voir, c’est que chez un dictateur enfermé dans sa réalité parallèle, la passion l’emporte sur les intérêts. Jamais la Russie n’envahira l’Ukraine !  affirmaient-ils. Ce n’est pas du tout dans son intérêt de faire la guerre ! assuraient-ils ? Mais aucune considération économique ne prévaudra jamais, chez Vladimir Poutine, sur son plan de reconquête de l’empire russe perdu, mélange de frustration et de messianisme. 

Marion Van Renterghem. Le piège NORD STREAM. Les Arènes 2023

Ceux qui croient que les peuples suivront leurs intérêts plutôt que leurs passions n’ont rien compris au XX° siècle.

Raymond Aron

1 03 2014     

Alain Resnais nous quitte. Il y a deux catégories de metteurs en scène : les violeurs et les voleurs. Les violeurs vous arrachent de gré ou de force ce qu’ils veulent obtenir de vous, par la perversité ou la ruse, puis quand ils ont obtenu ce qu’ils veulent, ils vous jettent comme un citron pressé. Les voleurs subtilisent à l’intérieur de vous des choses dont vous n’avez pas forcément conscience, qui vous montrent comment s’en servir, et vous les rendent ensuite. Vous pouvez alors continuer votre route, ainsi guidé par quelqu’un qui participe à votre enrichissement personnel. Resnais, c’était ça, je ne l’ai jamais vu manipulateur, malveillant, perturbateur. Il a toujours essayé d’obtenir des acteurs des choses qui pouvaient illuminer leurs jours et lui-même. Il appliquait, au fond, ce que Michel Bouquet disait à ses élèves : N’oubliez jamais qu’au théâtre, le public ne vient pas pour vous voir jouer, il vient pour jouer avec vous. Resnais faisait de même avec ses comédiens : il leur proposait simplement de jouer avec lui.

Pierre Arditi

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[1] Nommés par les médias français GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon -. Certains voudront ajouter le M de Microsoft mais la plupart se refuseront à embarquer Bill Gates dans cette galère.

[2]  Réfugié en juin 2013 à Moscou, la nationalité russe lui sera accordée en septembre 2022.